Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1791

Imprimerie nationale (p. 213-393).

ANNÉE 1791.


AVERTISSEMENT.

Les faits qu’il importe de connaître pour se rendre compte de la correspondance de 1791 se réduisent à un petit nombre : Madame Roland avait rejoint son mari à Lyon le 28 décembre 1790. Roland, nommé officier municipal en novembre, devenu, avec le maire Vitet, avec Champagneux, Vingtrinier, Châtier, etc., un des chefs d’une municipalité nettement démocratique, mais nullement révolutionnaire[1], fut bientôt chargé par ses collègues, (1er février 1791) d’aller à Paris, avec Bret, procureur de la commune, demander à l’Assemblée de déclarer nationale la dette de Lyon, montant à plus de 39 millions et contractée sous l’ancien régime, en grande partie pour le compte du Roi et par son ordre. Blot avait déjà eu une mission de ce genre, mais il venait de rentrer sans rapporter de résultat. On pensa que Roland et Bret seraient plus heureux. Il semble d’ailleurs que plusieurs des amis politiques de Roland aient saisi cette occasion de l’éloigner d’un terrain où son ardeur et son inflexibilité pouvaient le rendre embarrassant, surtout en prévision des élections législatives auxquelles plus d’un songeait déjà.

Roland et sa femme arrivèrent à Paris le 20 février 1791 et se logèrent dans un hôtel meublé, l’Hôtel Britannique, rue Guénégaud. Nous avons exposé dans la Révolution française (avril 1899) les raisons qui nous font présumer que l’Hôtel Britannique était dans la maison qui porte aujourd’hui le n° 12. On s’installa au premier étage, dans un bel appartement. C’est là que ne tardèrent pas à se réunir, deux fois par semaine, Brissot et ses amis d’alors, Petion, Buzot, Robespierre, etc., sans parler des amis particuliers des Roland, Bosc et Lanthenas. C’est là aussi que Madame Roland se lia avec une amie de Bosc, Sophie Grandchamp, dont nous avons publié les Souvenirs dans la Révolution française de juillet et août 1899.

En août, la mission de Roland avait heureusement abouti. En effet, par suite d’une mesure générale (décret du 5-10 août 1791, relatif aux dettes contractées par les Villes et Communes), à laquelle ses démarches incessantes semblent avoir contribué, l’État avait pris à son compte environ 33 millions et demi de la dette lyonnaise, ne laissant guère que 6 millions à la charge de la ville (Wahl, p. 404).

Il fallait songer au retour. Madame Roland partit le 3 septembre pour arriver à Villefranche le 8, et se rendre presque aussitôt à la campagne ; Roland, le 19, pour rejoindre sa femme au Clos le 25, — non sans avoir encore obtenu pour Lyon divers avantages complémentaires (hôpitaux, ponts, etc. Voir lettres 426 et 449, notes).

Madame Roland avait ramené avec elle Sophie Grandchamp. Elles allèrent ensemble à Lyon, du 30 septembre au 16 octobre, s’arrêtèrent ensuite à Villefranche, puis retournèrent passer quelques jours au Clos avant le départ de Mme  Grandchamp pour Paris.

Cependant la suppression des inspecteurs du commerce (décret du 27 septembre) enlevait à Roland sa situation et son traitement, sans qu’il fût sûr d’obtenir une retraite. D’autre part, son absence de Lyon au moment des élections pour la Législative avait ôté toutes chances sérieuses à sa candidature, que ses amis eux-mêmes semblent n’avoir soutenue qu’assez mollement. Aussi, bien qu’il eût été réélu en septembre administrateur du district (Wahl, p. 426), mandat dont il ne se soucia pas et auquel il préféra, en décembre, une réélection d’officier municipal (Wahl, p. 450), résolut-il de quitter Lyon pour Paris. Il comptait y faire valoir ses droits à une pension de retraite et, en même temps, y poursuivre des travaux de librairie qui devaient lui assurer des ressources (Mém., t. 11, p. 407). Sans doute aussi, il espérait tirer parti des relations resserrées ou contractées dans son séjour de Paris de février à septembre (Brissot, Petion, etc.).

Les Roland rentrèrent à Paris le 15 décembre 1791 et retournèrent à l’Hôtel Britannique, mais en se logeant cette fois plus modestement au troisième étage.

Ces indications sommaires nous paraissent devoir suffire pour les précisions dont le lecteur aurait besoin. Quant au rôle de Madame Roland dans cette année 1791, où elle apparaît entre Brissot, Petion, Buzot, Robespierre, Lanthenas, Bosc. Bancal, etc., comme l’âme du premier groupe républicain, on le connaîtra mieux par la lecture de ses lettres que par nos commentaires.

Nous avons été d’ailleurs très sobres de notes sur les événements de l’histoire générale dont elle entretient ses amis. Ces événements sont connus, raconté par les historiens de la Révolution. À vouloir y joindre trop d’explications, de renvois, etc., nous aurions été amené à refaire l’histoire de la Constituante et de Paris en 1791 : c’eût été sortir véritablement de notre cadre. Nous nous sommes borné aux références strictement nécessaires, et notre seule crainte est d’avoir même dépassé la mesure.

397

À BRISSOT, À PARIS[2].
7 janvier 1791, — [de Lyon].

…Adieu, tout court ; la femme de Caton ne s’amuse point à faire des compliments à Brutus.


398

À M. H. BANCAL, À LONDRES[3].
10 janvier 1791, — de Lyon.

Vous[4] aurez reçu, mon cher ami, la dernière que je vous écrivis pour vous informer de ce qui se pasait dans cette vile, et ensuite celle que Madame Roland vous a écrite en réponse à la dernière que nous avons reçue de vous. La mienne en renfermait une autre pour M. Baumgartner, que vous aurez vu en lui remettant ma première pour lui, que je vous ai bien envoyée peu de temps après la lettre où je vous l’annonçais et dans laquelle il fut oublié de la joindre. Bosc, toujours courant, ne nous dit point s’il reçoit nos lettres et s’il vous les fait passer : je prends le parti de vous adresser la présente en droiture. Vous pourrez prendre la même voie, si vous la trouvez plus courte.

Depuis notre dernière, les conspirateurs arrêtés ici sont partis, sous bonne escorte, pour Paris. Les scellés levés n’ont fait découvrir aucune pièce bien convaincante. Il s’est trouvé chez chacun des listes de leurs affidés, dans lesquelles on trouve des gens qui jouent le patriotisme. Ces listes ne sont cependant pas signées, et il n’est pas probable, à moins de quelque découverte nouvelle, qu’elles pussent devenir juridiques.

Les clubs populaires et la Société de Saint-Clair[5] sont en mésintelligence. Il y a à blâmer quelque chose dans les premiers et dans celle-ci. Je travaille, autant qu’il est en moi, à les ramener à l’union et aux bons principes. Des aristocrates déguisés, des ambitieux qui veulent conduire et des hommes timides à préjugés, voilà les gens contre lesquels il faut lutter. Je suis reçu membre du dub d’une section. Je vais au Centre et à Saint-Clair. Je répands partout les bons principes d’une manière indépendante. J’ai eu occasion de reconnaître que cela ne plaît pas toujours à ceux qui d’abord m’ont le plus accueilli. Je suivrai cependant la même marche.

Malgré les oppositions que j’ai trouvées d’abord, j’ai enfin fait passer mon adresse à l’Assemblée nationale sur l’égalité des partages. Elle a été lue par les 28 sections et signée par leurs commissaires par duplicata, et j’ai adressé le tout à Petion pour qu’il en remette une à l’Assemblée nationale et l’autre aux Jacobins, en prenant les mesures nécessaires pour y arrêter dessus l’attention[6]. J’ai écrit aussi aux Jacobins pour leur proposer un arrêté qui est d’inviter toutes leurs Sociétés affiliées à provoquer, dans les lieux où elles sont établies, des Sociétés qui réunissent en petites masses tous les citoyens pour s’instruire et émettre leurs vœux sur les divers objets qui pourraient les solliciter ; de faire former à ces Sociétés, au moyen de commissaires, un centre que les premières dirigeraient ; d’attribuer à ce centre la correspondance et la communication à toutes les Sociétés de tout ce qu’on voudrait leur faire parvenir ; de s’appliquer à y répandre l’instruction et la fraternité, et de réunir enfin, tous les quinze jours ou plus souvent, tous les membres de toutes ces Sociétés dans de vastes édifices pour discuter ensemble des points importants et prendre le résultat des avis ainsi formés. Je crois qu’il est extrêmement important que les amis de la liberté s’occupent d’appeler les hommes les moins instruits et les plus occupés dans des Sociétés. Les aristocrates, dans quelques endroits, ont voulu prendre les devants ; et ici, il est aisé de voir qu’il y en a beaucoup de mêlés qui espéraient de conduire ces clubs populaires. On les reconnaît aux partis violents, exagérés, qu’ils proposent surtout, et aux flagorneries qu’ils disent aux assemblées, lors même qu’elles s’égarent. J’en ai relancé un l’autre jour au Centre, le frère de l’aristocrate que je trouvais dans ce café où nous fûmes déjeuner une fois avec M. Roland. Si vous écrivez à Clermont, vous feriez bien d’appuyer sur ces idées que vous développerez et étendrez aisément. Je presse la Société du Puy de faire de même : il faut que l’exemple du voisinage l’entraîne. Vous connaissez ce qu’a fait la Société de Dijon pour établir ces Sociétés secondaires ; rien n’est plus simple ni plus facile. On les a nommées ici populaires ; cette dénomination ne me plaît pas, parce que toutes les Sociétés, toutes les assemblées sont par essence populaires depuis l’abolition de nos ordres et le renversement de nos vieux préjugés.

J’ai reçu une lettre de mon ami de Philadelphie, dans laquelle il me mande qu’il s’entendra avec M. Dupont[7] pour traiter de la maison de M. Lecoulteux à son prochain retour, qui devait être dans un mois. Il l’estime 24,000 livres. Il offre, si nous ne venons pas, de la conduire pour nous. Je pense que, dans ce cas, nous ne pourrions rien faire de mieux si cette affaire se conclut.

Vous ne m’avez pas répondu aux premières lettres que je vous ai écrites à Londres. Je pensais que vous m’auriez exprimé vos sentiments sur ce qu’elles renfermaient de relatif à ce dont nous nous étions ici occupés ensemble.

Nous avons vu M. Servan ici. Il ira à Marseille le mois prochain ; il y est placé commandant d’un des forts. Nous avons pensé avec lui qu’il faudrait déterminer l’Assemblée nationale à faire nommer partout de nouveaux électeurs pour le choix des députés à la législature suivante. On assure que l’on ne tardera pas à s’occuper de sa formation, et, si l’on veut obtenir qu’on admette préalablement cette motion que tant de raisons appuient, il font se presser.

Je voudrais encore invoquer ici une adresse à l’Assemblée nationale sur la nécessité de déclarer que les délits de la presse, à moins qu’ils ne soient compliqués d’une intention prouvée de nuire à la chose publique ou à un particulier, ne puissent être punis et réparés que par l’opinion ; qu’en conséquence, des sociétés ou, si l’on veut, des tribunaux seront autorisés pour instruire sur tous les écrits qui donneraient lieu à plainte, et pour déclarer leurs avis, qui feraient regarder tel auteur comme infâme, calomniateur, etc. Parlez à Londres avec les vrais amis de la liberté sur ce sujet et recueillez les avis. Ménagez-vous, écrivez-nous ; je vous embrasse du meilleur cœur.


F. Lanthenas.

Je[8] me charge de fermer la lettre que notre ami vient de vous écrire pour vous mander les nouvelles ; il est cependant difficile que cela vous mette bien au courant de tout ce qui se passe ici ; on menace encore de quelques trames pour le 16 du courant ; les avis en ont été donnés de Chambéry et, par cela même qu’on est prévenu, il ne saurait en rien résulter de fâcheux. La municipalité est sur ses gardes, bien résolue d’arrêter les courriers et de faire ouvrir les lettres s’il y avait quelque apparence de nouvelle crise. Vous nous avez bien peu écrit, tout en vous inquiétant de nos délais. Je croyais que la solitude était la mesure la plus longue du temps et que, de toutes les énigmes, le silence n’était pas toujours la plus difficile à deviner, surtout au moment des révolutions. Quoiqu’on désire l’achèvement de la Constitution, cependant les rapports de M. Crillon[9] sur les travaux qui restent à faire supposent encore l’emploi de plus d’une année pour cette législature qui va toujours en se corrompant davantage. Est-ce donc une loi générale pour les corps et les individus de s’altérer dans leur essence pour leur propre durée ? Ah ! sans doute, il est des âmes, il est des sentiments qui ne sont point soumis à cette loi désolante. Vous avez choisi un heureux emploi de votre temps dans les circonstances ; vous observez des objets intéressants, vous augmentez vos connaissances, vous perfectionnez vos facultés et vous retrouverez toujours près de vos amis ces douces affections dans lesquelles un cœur sensible a besoin de se reposer.


399

[À BOSC, À PARIS.]
22 janvier 1791, — de Lyon.

De Lanthenas[10] :

Nous avons reçu, cher ami, le mot que vous nous avez écrit le 17. Il n’est que trop fait pour ajouter à nos inquiétudes ; les dernières lettres que nous vous avons fait passer les manifestent assez. Nous animons de notre mieux l’esprit public dans les Sociétés et, depuis hier, nous ne désespérons pas de faire faire une adresse vigoureuse aux citoyens de cette ville pour montrer à l’Assemblée nationale que nous ne sommeillons pas non plus dans les provinces. Le défaut d’ensemble, d’esprit et de tactique dans les patriotes est la cause de tous les maux dont nous nous plaignons. Brissot ne se hâte pas de faire usage de ce que je lui ai envoyé sur les clubs[11]. Les Sociétés populaires auraient dû être provoquées dès le commencement, et surtout les lectures publiques dans des lieux très commodes et très spacieux. Les délibérations de nos assemblées ne donnent que des demi-lumières, créent des prétentions funestes dans les hommes médiocres et font contracter l’habitude de la contrariété et de l’entêtement. Formez une société de lecteurs pour le peuple, ayez un bâtiment convenable et fait exprès, et vous verrez le bien que vous ferez. Nous n’avons point de nouvelles de Bancal ; en avez-vous ? Nous en sommes en peine. Vous lui aurez fait passer ma dernière. Dans les circonstances, je crois réellement qu’il devrait rentrer.

Faites annoncer dans la Chronique[12] le journal ci-joint et faites passer à Parraud les lettres et les deux feuilles pour lui.


De Madame Roland :

Comment ! et vous aussi, vous voudriez vous distraire pour vous consoler ! Est-ce le rôle d’un patriote ! Il faut enflammer votre courage et celui de tous les bons citoyens, il faut réclamer, tonner, effrayer.

Qu’est donc devenue la force de cette opinion publique qui a fait la Déclaration des droits et prévenu tant de choses ? Rendez-lui toute son influence : portez toutes les sociétés des Amis de la Constitution, et Paris tout entier, à demander à l’Assemblée qu’elle ne fasse que la Constitution, qu’elle la fasse actuellement, quelle indique la nouvelle législature et quelle renonce à tout objet secondaire.

Adieu ! Si vous vous désolez, je dirai que vous faites un rôle de femme que je ne voudrais pas prendre pour moi. Il faut veiller et prêcher jusqu’au dernier souffle ou ne pas se mêler de révolution. Je vous embrasse dans l’espérance que l’expression de votre chagrin ne doit pas être prise pour celle de votre solution.


400

À M. HENRY BANCAL, À LONDRES[13].
24 janvier 1791, — de Lyon.

Jamais, mon digne ami, nous n’avons si bien senti combien vous nous étiez cher qu’à la lecture de cette déchirante lettre encore empreinte de vos larmes et que nous avons baignée des nôtres[14]. J’ai honte de vous dire qu’en vous aimant autant, nous ne savons pas vous consoler ; quant à moi, je n’ai pas cet art-là pour de pareilles douleurs. Vos pleurs sont trop justes ; y joindre les miens est tout ce que je sais faire. Je n’ai pas besoin, pour les exciter, de relire cette lettre qui en ferait verser aux hommes les plus durs ; n’ai-je pas mon esprit, mon cœur tout remplis de ce que vous m’avez dit si souvent de cette famille aimante, de cet homme respectable que je n’ose plus nommer !

Vous possédiez un bien inappréciable, vous en étiez digne ; vous l’avez perdu, vous avez trop de raison de gémir ! Non, les pleurs ne déshonorent point l’humanité ; quelquefois tribut de la faiblesse, elles (sic) sont plus souvent l’apanage de cette même sensibilité dont l’énergie développe les plus grandes vertus. Mais le sage qui s’afflige ne se désespère jamais ; il a trop bien calculé la vie pour ne pas s’attendre à de grandes peines, et le prix qu’il met à ses devoirs lui fait une loi de se conserver tous les moyens de les remplir. Ne soyez pas injuste à force de tendresse ; vous avez assez de vos chagrins, sans y joindre des remords imaginaires. Sans doute, l’expérience nous ramène à préférer l’exercice des vertus privées et la simplicité des jouissances naturelles à l’acquis des talents et la gloire des succès ; mais est-on coupable pour tenter ceux-ci, quand la force de l’âge et l’intérêt d’une patrie les inspirent ou les commandent ? Le ciel a voulu terminer la carrière déjà avancée de l’homme juste à qui vous deviez le jour, dans la circonstance de votre éloignement ; pouvez-vous croire que votre présence eût suspendu le cours des choses ?

Il fût expiré dans vos bras, que votre ingénieuse douleur vous aurait encore imputé quelque oubli prétendu des moyens de le sauver. S’accuser toujours soi-même n’est pas l’un des moins funestes excès des passions ; on s’ôte ainsi ses propres forces et prépare une excuse au désespoir.

Je n’imagine pas de plus grand courage que celui qui, nous laissant voir les maux dans toute leur étendue, ne cherche ni à les pallier, ni à les accroître par des suppositions forcées ; que celui qui nous fait nous supporter nous-mêmes, sans étonnement de nos faiblesses comme sans orgueil de nos vertus, occupés de combattre les premières sans nous aigrir de leur existence, et de soutenir, de fortifier les secondes sans nous alarmer des difficultés.

Le parti le plus sage qu’on puisse tirer des événements n’est pas de se replier dans le passé pour combiner ce qui les eût peut-être adoucis : on ne fait ainsi que se consumer en regrets inutiles ; mais c’est de les appliquer à l’avenir pour mieux juger ce à quoi il convient de s’arrêter. Or, dans presque toutes les opérations de ce genre, le sentiment nous guide mieux qu’une froide théorie. C’est ainsi qu’en ce moment vous vous attachez, avec grande raison, à l’idée de vous fixer en Auvergne et au sein de votre famille ; on est trop heureux d’en avoir une selon son cœur ! Je me sais bon gré d’avoir toujours été frappée de cette considération pour vous, lors même que d’autres projets semblaient s’offrir sous un beau jour.

Nous ne deviendrons pour cela jamais étrangers les uns aux autres, j’aime à penser que nous pourrons même encore nous regarder comme voisins ; mais la nature vous a marqué votre place au milieu de ceux avec qui elle vous unit par des liens qui sont toujours les plus doux à l’homme, quand la dépravation de la société ne les a point altérés. Croyez que le bonheur n’est pas éteint pour vous ; son gage assuré est dans le sentiment qui vous fait apprécier la vie par le charme d’y pratiquer le bien. Sans doute, il n’y a que celui-là d’inaltérable ; et vous qui le goûtez, oseriez-vous accuser la nature qui a su y joindre encore la douceur d’aimer et d’être chéri ?

Hâtez-vous de retourner en jouir au milieu des vôtres ; venez pleurer avec eux ; la douleur solitaire dessèche et tue, celle qu’on partage est le trop naturel aliment des âmes sensibles. La patrie n’est pas hors de danger, l’Allemagne et les mécontents se réunissent pour préparer une attaque au printemps ; mais nos plus grands ennemis sont dans notre Assemblée même ; les éternels comités sont tous devenus les vils jouets de l’intrigue ou les scélérats agents de la corruption. Les travaux languissent ; nous sommes inondés de misérables décrets rendus par la paresse et l’impéritie sur les rapports de l’ignorance ou de l’intérêt. La force publique n’est point organisée, les points constitutionnels demeurent en arrière ; on craint le mouvement qui peut s’élever à une seconde législature, mais la corruption de l’Assemblée présente est cent fois plus effrayante. Tant que je vous ai cru heureux, je vous ai dit : demeurez. Vous faisiez un digne…

Je[15] reprends ici la plume, mon cher ami ; Madame Roland a été détournée, et je me hâte de vous dire aussi combien je partage ce qu’elle vous a si bien exprimé. Je sens bien vivement vos douleurs. Si je n’eus pas le bonheur d’avoir un père qui ne me laissât que le souvenir de sa tendresse et de ses vertus, d’excellentes qualités qu’il eut au milieu des travers pris dans la société m’avaient extrêmement attaché à lui, et j’ai plus d’une fois, dans l’éloignement, versé des larmes pour lui ; mais j’ai surtout à en donner à une mère qui, avant de mourir, me donna des preuves de toute la tendresse dont sont capables les meilleures, et les douleurs que vous me peignez me rappellent trop les miennes pour que je ne les aie pas vivement ressenties. J’ai été également touché de ce que vous désireriez pour moi, vous m’associer à vos projets et vos espérances, et c’est sans doute une preuve bien sensible de votre amitié que je reçois avec une grande consolation. On n’est pas isolé avec des amis tels que ceux qui aiment comme nous ; cependant les liens de la société me permettent à moi un éloignement qui, je vois bien, vous est interdit ; et si je m’y décide jamais, je compte bien que l’entretien de notre amitié ne sera pas rompu. Je suis fâché d’avoir ajouté à vos douleurs les ennuis que vous auront dû faire ressentir mes précédentes lettres pour la chose publique. Leur effet aura été de voou décider à hâter votre départ autant que possible. Je pense vraiment que, dans ce moment, ceux qui vous connaissent ne peuvent s’empêcher de désirer votre présence. Faute d’ensemble et de suite, la société, la ligue sainte que l’amitié a formée entre nous et quelques personnes encore qui n’ont pas été indifférentes à la Révolution, n’a pas la force qu’elle pourrait avoir. Nous nous consumons ici en efforts qui, restant quelquefois sans aucun effet, décourageraient, s’il était permis d’éprouver ce sentiment dans les circonstances où nous nous trouvons. Le journal de Brissot n’est plus rempli que de la foule de décrets dont l’Assemblée nationale est devenue si féconde et la lerture si insupportable. Il sera bien important, quand vous serez à Paris, de provoquer l’examen de cette question sur laquelle nous avons écrit à Brissot depuis longtemps : savoir s’il ne conviendrait point aux intérêts du peuple de faire renommer partout les électeurs pour le choix des députés à la seconde législature.

