Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1793

Imprimerie nationale (p. 459-542).

ANNÉE 1793.


AVERTISSEMENT.

Il n’y a pas lieu ici de refaire l’histoire des Roland en 1793. Cette dernière année de leur vie relève de l’histoire générale pour les grands faits : quant aux circonstances particulières nécessaires à l’explication des Lettres, nos notes suffiront. Mais nous croyons utile, dans cet Avertissement, de combler les lacunes de la Correspondance.


I

LA DÉMISSION DE ROLAND.

Aux premiers jours de 1793, malgré les colères des journaux jacobins, les dénonciations des clubs, les attaques dans l’Assemblée, Roland ne songeait pas à se retirer du ministère. Le 15 janvier, Madame Roland écrivait à Lavater : « La proscription flotte sur nos têtes, mais il faut ramer toujours… » Le 19 janvier, dans un placard adressé aux Parisiens, Roland avait dit : « J’attends qu’on me renvoie ou qu’on m’immole, et je demande qu’on me juge… » (ms. 9532, fol. 334, imprimé[1]), quand soudain, à la séance de la Convention du 23 janvier, le président (Vergniaud) donna lecture d’une longue lettre de lui, datée du 22 et commençant ainsi : « Je viens offrir à la Convention mes comptes, ma personne et lui donner ma démission… »

Comment expliquer ce revirement ? Que s’était-il passé dans ces trois jours d’intervalle ?

La mort du Roi ? Faudrait-il admettre que Roland, secrètement opposé a l’exécution du 21 janvier (Sophie Grandchamp le prétend et divers indices le confirment), mais ne voulant pas déserter son poste pendant la crise du jugement, aurait attendu qu’elle fût terminée pour reprendre sa liberté ? Ce n’est pas impossible, mais rien ne prouve qu’il ait raisonné ainsi.

Peut-on placer à ce moment-là l’explication loyale, mais cruelle, dans laquelle sa femme, renouvelant la scène de la Princesse de Clèves, lui déclara son amour pour Buzot[2] ? Cela rendrait compte de tout, et surtout de la soudaineté de sa démission : le jour où Roland aurait senti lui manquer l’amour qui le soutenait depuis tant d’années, il n’aurait pas eu le courage de continuer la lutte. Mais cette hypothèse, qui nous a tenté un instant, ne vaudrait qu’autant que nous pourrions placer exactement à cette date le cruel aveu, et rien ne nous autorise à le faire.

L’explication la plus vraisemblable nous est fournie par Roland lui-même. Dans une note des plus intéressantes, qui semble être un fragment des Mémoires qu’il avait commencé à rédiger, et qu’il écrivait le 19 février suivant[3], il déclare expressément que s’il eût trouvé, parmi ses amis de la Gironde, « un seul homme » qui eût osé monter à la tribune et demander à la Convention de se prononcer solennellement entre ses accusateurs et lui, il aurait su « faire front aux plus grands orages ».

Cet homme ne se trouva pas, ce qui veut dire que Buzot lui-même ne crut pas opportun de provoquer ce suprême débat : Roland, dans son placard du 19 janvier, demandait des juges, ses amis ne jugèrent pas qu’il y eût lieu de lui en donner. Sa démission du 22 devint ainsi la conséquence logique de son défi du 19[4].

Ce qu’il est d’ailleurs important de constater, c’est que la minute de la lettre de démission, qui se trouve au ms. 6243, fol. 181-191, est écrite tout entière par Madame Roland, avec diverses ratures, surcharges et renvois, dont la plupart sont aussi de sa main, un petit nombre seulement de la main de Roland[5]. Elle s’est donc associée entièrement à la résolution de son mari, et on peut croire quelle en a été l’inspiratrice.


II

DU 28 JANVIER AU 31 MAI.

En quittant le ministère, les Roland se retirèrent dans leur humble logis de la rue de La Harpe.

Continuèrent-ils, comme Marat et les Jacobins ne cessèrent de le prétendre, à inspirer la Gironde ? Nous croyons, au contraire, que les quatre mois qui s’écoulèrent entre le 23 janvier et le 31 mai, jour de leur proscription, furent pour eux une période d’isolement relatif, nous dirions presque d’abandon. On sait d’abord — et d’éminents historiens l’ont dit avec autorité — que personne ne conduisait la Gironde ; c’était à peine un parti, ou, ce qui revient au même, c’était un parti sans chefs écoutés de leurs soldats. D’ailleurs, comment ces chefs auraient-ils reçu la direction du ministre qu’ils venaient d’abandonner en le jugeant trop impopulaire ?

Assurément, les Roland continuèrent à voir leurs amis particuliers. Louvet, Barbaroux, Bancal, etc[6]… et restèrent en relations avec quelques autres, Petion, Brissot, etc… Mais il semble bien que le vide se soit fait peu à peu autour d’eux[7].

Ils se sentaient d’ailleurs menacés et se crurent obligés, à certains moments, de coucher hors de leur domicile.

Une pièce inédite de la collection Morrison, que nous avons communiquée à M. A. Rey et qu’il a citée (Bosc, p. 25), ne permet là-dessus aucun doute. Roland écrit à Bosc : « Nous sommes hors des murs depuis huit ou dix jours ; je vais cependant y rentrer sous peu ; la crainte de la mort deviendrait enfin pire que la mort même[8]… »

Cela ne l’empêchait pas de poursuivre, avec l’obstination d’une idée fixe, non pas sa revanche, mais sa justification. Il demandait sans cesse à la Convention d’examiner et d’apurer ses comptes, d’abord pour confondre ses accusateurs, et aussi pour pouvoir quitter Paris, s’en aller chercher au Clos la solitude et l’oubli. Huit fois il sollicita ce règlement, ou du moins, puisqu’on l’ajournait, l’autorisation provisoire de s’éloigner. Mais ce fut en vain, et le 31 mai arriva sans qu’il eût obtenu satisfaction.

Sans doute, il récriminait à l’occasion contre ses dénonciateurs ou ceux de ses anciens amis qui ne l’avaient pas soutenu ; on peut voir, au ms. 9534, fol. 336-341, une correspondance assez aigre, échangée du 25 au 27 février, entre lui et Garat, son ancien collègue, qui lui avait succédé au ministère de l’Intérieur ; d’autre billets, d’un ton bien amer, adressés par lui à Lanthenas, au milieu de février et vers la fin de mars, se trouvent au ms. 6241, fol. 249-254, et ont été publiés dans la Revue critique du 3 mars 1884. Deux lettres du 4 mars, à Paoli et à un ancien ami, Gamelin, consul à Palerme, se trouvent au ms. 6243, fol. 179 et 180. Mais toutes ces lettres ne font qu’exprimer la même pensée : une confiance obstinée dans le jugement de la postérité. Nulle part on n’aperçoit le désir de rentrer dans la lutte, et il semble bien que l’ancien ministre n’ait jamais eu qu’une pensée, celle qu’il exprimait à la fin du billet inédit à Bosc, dont nous avons parlé plus haut : « quitter Paris aussitôt qu’il le pourrait ».

Il songeait si bien à se réfugier dans la vie privée, qu’il avait repris, à sa sortie du ministère, ses réclamations de décembre 1792 et de février 1792 pour obtenir sa pension de retraite comme ancien inspecteur des manufactures, et que, sur l’intervention de Brissot auprès du Conseil exécutif provisoire, Hist. secrète de la Révolution, éd. Claretie, p. 344). Il avait en même temps, le 10 mai, congédié l’institutrice de sa fille, Mlle  Mignot, sans doute pour réduire ses dépenses (Mém., I, 417).

Le seul incident marquant survenu durant ces quatre mois dans la vie des Roland est la saisie de leurs papiers, ordonnée dans la nuit du 31 mars au 1er avril par le Comité de Défense générale, sous le coup de l’émotion causée par la trahison de Dumouriez[9]. Ces papiers, examinés par le Comité de Sûreté générale, communiqués à Camille Desmoulins, fournirent au redoutable journaliste plus d’un trait pour la cruelle brochure qu’il publia, vers la fin d’avril. sous le titre de Histoire des Brissontins ou fragment de l’Histoire secrète de la Révolution. Le rapport, confié à Brival, ne fut lu à la Convention que le 19 mai. Il prouva — ce qu’on savait de reste — que Roland avait été à toute heure le ministre du parti-brissotins, mais ne put établir la moindre relation entre lui et Dumouriez, depuis que ce dernier avait commencé à conspirer contre la liberté de son pays.

Roland riposta avec intrépidité, le 21 mai, par une brochure de 12 pages : Observations de l’ex-ministre Roland sur le rapport fait contre lui par le député Brival (in-8°, Impr. de P. Delormel, rue du Foin-Saint-Jacques). Discutant à peine les insinuations de Brival, il songe avant tout à justifier, nous dirons même à glorifier son ministère, à invoquer le jugement de la postérité, à affirmer une fois de plus qu’il s’est retiré par patriotisme, pour ne pas diviser plus longtemps le Conseil exécutif et l’Assemblée.

Le rôle du ministre démissionnaire nous apparaît donc fort net en toutes circonstances : abandonné par son parti, brisé par ses chagrins domestiques secrète, il n’aspire qu’à se retirer, à aller vivre dans l’obscurité, mais sans rien renier de ce qu’il a fait ou voulu faire.

Madame Roland s’associait-elle sans réserves à ce dessein de retraite ? Elle le dit en plusieurs endroits des Mémoires, et, pour le contester, il faudrait apporter des preuves ou des commencements de preuves. Quoi qu’on en ait dit, nous ne trouvons aucun indice de son intervention pour faire échouer cette tentative de réconciliation entre Girondins et Montagnards qui aurait été essayée au milieu de mars 1793. Ce qui est certain, c’est qu’au moment où éclata l’insurrection du 31 mai, elle venait de demander des passeports pour se retirer à la campagne avec sa fille, et aussi pour retrouver, en s’éloignant de Buzot, la paix intérieure (Mém., I, 6-7).


III

DU 31 MAI AU 8-11 NOVEMBRE 1793.

Le 31 mai au soir, des commissaires du Comité révolutionnaire de la Commune insurrectionnelle se présentent rue de La Harpe pour arrêter Roland. Il réussit à s’échapper. Mais dans la nuit du 31 mai au 1er juin, d’autres commissaires vont arrêter Madame Roland et la conduisent à l’Abbaye.

Une tradition que tout semble confirmer veut que ce soit le fidèle Bosc qui ait fait sortir Roland de Paris. Ce qui est certain, c’est que le premier asile du fugitif fut le prieuré de Sainte-Radegonde, dans la forêt de Montmorency, petit bien d’église que Bosc avait acheté pour le compte de Bancal, le 14 février 1792 (A. Rey, Bosc, p. 22), et où il recueillit le proscrit. De là, Roland gagna un autre refuge (Amiens ?), puis Rouen, où il dut arriver vers le 18 juin (à la date du 22 Madame Roland savait déjà qu’il y était parvenu, voir lettre 534), chez les vieilles amies de sa jeunesse, les demoiselles Malortie. Il y demeura, bien caché, « bien choyé », continuant à correspondre secrètement avec sa femme prisonnière, s’occupant de la faire évader, écrivant des Mémoires où il déchirait Buzot, puis, sur la prière de sa femme, les jetant au feu, mais toujours plus sombre, plus découragé, jusqu’au jour où, apprenant qu’elle avait été condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire, il sortit de sa retraite pour aller se tuer en pleine campagne, dans la nuit du 10 au 11 novembre 1793[10].

Quant à Madame Roland, écrouée à l’Abbaye le 1er juin, élargié le 24, mais ressaisie deux heures après pour être incarcérée à Sainte-Pélagie, transférée à la Conciergerie le 31 octobre, elle fut jugée et condamnée par le tribunal révolutionnaire dans la matinée du 8 novembre et exécutée dans l’après-midi du même jour.

Nous ne croyons pas qu’il convienne de retracer ici l’histoire de cette captivité. Elle se trouve dans les Mémoires et dans les Lettres que nous publions, et les notes que nous avons jointes à ces lettres suffiront, il nous semble, pour expliquer toutes les particularités essentielles. Cet Avertissement a donc eu surtout pour objet, ainsi que nous l’avons dit, de marquer les circonstances, nécessaires à connaître, dont Lettres et Mémoires ne rendent pas compte suffisamment.

519

À LAVATER, À ZURICH[11].
De Paris, — 15 janvier an second [1793].

N’attribuez pas mon silence, mon cher Lavater, à aucune cause indigne de mon amitié. La situation violente dans laquelle nous sommes ne me laisse pas un moment de liberté. Toujours dans la tempête, toujours sous la hache populaire, nous marchons à la lueur des éclairs, et, sans cette paix de la conscience qui résiste à tout, il y aurait de quoi s’ennuyer de la vie. Mais avec un peu de force dans l’âme, on se familiarise avec les idées les plus difficiles à soutenir, et le courage n’est plus qu’une habitude. Je n’ai pas le temps de vous entretenir, mais j’ai voulu vous assurer que j’avais reçu avec un tendre intérêt les sages et touchantes observations que vous m’aviez adressées ; je les ai remises à des législateurs qui les feront valoir dans l’occasion. Je vous envoie mon portrait[12] et vous réitère l’éternelle affection que je vous ai vouée. Mon brave mari vous embrasse et poursuit sa carrière en homme de bien ; la proscription flotte sur nos têtes, mais il faut ramer toujours, atteindre au but, s’il est possible, et mériter jusqu’à l’ostracisme, s’il doit être la récompense de la vertu.


Roland, née Phlipon.

520

[À LANTHENAS, À PARIS[13].]
20 janvier [1793, – de Paris].

Vous serait-il possible, Monsieur, de passer chez moi un instant ? M. R. [Roland] va publier son compte de finances[14] ; il est quelques articles sur lesquels il serait nécessaire que je vous entretinsse. Je vous en avais écrit il y a plusieurs jours ; puis-je aujourd’hui espérer une réponse ?


521

[À BANCAL, À PARIS[15].]
[Premiers mois de 1793, — de Paris].

J’ai beaucoup réfléchi à votre situation et je crois n’y voir de redoutable que les effets de cette excessive sensibilité qui procure tant de jouissances et de douleurs. Ou je n’entends absolument rien au cœur humain, ou vous devez devenir le mari de Mlle …[16], si vous vous conduisez bien et qu’elle demeure ici trois mois. Constance et générosité peuvent tout sur un cœur honnête et sensible qui n’a point d’engagements.

Votre idée de la respecter trop pour continuer de la voir, si toute espérance vous est ôtée, me paraît plus brillante que délicate et juste, dès qu’on vous permet de venir et qu’on veut vous recevoir. Ne dirait-on pas que vous avez tous les droits ou que vous vous craignez vous-même ? Soyez plus équitable envers vous et ayez plus de constance dans un sentiment pur qui n’a pour objet qu’un lien sacré. M. W. [Marie Williams] vous accorde estime, intérêt, amitié, sympathie ; méritez sa reconnaissance et son attendrissement ; gémissez avec elle du sujet mélancolique de ses regrets[17] ; que votre passion généreuse devienne pour elle le premier, le plus doux des consolateurs. Aimez-la assez pour désirer véritablement d’adoucir sa tristesse ; songez qu’elle ne peut encore parfaitement vous connaître et vous apprécier. Mettez-le dans le cas de juger que l’ardeur de vos souhaits ne tient pas uniquement à l’idée de votre propre bonheur en obtenant sa main, mais à l’espoir, à la conscience d’opérer le sien. Commencez donc à prouver que vous en êtes capable ; ayez assez d’empire sur vous pour être son meilleur ami, il sera impossible que son cœur tendre ne vous choisisse enfin pour le premier objet de ses affections. L’excès du sentiment, son délire, ses emportements peuvent frapper, séduire, entraîner l’imagination et les sens ; mais une véritable passion tire d’elle-même la puissance de se contraindre et de se dévouer pleinement à son objet, et sa délicatesse, sa persévérance sont les seuls, mais les sûrs moyens de s’attacher pour jamais la femme respectable dont on veut faire la compagne de sa vie.

Je ne vous ai pas vu hier ; je vous pardonne de m’oublier si vous êtes heureux, mais je vous en voudrais à la mort d’avoir dévoré seul un chagrin que l’amitié aurait pu partager.

Je serai chez moi toute l’après-dîner et le soir.


Mardi matin.

522

[À BANCAL, À PARIS[18].]
[Premiers mois de 1793. — de Paris.]

Je songe si peu à tout ce qui vous est étranger lorsque vous m’entretenez de vos intérêts les plus chers que j’ai déjà oublié cinq à six fois de vous faire la question que voici : auriez-vous des doubles des numéros de la Société d’agriculture, ou plutôt de quelques-uns des mémoires de celle de Londres que vous eûtes la complaisance de nous donner à votre retour d’Angleterre[19] ?

Il y en avait deux où se trouvaient des observations de M. Young, relatives à des objets dont nous vous avions parlé ; nous les emportâmes, dans le temps, là où notre destination nous appelait ; nous aurions besoin aujourd’hui de faire des recherches dans ce genre, et je vous prierais de me prêter ce que vous pourriez avoir à disposition de propre à nous les faciliter.

Je voudrais savoir aussi quels sont les papiers anglais particulièrement consacrés aux arts, au commerce et à l’agriculture, et comment on peut se les procurer.

Je ne mêlerai point à ces questions d’affaires des réflexions sur un sujet autrement touchant, mais je ne cesserai de vous rappeler à cette disposition calme et sage dans laquelle on médite avec fruit sur les moyens de s’assurer le bonheur, et où l’on nourrit sans excès tous les sentiments qui peuvent le mériter et l’obtenir ; il vous est assuré si les vœux de l’amitié peuvent être de quelque poids dans la balance des destinées.


Jeudi matin.

523

[À BANCAL, À PARIS[20].]
[Premiers mois de 1793, — de Paris.]

Je me suis affligée de vos chagrins, j’ai besoin d’apprendre ce qui vous concerne, ne laissez point écouler la journée sans m’en instruire. Rappelez vos forces et votre courage, songez qu’une véritable passion ne connaît point d’obstacles, dès que la vertu n’est pas contre elle. Votre constance doit toucher une personne estimable et finira par vous mériter sa main. Si vous croyez que je puisse vous être utile dans la maison W. [Williams], j’irai, et je m’y conduirai comme vous le jugerez meilleur, c’est-à-dire en paraissant ignorer ou non l’objet et la nature de vos affections.

Adieu, mon ami. L’amitié et la philosophie sont les deux consolateurs du monde ; je puis vous promettre l’une, aidez-vous de l’autre, mais sans abandonner un espoir qui doit se fonder sur votre propre persévérance.


524

[À BOSC, À PARIS[21].]
[1er juin 1793, — de l’Abbaye,]

Aujourd’hui sur le trône, et demain dans les fers. C’est ainsi que l’honnêteté est traitée en révolution, mon pauvre ami !

Vous ne sauriez croire combien je songe à vous depuis ce matin. Je suis persuadée que vous êtes l’un de ceux qui s’occupent davantage de mes vicissitudes.

Me voici en bonne maison pourtant qu’il plaira à Dieu. Là, comme ailleurs, je serai assez bien avec moi-même pour ne guère souffrir des changements. Il n’y a pas de puissance humaine capable d’enlever à une âme saine et forte l’espèce d’harmonie qui la tient au-dessus de tout.

Je vous embrasse cordialement ; à la vie et à la mort, estime et amitié.


Roland, née Ph.

525

LA CITOYENNE ROLAND À LA CONVENTION NATIONALE.
De la prison de l’Abbaye, le 1er juin 1793[22].
Législateurs,

[Je viens d’être arrachée de mon domicile, des bras de ma fille âgée de douze ans, et je suis détenue à l’Abbaye en vertu d’ordres qui ne portent aucun motif de mon arrestation[23]. Ils émanent d’un Comité révolutionnaire, et des commissaires de la commune qui accompagnaient ceux du Comité m’en ont exhibé du Conseil général, qui n’en contiennent également aucun.] Ainsi, je suis présumée coupable aux yeux du public ; j’ai été traduite dans les prisons avec éclat, au milieu d’une force armée imposante, d’un peuple abusé, dont quelques individus m’en voyaient hautement à l’échafaud, sans que l’on ait pu indiquer à personne ni m’annoncer à moi-même d’après quoi j’étais présumée telle et traitée en conséquence. Ce n’est pas tout : le porteur des ordres de la commune[24] ne s’en est prévalu qu’auprès de moi, et pour me faire signer son procès-verbal ; en quittant mon appartement, j’ai été remise aux commissaires du Comité révolutionnaire ; ce sont ceux qui m’ont amenée à l’Abbaye ; ce n’est que sur leur mandat que j’y suis entrée. Je joins ici copie certifiée de ce mandat, signé d’un seul individu sans caractère. Les scellés ont été apposés partout chez moi ; durant leur apposition, qui a duré de trois à sept heures du matin, la foule des citoyens remplissait mon appartement, et s’il s’était trouvé dans leur nombre quelque malveillant avec le dessein de placer furtivement de coupables indices dans une bibliothèque ouverte de toutes parts, il en aurait eu la facilité.

Déjà, hier, le même Comité avait voulu faire mettre en arrestation l’ex-ministre que les lois ne rendent comptable qu’à vous des faits de son administration, et qui ne cesse d’en solliciter de vous le jugement.

Roland avait protesté contre l’ordre, et ceux qui l’avaient apporté s’étaient retirés[25] ; il est sorti lui-même de sa maison pour éviter un crime à l’erreur, dans le temps où je m’étais rendue à la Convention pour l’instruire de ces tentatives ; mais je fis inutilement remettre à son président une lettre qui n’a pas été lue. J’allais réclamer justice et protection ; je viens les réclamer encore avec de nouveaux droits, puisque je suis opprimée. Je demande que la Convention se fasse rendre compte des motifs et du mode de mon arrestation ; je demande qu’elle statue sur elle, et, si elle la confirme, j’invoque la loi qui ordonne l’énoncé du délit de même que l’interrogatoire dans les premières vingt-quatre heures de la détention[26]. Je demande enfin le rapport sur les comptes[27] de l’homme irréprochable qui offre l’exemple d’une persécution inouïe, et qu’on semble destiner à donner la leçon, terrible pour les nations, de la vertu proscrite par l’aveugle prévention.

Si mon crime est d’avoir partagé la sévérité de ses principes, l’énergie de son courage et son ardent amour pour la liberté, je me confesse coupable, j’attends mon châtiment. Prononcez, législateurs. La France, la liberté, le sort de la République et le vôtre tiennent nécessairement aujourd’hui à la répartition de cette justice dont vous êtes les dispensateurs.


526

AU MINISTRE DE L’INTÉRIEUR[28].
2 juin 1793, — [de l’Abbaye].

Le ministère dont vous êtes chargé, citoyen, vous donne la surveillance pour l’exécution des lois et la dénonciation de leur violation par les autorités qui les méconnaissent. Je crois que votre justice s’honorera de faire passer à la Convention les réclamations que j’ai besoin de faire entendre contre l’oppression dont je suis la victime.

527

À LA SECTION DE BEAUREPAIRE[29].
4 juin 1793, — [de l’Abbaye].

Citoyens,

J’apprends par les papiers publics que vous aviez mis sous la sauvegarde de votre section Roland et son épouse[30] ; je l’ignorais lorsque j’ai été enlevée de chez moi, et le porteur des ordres de la commune m’a présenté au contraire la force armée dont il était accompagné comme celle de la section qu’il avait requise ; c’est ainsi qu’il l’a exprimé dans son procès-verbal. Du moment où j’ai été fermée à l’Abbaye, j’ai écrit à la Convention et je me suis adressée au ministre de l’Intérieur pour qu’il lui fît passer mes réclamations. Je sais qu’il a obtempéré à ma demande et que ma lettre a été remise ; mais elle n’a point été lue. J’ai l’honneur de vous en adresser une copie certifiée. Si la section croit digne d’elle de servir d’interprète à l’innocence opprimée, elle pourrait députer à la barre de la Convention pour y faire entendre mes justes plaintes et ma demande[31]. Je soumets cette question à sa sagesse ; je n’y joins aucune prière ; la vérité n’a qu’un langage, c’est l’exposé des faits ; les citoyens qui veulent justices n’aiment pas qu’on leur adresse des supplications, et l’innocence n’en sait point faire.

P. S. Voici le quatrième jour de ma détention, et je n’ai pas été interrogée[32]. J’observe que l’ordre d’arrestation ne portait aucun motif, mais qu’il exprimait que je serais interrogée le lendemain.


528

À DUPERRET,
député des bouches-du-rhône [à paris[33]].
6 juin [1793], — de l’Abbaye.

Je vous adresse, brave citoyen[34], la copie d’une lettre que j’ai écrite à la Convention, qui lui a été adressée officiellement par le ministre de l’Intérieur, et que rien encore n’a pu y faire lire. Si votre courage y peut quelque chose, je la lui recommande ; si vous connaissiez quelques moyens de la faire publier, veuillez les employer.

Je ne suis toujours point interrogée, j’ignore jusqu’à quand je dois être retenue dans ces lieux qui furent le théâtre de scènes d’horreur.

Certes, avec l’innocence et la vérité, j’y suis plus libre et moins à plaindre que les bourreaux dominateurs, et ma fermeté ne s’étonne de rien ; j’ai un enfant, une famille éplorée, je ne dois rien négliger pour leur être rendue. Quoi que vous fassiez, recevez les assurances de mon estime.


529

AU MINISTRE DE LA JUSTICE[35].
8 juin 1793, — de la prison de l’Abbaye.

Je suis opprimée, j’ai donc sujet de vous rappeler mes droits et vos devoirs[36].

Un ordre arbitraire, sans motifs d’arrestation, m’a plongée dans ces lieux préparés pour les coupables ; je les habite depuis huit jours sans avoir été interrogé.

Les décrets vous sont connus ; l’un vous charge de visiter les prisons[37], d’en faire sortir ceux qui s’y trouvent détenus sans cause ; dernièrement encore, il en a été rendu un autre qui vous prescrit de vous faire représenter les mandats d’arrêt, d’examiner s’ils sont motivés et de faire interroger les détenus.

Je vous fais passer copie certifiée de celui en vertu duquel j’ai été enlevée de mon domicile et amenée ici.

Je réclame l’exécution de la loi pour moi et pour vous-même. Innocente et courageuse, l’injustice m’atteint sans me flétrir, et je puis la subir avec fierté dans un temps où l’on proscrit la vertu. Quant à vous, placé entre la loi et le déshonneur, votre volonté ne peut être douteuse, et il faudrait vous plaindre si vous n’aviez pas le courage d’agir en conséquence[38].


530

AU MINISTRE DE L’INTÉRIEUR[39].
8 juin 1793, — [de l’Abbaye].

Je sais que vous avez fait l’envoi de mes réclamations au Corps législatif[40] ; ma lettre n’a pas été lue ; vos devoirs sont-ils remplis pour l’avoir adressée à ma prière ? J’ai été arrêtée sans déduction de motif, je suis détenue depuis huit jours ; je n’ai pas été interrogée. C’est à vous, homme public, lorsque vous n’avez pu préserver l’innocence de l’oppression, à vous efforcer de l’en délivrer.

Vous êtes plus intéressé que moi peut-être au soin que je vous invite à prendre ; je ne suis pas la seule victime de la prévention ou de l’envie, et leurs poursuites actuelles contre tout ce qui présente la réunion du caractère au talent, à la vertu, rend honorable la persécution dont je suis l’objet ; je la dois à mes liens avec l’homme vénérable que la postérité vengera. Mais vous, maintenant au gouvernail, vous n’échapperiez point au reproche de l’abandonner aux flots, si vous ne saviez le diriger d’une main ferme, et à la honte d’y être demeuré sans pouvoir le maintenir.

