Lettres de Marie-Antoinette/Tome II/Lettre CCLVI

Lettres de Marie-Antoinette, Texte établi par Maxime de La Rocheterie [1837-1917], Alphonse Picard et FilsTome II (p. 163-164).

CCLVI.

Au comte de Mercy.
[1790, 14 mars.]

Je vous préviens, Monsieur le comte, que le Roi est décidé à prendre le deuil jeudi, que la part soit arrivée ou non[1]. Un plus grand retard ne serait pas convenable, et entraînerait des inconvénients ici. Déjà, comme l’on ne connaît pas l'étiquette de la part, on commence à dire qu’on ne portera pas le deuil. Les marchands murmurent aussi, parce qu'ils craignent que le deuil ne prenne sur la saison du printemps et de l’été. Ainsi, pour éviter tout inconvénient, il vaut mieux dire que la part est arrivée ; et quand vous aurez votre audience, ce ne sera que pour les nouvelles lettres de créance. Dieu sait quand mon frère arrivera à Vienne[2] | Il y a des nouvelles de Mantoue du 4 : il n’y avait pas encore passé. Il me semble qu’il aurait pu se presser un peu plus dans sa marche, et pas tant dans sa déclaration au Brabant, qui est prouvée avoir été faite quelque temps avant la mort de l’Empereur.

Adieu, Monsieur le comte ; j’espère toujours vous voir un jour de cette semaine. C’est toujours un nouveau plaisir pour moi de vous parler de tous les sentiments que je vous ai voués depuis si longtemps et pour la vie.

Ce dimanche 14.

  1. L’empereur Joseph II était mort le 20 février 1790, succombant à une douloureuse maladie et au chagrin que lui avait causé la révolte des Pays-Bas. Une lettre de son frère et successeur, Léopold, l’avait annoncé à la Reine. Quelques jours avant de mourir, raconte la duchesse de Tourzel, Joseph II avait écrit à Marie-Antoinette « la lettre la plus tendre et la plus touchante, lui témoignant qu’un de ses plus vifs regrets, en mourant, était de la laisser dans une position aussi cruelle et de ne pouvoir lui donner des marques efficaces de l’affection qu’il avait toujours conservée pour elle. » Mémoires de la duchesse de Tourzel, I, 81. — Joseph II parle de cette lettre pour sa soeur, dans un billet adressé à Mercy la veille même de sa mort, le 19 février.
  2. Léopold avait été souffrant lui-même. « Une incommodité de quelques jours m’a retenu à Florence et empêché de partir pour Vienne, écrivait-il à sa sœur le 27 février. Je pars demain, et, dès que j’y serai arrivé, j’enverrai une lettre formelle de participation au Roi. » Marie Antoinette, Joseph II und Leopold II, p.121.