J’ai fait hier, à la Société des Amis de la Constitution ; la motion de convoquer une séance extraordinaire pour ce jour, afin de discuter les moyens de prévenir les malheurs qui nous menacent. Celui que je proposerai, et qui nous parait le meilleur, c’est de provoquer de tous les points de la France des adresses pour presser l’Assemblée nationale de terminer ce qui lui reste à faire.

Les Sociétés populaires vont ici toujours en s’étendant. C’est une institution à étendre dans toute la France. J’en ai écrit aux Jacobins et à Brissot ; il ne parait point qu’il en résulte encore aucun effet. Les Jacobins ont bien écrit pour conseiller la réunion de ces premières Sociétés avec celle de Saint-Clair, mais, faute de forcer celle-ci, la vanité empêchera que l’on fasse ce qu’il faudrait pour l’opérer. Ménagez votre santé, mon cher ami ; revenez le plus tôt que vous pourrez, et écrivez-nous plus souvent. Je vous embrasse du meilleur cœur.

P.-S. M. Arthur Young n’est point inconnu à nos amis. Il y a un an qu’il leur fut présenté, à son passage ici[16]. Puisque vous êtes dans son voisinage, vous pourrez peut-être d’autant plus aisément satisfaire à une information, que M. Servan nous priait de vous inviter de prendre : C’est de savoir quelle est la manière de cultiver, rouir, teiller, battre, peigner le chanvre, le filer, en faire de ta toile, employée par les Anglais. Ont-ils des métiers pour le filer ? Ce serait le point principal qu’on désirerait bien connaître.

Ce[17] n’est pas un des moindres tourments dans les affections vives que de ne pouvoir se livrer à ce qu’elles inspirent… Je reviendrai à vous écrire dans un temps plus propice : c’est un besoin à satisfaire et un devoir à remplir. Mais je vous disais de revenir, je voulais vous développer ce que je pense à ce sujet. Vous vous instruisez pour la patrie, et j’avais quelque joie de penser que, tout en la servant, ou vous préparant à lui dire plus utile, vous n’étiez pas à la portée des secousses qu’elle pourrait éprouver. Vous parlez de revenir au printemps, ce sera peut-être l’époque de quelque trouble ; et, puisque la nature et le devoir vous appellent auprès de vos parents, je ne vois pas pourquoi vous tarderiez de vous y rendre ; il ne faut pas attendre qu’il s’élève des obstacles à votre réunion. Adieu ; il n’est pas encore question de mourir pour la liberté ; il y a plus à faire : il faut vivre pour l’établir, la mériter, la défendre, par un combat opiniâtre contre toutes les passions qui la menacent ou qui rivalisent indignement avec elle. Votre pays n’est pas dénué de vertus, ni vos amis ne sont pas sans courage ; mais il faut se réunir pour doubler ses efforts et son influence.

Je[18] souhaite, mon cher, que cette lettre mette un peu de baume dans votre sang, qu’elle distraie un moment votre cœur.

Nous agissons fortement ici contre le club des prétendus Amis de la constitution monarchique[19]. L’énergie est au plus haut degré parmi le peuple et parmi toutes les sociétés politiques. Nous espérons que cette secousse, au lieu de produire le mal que les aristocrates en espéraient, affermira d’autant plus la Constitution.

Je vous embrasse.

401

À BOSC, [À PARIS[20].]
24 janvier 1791, — [de Lyon].

Ci-joint diverses expéditions patriotiques. Veuillez vous charger vous-même de la lettre de Lanthenas pour les Jacobins et savoir ce qu’est devenue la première dont il parle à Brissot. Il se donne ici beaucoup de mal, et je vous promets que personne de nous ne s’y endort ; il n’y a rien de si désolant que de ne jamais savoir ce que deviennent les choses qu’on a bien pris peine à recueillir et que l’on communique avec vigilance pour qu’elles aient leur effet. Quelquefois notre docteur se dépite et prend envie d’aller dans ses montagnes pour y demeurer couché tout le jour. Aussi vous autres Parisiens ne savez pas faire marcher votre Assemblée, et vous attendrez qu’on s’égorge sur les frontières pour faire montre de bravoure.

On dit que l’inspection[21] va se traiter sous peu ; en vérité, malgré l’intérêt que je puis y avoir, je trouve pitoyable qu’on songe à pareille bagatelle quand on a une Constitution à finir et des milliers de mécontents à mettre à la raison.

Adieu, adieu.


402

À M. H. BANCAL, À LONDRES[22].
26 janvier 1791, — de Lyon.

Je viens remplir le devoir sacré d’entretenir mon ami malheureux, de mêler mes pleurs aux siens et de nous abreuver ensemble des amertumes de la vie.

Devoir !… J’aime à saisir partout ton image ; mais sais-je s’il en existe un ici ? Je ne sens qu’une douleur que j’ai besoin de partager, et, accablée de travail ou de soins, je saisis avec transport un instant de liberté pour me livrer au sentiment dont je suis pénétrée.

Ne craignez point que je veuille détourner ou suspendre le cours de votre affliction : j’ai trop appris à souffrir pour n’être pas digne de m’unir à ceux qui gémissent.

Quel est donc l’être sensible qui a pu parcourir la moitié de sa carrière sans avoir à supporter des pertes déchirantes et des regrets cuisants ?

À peine commençons-nous à jouir de l’existence par un regard réfléchi sur nos alentours et nous-mêmes, que l’éloignement de nos compagnons de jeunesse nous prépare aux chagrins du cœur ; bientôt on voit s’échapper et disparaître les soutiens de notre enfance ou les parents dont nous faisions la gloire. Les sollicitudes d’un état, les travers du monde, la nécessité d’un engagement ou l’impossibilité d’en contracter qui satisfasse, font éprouver peu après de profondes douleurs ou de cruels mécomptes. Heureux, dans son infortune, celui qui peut mêler aux souvenirs des personnes qu’il regrette l’image touchante de leurs vertus ; heureux celui qui, dans l’énergie, la justice de sa propre tristesse, trouve un aliment dont il peut nourrir les plus saintes affections !

J’ai deux choses à vous demander : la première, c’est de soigner votre santé ; on oublie trop que c’est un devoir dont la négligence nous met hors d’état de remplir nos autres obligations. Je sais combien, dans certaines circonstances, on est porté à en tenir peu de compte ; c’est ainsi que j’ai mille fois exposé la mienne par insouciance de la vie ; j’en ai toujours rougi après le temps d’épreuve qui m’avait ainsi disposée, car j’ai vu que j’aurais pu faire davantage pour les autres en me conservant plus de facultés. La seconde chose que je réclame, c’est de me donner un peu plus souvent de vos nouvelles, pour me sauver d’une inquiétude à laquelle, sans doute, vous ne voulez pas me dévouer. Il en est une troisième que je livre à votre sagesse et que je lui ai déjà soumise, c’est votre prochain retour en France. Je redoute l’influence de la mélancolie dans un climat et une saison qui l’inspirent d’eux-mêmes et qui doivent aigrir celle où vous êtes jeté par une cause trop juste. Je n’imagine rien de comparable à l’abandon d’un être isolé, malade en terre étrangère. Je fus incommodée à Londres, j’y étais avec des personnes à qui je suis chère, et si mon propre instinct ne m’avait pas fait rejeter opiniâtrement un remède que fournissait un apothicaire, je serais demeurée victime de la précipitation des uns et des autres ; je ne serai point tranquille que je ne vous sache au milieu de vos parents. Je sens bien que le désir de vous revoir ne me fait pas illusion sur les motifs que la nature et la patrie fournissent à votre retour ; car je sais que c’est à ces chers parents que vous vous devez, que c’est près d’eux qu’il faut vous rendre, que c’est avec eux que vous aurez à combiner vos démarches ou votre établissement. Je ne vois plus le moment où vous porterez vos pas de nos côtés ; je ferme mes yeux sur cet avenir ; j’impose silence à toute considération qui ne tiendrait pas essentiellement à vos devoirs et à votre bonheur : tout ce que je sais, c’est qu’ils me sont autant et plus chers que les miens mêmes. Ce que je sais encore, c’est que j’aurai un jour à vous apprendre des choses qui vous étonneront peu, mais qui sûrement vous seront agréables. Je n’ai point passé tout le temps qui s’est écoulé depuis votre absence sans jeter sur le papier diverses choses qui vous sont destinées ; vous les connaîtrez quand l’heure en sera venue ; car je n’ai rien pensé qu’il ne fût digne de moi d’exprimer et qu’il ne soit digne de vous d’entendre. Aussi avais-je pris mes arrangements pour quelles vous parvinssent, lors même que la destinée aurait disposé de moi, ce que j’ai cru prochain durant quelques instants. Nous aurons été ramenés à un même point de vue par des moyens différents ; le demi-jour qui règne dans les tombeaux est plus propre à la vérité que l’éclat éblouissant du soleil.

Ne vous fatiguez point de conjectures, vous avez assez du présent ; achevez vos observations et revenez dans notre patrie, qui serait heureuse si elle avait beaucoup d’enfants comme vous. Il faut pardonner à l’excès des premières douleurs plusieurs expressions qui vous sont échappées. Il n’est plus de repos pour vous, avez-vous osé dire. Eh quoi ! le Ciel a-t-il jamais prononcé le malheur de ceux qu’il anima de son souffle le plus pur, ou n’a-t-il attaché la portion de félicité accordée à l’homme sur la terre qu’à une exemption extraordinaire des misères humaines ? Ô mon ami ! on dirait que vous parlez comme si elles vous avaient été inconnues jusqu’à présent ; et cependant, combien de larmes n’avez-vous pas déjà versées ? Ne blasphémez point, je vous en conjure ; ne soyez point ingrat envers la nature ; si vous souffrez en ce moment, c’est parce que vous avez été doué de plus de biens qu’elle n’en accorde au commun des êtres : il vous en échappera plus d’un encore avant que vous subissiez la loi qui ne fait acception de personne ; sachez apprécier ceux qui vous restent, et vous supporterez moins douloureusement les sacrifices dont il faut les payer. Avec un esprit éclairé qui connaît tous ses devoirs et ne saurait enfin se tromper sur la vertu, avec un cœur généreux qui sait goûter tout ce qu’elle a d’exquis, tu pourrais être malheureux et te plaindre ?… Non, tu ne serais plus toi-même ni mon ami. Va ! ose envisager ta carrière ; compte, si tu peux, tout le bien dont tu dois l’embellir : tu seras plus juste et rendras grâces aux dieux.


403

À BOSC, [À PARIS[23].]
26 janvier 1791, — [de Lyon].

Je vous fais passer un petit mot que je n’ai pu adresser sous un couvert ordinaire et que je vous prie d’expédier à la personne qu’il regarde.

J’ai reçu avec grand plaisir la lettre du patriote Gibert, mais je ne puis lui écrire en ce moment.

Nous sommes trop préoccupés de divers travaux, notre ami n’a pas le temps de respirer ; c’est le Camus des finances de Lyon[24], et le jour est aussi difficile à faire ici dans les comptes qu’il l’est à Paris.

La lettre du pauvre Bancal nous a plongés dans la mélancolie ; son âme ardente, sensible et généreuse méritait de n’être point livrée à de telles douleurs.

J’imagine que vous aviez communiqué sa lettre à son ami Caton-Garrant[25], et que vous aurez ajouté quelque chose à l’expression trop rapide de nos sentiments.

Adieu, nous vous embrassons affectueusement.

404

[À BANCAL, À LONDRES[26].]
27 janvier 1791, — [de Lyon].

Nous[27] avons oublié, mon cher ami, de vous prier, quand vous serez à Londres, d’aller chez Mylady Egremont, Dover Street, Picadilly, vous informer où l’on doit adresser les lettres de M. Dezach, astronome du prince de Saxe-Gotha, pour qu’elles lui parviennent. Cette mylady est mariée en secondes noces avec le comte de Brhule[28], envoyé de Saxe en Angleterre, ami de l’astronome. Nous l’avons vu chez lui, en 84, quand nous fûmes à Londres. Il est répandu en Allemagne dans l’aristocratie, et nous avons pensé qu’en le provoquant à nous écrire, nous pourrions savoir peut-être ce qui s’y trame. Si vous pouvez nous avoir son adresse, quoiqu’il y ait longtemps que nous n’avons de ses nouvelles, nous renouerons correspondance avec lui.

On n’a pu obtenir de la Société des Amis de la Constitution une adresse vigoureuse à l’Assemblée nationale. Elle n’a voté que des demandes, l’organisation de la garde nationale. On a osé y soutenir que l’Assemblée nationale savait ce qu’elle avait à faire et qu’on n’avait pas d’adresse à lui faire. Venez vite, et nous combattrons ensemble ; salut.

Nous[29] allons aussi écrire en Suisse[30], dans la même intention. Les lenteurs, les délais de l’Assemblée nationale à organiser toutes les parties de la force publique sont impardonnables. Les mécontents ne se tiennent pas pour battus et ne cessent d’intriguer. Leurs petites manœuvres intérieures ne me paraissent pas fort inquiétantes, et je compterais pour rien les assemblées nocturnes qui recommencent ici et auxquelles se rend La Chapelle, précédent commandant des troupes de ligne, ne s’étant retiré de cette ville en apparence que pour s’arrêter à Trévoux, si la coalition presque universelle des évêques n’annonçait, d’une part, qu’ils espèrent le soutien des baïonnettes, et si les préparatifs d’Allemagne ne prouvaient, de l’autre, que les manifestes de tous les princes de ce côté seront suivis de tentatives. Ces conjurations du dehors et de l’intérieur ne prévaudraient pas sans doute contre une Assemblée sage, ferme et respectée ; mais cette Assemblée perd tous les jours à vue d’œil, et devient un foyer de corruption où aboutissent toutes les ressources de la liste civile, où se forment une infinité de décrets détestables, et où s’oublie l’achèvement de la Constitution.

Il ne serait pas impossible que, sous un mois ou six semaines, notre ami fût dans le cas de se rendre à Paris où je le suivrais[31] ; mais c’est encore très incertain et nécessairement soumis aux circonstances de la chose publique.

Adieu ; nous avons des brouillards comparables à ceux d’Angleterre, mais la température physique et les altérations politiques n’influent sur les âmes dévouées au patriotisme et à l’amitié que pour assurer leurs dispositions et fortifier leurs sentiments.


405

[À BOSC, À PARIS[32].]
29 janvier 1791, — [de Lyon].

Je pleure le sang versé[33] ; on ne saurait être trop avare de celui des humains ! Mais je suis bien aise qu’il y ait des dangers. Je ne vois que cela pour vous fouetter et vous faire aller. La fermentation règne dans toute la France ; ses degrés sont combinés avec les mesures extérieures ; la force publique n’est point organisée, et Paris n’a point encore assez influencé l’Assemblée pour l’obliger de faire tout ce qu’elle doit.

J’attends de vos sections des arrêtés vigoureux ; s’ils trompent mon attente, je croirai qu’il me faut gémir sur les ruines de Carthage, et, tout en continuant de prêcher pour la liberté, je désespérerai de la voir affermie dans mon pays malheureux. Laissez-moi de côté l’histoire naturelle et toutes les sciences autres que celle de devenir homme et de propager l’esprit public.

J’ai ouï dire à Lanthenas que des députés allaient étudier au Jardin des Plantes[34]. Bon Dieu ! et vous ne leur avez pas fait honte !… Et ces honnêtes citoyens, qui voient avec douleur la corruption les environner, ne s’élèvent pas avec énergie contre ses progrès ?… n’en relèvent pas toutes les traces ?… n’appellent pas l’opinion publique pour l’opposer à ce torrent ?… Où donc est le courage, où donc est le devoir ?

Oses les y rappeler. Si j’apercevais la plus petite intrigue dirigée contre le bien de la patrie, je me dépêcherais de la dénoncer à l’univers.

Le sage ferme les yeux sur les torts ou les faiblesses de l’homme privé ; mais le citoyen ne doit pas faire grâce, même à son père, quand il s’agit du salut public.

On voit bien que ces hommes tranquilles n’avaient pas admiré Brutus avant que la Révolution l’eût mis à la mode.

Ranimez-vous, et que nous puissions apprendre à la fois et vos efforts et vos succès.


406

À BOSC, [À PARIS[35].]
6 février 1791, — [de Lyon].

Voici deux expéditions : l’une pour M. Populus[36], l’autre pour Brissot ; faites passer et secondez notre zèle.

Vous paraissez bien content de vous dans votre lettre du 31, que nous avons reçue hier ; vous semblez effectivement mériter que nous le soyons aussi.

J’aime beaucoup vos Sociétés fraternelles et je désire qu’il s’en établisse dans toutes vos sections. Leur activité, leur surveillance sont absolument nécessaires et pour l’achèvement de la Constitution et pour son maintien. Ce n’est pas le tout que de faire un gouvernement libre si l’on n’est toujours en action pour le conserver tel et le perfectionner.

Les Sociétés populaires seront la fédération pacifique des moyens, des intentions et des lumières pour atteindre à ce but[37].

Adieu, jusqu’au plaisir de vous embrasser ; je n’en sais pas encore le moment ; il put être hâté ou retardé selon le cours des affaires, mais il ne saurait être porté au delà de trois semaines.

Lanthenas ajoute au paquet une autre expédition pour les Jacobins ; ainsi vous remettrez encore cette dernière.


407

[À BOSC, À PARIS[38].]
7 février [1791], — de Lyon.

On dit que vous faites le rodomont, que vous écrivez de belles choses pour nous vanter les Parisiens avec vous, mais que les effets ne suivent pas. Il est vrai que les armements que vous faites décréter sont bien ridicules[39], tandis que nos gardes nationales demeurent partout sans organisation, sans exercice et sans armes[40]. Il fait beau compter vingt-cinq millions d’hommes, parmi lesquels il n’y en a pas trois cent mille en état de défense ! Et cependant les frontières ennemies se hérissent, les grands despotes et les petits souverains, les fugitifs et les mécontents de l’intérieur se liguent pour nous préparer des scènes sanglantes. Lisez l’adresse imprimée que vous trouverez ci-jointe[41], et apprenez que nous n’avons pas le temps de nous vanter, mais qu’on peut voir nos œuvres.

Vous avez beau dire ; tant que je verrai vos Comités tyranniques et ignares ou corrompus proposer de minces décrets, s’amuser à autre chose que la Constitution, ou ne dresser que des épouvantails de moineaux, j’affirmerai que les Parisiens ne sont plus si braves qu’ils ont paru l’être, ou qu’ils ont perdu leur habileté. Tirez-vous à arrêter de là, sinon je vous répéterai les mêmes choses en face. Adieu ; je vous écrirai demain sur notre logement ; aujourd’hui, en attendant, nous vous embrassons pour vos propos, et je vous quitte pour faire nos paquets ; avant huit jours, nous serons près de vous.


408

[À BOSC, À PARIS[42].]
10 février 1791, — de Lyon.

C’est à vous maintenant, notre bon ami, de voir à nous gîter à Paris ; je vais vous donner de la peine, mais je pense que vous comptez pour quelque chose le plaisir de nous voir et celui d’être utile à vos amis. Nous ne voulons plus habiter le pays latin ; nous avons pensé que nous serions mieux à portée des affaires dans la partie du faubourg Saint-Germain qui s’étend, par exemple, depuis la rue Mazarine jusqu’au voisinage du Pont-Royal ; nous serons six à loger[43]. Il nous faut d’abord un appartement où nous ayons une pièce où notre ami puisse travailler avec son collègue, et qui nous serve à recevoir ; il me faut une chambre à coucher deux lits ; plus un cabinet, assez grand pour que la bonne puisse y coucher. Il serait bon qu’il y eût une petite pièce quelconque, pour servir d’entrée, où l’on pût mettre quelques provisions, comme du bois, etc…, où les domestiques pussent se tenir dans le jour, où l’on pût dresser un lit de camp pour coucher le garçon ; ce qui dispenserait d’un bouge ailleurs pour telle destination. Nous ne chercherons pas de luxe, comme vous pouvez croire ; nous habiterons aussi bien le second étage que le premier ; mais je tiens beaucoup à la propreté et j’aimerais que l’appartement fût en couleur et frotté. Il faut en outre deux chambres à coucher quelconques : une pour le collègue député, et une pour Lanthenas ; il n’est pas nécessaire qu’elles fassent partie de l’appartement, mais bien qu’elles soient dans le même hôtel.

Nous partirons probablement au commencement de la semaine prochaine et nous n’aurons pas le temps de recevoir votre réponse ; il faudra nous l’adresser poste restante à Fontainebleau, afin que nous sachions où descendre en arrivant à Paris. J’oubliais de dire que nous aurons besoin de remise pour deux voitures.

J’avais écrit à Mme  de Landine pour savoir, d’après la première idée de mon bon ami, s’il y aurait de la facilité à s’arranger dans son voisinage[44] ; mais nous avons pensé que ce quartier (des Tuileries) serait trop rempli et trop cher ; d’ailleurs, je n’ai plus le temps de recevoir des informations pour ne me décider qu’après ; il faut agir. Je lui écris un mot ; si vous vouliez le remettre vous-même, vous sauriez s’il y aurait quelque chose à faire de ce côté. Mais vous sentez nos bonnes raisons pour la partie indiquée du faubourg Saint-Germain. Logez-nous dans un endroit propre et accessible, où une citoyenne qui sait user de ses jambes puisse sortir sans se mettre dans la boue[45].

Lorsque vous aurez reçu la présente, ne nous envoyez plus rien ici. Adieu, jusqu’au revoir.

Comme Lanthenas avait marqué, généralement, à Parraud de voir s’il y avait quelque chose qui nous convint, vous pourriez peut-être savoir s’il aurait fait quelque découverte. Mais il n’était pas chargé de rien arrêter, et je ne sais si l’ami Lanthenas lui avait bien indiqué ce dont nous aurions besoin.


409

À M. H. BANCAL, À LONDRES[46].
11 février 1791, — de Lyon.