Les factions passent, la justice seule demeure ; et de tous les défauts de l’homme en place, la faiblesse est celui qu’on lui pardonne le moins, parce qu’elle est la source des plus grands désordres, surtout dans les temps d’orage.

Je n’ai pas besoin de rien ajouter à ces réflexions si elles vous parviennent à temps pour vous et pour moi-même, ni d’en presser l’application à ce qui me concerne, car rien ne peut suppléer la volonté et le courage.


531

AU DÉPUTÉ DULAURE,
auteur du thérmomètre du jour[41].
Le 9 juin an second de la République [1793], — de la prison de l’Abbaye.

Si quelque chose pouvait étonner encore l’innocence lorsqu’elle se trouve déjà sous le joug de l’oppression, je vous dirais, citoyen, que je viens de lire avec la plus grande surprise les absurdités consignées dans votre numéro du jour, sous le titre d’Interrogatoire de Philippe d’Orléans, que le hasard m’a fait tomber entre les mains. Il serait fort étrange, si l’expérience n’avait prouvé que c’est seulement bien audacieux, que les personnes qui, les premières, ont craint, dénoncé, poursuivi une faction d’Orléans, soient présentées comme l’ayant formée elles-mêmes.

Le temps éclairera sans doute ces mystères d’iniquité ; mais en attendant sa justice, qui peut être lente au milieu d’une si effroyable corruption, la vôtre me parait obligée à publier, en même temps que les questions d’un interrogatoire, propres à semer des soupçons, les réponses qui doivent y avoir été faites, et pouvoir servir à les faire apprécier[42].

Cette justice est d’autant plus rigoureuse que la calomnie et la persécution s’attachent aux pas des personnes nommées dans ces questions ; qu’elles sont, pour la plupart, dans les liens d’un décret arraché par l’audace et la prévention à la faiblesse et à l’erreur. Je suis moi-même détenue depuis huit jours, en vertu d’un mandat qui ne porte aucun motif d’arrestation[43] ; je n’ai pas été interrogée ; je n’ai pu faire entendre mes plaintes à la Convention ; et lorsqu’on est parvenu à lui annoncer qu’elles avaient été soustraites, on la fait passer à l’ordre du jour, sous prétexte que cela ne la regardait point[44]. Quoi donc ! des autorités nouvelles agissent arbitrairement, les autorités constituées se taisent devant elles, et les injustices qu’elles commettent ne doivent pas être représentées à la Convention ! Ce n’est point au Corps législatif qu’il faut adresser ses réclamations, lorsqu’il ne reste plus que lui à qui les faire ! Et l’on s’intéresse aux détenus par ordre du tribunal de Marseille[45], et moi, détenue ici par un Comité révolutionnaire, je n’ai plus de droits ! — Et la Commune fait répéter dans les journaux que les prisons de Paris ne renferment que des assassins, des voleurs et des contre-révolutionnaires ! — Citoyen ! je vous ai connu, je vous crois honnête : combien vous gémirez, un jour !… Je vous fais passer quelques minutes dont je vous prie de prendre lecture ; je vous invite à donner place dans votre journal à la lettre que je n’ai pu faire lire à la Convention[46] ; vous me devez cette justice, toutes les circonstances le démontrent assez, et si vous pouviez ne le pas sentir, il me serait inutile d’insister.


Roland, née Phlipon.

P. S. Ni Roland ni moi n’avons jamais vu Philippe d’Orléans ; je dois ajouter que j’ai toujours entendu les députés nommés dans l’interrogatoire (cité au Thermomètre de ce jour) professer pour ce personnage un mépris semblable à celui qu’il m’inspire, et qu’enfin, si nous nous sommes entretenus à son sujet, ç’a été en raisonnant sur les craintes qu’il pouvait inspirer aux amis de la liberté et la nécessité de le faire bannir par cette raison[47].


532

[À MADAME GRANDCHAMP, À PARIS[48].]
[Premiers jours de juin 1793, — de l’Abbaye.]

Si je vous appréciais moins, il m’en coûterait beaucoup de vous voir en ce moment. Je crois donc vous donner une preuve non équivoque de mes sentiments en acceptant vos offres, et vous choisissant pour un dépôt qui demande une confiance sans bornes.

533

[À GARAT, À PARIS[49].]
20 juin [1793], à 8 heures du matin, — prison de l’Abbaye.

Quels cris répétés se font entendre ?… Ce sont ceux d’un colporteur qui annonce la grande colère du père Duchesne contre cette b… de Roland qui est à l’Abbaye ; la grande conspiration découverte des Rolandistes, Buzotins, Petionistes, Girondins, avec les rebelles de la Vendée, les agents de l’Angleterre. Il faut trouver le vieux Roland pour lui faire subir la peine de ses crimes ; il faut se mettre après sa femme pour lui tirer les verres (sic) du nez sur son c.c. de mari. Là, déluge de sales épithètes, répétitions affectées que je suis à l’Abbaye, provocation à me maltraiter. C’est sous ma fenêtre que le crieur répète ses invitations au peuple du marché.

Ainsi, l’on insulte à l’innocence après l’avoir opprimée ; on excite à l’immoler ; c’est effectivement tout ce qu’il reste à faire. Et l’auteur de ces infâmes écrits fut soutenu, protégé, défendu par Garat, lorsque de pareils excès contre la Convention l’avaient fait arrêter par l’ordre d’une commission des représentants du peuple[50].

Garat ! je te rapporte cette insulte ; c’est à ta lâcheté que je la dois ; et s’il arrive pis encore, c’est sur ta tête que j’en appelle la vengeance des cieux.

Le brigand qui persécute, l’homme exalté qui injurie, le peuple trompé qui assassine, suivent leur instinct et font leur métier ; mais l’homme en place qui les tolère, sous quelque prétexte que ce soit, est à jamais déshonoré.

Fais maintenant de beaux écrits, explique en philosophe les causes des événements, les passions, les erreurs qui les ont accompagnés, la postérité dira toujours : Il fortifia le parti qui avilit la représentation nationale, il invita la Convention à plier devant une poignée d’anarchiste ; il prêta secours et appui à une commune usurpatrice, qui méconnut l’autorité législative et proscrivit la vertu.

Va ! je sais ce que précèdent ordinairement ces provocations outrageantes. Que m’importe ! depuis longtemps je suis prête. Dans tous les cas, reçois cet adieu, que j’envoie comme le vautour ronger ton cœur.


534

[À BUZOT, À CAEN[51].]
22 juin [1793]. — de l’Abbaye.

Combien je les relis[52] ! Je les presse sur mon cœur, je les couvre de mes baisers ; je n’espérais plus d’en recevoir !… J’ai fait inutilement chercher des nouvelles de Mad. Ch.[53] ; j’avais écrit une fois à M. Le Tellier, à E.[54], pour que tu eusses de moi un signe de vie ; mais la poste est violée ; je ne voulus rien t’adresser, persuadée que ton nom ferait intercepter la lettre et que je t’aurais compromis. Je suis venue ici, fière et tranquille, formant des vœux et gardant encore quelque espoir pour les défenseurs de la Liberté. Lorsque j’ai appris le décret d’arrestation contre les Vingt-deux, je me suis écriée : Mon pays est perdu ! — J’ai été dans les plus cruelles angoisses jusqu’à ce que j’aie été assurée de ton évasion[55] ; elles ont été renouvelées par le décret d’accusation qui te concerne[56] ; ils devaient bien cette atrocité à ton courage ! Mais dès que je t’ai su au Calvados, j’ai repris ma tranquillité. Continue, mon ami, tes généreux efforts ; Brutus désespéra trop tôt du salut de Rome aux champs de Philippes. Tant qu’un républicain respire, qu’il a sa liberté, qu’il garde son énergie, il doit, il peut être utile. Le Midi t’offre, dans tous les cas, un refuge ; il sera l’asile des gens de bien. C’est là, si les dangers s’accumulent autour de toi, qu’il faut tourner tes regards et porter tes pas ; c’est là que tu devras vivre, car tu pourras y servir tes semblables, y exercer des vertus.

Quant à moi, je saurai attendre paisiblement le retour du règne de la justice ou subir les derniers excès de la tyrannie, de manière à ce que mon exemple ne soit pas non plus inutile. Si j’ai craint quelque chose, c’est que tu fisses pour moi d’imprudentes tentatives. Mon ami ! c’est en sauvant ton pays que tu peux faire mon salut, et je ne voudrais pas de celui-ci aux dépens de l’autre ; mais j’expirerais satisfaite en te sachant servir efficacement la patrie. Mort, tourments, douleur, ne sont rien pour moi, je puis tout défier. Va, je vivrai jusqu’à ma dernière heure sans perdre un seul instant dans le trouble d’indignes agitations.

Au reste, quelle que soit leur fureur, ils ont encore une sorte de honte ; mon mandat d’arrêt n’est point motivé ; ils m’ont mise au secret verbalement, mais ils n’ont osé écrire les ordres rigoureux qu’ils ont donnés de bouche. Je dois à l’humanité de mes gardiens des facilités que je cache pour ne pas les compromettre ; mais les bons procédés lient plus étroitement que des chaînes de fer, et je pourrais me sauver que je ne le voudrais point, pour ne pas perdre l’honnête concierge[57] qui emploie tous ses soins à adoucir ma captivité. Beaucoup de personnes sont dans l’erreur à mon sujet et me croient à la Conciergerie. Le fait est que, le lendemain de mon arrivée ici, il est sorti de ce lieu pour être transférée à l’autre une femme de mon nom ; j’habite la chambre et le lit qu’elle occupait avant moi ; je l’ai entrevue à son départ. Mon bon Plutarque, dont j’amuse mes loisirs, ne manquerait pas de trouver là des présages. C’était Angélique Desilles, femme de Roland de La Fauchaie, sœur de celui qui mourut glorieusement à Nancy, et qui a péri avant-hier sur l’échafaud, à vingt-quatre ans, avec un grand courage ; son défenseur officieux est hors de lui-même et jure de l’innocence de cette victime, dont la figure douce et heureuse annonçait une belle âme[58]. J’ai employé mes premières journées à écrire quelques notes qui feront plaisir un jour ; je les ai mises en bonnes mains et je te le ferai savoir, afin que, dans tous les cas, elles ne te demeurent point étrangères. J’ai mon Thompson (il m’est cher à plus d’un titre), Shaftsbury, un dictionnaire anglais, Tacite et Plutarque[59] ; je mène ici la vie que je menais dans mon cabinet chez moi, à l’Hôtel et ailleurs ; il n’y a pas grande différence. J’y aurais fait venir un instrument si je n’eusse craint le scandale ; j’habite une pièce d’environ dix pieds en carré ; là, derrière les grilles et les verrous, je jouis de l’indépendance de la pensée, j’appelle les objets qui me sont chers, et je suis plus paisible avec ma conscience que mes oppresseurs ne le sont avec leur domination. Croirais-tu que l’hypocrite Pache m’a fait dire qu’il était fort touché de ma situation : « Allez lui dire que je ne reçois point cet insultant compliment, j’aime mieux être sa victime que l’objet de ses politesses ; elles me déshonoreraient. » Ce fut ma réponse. Tu verras ci-joint comme j’ai écrit à Garat[60] ; ce n’était pas la première, mais c’est bien mon ultimatum. Il n’y a rien à attendre de ces gens-là ; il faut les mettre à leur place pour les y montrer à la postérité ; c’est tout ce que je prétends faire. Si je n’avais point écrit à la Convention le 1er juin, je n’aurais pas pris cette mesure plus tard ; j’ai empêché que R[oland] lui adressât rien depuis le 2 juin[61]. Elle n’est plus Convention pour quiconque a des principes et du caractère ; je ne connais point d’autorité à Paris maintenant que je voulusse solliciter ; j’aimerais mieux pourrir dans mes liens que de m’abaisser ainsi. Les tyrans peuvent m’opprimer, mais m’avilir ? jamais, jamais ! Les scellés sont chez moi sur tous mes effets, linges et hardes, portes et fenêtres ; il n’y a qu’un petit coin de réservé pour mes gens ; la pauvre bonne[62] dépérit à vue d’œil ; elle me saigne le cœur, je la fais pourtant rire quelquefois ; mes honnêtes gardiens la laissent entrer de temps en temps. Ils me font aussi, l’après-dîner, passer dans leur chambre qu’ils n’habitent point alors et où j’ai plus d’air que dans la mienne.

Ma fille a été recueillie par une mère de famille respectable qui s’est empressée de la mettre au nombre de ses enfants, la femme de l’honnête Creuzé-Latouche[63].

Le malheureux R[oland] a été vingt jours en deux asiles[64], chez des amis tremblants, caché à tous les yeux, plus captif que je ne suis moi-même : j’ai craint pour sa tête et sa santé. Il est maintenant dans ton voisinage[65]. Que cela n’est-il vrai au moral ! Je n’ose te dire, et tu es le seul au monde qui puisse l’apprécier, que je n’ai pas été très fâchée d’être arrêtée.

Ils en seront moins furieux, moins ardents contre R[oland], me disais-je ; s’ils tentent quelque procès, je saurai le soutenir d’une manière qui sera utile à sa gloire. Il me semblait que je m’acquittais ainsi envers lui d’une indemnité due à ses chagrins ; mais ne vois-tu pas aussi qu’en me trouvant seule, c’est avec toi que je demeure ? — Ainsi, par la captivité, je me sacrifie à mon époux, je me conserve à mon ami, et je dois à mes bourreaux de concilier le devoir et l’amour : ne me plains pas !

Les autres admirent mon courage, mais ils ne connaissent pas mes jouissances ; toi, qui dois les sentir, conserve-leur tout leur charme par la constance de ton courage.

Cette aimable mad. Goussard[66] ! comme j’ai été surprise de voir son doux visage, de me sentir pressée dans ses bras, mouillée de ses pleurs, de lui voir tirer de son sein deux lettres de toi ! — Mais je n’ai jamais pu les lire en sa présence, et j’avais l’ingratitude de trouver sa visite longue ; elle a voulu emporter un mot de ma main ; je ne trouvais pas plus facile de t’écrire sous ses yeux, et je lui en voulais presque de son empressement officieux.

Mon ami, ta lettre du 15[67] m’a offert ces mâles accents auxquels je reconnais une âme fière et libre, occupée de grands desseins, supérieure à la destinée, capable des résolutions les plus généreuses, des efforts les plus soutenus ; j’ai retrouvé mon ami, j’ai renouvelé tous les sentiments qui me lient à lui. Celle du 17…, elle est bien triste ! Quelles sombres pensées la terminent ! Eh ! il s’agit bien de savoir si une femme vivra ou non après toi ! Il est question de conserver ton existence et de la rendre utile à notre patrie ; le reste viendra après !

Je reçois ici les visites d’un homme qui a été placé par R[oland] pour aller dans les prisons s’informer de ce qui s’y passe, épier les abus, recevoir les réclamations et porter le tout au ministre de l’Intérieur[68].

R[oland] créa cette place, je lui présentai le sujet pour la remplir ; c’est un ancien avocat, aux malheurs duquel on m’avait intéressée, et dont le cœur honnête, exercé par la souffrance, est infiniment propre à ces fonctions touchantes. Je ne songeais plus à lui. Il est impossible de se représenter l’attendrissement avec lequel il est accouru ; sa vue m’a été bien agréable. Comme sa place lui donne des droits et une sorte d’ascendant, il en a usé auprès du concierge, et c’est, avec l’honnêteté de celui-ci, ce qui contrebalance l’effet des ordres tyranniques de la commune à mon égard. J’ai donné son nom à Mad. G. [Goussard] pour qu’un de tes amis dont elle m’a parlé en eût l’ordre au concierge de le laisser entrer. Mad. G. [Goussard] m’a dit aussi que Barbaroux m’avait écrit ; je n’ai rien reçu ; il paraît que la pauvre dame Roland de la Conciergerie aura ces lettres, à moins qu’elles n’aient été interceptées et portées au Tribunal révolutionnaire, par qui cette jeune et malheureuse femme a été jugée. Comme les coquins en appuieraient leurs criailleries sur vos prétendues intelligences avec la Vendée ! Infamies qu’ils font répéter chaque jour au peuple de cette triste cité.

J’adresse à Gorsas[69] quelques imprimés qui me concernent ; je ne veux pas que tu lises le Duchesne, il te ferait pester, et ç’aurait été pis si tu eusses entendu les colporteurs qui ajoutaient merveilleusement au texte.

La section[70] est bonne ; elle n’a pas voulu aller avec les autres, le 2 juin ; les citoyens ont dit qu’ils voulaient garder leurs propriétés et la prison ; il y avait dix mille âmes sous les armes autour de l’Abbaye. Le commandant de la force armée est un Jeanson[71], qu’on dit fort honnête homme et que je sais s’être fait soigneusement informer s’il était vrai que ce fût moi qui eût été transférée.

Puissent ces détails porter quelque baume dans ton cœur !

Va ! nous ne pouvons cesser d’être réciproquement dignes des sentiments que nous nous sommes inspirés ; on n’est point malheureux avec cela. Adieu, mon ami ; mon bien-aimé, adieu !


535

[À LAUZE DE PERRET, À PARIS[72].]
24 juin 1793, — de l’Abbaye.

Brave citoyen, je vous fais passer mon véritable interrogatoire[73], dont la publicité est la seule réponse qu’il me convienne de faire aux mensonges de Duchesne et de ses pareils.

Si toute communication n’est point encore interdite avec nos amis détenus, dites-leur que l’injustice qu’ils éprouvent est la seule qui m’occupe. Quoi ! ce, peuple aveuglé laissera donc périr ses meilleurs défenseurs ! Ce pauvre Bot[74], décrété d’accusation, est-il vrai qu’il soit arrivé ? Mais que sert de faire des questions ? Vous ne pouvez me répondre, et vous ferez bien de brûler ce billet d’une main prétendue suspecte. Je vous honore et vous salue.


Roland, née Phlipon.

536

[À LAUZE DE PERRET, À PARIS[75].]
24 juin [1793, — du logis de la re de La Harpe].

On paraît me faire sortir de l’Abbaye ; je crois revenir chez moi ; avant d’y entrer, on m’arrête pour me conduire à Sainte-Pélagie. Qui sait si, de là, je ne serai pas conduite ailleurs ?

Ne m’oubliez pas.


Madame Roland avait à peine écrit la lettre précédente (n° 535) que, vers midi, un des administrateurs de la commune se présentait pour la mettre en liberté[76]. Mais, au moment même où elle franchissait le seuil de sa maison, rue de La Harpe, elle était arrêtée de nouveau. Elle réussit cependant, avant qu’on la conduisît à Sainte-Pélagie, à passer quelques instants chez les Cauchois, propriétaires de la maison, et en profita pour réclamer l’intervention de la section Beaurepaire et écrire à de Perret ce nouveau billet (voir Mémoire, I, 107).

La comédie jouée ce jour-là s’explique aisément : nous avons vu que les ordres d’arrestation du 31 mai, émanant l’un du Comité révolutionnaire, l’autre de la commune insurrectionnelle, étaient irréguliers à divers titres. Le Comité de Sûreté générale prescrivit donc l’élargissement, mais en dressant un nouveau mandat d’arrestation en règle et en le faisant exécuter aussitôt.

Lauze de Perret répondit à ces deux billets du 24 juin par une lettre (Champagneux, III, 431 ; Faugère, I, 400 ; Arch. nat., W 294, dossier 227, cote 10) qui est, d’après sa teneur, des derniers jours de juin, et que voici :

Vertueuse citoyenne.

Depuis l’instant de votre arrestation ; je n’ai cessé de m’intriguer pour tâcher de trouver le moyen de vous faire parvenir les consolations que tous vos amis voudraient vous offrir ; mais les tigres qui vous persécutent ont mis tant d’obstacles, qu’il ne nous a été permis que de gémir avec vous des rigueurs de votre sort. J’ai gardé plusieurs jours trois lettres que Bar[baroux] et Bu[zot] m’avaient adressées pour vous, sans qu’il m’ait été possible de vous les faire parvenir ; et ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’au moment où je pourrais le faire, en profitant de la voie que vous me fournissez, la chose est devenue impossible, attendu qu’elles se trouvent entre les mains de Petion à qui j’avais cru devoir les remettre, le croyant mieux à même que tout autre de vous les faire passer, et qui est parti sans avoir pu y réussir. J’en aviserai dès aujourd’hui ces citoyens en leur apprenant à qui j’écris par une voie sûre, et les préviendrai des moyens que j’ai maintenant de pouvoir mieux remplir leur commission. En attendant que vous en receviez des nouvelles directes, je ne dois pas vous laisser ignorer toute leur sollicitude pour vous. Je ne reçois aucune lettre de leur part, sans que vous n’y soyez pour quelque chose ; ils semblent plus occupés, je vous assure, des rigueurs que vous éprouvez que de toutes celles qu’ils éprouvent eux-mêmes. Quant à moi, vertueuse citoyenne, mon âme se déchire quand je me représente toutes les épreuves par lesquelles vos lâches persécuteurs vous font passer, d’autant plus qu’avec toute la bonne volonté possible, il n’est aucun moyen à pouvoir prendre, quant à présent, contre cette affreuse tyrannie. Mais rassurez-vous, leur règne va bientôt finir, la nation entière va se lever pour écraser cette horde de scélérats et va vous dédommager généreusement de tous les maux que vous souffrez pour elle. Je vois déjà les couronnes civiques qui s’apprêtent pour vous et votre respectable époux ; et rempli de cette agréable idée, m’en reposant sur votre constance sur des maux passagers qui ne sauraient abattre votre âme courageuse, je me plais à vous croire mille fois plus heureuse dans votre honorable prison que ne le sont sur leur siège de sang et de crimes les tyrans qui vous y détiennent. Les trois quarts au moins des départements se sont déjà prononcés de la manière la plus forte de toutes parts pour renverser le trône de l’anarchie ; les plus grandes mesures se prennent entre eux pour opérer cette heureuse révolution qui, j’espère, va être la dernière de toutes. Vingt-deux de nos collègues proscrits, et dans ce moment peut-être plus, sont réunis à Caen, et ils travaillent nuit et jour pour éclairer l’opinion publique et faire réussir un vaste plan. J’en reçois fréquemment des nouvelles qui sont de jour à autre toujours plus satisfaisantes. Malgré les efforts des conspirateurs, qui jouent dans ce moment de leur reste pour tâcher d’esquiver le coup, j’aurai soin, quand l’occasion s’en présentera, de vous informer des nouvelles intéressantes qui viendront à ma connaissance. Je dois cependant vous prévenir, afin de calmer votre juste impatience, que les mouvements des départements ne seront pas aussi prompts que nous le désirerions tous. Les maux de la patrie sont si grands et si compliqués, qu’il faut nécessairement user de toute la sagesse et de la prudence possibles dans les remèdes à y apporter, puisque la moindre imprévoyance risquerait de tout perdre. D’après les données que je puis avoir, je ne compte guère qu’on frappe les grands coups que sur la fin du mois que nous allons commencer. En attendant, je sens bien que nos ennemis peuvent encore nous faire bien du mal ; mais il est impossible de pouvoir l’éviter. En attendant, armons-nous de patience et bravons les dangers : les âmes républicaines sont à l’épreuve de tout. Il est inutile que je vous offre mes petits services dans tout ce qui pourra humainement dépendre de moi ; mon dévouement pour vous et tout ce qui vous appartient est sans bornes, et rien au monde ne me sera si flatteur que de pouvoir trouver l’occasion de vous être agréable en quelque chose ; c’est dans ces sentiments que je vous prie de me croire très respectueusement votre dévoué serviteur.


L. Dep. [Lauze-Deperret].

Cependant Garat, sur les instances de Champagneux, et malgré la sanglante lettre du 20 juin, s’était décidé à intervenir auprès du Comité de Sûreté générale, qui avait pris, par son ordre du 24 juin, l’arrestation à son compte. Voici ce que Champagneux (Discours prélim., lii-liv) dit à ce sujet :

« Elle adressa plusieurs lettres à Garat, ministre de l’Intérieur, pour faire prononcer par les autorités compétentes sur ses plaintes. Garat, qui voyait grossir les préventions et l’orage contre les Roland, voulut d’abord temporiser, ce qui lui attira la terrible lettre dont la Ce Roland parle dans ses Mémoires et dont elle regrette d’avoir perdu la copie. Je l’ai, moi, cette copie ; et cependant je ne la publierai pas ; je le dois à Garat, qui avait fait une réponse très dure à cette lettre et qui, à ma prière, non seulement ne l’envoya pas à son adresse, mais écrivit au Comité de Sûreté générale et lui présenta avec assez d’énergie les réclamations de la Ce Roland.

« Cette lettre de Garat au Comité reçut une réponse, du 1er juillet 1793, signée par Chabot et Ingrand, deux des membres ; elle est dégoûtante d’absurdité et d’injures, la voici :

Le Comité de Sûreté générale, citoyen ministre, a motivé l’arrestation de la Ce Roland sur l’évasion de son mari, qui dans ce moment souffle le feu de la guerre civile dans le département de Rhône-et-Loire[77], et sur la complicité de cette prétendue Lucrèce avec son prétendu vertueux mari dans le projet de pervertir l’esprit public par un bureau de formation dudit esprit[78]. Comme le procès tient à celui de la grande conspiration, la Ce Roland voudra bien attendre le rapport général qui doit en être fait après que nous aurons sauvé nos finances par un grand plan, et que nous aurons jeté l’ancre de la Constitution par l’éducation nationale et la simplification du code.[79]

« Je communiquai cette lettre à la Ce Roland, qui, bien convaincue qu’elle n’avait plus rien à espérer d’hommes atroces et prévenus, jugea seulement à propos de consacrer leur injustice dans sa lettre à la section de Beaurepaire[80]. »


537

AU CITOYEN DUPERRET [À PARIS[81]].
[Fin juin ou commencement de juillet 1793, — de Sainte-Pélagie.]

Je vous dois mille remerciements, brave citoyen, des sentiments que vous me témoignez, et surtout des excellentes choses dont vous me faites part. Mes amis et ma patrie sauvés, que m’importe le reste ! Dès que les premiers sont en sûreté, et que la majorité des départements, jugeant l’état des choses, se dispose à l’améliorer, je n’ai plus d’inquiétude ni de regrets. Je suis fière d’être persécutée dans un moment où l’on proscrit les talents et l’honnêteté. Assurément, je suis plus tranquille dans les fers que ne le sont mes oppresseurs dans l’exercice de leur injuste puissance. J’avoue que le raffinement de cruauté avec lequel ils ont ordonné ma mise en liberté pour me faire arrêter de nouveau l’instant d’après m’a enflammée d’indignation ; je n’ai plus vu jusqu’où pourrait se porter leur tyrannie ; je me suis hâtée de faire prévenir tous ceux qui prennent à moi quelque intérêt, non que je crusse qu’il y eût rien à faire, ni que mon courage s’étonnât de rien, mais afin que les attentats fussent connus, et que mon sort ne restât pas ignoré.

Je sais que le ministre de l’Intérieur a signé une lettre qu’on lui a fait écrire pour l’administration de police, laquelle a répondu qu’elle n’avait agi que par ordre du Comité de Sûreté générale de la Convention. C’est une manière de s’entendre et de s’étayer pour se dispenser de toute faveur et pour éloigner les réclamations. Je n’ai pas envie d’en adresser à personne, car je ne veux pas m’avilir. J’attendrai ma liberté du retour du règne de la justice et, digne de la bonne fortune, je ne m’abattrai point dans la mauvaise.

