Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/L5 VII. À Calvisius

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 371-373).
VII.
Pline à Calvisius.

Il est certain que l’on ne peut, ni instituer l’état héritier, ni rien lui léguer[1]. Cependant Saturninus qui m’a fait son héritier, lègue à notre patrie un quart de sa succession, et ensuite fixe ce quart à une somme de quatre cent mille sesterces. Si l’on consulte la loi, le legs est nul. Si l’on s’en tient à la volonté du testateur, le legs est valable : et la volonté du testateur (je ne sais comment les jurisconsultes prendront ceci) est pour moi plus sacrée que la loi, surtout lorsqu’il s’agit de conserver à notre patrie le bien qu’on lui a fait. Quelle apparence qu’après lui avoir donné onze cent mille sesterces de mon propre bien, je voulusse lui disputer un legs étranger, qui n’est guère plus du tiers de cette somme ? Je ne doute pas que vous n’approuviez ma décision, vous qui aimez notre patrie en bon citoyen. Je vous supplie donc de vouloir bien, à la première assemblée des décurions, expliquer la disposition du droit, mais en peu de mots et avec simplicité : vous ajouterez ensuite, que je suis prêt à payer les quatre cent mille sesterces que Saturninus a légués. Rendons à sa libéralité tout l’honneur qui lui est dû : ne nous réservons que le mérite de l’obéissance.

Je n’ai pas voulu en écrire directement à l’assemblée. Ma confiance en votre amitié et en vos talens m’a fait penser que vous deviez et que vous pouviez, en cette occasion, parler pour moi comme pour vous-même. J’ai même appréhendé que ma lettre ne parût s’écarter de cette sage mesure qu’il vous sera aisé de garder dans le discours. L’air de la personne, le geste, le ton, fixent et déterminent le sens de ce qu’elle dit ; mais la lettre, privée de tous ces secours, n’a rien qui la défende contre les malignes interprétations. Adieu.


  1. Il est certain que l’on ne peut, etc. De Sacy traduisait : Instituer une ville héritière. Il y a rempublicam dans le latin, et l’on ne peut y substituer celui de ville ; la république, l’état, était incapable de recueillir une succession, tandis que les villes, les communautés et toutes les corporations pouvaient être instituées héritières : il est ici question de Côme, considérée comme état particulier, et non comme ville dépendante. Quant au mot præcipere, il n’indique qu’une manière de léguer : l’auteur prend le mode pour la chose ; au lieu de dire qu’on ne peut faire un legs à l’état, il dit qu’on ne peut disposer per præceptionem. Il y avait chez les Romains quatre manières de faire un legs ; l’action qu’avait le légataire pour se faire payer variait, suivant la formule suivie par le testateur : mais ici tout cela est indifférent, puisqu’on ne veut dire autre chose, sinon que le légataire est incapable de recueillir le legs.