Assurément, le premier besoin pour une âme saine c’est de n’avoir embrassé aucune résolution qui n’ait été fondée sur la conscience de ses devoirs et le sentiment de ses obligations. La volonté de remplir les uns et les autres est même si naturelle aux cœurs droits, qu’elle ne peut être anéantie et qu’elle est seulement aveuglée par l’erreur ou les passions. Aussi la grande affaire des honnêtes gens n’est pas de s’exciter à ce qu’ils doivent, mais de bien juger ce qu’ils ont à préférer.

Nous recevons aujourd’hui votre lettre à Bosc du 31 dernier ; il nous mande qu’il vous a répondu, sans nous rien dire de ce qu’il vous a marqué. Je vois avec cette douce satisfaction qui nous fait jouir des vertus de nos amis bien plus que des nôtres, peut-être parce que nous ne voyons qu’elles en eux et que nous sentons nos propres faiblesses, je vois, dis-je, que vous recherchez de bonne foi les raisons qui peuvent vous déterminer à prolonger votre séjour dans l’étranger ou à vous rendre dans votre patrie.

Je, ne m’établirai sûrement pas juge des uns (sic) ni des autres, parce que les données nécessaires ne sont pas toutes à ma connaissance ; mais je me reproche de vous avoir si vivement et peut-être inconsidérément engagé à revenir. Je ne vous ai envisagé que sous un seul point de vue, vous n’étiez présent à mon esprit que plongé dans la douleur et loin de toute consolation ; je vous ai désiré au sein des vôtres et recevant d’eux le baume qui charme les maux de la vie ; mais vous êtes homme et vous saurez supporter la tristesse d’une situation où il serait utile que vous demeurassiez encore. Encore une fois, c’est ce que je ne juge point ; mais je vous prie de n’avoir aucun égard à ce que je vous ai exprimé et de conserver toute l’impartialité dont vous aurez besoin de vous rendre témoignage pour être toujours content de vous. Je souffrirais trop de penser que vous eussiez jamais quelque motif de ne pas l’être, et encore d’avoir contribué à vous procurer cet affligeant mécompte. En vous invitant à rentrer en France, j’ai suivi l’impulsion d’un sentiment qui raisonne, il est vrai, mais qui ne saisit que les choses qui lui sont favorables.

Lanthenas vous a parlé dans la sincérité de son âme ; dévoué aux soins d’un apostolat qu’il remplit avec un zèle et un oubli de soi-même vraiment admirables, il n’imagine pas qu’un citoyen français doive être ailleurs dans ce moment qu’au milieu de ses frères et occupé d’autre chose que de les servir et de les éclairer. En applaudissant à sa conduite qui ajoute à mon estime pour lui, je n’adopte pas exclusivement sa façon de penser. Je crois qu’il est plus d’une manière d’être utile, et que, dans la diversité des moyens, il est-permis à chacun de choisir ceux auxquels il se sent le plus propre. Je crois cela par raisonnement et principes ; je le croîs encore d’après ce que vous avez fait, car vous n’avez point agi à l’aventure, et vous avez voulu, autant que personne, servir votre pays[47]. Je ne sais si cette dernière preuve serait de toute évidence sur les bancs de l’école, mais je sais que le sentiment qui me la fournit est aussi sûr qu’un syllogisme. Enfin vous avez consulté Bosc sur les faits ; consultez le sévère Garran sur l’application qu’on en peut faire, et surtout consultez-vous vous-même en éloignant toute considération particulière. Aussi bien ces vents dont vous parlez me semblent ajouter un terrible poids aux raisons de demeurer. Dans tout cela, je n’aurai point la fausse délicatesse de vous cacher que je vais à Paris ; je pousserai même la franchise jusqu’à convenir que cette circonstance ajoute beaucoup à mes scrupules de vous avoir invité au retour. Il y a, dans cette situation, une infinité de choses et de nuances qui se sentent vivement, quoiqu’on ne puisse les expliquer ; mais ce qui est très clair et ce que je vous exprimerai franchement, c’est que je ne voudrais jamais vous voir aux dépens d’aucune raison qui ait dû diriger votre marche, et que vous auriez fait plier à des considérations passagères ou à des affections partielles.

Rappelez-vous que, si j’ai besoin du bonheur de mes amis, ce bonheur est attaché, pour ceux qui sentent comme nous, à une irréprochabilité absolue. Voilà le point où j’espère que nous nous retrouverons toujours, et il est assez élevé pour que nous puissions nous y réunir malgré les vicissitudes du monde et l’étendue de l’espace.


410
[À BOSC, À PARIS[48].]
12 février 1791, — de Lyon.

Nous avons reçu hier votre bonne petite lettre du 7 et celle qui lui était jointe. Nous aurions de grand cœur accepté votre logis[49] si nous étions entre nous ; mais vous aurez vu par ma dernière que nous sommes en bande et que nous avons besoin d’être gîtés d’abord : ainsi je pense que vous aurez bien voulu vous occuper de notre logement suivant l’indication que je vous ai donnée, et j’en attends la nouvelle à Fontainebleau, comme je vous l’ai marqué. Nous partons mardi 15 au matin ; nous nous arrêterons, au plus, vingt-quatre heures à Villefranche, puis nous courrons vous joindre. Je ne vous dis plus rien des Parisiens puisque je vais les juger de visu. Dites, je vous prie, au brave Gibert que je n’ai pas trouvé le moment de lui écrire, mais que je m’en suis consolée par l’espérance de le voir bientôt.

Vous ne nous faites point part de votre opinion sur la question que vous fait Bancal ; à ce que j’en vois d’ici, la nouvelle législature n’est pas prochaine.

Adieu, adieu ; je ne sais plus écrire quand je dois causer. Nous vous embrassons de tout cœur.


411

[À BOSC, À PARIS[50].]
[Fin de février 1791, — de Paris.]

Je suis depuis hier dans une émotion telle que vous pouvez vous la représenter ; j’ai été voir le brave Petion, mon ami y est allé à son tour. Ô Liberté ! ce ne sera pas en vain que de généreux citoyens se seront dévoués à ta défense[51] !

J’ignorais ce que vous me dites ; mais, si c’est ainsi, chacun fera son devoir.


412

[À BOSC. À PARIS[52].]
[1er mars 1791, — de Paris.]

Vous m’avez fait passer la lettre de Bancal ; c’est très bien, mais quand est-ce que vous viendrez me voir vous-même avec la liberté d’un ami ?

J’entre en ménage aujourd’hui, je serais enchantée que vous vinssiez me demander à dîner et je ne mets à mon invitation que l’espèce de discrétion qui accompagne le sentiment d’un plaisir qu’on demande.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Ce mardi matin[53].


413

À M. HENRY BANCAL, À LONDRES[54].
7 mars 1791, — de Paris.

Nous[55] avons trouvé ici, mon cher ami, une lettre de vous que vous avez fait passer à l’ami Bosc, et qui est encore entre les mains de Brissot qui veut en faire usage. Depuis notre arrivée, nous sommes tous tellement en l’air, que nous n’avons pu vous écrire et que nous ne pouvons même pas le faire aujourd’hui longuement.

La chose publique marche ; mais il est bien besoin que les bons citoyens se réunissent pour ce moment où la fin de la Constitution fera faire les derniers efforts à tous les partis qui lui sont contraires. Vous en aurez vu quelques symptômes dans ce qui s’est dernièrement passé aux Tuileries[56]. Tout est calme dans ce moment. Madame Roland a été malade les premiers jours que nous avons été ici. Elle a cependant été à l’Assemblée nationale : elle en connaît maintenant les principaux personnages, et elle s’est convaincue que la liberté, la Constitution ne doivent pas tenir et ne tiennent pas en effet aux hommes qui ont paru le plus dans le moment de la Révolution. Elle vous en causera peut-être assez an long, si le temps le lui permet. Quant à moi, je vous dirai seulement que je fais ici de mon mieux pour provoquer des Sociétés populaires comme celles de Lyon[57]. Je ne sais le bien que vous faites en Angleterre, mais, si vous aviez été ici et si vous aviez voulu m’aider, vous auriez, je pense, été plus utile.

Les Jacobins et beaucoup de députés me semblent extrêmement changés en pis depuis que je ne les avais vus. Nous aurions eu du plaisir à juger de tout cela avec vous. Ménagez-vous, écrivez-nous. Mille saluts. Je vous serai obligé de faire mes commissions.

Voilà[58] quinze jours que je respire mon air natal ; j’ai vu de vieux parents[59], seuls débris d’une famille qui s’est presque éteinte depuis dix ans ; j’ai été, à sept lieues d’ici, visiter une digne femme dont l’amitié fut chère à ma jeunesse et qui, dans la simplicité des mœurs champêtres, exerce aujourd’hui mille vertus utiles à tout ce qui l’environne[60] : j’ai repassé, avec un charme inconcevable, sur tous les lieux où se sont écoulées mes premières années ; je me suis livrée avec délices à cet attendrissement dont on aime à se trouver capable, parce qu’effectivement on ne l’éprouve qu’autant qu’on a préservé son âme du dessèchement que produit l’ambition, qu’entraînent les sollicitudes et les petites passions.

J’ai vu mon pays devenu libre, j’ai admiré tout ce qui m’attestait cette liberté, et je n’ai plus regretté de n’être pas née sous un autre gouvernement que le mien. Après mes devoirs particuliers, mon premier empressement a été pour cette Assemblée nationale qui a fait tant de choses, ou du moins qui a revêtu du caractère de la loi tout ce que faisait réellement la force des circonstances et celle de l’opinion publique. Si je n’avais pas été patriote, je le serais devenue en assistant à ses séances, tant la mauvaise foi des Noirs[61] se manifeste évidemment. J’ai entendu le subtil et captieux Maury, qui n’est qu’un sophiste à grands talents ; le terrible Cazalès, souvent orateur, mais souvent aussi comédien et aboyeur ; le ridicule d’Éprémesnil, vrai saltimbanque, dont l’insolence et la petitesse finissent par faire rire ; l’adroit Mirabeau, plus amoureux d’applaudissements qu’avide du bien public, les séduisants Lameth, faits pour être des idoles du peuple et, malheureusement, pour égarer celui-ci, s’ils n’étaient eux-mêmes surveillés ; le petit Barnave, à petite voix et petites raisons, froid comme une citrouille fricassée dans de la neige, pour me servir de l’expression plaisante d’une femme de l’autre siècle ; l’exact Chapelier, clair et méthodique, mais souvent à côté du principe. Que sais-je encore ! l’Assemblée faible et se corrompant ; les nobles réunis par la complicité pour leurs intérêts, et les patriotes sans ensemble, sans concert pour le succès de la bonne cause[62]. Cependant tout ira, je l’espère, par cette force et cette opinion qui ont tout commencé.

J’ai vu l’excellent Brissot ; je viens de voir l’honnête Garran ; il m’a dit que vous aviez ici un frère nouvellement arrivé. Je n’ai pas le temps de vous entretenir longuement, et je m’en tiens à vous réitérer les sentiments qui vous sont voués parmi nous. Notre ami est extrêmement fatigué ; son activité a été fort exercée depuis notre arrivée ; elle ne souffre pas de délais dans ce qui intéresse la chose publique et la confiance dont il se trouve l’objet[63].

Adieu ; je pense que vous nous donnerez bientôt de vos nouvelles.

P.-S. Ils ne m’ont point laissé de place pour vous écrire. Je vous embrasse. Avez-vous vu Smith ? — Bosc.


414

À M. H. BANCAL, À LONDRES[64].
15 mars 1791, — de Paris.

Il y avait peu de jours que notre première de cette ville vous avait été adressé, lorsque nous avons reçu celle de vos lettres qui nous apprend votre retour à Londres, vos projets ultérieurs et votre constance à poursuivre leur exécution. Celle-ci ne sera pas troublée par une prochaine convocation de la seconde législature ; il n’est pas vraisemblable que l’Assemblée nationale ait fini sous quatre mois les travaux constitutionnels, et, assurément, aucun de ses membres ne saurait assigner l’époque de cet achèvement. Tous et chacun travaillent au jour le jour, à bâtons rompus, sans ordre prévu, et souvent au rebours de celui qui avait été arrêté ; c’est une grande machine mise en jeu par les circonstances et dont les effets seraient difficilement calculés. Malheureusement, ce qui paraît le plus clair aujourd’hui, c’est que la masse s’altère et se corrompt toujours davantage, en même temps qu’elle est plus livrée à elle-même. Le peuple a fait la Révolution par lassitude de l’esclavage ; la nation éveillée a forcé ses représentants de s’élever à la hauteur où l’indignation l’avait portée ; maintenant que les bases de la Constitution sont posées, elle regarde faire les législateurs qu’elle s’est donnés ; ceux-ci, abandonnés à leurs propres facultés, ne sont plus généralement que les hommes médiocres ou corrompus du régime passé.

Les Noirs sont peu redoutables au sein de l’Assemblée ; l’évidence de leurs intérêts particuliers, l’acharnement avec lequel ils les défendent sans pudeur, les ridicules sophismes dont ils s’appuient, le langage servile dont ils font gloire, les ont rendus l’objet du mépris ou de la risée du public.

Mais 89 ou les Impartiaux[65] sont devenus nos plus dangereux ennemis ; leur nombre s’est prodigieusement accru ; il y a, parmi eux, une faction puissante qui regrette les pas que nous avons faits vers la démocratie, qui tend à faire rendre le plus qu’il lui sera possible au pouvoir monarchique, qui voudrait que nous nous rapprochassions du gouvernement anglais, qui, au défaut de la noblesse qu’elle n’ose redemander, désire une distinction constante entre la classe des riches et celle de ceux qui ne le sont pas. Cette faction veut la liberté, dit-elle ; mais elle hait l’égalité, elle la suppose impossible ou dangereuse ; elle n’imagine de paix et de bonheur que dans la grande influence d’un monarque et les gradations que cette influence favorise ou établit.

Vous jugez que cette faction embrasse ou séduit tous les gens médiocres ou ambitieux qui espèrent davantage de la faveur que de leur propre mérite, et dont les passions s’irritent de la concurrence qui règne dans un état parfaitement libre. Vous jugez combien le ministère fomente ces dispositions et est habile à profiter d’elles. Joignez à cela un tas de bûches à dix-huit francs par jour, qui n’entendent pas toujours la question sur laquelle elles sont appelées à voter ; il ne reste du bon côté que ces Jacobins, affaiblis et par les défections et par la perte de leur crédit dans le public ; perte qu’ils doivent à la trop grande influence qu’ils ont laissée sur eux aux Lameth, jugés actuellement comme des ambitieux et de mauvaises têtes, que l’affaire des colonies a démasqués ainsi que Barnave.

Voilà ce qu’il me semble de l’état actuel de l’Assemblée ; il est très affligeant pour de vrais patriotes, et si ma curiosité a été alimentée en suivant ses séances, mon cœur s’est souvent indigné de ce qui s’y passait.

Vous ne sauriez vous représenter l’indécence avec laquelle on a violé le principe de l’organisation du trésor public ; la nomination de ses administrateurs était résolue devoir être donnée au Roi, par tous les Impartiaux, avant que la discussion fût entamée ; l’impatience se manifestait ouvertement à l’exposé des bonnes raisons qui combattaient ce système ; on interrompait, on a presque hué Robespierre et Rœderer qui les déduisaient avec courage, et l’on a visiblement précipité le décret, de peur que l’opinion publique, qui n’était pas éclairée sur cette matière, ne se mûrit par la discussion[66]. Maintenant, qui croyez-vous que la cour portera à ses places de finance ? Lafayette le demandait dernièrement à Delessart[67] ; mais, répondit ce dernier, il faudra bien dédommager par elles les personnes précédemment employées dans les affaires de ce genre, et qui ont fait quelques pertes par la Révolution. Ainsi nous allons retomber dans les mêmes mains qui servaient à nous dévorer.

Il ne parait pas actuellement que nous ayons autant à redouter de l’Allemagne qu’il a semblé durant quelques instants ; ceux de ces princes, propriétaires en Alsace, entrent, pour la plupart, en négociation pour indemnités. Les prêtres, du moins une grande portion, se coalisent pour faire schisme, s’il est possible ; mais, quels que soient leurs efforts, leur drogue a tellement perdu faveur, que, malgré l’effroi des dévotes et d’une somme d’imbéciles, je ne pense pas qu’ils réussissent à leur gré. Paris a, pour évêque, M. de Lyda[68] ; l’abbé Syeyès(sic) était sur les rangs ; il a déclaré renoncer à toute place de cette espèce pour se vouer à l’administration.

Je ne sais pour combien nous sommes dans ce pays ; peut-être sera-ce pour longtemps, car l’activité de notre ami, loin d’être secondée, est cruellement contrariée ; les détails du comment nous entraîneraient trop loin.

J’ai embrassé mes parents, j’ai revu mon pays, je suis prête à retourner sans peine au fond de la province ; il me semble même que les jours passés dans mon ermitage me laissent mieux, à la fin de chacun d’eux, la conscience de les avoir employés au bien de mes semblables, que ceux que je passe ici. Je sens que j’ai plus de besoin de vertus que d’amusement, et la retraite où je vis, pour ainsi dire avec mon cœur, est encore préférable au lieu où l’esprit seul s’exerce. D’ailleurs Eudora est à Villefranche, et c’est un aimant très actif[69].

J’ai vu avec un singulier intérêt le brave Brissot et sa très aimable femme[70], qui a beaucoup de tact et de jugement ; j’ai vu, avec ce sentiment qui naît du rapport des âmes et de cette simplicité qui nourrit la confiance, Caton-Garran et sa douce famille ; nous allons passer la journée de demain au milieu d’elle, et c’est une vraie fête de mon goût.

Je ne suis allée à aucun spetacle, quoique avec l’idée de les revoir tous ; le charme des beaux-arts et de tout ce qui y tient était autrefois le plus grand de la capitale, du moins à mon gré, mais, en acquerrant une patrie, nous prenons nécessairement une autre façon de voir, et les sollicitudes des patriotes laissent à peine quelque place au souvenir des choses de goût. Il fait un temps superbe dont je n’ai pas toujours pu jouir. Vous allez voir renaître les beaux jours en Angleterre, et ils vous procureront sans doute de grands plaisirs ; car l’hiver est bien sombre dans ce pays, et les campagnes y ont des grâces qui leur sont particulières. Si vous étendez vos courses jusqu’aux montagnes de l’Écosse, vous verrez tous les sites qui ont enflammé Thompson, et qu’il a si bien décrits, non en géographe, il est vrai, mais en peintre.

La guerre de l’Inde sera donc continuée, et la soif de l’or, toujours excitée par le commerce, va de nouveau faire verser le sang humain. C’est profondément calculer sur notre situation qui véritablement ne nous permet guère de nous mêler des querelles de personne sur un autre hémisphère. N’avez-vous pas cherché à connaître madame Macaulay ? Son esprit, ses talents, sa trempe républicaine me paraissent la rendre bien intéressante. J’ai demandé à Brissot qu’il me prêtât son histoire, et j’en ai commencé la lecture[71]. Si vous étiez dans des circonstances moins graves, je vous chercherais querelle sur l’ennui dont vous faites l’aveu ; je croîs que vous vous êtes trompé sur le mot ; les âmes ardentes n’éprouvent point d’ennui, c’est la maladie d’un tas de gens auxquels vous ne ressemblez point ; mats ce n’est pas le cas de chicaner sur les expressions.

Adieu ; nous vous aimons toujours, à Paris comme à Lyon.


de Lanthenas :

Je n’ajoute qu’un mot, mon cher ami, pour vous adresser la présente. C’est M. Bertrand[72], mon ancien associé, qui désire vous voir et faire quelques tournées avec vous, si les lieux où ses affaires l’appelleront excitaient votre curiosité. Il va voir son fils qui est à Birmingham. C’est un enfant de bonne espérance, auquel il a toutes les raisons possibles d’être attaché.

Ci-joint quelques pamphlets pour les noirs. — Il s’agit de les remettre à M. Phillips[73] pour la Société des Amis des Noirs. — Salut.

247

À M. HENRY BANCAL, À LONDRES[74].
Mardi, 22 mars 1791, — de Paris.

Nous avons écrit deux fois depuis notre séjour ici ; l’une de nos dépêches vous est portée par l’associé de Lanthenas ; j’imagine que le tout vous sera parvenu à l’arrivée de la présente.

Votre dernière, du 11, a été reçue, il y aura demain huit jours ; la lecture s’en est faite chez Caton-Garran où nous dînions avec Bosc, Brissot, etc. Il a été doux pour vos amis de rencontrer inopinément l’un de vos frères, dont le maître de la maison nous avait donné la compagnie ; à votre absence, nous l’avons regardé comme votre représentant, et il s’est assez bien montré dans le sens de la Révolution pour n’être pas indigne de ce rôle. G, [Garran] s’est chargé de la lecture de votre lettre ; il m’a paru, à vous parler franchement, que le rassemblement des meilleures têtes n’était pas toujours le plus sûr moyen de tirer parti d’elles. Assurément, chacun de nous, en particulier, n’aurait su (du moins, je le crois ainsi) prendre connaissance de votre projet sans émotion et sans attendrissement, par l’effet naturel des sentiments qui l’ont dicté ; cette première disposition aurait commandé l’attention nécessaire à la discussion du projet et au calcul des moyens de l’effectuer. Au contraire de tout cela, je ne sais quelle dissipation n’a pas permis de s’arrêter sur ces idées ; une sorte de préoccupation des affaires courantes, l’aperçu des difficultés, la réflexion faite par G. [Garran] que l’association du Cercle social[75] tendait au but que vous proposiez, que sais-je encore ? toutes ces choses ont laissé glisser votre excellente lettre, et ce n’est que depuis deux jours que je l’ai recueillie pour la joindre avec intérêt à celles que nous avons déjà.

Il est très vrai que le train des choses dans la capitale, l’agitation où y vivent nécessairement ceux qui sont chargés de quelques affaires ou travaux, l’incertitude où nous sommes encore à quelques égards pour le salut public, emploient les facultés et se refusent à ces méditations calmes et profondes qui enfantent les vastes projets et embrassent dans leur étendue le bonheur du genre humain. Vous êtes dans une situation différente. Sorti du tourbillon dont la force entraîne avec lui tout ce qui se trouve dans sa sphère d’activité, vous portez au loin vos regards, vous maîtrises vos pensées, et l’expansion de votre amour pour le bien de vos semblables ne connaît point d’obstacles.

Il vous faudrait ici des correspondants, solitaires comme vous au milieu du monde ; mais tous nos amis ont la main à l’œuvre ; l’action les emporte malgré eux, et chaque jour suffit à peine à l’obligation qu’il impose.