Les nouvelles de mes amis sont le seul bien qui me touche ; vous avez contribué à me le faire goûter. Dites-leur que la connaissance de leur courage et de tout ce qu’ils sont capables de faire pour la liberté me tient lieu et me console de tout ; dites-leur que mon estime, mon attachement et mes vœux les suivent partout. L’affiche de B…[82] m’a fait grand plaisir. Adieu, brave citoyen, votre droiture et votre intrépidité vous assurent des sentiments que je vous porte et vous conserve.


538

[A BUZOT, À CAEN[83].]
3 juillet [1793, — de Sainte-Pélagie].

Quelle douceur inconnue aux tyrans que le vulgaire croit heureux dans l’exercice de leur puissance ! Et s’il est vrai qu’une suprême intelligence répartisse les biens et les maux entre les hommes suivant les lois d’une rigoureuse compensation, puis-je me plaindre de mon infortune, lorsque de telles délices me sont réservées ? — Je reçois ta lettre du 27 ; j’entends encore ta voix courageuse, je suis témoin de tes résolutions, j’éprouve les sentiments qui t’animent, je m’honore de t’aimer et d’être chérie de toi. — Mon ami, ne nous égarons pas jusqu’à frapper le sein de notre mère en disant du mal de cette vertu qu’on achète, il est vrai, par de cruels sacrifices, mais qui les paye à son tour par des dédommagements d’un si grand prix. Dis-moi, connais-tu de moments plus doux que ceux passés dans l’innocence et le charme d’une affection que la nature avoue et que règle la délicatesse, qui fait hommage au devoir des privations qu’il lui impose, et se nourrit de la force même de les supporter ? Connais-tu de plus grand avantage que celui d’être supérieur à l’adversité, à la mort, et de trouver dans son cœur de quoi goûter et embellir la vie jusqu’à son dernier souffle ? — As-tu jamais mieux éprouvé ces effets que de l’attachement qui nous lie, malgré les contradictions de la société et les horreurs de l’oppression ? Je te l’ai dit, je lui dois de me plaire dans ma captivité. — Fière d’être persécutée dans ces temps ou l’on proscrit le caractère et la probité, je l’eusse, même sans toi, supportée avec dignité ; mais tu me la rends douce et chère. Les méchants croient m’accabler en me donnant des fers… Les insensés ! que m’importe d’habiter ici ou là ? Ne vais-je pas partout avec mon cœur, et me resserrer dans une prison, n’est-ce pas me livrer à lui sans partage ? Ma compagnie, c’est ce que j’aime ; mes soins, d’y penser. Mes devoirs, dès que je suis seule, se bornent à des vœux pour tout ce qui est juste et honnête, et ce que j’aime occupe encore le premier rang dans cet ordre. Va, je sens trop bien ce qui m’est imposé dans le cours ordinaire des choses pour me plaindre de la violence qui l’a détourné. Si je dois mourir… en bien ! je connais de la vie ce qu’elle a de meilleur, et sa durée ne m’obligerait peut-être qu’à de nouveaux sacrifices. L’instant où je me suis le plus glorifiée d’exister, où j’ai senti plus vivement cette exaltation d’âme qui brave tous les dangers et s’applaudit de les courir, est celui où je suis entrée dans la Bastille que mes bourreaux l’avaient choisie. Je ne dirai pas que j’ai été au devant d’eux, mais il est très vrai que je ne les ai pas fuis. Je n’ai pas voulu calculer si leur fureur s’étendrait jusqu’à moi ; j’ai cru que, si elle s’y portait, elle me donnerait occasion de servir X…[84], par mes témoignages, ma constance et ma fermeté. Je trouvais délicieux de réunir le moyen de lui être utile à une manière d’être qui me laissait plus à toi. J’aimerais à lui sacrifier ma vie pour acquérir le droit de donner à toi seul mon dernier soupir. Excepté les agitations terribles que m’ont causées les décrets contre les proscrits, je n’ai jamais joui d’un plus grand calme que dans cette étrange situation, et je l’ai goûté sans mélange lorsque je les ai sus presque tous en sûreté, lorsque je t’ai vu travaillant en liberté à conserver celle de ton pays.

Je suis étonnée que les deux amis[85] ne t’aient porté que mon premier billet ; tu aurais dû recevoir par eux deux longues lettres. La seconde se sentait de l’indignation dont m’avaient pénétrée ma seconde arrestation et l’affreux entourage que je me trouve avoir dans cette autre maison. Je n’échappe point encore à l’impression que produisent les propos dégoûtants des femmes perdues qui logent sous le même toit, les rumeurs qu’excitent parfois les tentatives des assassins pour égorger leurs gardiens[86]. Je n’écris plus ici comme je faisais dans mon premier logis, je me sens très surveillée, et je ne veux pas exposer mes pensées à tomber dans des mains indignes. Je suis capable de dire à mes bourreaux tout ce qu’on peut leur adresser de terrible, mais ils ne sont pas faits pour entendre tout ce que je pourrais exprimer. J’ai repris le dessin. Je fais de l’anglais, je lis les anciens, je médite beaucoup et je sens davantage.

Le pauvre X. [Roland] est dans un triste état. Ma seconde arrestation l’a rempli de terreur ; il m’a envoyé de trente lieues une personne qu’il a chargée de tout tenter[87]. J’ai fait sentir l’imprudence et les dangers de pareilles entreprises ; d’ailleurs, je ne veux pas m’y prêter ; ce serait gâter ses affaires en pure perte, s’exposer davantage et se couvrir d’un vernis de crainte en compromettant encore de dignes gens ; car, dans toutes mes prisons, je trouve des gardiens honteux de m’y voir, qui cherchent à me faire oublier ce que leur office a d’odieux. Il n’est pas jusqu’aux derniers porte-clefs, dont quelques-uns ont pourtant une figure scélérate, qui n’aient l’air humble à ma vue, comme étonnés de celle de l’honnêteté. Et puis… mais qu’ai-je besoin de le dire ? N’ayant pas craint d’être ici, je ne dois pas trouver pénible d’y rester.

Je n’ai su l’arrivée du malheureux B [rissot] qu’après mon départ du même lieu[88], et j’imagine que le dessein de m’ôter de son voisinage a contribué à l’atroce manœuvre par laquelle j’ai été reprise au même moment que relâchée. Il est très vrai que c’est de l’invention de Ch.[89] et autres du Comité de Sûreté générale. On peut en juger par sa réponse au ministre, qui avait pressé pour que, du moins, je fusse interrogée. C’est une pièce curieuse par l’absurdité du fond et l’indécence du style. Tu en auras copie[90].

L’acharnement contre B[rissot] est extrême. Le tribunal révolutionnaire travaille maintenant l’affaire d’Orléans[91] et s’apprête à s’occuper de lui après. Sa situation me tourmente ; il est affreux de voir l’un des plus ardents défenseurs de la liberté exposé au sort de Sidney.

Puisse cette lettre te parvenir bientôt, te porter un nouveau témoignage de mes sentiments inaltérables, te communiquer la tranquillité que je goûte, et joindre à tout ce que tu peux éprouver et faire de généreux et d’utile le charme inexprimable des affections que les tyrans ne connurent jamais, des affections qui servent à la fois d’épreuves et de récompenses à la vertu, des affections qui donnent du prix à la vie et rendent supérieur à tous les maux !

Mille choses à nos amis, et surtout au sensible L. [Louvet].


539

LA CITOYENNE ROLAND À LA SECTION DE BEAUREPAIRE[92].
4 juillet 1793, — [de Sainte-Pélagie].

L’intérêt que la section m’a témoigné, en qualité d’habitante de son arrondissement et d’opprimée, me fait une loi de l’instruire de ce qui me concerne dans l’affaire dont elle s’est mêlée[93].

L’administration de la police, à laquelle le ministre avait écrit à mon sujet, ayant répondu qu’elle n’avait agi que d’après les ordres du Comité de Sûreté générale de la Convention, le ministre s’est adressé à ce comité pour réclamer la loi qui exige que les détenus soient informés du délit dont ils sont prévenus et interrogés dans le plus court délai. Le Comité a fait une réponse dont je joins ici la copie, elle expose ses motifs et ses griefs contre moi ; c’est elle-même que j’offrirais aux personnes impartiales pour ma justification, si elle était nécessaire. Il ne sera pas difficile de reconnaître que cette réponse est absurde quant au fond des choses ; je laisse à juger si elle est décente quant à la forme. Elle établit mon arrestation sur l’absence de mon mari, comme s’il était des lois qui permissent jamais de prendre une personne pour une autre ; elle l’établit encore sur ma complicité du prétendu projet de pervertir l’opinion publique, comme si la responsabilité d’un ministre s’étendait sur son épouse ; elle porte, dans tous ses points, sur de fausses accusations contre un autre individu que celui pour lequel il était fait des réclamations.

Roland n’est point à Lyon, et je défie ceux qui le calomnient de justifier leur dire imposteur ; il pourra le prouver quand il en sera temps. Il ne souffle nulle part le feu de la guerre civile. Roland a sollicité, durant cinq mois, l’apurement de ses comptes, le jugement de sa conduite publique et privée ; toutes les pièces nécessaires étaient entre les mains de l’Assemblée. Cette justice lui a été obstinément refusée : on voulait donc le retenir pour l’arrêter dans un moment prévu ? Il a donc dû se soustraire à cette inique arrestation, et il ne l’a fait qu’à la dernière extrémité. Roland, loin de corrompre l’esprit public, n’a cessé d’obéir au décret qui lui ordonnait de concourir à l’éclairer par des écrits tous connus et avoués ; que l’on cite un seul de ses écrits qui ne contienne pas les principes de la plus pure morale et de la plus saine politique !

Roland a exigé des comptes de ceux à qui il devait en demander, parce qu’il en rendait lui-même de très rigoureux ; Roland s’est élevé contre tous les actes de violence qui offensaient les lois et blessaient l’humanité, parce qu’il a cru qu’après le renversement de la tyrannie rien n’était plus pressant que de faire chérir la liberté par un régime équitable et d’appuyer la République sur des vertus. Dès lors, Roland parut redoutable aux brigands qui profitent des révolutions pour s’enrichir, aux ambitieux qui les perpétuent pour augmenter leur puissance, et aux hommes turbulents, égarés, qui n’ont d’activité que pour détruire et qui sont toujours prêts de croire à la perfidie des sages qui veulent édifier.

Voilà les crimes de Roland. Les miens sont de m’honorer des principes qu’il professe et d’avoir un courage égal au sien. Je n’ai point été effrayée des dangers que son caractère et son inflexible probité lui faisaient courir, de même que je n’avais pas été séduite par l’espèce d’éclat qui environne une place difficile, de même que je ne suis point abattue dans les fers où l’on m’a jetée.

Femme d’un ministre honoré, ou prisonnière à Sainte-Pélagie, ici comme là, je vaux, j’existe par les sentiments dont mon cœur est animé. Aujourd’hui comme alors, indignée contre l’injustice, mais également ferme et paisible, dans la bonne ou la mauvaise fortune, digne de la première, et supérieure à la seconde, je ne mets de prix à la vie que pour pratiquer ce qui est juste, et rendre hommage à la vérité.

Mes concitoyens voudront bien accueillir cette profession de foi que je n’eusse jamais songé à rendre publique, si un abus d’autorité ne m’inculpait d’une manière publique. Ceux qui me connaissent y retrouveront l’expression abrégée de ce que je suis en effet ; j’en appelle à leur témoignage pour venger ma personne ou ma mémoire des atteintes de la calomnie.


540

[À BUZOT, À CAEN[94].]
6 juillet [1793, — de Sainte-Pélagie].

Je l’ai vu hier pour la seconde fois cet excellent V.[95]. Il m’a remis les tiennes du 30 et du 1er. Je ne les avais point ouvertes en sa présence. On ne lit point son ami devant un tiers, tel qu’il soit et connût-il ce dont il est porteur. Mais son attachement pour toi, son dévouement à la bonne cause, sa douceur et son honnêteté me l’ont fait entretenir assez longtemps avec plaisir, quoique j’eusse ton paquet dans ma poche, et c’est assurément beaucoup dire. Calme-toi, mon bon ami : ma nouvelle captivité n’a pas tellement aggravé ma situation qu’il faille rien risquer pour la changer. La manière dont elle s’est opérée, l’entourage que je me suis trouvé dans cette seconde prison, ont excité chez moi, dans les premiers instants, une indignation violente ; mais elle est tellement partagée par le public, que mes oppresseurs ont plus à perdre et que j’ai plus à gagner d’en laisser subsister le sujet que de le détruire. Ils triompheraient momentanément de ma fuite ; ce serait à moi de craindre et à eux de se vanter. Il ne faut pas faire cet échange.

Ma délivrance est infaillible par l’amélioration des choses ; il n’est question que d’attendre. Cette attente ne m’est point pénible, et, en vérité, à l’exception de quelques moments bien chers, le temps le plus doux pour moi, depuis six mois, est celui de cette retraite. Je ne te représenterai point les difficultés et les dangers d’une tentative dans le local actuel, eu égard à ses dispositions et au nombre des surveillants. Rien ne m’arrêterait si j’avais à les braver seule pour aller te joindre ; mais exposer nos amis et sortir des fers dont la persécution des méchants m’honore pour en reprendre d’autres que personne ne voit et qui ne peuvent me manquer, cela ne presse nullement. Je sens toute la générosité de tes soins, la pureté de tes vœux, et plus je les apprécie, plus j’aime ma captivité présente. Il est à R[ouen], bien près de toi, comme tu vois, chez de vieilles amies et parfaitement ignoré, bien doucement, bien choyé#1, tel qu’il faut qu’il soit pour que je n’aie point à m’inquiéter, mais dans un état moral si triste, si accablant, que je ne puis sortir d’ici que pour me rendre à ses côtés. J’ai repoussé les projets, du genre des tiens, qu’il avait formés à mon sujet, et pour lesquels est encore à Paris une personne qu’il a envoyée#2. Politiquement parlant, ce serait détestable, comme il serait fou à ceux des députés qui restent ici de s’échapper maintenant. Ma personne n’est pas de la même importance que la leur, puisque je ne représente que moi ; mais mon oppression en est encore plus odieuse, parce qu’elle semble plus gratuite. La durée de ma [96][97] captivité est une attestation journalière de la plus révoltante tyrannie ; il faut toute leur bêtise pour laisser cet aliment à la haine publique, et nous serions bien malhabiles de l’ôter. La présence des derniers dangers pourrait seule nous justifier. Ces dangers n’existent pas ; s’ils naissaient inopinément, il se trouverait beaucoup d’honnêtes gens pour les détourner. Me traîneraient-ils au tribunal révolutionnaire ? J’ai calculé cela même, et je ne le crains pas. Ce serait une nouvelle école de leur part ; je la ferais tourner au profit de la chose publique, et bien difficilement ils en feraient résulter ma ruine. Aussi n’ont-ils pas dessein d’entamer de sitôt le procès de la grande conspiration des Trente-deux[98], dans laquelle ils veulent m’impliquer comme complice du projet de pervertir l’opinion publique. On ne sait duquel on doit plus s’étonner, de leur profonde malice ou de leur absurdité. L’impudent capucin[99] a annoncé que le comité de S. p. [Salut public] ne ferait son rapport à ce sujet qu’après l’éducation nationale, les finances[100] et la simplification du Code.

J’apprends que des officiers municipaux ont couru hier les sections pour lever et faire marcher contre ce qu’ils appellent des brigands. Ce matin, on a battu la caisse dès 5 heures pour le même objet.

Je me suis fait apporter, il y a quatre jours, this dear picture[101], que, par une sorte de superstition, je ne voulais pas mettre dans une prison ; mais pourquoi donc se refuser cette douce image, faible et précieux dédommagement de la présence de l’objet ? Elle est sur mon cœur, cachée à tous les yeux, sentie à tous les moments et souvent baignée de mes larmes. Va, je suis pénétrée de ton courage, honorée de ton attachement et glorieuse de tout ce que l’un et l’autre peuvent inspirer à ton âme fière et sensible. Je ne puis croire que le Ciel ne réserve que des épreuves à des sentiments si purs et si dignes de sa faveur. Cette sorte de confiance me fait soutenir la vie ou envisager la mort avec calme. Jouissons avec reconnaissance des biens qui nous sont donnés. Quiconque sait aimer comme nous porte avec soi le principe des plus grandes et des meilleures actions, les prix des sacrifices les plus pénibles, le dédommagement de tous les maux. Adieu, mon bien-aimé, adieu !


541

[À BUZOT, À CAEN[102].]
7 juillet [1793, — de Sainte-Pélagie].

Tu ne saurais te représenter, mon ami, le charme d’une prison où l’on ne doit compte qu’à son propre cœur de l’emploi de tous les moments ! Nulle distraction fâcheuse, nul sacrifice pénible, nul soin fastidieux ; point de ces devoirs d’autant plus rigoureux qu’ils sont respectables pour un cœur honnête ; point de ces contradictions des lois ou des préjugés de la société avec les plus douces inspirations de la nature ; aucun regard jaloux n’épie l’expression de ce qu’on éprouve ou l’occupation que l’on choisit ; personne ne souffre de votre mélancolie ou de votre inaction, personne n’attend de vous des efforts ou n’exige des sentiments qui ne soient pas en votre pouvoir. Rendu à soi-même, à la vérité, sans avoir d’obstacles à vaincre, de combats à soutenir, on peut, sans blesser les droits ou les affections de qui que ce soit, abandonner son âme à sa propre rectitude, retrouver son indépendance morale au sein d’une apparente captivité, et l’exercer avec une plénitude que les rapports sociaux altèrent presque toujours. Il ne m’était pas même permis de chercher cette indépendance et de me décharger ainsi du bonheur d’un autre qu’il m’était si difficile de faire ; les événements m’ont procuré ce que n’eusse pu obtenir sans une sorte de crime. Comme je chéris les fers où il m’est libre de t’aimer sans partage et de m’occuper de toi sans cesse ! Ici, toute autre obligation est suspendue ; je ne me dois plus qu’à qui m’aime et mérite si bien d’être chéri. Poursuis généreusement ta carrière, sers ton pays, sauve la liberté, chacune de tes actions est une jouissance pour moi, et ta conduite est mon triomphe. Je ne veux point pénétrer les desseins du ciel, je ne me permettrai pas de former de coupables vœux ; mais je le remercie d’avoir substitué mes chaînes présentes à celles que je portais auparavant, et ce changement me paraît un commencement de faveur. S’il ne doit pas m’accorder davantage, qu’il me conserve cette situation jusqu’à mon entière délivrance d’un monde livré à l’injustice et au malheur.

Je suis, interrompue dans l’instant ; ma fidèle bonne m’apporte ta lettre du 3 ; tu es inquiet de mon silence. Mais tu ne sais donc pas, mon ami, que je n’ai vu le bon ange[103] qu’une seule fois ; qu’elle a dû partir et qu’elle a définitivement quitté cette ville, peu après ; j’ai fait connaissance avec sa sœur qui me sert d’intermédiaire pour la correspondance ; les dispositions n’ont pu être faites si rapidement, au milieu de ma translation, qu’il ne se soit écoulé quelques jours sans que j’aie pu t’écrire. Je n’ose conserver avec moi aucune espèce de papier, je puis craindre un examen imprévu d’un moment à l’autre, et mes gardiens ont conçu je ne sais quelles inquiétudes qui me font un peu plus resserrer depuis quelques jours. Mais en te donnant ces détails pour satisfaire ton impatience et ton inquiétude, je suis pressée de m’élever contre ta résolution de te mettre sous les armes. Mon ami, je sais ce que le courage dicte ou préfère, et à Dieu ne plaise que j’arrête jamais ces nobles élans ! Mais il s’agit ici de ce que le bien public requiert et non pas seulement de ce que l’homme brave se plaît à embrasser. Il y a trop peu de têtes propres au conseil, nécessaires à diriger les mouvements, pour qu’il faille les exposer dans l’action. Représentants du peuple dont on a méconnu les droits, outragé l’inviolabilité, vous avez été dans vos départements faire entendre de justes réclamations ; ils se lèvent pour rétablir leurs droits, ce n’est pas à vous de marcher à la tête de leurs bataillons ; vous auriez l’air de vous y mettre pour satisfaire des vengeances personnelles. Déjà Lacroix[104] a répandu ici que tu viendrais avec les bataillons, et je ne doute pas que la crainte qu’inspire aux lâches ton intrépidité ne leur fasse prendre toutes les voies pour n’avoir plus à la redouter. Tu peux leur être plus funeste où tu es encore et avec tes soins persévérants que par les actes d’un guerrier. Je ne te dirai pas que l’idée de dangers nouveaux, prochains et multipliés, contriste mon cœur et fait évanouir pour moi toute espérance ; si tu devais les courir, je serais la première à te féliciter de les braver, car enfin je sais aussi comme on échappe au malheur, ou comme on vient à bout de le surmonter et d’y mettre un terme. Je n’ai qu’un mot à dire ; si tous tes collègues, après une mûre délibération, croient devoir prendre ce parti-là, tu n’auras point de raison d’en choisir un autre ; mais j’estime que tu ne dois pas leur en donner l’exemple et qu’il est plus conforme aux principes de rester au poste où vous êtes. Je ne veux point en exprimer davantage ; j’ai hâte de faire partir cette lettre ; il y a toujours tant de longueur avant que chacune parvienne à sa destination !

Adieu, mon ami, mon bien-aimé ; non, ce n’est point là un dernier adieu, nous ne sommes point séparés à jamais, ou la destinée abrégeait beaucoup le fil de mes jours. Ah ! prends garde à ne pas tout perdre par une ardeur inconsidérée !


Le 7, au soir.

Douce occupation, communication touchante du cœur et de la pensée, abandon charmant, libre expression des sentiments inaltérables et de l’idée fugitive, remplissez mes heures solitaires ! Vous embellissez le plus triste séjour, vous faites régner au fond des cachots un bonheur après lequel soupire quelquefois l’habitant des palais.

L’asile ordinaire du crime est devenu l’abri de l’innocence et de l’amour ; purifié par leur présence, il n’offre plus dans l’étroite enceinte qui les renferme que l’image de la paix, les instruments de l’étude, les souvenirs affectueux d’une âme aimante, d’une conscience pure, la résignation du courage et l’espoir de la vertu. Ô toi ! si cher et si digne de l’être, tempère l’impatience qui te fait frémir en songeant aux fers dont on m’a chargée ; ne vois-tu pas les biens que je leur dois ? Tu veux que, plus tranquille sur tes propres dangers, j’approuve la préférence que tu leur donnes sur la vie moins exposée de législateur ; ah ! sans doute, il convient mieux à l’énergie de ton caractère, à ta bouillante ardeur pour le renversement de la tyrannie et le salut de notre patrie déchirée, de travailler généreusement à combattre l’une et servir l’autre par les moyens réunis de la force et de la sagesse, que de lutter péniblement contre le crime dans une Assemblée incapable de la (sic) confondre ; juge donc avec la même impartialité des avantages d’une situation qui me laisse entièrement à moi sur celle où des obligations saintes et terribles contraignaient mes facultés et déchiraient mon faible cœur. Je suis où l’a voulu la destinée ; on dirait qu’attendrie sur mes maux, touchée des combats qu’elle-même m’avait imposés, elle a préparé les événements qui devaient me procurer quelque relâche et me faire goûter le repos ; elle s’est servie de la main des méchants pour me conduire dans un port ; elle les emploie à faire du bien malgré eux, et à dévoiler toute leur noirceur de manière à inspirer cette haine avant-coureur de leur chute ; elle offre à mon courage l’occasion d’être utile à la gloire de celui avec qui elle m’avait liée ; elle cède à ma tendresse la liberté de se développer en silence et de s’épancher dans ton sein. Ô mon ami, bénissons la Providence ; elle ne nous a pas rejetés, elle fera plus un jour peut-être ; vengeons-nous toujours à mériter ses bienfaits de la lenteur qu’elle paraît mettre a les accorder.

J’ai oublié de te dire que Duperrey[105], à qui j’avais eu l’idée d’écrire sans savoir qu’il eût en rien pour moi, m’a mandé qu’il avait longtemps gardé deux lettres qui m’étaient destinées, cherchant inutilement comment me les faire parvenir, qu’enfin il les avait remises à P[etion], mais que celui-ci était parti le lendemain et qu’il les avait probablement emportées. — Je croirais plutôt qu’il les aurait égarées ou perdues, c’est mieux dans sa trempe un peu froide et négligente. Au reste, tu es à même de t’en informer aujourd’hui, et c’est pour cela que je te mets au courant[106].

Sans doute que tu as vu maintenant la Mère d’Adèle, notre bon ange. C’est ainsi qu’elle veut être désignée dans ces écrits, et tu sauras le nom qu’elle a imaginé de me donner avec sa sœur. Je n’ai vu celle-ci non plus qu’une fois. Le lieu que j’habite est à une grande distance des quartiers fréquentés, et il faut être fort réservé dans les démarches pour se conserver des moyens de communiquer, car les tyrans épient tout et s’opposent à tout.

J’ai beaucoup applaudi dans le principe à la résolution des départements de n’agir que tous ensemble. Je ne sais maintenant si ces délais, qui donnent à l’ennemi tant de facilités pour se mettre en mesure, ne deviendront pas funestes à la bonne cause. On fait venir en poste un bataillon de Metz ; l’argent et l’intrigue ne sont pas épargnés, et leur effet est redoutable dans une masse aussi corrompue. Il est vrai que la majorité des Parisiens ouvrira les bras aux frères des départements : elle les attend comme des libérateurs ; mais, jusque-là, elle laisse faire, et, s’ils n’étaient les plus forts, elle tournerait aussi contre eux, car la lâcheté la caractérise. Cette lâcheté abandonne le terrain aux oppresseurs, qui ont pour eux, en ce moment, des apparences de légalité avec lesquelles on enchaîne les sots. Il est possible que cinq à six mille hommes, arrivés dans la première quinzaine, eussent changé l’air du bureau ; mais puisqu’on a tant fait que d’attendre, ce n’est plus le cas de se détacher ; il faut que ce soit la masse qui s’ébranle. La grande affaire est de s’assurer des postes, de maintenir une grande discipline, d’entretenir le bon esprit par des écrits marqués au coin de la vérité, de la vigueur et de la simplicité, de bien veiller aux subsistances, aux moyens de soutenir les frais, et d’ordonner sagement les dépenses. Voilà les parties que devraient surveiller les députés et auxquelles leurs soins ou leurs avis doivent être donnés. Il y a presque toujours assez de gens pour agir, et trop peu qui soient capables de diriger.

V[allée] m’a bien parlé de fonds, s’ils m’étaient nécessaires ; mais, outre que mes besoins sont extrêmement bornés, j’ai eu recours, dès le commencement, à mon propriétaire, et je l’ai fait parce qu’il est nécessairement nanti, pour tous les cas, des moyens d’être remboursé[107].

Le malheur a voulu que les fonds que nous avions placés nous aient tous été remboursés en avril et mai. Embarrassé de leur rentrée, X. [Roland] a cherché et fait une acquisition[108]. Elle n’est pas toute payée, et j’ai sous les scellés, indépendamment de tous mes effets, peut-être huit ou dix mille livres que je n’ai pu retirer, parce que je n’avais pas la clef du bureau ou elles sont renfermées. Ces scellés ont été apposés par les brigands, comme si c’était autant d’objets confisqués, et ils se sont approprié, par avance, quelques-uns de ceux qui étaient à leur dévotion, comme chapeaux, cannes, gants, etc.

