Lettres de Philippe le Bel relatives à la convocation de l’assemblée de 1302

LETTRES DE PHILIPPE LE BEL
RELATIVES À LA CONVOCATION
DE L’ASSEMBLÉE DE 1302.

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La Collection des documents inédits sur l’histoire de France s’est enrichie en 1901 d’un volume consacré aux Documents relatifs aux États généraux et Assemblées réunies sous Philippe le Bel et publié par M. Georges Picot. C’est un vaste recueil renfermant le texte ou l’analyse de 1,070 documents, mais ce nombre ne représente qu’une partie des actes de diverse nature qui furent expédiés à l’occasion de ces grands événements. Nous avons à déplorer beaucoup de pertes. Si nous désirons connaître les formes de la convocation à l’Assemblée de 1302, nous n’avons d’autre source de renseignements que les numéros I, II et III du recueil de M. Picot. En réalité, nous n’avons pas trois documents isolés, mais un seul renfermant la copie des deux premiers[1] et transcrit sur un registre en papier utilisé à Montpellier pour conserver les principaux actes concernant les affaires de la ville et quelques testaments. Ces textes nous apprennent à peu près de quelle façon furent convoqués les communautés de la sénéchaussée de Beaucaire. Par ses lettres du 15 février 1302[2], Philippe le Bel annonçait au sénéchal de Beaucaire qu’il entendait consulter les prélats, les barons et ses autres sujets sur plusieurs affaires importantes touchant à l’état et à la liberté du royaume, des églises et des personnes, quelle que fût leur qualité, ecclésiastiques et nobles aussi bien que séculières ; il lui enjoignait de donner en son nom, aux consuls et communautés de chacune des cités de Nîmes, Uzès, le Puy, Mende, Viviers et des villes de Montpellier et de Beaucaire, l’ordre de choisir, pour les représenter devant le roi à l’Assemblée qui s’ouvrirait le dimanche 8 avril, trois personnes parmi les plus considérables et les plus expérimentés de leurs concitoyens et de les munir de pleins pouvoirs afin qu’ils pussent ouïr et agréer les décisions royales sans s’excuser sur la nécessité d’en référer à leurs commettants. Il serait procédé contre ceux qui n’obéiraient pas à ces ordres du roi[3]. Sans retard, le sénéchal, Jean d’Arrablai, donna l’ordre au gouverneur royal de Montpellier, le 13 mars[4], de convoquer les consuls et les citoyens de Montpellier afin qu’ils procédassent à l’élection des trois députés selon les prescriptions du roi. Le 16 mars, dans la maison du consulat, le lieutenant du gouverneur fit présenter aux consuls et lire en langue vulgaire les lettres du roi et du sénéchal. Les consuls demandèrent copie de ces lettres avant de répondre[5]. Nous ne savons rien de plus. L’idée générale à retenir est que les sept grandes communautés de la sénéchaussée de Beaucaire furent représentées chacune par trois députés choisis parmi les citoyens les plus considérables. Tous les baillis et sénéchaux du royaume reçurent certainement des lettres semblables à celles qui furent expédiées au sénéchal de Beaucaire ; aussi, nous pouvons, faute d’autres sources, nous considérer comme renseignés sur la façon dont fut représenté le tiers état à l’Assemblée de 1302.

Des lettres de Philippe le Bel, adressées le 17 février 1302 au bailli de Senlis, nous apprennent comment fut convoqué le clergé. Signalées dès 1870 par M. Léopold Delisle, dans un inventaire[6], elles paraissent avoir échappé à l’attention des historiens ; aussi, je crois utile de les publier. En voici la teneur, d’après une copie presque contemporaine renfermée dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale provenant du couvent des Carmes de la place Maubert à Paris[7] :