Je suis allée vendredi au Cercle social ; j’ai été très satisfaite de la séance ; j’y ai entendu déduire, avec force, chaleur et clarté, les plus grands principes de la liberté ; je les ai vu applaudir avec transport ; l’abbé Fauchet, que les patriotes mêmes taxent trop légèrement d’exaltation et d’imprudence, m’a paru un excellent et vigoureux apôtre de la meilleure doctrine.

On a lu une motion qui a pour objet d’établir à Londres un cercle des Amis de la vérité à l’instar de celui de Paris ; cette motion a été accueillie ; l’assemblée a arrêté que son directoire choisirait quatre de ses membres, qui seraient chargés de la recherche des moyens. Les motifs dont cette motion était appuyée, les vues dont elle était accompagnée, m’ont paru rentrer parfaitement dans celles que vous aviez exposées, et j’ai trouvé de la justesse dans la réflexion de G. [Garran] que cela m’a rappelée. Ma première idée a été d’écrire au président pour vous indiquer comme l’homme le plus propre à tous égards à favoriser cet établissement à Londres et à lui donner la meilleure forme. Je suis rentrée chez moi avec la résolution d’agir en conséquence, mais j’ai voulu m’entretenir du Cercle social et connaître l’opinion sur cette société ; je lui ai entendu reprocher des vues de mysticité qui la discréditaient dans l’esprit de bons citoyens et d’hommes sages ; sans ajouter foi à cette inculpation, j’ai craint de faire une chose qui ne conviendrait pas en vous nommant sans votre aveu et vous indiquant à des personnes dont les relations pourraient n’être pas ce qu’elles m’avaient semblé devoir être ; je me suis contentée de communiquer le tout à Brissot pour le remettre à son jugement et à ses soins ; j’ignore ce qu’il en a pensé.

Vous aurez vu, par mes précédentes, ce que je juge de la chose publique ; mes observations ultérieures confirment cet aperçu ; l’Assemblée est divisée, faible et se corrompant chaque jour ; les Jacobins perdent de leur crédit, ne remplissent plus ou remplissent mal le devoir qu’ils s’étaient imposé de discuter les objets dont l’Assemblée aura à s’occuper ; ils sont conduits par leur bureau[76], et celui-ci est soumis à deux ou trois particuliers bien plus soigneux de conserver leur propre ascendant que de propager l’esprit public et de servir efficacement la liberté ; les Parisiens ont passé le moment de fermentation qui les avait élevés au-dessus d’eux-mêmes ; leur municipalité est détestable et rend des ordonnances que le vieux despotisme n’aurait osé publier ; les prêtres se coalisent ; les intéressés à l’ancien régime profitent du schisme qu’élèvent les premiers pour couvrir leur passion d’un manteau religieux, et ils font avec eux cause commune ; c’est une criaillerie épouvantable contre l’exigence du serment pour la constitution civile du clergé, qu’ils prétendent détruire l’unité de l’Église, la primauté de Rome, dogmes chéris des catholiques. Les dispositions du Roi les autorisent ; aucun des fonctionnaires ecclésiastiques de sa maison n’a prêté le serment. On menace les nouveaux évêques ; les dévots font leurs Pâques pour ne pas communier avec les intrus, et quelques gens d’esprit vont jusqu’à se persuader que ce schisme est l’écueil contre lequel la Constitution doit échouer. Mes craintes ne sauraient s’étendre jusque-là ; mais je gémis sur nos mœurs et notre caractère bien peu dignes d’un peuple libre, et sur le peu de force de l’esprit public au milieu de tant d’intérêts et de passions.

J’ai été fort occupée, ces jours-ci, d’une amie de ma jeunesse, qui réside ici et qui vient de devenir veuve[77] ; puis d’une ancienne amie de notre ami que ses affaires ont appelée de la Normandie à Paris qu’elle ne connaissait point encore[78]. J’avais besoin de remplir par les soins de l’amitié des jours qui me paraissaient trop s’écouler en distractions ou dans une façon de vivre qui me tire hors de moi-même.

Je suis interrompue ; je cède la plume en vous réitérant l’attachement que nous vous avons voué ; il doit être inaltérable comme les principes qui l’appuient et le civisme qui le nourrit.

J’apprends que, ce matin, le Comité diplomatique, chargé de s’informer des mesures qu’avait dû prendre le ministère pour la défense de nos frontières, a rendu compte à l’Assemblée de la réponse du ministre. Celui-ci fait savoir que l’Alsace et ses environs sont fournis de vivres pour nourrir, durant une année, dix-huit mille hommes de troupes de ligne, mais qu’il n’y en a que douze mille dans ce département et qu’il n’est pas possible d’y en envoyer davantage, parce qu’il faudrait pour cela les tirer de places et autres lieux où elles sont nécessaires.

Un silence morne a suivi cette annonce qui n’a fait naître aucune observation. Cependant Bâle et Berne donnent passage sur leurs terres aux Impériaux, et nous avons déjà des soldats allemands établis à Porentruy. On n’organise toujours point les gardes nationales ; et l’on dit tout bas manquer d’armes pour les armer. Lorsque je rapproche toutes ces circonstances de la rumeur des prêtres et de leurs suppôts, je crois la guerre civile inévitable.

Il y a de nouvelles tentatives méditées sur Lyon pour le mois de mai. Le département[79] y est mauvais, sa marche est lente et oblique ; il fait disposer un camp pour exercer les troupes de ligne et prépare à grands frais des ateliers de charité qui pourraient bien ressembler à ceux qu’entretient ici le Club monarchique.

Le ciel nous laisse la paix avec la liberté ! Mais celle-ci est bien difficile à établir avec l’autre, et malheureusement la guerre ne lui serait peut-être pas non plus favorable.

Garran est nommé membre du Tribunal de cassation [par le département des Deux-Sèvres[80]].


Post-scriptum de Bosc :

Ce que dit la ménagère est vrai, mais la conséquence qu’elle en tire ne l’est pas également à mes yeux. La position politique de l’Allemagne ne lui permet pas de prendre aussi à cœur l’intérêt de nos aristocrates que les Princes-Évêques des bords du Rhin voudraient le faire croire. À chaque instant, il survient quelques difficultés dans l’exécution de la Constitution et des nouvelles lois ; mais, malgré les obstacles des malveillants, tout marche, tout s’organise. Nous serons encore quelque temps dans cette espèce d’anarchie qui est la suite de pouvoirs mal appréciés et mal interprétés, mais il n’y aura pas de guerre civile.

Vous ne m’avez pas répondu sur la remise du paquet à Smith[81]. J’ai donné à l’associé de Lanthenas une nouvelle lettre pour lui. Je vous prie de la lui faire tenir après avoir achevé l’adresse.

Adieu.
L.B.

416

À M. CHAMPAGNEUX,
officier municipal, à lyon[82].
29 mars 1791, — de Paris.

Vos trois avis et le paquet qui en était l’objet sont arrivés hier ensemble ; notre ami a remis le dernier à vos députés[83], avec instance pour le faire promptement parvenir à sa destination. Vous avez bien raison de mener grand train tous ces calotins réfractaires ; il ne tiendra pas à eux que la scène ne soit ensanglantée[84]. Notre évêque[85] est encore accroché ici ; il est désigné pour donner l’institution canonique à plusieurs autres nouveaux évêques, ce qui peut le retenir encore une huitaine de jours. Vous aurez vu, par ma dernière, que je ne suis pas fort contente de l’esprit public ; ce n’est pas qu’il n’y ait ici beaucoup de patriotisme, mais il n’y a point d’ensemble, et l’opinion générale ne se prononce point assez vigoureusement pour forcer l’Assemblée languissante de se conformer à ce qu’elle prescrit.

On vient pourtant de remporter une petite victoire sur le parti droit, qui ne voulait pas que le Roi fût gêné dans sa marche, même comme fonctionnaire public ; j’appelle cette victoire petite, parce que je ne trouve pas la loi franche et ferme comme elle devrait être[86].

En vérité, si vous n’aviez pas pris l’abbé Lamourette, vous auriez bien dû choisir l’abbé Fauchet. C’est une injustice des Parisiens que de n’avoir pas élevé sur le siège de cette capitale un patriote aussi vigoureux, un homme si distingué par ses talents et qui s’est dévoué à la Révolution avec un abandon, un enthousiasme auxquels on ne peut rien comparer. Je l’ai entendu plusieurs fois avec un extrême plaisir.

Il parait, entre nous soit dit, que le compagnon Bret se dispose à retourner bientôt dans ses foyers ; il s’ennuie ici ; il voit s’allonger la courroie, et il veut prendre son parti.

Notre ami a eu beau se démener, le chien de Comité des impositions avait rêvé l’impôt municipal[87] ; il n’y a pas eu moyen de l’en faire démordre.

À force de cris, et je dirai presque de menaces, il a apporté des modifications à son détestable projet de décret, et Dupont[88] a arrangé son rapport de manière à nous ménager des reprises ; mais, au lieu d’une opération grande et simple, il faudra tirailler de tous côtés et de toutes manières pour en venir à nos fins.

Dites-moi donc un petit mot de Champagneux ; vous devriez bien nous l’envoyer ; je lui donnerais la main lorsque je suis en cadet, et cela s’arrangerait à merveille.

Adieu, car on ne raconte point de petites aventures à un grave, municipal. Nous vous aimons toujours bien ; plaignez-vous un peu.


417

[À BANCAL, À LONDRES[89].]
5 avril 1791, — de Paris.

Ce n’est pas un trop bon moyen, d’accélérer la correspondance que d’écrire par des occasions ; au moment où vous nous adressiez votre dernière du 25, vous auriez dû, ce me semble, en avoir une de nous, dont avait été chargé l’associé de l’ami Lanthenas. Mais, enfin, elle sera sans doute arrivée à son tour, de même qu’une troisième qui répondait, sinon à votre projet, du moins à l’envoi que vous nous en aviez fait.

La chose publique est ici dans une situation fort singulière. L’esprit général est bien toujours pour la liberté, mais les mœurs continuent d’être à contresens, et si la révolution est faite au physique, elle ne l’est absolument que là, ce qui ne saurait suffire. Le trésor est livré au pouvoir exécutif, l’armée est à sa disposition et je ne vois, pour balancer ces grands moyens d’empire et de corruption, qu’une somme de lumières auxquelles le peuple ne participe guère encore, et une Constitution imparfaite qui doit demeurer telle, ou dont l’achèvement sera détestable. Le gros de l’Assemblée songe véritablement, je ne dirai pas à compléter, mais à terminer ses travaux ; et l’on ne sait ce qu’on doit le plus craindre, ou la précipitation qui laissant beaucoup de choses en arrière nous livre au hasard des événements, ou la prolongation qui, pour achever de traiter les objets constitutionnels, ne nous mettrait peut-être à l’abri de nouvelles secousses qu’en altérant toujours davantage les principes de la Constitution. Ce qui me parait indubitable, c’est que nous approchons d’une crise qui pourrait être fâcheuse, et que ce sera tant pis pour nous si nous n’en avons pas. Je sais que de bons citoyens, comme j’en vois tous les jours, considèrent l’avenir avec un œil tranquille, et, malgré tout ce que je leur entends dire, je me convaincs plus que jamais qu’ils s’abusent. Nous sommes dans un état de malaise et de langueur dont nous ne pouvons sortir que par un accès, ou par la durée duquel nous retomberons dans le sommeil de l’esclavage. Le désordre des finances a amené notre Révolution ; ce désordre existe toujours, sans mesures efficaces pour l’arrêter. Voilà le foyer du mal secret qui nous ronge et qui finira par nous dévorer. Je n’ai entendu aucun raisonnement, je ne conçois aucun calcul qui détruise ce fait-là.

Grand nombre des députés me paraît pencher pur la rénovation du corps électoral ; d’autre part, les ambitieux veulent faire décréter la rééligibilité, du moins d’une partie des membres. On vient de prendre une mesure pour accélérer les opérations préliminaires à la nomination de la nouvelle législature, et il paraît qu’elle ne doit pas tarder plus de deux mois.

L’affaire particulière qui nous amenait ici n’a pas pris une bonne tournure. Lyon doit trente-cinq millions, dont deux d’arrérages actuellement exigibles ; elle n’a aucun moyen de satisfaire à ses engagements. Confondant ses intérêts avec ceux des autres villes et envisageant les choses de la manière la plus générale, la seule qui puisse convenir à l’unité d’un bon gouvernement, elle sollicitait l’admission du principe que les dettes des villes, de même que celles des pays d’État, doivent être déclarées nationales. Il n’y avait que ce moyen de conserver l’ensemble et l’égalité, sans lesquels l’administration sera toujours videuse et oppressive.

C’est ainsi que notre ami avait présenté les objets, et il a trouvé de son avis tous les hommes qui ont de l’étendue dans leurs vues. Contrarié dans sa marche par une foule de gens timides et bornés, combattu par les petits moyens d’un comité qui avait imaginé un impôt municipal, tous ses efforts n’ont pu empêcher un détestable décret qui a été rendu le 29 mars dernier et qui ordonne, provisoirement et pour trois mois, des sols additionnels par émargement de rôle, pour chacune des villes, en proportion de leurs charges particulières.

Imaginez que, si l’on tentait à Lyon l’exécution de ce décret, on y causerait une insurrection, parce que les charges y sont déjà si considérables, et les dettes en concurrence desquelles il faudrait les accroître sont si prodigieuses, qu’il en résulterait un impôt intolérable ; d’où la diminution de valeur des immeubles, par conséquent du produit de l’impôt national, la vente moins avantageuse des biens nationaux, etc., etc. Notre ami a eu beau parler, écrire, tonner, le sot décret a passé ; il faut maintenant solliciter des exceptions, faire adopter des moyens, et nous voilà jetés dans un labyrinthe de petites opérations qui nous conduiront je ne sais où ; ni jusques à quand.

Notre ami avait un collègue député, poussé par une faction particulière, et qui n’a servi qu’à le contrarier en toutes choses ; il prend enfin le parti de s’en aller ; ce qui sera un grand bien en soi et un vrai soulagement pour nous avec qui il demeure depuis notre séjour dans la capitale[90].

Les papiers publics vous auront appris la mort prématurée de Mirabeau[91] : prématurée quant à l’âge, mais non sans doute quant à l’usage qu’il avait fait de la vie, et très à propos pour sa gloire.

Cette fin hâtive et presque subite d’un homme à grands talents, et qui a véritablement servi la chose publique, a je ne sais quoi de solennel et de triste dont on ne peut éviter l’impression. Je suis loin de partager l’enthousiasme de tant de personnes pour l’être étonnant que l’on regrette, et pourtant je hais la mort d’avoir été si prompte à saisir cette grande proie, quoique la réflexion m’oblige d’applaudir au décret du sort.

De longtemps peut-être le peuple ne jugera bien et lghomme et l’événement ; la vérité ne perce qu’avec peine, et beaucoup de choses se réunissent ici pour nourrir l’illusion. Aussi la sensation est-elle prodigieuse ; le peuple croit sincèrement avoir perdu son meilleur défenseur ; la mort de Mirabeau ressemble à une calamité publique ; ses funérailles ont été plus augustes que celles des rois les plus orgueilleux, et les citoyens les plus éclairés applaudissent volontairement à ce triomphe, car enfin tous ces hommages sont rendus à la liberté, par l’opinion de ce qu’elle doit à l’homme qui vient de s’évanouir. Quant à moi, en particulier, je regarde Mirabeau comme nous ayant offert le plus monstrueux assemblage d’un génie qui connut le bien, qui eût pu l’opérer, et qui l’a fait quelquefois avec un cœur corrompu qui se jouait de la vertu même, qui rapportait tout à sa propre gloire et qui compromettait cette gloire même quand elle se trouvait en concurrence avec ses ardentes passions. Il a usurpé la plus grande partie de sa réputation par des ouvrages qu’il n’avait pas faits ; il a vendu son talent et la vérité à l’avarice et à l’ambition, à l’or, dont ses dérèglements lui donnaient un si grand besoin. Sans remonter à sa conduite lors du veto et du décret sur le droit de la paix et de la guerre, il a été lâche et traître en dernier lieu dans l’organisation du trésor public, dans la question de la régence et dans l’affaire des mines[92]. J’ai été indignée de son silence perfide, de ses discours contradictoires et de sa scélératesse.

Mirabeau haïssait le despotisme sous lequel il avait eu à gémir ; Mirabeau flattait le peuple parce qu’il connaissait ses droits, mais Mirabeau eût vendu la cause de ce dernier à la Cour, que ménagent toujours les hommes corrompus qui veulent de l’autorité et à laquelle il voulait se rendre utile parce qu’il ambitionnait le ministère. S’il eût vécu davantage, il n’eût pu éviter d’être connu, et sa réputation se serait flétrie avant sa mort ; il s’éteint encore au lit d’honneur, du moins aux yeux du vulgaire, et c’est un coup de sa bonne fortune. Le commun de l’Assemblée a été étonné de voir disparaître celui dont l’ascendant le dominait si souvent ; les factieux Lameth gémissent, à la manière de César sur la mort de Pompée, en triomphant de se voir délivrer d’un rival qu’ils redoutaient et dont les bons citoyens regrettent le contre-poids à leurs intrigues. Le jour de la mort de Mirabeau, l’Assemblée était occupée de la grande question de l’égalité des partages ou plutôt de la faculté de tester ; en annonçant cet événement, on apprit aussi que Mirabeau avait un travail sur cet objet ; il l’avait remis la veille à l’évêque d’Autun, qui fut prié de le lire. C’était un excellent discours où les meilleurs principes de la justice et de l’égalité étaient développés avec cette vigueur et ces traits saillants qui caractérisaient l’auteur ; ce fut une véritable couronne dont il décora son tombeau. Les patriotes ne purent refuser un soupir à l’homme capable de servir la vérité ; les Noirs frémirent de l’ascendant qu’il exerçait contre eux pour la dernière fois. Cependant, fidèle à son habileté à ménager les esprits, il ne concluait pas à l’abolition de la faculté de tester, quoiqu’elle fût la conséquence rigoureuse des principes qu’il avait établis, mais à la réserve d’un dixième à la disposition du testateur.

Je n’ai pu m’empêcher de songer que, si Mirabeau eût été vivant et qu’il eût assisté à la fin de la discussion, il aurait fini par accorder davantage s’il avait vu l’Assemblée s’y porter. Tel fut son art suprême ; de développer d’abord les bons principes, puis de les plier aux circonstances, de manière qu’il eût l’air d’être le champion de la vérité, puis le modérateur des deux partis et le dictateur de l’Assemblée, quand il n’était que sa propre idole et sacrifiait la République à sa réputation ou à ses intérêts particuliers. Tous les journalistes se sont emparés de sa mort comme d’un morceau précieux, riche et poétique, dont chacun tire parti suivant ses talents. Je ne connais que Brissot qui ait eu la sagesse d’éviter l’idolâtrie, avec la prudence de ne pas offenser l’opinion. Sans doute, un jour il dira la vérité, mais on n’est pas mûr pour elle ; ce serait la faire honnir que de se presser de la montrer.

La formation des clubs populaires serait infiniment utile, comme vous le remarquez très bien, mais il faut être plusieurs pour la tenter ici, et rien n’est si difficile qu’une réunion de personnes pour concourir à un même but. Quelques-uns de nos meilleurs amis, députés et autres, ont tenté de se rapprocher pour augmenter leurs forces, mais chacun a sa marotte et veut qu’on s’occupe d’elle, sans égard à la marotte d’autrui. Quand est-ce que les hommes seront assez sages pour se tolérer, dans toute la force du terme, et pour viser au bien commun en ménageant l’opinion de chacun sur la manière d’y parvenir ?

On va prononcer aujourd’hui sur la grande question de la faculté de tester ; il y a prodigieusement de partialité dans l’Assemblée ; on eût dit, l’autre jour, qu’elle n’était composée que d’héritiers universels bien avides et bien insolents ; c’est le dernier retranchement de l’aristocratie.

Adieu, donnez-nous de vos nouvelles, et n’oubliez pas plus vos amis que votre patrie.

Le même jour au soir. L’ami Bosc vient de nous remettre ensemble vos deux lettrs du 59 dernier et du 1er du courant ; nous causerons avec Brissot de vos excellentes idées sur l’union si désirable des hommes de diverses nations, et nous ne laisserons point, d’autre part, ignorer au Cercle social les moyens que

vous pourriez lui fournir d’étendre et d’appliquer les vues qu’il a prises en considération.

Le mercredi, 6 avril.

Assurément, l’union des hommes éclairés pour développer et répandre les principes nécessaires à la perfection des sociétés est un grand moyen de hâter cette perfection et de travailler au bonheur de l’humanité. Ne perdez pas de vue cette union désirable et le généreux projet de la former. Vous trouverez beaucoup d’obstacles ; j’en juge par l’extrême difficulté que je vois à rapprocher fructueusement un petit nombre d’hommes de mérite. Cependant je crois que la société dont je viens de vous parler se formera, et peut-être même qu’elle aura ses séances au lieu de notre demeure actuelle[93]. Si elle peut s’asseoir, ce sera le cas de mettre votre projet sur le tapis et de le lui faire goûter. Je doute pourtant que cela puisse se réaliser avant votre retour, de manière à ce que vous puissiez lier les choses avec vos Anglais ; mais la correspondance que vous conserverez avec ceux-ci pourra vous servir à opérer de loin ce que vous n’aurez pu que préparer en personne. Quant au Cercle social, je ne passerai point deux jours sans qu’il ait une lettre capable de le porter à agir avec vous, s’il a de l’énergie et de l’activité. Je lui ai écrit déjà dans une autre circonstance, sans me nommer toutefois, car je ne crois pas que nos mœurs permettent encore aux femmes de se montrer ; elles doivent inspirer le bien et nourrir, enflammer tous les sentiments utiles à la patrie, mais non paraître concourir à l’œuvre politique. Elles ne peuvent agir ouvertement que lorsque les Français auront tous mérité le nom d’hommes libres ; jusque-là notre légèreté, nos mauvaises mœurs rendraient au moins ridicule ce qu’elles tenteraient de faire, et par là même anéantiraient l’avantage qui, autrement, pourrait en résulter.

