Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/L5 XX. À Ursus

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 409-411).
XX.
Pline à Ursus.

Peu de temps après le jugement de Julius Bassus[1], les Bithyniens formèrent une nouvelle accusation contre Varenus, leur proconsul, celui-là même qui, à leur prière, leur avait été donné pour avocat contre Bassus. Lorsqu’ils eurent été introduits dans le sénat, ils demandèrent l’information : Varenus, de son côté, réclama la faculté de faire entendre les témoins qui pouvaient servir à sa justification. Les Bithyniens s’y étant opposés, il fallut plaider. Je parlai pour lui avec succès ; si je parlai bien ou mal, c’est au plaidoyer même à vous l’apprendre. La fortune a toujours sur l’événement d’une cause une influence heureuse ou funeste. La mémoire, le débit, le geste, la conjoncture même, enfin les préventions favorables ou contraires à l’accusé, donnent ou enlèvent à l’orateur beaucoup d’avantages ; au lieu que le plaidoyer, à la lecture, ne se ressent ni des affections ni des haines ; il n’y a pour lui ni hasard heureux ni circonstance défavorable.

Fonteius Magnus, l’un des Bithyniens, me répliqua, et dit très-peu de choses en beaucoup de paroles. C’est la coutume de la plupart des Grecs : la volubilité leur tient lieu d’abondance. Ils prononcent tout d’une haleine et lancent avec la rapidité d’un torrent les plus longues et les plus froides périodes. Cependant, comme dit agréablement Julius Candidus, loquacité n’est pas éloquence. L’éloquence n’a été donnée en partage qu’à un homme ou deux au plus, et même à personne, si nous en voulons croire Marc Antoine. Mais cette facilité de discourir, dont parle Candidus, est le talent de beaucoup de gens, et particulièrement celui des effrontés.

Le jour suivant, Homullus plaida pour Varenus avec beaucoup d’adresse, de force, d’élégance. Nigrinus répondit d’une manière serrée, pressante et fleurie. Acilius Rufus, consul désigné, fut d’avis de permettre aux Bithyniens d’informer. Il garda le silence sur la demande de Varenus : c’était assez clairement s’y opposer. Cornelius Priscus, personnage consulaire, voulait qu’on accordât également aux accusateurs et à l’accusé ce qu’ils demandaient ; et le plus grand nombre adopta son avis.

Nous avons ainsi obtenu une décision, qui n’avait pour elle ni la loi ni l’usage, et qui pourtant était juste. Pourquoi juste ? je ne vous le dirai pas dans cette lettre, pour vous faire désirer mon plaidoyer ; car, si nous en croyons Homère,

Les chants les plus nouveaux sont les plus agréables[2] ;


et je ne puis permettre qu’une lettre indiscrète dérobe à mon discours cette grâce et cette fleur de nouveauté, qui n’en font pas le moindre mérite. Adieu.


  1. Peu de temps après le jugement de Julius Bassus, etc. L’éditeur de la traduction avait admis dans le texte, iterum Bithyni (breve tempus a Julio Basso) et Rufum, etc. : je trouve dans Schæfer, iterum Bithyni, post breve tempus a Julio Basso, etiam Rufum, etc. La leçon que je rejette était empruntée à l’édition romaine d’Heusinger. — (Voyez iv, 9.)
  2. Les chants les plus nouveaux, etc. Hom., Odyss., i, 351.