Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/XIV. À Junius Mauricus

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 47-49).
XIV.
Pline à Junius Mauricus.

Vous me priez de chercher un parti pour la fille de votre frère. C’est avec raison que vous me donnez cette commission plutôt qu’à tout autre : vous savez jusqu’où je portais mon attachement et ma vénération pour ce grand homme. Par quels sages conseils n’a-t-il point soutenu ma jeunesse ! Combien ses éloges ne m’ont-ils pas aidé à en mériter ! Vous ne pouviez donc me charger d’un soin plus important, et qui me fît tout à la fois plus de plaisir et plus d’honneur, que celui de choisir un homme digne de faire revivre Rusticus Arulenus dans ses descendans. Ce choix ne serait pas facile, si nous n’avions pas Minucius Acilianus, qui semble fait exprès pour cette alliance. C’est un jeune homme qui m’aime comme l’on aime les gens de son âge (car je n’ai que quelques années plus que lui), et qui me respecte, comme si j’étais un vieillard. Il veut tenir de moi l’instruction et les principes de vertu, que je dus autrefois à vos leçons. Il est né à Brescia, ville de ce canton d’Italie où l’on conserve encore des restes de la modestie, de la frugalité, de la franchise de nos ancêtres. Minucius Macrinus, son père, n’eut d’autre rang que celui de premier des chevaliers, parce qu’il refusa de monter plus haut. Vespasien lui offrit une place[1] parmi ceux qui avaient exercé la préture : mais il eut la force de préférer un repos honorable à ce que nous appelons de la gloire, et qui n’est peut-être que de l’ambition. Serrana Procula, aïeule maternelle de ce jeune homme, est née a Padoue. Vous connaissez les mœurs sévères de ce pays : Serrana y est citée comme un modèle. Il a un oncle que l’on nomme P. Acilius. C’est un homme d’une sagesse, d’une prudence, d’une intégrité singulière. En un mot, vous ne trouverez, dans toute cette famille, rien qui ne vous plaise autant que dans la vôtre. Revenons à Minucius Acilianus. Modeste autant qu’on le peut être, il n’en a ni moins de courage, ni moins de capacité. Il a exercé avec honneur les charges de questeur, de tribun, de préteur ; et il vous a épargné ainsi d’avance la peine de les briguer pour lui. Sa physionomie est heureuse ; son teint est animé et ses couleurs vives. Il est bien fait : il a l’air noble, et presque la dignité d’un sénateur. Ces avantages, selon moi, ne sont point à négliger : c’est, en quelque sorte, une récompense que l’on doit aux mœurs innocentes d’une jeune personne. Je ne sais si je dois ajouter, que le père est fort riche. Quand je me représente le caractère de ceux qui veulent un gendre de ma main, je n’ose parler de ses biens ; mais ils ne me semblent pas à mépriser, quand je consulte l’usage établi, et même nos lois, qui mesurent les hommes surtout à leurs revenus. Franchement, on ne peut jeter les yeux sur les suites du mariage, sans mettre les biens au nombre des choses nécessaires pour en assurer le bonheur. Vous croyez peut-être que mon amitié s’est plu à exagérer le mérite d’Acilianus : ne vous fiez jamais à moi, s’il ne tient plus que je n’ai promis. Je vous avoue que j’aime ce jeune homme comme il le mérite, c’est-à-dire, de tout mon cœur. Mais, selon moi, le meilleur office que l’on puisse rendre à un ami, c’est de ne pas lui donner plus de louanges qu’il n’en peut porter. Adieu.

  1. Vespasien lui offrit, etc. Suivant le sentiment d’Heusinger et de Schæfer, j’ai rétabli enim, supprimé par Gesner et Gierig.