Il me semble qu’indépendamment de l’intérêt général celui même de chaque département exige la conservation de l’unité ; car c’est sous le faux prétexte qu’ils veulent la rompre, que des communes de ceux-mêmes qui se sont le mieux prononcés se portent en sens contraire. On courrait donc le risque de cruelles divisions intestines si l’on se jetait dans cet extrême.

Toute cette semaine vient de se passer au bruit des cloches et du canon, que font retentir quelques mains payées. Les sections, peu nombreuses dans leurs assemblées et dominées comme à l’ordinaire, n’offrent point le vœu libre de la masse des Parisiens, mais l’expression forcée, arrachée par l’activité turbulente de quelques individus à d’autres faibles et contraints.

Je fais ici la vérification de l’axiome tant répété, que rien ne supplée l’œil du maître, et j’aurais de bonnes observations à faire sur le régime des prisons à un ministre qui voudrait s’occuper de cette partie intéressante. J’ai eu la fantaisie de me réduire au régime particulier qu’établit l’État pour les détenus ; j’y trouvais le plaisir d’exercer l’empire qu’on aime à avoir sur soi-même dans la diminution de ses besoins, et le moyen de faire du bien à ceux qui sont plus malheureux que moi. Mais les forces physiques n’égalent plus les autres chez moi, il m’a fallu abandonner mon entreprise[109]. Le défaut d’exercice n’admet point un grand changement dans la qualité des aliments, parce qu’il ne permet d’en prendre qu’une moindre quantité. J’ai ici un meilleur air qu’à l’Abbaye, et je passe, quand je veux, dans l’agréable appartement du concierge[110]. C’est même là que je suis obligée d’aller recevoir le petit nombre de ceux qui peuvent me visiter ; mais il faut traverser pour cela une grande partie de la maison sous l’œil des guichetiers et celui des vilaines femmes qui errent dans mon quartier. Je garde donc habituellement ma cellule. Elle est large de manière à souffrir une chaise à côté du lit. C’est là que, devant une petite table, je lis, je dessine et j’écris ; c’est là que, ton portrait sur mon sein ou sous mes yeux, je remercie le ciel de t’avoir connu, de m’avoir fait goûter le bien inexprimable d’aimer et d’être chérie avec cette générosité, cette délicatesse, que ne connaîtront jamais les âmes vulgaires, et qui sont au-dessus de tous leurs plaisirs.

Des fleurs que Bc. [Bosc] me fait envoyer du Jardin des Plantes[111] décorent cet austère réduit, y développent leurs formes heureuses et le parfument de leurs douces odeurs. Une pauvre prisonnière de mon voisinage me rend des services dont le secours est utile à ma faiblesse, et dont le prix ne l’est pas moins à sa misère. Voilà ma vie.

Mais sais-tu que tu me parles bien légèrement du sacrifice de la tienne, et que tu sembles l’avoir résolu fort indépendamment de moi ? De quel œil veux-tu que je l’envisage ? Est-il dit que nous ne puissions nous mériter qu’en nous perdant ? Et si le sort ne nous permettait pas de nous réunir bientôt, faudrait-il donc abandonner toute espérance d’être jamais rapprochés, et ne plus voir que la tombe où nos éléments pussent être confondus ? — Les métaphysiciens et les amants vulgaires parlent beaucoup de persévérance, mais c’est celle de la conduite qui est plus rare et plus difficile que celle des affections. Certes, tu n’es pas fait pour manquer d’aucune ni de rien de ce qui appartient à une âme forte et supérieure : ne te laisse donc pas entraîner par l’excès même du courage vers le but où mènerait aussi le désespoir.

Tu as vu mes raisons pour ne pas accepter, dans ces circonstances, un expédient dangereux et qui ne me semble point nécessaire ; mais si les circonstances empiraient décidément, je ne m’obstinerais point dans le refus d’une mesure que leur rigueur justifierait. Il s’agit seulement de calculer avec calme, pour ne point donner à l’impétuosité du sentiment ce qu’il appartient de déterminer à la prudence.

Où donc L. [Louvet] a-t-il laissé son amie[112] ? — Que je la plains ! — Cependant si j’étais à sa place, tu ne serais pas seul aux lieux qui t’ont reçu, et je m’estimerais heureuse, car je partagerais ces dangers.

Et ce jeune Bx[Barbaroux], ne fait-il pas des siennes dans cette terre hospitalière ? C’est pourtant le cas d’oublier de s’amuser, moins que de savoir, comme Alcibiade, suffire à tout également. Quand je me rappelle la sérénité de P[etion], l’effervescence aimable mais passagère de Gt [Guadet][113], je crains que ces honnêtes gens, là-bas comme ici, n’emploient à rêver le bien public le temps qu’il faudrait consacrer à l’opérer.

La femme de Bt [Brissot] est ici. Elle a obtenu de le voir. Il est d’ailleurs fort resserré. On va transférer les autres au Luxembourg. Un homme qui s’intéresse à moi désirait que j’eusse le même sort. Je serais mieux à plusieurs égards ; mais, par cette raison-là même, ils ne le voudraient pas. D’ailleurs, comment imaginer qu’ils me rapprochassent des députés, tandis qu’ils m’ont probablement ôtée de l’Abbaye pour m’éloigner de celui qu’ils y avaient fait renfermer ?

Je ne sais, mon ami, si dans vos projets vous songez à vous ménager des intelligences dans toutes les sections de Paris, de manière qu’à votre approche elles prennent des délibérations qui vous secondent. Sans cette entente, vous risquez d’échouer ; avec elle, vos succès seraient infaillibles.

Ne négligez point cette mesure, elle est nécessaire et elle presse.

Adieu, mon bien-aimé !


542

[À BUZOT, EN BRETAGNE[114].]
31 août [1793, — de Sainte-Pélagie].

Tu connais, mon ami, le cœur et l’attachement de ta Sophie. Eh bien ! tu ne peux te représenter encore son émotion, ses ravissements à la réception de tes nouvelles[115]. Mais que d’incertitude lui restent, que d’inquiétudes la dévorent ! Pourquoi ne pas t’expliquer un peu davantage sur tes entreprises de commerce, si périlleuses dans les circonstances ? La sûreté de tes petites propriétés, les succès que tu peux te promettre sont les uniques biens qu’elle soit susceptible de goûter dans l’état de langueur où elle est réduite ; elle ne respire que pour les apprendre et mourra si tu dois souffrir. Je me suis chargé (sic) de te répondre pour elle et tu ne peux te dissimuler le besoin où elle se trouve d’employer une main étrangère. Je te parlerai mieux de son état quelle n’oserait faire elle-même. Sa maladie a pris, depuis ton éloignement, des caractères funestes, il est impossible d’en apprécier la durée, d’en calculer le terme. Tantôt des crises violentes paraissent devoir produire de grands changements ou faire craindre de mauvaises suites ; tantôt un prolongement douloureux jette au loin dans l’avenir de sombres inquiétudes mêlées de quelque espérance. Du moment où elle fut attaquée, elle calcula tous les possibles et les envisagea avec fermeté. L’état de sa famille et l’idée de ta prospérité la soutenaient alors. Je l’ai vue, heureuse dans la souffrance, conserver sa sérénité, la liberté de son esprit, jouir des biens qu’elle te croyait réservés et se regarder comme une victime propitiatoire dont le sort voulait peut-être le sacrifice pour prix des avantages assurés à ceux qui lui sont chers. Combien tout est changé ! Les affaires t’enchaînent loin d’elle et ne t’offrent plus une perspective aussi brillante, en t’imposant de plus rudes travaux ; son vieil oncle[116] est tombé dans un affaissement horrible ; il baisse d’une manière effrayante. Sa vie, toute menacée qu’elle soit, peut cependant se prolonger beaucoup ; mais faible, ombrageux, difficile, il trouve cette vie un supplice et la rend telle à ceux qui sont près de lui. Elle a obtenu qu’il jetât au feu le testament que tu sais et dont elle était si affectée pour toi ; ce n’était pas une petite affaire ; il l’a terminée comme un dernier sacrifice, mais elle l’avait exigé avec cette autorité que donne à une malade l’approche dès derniers moments, quand elle sait s’en prévaloir.

Dans les premiers temps de ses douleurs, elle avait préparé des instructions[117] qu’elle voulait laisser après elle ; un malentendu, bien extraordinaire, de la part de l’exécuteur ou plutôt du dépositaire qu’elle avait choisi, les a fait anéantir. Elle a été très sensible à cette perte, mais, comme elle ne s’abat jamais, elle a recueilli ses forces pour la réparer. Ses moments les plus lucides ont été consacrés à ce pieux devoir, dans lequel tu n’es point oublié.

Que ne peut-on supporter quand on a la confiance de laisser des souvenirs précieux, utiles à ce qu’on aime !

Dans l’étrange destinée qui vous réunit si étroitement pour vous séparer plus cruellement encore, jouis du moins, ô mon ami ! de l’assurance d’être chéri du cœur le plus tendre qui fût jamais.

Que de pleurs j’ai vu répandre à cette pauvre Sophie, en baisant ta lettre et ton portrait ! Conserve tes jours pour elle ; il n’est pas impossible que son âge résiste aux atteintes qu’elle supporte avec tant de courage, et tu te dois à son amour tant qu’elle existe.

Elle m’a chargée de te demander si tu négligeais de porter tes spéculations en Amérique ? Elle est persuadée que, malgré l’embargo qui s’oppose à l’exportation, mais qui ne peut subsister longtemps, c’était avec les États-Unis qu’il te convenait de traiter. Elle voudrait que toutes tes vues se tournassent de ce côté ; elle était si pénétrée de la sagesse de cette disposition, qu’elle se tourmente du louche qu’elle croit voir dans ta lettre à cet égard.

Elle avait fait des tentatives auprès de son vieil oncle pour le porter à employer ainsi une partie de ses fonds ; mais tu connais sa folie, et l’idée de ta concurrence l’a repoussé. D’ailleurs, il est devenu incapable de suivre aucune opération, et, elle n’étant pas en situation d’agir, il ne serait pas surprenant qu’il perdît tout son avoir, car il s’abandonne à la plus mélancolique inaction. Sois plus sage, mon ami, ne songe désormais à aucune affaire qu’avec ces braves républicains, il n’y a de confiance et de sûreté qu’auprès des gens de cette espèce. Sophie attend l’annonce de ta résolution à cet égard comme du seul moyen qui peut réparer tes malheurs et vous ménager la faculté de vous retrouver un jour.

Adieu, l’homme le plus aimé de la femme la plus aimante ! Va, je puis te le dire, on n’a pas encore tout perdu avec un tel cœur ; en dépit de la fortune, il est à toi pour jamais.

La femme de ton associé[118] est venue voir Sophie ; elles sont souvent ensemble et ton amie parle de toi tendrement ; elle s’imagine que son mari est avec toi dans ce moment et te prie de lui remettre la ci-jointe.

Joséphine change de situation, mais tu n’as pas oublié la petite Boufflers[119] et tu pourras lui écrire pour ta Sophie, car elle connaît bien notre vieil oncle, et moi, je n’ai rien de fixe que ma liaison avec elle.

Adieu ! oh ! comme tu es aimé !


543

[À MONTANÉ, À LA FORCE[120].]
11 septembre [1793, — de Sainte-Pélagie].

M. X…[121], prisonnier à la Force, faisait demander avec inquiétude à sa femme, prisonnière à Sainte-Pélagie, était vrai que le général Biron[122] allât dans le quartier des dames ?

Ce mouvement de jalousie fit rire et donna lieu à la plaisanterie suivante ; elle n’a pas été envoyée par circonstance[123].

Le malheur rapproche, il unit, plus encore peut-être que le plaisir ; que serait-ce si l’un et l’autre servaient à lier deux êtres ?

Assurément, vous avez fait, en bon juge et prisonnier rêveur, cette réflexion philosophique. Mais la réflexion n’est jamais bonne aux maris ; c’est la thèse que j’entreprendrais de soutenir, si la fantaisie de raisonner pouvait s’établir dans le cerveau d’une femme et l’enceinte d’une prison. Toute nécessaire qu’elle fût, ici et là, je ne prétends point faire des miracles ; ainsi. Monsieur, n’attendez pas de moi de syllogismes ; je veux seulement, en bonne âme, faire quelques observations pour la paix de la vôtre. Vous avez demandé, dans votre billet d’hier, si le général B… ne venait pas quelquefois dans le quartier des dames ? En vérité, Monsieur, pour un homme sage, vous vous êtes embarqué dans une question bien indiscrète. Voilà précisément la folie des maris, ils veulent savoir, tout savoir, demandent sans cesse la vérité, puis se mordent les pouces quand ils l’ont apprise. Comme si la Sainte Église ne nous avait pas fait connaître que la foi est la première des vertus ; comme si cette foi n’était pas essentiellement requise pour être digne du plus grave des sacrements ; comme si toutes les autorités recommandables, depuis le Roman de la Rose jusqu’à Jean La Fontaine, n’avaient pas démontré que, sur certain article, l’inquiétude est aussi gratuite que les précautions sont inutiles. Ne voilà-t-il pas que l’expression de la vôtre m’a rappelé toutes ces belles maximes et que j’ai formé d’abord le projet de vous les retracer, car, vous saurez, Monsieur, que je suis, ne vous déplaise, prêcheuse de mon métier. Chacun a sa vocation, il est rare d’y échapper ; le ciel a voulu que les tyrans fussent lâches et cruels, le commun des hommes aveugle et stupide, les véritables gens de bien dédaigneux de la vie, les maris jaloux, les femmes légères et moi prêcheuse. J’ai donc passé mon temps à étudier la morale comme une autre à faire sa toilette ; j’ai vu de grands hommes et des vertus brillantes dans les républiques, et les républiques m’ont paru la plus belle chose du monde. Je me suis fait de mes devoirs les idées les plus touchantes, je n’ai cherché qu’à les remplir, et, sans me fesser comme saint Jérôme, je me suis imposé presque autant de privations. Il est vrai que je ne voulais la liberté qu’avec la justice, et la sagesse qu’avec des formes aimables ; il me semblait qu’on devait professer les principes de Socrate en conservant la politesse de Scipion, et, sans chercher à me montrer à personne, je ne cachais à nul ma façon de penser. Il est résulté de là qu’on m’a calomniée comme si j’eusse imité Messaline, emprisonnée comme une aristocrate, et que je suis menacée d’aller mourir à l’hôpital ou à la guillotine. Chaque état a ses dangers, « et tu sais bien, disait un voleur à son compagnon de gibet, que dans le nôtre on court les chances d’une maladie de plus que les autres hommes ». Apparemment qu’il en est ainsi pour les prêcheuses ; il faut donc remplir son rôle jusqu’à la fin. Partant, je vous invite à calmer votre imagination, attendu que ses angoisses ne remédieraient à rien, motif très consolant pour une tête froide. Il est bien vrai que le général B… venait tous les jours dans notre voisinage, mais tous les jours accompagné du meilleur préservatif du monde contre les tentations qui auraient pu vous alarmer, c’est-à-dire avec sa maîtresse[124]. Aussi sommes-nous demeurés, réciproquement, aux révérences, sans jamais dire un seul mot. Mais vous savez, d’autre part, que Mlle  R…[125] habite ces parages ; on parle beaucoup de ses grandes facultés, de ses goûts, que sais-je encore ? Elle a de l’esprit comme un vrai diable et votre chère femme est assez lutin[126] ; d’ailleurs, qui peut calculer l’effet d’un jeûne auquel elle prétend que vous ne l’avez point accoutumée ? Ce n’est pas moi, assurément, toute vieille édentée que me représente le père Duchesne et faite, dans le portrait qu’il donne de ma personne, sans l’avoir vue, pour mentir comme une sibylle. Ainsi, mon cher Monsieur, croyez-moi, prenez patience ; voilà le vrai lot des maris.

Au reste, il faut aussi vous le dire, on vient tout récemment de nous mettre en quarantaine, et nous ne nous voyons pas plus que des pestiférées ; nous voilà colloquée comme de plus belle, face à face avec les murailles, pour méditer sur notre salut[127]. Il m’en prend assez mal ; j’avais quitté mon vieux Plutarque pour la société de trois femmes[128], dont la vôtre, que j’appelle l’aimable folle, faisait tout l’agrément ; je crois qu’elle pleure ou jure, en attendant que le rire reprenne. Quant à moi, je vais reprendre Tacite pour ne pas m’éloigner de l’ordre du jour, et j’apprendrai, dans l’histoire du règne [de] Tibère, tout ce qu’on doit attendre des délations et des Séjan qui les payent. J’ai voulu commencer ma retraite par une épître à votre intention, précisément comme les bons chrétiens qui se confondaient en extravagances à la veille du carême. Sur cela, je vous souhaite le bonjour, ainsi qu’à vos confrères, y compris mon oncle d’avant-hier, habitué de votre résidence[129].

544

AU COMMIS DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR
chargé de la surveillance des prisons[130].
17 septembre 1793, — de Sainte-Pélagie.

J’ignore, citoyen, si les personnes dont vous étiez accompagné ce matin exercent aussi quelque surveillance dans l’administration des prisons ; je n’ai rien pu juger du but de votre visite. Je présume qu’il doit m’être permis de m’en informer. Depuis tantôt quatre mois je suis rigoureusement détenue, je n’ai fatigué personne de réclamations ni de plaintes ; j’attendais du temps la fin des préventions. Je sais ce que les amis de la liberté sont exposés à souffrir pour elle à la naissance des républiques. Au défaut de ma propre expérience, j’avais assez de celle que j’ai acquise par l’étude, pour ne m’étonner de rien et supporter sans murmure les honneurs de la persécution. Dans l’enceinte d’une prison ou la retraite d’un cabinet, je puis mener une vie à peu près semblable, et, lorsqu’on y est avec une conscience pure et une âme forte, on mesure l’injustice sans être accablée de son poids. Mais je suis mère, ce titre m’imposait des devoirs que je chéris et que je ne puis remplir. Je suis épouse, et je ne sais s’il me sera jamais donné d’adoucir les chagrins, de soigner la vieillesse de l’homme respectable auquel j’avais uni ma destinée. Je ne sais pas mieux le terme d’une captivité que je n’ai pu mériter que par mon amour pour la liberté, qui me confond avec ses ennemis, et qui m’est imposée par ceux qui prétendent établir son règne. Combien doit durer encore cette étrange contradiction ? On n’a point de délits à me reprocher ; ceux qui disent le plus de mal de moi ne m’ont jamais vue, et je défie ceux qui m’ont abordée de ne pas m’accorder leur estime, même Robespierre et Danton, qui, probablement, savent pourquoi je suis prisonnière. Serai-je détenue à défaut de mon mari ? Ce serait un échange ridicule et barbare qui ne mènerait à rien. Suis-je gardée comme otage ? Je pourrais l’être chez moi, sous caution. On sait bien d’ailleurs que Roland n’est point à Lyon, et le faux bruit répandu à cet égard n’a jamais été qu’un vain prétexte. Suis-je suspecte ? À quel titre ? Le doute autorise-t-il à courir les risques d’opprimer ? Et si l’on me croyait dangereuse, l’injonction de rester chez moi sous la surveillance de ma section ne serait-elle pas suffisante ? Enfin, suis-je criminelle à mon insu ? Qu’on m’apprenne de quoi, et que je sois légalement jugée. Quatre mois de détention ne me donnent que trop le droit de demander de quoi je suis punie. Cependant ce long intervalle passé dans le rude exercice du courage, sans qu’il me soit permis de prendre aucun autre exercice pour ma santé, se prolonge encore en altérant celle-ci ; privée d’un modeste revenu qui tient à la personne de mon mari, et qui, augmenté par notre travail commun, suffisait à notre existence, je n’ai pas même la faculté d’employer mes hardes pour mon usage, ni de les vendre pour en faire servir le prix à mes besoins. Elles sont sous les scellés assurément fort inutiles, puisqu’ils ont été réapposés fort peu après que la Convention les avait fait lever en examinant nos papiers[131]. De quel augure peut être pour la liberté de mon pays une telle conduite à l’égard de ceux qui l’adorent ? Ce doute est plus triste que ma situation même. Dans l’isolement où je vis, je me suis persuadée, à l’arrivée de trois personnes, que la vigilance et l’équité de quelque autorité faisaient faire cette visite ; mais nulle question ne m’a fait apercevoir l’intérêt de s’instruire ou de consoler. Je me demande si j’ai été l’objet d’une curiosité cruelle, ou si je suis une victime qu’on soit venu reconnaître et compter.

Pardon, si je vous blesse en m’adressant à vous pour le savoir, mais vous êtes le seul dont le nom me soit connu, et quoi que l’erreur ou la malveillance me prépare, j’aime mieux le prévoir que l’ignorer. Soyez assez franc pour m’en faire part, c’est ma première et mon unique question.

P. S. Le décret contre les gens suspects n’était pas encore rendu lorsque je fis cette lettre[132] ; dès qu’il parut, je vis qu’ayant été arrêtée la seconde fois sous cette dénomination de suspecte, je n’avais plus que du pis à attendre du temps.


545

TO M. JANY, À PARIS[133].
Samedi [28 septembre 1793, — de Sainte-Pélagie].

Je ne puis vous dire, cher Jany[134], avec quel plaisir je reçois de vos nouvelles. Placée sur les confins du monde, les témoignages d’attachement d’un individu de mon espèce que je puisse estimer me font trouver encore quelque douceur à vivre. J’ai souffert pour ma pauvre compagne au delà de toute expression. C’est moi qui me suis chargée du triste office de la préparer au coup qu’elle n’attendait guère et de le lui annoncer ; j’étais sûre d’y apporter les adoucissements qu’un autre eût peut-être difficilement trouvés, parce qu’il n’y a guère que ma position qui pût me faire partager aussi bien sa douleur. Cette circonstance a fait qu’on l’envoie chez moi ; nous mangeons ensemble, et elle aime à passer près de moi la plus grande partie des jours ; j’en travaille bien moins, mais je suis utile, et ce sentiment me fait goûter une sorte de charme que les tyrans ne connaissent pas. Je sais que B…[135] va être immolé ; je trouve plus atroce que cela même la disposition qui interdit tout discours aux accusés[136]. Tant qu’on pouvait parler, je me suis senti de la vocation pour la guillotine ; maintenant il n’y a plus de choix, et massacrée ici ou jugée là, c’est la même chose.

Je désirerais qu’il vous fût possible d’aller régulièrement, du moins une fois la semaine, chez Mme  G. Chp.[137]. Elle vous communiquerait ou vous remettrait ce qui nous intéresse, et vous lui donneriez de mes nouvelles. Vous trouverez chez elle à emprunter les deux volumes du Voyage en question, que je n’ai point ici en mon pouvoir.

Je reçois avec action de grâce les lettres de lady B…[138] ; je ne les connais point, je compte les faire servir à deux personnes ; je ferai lire le petit P…[139], je n’avais que Thompson qu’il ne pouvait encore entendre.

Hélas ! n’enviez point le sort de celui à qui j’ai donné mon Voyage de Suisse[140] c’est un infortuné qui n’a que des malheurs pour prix de ses vertus ; persécuté, proscrit, je ne sais s’il dérobera longtemps sa tête à la vengeance des fripons dont il était le rude adversaire.

Assurément, vous pouvez lire tout ce que je vous envoie[141]. J’ai regret maintenant de ne vous avoir pas envoyé les quatre premiers cahiers[142] ; le reste ne sent rien quand on ne les a pas vus ; ils peignent mes dix-huit premières années ; c’est le temps le plus doux de ma vie ; je n’imagine point d’époque, dans celle d’aucun individu, remplie d’occupations plus aimables, d’études plus chères, d’affections plus douces : je n’y eus point de passion, tout y fut prématuré, mais sage et calme, comme les matinées des jours les plus sereins du printemps.

Je continuerai, si je puis, au, milieu des orages. Les années suivantes me firent connaître ceux de l’adversité et développèrent des forces dont le sentiment me rendait supérieure à la mauvaise fortune. Celles qui vinrent après furent laborieuses et marquées par le bonheur sévère de remplir des devoirs domestiques très multipliés dans une existence honorable, mais austère. Enfin arrivèrent les jours de la Révolution, et avec eux le développement de tout mon caractère, les occasions de l’exercer.

J’ai connu ces sentiments généreux et terribles qui ne s’enflamment jamais davantage que dans les bouleversements politiques et la confusion de tous les rapports sociaux ; je n’ai point été infidèle à mes principes, et l’atteinte même des passions, j’ai le droit de le dire, n’a guère fait qu’éprouver mon courage. Somme totale, j’ai eu plus de vertus que de plaisirs ; je pourrais même être un exemple d’indigence de ces derniers, si les premières n’en avaient qui leur sont propres, et dont la sévérité a des charmes consolateurs.

Si j’échappe à la ruine universelle, j’aimerai à m’occuper de l’histoire du temps ; ramassez de votre côté les matériaux que vous pourrez. J’ai pris pour Tacite une sorte de passion, je le relis pour la quatrième fois de ma vie avec un goût tout nouveau, je le saurai par cœur ; je ne puis me coucher sans en avoir savouré quelques pages.

Faites donc courir la lettre de B…[143].

Je me déciderai donc aussi à vendre quelque peu d’argenterie, je pourrai bien vous prier de me rendre ce service.

Je ne veux point voir Pk[144], et il ne faut pas qu’il demande de permission ; ne point prononcer mon nom auprès des autorités est le seul service qu’on puisse me rendre.

Adieu, cher Jany, adieu.


546

À MA FILLE[145].
[8 octobre 1793, — de Sainte-Pélagie.]

Je ne sais, ma petite amie, s’il me sera donné de te voir ou de t’écrire encore. Souviens-toi de ta mère. Ce peu de mots renferment tout ce que je puis te dire de meilleur. Tu m’as vue heureuse par le soin de remplir mes devoirs et d’être utile à ceux qui souffrent. Il n’y a que cette manière de l’être.

Tu m’as vue paisible dans l’infortune et la captivité, parce que je n’avais pas de remords et que j’avais le souvenir et la joie que laissent après elles de bonnes actions. Il n’y a que ces moyens non plus de supporter les maux de la vie et les vicissitudes du sort.

Peut-être, et je l’espère, tu n’es pas réservée à des épreuves semblables aux miennes ; mais il en est d’autres dont tu n’auras pas moins à te défendre. Une vie sévère et occupée est le premier préservatif de tous les périls, et la nécessité, autant que la sagesse, t’impose la loi de travailler sérieusement.

Sois digne de tes parents : ils te laissent de grands exemples ; et si tu sais en profiter, tu n’auras pas une inutile existence.

Adieu, enfant chéri, toi que j’ai nourri de mon lait et que je voudrais pénétrer de tous mes sentiments. Un temps viendra où tu pourras juger de tout l’effort que je me fais en cet instant pour ne pas m’attendrir à la douce image.

Je te presse sur mon sein.

Adieu, mon Eudora.


547

À MA BONNE FLEURY[146].
[8 octobre 1793, — de Sainte-Pélagie.]

Ma chère bonne, toi dont la fidélité, les services et l’attachement m’ont été chers depuis treize années, reçois mes embrassements et mes adieux.

Conserve le souvenir de ce que je fus. Il te consolera de ce que j’éprouve ; les gens de bien passent à la gloire quand ils descendent dans le tombeau. Mes douleurs vont finir ; calme les tiennes et songe à la paix dont je vais jouir, sans que personne puisse désormais la troubler. Dis à mon Agathe que j’emporte avec moi la douceur d’être chérie par elle depuis mon enfance et le regret de ne pouvoir lui témoigner mon attachement. J’aurais voulu t’être utile, du moins que je ne t’afflige pas.