Il me paraît bien, par la disposition des affaires publiques et votre marche particulière, que vous ne devez plus beaucoup tarder de revenir. Peut-être serons-nous encore ici. On doit incessamment faire le rapport contre les inspecteurs. La question de la faculté de tester est ajournée. Le bon parti a été forcé de prendre cette tournure pour éviter un mauvais décret. Mais il est à craindre qu’un beau jour, au commencement de quelque séance où les aînés se verront en force, ils ne parviennent à faire passer une décision conforme à leurs préjugés.

Adieu encore.

J’ai appris que le courrier pour Londres ne partait que demain, 7. Je vous quitte pour écrire à l’abbé Fauchet. Mais, en écrivant, je ne communique point votre plan ; ce sera à vous de faire, à cet égard, ce que vous jugerez convenable, si la Société s’adresse à vous[94].


418

À M. H. BANCAL, À LONDRES[95].
Jeudi, 14 avril 1791, — de Paris.

L’ami Lanthenas vous a écrit ce matin ; mais, comme sa lettre doit vous être remise par un voyageur, je pense qu’il est bon de vous instruire par la poste, dont la marche est plus rapide, de ce qui fait l’objet de votre attente. J’ai fait, ainsi que je vous en avais annoncé le projet, une lettre à l’abbé Fauchet, nourrie de la plupart des bonnes raisons et des excellentes idées que contenaient vos missives, avec l’indication de votre personne infiniment propre à réaliser les vues d’union entre les hommes éclairés des divers pays. Comme le nom d’une femme ne me semble pas la meilleure des recommandations, je n’ai pas mis le mien à mon épître ; mais Lanthenas s’est chargé de la remettre afin de donner à son contenu l’authenticité nécessaire. Il s’est entretenu avec l’abbé Fauchet qui, le soir même, a lu la lettre au Cercle social ; les idées en ont été applaudies, et le Directoire de cette Société s’est proposé de vous écrire. C’est ce qu’a appris Lanthenas, qui est retourné chez l’abbé Fauchet et lui a communiqué votre dernière du 5 qui nous est parvenue sur ces entrefaites. Il a parole donnée pour se rendre ce soir au Directoire, où l’on dresse la lettre qui vous est destinée et qu’on doit remettre à un Genevois (le même à qui Lanthenas donne la sienne) qui part pour Londres, où il va chercher de l’emploi, comme ministre de l’Évangile. Il était à Suresnes chez M. Clavière[96] où nous avons dîné il y a quelques jours ; mais je ne me le rappelle pas, à moins que ce ne soit un Abauzit[97], dont le nom m’a frappé, parce que Rousseau l’a rendu recommandable. Ainsi, sous peu de temps, vous aurez mission de la Société pour suivre et lier un projet cher à votre cœur ; vous verrez ce que les circonstances vous permettront de faire et, sans doute après, vous songerez à revenir. Je ne vous cacherai pas que presque tous vos amis, à commencer par Brissot, sont persuadés que vous seriez mieux à votre place et à vos devoirs de citoyen en France que partout ailleurs.

Il faut bien leur pardonner cette manière de voir ; il me semble même impossible qu’ils en aient une autre dans leur situation. Représentez-vous le feu des intrigues, le jeu de tous les intérêts particuliers tendant continuellement à détruire partout ou à altérer les principes et les bons effets de la Constitution ; l’Assemblée même devenue le foyer où se concentrent toutes les manœuvres et d’où elles influent au dehors ; les dernières parties de la Constitution se faisant d’une manière contradictoire avec ses bases. Représentez-vous un petit nombre de bons citoyens dans une lutte perpétuelle, active, pénible et souvent infructueuse, contre la masse des ambitieux, des mécontents, des ignares, et jugez si ce petit nombre ne doit pas naturellement regretter et blâmer l’éloignement de quiconque aurait pu le fortifier. Aussi Brissot me disait-il nettement, il y a quelques jours, que les avantages résultant de votre voyage ou vous étaient particuliers, ou n’auraient qu’une application future au bien de votre patrie, tandis que, actuellement et depuis votre départ, on avait un excessif besoin de la plus grande réunion possible de tous ses enfants pour soutenir la cause commune et de la voix et de l’exemple, et par l’impression, et par tous les moyens imaginables que peuvent inspirer le zèle et les circonstances.

Au reste, je vous transmets cela parce que la connaissance des faits ou des jugements est toujours bonne à acquérir. Je crois, pour mon compte, qu’il y a plusieurs manières de faire le bien et qu’il faudrait être à la place de chaque individu, ou bien au fait de tout ce qui le concerne, pour juger rigoureusement ce qui a dû être le mieux pour lui. Je crois vous avoir mandé, par ma précédente, que les travaux de l’Assemblée se pressaient, qu’elle se hâtait elle-même et que la convocation de la nouvelle législature devenait prochaine.

On achève, ces jours-ci, la pitoyable organisation du ministère, et celle des gardes nationales est à l’ordre de cette semaine. L’engouement sur Mirabeau n’est point encore passé ; on renouvelle même les idées de l’empoisonnement. Ce qui me les fait paraître absurdes est la difficulté d’attribuer à aucun parti le projet de se défaire d’un tel homme à qui les uns se croyaient redevables et dont les autres espéraient beaucoup.

D’ailleurs, assez de causes se sont réunies pour sa destruction. Mirabeau fit un souper de plaisir le samedi avec mademoiselle Coulon[98], qui désirait faire sa conquête ; il la conduisit chez elle et la fêta très bien, dit-on ; le lendemain, il se rendit à sa campagne, où Mme  Le Jay[99] lui fit une vie de mégère ; il l’apaisa très généreusement. Le lendemain (pour continuer l’histoire à la manière de Dorothée), il vint à l’Assemblée nationale et y fut atteint d’un accès de colique hépatique à laquelle il était sujet ; il sortit pour se mettre au bain ; l’indigestion s’en mêla, il fut saigné, la sa constitution pour y résister durant quelques jours, avec des spasmes violents et des douleurs cruelles. Le discours contre la faculté de tester, dont on fit lecture le jour de sa mort et qui me parut honorer sa tombe, n’est pas plus de lui que ne le sont tant d’autres ouvrages auxquels il a dû la plus grande partie de sa réputation.


Le soir, à 8 heures.

Je suis obligée de reprendre une partie de cette lettre. Lanthenas s’est rendu au Directoire et n’y a plus trouvé l’abbé Fauchet, de manière que nous ignorons si l’on s’est occupé de vous écrire. Dans tous les cas, il me parait qu’on n’y a pas mis une grande célérité, ni même celle que l’intérêt de la chose pouvait exiger. J’ai quelque raison de croire que la tête de Bonneville[100] ne se trouverait pas bien casée avec la vôtre, ce qui, sans doute, ne vous afflige guère, mais ce qui pourrait bien être cause que la Société ne s’empresserait pas, comme elle pourrait faire, de vous prier d’être son agent ! D’après cette ouverture, je présume que si, quelques jours après la présente, vous n’entendez point parier du Cercle social, c’est qu’il aura jeté ailleurs ses plans. Je ne sais ce que Lanthenas fera de sa lettre qu’il devait joindre au paquet de la Société ; peut-être, au contraire, le joindra-t-il à celle-ci[101].

M. Payne[102] est ici ; il a été question entre nos amis de la traduction de son petit ouvrage contre Burke, mais un secrétaire de La Rochefoucauld l’a déjà commencée. On dit Mme  d’Orléans et Mme  Lafayette parties ensemble pour la campagne, quittant toutes deux leurs maris ; le développement des pourquoi serait assez piquant, mais ces anecdotes fort importantes dans l’ancien régime n’ont plus qu’un très faible intérêt aujourd’hui ; elles n’en auraient même aucun si la conduite des hommes en place ne touchait toujours de quelque manière à la chose publique.

Je laisse une place à l’ami Bosc. Adieu.

419

À BANCAL, [À LONDRES[103].]
[? avril 1791, — de Paris.]
f. lanthenas au citoyen h. bancal.

Salut !

Votre dernière, mon cher ami, nous entretenait de vos projets de fédération universelle ; et c’est là-dessus que je me propose de vous entretenir.

Nos dernières, parties il y a huit jours, vous auront appris ce que nous avons pu faire pour vous seconder, et ce que nous pensons de ce que vous pourrez faire. Il y eut le lendemain au Cercle social une rupture éclatante entre l’abbé Fauchet et Bonneville. Celui-ci fut honni par toute l’assemblée, convaincu d’avoir, dans son journal, travesti les opinions de l’abbé Fauchet pour le faire passer pour un adhérent aux idées philosophiques anti-religieuses et autres dont il le remplit. Bonneville ne put parler. Son adversaire usa de toute sa supériorité pour exciter le mépris sur sa mauvaise foi, et il y réussit complètement Cette scission ne peut que faire le plus grand tort au Cercle social, dont les travaux déjà n’avaient pas tout le développement qu’une certaine charlatanerie aurait fait croire.

Nous pensons toujours, Brissot et moi, ce que je vous ai mandé pour vos projets. La fédération des philosophes est totalement faite ; que servira de les faire convoquer, qu’à donner un éclat à des travaux qu’il est bien mieux de faire dans le silence ? Les despotes ne sont déjà que trop éveillés ; et quant à moi, je n’ai point votre sécurité. Je vous répéterai ce que je n’ai cessé de dire aux patriotes que j’ai le plus connus : c’est de la suite et de l’ensemble qu’il faut maintenant, plutôt que de l’éclat, pour établir solidement la liberté. Je ne suis à cet égard content de personne, ni de moi-même. Depuis que je suis ici, je me serais joint à Brissot d’une manière à pouvoir le seconder ; mais M. Page, dont le caractère est beaucoup formé sur l’ancien régime, nous a empêchés de trouver moyen de rien conclure. Celui-ci s’est emparé de l’imprimerie du Patriote français ; c’est sa besogne particulière, il en fait une affaire d’argent, et nous aurions voulu en avoir une qui pût nous donner moyen de répandre les lumières avec moins de frais.

Vous disiez, dans une de vos lettres, que vous consacreriez votre fortune, votre temps, votre vie au projet dont vous nous entreteniez. Si ce n’est pas une manière de dire, je pense que vous pourriez voir que le seul moyen d’arriver à quelque chose de solide est de suivre les idées que je vous ai communiquées et de se mettre en mesure pour les développer. Or, des mesures possibles, les plus puissantes me semblent être, exciter les grandes assemblées du peuple, leur parler chaque jour dans les gazettes et remâcher la même nourriture en cent manières pour la faire prendre. On ne peut suivre ces mesures qu’en ayant un point fixe, un établissement pour cela, et des hommes tenaces. — Je pensais que vous, Brissot et moi pouvions marcher ensemble ; examinez encore si ce n’est pas le seul moyen de cesser, vous et moi, de battre l’eau presque en vain.

Nous pensons, Brissot et moi, qu’il y a à entreprendre ici des journaux des mois, des revues de l’année entière, ouvrages d’utilité première. En les faisant sans vues de profit, on est doublement sûr de les répandre.

Brissot ne prétend à autre chose que d’assurer l’existence de sa famille ; moi je ne veux qu’exister et employer pour cela les fonds que j’ai. Si vous avez le même goût pour l’existence la plus philanthropique qu’on puisse embrasser, écrivez-nous-le et hâtez-vous d’arriver.

Vous vous procurez sans doute à Londres la feuille du Patriote français ; celle d’aujourd’hui vous expliquera assez ce qu’il faut penser des derniers événements. Les alarmes s’augmentent, et le sang français coule[104] on aura bien lieu à regretter d’avoir resté dans la sécurité au milieu du péril, quand on a eu tant d’avantages pour le prévenir.

Salut !


F. Lanthehas.

Notre[105] ami me remet sa lettre, j’y ajouterai un mot. Je ne reviendrai pas sur les faits qu’il y expose ; j’ai été témoin de cette rupture de Fauchet et Bonneville, j’en ai été scandalisée ; le premier, sans doute, a des raisons de se plaindre, mais l’éclat de ces divisions est toujours blâmable et ne fait honneur à personne, pas même à celui qui triomphe ; l’abbé F. [Fauchet] m’a paru prêtre pour la première fois. Quant à votre entreprise, elle me parait liée maintenant et aura, je pense, son utilité. Il est naturel que la manière de voir de nos amis soit renforcée par les circonstances. On ne peut se dissimuler que, depuis trois semaines, le Roi est en pleine contre-révolution ; les quatre cents Autrichiens arrivés depuis longtemps à Porentruy sont aujourd’hui augmentés de six cents autres ; Paris regorge d’étrangers qui affluent on ne sait d’où ; le parti aristocratique a plus de morgue que jamais et l’on annonce assez hautement le carnage. Au moment du départ prémédité pour Saint-Cloud, c’est la garde nationale qui a fait opposition ; mais deux partis se sont manifestés dans son sein, les armes ont été chargées des deux côtés, et il n’a tenu qu’à un fil qu’une affaire fût engagée. Le Roi est demeuré opiniâtrement dans sa voiture durant une heure et demie. Cette sottise a ses avantages et doit saper l’idolâtrie dont tant de gens sont encore atteints ; la Reine a reçu beaucoup de propos mortifiants qui lui ont annoncé les dispositions générales sur son compte. Je vois les meilleures têtes se persuader que nous ne pouvons éviter la guerre civile et que nous touchons au moment où elle doit éclater. Le renouvellement du Corps législatif n’est point encore déterminé ; il me parait soumis à de nouvelles circonstances et n’est peut-être plus si prochain ; c’est ce que huit jours encore nous apprendront sûrement.

J’ai dîné avant-hier avec votre compatriote[106], qui vous juge et vous aime, et j’ai été bien aise de faire sa connaissance.

Adieu, je ne puis causer longuement avec vous aujourd’hui ; ci-joint une épître du bon ami Garran.

La lettre à J. Bewan[107] est du quaker français Marsillac, de la connaissance de nos amis Brissot et Lanthenas ; elle vous annonce à d’autres quakers de Londres, ainsi que votre projet d’union universelle, et elle est destinée à vous procurer de nouveaux moyens de le réaliser. Vous verrez quelles ressources vous pourrez trouver pour cela chez ces amis de l’humanité, qui doivent singulièrement goûter tout ce qui s’accorde avec les sentiments de la fraternité.

420

À M. H. BANCAL, [À LONDRES[108].]
27 avril 1791, — de Paris.

Je reçois à la fois vos deux lettres des 19 et 22 ; elles viennent de nous être remises par l’ami Bosc. La célérité de la correspondance tient à l’attention de choisir les jours du départ du courrier ; il n’y en a que deux ici par semaine, c’est pourquoi je m’empresse de vous tracer un mot ce soir, car je sors demain de bonne heure pour aller à l’Assemblée nationale[109] où votre compatriote[110] m’a ménagé une place ; et si je ne vous écrivais dans ce moment, il faudrait remettre la partie à lundi.

Je pense qu’actuellement vous avez vu Abauzit, et que vous n’aurez pas trouvé inutile la lettre pour les quakers qui ont maintenant leur assemblée générale à Londres ; ces amis de l’humanité doivent goûter votre projet et pourront concourir à son exécution. Je ne sais ce que deviendra le Cercle social ; la querelle de ménage que l’abbé Fauchet y a rendue publique m’a fait une vraie peine et ne peut être que nuisible à cette association. Je savais alors qu’il était question quelque part de le nommer à un évêché, et qu’il en était instruit ; je me suis persuadée, peut-être à tort, que c’était à cause de cela qu’il se montrait si chatouilleux sur l’interprétation de ses sentiments religieux et l’inexactitude qu’avait commise Bonneville en citant quelques-unes de ses phrases.

La nomination a eu lieu, et l’abbé Fauchet est évêque du département du Calvados. Son éloquence et son talent étaient le soutien, l’aliment et la gloire des séances du Cercle social ; j’imagine qu’il y fera ses adieux vendredi, et j’irai l’entendre ; après lui, je ne sais ce que deviendra cette Société.

Je n’ai rien à ajouter à ce que nos amis vous ont marqué ; vous transmettre les faits d’une part, et les jugements de l’autre, c’est vous mettre à même de les combiner avec votre propre situation et de vous déterminer pour ce que vous seul pouvez voir être le mieux. Ce que je peux dire, c’est que, dans des moments aussi solennels, il n’y a que le sentiment de ce mieux et la volonté de l’atteindre qui puisse servir de base aux résolutions et de guide dans les démarches.

Paris est dans une grande agitation dont on calculerait difficilement les suites. Vous avez su le départ du Roi[111] le 18, l’opposition du peuple, la force d’inertie des gardes nationales, la nécessité pour le Roi de renoncer au départ, le dépit de la Reine, les frayeurs de la Cour d’où s’est ensuivie la fameuse lettre de Montmorin[112] aux ambassadeurs chez les puissances étrangères ; lettre extrême, hypocrite, qui donne la mesure de la crainte, de la faiblesse et de la dissimulation des traîtres du ministère. Lafayette avait donné sa démission, on l’a pressé de reprendre le commandement ; il a accepté : grandes félicitations, et nouvel éclat. À ce moment de prospérité, à ce renouvellement de faveur, le premier usage qu’il a fait de son autorité, c’est de casser la compagnie soldée des grenadiers (ces braves gardes françaises) qui se sont montrés opposants au départ du Roi et qui ont désobéi à leur commandant, lorsqu’il leur a ordonné de déployer la force contre leurs concitoyens et leurs frères. Je ne voudrais pas juger le général que vous admirez et croyez sincère, mais cet acte me paraît impolitique : il met tout Paris en fermentation.

Les malheureux cassés se comportent à merveille : ils restent et pleurent dans leurs casernes ; mais leurs amis, leurs concitoyens vont gémir avec eux et s’indigner contre le traitement qu’ils ont enduré. Partie de la garde nationale s’émeut et frémit ; le peuple s’inquiète, les groupes se forment au Palais-Royal.

Lafayette perd tous les jours la confiance qu’on lui avait accordée ; il court a l’oubli ou à la mort ; il est presque impossible qu’il se soutienne. L’un de ses aides-majors, Parisot, vient de faire un guet-apens à Carra, j’ai presque dit un assassinat, et rien n’y ressemble davantage que son procédé.

D’autre part, l’augmentation du prix de l’argent tourmente les esprits ; les ouvriers s’assemblent pour demander une augmentation de main-d’œuvre ; le moment est fort orageux. Des nouvelles arrivées des frontières détruisent la sécurité que de précédentes avaient inspirée ; il parait que le licenciement de l’armée et une prompte réorganisation est une mesure inévitable si nous voulons échapper à tous les maux d’une division certaine.

Avignon et tout le Comtat est désolé par les dernières horreurs d’une guerre civile et religieuse, des patriotes ont été égorgés, coupés par morceaux ; on a dansé autour de leurs restes sanglants, et un évêque est venu faire chanter le Te Deum sur leurs cadavres. L’Assemblée qui aurait dû s’enflammer à ces affreux récits, résultats de sa mollesse et de son perfide décret, a remis, ajourné le rapport de l’affaire, pour donner à Menouet[113] le temps de faire des recherches savantes dans la bibliothèque du Roi.

Enfin c’est demain que la discussion doit s’ouvrir sur ces terribles événements. Ceux des colonies sont aussi atroces, et les décrets Barnave[114] doivent les multiplier jusqu’à l’entière perte de ces établissements où nous eussions pu faire des heureux.

Hâtez-vous de faire du bien ; il n’y a dans ces temps fâcheux que la consolation de travailler à l’affranchissement des nations et à la pratique des plus grandes vertus, qu’on puisse goûter en dédommagement.

Je viens de remettre à Brissot celle de vos lettres où vous nous entretenez de la cause des malheureux noirs ; cet excellent homme et le penseur Clavière se dévouent parfaitement à la chose publique. Lanthenas est allé observer au Palais-Royal ; notre ami travaille près de moi.

Nous vous aimons et embrassons en frère et en bon ami.


421

[À BRISSOT, À PARIS[115].]
Jeudi matin [28 avril 1791, — de Paris].

Jette la plume au feu, généreux Brutus, et va cultiver des laitues !…

C’est tout ce qui reste à faire aux honnêtes gens, à moins qu’une insurrection générale ne vienne nous sauver de la mort de l’esclavage ; mais il n’y a point assez de force et d’instruction publique pour que nous puissions l’espérer. Ne venez donc plus nous prêcher la paix et le courage de la seule patience ; la Cour nous joue, l’Assemblée n’est plus que l’instrument de la corruption et de la tyrannie ; une guerre civile n’est plus un malheur, elle nous régénère ou nous anéantit, et, comme la liberté est perdue sans elle, nous n’avons plus à la craindre ou à l’éviter.

J’ai vu aujourd’hui cette Assemblée, qu’on ne saurait appeler nationale ; c’est l’Enfer même avec toutes ses horreurs ; la raison, la vérité, la justice y sont étouffées, honnies, conspuées. Quand on a suivi la marche qu’elle a tenue ce matin, quand on a entendu les propos que les Noirs osaient y tenir, quand on a vu le jeu des vils intérêts et des passions atroces qui l’ont guidée, il ne reste plus qu’à s’envelopper la tête ou à percer le sein de ses ennemis. Il me semble que, pour toute personne qui a des idées justes de la liberté et le sentiment vif de ce qu’elle inspire, il me semble démontré que l’Assemblée ne saurait plus rien faire qui ne soit funeste à cette liberté ; elle fortifiera le pouvoir exécutif, elle décrétera la rééligibilité. Elle fera des lois pour limiter la liberté de la presse ; elle évitera une Convention où elle étouffera tellement l’esprit public avant qu’elle puisse avoir lieu, que la Convention fera pis qu’elle encore, ce qui est beaucoup dire.

Comment les Noirs mêmes ne conçoivent-ils pas que, si notre Constitution ne se perfectionne, l’empire se démembrera nécessairement ? Mais non, ils espèrent que nous tomberons sous le joug du despotisme, et j’ai peur qu’ils n’aient raison. Que faire dans un pareil état de choses ? S’ensevelir dans la retraite, ou se dévouer comme Décius ? Vos Sociétés sont trop peu nombreuses, car que peuvent cinq a six cents hommes de bien contre une légion de mauvais esprits ? Il faudrait des voix de stentor et le génie d’un dieu. Des moyens humains n’ont pas de prise sur une foule audacieuse et corrompue. N’existe-t-il donc pas dans l’Assemblée une trentaine d’honnêtes gens capables de comprendre les bons principes, de s’entendre pour les soutenir et pour crier du moins contre les criailleurs, lorsque ceux-ci veulent arrêter la discussion et étouffer la lumière ? Il faut les chercher, ces honnêtes gens, les électriser et les conduire ; il faut tolérer leurs travers particuliers, leur marotte et leur médiocrité ; c’est l’art des gens à caractère que d’en prêter à ceux qui n’en ont pas ; et lorsque l’amour du bien nous enflamme, quel être ne devient pas supérieur à lui-même ? Étendez donc et multipliez vos moyens, sans considérations particulières, ou la bonne cause aura toujours le dessous comme aujourd’hui. Qu’importe que vous ayez fait une belle retraite, si la vérité est sacrifiée ! Un patriote oublie sa gloire même, pour ne veiller qu’au salut public.

