Lettres de Mlle de Lespinasse/Lettre CLXXIV

Garnier Frères (p. 368-369).

LETTRE CLXXIV

Dix heures du matin, 1776.

Je ne pouvais lire, ni écrire, ni dicter à huit heures quand j’ai reçu votre billet. J’étais dans une crise de toux et de douleur, qui ne m’ont permis qu’une heure après d’ouvrir votre lettre. Ce matin, mes douleurs sont venues à un tel point, que j’étais menacée d’inflammation. J’ai tout tenté pour obtenir du soulagement ; et, dans cette crise, vous voyez bien qu’il fallait que ma porte fût fermée. L’archevêque d’Aix et deux autres personnes y étaient venus longtemps avant vous. Eh ! bon Dieu ! pourquoi vous exclure ? parce que vous ne m’avez pas vue hier ! Ces mouvements, ces pensées ne viennent que lorsqu’on se croit aimé, et surtout qu’on espère du plaisir ; et dans mon état il n’y en a plus, je ne respire qu’après le soulagement. Je viens de me priver de M. d’Andezi ; il restait avec moi. Je n’en ai pas eu le courage ; il m’a trouvé la fièvre assez forte, et il lui a paru bien simple que je préférasse mon lit à la conversation. Bonsoir donc ; je vais me coucher. Ne venez pas demain matin : ma porte sera fermée jusqu’à quatre heures sans exception. Je ne suis plus maîtresse de mes maux ; ils ont pris possession de moi, et je leur cède. N’allez pas croire que je n’aie point envie de vous voir ; mais je meurs de regret à la manière triste dont vous passez la soirée auprès de moi, tandis que vous êtes entouré chez vous de tous les genres de plaisir. Point de sacrifice, mon ami : les malades repoussent les efforts ; ils leur font si peu.