Adieu, ma pauvre bonne, adieu.

548

À JANY, À PARIS[147].
8 octobre [1793, — de Sainte-Pélagie].

Lorsque vous ouvrirez cet écrit[148], cher Jany, je ne serai plus. Vous y verrez les raisons qui me déterminent, en trompant mes gardiens, à me laisser mourir de faim. Cependant, comme aucun transport ne m’inspire cette résolution, que je veux soumettre à tous les calculs, soit pour ne manquer à aucun de mes devoirs, soit pour ne pas mériter le blâme de nos amis, je consens à attendre le jugement des députés[149] pour juger alors des conséquences et de l’instant d’exécuter mon projet.

S’il se passe quelques jours, je continuerai mes Mémoires ; si je n’ai pas le temps de les conduire bien loin, je m’en consolerai. Il existe assez de choses, en réunissant toutes celles que j’ai écrites et qui sont dans les trois dépôts[150] pour éclaircir beaucoup de fûts et concourir à la justification de bien des personnes. Voilà le soin que je vous laisse ; il vous exprime assez toute mon estime. Disposez de ces objets en maître absolu, ne précipitez rien pour ne rien perdre, et ne vous détachez de quoi que ce soit que vous ne vous soyez procuré un double par copie.

Mes « Dernières pensées » sont nécessaires aux père et mère adoptifs de ma fille[151] ; vous les leur communiquerez, si l’exemplaire que je leur destine manquait de leur parvenir.

Adieu, Jany, je vous honore et vous aime ; je m’éteins en paix, en songeant que vous ferez revivre de moi tout ce que j’ai pu en faire connaître ; il ne manque que des détails, dont je ne tairais pas un seul si j’avais plus de temps, mais dont nul n’est en contradiction avec ce qui précède.


549

[À ROBESPIERRE[152].]
23e jour, 1er ms., an second [14 octobre 1793], — de l’infirmerie de Sainte-Pélagie.

Entre ces murs solitaires, où depuis tantôt cinq mois l’innocence opprimée se résigne au silence, un étranger paraît. — C’est un médecin que mes gardiens amènent pour leur tranquillité ; car je ne sais et ne veux opposer aux maux de la nature, comme à l’injustice des hommes, qu’un tranquille courage. En apprenant mon nom, il se dit l’ami d’un homme que peut-être je n’aime point. — Qu’en savez-vous, et qui est-ce ? — Robespierre. — Robespierre ! je l’ai beaucoup connu et beaucoup estimé ; je l’ai cru un sincère et ardent ami de la liberté. — Eh ! ne l’est-il plus ? — Je crains qu’il n’aime aussi la domination, peut-être dans l’idée qu’il sait faire le bien ou le veut comme personne ; je crains qu’il n’aime beaucoup la vengeance, et surtout à l’exercer contre ceux dont il croit n’être pas admiré ; je pense qu’il est très susceptible de préventions, facile à se passionner en conséquence, jugeant trop vite comme coupable quiconque ne partage pas en tout ses opinions. — Vous ne l’avez pas vu deux fois ! — Je l’ai vu bien davantage ! Demandez-lui ; qu’il mette la main sur sa conscience, et vous verrez s’il pourra vous dire du mal de moi.

Robespierre, si je me trompe, je vous mets à même de me le prouver, c’est à vous que je répète ce que j’ai dit de votre personne, et je veux charger votre ami d’une lettre que la rigueur de mes gardiens laissera peu-être passer en faveur de celui à qui elle est adressée.

Je ne vous écris pas pour vous prier, vous l’imaginez bien ; je n’ai jamais prié personne, et certes ! ce n’est pas d’une prison que je commencerais de le faire à l’égard de quiconque me tient en son pouvoir. La prière est faite pour les coupables ou les esclaves ; l’innocence témoigne, et c’est bien assez ; où elle se plaint, et elle en a le droit, dès qu’elle est vexée. Mais la plainte même ne convient pas ; je sais souffrir et ne m’étonner de rien. Je sais d’ailleurs qu’à la naissance des républiques, des révolutions presque inévitables, qu’expliquent trop les passions humaines, exposent souvent ceux qui servirent mieux leur pays à demeurer victimes de leur zèle et de l’erreur de leurs contemporains. Ils ont pour consolation leur conscience, et l’histoire pour vengeur.

Mais par quelle singularité, moi, femme, qui ne puis faire que des vœux, suis-je exposée aux orages qui ne tombent ordinairement que sur les individus agissants, et quel sort m’est donc réservé ?

Voilà deux questions que je vous adresse.

Je les regarde comme peu importantes en elles-mêmes et par rapport à moi personnellement. Qu’est-ce qu’une fourmi de plus ou de moins, écrasée par le pied de l’éléphant, considérée dans le système du monde ? Mais elles sont infiniment intéressantes par leurs rapports avec la liberté présente et le bonheur futur de mon pays ; car si l’on confond indifféremment avec ses ennemis déclarés ses défenseurs et ses amis avoués, si l’on assimile au même traitement l’égoïste dangereux ou l’aristocrate perfide avec le citoyen fidèle et le patriote généreux, si la femme honnête et sensible qui s’honore d’avoir une patrie, qui lui fit dans sa modeste retraite ou dans ses différentes situations les sacrifices dont elle est capable, se trouve punie avec la femme orgueilleuse ou légère qui maudit l’égalité[153], assurément la justice et la liberté ne règnent point encore, et le bonheur à venir est douteux !

Je ne parlerai point ici de mon vénérable mari ; il fallait rapporter ses comptes lorsqu’il les eut fournis, et ne pas lui refuser d’abord justice pour se réserver de l’accuser quand on l’aurait noirci dans le public. Robespierre, je vous défie de ne pas croire que Roland soit un honnête homme : vous pouvez penser qu’il ne voyait pas bien sur telle et telle mesure ; mais votre conscience rend secrètement hommage à sa probité comme à son civisme. Il faut peu le voir pour le bien connaître ; son livre est toujours ouvert et chacun peut y lire ; il a la rudesse de la vertu, comme Caton en avait l’âpreté ; ses formes lui ont fait autant d’ennemis que sa rigoureuse équité ; mais ces inégalités de surface disparaissent à distance, et les grandes qualités de l’homme public demeureront pour toujours. On a répandu qu’il soufflait la guerre civile à Lyon ; on a osé donner ce prétexte comme sujet de mon arrestation ! Et la supposition n’était pas plus juste que la conséquence. Dégoûté des affaires, irrité de la persécution, ennuyé du monde, fatigué de travaux et d’années, il ne pouvait que gémir dans une retraite ignorée et s’y obscurcir en silence pour épargner un crime à son siècle.

— Il a corrompu l’esprit public, et je suis sa complice ! — Voilà le plus curieux des reproches et la plus absurde des imputations. Vous ne voulez pas, Robespierre, que je prenne ici le soin de les réfuter ; c’est une gloire trop facile, et vous ne pouvez être du nombre des bonnes gens qui croient une chose parce qu’elle est écrite et qu’on la leur a répétée. Ma prétendue complicité serait plaisante, si le tout ne devenait atroce par le jour nébuleux sous lequel on l’a présenté au peuple, qui, n’y voyant rien, s’y fabrique un je ne sais quoi de monstrueux. Il fallait avoir une grande passion de me nuire pour m’enchaîner ainsi d’une manière brutale et réfléchie dans une accusation qui ressemble à celle, tant répétée sous Tibère, de lèse-majesté pour perdre quiconque n’avait pas de crime et qu’on voulait pourtant immoler !

D’où vient donc cette animosité ? — C’est ce que je ne puis concevoir, moi qui n’ai jamais fait de mal à personne, et qui ne sais pas même en vouloir à ceux qui m’en font.

Élevée dans la retraite, nourrie d’études sérieuses qui ont développé chez moi quelque caractère, livrée à des goûts simples qu’aucune circonstance n’a pu altérer, enthousiaste de la Révolution et m’abandonnant à l’énergie des sentiments généreux qu’elle inspire, étrangère aux affaires par principes comme par mon sexe, mais m’entretenant d’elles avec chaleur, parce que l’intérêt public devient le premier de tous dès qu’il existe, j’ai regardé comme de méprisables sottises les premières calomnies lancées contre moi ; je les ai crues le tribut nécessaire, prit par l’envie, sur une situation que le vulgaire avait encore l’imbécillité de regarder comme élevée, et à laquelle je préférais l’état paisible où j’avais passé tant d’heureuses journées !

Cependant ces calomnies se sont accrues avec autant d’audace que j’avais de calme et de sécurité : je suis traînée en prison ; j’y demeure depuis bientôt cinq mois, arrachée des bras de ma jeune fille qui ne peut plus se reposer sur le sein dont elle fut nourrie, loin de tout ce qui m’est cher, privée de toute communication, en butte aux traits amers d’un peuple abusé, qui croit que ma tête sera utile à sa félicité ; j’entends sous ma fenêtre grillée la garde qui me veille s’entretenir quelquefois de mon supplice ; je lis les dégoûtantes bordées que jettent sur moi des écrivains qui ne m’ont jamais vue, non plus que tous ceux qui me haïssent.

Je n’ai fatigué personne de mes réclamations ; j’attendais du temps la justice, avec la fin des préventions. Manquant de beaucoup de choses, je n’ai rien demandé ; je me suis accommodée de la mauvaise fortune, fière de me mesurer avec elle et de la tenir sous mes pieds. Le besoin devenant pressant et craignant de compromettre ceux à qui je pourrais m’adresser, j’ai voulu vendre les bouteilles vides de ma cave, où l’on n’a point mis les scellés parce qu’elle ne contenait rien de meilleur : grand mouvement dans le quartier ! On entoure la maison ; le propriétaire est arrêté ; on double chez moi les gardiens, et j’ai à craindre peut-être pour la liberté d’une pauvre bonne qui n’a d’autre tort que de me servir avec affection depuis treize ans, parce que je lui rendais la vie douce ; tant le peuple égaré sur mon compte, étourdi du nom de conspirateur, croit qu’il doit m’être appliqué !

Robespierre, ce n’est pas pour exciter en vous une pitié au-dessus de laquelle je suis, et qui m’offenserait peut-être, que je vous présente ce tableau bien adouci ; c’est pour votre instruction.

La fortune est légère, la faveur du peuple l’est également : voyez le sort de ceux qui l’agitèrent, lui plurent, ou le gouvernèrent, depuis Viscellinus jusqu’à César, et depuis Hippon, harangueur de Syracuse, jusqu’à nos orateurs parisiens ! La justice et la vérité seules demeurent et consolent de tout, même de la mort, tandis que rien ne soustrait à leurs atteintes. Marius et Sylla proscrivirent des milliers de chevaliers, un grand nombre de sénateurs, une foule de malheureux, — ont-ils étouffé l’histoire, qui voue leur mémoire à l’exécration, et goûtèrent-ils le bonheur ?

Quoi qu’il me soit réservé, je saurai le subir d’une manière digne de moi, ou le prévenir s’il me convient. Après les honneurs de la persécution, dois-je avoir ceux du martyre ? Ou bien suis-je destinée à languir longtemps en captivité, exposée à la première catastrophe qu’on jugera bon d’exciter ? Ou serai-je déportée soi-disant, pour essuyer à quatre lieues en mer cette petite inadvertance de capitaine qui le débarrasse de sa cargaison humaine au profit des flots ? Parlez ; c’est quelque chose que de connaître son sort, et, avec une âme comme la mienne, on est capable de l’envisager.

Si vous voulez être juste et que vous me lisiez avec recueillement, ma lettre ne vous sera pas inutile, et dès lors, elle pourrait ne pas l’être à mon pays. Dans tous les cas, Robespierre, je le sais, et vous ne pouvez éviter de le sentir : quiconque m’a connue ne saurait me persécuter sans remords.


Roland, née Phlipon.

Nota. L’idée de cette lettre, le soin de l’écrire et le projet de l’envoyer se sont soutenus durant Vingt-quatre heures ; mais que pourraient faire mes réflexions sur un homme qui sacrifie des collègues dont il connaît bien la pureté ?

Dès que ma lettre ne serait pas utile, elle est déplacée ; c’est me compromettre sans fruit avec un tyran qui peut m’immoler, mais qui ne saurait m’avilir. [Je ne la ferai pas remettre[154].]


550

[À JANY, À PARIS[155].]
[Octobre 1793, — de Sainte-Pélagie.]

Ma fille, dear Jany, est chez des amis, les respectables Creuzé, qui l’élèvent avec leurs deux filles comme un enfant adoptif. La mauvaise santé de la maman et la saison, et cet ensemble que vous jugez maintenant, ne me permettent point de profiter de vos bontés. Je ne vous dis pas combien j’y suis sensible, mais je puis vous avouer que j’y ai moins de regret, vu le peu d’aptitude de mon enfant à en profiter. C’est un être bon, mais apathique, et qui n’aura ni vices, ni vertus. Quant à Mme  G. Ch. [Grandchamp], je vais vous dire ce qui en est : elle a douze cents livres de pension ; le jeune homme qu’elle élève est le fils de G[rand-]Pré, qui vit chez elle et qui a une place de mille écus ; mais ils se gênent ensemble pour payer les dettes que cet honnête infortuné a contractées dans un temps encore plus malheureux, de manière qu’avec un petit revenu déterminé ils sont presque misérables. Voilà ce que je sais ; ce n’est pas à moi ensuite à juger entre vous, car, enfin, vous êtes, je crois, trop honnête homme aussi pour être riche.

Je vous envoie encore un cahier, et je tâcherai de tirer[156] ce qui précède ; ce sera, comme vous dites, mes confessions, car je n’y veux rien céler ; mais la fin ne pourrait pas être publiée si tôt. Au reste, lorsque vous parlez d’Amérique, vous chatouillez mes oreilles ; c’est bien là que j’ambitionnerais de me transporter si je redevenais libre, mais je n’espère point en recouvrer la faculté. Je me crois perdue ; sans cette croyance, je ne prendrais pas la peine de me confesser ; on ne songe guère à laisser des souvenirs, lorsque l’on espère pouvoir y donner matière. Je ne veux point voir les cahiers de B. [Brissot][157] que lorsque vous en auriez un double ; il y a toujours du danger dans les transports et il ne faut pas risquer une perte irréparable. Mon père ne m’a pas vue du tout rue des Petits-Champs[158], je l’ai perdu il y a plusieurs années ; mais vous saurez tout cela.

Il est trop vrai, Jany, qu’on ne peut se confesser sans révéler aussi la confession de quelques autres ; c’est quelquefois délicat, et, à mesure que j’avance, je sens que j’ai plus à dire d’autrui. Mais j’ai fait mon calcul et pris mon parti, je dirai tout, tout, absolument tout ; ce n’est que comme cela qu’on peut être utile.

Adieu, mon ami, mon confident ; vous pouvez bien dire que c’est à votre généreux empressement que vous devez ces titres. Adieu, je vais donc continuer. Vous devez, n’ayant pas vu le commencement, trouver des personnages qui viennent on ne sait d’où : c’est que tout se lie et s’enchaîne. Véritablement [la vie de chaque individu est un poème dans lequel certain nombre de personnages ont leur place dès l’origine et dont le sort ne peut être connu qu’en suivant l’histoire de celui qui fait le principal rôle[159]].


551

À JANY, À PARIS[160].
[Octobre 1793, — de Sainte-Pélagie.]

Votre douce lettre, cher Jany, m’a fait autant de bien que votre aimable causerie. La tendre pitié est le vrai baume du cœur malade. Je sens la délicatesse qui vous fait répugner à l’idée de publier jamais mon secret ; cette délicatesse pour autrui m’aurait empêchée de le confier au papier, s’il n’eût été deviné et travesti. Quant à moi, personnellement, je ne tiens absolument qu’à la vérité ; je n’ai jamais eu la plus légère tentation d’être estimée plus que je ne vaux ; j’ambitionne que l’on me connaisse ce que je suis, bien et mal, ce m’est tout un[161]. J.J. ne m’a jamais paru coupable pour ses aveux, mais seulement répréhensible de deux faits, qui ne sont point dans la nature : l’attribution, à la pauvre Marie, du vol du ruban, et l’abandon de cet enfant à l’hôpital. Quant au blâme de la tourbe indiscrète et légère, on ne l’évite jamais dès qu’une fois on a excité l’envie.

Sans prétendre m’excuser, je suis convaincue que la jalousie du malheureux R. [Roland] a seule fait percer mon secret par des confidences multipliées, en même temps qu’elle m’a inspiré par moments des résolutions violente.

Croiriez-vous qu’il avait fait des écrits là-dessus[162], avec tout l’emportement et les faux jours d’un esprit irrité qui déteste son rival et voudrait le livrer à l’exécration publique, et que je n’ai obtenu que depuis peu que ces écrits empoisonnés fussent brûlés ? Concevez-vous combien leur existence m’enflammait d’indignation, d’une part, et alimentait, de l’autre, le sentiment même dont je voyais maltraiter si injustement l’objet ? Oui, vous l’avez vu, vous le dépeignez bien[163] ; vous trouverez son portrait peint, et aussi écrit, dans certaine boîte qu’on vous remettra ; c’est ma plus chère propriété, je n’ai pu m’en défaire que dans la crainte qu’il soit profané. Conservez-les bien, pour les transmettre un jour.

Mais, à propos de cette boîte, qui contient autant et plus de manuscrit que vous en avez déjà, faites-moi dire le jour où l’on pourra vous la porter au matin, afin que votre cachette soit prête. Avisez à sa conservation pour tous les cas possibles, afin qu’un protecteur ne lui manque pas ; s’il vous arrivait quelque accident.

[Quant à moi, Jany, tout est fini. Vous savez la maladie que les Anglais appellent heart-broaken (sic) ? j’en suis atteinte sans remède, et je n’ai nulle envie d’en retarder les effets ; la fièvre commence à se développer, j’espère que ce ne sera pas très long. C’est un bien. Jamais ma liberté ne me serait rendue ; le ciel m’est témoin que je la consacrerais à mon malheureux époux ! Mais je ne l’aurai point et je pourrais attendre pis. C’est bien examiné, réfléchi et jugé[164].]

Quand on a dit que le moral de l’amour n’en valait rien, on a fait légèrement une grande proposition qui, si elle était vraie, s’appliquerait à toutes les passions de l’homme ; car c’est par le moral qu’elles sont passions et qu’elles ont de beaux ou d’éclatants effets ; ôtez ce moral, tout n’est qu’appétit et se réduit aux besoins physiques. Si le moral de l’amour ne valait rien, il faudrait dire que l’état social où il se développe est le pire de tous : serait-ce vrai ? je l’ignore, mais, dans cet état une fois admis, je crois, au contraire, le moral de l’amour la source la plus féconde et la plus pure des grandes vertus et des belles actions.

je le[165] crois perdu ; mais, s’il parvenait jamais dans le monde heureux où votre fils est cultivateur, ménagez-vous des renseignements qui vous permettent de lui faire parvenir ce que vous saurez de moi. Je sais que ce sentiment inspire de se conserver pour qui nous aime ; mais je suis à d’autres avant lui, et je n’aurai jamais la faculté de me rendre, même à mes devoirs. Ainsi tout doit finir pour moi. Heureux quand la nature s’y prête ! Adieu, Jany, adieu, cher Jany, mon unique consolateur !


P.

552

[À CHAMPAGNEUX, À LA FORCE[166].]
[24 octobre 1793, — de la Conciergerie.]

Votre lettre, mon cher Champagneux[167], m’est parvenue par Adam Lux[168] ; et c’est par cet excellent homme que vous recevrez ce billet ; je vous l’écris dans un des antres de la mort, et avec une plume qui tracera peut-être bientôt l’ordre de m’égorger.

Je me félicitais d’avoir été appelée en témoignage dans l’affaire des députés, mais il y a apparence que je ne serai pas entendue. Ces bourreaux redoutent les vérités que j’aurais à dire et l’énergie que je mettrais à les publier : il leur sera plus facile de nous égorger sans nous entendre. Vous ne reverrez plus ni Vergniaud, ni Valazé[169] ; votre cœur a pu concevoir cette espérance, mais comment tout ce qui se passe depuis quelque temps ne vous a-t-il pas ouvert les yeux ? Nous périrons tous, mon ami : sans cela nos oppresseurs ne se croiraient pas en sûreté… Un de mes plus grands regrets est de vous voir exposé à partager notre sort. Nous vous avons arraché à votre retraite ; vous y seriez peut-être encore sans nos sollicitations, et votre famille ne serait pas dispersée et malheureuse… Ce tableau me déchire plus que les maux qui me sont personnels ; mais, dans les beaux jours de la Révolution, il n’était pas possible de calculer ce cruel avenir. Nous avons tous été trompés, mon cher Champagneux, ou pour mieux dire, nous périssons victimes de la faiblesse des honnêtes gens ; ils ont cru qu’il suffisait, pour le triomphe de la vertu, de la mettre en parallèle avec le crime : il fallait étouffer celui-ci… Adieu, je vous envoie ce que vous me demandez[170]. Je vous écris à côté et presque sous les yeux de mes bourreaux ; j’ai quelque orgueil à les braver.

553

[À JANY, À PARIS[171].]
Vendredi 25 octobre [1793, — de Sainte-Pélagie].

Vous n’imaginerez jamais, cher Jany, tout ce que j’ai souffert de contrariété à ne pouvoir vous entretenir à l’aise, ni même vous lire à loisir : je sentais l’huissier sur mes talons ; j’avais peur pour vous. Je me trouve comme si j’étais attaquée de la peste. Je n’ai plus rien à perdre ; mais je suis en transes pour ceux qui m’abordent : c’est au point qu’hier, au Palais, j’ai hésité à rendre le salut à un homme que je reconnaissais et que je trouvais bien imprudent d’être poli publiquement envers moi.

J’ai entendu cet acte d’accusation, prodige de l’aveuglement, ou plutôt chef d’œuvre de la perfidie. Lorsqu’il a été lu, le défenseur Chauveau[172] a observé avec beaucoup de ménagements que, contre toutes les formes, les pièces à l’appui n’avaient point été communiquées, et il à prié le tribunal de délibérer pour qu’elles lui fussent remises. Après un instant de chuchoterie, le président à répondu en balbutiant que ces pièces étaient encore pour la plupart sous les scellés, chez les accusés ; que l’on ferait procéder à la levée de ceux-ci et qu’en attendant les débats commenceraient. Mais, Jany, j’ai entendu cela bien distinctement de mes deux oreilles ! Je regardais si ce n’était point un songe ; je me demandais si la postérité saurait cela, si elle pourrait le croire ! Eh bien ! tout ce peuple n’a rien senti ; il n’a pas vu l’atrocité d’une pareille conduite, le ridicule de produire un acte dont on ne connaît point les pièces justificatives, la bêtise de prétendre que ces pièces sont chez ceux mêmes contre lesquels l’acte est dressé, et des papiers desquels on n’a point encore fait l’inventaire, la sottise et l’impudence de l’avouer. Le président a dit encore quelques bredouilles sur l’immensité d’autres pièces et la difficulté de les communiquer ; mais cela n’était ni plus juste, ni mieux raisonné. On a fait sortir ensuite tous témoins, pour n’appeler qu’à mesure ceux qu’on veut faire déposer. Mon tour n’est pas venu ; ce sera probablement pour demain. Je ne puis voir dans cette marche que l’intention de tirer avantage des vérités que mon courage doit dire pour trouver moyen de me perdre. Cela n’est pas difficile avec de tels scélérats et mon mépris pour la mort : ainsi peut-être ne nous reverrons-nous plus.

Mon amitié vous lègue le soin de ma mémoire. Si je connaissais quelque chose de plus convenable à la générosité de vos sentiments, trop tard connus, je vous en changerais ; mais non, Jany, pas trop tard : c’est une Providence qui a tout conduit ; en vous appréciant plus tôt, mon affection vous eût enveloppé dans ma disgrâce. Vous disposerez de tout pour le mieux. On peut supposer la chute par une fenêtre, et l’on envoie y regarder ceux qui ne veulent pas y croire. Comme il y a beaucoup d’ouvriers maçons et autres, il est facile d’imaginer qu’un d’eux, ou quelqu’un déguisé comme eux, se glissait à certaine heure sous ma fenêtre dans la cour intérieure et recevait le paquet. Cette idée est même fort bonne, elle a de la vraisemblance. Les Portraits et Anecdotes, et autres morceaux détachés, ne doivent être présentés que comme des matériaux dont je me fusse servie dans un meilleur temps.

[J’aurais désiré que le Portrait que vous savez fût aussi gravé[173] ; mais ce serait peut-être à garder pour joindre au Dernier supplément, celui adressé nommément à Jany[174].] Le petit dépôt [chez Mme  Gch.] n’est point à négliger ; il doit aller avec la masse.

Être appelée en témoignage avant d’être judiciairement accusée m’oblige à une autre marche que celle que j’avais arrêtée quand je vous donnai mon testament, et pour laquelle j’avais fait déjà mes essais ; je boirai donc, puisqu’il le faut, le calice jusqu’à la lie. [Il y aurait pourtant encore un moment à choisir avec des moyens qui me manquent et que j’aurais dû recevoir de l’amitié ! Le malheureux B[uzot] ne supportera pas longtemps un tel coup ; il est perdu, dès qu’il me saura sacrifiée ; il méritait un meilleur sort !

Je trouve, comme vous le jugez, la conduite de L. th. s.[175] abominable. Il est de ces hommes qui sont bons tant que leur médiocrité n’est pas mise à de grandes épreuves, mais que les passions désorganisent et rendent atroces. Ce sont des espèces d’avortons qui ne sont pas faits pour les passions, qui ne sauraient en inspirer, mais qui deviennent capables de fureur et surtout de lâcheté à l’égard de ceux qu’ils voient être plus heureux.]

554

À JANY, À PARIS[176].
[27 octobre 1793, — de Sainte-Pélagie.]

…Je me suis abstenue de faire un article sur lui ; il aurait pu être instructif et long, mais L[anthenas] m’a trop aimée pour que j’en dise du mal, et je le méprise trop pour en dire du bien. Vous auriez vu comment R[oland], tout en jugeant sa médiocrité, s’est trouvé obligé, par une sorte de justice pour son civisme et son amitié, de l’employer dans ses bureaux. Mme  G. [Grandchamp] pourrait vous le dire. Vous verriez combien sa gaucherie, bien autre qu’on ne saurait l’imaginer, y a fait de mal, par un mauvais ordre de travail et un détestable choix de deux ou trois subordonnés ; vous apprendriez quelles scènes son ami a eues avec lui sur tous ces objets. Il est trop vrai, et jamais on ne le sent assez, que la faiblesse de caractère et la rudesse du mode sont des défauts incommensurables chez les gens d’affaires, surtout quand ils se rencontrent, par une sorte de contradiction, dans le même sujet, comme chez L[anthenas].

Eh bien, Jany, j’ai vu cet homme, avant la Révolution, tout occupé d’études intéressantes et solides, doux dans ses mœurs, humain avec affection ; je l’ai vu deux et trois mois de suite à la campagne, chez moi, partageant mes soins pour les malades des villages voisins, soignant les pauvres et goûtant la vie simple avec un cœur qui devait l’être sans doute.