Philippus, Dei gracia, Francorum rex, ballivo Silvanectensi[8], vel ejus locum tenenti, salutem. Super pluribus arduis negociis, nos, statum[9] et libertatem nostros, ac regni nostri, nec non ecclesiarum et ecclesiasticarum, nobilium, secularium personarum et universorum et singulorum incolarum[10] ejusdem regni, non mediocriter tangentibus, cum archiepiscopis, episcopis, abbatibus, decanis, capitulis, prioribus conventualibus et conventibus ejusdem regni, tractare et deliberare volentes, mandamus tibi quatinus per te vel per alium seu alios deputatos a te, universis archiepiscopis et episcopis et capitulis singulorum ecclesiarum tam cathedralium quam collegiatarum insignium, nec non abbatibus, prioribus conventualibus, conventibus tam exemptis quam non exemptis, quorumcumque ordinum tue ballivie et resorti illius mandes et sub debito fidelitatis et alio quocumque vinculo, quo nobis tenentur districte, precipias ex parte nostra, quod dicti archiepiscopi, episcopi, abbates et priores conventuales personaliter, dicta vero capitula per decanos vel per prepositos eorum ac duos vel unum de majoribus et discrecioribus ex ipsis cum eisdem decanis vel prepositis, ac dicti conventus per tres, duos, aut unum ex eis, ydoneos, fideles et discretos, plenam et expressam habentes, inter cetera, potestatem ab eis, audiendi, recipiendi, et faciendi omnia et singula, ac consenciendi, absque excusatione relationis faciende, in omnibus et singulisque per nos fuerint ordinata, postpositis omnibus aliis et omissis, excusatione et occasione quibuscumque cessantibus, hac instanti die dominica ante Ramos palmarum intersint nobiscum Parisius[11], tractaturi, deliberaturi suaque nobis daturi consilia super [hiis], ac audituri, et recepturi et facturi omnia et singula, suumque prebituri[12] assensum in omnibus et singulis que super premissis [et] ea langentibus fuerint ordinata[13] ; intimantes eisdem quod nisi, juxta mandatum hujusmodi, comparuerint coram nobis, procedetur contra illos, prout fuerit rationis. Actum Parisius, die sabbati post octabas Candelose, anno Domini Mo CCCo primo.


Nous voyons d’après ce texte que seuls les plus hauts dignitaires ecclésiastiques, archevêques, évêques, abbés, prieurs conventuels, vinrent en personne à l’Assemblée. Les chapitres furent représentés par leur doyen ou leur prévôt et deux chanoines, les couvents par un, deux ou trois de leurs membres.

Le mode de convocation à l’Assemblée de 1302 a donc un caractère très aristocratique. Les députés, ecclésiastiques ou laïques, sont toujours choisis parmi les majores. Le bas peuple et le clergé inférieur semblent ne pas compter. Quant au rôle laissé à ces représentants, il paraît bien effacé. Les lettres concernant la convocation du tiers état de la sénéchaussée de Beaucaire nous permettent de croire que les députés n’étaient appelés que pour approuver les actes et les décisions du gouvernement royal, ce qu’ils firent en effet.


Maurice Jusselin.


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  1. A. 1302,15 févr., Paris. Lettres de convocation du roi adressées au sénéchal de Beaucaire (Picot, no  I, p. 1-2), vidimées dans :

    B. 1302, 13 mars, Roquemaure. Lettres du sénéchal de Beaucaire au gouverneur royal de Montpellier (Picot, no  I, p. 2-3), transcrites dans :

    C. 1302, 16 mars, [Montpellier], maison du consulat. Transcription de B renfermant A, suivie du procès-verbal de la présentation de A et B faite aux consuls (Picot, no  III, p. 3-4), Bibl. nat., ms. lat. 9192 (anc. 8409), fol. 83 vo. Ces textes ont déjà été publiés par Ménard dans son Histoire… de la ville de Nismes, t. I (Paris, 1750, in-4o), p. 143.

  2. Document A.
  3. Le mandement suivant, adressé au sénéchal de Carcassonne, montre que ces menaces furent mises à exécution ; mais le roi dut souvent faire grâce : « 1302, mardi 28 mai, Pierrefonds. — Philippus, Dei gratia, Francorum rex, senescallo Carcassone, salutem. Quia communitates comitatus Fuxi et totius terre, quam dilectus et fidelis noster comes Fuxi habet in Carcassesio, nuper, cum ceteris regni communitatibus, pro quibusdam regni ejusdem statum contingentibus, coram nobis Parisius evocate, in ipsa convocatione non fuerunt, contumaces reputamus easdem ; ideoque, mandamus vobis quatinus, pro contumacia hujusmodi ex parte dictarum communitatum gagiata emenda, emendam eandem sine nostro speciali mandato non levetis. Actum apud Petramfontem, die martis ante Ascensionem Domini, anno ejusdem millesimo trecentesimo secundo. » Copie de 1666 à la Bibl. nat., ms. Doat 177, fol. 219-219 vo.
  4. Document B.
  5. Document C.
  6. Inventaire des manuscrits latins de Notre-Dame et d’autres fonds conservés à la Bibl. nat. sous les numéros 16710-18613, dans la Bibl. de l’École des chartes, t. XXXI (1870), p. 511 (tirage à part, p. 51).
  7. Bibl. nat., ms. lat. 17534, fol. 102.
  8. Le bailli de Senlis élait Gilles de Laon (Egidius de Lauduno). Le ms. porte Silvanectenci.
  9. Statum nostrum, ms.
  10. Incolatum, ms.
  11. Intersint Parisius, nobiscum tractaturi, 9192, fol. 83 vo ; Picot, no  II, p. 2.
  12. Peribituri, ms.
  13. Per nos fuerint ordinata, 9192, Picot, no  II, p. 2.