Votre bon ami Petion s’est échauffé et n’en a que mieux parlé ; mais pourquoi le rigoureux Robespierre et le sage Buzot[116] ne se donnent-ils pas l’avantage des discours écrits, à la sorte de raison desquels on peut ajouter alors la magie de la déclamation ? Tous les hommes médiocres qui ne savent repousser les principes que par des clameurs, d’imbéciles raisonnements ou des propos grossiers, sont à l’affût d’une négligence, d’une répétition et d’un mot impropre, les saisissent pour entraîner la foule légère, inconsidérée des sots et des jaloux, toujours prêts à se venger sur la raison même de leur propre nullité.

J’ai le cœur navré : j’ai fait vœu ce matin de ne plus retourner dans cet antre abominable où l’on se rit de la justice et de l’humanité, où cinq ou six hommes courageux sont vilipendés par des factieux qui veulent nous déchirer…

Lorsque Dubois[117], d’André[118], Rabaut[119], ont répété insidieusement qu’il n’y aurait que des mendiants qui ne seraient pas citoyens actifs[120], comment quelqu’un n’a-t-il pas observé que dans toutes les villes de grandes fabriques il y a un nombre considérable d’ouvriers qui, par l’effet des crises auxquelles sont exposés tous les objets de concurrence et de manufacture de leur industrie, se trouvent momentanément hors d’état de supporter aucune imposition, et même réduits aux secours passagers de l’assistance publique ? C’est ainsi qu’à Lyon, dans l’hiver de 1789, plus de vingt-cinq mille âmes furent livrées à la misère. Ces ouvriers sont cependant d’utiles et de braves citoyens, d’honnêtes pères de famille, très attachés à la Constitution, très ardents à son maintien ; et ils n’auront pas le droit d’être armés par elle ! Et l’autorité arbitraire des municipalités pourra les rejeter ! Car on a aussi, à Lyon, l’exemple d’une précédente municipalité qui, sous prétexte que tels et tels n’étaient pas, pour 89, sur les rôles des contributions, n’a pas voulu les y admettre lorsqu’ils ont sollicité d’y être afin de partager les droits des citoyens actifs.

J’avais écrit ces observations à la barre, où j’étais ; je n’ai jamais osé les envoyer à personne, parce que j’ai craint de compromettre celui à qui on m’aurait vue les adresser.

Adieu ; battons aux champs ou en retraite : il n’y a plus de milieu[121].

272

À M. H. BANCAL, À LONDRES[122].
5 mai 1791, — de Paris.

Vos[123] deux lettres, mon cher Bancal, des 26 et 29 du passé, me sont parvenues. Je remis aussitôt à C. Fauchet la lettre pour lui. Il part lundi[124] pour son évêché. Il a dû communiquer votre lettre au directoire du Cercle social. Bosc a dû remettre hier à Garran la lettre qui était pour lui. Il paraît que je me suis mal expliqué dans ce que je vous ai dit du jugement que nous portions de vos efforts et de votre projet. Il n’est pas douteux que la réunion à laquelle vous travaillez ne puisse être utile, mais nous avons douté si, dans ce moment, c’était le plus pressé ; s’il n’était pas plus pressant de s’adresser aux peuples eux-mêmes en faisant d’abord assembler le nôtre et mettant entre ses mains tous les principes, tous les plans de philanthropie qu’il sentira aussi bien qu’aucun philosophe et qu’il appuiera mieux. Vous ferez pourtant bien de profiter de la bonne volonté que vous rencontrez dans les personnes que vous voyez. Il est bon que la Société des Amis[125] connaisse où nous en sommes et ce qu’on peut plus que jamais espérer et faire pour le bonheur des hommes, qu’ils ont, plus qu’aucune secte au monde, constamment recherché. Le peu d’amis sincères de la liberté, ceux au moins qui en soutiennent les principes purs, continuent de livrer ici, chaque jour, un combat inégal contre ceux qui haïssent la liberté ou veulent, par des sentiments inconcevables de modération, s’écarter des principes qui peuvent seuls nous l’assurer. Nous vous avons parlé d’une réunion dont nous concevions quelque espérance et à laquelle nous concourions. Elle reste bornée à si peu d’individus, qu’elle a très peu d’influence ; cependant ceux qui se sont aperçus de la faible résistance qu’elle oppose quelquefois au torrent des opinions qui conduisent maintenant la majorité de l’Assemblée, ou plutôt qui l’ont connue par les indiscrétions de ses membres, la croient, en nombre, bien plus redoutable. Ils pensent qu’il y a une confédération puissante pour la république, qu’elle s’étend dans le royaume, et ils y attachent des chaînons qui n’en dépendent sûrement pas.

Si nous avions ici l’esprit public qui fait trouver si facilement, en Angleterre, des fonds, pour pousser ce qui est utile et grand, nous pourrions effectivement, je pense, réaliser les craintes de ceux qui nous redoutent. Mais imaginez que nous n’avons pas le moindre sol pour faire imprimer. Lafayette a longtemps entretenu Brissot d’espérances de lui en donner. Mais nous avons reconnu qu’il caressait et entretenait notre ami, comme Mirabeau faisait pour Desmoulins, afin d’arrêter sa plume, en tenant en suspens ses sentiments[126].

Mon travail sur les Sociétés populaires[127] est, en attendant, là. — Nous aurions voulu le faire tirer à un très grand nombre d’exemplaires, et nous n’avons encore rien arrêté. Je viens de m’occuper de la liberté indéfinie de la presse[128] ; le Département de Paris sollicite sur elle des lois, et ses amis ont de nouvelles craintes de la voir anéantir. Mille saluts et encouragements à Clarkson[129] et aux autres Amis de la vérité, de la fraternité entre les hommes. Vale.

L’Angleterre a certainement grand intérêt que les principes de philanthropie universelle, les principes démocratiques par conséquent, triomphe ici et s’établissent solidement. Si leurs ennemis parvenaient à les étouffer, si l’on réussissait à faire prédominer la monarchie il est certain que celle-ci, pour s’affermir en entretenant la guerre et par l’effet de la force que la liberté lui aurait restituée, écraserait bientôt l’Angleterre, — ce qui n’arrivera jamais si la liberté s’établit dans toute son étendue. Mais s’il reste dans la Constitution des défauts essentiels à cet égard, il est impossible, si les peuples s’y soumettent, que la force du pouvoir exécutif ne les aveugle et ne les conduise bientôt à tout ce qu’il voudra, pour peu qu’il soit habile. Sous ce rapport, les Amis de la liberté, en Angleterre, devraient se réunir pour fournir des moyens à ceux de France de faire triompher les bons principes, et je ne crois pas qu’on dût craindre de leur dire que ce soin serait digne d’eux.

Je[130] crois au contraire, aujourd’hui, que ce n’est plus que par des associations générales qu’on peut effrayer, poursuivre et terrasser le despotisme ; il faut l’attaquer de toutes parts pour l’extirper de chez nous-mêmes. Nous voudrions en vain perfectionner notre liberté si nous n’excitons pas tous nos voisins au même culte. Je n’aurai jamais le courage de vous écrire tout le mal que je pense de notre Assemblée, je suis dégoûtée d’aller à ses séances et je suis intimement convaincue qu’elle ne saurait plus faire que de mauvais décrets. Il nous faudra une nouvelle insurrection, ou nous serons perdus pour le bonheur et la liberté ; mais je doute qu’il y ait assez de vigueur dans le peuple pour cette insurrection, et je vois les choses livrées aux hasards des événements. Dans tous les cas, ce serait folie que de s’attendre à la paix ; nous sommes voués aux troubles pour toute cette génération, et ils nous seront moins funestes que ne pourrait l’être la sécurité. L’adversité forme les nations comme les individus, et la guerre civile même, tout horrible qu’elle soit, avancerait la régénération de notre caractère et de nos mœurs. Il faut être prêt à tout, même à mourir sans regrets, car du sang des honnêtes gens jailliraient la haine puissante des passions qui l’auraient fait répandre et l’enthousiasme des vertus dont ils auraient donné l’exemple. On brûle le pape au Palais-Royal[131], et l’on reconnaît à l’Assemblée ses prétendus droits sur Avignon[132] ; cependant le Comtat est livré à tous les déchirements d’une guerre civile et religieuse, et une foule de petits intérêts de nos députés propriétaires dans le Comtat, tels que Crillon[133] et autres, empêchent l’Assemblée de reconnaître les droits des peuples et de porter secours aux malheureux. Oui, liez les amis de l’humanité de toutes les nations : il ne faut pas moins que cette confédération générale ; nous sommes trop faibles et trop corrompus pour nous relever seuls ; que la lumière se fasse partout, il est temps que le genre humain sorte du chaos[134].


423

[À BANCAL, À LONDRES[135].]
12 mai 1791, — de Paris.

Je ne vous i pas écrit depuis quelque temps, parce que j’ai eu peu de courage à vous entretenir de la chose publique et qu’il serait presque honteux de s’occuper d’objets qui lui fussent étrangers. Il s’en faut tout que je sois contente de notre situation ; la sécurité même de beaucoup de gens qui ne sont pas sans civisme m’est un sujet de regrets, car il faut être bien froid sur les intérêts de cette patrie qu’ils disent aimer, ou bien aveuglés sur la manière de les calculer, pour demeurer calme à la vue de tout ce qui existe. Sans doute, je ne crois pas à ce qu’on appelle une contre-révolution : elle est impossible, grâce, non au patriotisme de la plupart des raisonneurs, mais à la ferme volonté du peuple des villes et des campagnes de conserver des avantages qu’il a commencé de goûter. Je crois à la force et à l’empiétement du pouvoir exécutif, à la plus mauvaise administration des finances, à une détestable organisation du ministère, à une foule de mauvais décrets et de vices constitutionnels qui gênent l’exercice de la liberté, arrêtent les progrès de l’instruction, établissent l’aristocratie des richesses, s’opposent à la régénération du caractère national et des mœurs, nous préparent enfin de nouveaux fers que le peuple ne saurait apercevoir et dont il se trouvera chargé avant de les avoir prévus. Je vois l’Assemblée si excessivement corrompue, qu’il me parait nécessaire que toutes ses opérations soient fautives, ce qui n’est que trop prouvé chaque jour ; j’ai renoncé à suivre ses séances, elles me donnent la fièvre. Il n’y a pas, du côté gauche, un seul homme à caractère, qui unisse à un ardent amour du bien cette fermeté courageuse qui s’élève contre les orages, les brave et les fait tomber. Les meilleurs patriotes me semblent plus occupés de leur petite gloire que des grands intérêts de leur pays et, en vérité, ils sont tous des hommes médiocres, quant aux talents mêmes. Ce n’est pas l’esprit qui leur manque, c’est de l’âme : il n’y a qu’elle qui puisse élever un homme à ce généreux oubli de lui-même dans lequel il ne voit que le bien de tous et ne songe qu’à l’opérer, sans s’occuper des moyens de s’en assurer la gloire.

Mais avant de m’abandonner à vous raconter tout ce que je pense, je dois m’acquitter de ce que Lanthenas s’était chargé de vous écrire et que je lui ai promis de vous mander. Brissot, toujours dévoué, comme vous le connaissez, et auquel je ne désirerais que deux adjoints dont la plume valût la sienne pour conduire l’Assemblée avec la capitale, Brissot vous prie de rapporter, pour la Société des Amis des Noirs, plusieurs exemplaires de tout ce que la Société de Londres a publié depuis six mois, surtout les évidences et les précis[136] ; il demande si cette Société a reçu les adresses que celle d’ici lui a envoyées, par Philips, il y a plus de quinze jours ; enfin il est un troisième article à traiter verbalement entre vous et Clarkson ou autre de la Société, de la manière que vous saurez faire : c’est la nécessité des secours. Vous savez que la Société d’ici, forte de zèle et faible de moyens pécuniaires, ne peut trouver d’aide de ce genre que dans ta Société de Londres ; elle compte renouveler ses attaques pour la prochaine législature et ne rien négliger pour cela suivant ses facultés. Elle est actuellement dans un grand mouvement ; il s’agit du sort des gens de couleur.

Le Comité colonial a eu l’infamie de proposer un projet de décret dont l’un des objets était la formation dans les îles d’un congrès de blancs, auquel on laisserait à discuter le sort des gens de couleur. Petion s’est élevé avec indignation, et il a fallu combattre pour obtenir l’impression et l’ajournement de ce projet ; la Société s’est hâtée d’imprimer et de répandre des instructions, et elle a eu fort peu de temps ; la discussion s’est ouverte hier, elle a été vive ; on la continue aujourd’hui, et probablement il y aura une décision[137].

L’abbé Grégoire[138], que j’ai vu hier au soir, tremblait sur ce qu’elle pourrait être ; tous les noirs de l’Assemblée sont, comme de coutume, contre la raison et l’humanité ; ils sont, pour cet article, d’accord avec Barnave qui cependant a été entendu hier avec défaveur ; les Lameth ne disent mot, et ils ont leurs motifs pour soutenir Barnave, mais ils ne le font pas d’une manière officielle pour éviter de se compromettre, soin bien superflu.

Le Comité de constitution a osé proposer un décret sur le droit de pétition ; il consistait à ôter ce droit aux citoyens passifs, aux sociétés ou clubs, et aux corps administratifs, à exiger enfin que toute pétition fût signée de l’individu qui la présente, ou de tous les individus qui voudraient qu’elle fû faite en leur nom ; il y avait encore, dans ce décret, je ne sais quelle absurdité sur le droit d’affiche, car on a l’inconséquence de désigner par le nom de droit ce qu’on prétend restreindre ou anéantir par des lois. C’est l’impudent Chapelier qui a fait le rapport en conséquence ; il a été tellement astucieux, l’Assemblée est si mauvaise et le peuple est si ignorant, qu’on l’a applaudi de toutes parts… Je ne sais comment on peut être témoin de pareille scène et ne pas verser des larmes de sang… Deux ou trois bons députés se sont récriés ; Robespierre a obtenu seulement le renvoi au lendemain, après avoir vainement demandé la question préalable ; et, le lendemain, le projet a passé en plus grande partie ; on est venu à bout de l’échancrer, de l’affaiblir ; mais enfin il esl résulté une mauvaise loi[139]. Vous aurez vu, par les papiers, comment a été traitée l’affaire d’Avignon ; durant trois jours on a longuement discuté pour rendre un sot décret qu’on a été trop heureux d’annuler le lendemain par un tour d’adresse, et les choses ne sont pas plus avancées qu’avant l’examen de la question[140]. Cependant toutes les horreurs d’une guerre civile et religieuse désolent le Comtat ; les Avignonnais tombent dans un triste état : ils manquent de munitions pour suivre le siège de Carpentras ; cette ville se défend vigoureusement, et l’aristocratie qui l’a prise pour son foyer s’y maintient avec succès. Vous connaissez l’état de l’Europe et l’éveil qui tient en armes toutes ses puissances. Il est prouvé aujourd’hui, pour le plus grand nombre des personnes instruites, que le départ de Louis XVI, le 18 précédent, était pour la frontière. La petite année Condée (sic) est aujourd’hui de dix mille hommes ; beaucoup de ci-devant parlent de divers lieux de la France, pour s’y réunir. Tout cela ne serait que risible si nous avions une bonne Assemblée ; je ne sais plus quand elle cédera la place à l’autre législature, et je crois que les plus sages sont ceux qui avouent que le calcul des événements futurs est devenu presque impossible. Seulement il est clair que cette génération est vouée aux troubles, et que ce serait tant pis pour elle s’il en était autrement ; car ce n’est plus que dans le choc et le hasard des passions et des choses qu’on peut espérer d’obtenir quelque résultat favorable au grand nombre. Je soupire après mon ermitage et le bonheur d’y faire quelque bien dans le silence : j’en ai assez de Paris ; il était beau à voir au moment de la Révolution, il m’afflige aujourd’hui et je le quitterai sans regrets. Les affaires de Lyon ne vont ni vite ni mieux que les autres ; mais comme elles occuperaient extrêmement mon mari s’il était actuellement à Lyon même, je me console de le voir ici, où elles lui laissent quelque relâche ; c’est ainsi qu’il y a compensation à tout.

Adieu, nous sommes toujours vos bons amis.


424

M. H. BANCAL, [À LONDRES[141].]
22 mai 1791, — de Paris.

Qu’êtes-vous donc devenu ? nous n’entendons plus parler de vous et ne savons qu’en penser.

Vous étiez bien aise, disiez-vous, de nous savoir à Paris, parce que ce rapprochement rendrait la correspondance plus facile et plus fréquente ; mais votre dernière date déjà de plus d’un mois, malgré les lettres que nous vous avons adressées dans cet intervalle. Je me rappelle d’un temps où de semblables délais nous étonnaient beaucoup, et ne nous faisaient cependant que supposer quelques suites de circonstances ou de distractions, balancées par des craintes d’altération de santé ; c’était l’absorbement du chagrin, et vous nous fîtes pari de sa cause. Cette expérience ajoute aux inquiétudes que peut inspirer votre silence, et elle se mêle douloureusement aux combinaisons que nous faisons à votre sujet. Si vous avez quitté Londres, pourquoi ne pas nous avoir prévenus de votre départ ? Si vous l’habitez encore, comment pouvez-vous demeurer si longtemps sans communiquer avec vos amis ! Je présume que votre projet d’alliance n’a pas été sans succès, et je m’étonne que vous se faisiez (sic) point participant de ceux-ci les personnes que vous savez y prendre tant d’intérêt.

Dans une correspondance plus suivie, je vous aurais tenu au courant de notre Assemblée ; mais, au reste, les papiers vous y mettent, et les choses se succèdent avec tant de rapidité, que leur ensemble échappe à la narration quand on ne la reprend qu’à des époques éloignées.

L’organisation du Corps législatif se fait passablement et, du moins jusqu’à ce moment, l’Assemblée paraît s’être rajeunie pour cette partie. Les législatures n’auront pas besoin d’être convoquées par le Roi, et il ne pourra les dissoudre ; les membres de celle-ci ne sont pas rééligibles ; voilà d’excellentes choses, et nous devons les premières énoncées à cette non-réélection qui fut d’abord heureusement décrétée.

La cause des gens de couleur est gagnée ; ces succès m’ont un peu réconciliée avec notre Assemblée ; mais il est toujours instant qu’elle finisse, car l’avantage du bon parti tient à si peu de chose, qu’on est toujours sur le bord du précipice. La rareté, le haut prix de l’argent font actuellement la crise publique ; il se vend douze, quinze et même vingt pour cent. Le désordre des finances inquiète les plus confiants ; c’est à qui réalisera ses capitaux ; aussi les biens fonds se vendent un prix fou ;. on s’estime heureux d’acheter des terres à deux pour cent de revenu. La législature ne saurait être encore longtemps en exercice ; mais ce sera sûrement au delà du mois de juillet. Je ne vous dis rien de nos affaires particulières, elles ont toujours la même incertitude.

Je laisse la plume à l’ami Lanthenas, après vous avoir réitéré l’attachement du ménage. Adieu.

Je[142] partage, mon cher ami, les inquiétudes que donne votre silence ; et je souhaite que vous nous en tiriez bientôt. Je n’ai rien à vous dire sur l’objet de vos dernières occupations à Londres. Je ne fréquente point le Cercle social. L’abbé Fauchet est parti. Je ne sais quelle est la chaleur que cette Société peut mettre au développement de ses projets au dehors. Je suis celui des Sociétés populaires ici. Il se forme une Société centrale, à laquelle j’ai été adjoint. J’y ai fait part de mes idées, et j’espère qu’elles y concourront au bien. Robespierre m’a perdu un manuscrit que je lui avais confié sur l’établissement de ces Sociétés, et un autre sur la liberté de la presse[143]. C’était le travail de plusieurs mois. J’ai eu le courage, depuis quelques jours, de le recommencer[144]. Nous espérons de vous voir arriver au premier moment et que vous viendrez nous aider ; — il est temps d’ailleurs que vous vous rapprochiez pour les élections.

Je vous recommande l’objet des secours pour la Société des Noirs dont notre dernière vous entretenait. Vous voudrez bien aussi vous rappeler de ce dont je vous avais prié près du libraire Philips. Si M. Baumgartner m’a fait quelques commissions que je lui avais données, vous me ferez plaisir de vous en charger.

Garran a été nommé président du tribunal de cassation. — Il a été dans les embarras d’un déménagement, et maintenant il a une belle-sœur qu’il est sur le point de perdre.

Bosc et Creuzet[145] se portent bien ; le premier joindra sans doute, à la présente, quelque chose.

Bonne santé et prompt retour. Salut.

425

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[146].]
Le soir du 27 mai 1791, — de Paris.

Je n’ai pu vous entretenir ce matin, notre bon et digne ami ; je prends la plume actuellement pour m’en dédommager. Vous demandez pourquoi vous n’avez plus de mes nouvelles ; j’ai été touchée de cette question et je m’empresse de vous témoigner combien j’y suis sensible. Je n’expliquerai point mon silence par des raisons de santé, quoique j’aie été malade depuis peu ; je ne vous rappellerai pas la préoccupation involontaire dans laquelle on vit ici et par laquelle on est comme entraîné malgré soi. J’aurais su trouver où prendre le moment de vous écrire, si j’avais eu de la satisfaction à partager avec vous ; mais je suis véritablement affligée de l’état de la chose publique, je répugne à dire tout le mal que j’en pense ; je ne veux point communiquer mes affections pénibles, si elles sont exagérées.

Cependant, comme je ne sais pas revêtir une apparence de joie et prendre un style léger lorsque mon imagination est vêtue de noir, je prends le parti de me taire.