Quant à Coquéau[177], je le connais peu ; il fut, je ne sais par qui, donné à R[oland] pour servir à L[anthenas] d’un second dont il ne pouvait se passer ; je ne le voyais guère, et sa loquacité m’était insupportable, quand, par hasard, je l’entretenais. Je ne pouvais soupçonner qu’il se vantât de traiter d’affaires avec moi ; il n’avait aucune raison pour cela, et ce que vous m’en apprenez m’est tout neuf ; je ne lui ai pas parlé quatre fois. Comme bien des personnes m’envoyaient des demandes de logement au Louvre, je faisais, purement et simplement, passer ces demandes à Coq[uéau] dans le département de qui se trouvait cette partie, et je répondais aux intéressés qu’ils pouvaient voir ou le ministre ou le commis chargé de ces objets, dont je ne me mêlais pas plus que des autres.

R[oland] prenait Coq[uéau] en grippe, par sa discussion ennuyeuse et bavarde ; c’était au point que, L[antHenas] étant passé à la Convention, il chargea Frépoul[178], déjà chef dans une autre partie, de diriger encore Cq. [Coquéau] afin de ne point travailler avec lui, et il aurait fini par le renvoyer.

Mais dans le tourbillon d’affaires, toujours nouvelles et toujours accumulées, les jours fuient comme des heures ; puis, on est si étonné que des gens qui paraissent capables de quelque chose ne soient pas au niveau de leur travail, que l’on craint de faire pis en leur substituant des personnes pour lesquelles on n’a que les mêmes données à peu près, et qui doivent avoir de moins ce que les premières ont déjà acquis par un peu d’usage. Sans contredit, la première qualité de ceux qui occupent de grandes places, c’est un prompt aperçu des mérites des subordonnés qui leur conviennent ; mais il faut voir beaucoup d’hommes pour juger et bien choisir, et, quand on arrive en place en sortant de son cabinet, il faut d’abord mettre du monde à la besogne avant d’avoir eu le temps d’examiner suffisamment. C’est ensuite par l’expérience, que rien ne supplée, qu’on juge et rectifie. Malheureusement, en révolution, le temps manque toujours, et quand un ministre commence à tout voir et tout ordonner, il est renversé.

Les bureaux de R[oland], à quelques défectuosités près, se montèrent supérieurement ; encore trois mois, le rouage eût été parfait[179]. Garat n’eût jamais soutenu ce fardeau du ministère sans les travailleurs que R[oland] avait placés ; il eut la bonne foi d’en convenir, et il déclara même qu’il serait obligé de quitter, si on lui en retirait un seul ; il a tenu parole, sitôt après l’arrestation de Champagneux[180].

Maintenant, Jany, parcourons un peu cet acte d’accusation qui va conduire à mort de nouveaux Sidney, à la suite desquels j’aurai l’honneur de me trouver[181].


555

[À BOSC[182].]
20 (27) octobre 1793, — [de Sainte-Pélagie].

Votre lettre[183], mon cher Bosc[184], m’a fait un bien extrême ; elle me montre votre âme entière et tout votre attachement : l’une et l’autre sont aussi rares à mes yeux que précieuses pour mon cœur. Nous ne différons pourtant pas autant que vous l’imaginez ; nous ne nous sommes pas bien entendus. Je n’avais pas le dessein de partir à ce moment, mais de me procurer le moyen de le faire à celui qui serait devenu convenable. Je voulais rendre hommage à la vérité, comme je sais faire ; puis m’en aller tout juste avant la dernière cérémonie ; je trouvais beau de tromper ainsi les tyrans. J’avais bien remâché ce projet, et je vous jure que ce n’était point la faiblesse qui me l’avait inspiré. Je me porte à merveille ; j’ai la tête aussi saine et le courage aussi vert que jamais. Il est très vrai que le procès actuel m’abreuve d’amertume et m’enflamme d’indignation ; j’ai cru que les fugitifs étaient aussi arrêtés[185]. Il est possible qu’une douleur profonde et l’exaltation de sentiments déjà terribles aient mûri, dans le secret de mon cœur, une résolution que mon esprit a revêtue d’excellents motifs.

Applée en témoignage dans l’affaire, j’ai trouvé que cela modifiait mon allure. J’étais fort décidée à profiter de cette occasion pour arriver au but avec plus de célérité ; je voulais tonner sans réserve, et finir ensuite ; je trouvais que cela même m’autorisait à ne rien taire, et qu’il fallait l’avoir en poche en se rendant à l’audience ; cependant je n’ai pas attendu d’en être pourvue pour soutenir mon caractère. Dans les heures d’attente que j’ai passées au greffe, au milieu de dix personnes, officiers, juges de l’autre section, etc., entendue d’Hébert et de Chabot, qui sont venus dans la pièce voisine, j’ai prié avec autant de force que de liberté. Mon tour pour l’audience n’est pas venu : on devait venir me chercher le second jour ensuite ; le troisième s’achève, et l’on n’a pas paru ; j’ai peur que ces drôles n’aient aperçu que je pourrais faire un épisode intéressant, et qu’il vaut mieux me rejeter après coup.

J’attends avec impatience, et je crains maintenant d’être privée d’avouer mes amis en leur présence. Vous jugez, mon ami, que, dans tous les cas, il faut attendre et non commander la catastrophe ; c’est sur cela seul que nous ne sommes pas complètement d’accord : il me semblait qu’il y avait de la faiblesse à recevoir le coup de grâce quand on pouvait se le donner, et à se prodiguer aux insolentes clameurs d’insensés aussi indignes d’un tel exemple qu’incapables d’en profiter. Nul doute qu’il fallait faire ainsi, il y a trois mois ; mais, aujourd’hui, c’est en pure perte pour la génération ; et quant à la postérité, l’autre résolution, ménagée comme je vous l’exprime, n’est pas d’un moins bon effet.

Vous voyez que vous ne m’aviez pas bien comprise. Examinez donc la chose sous le point de vue où elle m’a frappée ; ce n’est pas du tout celui où vous l’envisagez : je consens à accepter votre détermination quand vous l’aurez ainsi réfléchie. J’abrège pour que vous ayez cette réponse par la même voie ; il me suffit d’indiquer ce que la méditation vous fera développer à loisir.

Ma pauvre[186] petite ! où donc est-elle ? Apprenez-le-moi, je vous prie ; donnez-moi quelques détails, que mon esprit puisse du moins la saisir dans sa situation nouvelle. Touchée de vos soins, vous jugez que je sens aussi l’amertume de toutes ces circonstances. J’apprends que mon beau-frère est en arrestation[187] ; sans doute, le séquestre de ses biens n’est pas levé, et peut-être aura-t-il à craindre la déportation.

Considérez que votre amitié, trouvant très pénibles les soins que je réclamais d’elle, peut aisément vous faire illusion sur ce que vous devez ou pouvez à cet égard : tâchez de penser à la chose, comme si ce n’était ni vous, ni moi, mais deux individus dans nos situations respectives soumis à votre jugement impartial. Voyez ma fermeté, pesez les raisons, calculez froidement, et sentez le peu que vaut la canaille qui se nourrit du spectacle.

Je vous embrasse tendrement. Jany vous dira ce qu’il est possible de tenter un matin ; mais prenez garde de ne pas vous exposer.

556

[À MADAME GODEFROID, À PARIS[188].]
[7 novembre 1793, — de la Conciergerie.]
À la personne chargée du soin de ma fille[189],

Vous devez au malheur, citoyenne, et vous tenez de la confiance un dépôt qui m’est bien cher. Je crois à l’excellence du choix de l’amitié, voilà le fondement de mes espérances sur l’objet des sollicitudes qui rendent pénible ma situation présente.

Le courage fait supporter aisément les maux qui nous sont propres, mais le cœur d’une mère est difficile à calmer sur le sort d’un enfant auquel elle se sent arracher.

Si l’infortune imprime un caractère sacré, qu’il préserve ma chère Eudora, je ne dirai pas des peines semblables à celles que j’éprouve, mais de dangers infiniment plus redoutables a mes yeux ! Qu’elle conserve son innocence, et qu’elle parvienne à remplir un jour, dans la paix et l’obscurité, le devoir touchant d’épouse et de mère. Elle a besoin de s’y préparer par une vie active et réglée, et de joindre au goût des devoirs de son sexe quelques talents dont l’exercice lui sera peut-être nécessaire. Je sais qu’elle a chez vous des moyens pour cela. Vous avez un fils, et je n’ose pas vous dire que cette idée m’a troublée ; mais vous avez aussi une fille et je me suis sentie rassurée. C’est assez dire à une âme sensible, à une mère et à une personne telle que je vous suppose. Mon état produit de fortes affections, il ne comporte pas de longues expressions.

Recevez mes vœux et ma reconnaissance.


La mère d’Eudora.
  1. Le Moniteur du 21 janvier reproduisit la pièce. Elle est aussi dans Girardot, p. 198.
  2. Mém., II, 244.
  3. Pièce publiée par Champagneux, Disc. prélim., p. xi-xxi.
  4. Dès le 20, Madame Roland presse Lanthenas pour en avoir les renseignements nécessaires aux comptes que Roland doit rendre (lettre 520).

    Voir aussi, au ms. 9532, fol. 337, un billet adressé par Roland, le 23 janvier, en quittant le ministère, probablement à Lanthenas : « … J’ai assez discuté ; j’en suis las… »

  5. Le texte imprimé se trouve dans le Moniteur (n° du 26 janvier) ; on le trouvera également dans Girardot, p. 200-206, et au ms. 6243, fol. 262-265.

    Il n’y a, dans la minute, qu’une page (fol. 191) qui soit tout entière de la main de Roland. C’est le brouillon du post-scriptum relatif à l’armoire de fer.

  6. C’est à ce moment, c’est-à-dire entre le 23 janvier et la fin de mars (où Bancal partit pour remplir auprès de Dumouriez cette mission qui devait aboutir à la prison d’Olmütz), que nous avons cru pouvoir placer les trois lettres de Madame Roland à Bancal, au sujet de Mlle  Williams.
  7. « Depuis la sortie du ministère, je m’étais tellement retirée du monde, que je ne voyais presque plus personne. » (Mém., I, 19.)
  8. Cf. l’Almanach des gens de bien pour l’année 1795, p. 42 ; déposition de Mlle  Mignot dans le procès de Madame Roland (Mém., I, 417).

    Ce que dit Madame Roland (Mém., I, 17) ne s’applique qu’à la période du second ministère.

  9. Aulard, Salut public, II, 592. Cf. Patriote français du 1er avril, et C. Desmoulins Hist secrète de la Révolution, éd. Claretie, p. 339.
  10. Voir, dans la Révol. fr. de juillet 1895, notre « Note critique sur les dates de l’execution de Madame Roland et du suicide de Roland. »
  11. Publié par G. Finsler, op. cit ; — ms. 9533, fol. 187 (copie). — Lavater, dans une longue lettre du 28 décembre 1792, que donne M. Finsler et qui se trouve en copie au ms. 9533, fol. 190-193, avait insisté de nouveau pour que Roland fît modifier les lois contre l’émigration et lui avait conseillé, s’il n’y parvenait pas, de quitter le ministère.
  12. Probablement le même portrait que celui envoyé à Servan vingt jours auparavant.
  13. Ms. 9533, fol. 273. — En marge, d’une écriture inconnue : « n° 7 ».

    On voit ici que la rupture est complète et définitive à la date du 20 janvier 1793. Cela nous a permis de placer approximativement à la fin de 1792 les billets sans date qui nous font assister aux phases de cette rupture.

  14. C’est le compte général qui fut présenté à la Convention dans sa séance du 26 janvier (Barrière, II, 429-436).

    On voit que la démission de Roland, envoyée le 22 janvier et lue à la Convention le 23, était arrêtée dès le 20.

  15. Lettres à Bancal, p. 351 ; — ms. 9534, fol. 193-194. janvier 1793, elle obtint de Bancal qu’il voterait contre la mort de Louis XVI. Emprisonnée trois mois durant la Terreur, puis réfugiée en Suisse, elle revint à Paris dès 1795, intimement lié (par un mariage secret ?) avec son compatriote Stone, ami comme celle de la Révolution française. À ce moment, Bancal lui offrit de nouveau sa main (Mège, p. 165), mais sans plus de succès. Elle vécut à Paris jusqu’à sa mort, toujours attachée à la France et à la liberté.

    Cet trois lettres de Madame Roland ne sont pas datées. Elles se placent forcément entre la fin de juillet 1792, où Miss Williams revenait à Paris, et la fin de mars 1793, où Bancal partait pour cette mission auprès de Dumouriez qui devait le conduire dans les prisons de l’Autriche. Nous inclinons à croire qu’il faut les mettre après le moment où Miss Williams avait eu assez d’empire sur Bancal pour déterminer son vote dans le procès du Roi, c’est-à-dire en février ou mars 1793. Mais elles pourraient être aussi des premiers jours d’août 1792.

  16. Cette lettre et les deux suivantes se rapportent au dessein qu’avait Bancal d’épouser une jeune Anglaise, Mlle  Williams.

    Mis Helena-Maria Williams (1769-1827) n’appartenait pas à la famille du célèbre publiciste David Williams. Enthousiaste de notre Révolution, elle était venue en France une première fois en 1790. Une pièce de la collection Picot nous apprend que, l’année suivante, Bancal l’avait vue en Angleterre. Revenue à Paris dans l’été de 1792, elle connut de près tout le monde Girondin, fut reçue chez Roland, chez Petion, etc., et reçut elle-même, dans l’hôtel où elle logeait avec sa mère et sa sœur, bon nombre de députés de la Gironde et de la Plaine. En

  17. Mis Williams venait de perdre son père.
  18. Lettres à Bancal ; — ms. 9534, fol. 191-192.
  19. Si l’on admet, comme cela est vraisemblable, que ce billet se lie à la lettre précédente, il concourt à l’introduction qui nous a fait placer ces lettres en février ou mars 1793, c’est-à-dire après la démission de Roland (22 janvier). Ce n’est pas au ministère que Roland pouvait songer à reprendre ses travaux sur les Arts.
  20. Lettres à Bancal, p. 353 ; — ms. 9534, fol. 189-190.
  21. Ce billet, écrit par Madame Roland le jour de son incarcération à l’Abbaye (voir dans Motimer-Ternaux, Hist. de la Terreur, t. VI, p. 355, copie de l’écrou), a été publié en fac-similé par M. Barrière, dans son édition de 1820 (t. I.), reproduit par M. Faugère (I, 1), puis, en fac-similé, par M. Armand Dayot (Album de la Révolution française, 16e fasc.). – M. Faugère pense qu’il « a dû être adressé à Bosc ou à Champagneux ». M. Armand Dayot croit qu’il est adressé à Buzot ! Cette hypothèse est inadmissible. Quand Madame Roland écrira à Buzot, quelques semaines après, elle lui dira : « Adieu, mon ami ; mon bien-aimé, adieu ! » (Lettres 534, 538, 540, 541) L’accent est tout autre. Avec Champagneux, son aîné de dix ans, elle a un ton plus cérémonieux : « Recevez avec Mme  Champagneux, les affectueux embrassements de celle qui vous honore et vous chérit de tout son cœur ». (Lettre du 27 mai 1791 ; cf. lettres 449, 450, 461, 465.) — La formule employée ici ne peut aller qu’à Lanthenas ou à Bosc. Or, Lanthenas, en juin 1793, était rayé de l’amitié de la prisonnière. Reste Bosc, à qui elle écrit sans cesse en ces termes de fraternelle familiarité : « Je vous embrasse tout rondement, en ami, en patriote » (16 avril 1790). « Adieu ; citoyenne et amie, à la vie et à la mort » (20 décembre 1790). Nous pourrions citer vingt autres exemples de ces formules avec Bosc. D’ailleurs, ce n’est que lui qui avait pu donner de billet à Barrière.

    Des mains de Barrière, l’autographe a passé par diverses ventes :

    1° Vente de la collection Achille Devéria (n° 106), du 7 avril 1858, Aubry, expert. Le catalogue dit simplement : L. ant., 2 p. in-8o.

    2° Vente faite par J. Charavay (n° 1044), le 7 décembre 1865. On est au lendemain des révélations des célèbres lettres à Buzot, aussi le catalogue n’hésite-t-il pas à dire : « Billet à Buzot… ».

    3° Vente de la collection Dubrunfaut (VII° série, Révol. franç., n° 578), 19-21 mars 1855. Ici le catalogue donne encore le nom de Buzot, mais suivi d’un point d’interrogation.

    La pièce appartient aujourd’hui à M. Victorien Sardou.

  22. Bosc, I, 17 ; Faugère, I, 28. — Ms. des Mémoires, Biblioth. nation., 13736, fol. 18. — La lettre originale est au Musée des Archives nationales, vitrine 125, n° 1360. Le passage entre crochets est celui que Madame Roland substitua, sur le conseil de ses amis, Champagneux et Grandpré, à une première rédaction plus longue et plus vive (Mém., I, 31-32).
  23. Sur les circonstances de l’arrestation de Madame Roland, voir ses Mémoires, t. I, page 9-23. Il y eut, en effet, deux ordres d’arrestation, l’un émanant du Comité révolutionnaire central du 31 mai, et dont M. Faugère a publié le texte (t. I, p. 351) ; l’autre, délivré dans la nuit du 31 mai au 1er juin par le Conseil général de la commune de Paris (Tourneux, Procès-verbaux, p. 150).
  24. Il s’appelait Nicoud (Mém., I, 22) ; voir Catalogue Charavay de 1862, p. 47, « Nicoud, membre du conseil de la commune », et p. 180, « Nicoud, commissaire de la commune », les deux pièces sous la date du 4 septembre 1792. Il ne figure cependant ni dans l’Almanach national de 1793, ni dans celui de l’an ii (1793-1794).
  25. Sur l’arrestation manquée et l’évasion de Roland, voir Mémoires, I, 9-13.
  26. Décret du 16-29 novembre 1791.
  27. Roland, ministre démissionnaire, ne pouvait sortir de Paris sans que ses comptes eussent été approuvés par la Convention ; il avait écrit « sept fois en quatre mois » pour en demander l’examen ; il venait d’écrire une huitième fois (P.V.C., 1er juin 1793). — Voir sur cette question le Mémoires, I, 6, 300, etc.
  28. Bosc, I, 20 ; Faugère, I, 32. — Ms. des Mémoires, Bibl. nat., 13736, fol. 21. — C’était Garat qui était ministre de l’Intérieure, et Madame Roland lui demande de transmettre la lettre précédente.
  29. Bosc, I, 24 ; Faugère, I, 37. — Ms. des Mémoires, Bibl. nat., 13736, fol. 24, — La section Beaurepaire, dont faisait partie la maison habitée par Roland, était au cœur du quartier latin. Elle formait, depuis la Seine jusqu’aux jardins de Feuillants, au delà de la rue de l’Estrapade, un long rectangle limité sur les autres côtés par la rue Saint-Jacques et la rue de la Harpe. Elle siégeait aux Mathurins. Roland y était populaire et y avait de l’influence. Il y était « bien vu » (Mém, I, 8). Lorsque, dans la matinée du 11 novembre 1793, on releva son cadavre dans l’avenue du château de Radepont, on trouva sur lui des cartes de sa section.
  30. La section Beaurepaire avait en effet, dans la soirée du 31 mai, « pris sous sa sauvegarde » Roland et sa femme (Tourneux, Procès-verbaux de la commune, p. 150). — Cf., dans le Moniteur du 4 juin, le compte rendu de la séance de la commune du 1er juin, signalant l’attitude de la section ; voir aussi la Chronique de Paris (n° 155) : « La section de Beaurepaire avait pris la citoyenne Roland sous sa protection… ». L’arrestation n’en avait pas moins eu lieu ; mais, le 3 juin, la section avait pris des arrêtés contre les détentions arbitraires (Mém., 43-44 et 395-397).
  31. La section Beaurepaire, sous la pression des députations des sections voisines, contre laquelle elle réclama en vain auprès du Comité de Salut public. (Aulard, IV, 482), finit par plier et ne députa pas à la Convention. — Voir cependant ms. 9533, fol. 289, une pièce curieuse d’où il résulte que, le 11 juin, la section résistait encore.
  32. Madame Roland se réclame ici de la règle salutaire qui prescrit un premier interrogatoire dans les vingt-quatre heures qui suivent l’arrestation (Constitution de 1791, chap. V, art. 11 ; Loi des 16-29 septembre 1791, 2° partie, titre VI, art. 10).
  33. Champagneux (III, 429) a le premier, publié cette lettre. M. Faugère l’a reproduite (I, 324). L’original est au dossier du procès de Madame Roland, aux Archives nationales (W 297, dossier 227, cote 6). De Perret répondit, sur l’autre pli du papier :

    S’il ne faut, vertueuse citoyenne, que de la bonne volonté et le plus intrépide courage pour seconder tous vos amis, qui sont tous les gens de bien, afin de vous délivrer de l’affreuse oppression dans laquelle vous ont réduite vos lâches persécuteurs, comptez sur moi. Je ferai, n’en doutez pas, tout ce que votre âme généreuse ferait pour moi, si, me trouvant à votre place, je réclamais vos bons offices.

    L’audace du crime voudrait vous immoler à sa rage ; mais quand on a, comme vous, le bouclier de la vertu à lui opposer, on ne craint rien ; l’écaille va bientôt sortir des yeux du bon peuple qu’on égare et il saura bien vous dédommager des maux que des scélérats vous font souffrir. Je suis plus que jamais tout à vous, ô respectable citoyenne.

    Votre ami,
    L.D. [Lauze de Perret].

    Comme cette lettre, et les suivantes que nous donnerons également en note, adressées à Madame Roland par de Perret, ont-elles été trouvées dans les papiers de celui-ci lorsqu’on les saisit, le 12 juillet 1793 ? Ce n’était apparemment que les brouillons de ses réponses. La preuve ressort précisément de celui-ci, écrit sur le second plu du billet qu’il venait de recevoir de Madame Roland.

    Toute cette correspondance de Madame Roland et de Lauze de Perret se trouve dispersée dans les éditions de Champagneux et de Faugère avec une étrange confusion. Nous la rétablissons dans l’ordre où elle a eu lieu.

  34. Claude-Romain Lauze de Perret (1747- 1793), député des Bouches-des-Rhône à la Législative, puis à la Convention, un des adversaires les plus résolus de la Montagne, mais des plus imprudents. C’est avec lui que Barbaroux, en juin 1793, aussitôt qu’il eut quitté Paris pour Évreux et Caen, entama une correspondance que de Perret ne sut pas détruire ; c’est à lui qu’en juillet il adressa Charlotte Corday. Mais, dès le 12 juillet, pendant que de Perret conduisait Mlle  Corday au ministère de l’Intérieur, les scellés étaient mis sur ses papiers, en raison des soupçons qu’on avait de sa correspondance avec les députés fugitifs. C’est là qu’on trouva, non seulement les lettres de Barbaroux, mais aussi celles de Madame Roland, qui permirent de la condamner.

    De Perret fut décrété d’accusation le 15 juillet, le surlendemain de l’assassinat de Marat, et incarcéré à l’Abbaye. Compris de nouveau dans le décret d’accusation du 3 octobre, transféré à la Conciergerie le 6, il fut conduit à l’échafaud le 31, avec les Vingt et un.

  35. Bosc, I, 29 ; Faugère, I, 44. — Ms. des Mémoires, Bibl. nat., 13736, fol. 28. — Le ministre de la Justice était alors Gohier, depuis le 20 mars 1793.
  36. Faugère a imprimé « mes devoirs ». C’est un lapsus évident.
  37. Décret du 23 novembre 1792 (Duvergier, V, 68) et Moniteur du 25. Nous n’avons pas trouvé de décret de date plus récente.
  38. Madame Roland avait d’abord écrit : « Mais vous, placé entre la loi et le déshonneur, il faut quitter votre place ou la remplir, ou avouer l’infamie dont la postérité couvrira la faiblesse de vos pareils. » Sur le conseil de Grandpré, l’inspecteur des prisons qui s’intéressait à elle, elle adoucit ce passage (Mém., I, 45-45).
  39. Bosc, I, 29 ; Faugère, I, 45. — Ms. des Mémoires, fol. 28 v°.
  40. C’est par Champagneux, resté chef de division à l’Intérieur sous Garat comme il l’avait été sous Roland, et qui n’en venait pas moins visiter assidûment la prisonnière, qu’elle était informée des timides démarches tentées par Garat en sa faveur.
  41. Bosc, I, 32 ; Faugère, I, 49 ; — Ms. des Mémoires, fol. 32 ; ms. 9533, fol. 290-291, copie. À cette copie, faite sur l’original avec un soin particulier, sont jointes des annotation intéressantes de Dulaure, que nous reproduisons.

    Il est probable que c’est Dulaure, dont Bosc demeura toujours l’ami, qui lui donna cette pièce pour son édition de 1795 ; de Bosc elle aurait passé à Barrière, et de là dans les ventes, où nous la voyons figurer dès 1885 (no 413 de la vente faure par J. Charavay, le 5 février 1855 et jours suivants, collection Amant, l’acteur).

    Voir Mémoires, I, 49 : « J’écrivis à Dulaure, rédacteur du Thermomètre du jour, homme estimable, que j’ai vu jusqu’au moment où la Montagne le séduisit ». Et en note : « J’ai appris depuis que les derniers excès de la Montagne l’avaient éclairé et ramené ».

    Nous avon marqué, dans l’Avertissement de l’année 1792, l’origine des rapports de Dulaure avec les Roland. On va voir qu’en juin 1793 il fut un de leurs rares fidèles. Oublié dans la proscription du 3 octobre suivant, il fut décrété d’accusation le 20 octobre, mais il avait déjà pu fuir.

  42. Dulaure a écrit en note : « La citoyenne Roland aurait dû penser qu’il ne m’était pas permis de rien changer à l’interrogatoire de Philippe d’Orléans, quelque absurde, quelque incohérent qu’il me paraisse. »
  43. Ici Dulaure a écrit en marge, puis biffé, huit ou dix lignes racontant l’arrestation de Madame Roland ; c’est presque mot pour mot ce qu’elle écrivait dans ses Mémoires à ce moment-là (I, 23) ; il est donc probable qu’elle lui avait fait passer une note.
  44. Voir Moniteur du 8 juin, séance du 7 : « Duperret : « Il y a plusieurs jours que le ministre de l’Intérieur a fait passer à la Convention les réclamations d’une citoyenne enlevée de vive force de son asile et transférée dans les prisons de l’Abbaye. Mais la lettre n’a pas été lue. Cette personne est la citoyenne Roland (On murmure) ». – On observe que cet objet n’est pas du ressort de la Convention. — L’Assemblée passe à l’ordre du jour. »
  45. Ibid. Collot-d’Herbois, Thuriot, Legendre avaient protesté contre les arrestations arbitraires faites à Marseille.
  46. Dulaure, en publiant cette lettre, ajoute : « Je donnerai demain la lettre de la citoyenne Roland à la Convention nationale et celle qu’elle adresse au ministre de l’Intérieur. »
  47. C’est, en effet, Buzot, qui, au cours du procès de Louis XVI, le 16 décembre 1792, soutenu par Louvet et Lanjuinais, mais combattu par une partie de la Montagne, avait demandé, sans succès d’ailleurs, le bannissement de Philippe d’Orléans et de sa famille.
  48. Souvenirs de Sophie Grandchamp, ms. 9533, fol. 304.

    Il y avait alors depuis plusieurs mois brouille entre les deux amies. Cette lettre y mit fin. On verra plus loin : 1° que Sophie Grandchamp alla voir plusieurs fois la prisonnière ; 2° qu’elle reçut en dépôt une partie des cahiers des Mémoires.

  49. Cette lettre, à laquelle Champagneux fait allusion (Disc. prélim., p. xlii), a été publiée pour la première fois, en 1823, dans les Mémoires de Buzot, p. 107 ; Sainte-Beuve (Introduction aux Lettres à Bancal, p. xlii) en cita quelques lignes.

    La copie autographe que Madame Roland envoya à Buzot (comme on le verra par la lettre suivante) s’est retrouvée avec les papiers saisis à Saint-Émilion en juin 1794, vendus au libraire France en 1863, cédés par lui à l’éditeur Plon, et finalement achetés par la Bibliothèque nationale (ms. n.A. fr., n° 1730). C’est ce texte qu’a reproduit (inexactement, d’ailleurs) M. Dauban, d’abord dans son Étude sur Madame Roland, p. 25-26 (1864), — et cependant il donnait le fac-similé en regard de son texte ! — puis dans son édition des Mémoires de Buzot, p. 81 (1866), tandis que M. Faugère (Mém., I, 203) reproduisait le texte de 1823.

    Nous avons collationné sur l’autographe de la Bibliothèque.

    L’article d’Hébert que Madame Roland avait entendu crier sous les fenêtres de sa prison est au n° 248 du Père Duchesne (cité par Dauban, Étude, ccviii-ccx).

  50. Dans la séance du 27 mai 1793, Garat était intervenu pour défendre Hébert arrêté sur l’ordre de la commission des Douze.
  51. Publié, avec fac-similé, par M. Dauban (Étude sur Madame Roland, 1864, p. 16-23). — Bibl. nat., ms. n. A. fr., n° 1730.
  52. Les lettres que Buzot, qui avait quitté Paris le 2 juin, lui avait écrites de Caen le 15 et le 17 juin, en les faisant passer par de Perret, qui les avait remises à Petion, lequel les avait confiées à Mme  Goussard, qui parvint jusqu’à la prisonnière. — Cf. Mém., I, 203-204. — Nous allons parler plus loin de Mme  Goussard.
  53. Mme  Chollet. L’amie de Louvet, Marguerite Denuelle, mariée à un sieur Chollet, avait divorcé avec lui en septembre ou octobre 1792 ; Louvet et elle allaient quitter Paris le 24 juin (Mém. de Louvet, éd. Aulard, I, 101), pour se réfugier à Évreux, puis à Caen. Nous la retrouverons plus loin.
  54. À Évreux. — L’ami d’enfance de Buzot, Jérôme Le Tellier, qui avait été le premier maire constitutionnel d’Évreux, était le confident du secret de Madame Roland et de Buzot, et le dépositaire des papiers intimes de celui-ci. Mis en arrestation le 30 septembre 1793, il se tua dans sa prison le 3 janvier 1794.
  55. Buzot était arrivé le 4 juin à Évreux, qu’il avait insurgé contre la Convention.
  56. Le décret d’accusation contre Buzot est du 13 juin.
  57. Lavacquerie, ou plus exactement De-lavacquerie (Tuetey, IV, passim) ; sur ses égards pour la prisonnière, voir les Mémoires, I, 26, 205.
  58. Angélique-Françoise Desilles, sœur du héros de Nancy, épouse de Jean-Roland Desclos de la Fonchais, émigré, fut condamnée à mort et exécutée le 18 juin, comme complice de la conspiration de Bretagne (Wallon, Trib. révol., I, 170-181).
  59. Cf. sur Shaftesbury (1674-1713), l’auteur déiste des Recherches sur la vertu, les Mém., I, 212. Nous avons parlé ailleurs des autres auteurs favoris de Madame Roland. – Sur Tacite, qu’elle lisait dans la traduction italienne de Davazanti, voir note du 1er novembre 1790.
  60. C’est la lettre précédente.
  61. La dernière réclamation de Roland, pour obtenir l’apurement de ses comptes, avait été lue à la séance de la Convention du 1er juin (voir Moniteur du 3).
  62. Marie-Marguerite Fleury. — Voir Mémoires, I, 33 et Appendice T.
  63. Les Creuzé-Latouche demeuraient rue Hautefeuille, n° 11, à deux pas du logis des Roland. — C’est Bosc qui, dès le 1er juin, leur avait conduit l’enfant.
  64. Nous connaissons un de ces deux asiles ; c’est l’humble maison de Sainte-Radegonde, au milieu de la forêt de Montmorency, que Bancal avait achetée l’année précédente, et dont Bosc avait l’administration. Il y conduisit Roland dès le 1er juin et l’y garda plusieurs jours (A. Rey, Le naturaliste Bosc, p. 26). – Nous ne savons rien sur l’autre retraite.
  65. À rouen, chez les demoiselles Malortie, rue aux Ours. — On voit ici que Roland n’y arriva pas le 24 juin, comme le dit Champagneux (Disc. prélim., lxxxiii). Il devait y être depuis le 20 au plus tard.
  66. Mme  Goussard (voir sur elle Mém., I, 203-204) était la voisine et l’amie de Petion. Son mari était un ami d’enfance de Brissot (Mém. de Brissot, I, 87-88, IV, 431). C’est grâce à leur dévouement que Petion, mis en état d’arrestation chez lui le 2 juin, put s’évader le 23 et sortir de Paris le 25 (voir Mém. de Petion, éd. Dauban, passim).

    Une note manuscrite du commencement de ce siècle, conservée à la bibliothèque de Chartres, et dont nous devons la communication à M. Merlet, archiviste d’Eure-et-Loir, nous permet de réunir sur Goussard et sa femme des renseignements très précis : Alexandre Goussard était né à Dreux, de Jean-Baptiste Goussard, instituteur à Dreux, et d’Élisabeth Trespereau. Il fut successivement avocat à Paris, électeur de Paris en 178, membre de la commune provisoire du 18 septembre (Robiquet, p. 47, 75, 214), et déjà attaché à la Chambre des comptes (ibid), puis commissaire du Roi au tribunal d’Évreux, premier commis-chef de division au ministère des contributions publiques (Alm. nat. de 1793, p. 135), agent national commissaire de la comptabilité (Alm. nat. de l’an iv, p. 131 ; M. Dauban, Mém. de Petion, 131, dit : « Directeur de la comptabilité commerciale »), puis, sous l’Empire et la Restauration, conseiller-maître des Comptes, chevalier de la Légion d’honneur, etc. Il a publié divers ouvrages sur des questions de comptabilité ou de finances.

    Sa femme (Marie-Anne-Victoire Goussier) était fille de Louis-Jacques Goussier, ingénieur à Paris.

  67. Cette lettre du 15 est celle que Barbaroux avait fait passer ce jour-là à de Perret : « Je te remets ci-joint une lettre que nous écrivons à cette estimable citoyenne » (lettre de Barbaroux à de Perret, de Caen, 15 juin 1793). La lettre du 17, mentionnée un peu plus loin, avait été transmise par Barbaroux à de Perret le 18. « Je te prie de remettre la lettre ci-incluse. » (Ibid., 18 juin.)
  68. C’est Grandpré. — Voir sur lui Mém., I, 27, 31, 37, 44, 103-104, 218, 223. 226. — Cf. lettre 492. — Voir aussi Mém. de Beugnot ; Dauban ; les Prisons de Paris pendant la Terreur, p. 177, 294 ; Wallon, Trib. révol, III, 75 ; Tourneux, 3254 et 6218. — Madame Roland dit « un ancien avocat ». Est-ce « Le Moyne de Granpré, avocat au Parlement depuis 1751, demeurant en 1789 quai de Bourbon, ile Saint-Louis » (Alm. royal) ? On verra plus loin qu’en 1793 il habitait avec Sophie Grandchamp.
  69. Gorsas (1752-1793), le journaliste bien connu, député de Seine-et-Oise à la Convention, avait été décrété d’arrestation le 2 juin, mais s’était dérobé. Le 9 juin, il était arrivé à Caen et y avait aussitôt repris son rôle de journaliste (Bulletin des autorités constituées à Caen, 8 nos, Hatin, p. 240 ; cf. appendice aux Mém. de Meillan, éd. Barrière, p. 241-270). Mis hors la loi le 28 juillet, découvert à Paris le 7 octobre, il fut guillotiné le même jour.

    On voit que, parmi les « imprimés » que Madame Roland envoyait à Gorsas, se trouvait l’immonde n° 248 d’Hébert.

  70. La section de l’Unité, dans laquelle se trouvait l’Abbaye.
  71. Jean-Baptiste-Auguste-Aimé Janson, 45 ans électeur de la section (Alm. nat. de 1793, p. 374).
  72. Champagneux, III, 434 ; — Faugère, I, 131 ; — Archives nationales, W 294, dossier 227, cote 1. — Nous suivons le texte de l’autographe des Archives.
  73. En publiant la lettre du 9 juin, Dulaure avait embarrassé la commune de Paris. Aussi, trois jours après, le 12 juin, Madame Roland vit-elle arriver Louvet, membre de la commune, administrateur de police, pour procéder enfin à son interrogatoire. Champagneux a publié (III, 387-391) le texte du procès-verbal officiel. Mais Madame Roland tint à en rédiger un de son côté et l’envoya à Dulaure, qui le donna dans son journal (nos des 21 et 22 juin), en le faisant précéder des lignes suivantes : « Je me fais un devoir religieux, quelles que soient les préventions publiques, d’offrir aux personnes accusées un moyen de répandre leur justification. C’est ce qui me détermine à publier ici l’interrogatoire de la citoyenne Roland. Il n’y a que les lâches ou des hommes sans équité qui puissent blâmer cette conduite. Dulaure. »

    On voit que Madame Roland envoie ici à de Perret soit le journal de Dulaure, soit une copie manuscrite.

    Bosc (II, 103-106) et Faugère (I, 126-130) ont donné cet « interrogatoire de Madame Roland, écrit par elle-même. »

  74. Brissot. — Décrété d’arrestation le 2 juin, il s’était enfui pour passer en Suisse, avait été reconnu et arrêté à Moulins le 10 juin (voir le procès-verbal de son arrestation dans Dauban, Mém. de Petion p. 539-542) et, dès le 13, la Convention en était informée (Moniteur du 14). Le 22 juin, le Comité de Saint public, avisé que l’escorte qui le conduisait à Paris venait d’arriver à Villejuif, ordonnait qu’il serait conduit à la Mairie. Mais dès le lendemain, la Convention l’ayant décrété d’accusation, il était écroué à l’Abbaye (23 juin). Voir Aulard, Salut public, t. V, 44, 153, 578. Le 6 octobre, il fut transféré à la Conciergerie, condamné le 30 et exécuté le 31.
  75. Champagneux, III, 435 ; — Faugère, I, 324 ; — Archives nationales, W 294, dossier 227, cote 2.
  76. M. A. Rey (Le naturaliste Bosc, p. 27) a retrouvé aux Archives de la préfecture de police (n° 342) et publié cet ordre d’élargissement signé Jobert et Chargeant Godard de l’exécution.
  77. Nous avons dit que Roland était à Rouen. Mais on semblait persuadé, à Paris qu’il était à Lyon, soulevant la ville. Déjà, le 24 juin, quand les commissaires de la section de Beaurepaire étaient allés à la Mairie réclamer contre la seconde arrestation de Madame Roland, les administrateurs de la police, Louvel et Jobert, avaient répondu que le nouveau mandat d’arrêt était « valable et nécessaire » : 1° … 2° « parce que l’ex-ministre Roland est maintenant dans la ville de Lyon, qui est en pleine insurrection ». (Procès-verbal dressé par la section de Beaurepaire, cité par Faugère, Mém., I, 395-398.) L’erreur était générale. — Voir rapport de Saint-Just à la Convention, le 8 juillet ; — lettre des représentants à l’armée des Alpes, Dubois-Crancé, Gauthier et Nioche au Comité de Salut public, du 16 juillet (Aulard, V, 276-279) ; – article d’Aristide Valcour, dans le Journal de la Montagne, du 25 juillet, cité par Vatel, II, 359 ; — rapport d’Amar à la Convention, du 3 octobre. — Cf. les démentis de Madame Roland, Mém., I, 194, 222-223, 236.
  78. Sur le Bureau d’esprit public, tant reproché à Roland, voir la réponse de sa femme, Mém., I, 122-125.
  79. Champagneux a reproduit encore deux fois cette lettre, t. II, p. 195, et t. III, p. 395.
  80. C’est la lettre ci-après, du 4 juillet, n° 539.
  81. Cette lettre est évidemment une réponse à la lettre précédente de Lauze de Perret. Publiée par champagneux, III, 433, reproduite par Faugère, I, 324, elle se trouve en original aux Archives, dossier déjà cité, cote 3.
  82. Il s’agit probablement de Barbaroux. — « Je te fais encore passer, mon cher ami, une demi-douzaine d’exemplaire de mon Adresse aux Marseillais…  » (Lettre de Barbaroux à de Perret, datée de Caen, du 25 juin 1793, publié par Champagneux, III, 426-427.)
  83. Publié en 1864, avec fac-similé, par M. Dauban (Étude sur Madame Roland, p. 27-31). Bibl. nat., ms. n.A.fr., n° 1730.
  84. Roland.
  85. Probablement Louvet et Guadet. Louvet et son amie avaient quitté Paris le 24 juin, étaient arrivés à Évreux le 25, y avaient trouvé Guadet venant de Paris à Pied. Le lendemain, 26, Louvet et Guadet arrivaient ensemble à Caen (Mém. de Louvet, éd. Aulard, I, 101-102).
  86. Cf. Mém., I, 209-232.
  87. Tout nous porte à croire que cette personne était Mme  de Vouglans (Henriette Cannet), venue d’Amiens, qui est, en effet, à 30 lieues (133 kilomètres) de Paris. — Cf. la lettre suivante, et Mém., II, 248. — Voir aussi Appendice A.
  88. Nous avons dit que Brissot fut écroué à l’Abbaye le 23 juin, et que Madame Roland en sortit le 24.
  89. Chabot.
  90. Madame Roland en envoya aussi une copie à Dulaure, en ajoutant en note, sur la phrase où Chabot et Ingrand ajournaient l’examen de son affaire après le vote de la Constitution : « Comme si le premier appui, le plus sût garant d’une Constitution n’était pas la justice ! Comme s’il était permis à des législateurs de se jouer de la liberté, de la réputation des citoyens, et de renvoyer légèrement à une époque indéterminée le soin de reconnaître leurs droits ou de leur assurer la jouissance ! Mais, sans doute, ce n’est pas à ceux qui les violent d’avouer leur propre tort. Que ce soit donc le public qui les juge et les redresse  » Dulaure publia la pièce, mais en supprimant ces observations. (Ms. 9533, fol. 291, copie)
  91. À la suite d’une insulte faite à Léonard Bourdon, à Orléans (15 mars), treize personnes de cette ville avaient été traduites devant le tribunal révolutionnaire ; leur procès dura du 28 juin au 12 juillet ; neuf furent condamnées à mort (Wallon, Trib. révol, I, 181-186).
  92. Publié deux fois par Champagneux (Disc. prélim., p. liv, et plus complète, t. II, p 194-195). — M. Faugère (I, 232) a donné le moins complet des deux textes.
  93. Nous avons signalé les efforts qu’avaient faits, le 24 juin, les commissaires de la section Beaurepaire, pour s’opposer à la seconde arrestation de Madame Roland. On en verra le détail dans le procès-verbal qu’ils firent dresser, et qui a été publié par M. Faugère, I, 395-398. L’original, après avoir passé par plusieurs ventes, appartenait au regretté M. Étienne Charavay et a figuré à la vente de sa collection, troisième vente, no 968, 17-18 mai 1901.
  94. Publiée en 1864, en fac-similé, par M. Dauban (Étude sur Madame Roland; p. 33-36). — Ms. 1730.
  95. Vallée. Jacques-Nicolas Vallée (1754-1828), député de l’Eure à la Convention, fut, en juin et juillet 1793, un des intermédiaires les plus actifs entre les Girondins réfugiés à Caen et leurs collègues détenus à Paris (voir les lettres de Barbaroux à de Perret, publiées par Champagneux, III, 413-429). C’est chez son frère, curé constitutionnel du Vieil-Évreux, que Buzot s’était arrêté le 3 juin, en quittant Paris. — Vallée fut décrété d’arrestation le 30 juillet, d’accusation le 3 octobre, parvint à s’échapper et fut rappelé à la Convention le 25 ventôse an iii (15 mars 1795).
  96. Mém., I, 217 : « Je savais Roland dans une retraite paisible et sûre, recevant les consolations et les soins de l’amitié. » Cf. plus haut, page 484, note 4.
  97. Cf. page 494, note 2.
  98. Les Vingt-Deux et les Douze, ceux-ci réduits à dix, par la radiation de Fonfrède et de Saint-Martin. C’est pourquoi l’on disait « les Trente-deux ». Ils n’étaient même que 31, Rabaut-Saint-Étienne figurant sur les deux listes (Wallon, I, 354-356).
  99. Chabot. — Voir plus haut (lettre 536) sa lettre du 1er juillet à Garat.
  100. M. Dauban a imprimé ici : L’organisation nouvelle des finances. Mais, dans le fac-similé qu’il publie lui-même, il est impossible de lire « organisation ». Il y a « l’éducat nle les … » Notre lecture concorde d’ailleurs avec les termes même de la lettre de Chabot et d’Ingrand.

    De même, M. Dauban, par une méprise que M. Faugère a relevée, a traduit, trois lignes plus loin « on a battu la caisse des 5 h. » par « la caisse des grands jours », au lieu de lire tout simplement « dès 5 heures ».

  101. Le portrait de Buzot est sans doute celui que M. Vatel a retrouvé en mars 1863, et qui est aujourd’hui à la bibliothèque municipale de Versailles. C’est un médaillon, de sept centimètres de diamètres, derrière lequel Madame Roland a écrit une notice sur Buzot. On verra plus loin (lettres 551 et 553) qu’à la fin d’octobre, à l’approche de la mort, la prisonnière le confia à Mentelle.
  102. Publiée en 1864, en fac-similé, par M. Dauban (Étude sur Madame Roland, p. 39-50). — Bibl. nat. ms. n. A. fr., n° 1730.
  103. « Le bon ange » et un peu plus loin « la mère d’Adèle » est Mme  Goussard. Elle avait quitté Paris pour accompagner Mme  Petion allant rejoindre son mari en Normandie (voir Mém. de Petion, éd. Dauban p. 162-163).

    Sa sœur était cette lingère de la rue Croix-des-petits-Champs, qui, du 23 au 25 juin, cacha trois jours Pétion dans sa chambre (ibid, 128-133).

  104. Delacroix, député d’Eure-et-Loir, l’ami de Danton.
  105. Lauze de Perret.
  106. On pourrait induire de ce passage que les lettres de Buzot de 15 et 17 juin, apportées à Madame Roland le 22, par Mme  Goussard, ne seraient pas celles qui, transmises par Barbaroux à de Peret, auraient été remises par celui-ci à Petion, et par Petion à Mme  Goussard (voir page 481, note 2). Mais il nous semble que Madame Roland doit se tromper ici.
  107. Dans le compte de tutelle rendu par Bosc, en 1796, à Eudora Roland (ms. 9533, fol. 135-138), on lit : « Loyer à la citoyenne Cauchois, 1,108 livres ; — remboursement à la même, 800 livres ».
  108. Le domaine de Villeron, au district de Gonesse, comprenant 45 arpents (environ 15 hectares), d’un revenu de 1,532 livres, acheté par Roland le 13 mars 1793 (A. Rey, Bosc, p. 20 et 46).
  109. Cf. Mém., I, 210.
  110. Bouchot, que Madame Roland, dans se Mémoires, appelle Bouchaud.
  111. Mém., I, 218 : « le fidèle Bosc qui m’apportait des fleurs du Jardin des Plantes, dont les formes aimables, les couleurs brillantes et les doux parfums embellissaient mon obscur réduit… »
  112. C’est le 25 juin que Marguerite Denuelle avait quitté Louvet à Évreux, pour revenir à Paris réaliser des ressources (Mém. de Louvet, I, 129) et rejoindre son ami à Vire, dans les premiers jours d’août.
  113. Cf. Mém., I, 251.
  114. Ms. 9533, fol. 222-223. — Cette lettre a fait partie de la vente du libraire France, des 12 et 13 février 1864, mais le libraire-expert, trompé par les déguisements auxquels recourt ici Madame Roland, avait cru que la lettre était adressée à un négociant, mari de Sophie Cannet ! (Voir son Catalogue, n° 396.) C’est M. Faugère (ms. 9533, fol. 221) qui a reconnu que la lettre s’adressait à Buzot.

    Par suite de cette méprise de l’expert de 1864, la lettre n’entra pas alors à la Bibliothèque. Elle fut achetée par M. Faugère, et c’est dans ses papiers qu’elle est arrivée à la Bibliothèque nationale, en avril 1899.

  115. Buzot et ses compagnons, à l’approche des troupes victorieuses de la Convention avaient quitté Caen le 28 juillet, et s’étaient réfugiés en Bretagne, près de Quimper. Le 20 août, neuf d’entre eux s’embarquèrent pour Bordeaux. Mais Buzot, Barbaroux, Petion, Guadet, Louvet, etc., ne se décidèrent à partir pour la même destination que le 20 septembre, après avoir délibéré s’ils ne se rendraient pas plutôt aux États-Unis. C’est ce dernier parti que va recommander Madame Roland, en termes couverts dont le sens reste assez visible. C’était le plus sûr, et d’ailleurs elle avait toujours songé à l’Amérique (voir lettres 550 et 551).
  116. Roland, caché à Rouen, chez les demoiselles Malortie. Il avait entrepris, lui aussi, d’écrire ses Mémoires, et il y exhalait son ressentiment contre Buzot. Madame Roland, qui restait en communication secrète avec lui, obtint qu’il brûlât le tout. Cf. lettre 551 à Jany.
  117. Ses Mémoires. Voir, sur la destruction des premiers cahiers dans les premiers jours d’août, à la suite de l’arrestation de Champagneux, et l’activité qu’elle mit à les refaire, notre « Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland » dans la Révolution française de mars et avril 1897.
  118. Nous inclinerions à croire que expression désigne Mme  Petion, emprisonnée à Sainte-Pélagie depuis le 9 août.
  119. Nous ne savons qui est Joséphine. Mais « la petite Boufflers » désigne certainement la sœur Sainte-Agathe, qui, sortie de son couvent par suite de la Révolution, était venue habiter autour de Sainte-Pélagie et voyait la prisonnière. — Voir appendice U.
  120. Publiée en partie par Mlle  Clarisse Bader dans le Correspondant du 10 juillet 1892. — Nous donnons le texte complet, d’après une copie que Mlle  Bader a bien voulu nous envoyer.

    Il y en a une copie au ms. 9533, fol. 224-225.

    L’original, provenant des papiers de Barrière, a fait partie du cabinet de M. Noël Charavay.

  121. X… désigne Montané, ancien président du « tribunal criminel extraordinaire ».

    Jacques-Bernard-Marie Montané, juge de paix à Toulouse, ami du représentant Delmas (député de la Haute-Garonne), avait été élu, le 13 mars 1793, président du redoutable tribunal institué le 10 (P.V.C.). À la suite de deux irrégularités commises par humanité (Wallon, I, 263-264), il avait été renvoyé lui-même devant le tribunal et incarcéré à la Force (30 juillet). Mais Fouquier-Tinville, qui lui avait quelques obligations, s’arrangea pour l’oublier dans sa prison, d’où il sortit après le 9 thermidor.


    Sa femme, Toulousaine comme lui, et cousine germaine de Bonnecarrère (l’ancien factotum de Dumouriez), avait été incarcérée en même temps que lui, « par mesure de sûreté », mais à Sainte-Pélagie (Mém., I, 184-185).

  122. Armand-Louis de Gontaut-Biron, d’abord duc de lanzun, puis duc de Biron, député de la noblesse du Quercy à la Constituante, général d’armée en 1792 et 1793, destitué le 11 juillet, et aussitôt incarcéré, comparut devant le tribunal révolutionnaire les 29 et 30 décembre et fut exécuté le lendemain (Wallon, II, 302-304). M. Wallon dit qu’il avait été emprisonné à l’Abbaye ; on voit ici qu’en septembre il était à Sainte-Pélagie.
  123. Ces lignes d’introduction sont de Madame Roland.
  124. Nous ignorons le nom de cette dernière consolatrice de Lauzun.
  125. Mlle  Raucourt. À la suite des incidents survenus le 2 septembre au Théâtre-Français pendant la représentation de Paméla, le Comité de Salut public, avait ordonné, et la Convention avait ratifié (P.V.C., 3 septembre), que les comédiens du Théâtre-Français seraient mis en état d’arrestation dans une maison de sûreté. Les acteurs avaient été envoyés aux Madelonnettes et à Port-Libre ; les actrices, parmi lesquelles Mlle  Contat, Raucourt, etc., à Sainte-Pélagie. Madame Roland a raconté (Mém., II, 102-103) la joyeuse façon dont elles s’y installèrent.
  126. « Née à Toulouse, elle a toute la vivacité du climat ardent sous lequel elle a vu le jour. » (Mém., I, 184.)
  127. Voir Mém., II, 231.
  128. Mme  Montané, Mme  Petion, amenée à Sainte-Pélagie depuis le 9 août, et une troisième, dont nous ignorons le nom, femme d’un juge de paix(Mém., I, 232).
  129. Probablement quelque allusion au titre sous lequel Champagneux, prisonnier à la Force, aurait trouvé le moyen de correspondre secrètement avec elle.
  130. Publiée pour la première fois par M. Barrière (II, 235) ; Faugère, I, 235. — Sous l’administration de Roland et de Garat, c’était Champagneux, premier commis de la première division, qui avait dans son service « le régime administratif des prisons » (Alm. nat. de 1793, p. 129). Après l’arrestation de Champagneux et la retraite de Garat (15 août), remplacé par Paré, les bureaux restèrent les mêmes, ainsi qu’on le voit par l’Alm. nat., de l’an ii, p. 136-138, sauf que Lanthenas se trouve remplacé par Bayard à la 3e division, et Champagneux à la première par « le citoyen Alexandre Ronsselin », lisez Rousselin.

    Il semble donc que ce soit à ce personnage de vingt ans, Alexandre-Charles-Omer Rousselin-Corbeau dit de Saint-Albin (1773-1847), le jeune protégé de Danton, le futur rédacteur du Constitutionnel et des Mémoires de Barras, que Madame Roland s’adressait.

  131. C’est dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1793 que le Comité de Défense générale avait décidé de faire apposer les scellés « sur les papiers du citoyen Roland, ministre de l’Intérieur. » (Aulard, Recueil des actes du Comité de Salut public, II, 592) et dans la séance du 7 avril que la Convention, à la requête de Roland, avait autorisé la levée des scellés (P.V.C., 7 avril).
  132. La Loi suspects est précisément du 17 septembre.

    Le post-scriptum a été évidemment ajouté à la minute ou à la copie, après l’envoi de lettre.