Puisque vous voulez de mon grimoire, préparez-vous donc à soutenir mes lamentations. Je commencerai par les affaires de votre pauvre ville, qui vous occupent autant que nous. Pensez-vous qu’avec la trempe que vous nous connaissez, tous les agréments de la capitale puissent compenser le déplaisir d’être depuis trois mois à la poursuite de décisions dont aucune n’est encore obtenue ? Durant les deux premiers, j’ai pris patience ; mais, depuis le troisième, mon sang pétille à la seule idée d’une mission importante dont mon mari est digne, qu’il fait tout son possible pour remplir, et qu’il n’a pu justifier encore par le moindre succès. Cela me pèse et m’obsède ; je ne jouis plus de rien, et je me soulève contre les obstacles qui m’irritent vainement.

Le Comité des impositions, auquel l’affaire de Lyon est confiée[147], n’a voulu entendre à rien tant qu’il a été occupé de l’assiette de la contribution ; puis, par ennui d’importunités ou pour gagner du temps, ou par raison s’il y en a, il a voulu tant et tant d’éclaircissements, dont vous savez quelque chose par le mal qu’ils vous ont donné. Ensuite il est assez d’usage dans l’Assemblée que ce qui intéresse un département soit proposé par les députés de ce département ; agir autrement est en quelque sorte aller sur les brisées les uns des autres, et l’on ne trouve point de ces hommes à caractère qui se mettent au-dessus de petits ménagements, lorsqu’un intérêt majeur le requiert. Or nos députés sont bien les gens les plus minutieux, les plus longs, les plus mous qui existent. Ils seraient fâchés qu’on agit sans eux, et trouveraient bien moyen d’en traverser une marche sur laquelle ils n’auraient pas été consultés ; mais ils ne sont pas de force à prendre la meilleure, et, soit paresse, soit incapacité, les jours passent, et les législatures se succéderaient avec eux avant qu’ils aient fait tous leurs tours.

L’art suprême est donc de se concilier, jusqu’à certain point, des agents dont on ne peut entièrement se passer, et de prendre sur soi l’action, en ayant l’air de leur en laisser le mérite. Jugez, si vous le pouvez, d’une telle situation. Il faut, dans la confiance qui dicte cette lettre, seulement entre nous, que je vous donne un échantillon de l’allure de nos gens. La nouvelle répartition des contributions charge excessivement notre malheureux département. Landine[148] n’en a pas eu la première nouvelle qu’il s’est mis en devoir de réclamer ; pour le faire avec succès, il a écrit à l’administration du département pour avoir l’état précis de l’ancienne contribution, afin d’en offrir le rapprochement, l’énorme différence, et de déduire les motifs de modérer la nouvelle charge d’imposition. Mais nos députés, qui de longue main se sont accaparé la correspondance du département, l’ont habitué à ne répondre qu’à eux, et Landine na pas eu de réponse. Il s’est agité, il a fait des tentatives auprès du Comité. MM. de Lyon n’ont toujours rien dit, et les répartitions du Comité viennent d’être, sans discussion, décrétées par l’Assemblée[149]. En conséquence, plus de huit millions sont répartis pour la portion du département de Rhône-et-Loire. Le Comité n’a pas eu égard aux seules représentations des députés foréziens, que ne soutenaient point ceux de Lyon qui, je ne sais par quelle incroyable incurie, n’ont pas fait la moindre démarche.

Notre ami ne se rebute point ; il joindra certainement à la présente des réponses à quelques-unes de vos demandes ; il est maintenant au Comité, muni des pièces qui sont arrivées aujourd’hui, et parmi lesquelles nous avons bien distingué et goûté votre excellent rapport du 19 sur l’Hôpital, etc…[150] Il ne négligera rien pour obtenir que quelque membre du Comité se mette en avant et fasse la demande du secours provisoire[151]. Je voudrais être homme, pour courir de mon côté et lui épargner quelques démarches ; mais une femme, qui peut agir dans une cause personnelle, ne saurait se montrer dans des affaires de cette nature.

Ce qui m’impatiente excessivement, c’est la contradiction que je trouve entre le peu de cas que l’on fait hautement des députés lyonnais dans l’Assemblée, et le scrupule de chacun de ne point aller sur leurs brisées, dans ce qui concerne leur département. Je vois, dans cette sorte de scrupule, un égoïsme et un esprit de corps tout à fait révoltants.

On se consolerait encore de ces maux particuliers, si la grande machine allait bien. Mais que nous sommes loin de compte, nous autres francs patriotes, qui désirons sincèrement l’avantage commun et sommes prêts à lui sacrifier le nôtre propre !

Quand on ne regarde les choses que de loin, et seulement en masse, on voit un mélange de mal et de bien assez conforme à celui que présentent toutes les choses humaines. Mais, quand on remonte à la source et qu’on examine de près la machine, on est effrayé du désordre qui y règne et humilié de tout ce qu’il en a coûté d’efforts pour produire ce qu’il y a de bon.

Je n’ai pas le courage de revenir sur tout ce qui s’est passé de répréhensible ; mais le seul décret sur les pétitions[152] m’a enflammée d’indignation. Combien il faut que le Département soit perfide pour l’avoir proposé, que l’Assemblée soit lâche pour l’avoir adopté, que le peuple soit ignorant pour ne l’avoir pas jugé, et que les citoyens éclairés soient faibles pour n’avoir pas réclamé contre, avec vigueur et unanimité !

Que vous dirai-je ? Je ne vais plus à l’Assemblée, parce qu’elle me rend malade ; ni aux spectacles, beaucoup trop frivoles pour mon goût dans des circonstances aussi graves ; et, si je n’avais quelques parents, quelques amis qui me donnent quelques devoirs à remplir, je m’isolerais pour ne pas voir tant d’intérêts et de petites passions, dont le choc perpétuel affaiblit l’esprit public. Nos meilleurs députés mêmes n’ont pas, à mon gré, l’activité, la suite, l’énergie et ce généreux oubli de sa propre gloire, sans lesquels pourtant on n’opère le bien qu’à demi. Tous sont las et usés ; il est bien temps qu’ils cèdent la place ; ils y songent, et, après le renouvellement du corps électoral auquel doivent procéder les assemblées primaires dans le courant du mois prochain, on nommera, au 5 juillet, les représentants à l’Assemblée nationale.

C’est ici, comme chez nous, la finance qui demeure la plus embrouillée ; elle n’est encore qu’un chaos, et nous serons encore perdus si l’Assemblée prochaine n’est composée d’hommes laborieux, fermes et incorruptibles. L’agiotage a pénétré dans l’Assemblée actuelle ; c’est une fange qui fait horreur. Que voulez-vous qu’on obtienne de gens qui ne veulent point accroître les charges apparentes, parce qu’ils craignent d’exciter l’envie de fouiller avec eux dans les secrets qu’ils ont su se réserver ? Notre Comité des finances est tout pourri ; la sottise règne dans la plupart de ceux où la friponnerie n’est pas. Ou n’ose point, on ne peut point crier cela sur les toits, dès que l’Assemblée est assez faible pour le souffrir et que le peuple est trop aveugle pour le juger. Il faut des hommes nouveaux et d’honnêtes gens ; voilà maintenant la grande affaire.

Je ne m’étonne guère de la vengeance de vos oncles ; elle est digne de l’aristocratie et s’accorde parfaitement avec ce que je connais du caractère de celle-ci dans les individus qui en sont atteints. C’est un bien qu’elle ait ce moyen de s’assouvir ; car, dans son excès, il n’est rien dont elle ne fût capable. Je vous en fais mon compliment, et vous en aime tous deux davantage ; votre exemple en cela même rendra vos enfants meilleurs et plus heureux que n’eût fait l’héritage dont on les prive ; et, en vérité, quand on a une patrie, avec le sentiment de ce qu’elle vaut, on a bien moins besoin d’or ; il est la consolation des esclaves, qui ne peuvent qu’avec lui se procurer des jouissances ; des citoyens savent bien d’autres moyens de parvenir au bonheur ; l’estime publique et les mœurs privées le leur assurent. C’est à ce titre que vous ne pouvez le manquer.

Recevez, avec Madame Champagneux, les affectueux embrassements de celle qui vous honore et vous chérit de tout son cœur.

426

copie de la lettre écrite à m. le président de l’assemblée nationale, de paris, le 7 juin 1791[153].

Monsieur le Président,

Depuis près de quatre mois, je poursuis, avec le zèle qui me le fit entreprendre, l’exercice d’une mission dont l’objet va se terminer bientôt par la force des choses, s’il ne peut l’être enfin par des raisons de justice et de convenance. Député de la commune de Lyon, je sollicite le remboursement de sa dette ; elle a été forcée par le Gouvernement, et faite pour lui ; je le prouve. J’en demande la liquidation ou que le Gouvernement la reconnaisse sienne, ce qui est la même chose. Cette liquidation ou cette reconnaissance n’ont pas tellement fixé l’attention de l’Assemblée que nous soyons plus avancés aujourd’hui qu’avant d’avoir fait aucune démarche, au contraire ; les maux se sont aggravés et la mesure est à son comble.

L’état de situation de la ville fut présenté, j’y ajoutai une adresse à l’Assemblée nationale ; depuis, j’ai fait de nouvelles représentations ; je joins ici un exemplaire de celles qui ont été imprimées ; les autres ont été adressées successivement à M. le Président du Comité des contributions publiques, et je n’ai guère manqué de jour de me présenter au Comité, bien souvent deux fois par jour ; entre autres, régulièrement pendant cette dernière quinzaine.

Tous les revenus de la ville, consistant en octrois, furent supprimés de fait par le renversement des barrières, il y a un an ; elle devait alors plus de 33 millions et les arrérages de six mois. Ils l’ont été depuis, de droit, par l’annonce de leur suppression légale et par son effet. Les dépenses se sont accrues par des circonstances très fâcheuses, et pour en éviter de terribles ; par des moyens forcés, pour parer à des inconvénients qui auraient été funestes au dernier degré à la ville et à l’État.

La dette s’est encore augmentée de tous les arrérages des sommes dues depuis l’époque de son état de situation. Elle s’est augmentée d’une autre manière encore et celle-ci est effrayante. Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu ont abandonné l’œuvre sans rien laisser dans la caisse, dépourvue de toutes provisions, chargée de 1,000 à 1,100 malades, d’un grand nombre de coopérateurs, enfin d’une dette en rentes constituées ou viagères et dettes à jour, de six millions six cent et tant de mille livres.

L’Assemblée nationale a décrété, le 29 mars dernier, que les dépenses courantes, en attendant la liquidation, seraient imposées pour trois mois, en émargement au rôle de 1790. Je crus ce projet impraticable pour Lyon ; il l’était en effet ; je l’exposai au Comité des contributions ; il y eut des réclamations de toutes parts. Ou elles furent senties, ou l’on a déterminé par d’autres raisons ; le fait est que le décret n’a même pas été envoyé à la municipalité.

Ainsi donc, la ville de Lyon, sans revenus, sans moyens, sans secours d’aucun genre, est abandonnée au désespoir de ses créanciers et de ceux de ses hôpitaux, réduite à mettre sur le pavé les pauvres et malades nombreux de ses hospices et maisons de charité, à cesser solder une garde dans un temps où le fanatisme, d’une part, et la misère, de l’autre, mettent tout en fermentation. Assurément, Monsieur le Président, dans une pareille situation, il faut s’attendre à tous les malheurs. Je dois même craindre, je l’avoue (les plus vives instances n’opérant rien auprès de l’Assemblée nationale, pas même pour des secours provisoires), que la municipalité ne succombe elle-même et n’abandonne une charge qu’elle n’a pu ni dû prendre que sous la protection de la justice et de l’humanité.

L’Assemblée nationale a fait de grandes choses ; elle continue d’en faire de très grandes ; mais que seront-elles pour des malheureux que la misère assaille de toutes parts ? Sera-ce auprès de gens pour qui tout sera dans la subversion qu’on pourra présager la justice, l’ordre, le bonheur ? Non, Monsieur le Président, les impôts mêmes ne s’établiront pas, par l’impuissance de la part des uns, par le prétexte de cette impuissance de la part des autres, par une sorte d’indignation de tous, et vous auriez vous-même la douleur de perdre le fruit de tant de travaux.

Peut-être, j’ose vous le dire, rien est-il point d’aussi pressé dans ce moment que celui de prévenir le désespoir et les horreurs incalculables qu’il entraîne. Je dois à l’Assemblée nationale cet avis sur l’état affreux de Lyon ; j’ai déposé au Comité des contributions toutes les délibérations de la commune qui le constatent ; et je lui fais passer la copie de la lettre que j’ai l’honneur de vous écrire, moins pour lui prouver mon zèle ou plutôt l’acquit des devoirs qui me sont prescrits par sa confiance, que pour quelle avise, d’après ma situation, ce que peut et doit devenir la sienne, si elle n’obtient sur-le-champ un secours, une avance, sous quelque dénomination qu’on voudra, avec quelque condition qu’il plaira, de trois millions, savoir : deux millions pour les besoins urgents de la municipalité et un million pour ceux de l’Hôtel-Dieu, en décrétant en même temps la vente des immeubles de l’une et de l’autre[154].

427

Copie de la lettre écrite à mm. les députés de lyon à l’assemblée nationale, en leur envoyant la copie ci-jointe de celle adressée au président de ladite assemblée, de paris, le 9 juin 1791[155].

Messieurs,

Je crois satisfaire particulièrement à l’obligation que m’impose ma mission et aux égards que méritent l’intérêt que vous attachez aux affaires de Lyon, ainsi que les moyens que vous avez d’en favoriser le succès, en vous faisant part de toutes mes démarches relatives à cette mission.

Vous savez mieux que personne combien son objet m’occupe depuis près de quatre mois que je suis dans cette capitale ; j’ai conféré avec vous sur les démarches à faire ; je n’ai négligé aucune de celles qui vous ont paru nécessaires ; j’ai été au-devant de toutes celles qui me semblaient pouvoir être utiles ; et il faut être, sans doute, au milieu du tourbillon où vous vous trouvez vous-mêmes, pour concevoir comment, avec le zèle de la chose et toute l’activité imaginable pour la suivre, il est possible qu’un aussi long temps se soit écoulé dans les plus vives sollicitations sans avoir encore rien obtenu. Cependant les circonstances pressent toujours davantage : la pénurie des finances de la ville de Lyon est parvenue à son comble ; tous les revenus importants sont anéantis, les charges sont augmentées, le concours des besoins de l’Hôpital ajoute à ceux de la ville tout ce qui peut exister de plus pressant, et nous touchons à une crise funeste qui peut mettre en subversion la seconde ville du royaume et ébranler par elle la paix de tout l’empire, le maintien même de la Constitution. Car, dans ces temps de troubles, il suffirait d’une moindre étincelle au milieu de la foule de nos ennemis, ardents à profiter de tout, pour produire des ravages affreux.

Alarmé de cette situation, que je ne cesse de représenter dans les Comités, qui a été offerte à l’Assemblée même, et dont les derniers termes sont enfin dans une proximité effrayante ; excédé de soins inutiles, allant régulièrement deux fois par jour, depuis plus d’une quinzaine, pour obtenir des rendez-vous toujours promis, toujours remis, par M. Dupont, qui paraissait plus disposé que nul autre à s’occuper de l’objet, et que vous-mêmes jugiez y être plus propre que nul autre, j’ai cru devoir écrire de nouveau à l’Assemblée nationale dans la personne de son Président ; je vous fais passer ci-joint la copie de cette lettre où il m’a suffi de tracer les faits pour exprimer les plus fortes raisons. Mais, dans la multitude des affaires, la préoccupation de presque tous ceux qui y prennent part, les tentatives les mieux motivées, les plus réitérées demeurent sans effet si elles ne sont appuyées par des personnes à portée de le faire avec quelque ascendant.

Envoyé de la commune de Lyon, j’ai ce titre et mon zèle pour faire valoir ses moyens ; mais je n’ai point d’accès dans l’Assemblée, le temps s’écoule à solliciter ses Comités, et rien n’avancera si des membres de l’Assemblée même ne lui rappellent qu’elle a chargé ses Comités de lui faire un rapport que l’intérêt public rend très instant, et qu’il doit leur être enjoint de le faire sans délai.

Assurément, Messieurs, députés du département du Rhône-et-Loire, vous êtes singulièrement autorisés à faire cette honorable motion ; sans doute même, si elle est obligatoire pour quelqu’un, c’est pour vous, qui tenez à la ville de Lyon, dont le sort alarmant a droit à l’intérêt de tout sage représentant et à vos, soins particuliers ; il est même impossible qu’aucun autre député croie pouvoir parler tant qu’on vous verra garder le silence sur un objet que vos connaissances, votre situation et vos devoirs livrent absolument à votre vigilance.

Je ne doute pas qu’un court exposé de l’état de la ville de Lyon, de l’influence que le désordre qui la menace aurait nécessairement au loin, ne fixe l’attention de l’Assemblée, ne vaille aux Comités l’injonction dont ils ont besoin, et ne détermine ainsi, du moins, le secours provisoire qu’on ne saurait tarder d’accorder sans nécessiter de funestes événements.

Je ne pense pas que ces observations puissent vous déplaire ; l’unique amour du bien engagerait un homme libre à vous les présenter ; mais, dans la mission dont je suis chargé, j’ai regardé comme un de mes devoirs de vous les offrir. J’aurai sans doute une vive douleur, si je n’obtiens pas ce que la commune de Lyon m’a chargé de solliciter pour elle ; mais je n’aurai sûrement pas de remords, car je n’aurai rien négligé pour atteindre le but, et je pourrai justifier de tous mes efforts.


428

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[156].]
11 juin 1791, — de Paris.

Il[157] faut que je laisse cours un moment à l’humeur que me donnent les choses ; humeur, ce n’est pas le mot : j’ai de l’indignation.

Il est évident, par ce qui arrive tous les jours, qu’il ne dépend que de vos députés d’obtenir ce dont vous avez besoin. Il est reçu dans l’Assemblée qu’on doit laisser à ceux de chaque département de parler, de demander, de représenter sur ce qui concerne particulièrement leur département, et surtout leur ville, mais qu’on doit aussi les écouter, lorsqu’ils prennent la parole sur ces intérêts qu’ils sont censés bien connaître et avoir droit de défendre. D’après ce principe, cet usage, cette sorte de tactique, comme passée en loi tacite, personne ne se soucie de se mettre en avant pour l’affaire particulière d’un lieu dont les députés ne disent rien ; ce serait une sorte d’injure à leur faire, ce serait rompre un ordre adopté. Si vous joignez à cette raison la préoccupation de chacun, vous concevrez aisément comment, en connaissant divers députés, nous n’en trouvons pas qui veulent rompre la glace sur un objet que des Comités sont chargés de rapporter et que les députés de Lyon sont si bien à portée de presser. Nos craintes semblent exagérées, et l’on finirait volontiers par croire que notre activité tient à un zèle local, auquel l’intérêt commun n a pas la plus grande part.

Les Comités sont surchargés ; dans la multitude des opérations à faire, ils préfèrent d’abord les plus générales, puis celles sur lesquelles l’Assemblée même témoigne de l’empressement. Or, si l’un des députés lyonnais prenait la parole dans l’Assemblée, qu’il traçât en peu de mots votre situation et demandât que le Comité fit son rapport, il faudrait bien que celui-ci arrivât ; il pourrait, même plus, faire sentir la nécessité d’un secours provisoire et déterminer un décret sur-le-champ. Il n’y a rien de si facile que de faire cela un matin ; il y a des mois qu’ils devraient l’avoir fait.

Je n’ose scruter les cœurs, cela n’appartient qu’à une sagesse plus qu’humaine : mais quand ces gens-là seraient traîtres, quand ils voudraient vous voir abîmer, quand ils s’entendraient avec les ennemis du dehors pour favoriser les désordres intérieurs, ils n’agiraient pas autrement. La lettre de notre ami les a rendus furieux. Milanois lui a reproché de chercher à être député, de n’être pressé de finir que pour aller aux élections ; mais qu’il aurait beau faire, les choses n’en iraient pas plus vite ici, qu’ils savaient bien qu’un député extraordinaire était inutile, qu’ils l’avaient voulu pour témoin des difficultés,… puis, dans un autre moment, que, si l’on réussissait, ce serait le député extraordinaire qui en aurait la gloire, tandis qu’eux s’étaient fort agités pour cela, etc…

On ne peut rien imaginer d’aussi petit, d’aussi faux, d’aussi révoltant. J’admire le sang-froid de notre ami ; j’aurais répondu à un pareil homme « qu’il était facile à des membres de l’Assemblée de rendre inutile un député extraordinaire, soit en le croisant, soit en négligeant de le seconder ; mais qu’il n’était pas pardonnable à ces mêmes membres de ne pas faire tout ce qu’il était en leur pouvoir pour remplir leurs obligations envers leurs commettants ; que leur silence est une trahison manifeste, et que je la dénoncerais au public ». Il n’a pas voulu avoir à se reprocher d’indisposer volontairement des gens qu’il espère encore amener à être de quelque utilité. Je souhaite que l’événement succède favorablement, mais…[158]


429

qui faut-il élire ?
[Juin 1791[159].]

C’est une question qu’il faut résoudre par la solution de cet autre problème : Que devra faire la prochaine législature ?

En jetant un coup d’œil sur les circonstances actuelles, la foule des événements qui se sont accumulés depuis deux ans, le nombre et la vivacité des intérêts prêts d’en enfanter d’autres, il est aisé de sentir que le choix des nouveaux représentants n’est pas moins important que celui qu’il fallait faire pour les États généraux.

La nécessité d’une grande réforme, le besoin d’une Constitution qui prévint le retour des abus sous lesquels on gémissait, réunissaient tous les vœux ; le despotisme même, embarrassé dans ses propres excès, sollicitait l’aide d’une nation qu’il ne pouvait plus opprimer, et dont le concours était devenu indispensable pour éviter une entière dissolution. Dans ce mouvement général, le génie de fa liberté s’éveille, la Déclaration des droits est dictée, les Français se constituent. Mais la formation d’un nouveau gouvernement, quelque étonnantes qu’en aient été l’entreprise et l’exécution, ne nous a pas mis au-dessus de toutes les difficultés qui s’opposent à la marche de ce gouvernement et à son maintien.

La machine est construite, il faut en soutenir et régler les mouvements.

De même que le désordre des finances a été le principe de nos maux, le plan invétéré des abus et la source de la Révolution, l’administration de cette partie est encore la plus difficile et la plus obscure, celle que le Corps législatif doit surveiller le plus rigoureusement : sans quoi, elle deviendrait la pierre d’achoppement qui ferait périr la Constitution même en la livrant aux tentatives de ses ennemis et au hasard des événements.