  133. Publiée pour la première fois par Barrière (II, 247) ; réimprimée par Dauban, Étude, p. ccxxv, et par Faugère, II, 265. — Il y en a une copie au ms. 9533, fol. 226-227. Faugère a bien vu que ce « samedi » doit être le 28 septembre 1793. Cette « pauvre compagne » que Madame Roland a dû préparer à un coup cruel, c’est Mme  Petion, dont la mère, Mme  Lefebvre, venait d’être condamnée et exécutée le 24 septembre (Wallon, Tribun. révol., II, 191, 479). On connaît la page indignée des Mémoires (I, 188) où Madame Roland, à cette date même du 24 septembre, enregistre cette condamnation. Nous disons 24 septembre, bien que ce passage des Mémoires, dans l’édition de Bosc, soit daté du 23 septembre, et que M. Dauban (p. 385) ait reproduit cette petite erreur. Mais il y a bien 24 septembre au manuscrit, et l’édition Faugère est ici, comme d’ordinaire, la plus exacte. D’ailleurs, comment Madame Roland aurait-elle pu mentionner le 23 une condamnation qui n’est que du 24 ?
  134. Nous croyons avoir établi dans notre travail sur « Jany, le dernier correspondant de Madame Roland » (Révolution française des 14 janvier et 14 février 1896) que Jany n’est autre que le géographe et historien Edme Mentelle, ami de Brissot. — Voir, sur lui, notre Appendice S.
  135. Brissot
  136. Voir P.V.C, XXI p. 248, séance du 26 septembre. Faure (de la Haute-Loire) avait proposé, pour accélérer l’action du tribunal révolutionnaire, diverses dispositions, dont la principale portait que, après les débats, « il ne serait fait aucun discours de défense générale de la part du défenseur ». — Cf. Mém., I, 197-198 : « 26 septembre. Le décret qui ordonne de présenter le lendemain l’acte d’accusation de Brissot est rendu dans la même séance où l’on propose d’abréger les formes des jugements du tribunal révolutionnaire, etc. ».
  137. On a cru jusqu’ici que ces lettres désignaient Mme  Champagneux ; c’est une erreur, Mme  Champagneux, qui était à Bourgoin au moment de l’arrestation de son mari, en août, était accourue aussitôt à Paris, mais pour y tomber malade, d’une maladie « qui la tint trois mois aux portes du tombeau » (Papiers Roland, n° 6241, fol. 165). Elle n’aurait donc guère été en état, fin septembre, de recevoir Jany, et c’est en d’autres termes du moins que Madame Roland aurait demandé de ses nouvelles. Une raison plus décisive encore, c’est que l’initale G. ne saurait, en aucune manière, correspondre aux prénoms d’Ursule-Adélaïde Brottin, femme de Luc-Antoine-Donin de Rosière de Champagneux. « Mme  G. Chp. » n’est autre que Sophie Grandchamp, ainsi que nous l’avons surabondamment établi ailleurs.
  138. Probablement le roman anglais de Miss Élisabeth Griffith, intitulé Histoire de lady Barton, en forme de Lettres, 1771, 3 vol. in-12 -Biogr. Michaud, v° Griffith).
  139. Le fils de Petion, alors âgé de onze ans, qui partageait la prison de sa mère.
  140. Buzot. — Voir, sur ce détail, notre Appendice R.
  141. Tous les cahiers de ses Mémoires particuliers qu’elle avait écrits depuis le 5 septembre, correspondant aux pages 109-189 du tome II de l’édition Faugère. — Voir notre « Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland », dans la Révolution française des 14 mars et 14 avril 1897.
  142. C’est à Bosc qu’elle avait dû faire passer les quatre premiers cahiers, auxquels correspondent les 109 premières pages du tome II de l’édition Faugère. — Voir Ibid.
  143. Nous pensons qu’il faut lire ici Brissot à Barrère, de l’Abbaye, le 7 septembre 1793 (publiée en 1795 par Riouffe, Mém. d’un détenu, p. 158 de la 2° édition). — Cf. Mém. de Buzot, éd. Dauban, p. 25.

    Mentelle eut, dans ces mois de septembre et d’octobre, pour défendre Brissot et ses amis, un rôle beaucoup plus actif que nous ne l’avions cru d’abord. — Voir ms. 9533, fol. 232-238.

  144. Nous avions présumé, dans notre étude sur Jany, que ce sigle Pk pouvait désigner le peintre Pasquier, compatriote de Roland, ami dévoué du mari et de la femme (voir lettre du 23 novembre 1781) et connu de Mentelle. Mais il s’applique bien plus vraisemblablement à Panckoucke, qui, avec son associé Agasse, rendit aux Roland en 1793 divers bons offices (voir Souvenirs de Sophie Grandchamp). — Cf. ms. 9533, fol. 150-152.
  145. Bosc, II, 81, sous la date du « 18 octobre » ; Faugère, II, 276 ; — copie au ms. 9533, fol. 343-344 ; autre copie au ms des Mémoires (ms. 13736, fol. 202), de la main de Bosc, qui y a inscrit successivement les dates du 7 novembre, du 7 octobre, puis du 18 septembre, et a même ajouté « de la conciergerie »

    Nous croyons avoir établi (Révolution française de mars 1897) que cette lettre fut écrite le 8 octobre, au moment où, après le décret du 3 qui achevait la proscription en masse des chefs de la Gironde, Madame Roland projetait de ne pas attendre son jugement et, faute de poison, de se laisser mourir de faim.

    L’autographe, que nous avons examiné chez Mme  Taillet, arrière-petite-fille des Roland, ne porte aucune date.

  146. Bosc, II, 82, sous la date du « 18 octobre » ; Faugère, II, 276 ; — copie au ms. des Mémoires et au ms. 9533, fol. 343-344.

    Nous croyons que cette lettre a été écrite en même temps que la précédente.

    Voir, sur Fleury, note Appendice T.

  147. Publiée pour la première fois par Barrière, II, 251 ; réimprimée par Faugère, II, 268.
  148. « Cet écrit » désigne évidemment, comme l’a déjà remarqué M. Barrière, Mes dernières pensées, ces dernières pages si éloquentes des Mémoires (II, 255-264). Mais nous croyons probable (voir notre Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland) que le pli fermé le 8 octobre à l’adresse de Mentelle, en prévision du suicide dont nous venons de parler, et qui ne devait lui parvenir qu’après le suicide accompli, renfermait, outre la présente lettre et les Dernières pensées, les deux lettres précédentes, ainsi que trois cahiers des Mémoires particuliers, correspondante aux pages 220-254 du t. II de l’édition Faugère.
  149. Des quarante et un députés décrétés d’accusation le 3 octobre, sur le rapport d’Amar.
  150. Voir notre Étude critique sur les manuscrits, etc., au sujet des dépôts où des amis courageux conservait les cahiers que Madame Roland leur faisait passer de sa prison. Nous connaissons celui de Bosc, dans l’ermitage de Sainte-Radegonde, au-dessus de la poutre de la grande porte ; celui de Mentelle, dans son logement du Louvre, au-dessus de la salle où siégeait « l’exécrable Commission populaire » (lettre de Mentelle à Champagneux, ms. 6241, fol. 156-157) ; celui de Mme Grandchamp (voir plus loin, lettre du 25 octobre). Peut-être y en avait-il d’autres. Miss Helena Williams, dans ses Lettres sur les événements du 31 mai au 9 thermidor (p. 155-162), dit en avoir eu un chez elle et l’avoir détruit par prudence.
  151. M. et Mme  Creuzé-Latouche. — Voir Appendice K.
  152. Bosc, I, 123 ; Faugère, I, 191. Nous avons relevé ailleurs (Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland, Révol. franç. du 14 mars 1897) la distraction de Bosc et de Champagneux, qui ont traduit les indications de « 23e j., 1er ms., an second » par 23 septembre, — et la méprise plus grave encore de M. Dauban, qui traduit par « 2 vendémiaire, an ii ».

    C’est M. Faugère qui a remarqué le premier que cela correspondait au 14 octobre 1493.

  153. Il est difficile, étant donné la date de cette lettre (14 octobre), de ne pas voir là une allusion, indigne de Madame Roland, à Marie-Antoinette. L’interrogatoire de la reine devant le tribunal révolutionnaire a eu lieu le 12, son arrêt de mise en accusation est du 13, les débats commencent le 14, sa condamnation est du 15 et l’exécution du 16. On va voir d’ailleurs que la lettre ne fut pas envoyée.
  154. Les mots entre crochets sont de l’écriture de Bosc. Ils remplacent une ligne fortement raturée par lui, et qui avait évidemment le même sens.
  155. Cette lettre a dû être donnée par Bosc à Barrière. Mlle  Bader, qui a eu, après la mort de celui-ci, ses papiers entre les mains, a publié, dans le Correspondant du 10 juillet 1892, la plus grande partie de la lettre. Nous donnons le texte complet d’après copie, fournie à Faugère par Barrière, qui se trouve au ms. 9533, fol. 228-229.
  156. Tirer, c’est-à-dire tirer de quelque cachette de sa prison. — Voir Mémoires, I, 201-238, et II, 109.
  157. Il s’agit évidemment des Mémoires de Brissot, qu’a publiés M. de Montrol en 1830-1832 (4 vol. in-8o). Celui-ci nous apprend lui-même, dans sa préface p. xix, que Mentelle en avait été le dépositaire :« Les manuscrits de Brissot étaient connus de tous les amis de sa famille. Ils ont été longtemps entre les mains de Mentelle, membre de l’institut… » Il donne d’ailleurs, en plusieurs endroits, des notes ajoutées par Mentelle au manuscrit.
  158. C’est-à-dire dans l’Hôtel du ministère de l’Intérieur.
  159. Ce passage que nous mettons entre crochets est celui que Barrière a cité dans sa Notice (p. xix), mais en faisant subir au texte quatre corrections en quatre lignes.
  160. Publié par Mlle  Cl. Bader (Correspondant du 10 juillet 1892). Il y en a une copie, fournie par Barrière, au ms. 9533, fol. 230-231.

    La lettre, non datée, est évidement, comme la précédente, d’octobre 1793. Nous croyons qu’elle est aussi postérieure à celle du 8, et qu’il faut la placer autour du 14, date à laquelle Madame Roland se trouvait encore à l’infirmerie de Sainte-Pélagie.

  161. Cf. la fin d’une lettre à Sophie Cannet du (14) 4 janvier 1776, éd. Dauban, I, 336.
  162. Cf. lettre du 31 août 1793, à Buzot.
  163. Buzot.
  164. Ce passage entre crochets a déjà été cité par Barrière (Notice, p. xli), mais altéré, selon son habitude, par quelques retouches peu heureuses.
  165. Le, buzot. La ligne suivante est une allusion à l’Amérique, où les amis des députés fugitifs avaient plusieurs fois espéré qu’ils iraient chercher un asile. — Voir lettre du 31 août 1793, et Mémoires, I, 64, 103.

    Le fils de Mentelle était, en effet, en Amérique. — Voir ms. 9534, fol. 343, lettre de Mme  Brissot à son frère François Dupont, établi à Philadelphie ; lettre sans date, mais certainement de 1790 ou 1791. Cf. Discours de Barbié ou Bocage aux funérailles de Mentelle, et Notice de Mme  de Salm sur Mentelle, Paris, 1839, in-8o.)

  166. Champagneux, Disc. prélim., p. lxii ; Faugère, II, 273.
  167. Pour replacer exactement cette lettre et les deux suivantes dans les circonstances où elles ont été écrites, résumons brièvement les faits :

    Le procès des Girondins vient de s’ouvrir. Des quarante et un députés décrétés d’accusation le 3 octobre sur le rapport d’Amar, vingt et un ont comparu le 24 devant le tribunal révolutionnaire, et Fouquier-Tinville, dans cette première séance, a fait lire par le greffier, en guise d’acte d’accusation, le rapport même présenté par Amar à l’Assemblée trois semaines auparavant.

    Ce jour-là, Madame Roland, citée comme témoin, a été conduite de Sainte-Pélagie au Palais de Justice, a assisté à l’ouverture de l’affaire, a entendu la lecture de l’acte d’accusation, après quoi, elle a été menée au greffe, pour y attendre son tour de déposer ; elle y est restée de longues heures, au milieu des allées et venues des gens du Palais ; elle y a rencontré Mentelle, qui a pu l’entretenir un instant et lui remettre un billet à la dérobée ; elle y a vu Adam Lux, appelé comme elle en témoignage, qui lui a glissé une lettre de Champagneux, dont il était le compagnon de captivité à la Force, et elle a trouvé le moyen, séance tenante, d’écrire la réponse et de la lui confier ; puis, l’audience s’étant terminée sans que son tour soit venu, on l’a reconduite à sa prison.

  168. Adam Lux (1767-1793), député de Mayence vers la convention, ayant publiquement glorifié Charlotte Corday, avait été écroué à la force dès le 25 juillet, et traduit le 28 devant le tribunal révolutionnaire. Il fut jugé et exécuté le 4 novembre.
  169. Vergniaud et Valazé, écroués au Luxembourg le 26 juillet, avaient été transférés, le 30, à la Force, où Champagneux vint les rejoindre le 4 août ; mais il ne passa que deux mois avec eux, car, dès le 6 octobre, ils avaient été amenés à la Conciergerie, d’où ils ne sortirent que pour aller à l’échafaud, le 31 octobre.
  170. « Une touffe de ses cheveux » (Champagneux).
  171. Cette lettre a paru dès 1795, dans la première édition des Mémoires donnée par Bosc (Appel à l’impartiale postérité, 2° partie, p. 82) ; elle a été réimprimée par tous les autres éditeurs, Champagneux (II, 364), Barrière (II, 266), Dauban (Mém., 396), Faugère (II, 270). — Elle est au ms. des Mémoires, à la Bibliothèque nationale.

    Au manuscrit, il y a 24 octobre, date inexacte, car le 24 était un jeudi et non un vendredi*. Bosc et tous les autres éditeurs ont reproduit cette distraction de l’autographe, à l’exception de M. Faugère, qui a rétabli avec raison « Vendredi, 25 octobre ». Il suffit d’ailleurs de relire la lettre pour voir qu’elle est bien du vendredi 25 ; c’est le 24 que s’était ouvert le procès des Girondins et que Mme  Roland avait été conduite au Palais, et c’est le lendemain qu’elle en entretient Jany. M. Barrière a bien vu que la lettre avait été écrite après l’audience du 24, mais il la suppose écrite « le soir après la séance  ; il n’a pas remarqué ces mots « hier au palais… »


    *. Madame Roland avait même écrit septembre. C’est Bosc qui a surchargé et mis octobre, avec toute raisn.

  172. Chauveau-Delagarde (1756-1841) était avocat à Paris depuis 1783. Il dut, au début de la Révolution, avoir des liaisons avec Brissot. (Voir deux lettres de lui au Patriote français, des 15 février 1790 et 25 septembre 1791.) On connaît le rôle d’honneur qu’il eut pendant la Terreur. Arrêté le 16 octobre, le jour de l’exécution de Marie-Antoinette dont il avait été le défenseur, il fut cependant relâché le même jour. (P.V.C., 16 octobre 1793.)

    Madame Roland, qui le connaissait (c’est lui qui avait défendu la mère de Mme  Petion, voir lettre 545, note 2), le désigna, dans son interrogatoire du 3 novembre, pour son défenseur (Mém., I, 323, 415).

    Ce n’est pas lui cependant qui la défendit. Il a fait depuis (voir Barrière, Notice sur Madame Roland, p. xliii-xliv du t. I de son édition des Mémoires) un récit dramatique de la dernière entrevue qu’il aurait eue avec elle, la veille de son jugement ; elle lui aurait dit, résolue à ne pas le compromettre : … « Ne venez point au tribunal, je vous désavouerais, etc… ».


    Sans relever la légère inexactitude de Barrière, qui place cette scène au 9 novembre, alors que Madame Roland a été condamnée et exécutée le 8, nous nous bornerons à remarquer que Madame Roland eut pour défenseur, le 8 novembre, « Guillot, homme de loi, nommé d’office par le tribunal conseil et défenseur officieux » ( dossier des Archives nationales, cote 27).

  173. Le portrait de Buzot. — Voir, sur le ses de ces recommandations à Mentelle, notre Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland.
  174. Ces passages que nous mettons entre crochets avaient été supprimés par Bosc ; c’est M. Dauban, et après lui M. Faugère, qui, en 1864, les ont rétablis d’après l’autographe. Seulement, M. Dauban s’est trompé en lisant plus bas R… (Roland), où il y a B… (Buzot). [Voir La Vériré vraie, etc., p. 24-30.]

    Bosc les avait remplacés, sur le manuscrit, par ces trois mots, qui sont de son écriture : « Adieu, Jany, adieu ».

    D’autre part, on dit en marge, de la main de Madame Roland, les lignes suivantes biffées (sans doute par Bosc) : « Si je n’en avais le temps, dites à ma bonne qu’elle apporte deux jolies petites paires de mes flambeaux argentés, dont je veux faire présent à Mme  Bcht ». M. Dauban (p. 398) a eu raison de rétablir ces lignes, mais il a lu « Mme  Belet », alors que les lettres Bcht désignent certainement la concierge de Sainte-Pélagie, Mme  Bouchaud, dont le vrai nom était Bouchot. (Voir notes de la lettre du 27 octobre.)

    Quand aux mots « chez Mme  Gch. » [lisez Grandchamp], omis par tous nos devanciers, nous le rétablissons d’après le manuscrit.

  175. Lanthenas. – Cf., dans les Mémoires, II, 246-247), la page si dure sur cet ancien ami.
  176. Ce morceau, publié par la première fois (avec des coupures) par Mlle  Cl. Bader (Correspondant du 10 juillet 1892), est aujourd’hui à la Bibliothèque nationale, ms. 4697, n. A. fr. Nous le donnons en entier, d’après l’original. C’est évidement la fin d’une lettre par laquelle Madame Roland envoie à Jany le manuscrit de ses Observations rapides sur l’acte d’accusation contre les députés, par Amar (Mém., I, 287-316). Les trois dernières lignes de la lettre le disent assez. Il suffit d’ailleurs de comparer le papier, l’encre, l’allure de l’écriture dans ce fragment et dans le cahier des Observations pour n’en pouvoir douter. Voilà donc trente pages des Mémoires qui nous ont été sauvées par Jany. — Les Observations sont datées du 25 octobre (elles devaient même l’être du 26). Ce fragment est donc, au plus tôt, du 26 ou du 27.
  177. Claude-Philibert Coqueau (1755-1794) était né à Dijon et y avait fait des études au collège des Godrans, où il avait dû être condisciple de Bosc. Venu à Paris en 1778, architecte de talent, musicien passionné (Biogr. Rabbe), employé dans les bureaux de voirie de la ville de Paris, il figure en 1790 sur la liste des Jacobins. (Voir Aulard, I, xliii, et Table, Cg. Aulard, ibid, I, 276, et Tourneux, 5341 et 6733.) En 1792, il entra dans les bureaux de Roland, comme commis de Lanthenas, nommé chef de la 3e division. Il avait alors pour locataire Masuyer, député de Saône-et-Loire à la Législative et à la Convention. En juin 1793, Coqueau alla demeurer rue Saint-Honoré, n° 238 (oui 1410, nouveau style) et Masuyer l’y suivit. Lorsque Petion, le 23 juin, voulut échapper au garde qu’on lui avait donné, ce fut en allant dîner chez Masuyer (et par conséquent chez Coqueau ; Bosc se trouvait à ce dîner). Masuyer et Coqueau payèrent cher cette complicité. Dès le lendemain, la Convention décréta que Masuyer serait mis en état d’arrestation et que les scellés seraient mis sur ses papiers (P.V.C., 24 juin), et le même jour, Coqueau subissait un interrogatoire (Dauban, Démagogie, p. 249). — Masuyer s’échappa, et c’est par contumace que, le 3 octobre, il fut des 41 députés mis en accusation. Errant d’asile en asile, — revenant parfois chez Coqueau, s’il faut en croire une anecdote de la Biog. Rabbe, — il alla s’abriter chez Bosc, à Sainte-Radegonde, et y arriva le 18 mars 1794, le jour même où Larevellière-Lepeaux quittait ce refuge. Malheureusement, dès le lendemain, il voulut retourner à Paris, fut arrêté au pont de Neuilly, et, le soir même, sur simple constatation d’identité, fur envoyé à l’échafaud. Mém. de Larevellière, I, 169-170.)

    Quant au pauvre Coqueau, trois jours après, le 22 mars, il fut arrêté et écroué aux Carmes (Vatel, II, 270), puis, après quatre mois de détention, condamné et exécuté le 27 juillet (9 thermidor), le jour de la chute de Robespierre (Wallon, V, 168). — Voir Dauban, Démagogie, 249-253 ; Bailleul, Almanach des bizarreries humaines, p. 74-79.

  178. Cf. Mém., I, 42, 146 ; Fépoul. Lisez Faypoult (Guillaume-Charles), 1752-1817. Chef de la 2e division du ministère de l’Intérieur de 1792 à 1794, sous Roland, Garat et Paré (Alm. nat. de 1793, Alm. nat. de l’an ii ; cf. Biogr. Rabbe). Depuis, ministre des Finances au début du Directoire (2 octobre 1795-13 février 1796), puis agent diplomatique à Gênes, à Naples, où il fit destituer Championnet, préfet de l’Escaut sous l’Empire, préfet de Saône-et-Loire aux Cent-Jours, etc. Cf. Biogr. de Leipzig, et ad. Schmidt, III, 118.
  179. Cf. Mém., I, 42, et fragment des Mémoires inédits de Champagneux, Papiers Roland, ms. 6242, p. 192.
  180. L’arrestation de Champagneux est du 4 août, et la démission de Garat du 15. – Voir Papiers Roland, ms. 6241, fol. 160-196, de nombreux renseignements sur le rôle de Champagneux auprès de Garat. – Cf. A. Schmidt, I, 138 ; II, 101.
  181. Aux six lettres à Jany qu’on vient de lire, il faut encore joindre, pour être complet :

    1° Un billet cité par M. Barrière (Notice, p. xli) et adressé peut-être aussi à Jany. Le voici :

    Je crois, mon ami, qu’il faut s’envelopper la tête ; et en vérité, ce spectacle devient si triste, qu’il n’y a pas grand mal à sortir de la scène ; ma santé a été fort altérée ; les derniers coups rappellent ma vigueur, car ils en annoncent d’autres à supporter. Adieu, je ne vis plus que pour me détacher de la vie.

    2° Un autre fragment, donné en note par le même éditeur (Notice, xxiii), mais qui semble se rattacher plutôt à quelque passage inédit des Mémoires.

  182. Ms. des Mémoires ; Bosc, II, 84 ; Faugère, II, 278. — La date inscrite au ms., mais de la main de Bosc, est 20 octobre ; lapsus évident ; aussi a-t-il imprimé 26 octobre. Nous croyons même qu’il aurait dû mettre 27. — Voir notre Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland.
  183. Il y a dans le manuscrit : « Mon bon ami. » Bosc a biffé et écrit au-dessus : « Mon cher Bosc. »
  184. Dans un billet à M. Barrière (cité par Mlle  Cl. Bader d’après l’autographe [Correspondant du 10 juillet 1892] et qui se trouve en copie au ms. 9533, fol. 342), Bosc raconte les circonstances qui expliquent cette lettre :

    Pendant tout le cours de sa détention, jusqu’au milieu d’octobre 1793, j’avais pu voir deux ou trois fois par semaine Madame Roland dans sa prison, par la protection de l’excellente Mme  Bouchot, femme du concierge ; mais alors on mit un espion dans le guichet et il me devint impossible de pénétrer dorénavant jusqu’à elle. Ce fut peu de jours après cette complète séquestration qu’elle me demanda, par une longue lettre motivée, que j’ai trop bien cachée puisqu’il m’a été impossible de la retrouver lors de l’impression de la première édition de ses Mémoires, une suffisante quantité d’opium pour pouvoir s’empoisonner. Je lui répondis négativement, en cherchant à lui prouver qu’il était aussi utile à la cause de la liberté qu’à sa gloire future qu’elle se résolût à monter su l’échafaud. C’est à cette lettre, la plus pénible que j’ai écrite de ma vie, qu’elle répond par celle du 26 octobre 1793.

  185. Les fugitifs, c’est-à-dire Buzot, Guadet, Petion, etc. À cette date, Madame Roland savait certainement que ses amis avaient quitté la Bretagne (20 septembre), avaient débarqué au Bac d’Ambès le 24, et se cachaient autour de Saint-Émilion, et elle avait pu voir dans les journaux une lettre du représentant en mission, Ysabeau, datée du 8 octobre, lue à la Convention le 15 (Moniteur du 16), où il disait : « Nous avons la preuve authentique que presque tous les députés fugitifs du Calvados et de la Vendée… sont à Bordeaux ou dans les environs ». Cf. P.V.C. de la Convention, 5 brumaire an ii (26 octobre), « lettre d’Ysabeau et de ses collègues, du 21 octobre, annonçant l’arrestation de Lavauguyon » . — Cf. Mém., I, 312. Dans cette page, écrite entre le 24 et le 26 octobre, Madame Roland dit : « Les fugitifs… errent à l’aventure… ».
  186. Eudora Roland n’était plus chez Creuzé-Latouche. Voir la lettre suivante.
  187. C’est le 17 octobre, huit jours après la chute de Lyon, que le représentant en mission Reverchon était arrivé à Villefranche et y avait renouvelé le district et la municipalité (Arch. commun. de Villefranche). Les arrestations des suspects durent avoir lieu bien peu de temps après, puisque, le 27, Madame Roland est déjà informée de celle du chanoine.

    Le séquestre apposé sur les biens des Roland et au Clos, les 18-20 août, avait été levé les 27-30 septembre, mais fut apposé de nouveau après l’arrestation de Dominique Roland. — Voir Appendice R.

  188. Publiée pour la première fois par Champagneux (Disc. prélim., p. lxxix ; Faugère, II, 275.

    La date du 7 novembre se trouve sur une copie, de la main de Bosc, qui appartient à M. Alexandre Beljame. Cette lettre serait donc la dernière que Madame Roland aurait écrite, si du moins Bosc ne s’est pas trompé en data sa copie. (Nous avons vu qu’il s’est trompé plusieurs fois en datant la copie de la lettre « À ma fille »). Mais cette date du 7 novembre reste vraisemblable.

  189. Comme on l’a vu par la lettre précédente, Madame Roland savait, le 27 octobre, que sa fille n’était plus chez les Creuzé-Latouche, mais ignorait encoire où Bosc l’avait placée. Cette lettre est donc, de celles que nous possédons, la dernière qu’elle ait écrite.

    M. Barrière, qui écrivait presque sous la dictée de Bosc, nous apprend le nom de la personne qui avait recueilli Mlle  Roland :

    Des amis de Madame Roland [les Creuzé-Latouche] avaient recueilli sa fille ; ils se virent bientôt forcés, pour leur sûreté personnelle, de placer cette jeune fille chez une maîtresse de pension, qui ne consentit elle-même à la recevoir qu’en lui faisant prendre un autre nom. Madame Roland apprit cette nouvelle peu de jours avant sa mort. Ce cœur si ferme se troubla tout à coup. La lettre qu’on va lire fut écrite à cette occasion.

    (Édition de 1820.)

    L’estimable institutrice qui l’avait recueillie dans sa maison se nommait Godefroid. Sa fille, qui s’est fait un nom distingué dans les arts, est restée la meilleure amie d’Eudora. (Édit. de 1827)

    Voir, dans la Gazette des Beaux-Arts (janvier et juin 1869), un très intéressant article de M. Léon Arbaud sur Mme  Godefroid, et surtout sa fille, Marie-Éléonore, qui fut l’élève et l’amie du célèbre peintre Gérard. Cf. le Dictionn. de Bellier de La Chavignerie, à l’article de Mlle  Godefroid ; on y voit qu’aux salons de 1831, 1833, 1834, 1846, 1847, Mlle  Godefroid exposa divers portraits de Mme  Eudora Champagneux et de ses enfants. Quant au fils de Mme  Godefroid, il se pouvait qu’il fût ce Godefroid, « âgé de 22 à 24 ans en 1794 », dont parle Étienne delécluse (Louis David, son école et son temps, p. 12-13).