Nous avons donc besoin de représentants éclairés, intègres et capables de porter la lumière dans la recette et l’emploi des deniers publics au-dessus de toute corruption. L’honnêteté seule ne suffit point si elle n’est soutenue par un grand caractère de justice et de fermeté. Il est aisé d’abuser ou d’intimider l’homme de bien qui n’est pas prémuni, par le courage et l’expérience, contre les suggestions de la ruse et de l’habile intrigue.

Éloignons donc soigneusement les gens que leur faiblesse, leurs goûts ou leurs préjugés pourraient mettre en contradiction avec des devoirs rigoureux et des principes sévères. Les amis du luxe et des plaisirs, ceux que leurs professions auraient familiarisés avec le dessein de faire fortune et les moyens de l’acquérir, ne sauraient adopter la conduite austère qui doit caractériser les surveillants, les ordonnateurs de la fortune publique, au milieu des liquidations multipliées, des impôts nombreux, des répartitions sans nombre, dans lesquels l’erreur et la fraude peuvent aisément s’introduire. Ce point est le premier de tous ; car il n’est pas de lois sages dont l’exécution puisse accompagner le désordre des finances, tandis qu’avec une économie sévère on coupe la racine de la corruption et de tout ce qui la suit.

Nous avons recouvré nos droits ; mais la jouissance en serait bientôt illusoire, si nous avions pour représentants des hommes capables d’y porter atteinte par des lois subséquentes, obscures et multipliées. Il nous faut de vrais amis de la liberté, versés dans la connaissance des principes de la politique et du bonheur social, étrangers à cet esprit de domination qui, se revêtant d’un masque séducteur, prêche l’ordre et crie à l’anarchie, pour avoir des prétextes d’enchaîner et de tout conduire sans contradicteurs. Fortifier les bases de la Constitution par des lois sages, mais simples et peu nombreuses ; propager l’esprit ; maintenir dans toute son intégrité la liberté indéfinie de la presse ; faciliter l’instruction la plus générale pour toutes les classes de la société, mais particulièrement celle ci-devant considérée sous le nom de peuple ; agrandir, enflammer l’esprit public par les soins les plus actifs pour l’observation des lois et par des institutions qui rappellent souvent aux hommes, d’une manière solennelle et touchante, leurs, droits communs et cette fraternité universelle, gage du bonheur des nations ; tels sont, après les travaux des finances, les principaux objets qui doivent occuper nos nouveaux représentants.

Gardons-nous donc de ceux que l’ambition, la vanité mettent en prise aux anciennes erreurs, qui n’ont pas manifesté d’une manière franche leur dévouement aux principes de la Constitution ou qui manquent de lumières pour les conserver intacts, ou de force pour les défendre.


430

À MONSIEUR BANCAL, RUE DU PETIT-BOURBON, À PARIS[160].
Wednesday morning [Juin 1791, — de Paris.]

I have sent your exemplaries to the Assembly ; M. Peter[161] was absent ; they were remitted to the office of distribution, to the number of five hundred and odd.

If you will have me send more in two hours later, let me know.

I have ro see you to day, if not in the morning, this evening about six ; unless you come to take our friends to the Society[162].

Adieu, I am your friend, in English as well as in French.


431

[À BANCAL, À CLERMONT[163].]
[Juin 1791, — de Paris.]

Je ne sais ce qu’est l’amitié pour tant de gens qui parlent d’elle ; mais c’est à mes yeux le plus doux sentiment qui puisse lier les cœurs. Fondée sur la conformité des principes, le rapport des goûts, la convenance des caractères, elle se nourrit de confiance et s’assure par les épreuves. Soutien de la raison quelle embellit, consolation des maux qu’elle partage, elle rend la pratique du bien plus facile, et nous aide à combattre les passions dont la vertu peut exiger le sacrifice. Si elle est telle pour vous, ainsi que j’aime à le croire, vous ne serez pas surpris que j’emploie quelques moments à vous entretenir privément avec cette franchise qui la caractérise. Mais n’y aurait-il donc pas quelque sujet d’étonnement qu’après des mois d’absence vous n’ayez pas trouvé, dans l’un de ces moments que la franchise se plaît à saisir, sujet de lui faire part de tant de choses et d’affections que les lieux, les circonstances ont dû vous faire éprouver dans un si long intervalle ? Comment accorder ce silence avec quelques mots échappés peu après et nécessairement interrompus ? Comment croyez-vous que cette sorte de contradiction puisse se combiner avec tout ce qu’on dit des profondeurs du cœur humain, et du mélange d’art et de vérité que produisent si souvent les entraves mêmes de la société ? N’apercevez-vous pas quelle fermentation doit résulter de ces idées dans un être sensible et confiant, mais délicat et peut-être trop facile à s’effrayer de tout ce qui ne semble pas s’accorder dès l’abord avec sa franchise et sa simplicité ? — Quoi qu’il en soit, au reste, du fruit de l’observation et des règles de la philosophie, je crois à un guide encore plus sûr pour les âmes saines, c’est le sentiment : or celui-ci ne me permet pas plus de douter de mon ami que de l’amitié même, objet sacré de mon culte ; celui-ci m’inspire d’exprimer avec la même sincérité et les pensées qui se présentent à moi, et les résultats que j’adopte, et les inclinations que j’arrête ou les affections que je nourris. Je ne veux que la vérité, parce que je ne conçois pas d’aise ni de bonheur sans elle, parce que je ne vois qu’elle digne de moi : elle est mon art et mon égide.

Je viens de recevoir votre lettre ; la petite société vous répondra incessamment ; mais j’ai voulu prendre les avances. Cette lettre n’est pas seulement adressée à vos frères en liberté, elle n’est pas l’unique expression du civisme ; vous avez, cette fois, entretenu vos amis, vous leur avez parlé de vous-même, que vous aviez tant oublié, ce me semblait, lorsque vous écriviez de Londres. Parmi les choses qui m’ont infiniment touchée, j’ai été plus particulièrement pénétrée de ces phrases douloureuses ; « Que ma situation est changée depuis peu de mois ! Combien de pertes irréparables j’ai faites ! » Je sens combien, pour un cœur comme le vôtre, la perte d’un père si respectable et si cher entraîne de douleurs, et je les ai trop bien appréciées, partagées, pour en avoir une faible idée ; mais la généralité de votre expression, en opposition d’ailleurs à ce que prescrit l’ordre de la nature, m’a fait me demander si vous aviez laissé au delà des mers des objets auxquels ces pertes s’étendaient, ou si vous croyiez ne plus retrouver dans votre pays les amis que vous y aviez laissés ?

Je me suis encore demandé s’il n’y avait point, dans ce qui suit immédiatement cette expression, et qui respire une profonde mélancolie, un peu de cette exagération aimable et touchante, qui naît de l’excès même de la sensibilité, ou qu’amène le désir d’exciter celle d’autrui ? Mon ami n’a pas besoin de cette ressource, et je n’ai pas cru non plus qu’il l’eût employée. Jugez de ma franchise par l’aveu de ces écarts d’imagination, et par cette franchise du prix que mon cœur et mes opinions attachent à l’éternelle et sainte amitié. Je suis

interrompue. Adieu.

432

À MONSIEUR HENRY BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[164].
Lundi, 20 juin 1791, — de Paris.

Peu après votre passage ici, nous avons reçu votre avant-dernière de Londres du 27 passé, que l’absence de Bosc avait sans doute retardée, puisqu’elle nous a été renvoyée par lui. Nous attendions avec empressement vos nouvelles de Clermont, jugeant bien à la fois et de la fatigue que vous deviez ressentir, et des impressions que renouvellerait la vue de votre pays. L’amitié recueille et partage avec attendrissement vos affections et vos regrets ; c’est le seul genre de consolation qu’elle sache offrir à des pertes réelles et si vivement senties : elle laisse au temps à rappeler les considérations qui peuvent les tempérer, et se borne à les préparer par l’adoucissement d’une douleur partagée. — J’ai tardé de quelques jours de vous écrire, afin de pouvoir mieux répondre à divers articles de votre lettre ; je sortis une fois en vain pour la communiquer à l’ami Garran, chez qui je ne trouvai personne ; Lanthenas l’a vu hier, et ils doivent aller ensemble un de ces matins dans votre appartement[165] pour y faire la recherche et y mettre l’ordre que vous désirez. Mais en attendant d’avoir à vous en communiquer le résultat, je craindrais de mettre un délai qui vous ferait mal juger de notre plaisir à soutenir et alimenter notre correspondance avec vous. Nous avons aussi vu Brissot, mais non encore obtenu de lui vos deux lettres sur les pétitions ; nous avions dessein de les fondre et de les faire publier par Tournon. Mais, en vérité, ce qui est une fois livré aux écrivains demeure enseveli, souvent perdu dans leurs papiers, lorsque le moment ou leur disposition n’en a pas favorisé, déterminé l’emploi. C’est ainsi que notre ami a perdu deux petits morceaux donnés l’un à Robert[166], l’autre à Clavière ; j’espère que vos lettres n’achèveront pas le trio. La préoccupation de Brissot est extrême ; ses travaux habituels, sa propre vivacité, la variété des circonstances de chaque jour la rendent toujours très grande ; les élections y ajoutent tout ce qu’il est possible d’imaginer. Il est électeur, malgré les pamphlets répandus contre lui au moment des assemblées primaires ; nous ne pouvons songer à l’intéresser pour votre projet ; il n’y a pas encore foi ; il ne juge propres à la chose ni Williams, ni Clarkson. Ce n’est pas une raison d’abandonner l’idée de l’amener un jour à y concourir lui-même ; mais il faut le temps, le choix du moment et votre présence. J’ai eu occasion d’observer, depuis mon séjour ici, que les difficultés d’opérer le bien étaient encore beaucoup plus grandes que les hommes, même réfléchis, ne sont portés à l’imaginer : car on ne saurait faire le bien, en politique, que par une réunion de soins et d’efforts ; et il n’est rien de si rare, de si difficile que de lier des volontés pour tendre à un même but par une marche constante. Il est un égoïsme d’amour-propre aussi funeste que celui de l’intérêt ; chacun ne croit à la bonté que de son système et de son mode ; on s’irrite ou on s’ennuie de celui d’autrui, et faute de savoir se plier à une allure un peu différente de la sienne, on finit par marcher tout seul sans atteindre à rien de bien utile pour l’espèce. Depuis plus d’un siècle, la philosophie prêche la tolérance ; elle, a commencé de s’établir dans quelques esprits ; mais je ne la vois guère encore dans les mœurs. Je pense qu’à cet égard vous aurez fait en Angleterre un cours infiniment avantageux ; la diversité des opinions religieuses y maintient des oppositions dont vous avez senti la force et que vous avez eu à éviter dans vos tentatives ; vous trouverez chez nos têtes françaises des oppositions tout aussi multipliées, quoique les préjugés religieux n’y soient pour rien. Nos beaux esprits ont plaisanté de la patience comme d’une vertu négative ; j’avoue qu’elle est à mes yeux le vrai signe de la force d’âme, le fruit d’une réflexion profonde, le moyen nécessaire pour concilier les hommes et répandre l’instruction, enfin la vertu des peuples libres. Nous avons tout à acquérir sur ce chapitre.

Brissot a reçu des nouvelles de M. Bridel[167] ; c’est tout ce que j’en ai pu savoir.

Quant à la question de savoir s’il faut attendre, pour rendre compte de la Société des Amis de la paix, le résultat des assemblées dont vous étiez convenu, je suis peu pour l’affirmative. Je pense d’ailleurs que, pour le meilleur effet, il convient que ce soit vous-même qui le rendiez : personne ne le ferait avec un intérêt égal et capable d’en produire un semblable.

Les prêtres s’agitent partout, comme dans votre département ; Lyon est dans une agitation extrême ; une nouvelle tentative de contre-révolution a été sur le point d’y répandre les plus grands désordres ; tous les malveillants se sont réunis pour opérer une division, afin de pouvoir cabaler avec plus de succès dans les élections. La municipalité, seule patriote, a été seule en butte aux corps administratifs et à une partie de la garde nationale, mis en jeu par les intrigants[168].

Il est difficile de présumer quel sera le résultat des élections dans une telle fermentation. Quant aux intérêts pécuniaires de cette commune, nous avons obtenu que le rapport de ce qui les concerne serait fait avant le 1er juillet ; c’est toujours plus pressant, et je ne sais ce qui pourrait arriver si l’on tardait encore de nous secourir.

On ne croit pas ici aux attaques extérieures ; le décret contre Condé doit l’arrêter ou le ramener ; l’inquiétude des peuples chez tous nos voisins arrête et contient aussi leurs tyrans. Mais, si la prochaine législature n’est pas vigoureusement composée, nous serons déchirés et perdus. Les finances sont dans un état très fâcheux ; on vient encore de décréter une nouvelle émission d’assignats, presque sans discussion, et personne n’entend rien à l’emploi des fonds du trésor public.

Le Comité de constitution ne veut ni Convention, ni révision, et il cherche à lier, par tous les moyens, les législatures suivantes. Sieyès et Condorcet[169] ont fait imprimer une sorte de profession de foi qu’ils voulaient faire signer à beaucoup de gens marquants, afin de la répandre dans les corps électoraux et de la donner comme un signe de ralliement ; elle est fautive et insignifiante à plusieurs égards, et très dangereuse à plusieurs autres.

Le tribunal criminel est fortement organisé ; Robespierre, accusateur public ; Petion, président ; Buzot, substitut. Les aristocrates font rage et se répandent en infâmes déclamations ; quelques-uns d’eux émigrent. On a arrêté hier, aux jacobins, d’envoyer quatre députés à Londres pour assister à la fête que les Amis de la Révolution se proposent de célébrer au 14 juillet, mais la cabale qui fait tout aujourd’hui dans ce club, autrefois si utile, ne permet guère d’espérer un bon choix pour cette députation ; j’ai été témoin de ses clameurs pour étouffer la voix d’un citoyen qui voulait faire des observations sur le choix dont on a à s’occuper. La translation de Voltaire donnera lieu à un [nouveau[170]] genre de fête, le 4 du prochain ; le plan de cette cérémonie est vraiment superbe.

J’entends répéter de tous côtés, ce que vous nous exprimez, qu’il y a à présent bien peu de femmes patriotes. Ignorance et faiblesse me semblent les mots de l’énigme ; elles sont les sources de cette misérable vanité qui dessèche tout sentiment généreux, qui répugne à l’esprit de justice et d’égalité : c’est la faute du siècle et de l’éducation bien plus que celle du sexe. La même sensibilité qui se disperse et s’atténue sur des bagatelles, d’où elle se résoud en sottise et en égoïsme, peut aisément se concentrer et se sublimiser sur de grands objets ; et sans doute, ce ne seront pas des religieuses qui les montreront à de jeunes cœurs. Cela me fait soupirer pour la petite plante éloignée de mes mains !

Sans doute que vous aurez été nommé électeur ; donnez-nous de vos nouvelles, que nous nous réjouissions pour la patrie.

Je crois bon, sous tous les points de vue possibles, de faire des acquisitions, quoique les fonds soient à un prix exorbitant.

Adieu, tous vos amis vous embrassent et sont à jamais unis avec vous dans l’amour de cette patrie qui devient tous les jours plus chère par les soins mêmes qu’elle coûte.


Mardi, 10 heures du matin [21 juin].

Je vous ai écrit hier, après-midi ; je décachette ma lettre pour vous dire, au bruit du canon et dans le moment de la plus grande fermentation, que le Roi et la Reine sont enfuis ; on ferme les boutiques, on s’agite de toutes parts. [Il est presque impossible que Lafayette ne soit pas complice[171].]

Voilà la guerre déclarée.


433

À MONSIEUR HENRY BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[172].
Mercredi, 22 juin 1791, — de Paris.

Vous êtes trop bon citoyen, mon ami, pour ne pas mériter d’être instruit de tout ce qui se passe ici. Je me flatte pourtant bien moins de vous rendre un compte rendu exact de tous les faits, que de vous exprimer ce que je pense du résultat des événements.

Le Roi et sa famille sont partis ; c’est loin d’être un malheur, si nous avons du bon sens, de l’énergie et de l’union. La masse du peuple de cette capitale le sent ainsi, car la masse est saine et voit juste ; aussi l’indignation contre Louis XVI, la haine des rois et le mot de République s’exhalaient hier de toutes parts. On s’est assemblé dans les sections ; plusieurs d’entre elles ont pris l’arrêté d’être permanentes ; quelques-unes développent le plus grand enthousiasme ; les Sociétés fraternelles en ont fait autant : nous serions à la plus belle époque, si, comme au mois de juillet 1789, nous n’avions ni gardes nationales organisées, ni marc d’argent décrété, ni ministériels bien concertés.

Les dispositions de l’esprit public sont excellentes, le moment est heureux : mais qu’est donc et que fera l’Assemblée ? C’est une autre question, dont les pronostics m’affligent profondément. Il paraît, d’après les aveux mêmes de Lafayette, publiquement faits et notamment à la barre, que, depuis la Pentecôte, lui, ses aides de camp, Bailly et le Comité des recherches savaient qu’il existait des projets d’une prochaine évasion ; les gardes étaient doublées seulement depuis dimanche et, par une fatalité bien singulière, elles étaient composées, dans la nuit du 20 au 21, de la même division qui était au château le 28 février, dans l’affaire des poignards, et le 18 avril, lancée la tentative du départ soi-disant pour Saint-Cloud. Un seul membre de l’Assemblée a voulu faire sentir la nécessité d’éclairer la conduite du commandant et des responsables ; cette motion a été écartée, surtout par Barnave et les Lameth (ceux-ci se sont réconciliés avec la Reine il y a huit jours), qui jamais n’ont mieux montré qu’hier une intime union avec d’André, Chapelier, Beaumetz[173]. On eût dit que, prévenus de ce qui est arrivé, ils avaient leur plan de conduite tout tracé ; ce sont eux qui ont tout fait, et la partie semblait liée pour ôter la parole à Robespierre, Petion et Buzot.

Quelles mesures a-t-on prises ? On a conservé tous les ministres, qui sont tous évidemment les ennemis de la Révolution et qui n’ont cessé de la trahir, à l’exception peut-être du Garde des sceaux, homme faible et sans caractère[174]. On a confié le soin des parties les plus importantes, de tout ce qui concerne notre action et notre défense, aux Comités diplomatique et militaire, unis aux ministres chargés des parties correspondantes ; à ces Comités dont les perfides lenteurs et la conduite plus que suspecte ont laissé préparer nos ennemis, négliger nos frontières, persécuter les soldats patriotes et maintenir l’armée dans une organisation détestable ; à ces Comités que les bons citoyens dénoncent depuis si longtemps, que l’opinion publique a flétris et qui devraient être punis si l’on pouvait exercer actuellement une justice contre eux. Que l’on nous fasse de belles proclamations pour nous exhorter à nous tenir sur nos gardes, que l’on décrète fastueusement que les citoyens sont invités à la vigilance, à l’union et à la confiance dans l’Assemblée, qui fait les plus touchantes protestations : je vous demande s’il y a lieu d’être tranquille et satisfait. — Les Jacobins se sont assemblés ; ils étaient nombreux, ils ont eu de nobles élans, et le serment, car nous sommes devenus d’impitoyables jureurs, le serment d’être libre ou de mourir a été répété par eux avec transport.

[Robespierre[175] est monté à la tribune ; il a eu le courage d’exprimer, avec l’énergie propre à son caractère, ce dont je ne viens que de vous transmettre l’énoncé ; on sentait que son cœur, opprimé de la mollesse de l’Assemblée, de la corruption d’une partie d’elle-même, venait s’épancher dans une société autrefois célèbre, et que les circonstances rappelleraient peut-être à la pureté de son origine ; Robespierre a été couvert d’applaudissements ; ils étaient bien mérités. Mais, bientôt après, arriva tout le Club de 89, Lafayette à la tête. Le vigoureux Danton[176] déploya vainement son éloquence contre le commandant et l’inculpa hautement. Lafayette, sans se justifier de rien, fit parade de son zèle, parla de liberté, et on l’applaudit. Sieyès et d’autres parlèrent à leur tour, s’élevant contre les défiances qu’ils prétendaient devoir être soigneusement écartées ; Barnave renchérit sur le tout en prêchant l’union et proposant une adresse concise à toutes les Sociétés affiliées, rédigée dans ces principes et cet esprit. Elle fut adoptée.] Voilà tout le résultat de l’une des plus brûlantes séances de cette Société, qui devrait être le foyer des meilleures résolutions, et cela, dans les circonstances les plus graves et les plus décisives où nous nous soyons encore trouvés[177].

J’étais, au commencement de la journée d’hier, dans l’activité des plus grandes espérances ; je suis maintenant dans l’inquiétude et la crainte. Je voudrais répandre l’une et l’autre ; je voyais que, depuis six mois, on ne travaillait qu’à nous endormir ; j’ai souri au moment d’un réveil, et j’aperçois avec effroi qu’on s’efforce de nous calmer de la même manière. Nous n’avons que des liens presque imperceptibles ; ils seront rivés en fer avant que nous en jugions toute la force.

Lorsque je considère que, dans notre Constitution, les ministres étaient plus que le Roi lui-même par leur action continuelle ; que les ministres en place sont dévoués à l’aristocratie, et qu’ils sont continués dans leurs fonctions avec des Comités pervers, je vois Louis XVI préparant au dehors des attaques combinées avec les mouvements intérieurs et la marche de l’Assemblée même qu’il continue de diriger ; je vois que nous sommes environnés de pièges, de séducteur et d’assassins et que, si nous pouvons espérer encore d’arriver à la liberté, ce ne sera que par une mer de sang.

Votre Société recevra donc la bénigne adresse de nos Jacobins ; il serait bien bon qu’en réponse vous en fissiez une qui contint l’exposé de si justes craintes ; il faudrait en projeter une à l’Assemblée nationale elle-même, pour lui demander de nouveaux ministres et une autre composition de tous ses Comités : car, enfin, si l’on ne trouve pas un moyen d’épurer cette Assemblée, de ne mettre en action que ce qu’elle a de plus sain, nous sommes inévitablement perdus. Mais une pareille adresse devrait sortir à la fois de toutes les assemblées primaires ; c’est le seul moyen d’opérer un grand effet. Un des articles de l’adresse ne pourrait-il pas être de demander la convocation solennelle de toutes ces assemblées à l’effet de délibérer, par oui et par non, s’il convient aux Français de conserver à leur gouvernement la forme monarchique ? Le contrat que nous avions passé admettait un Roi ; mais ce Roi même, qui était une des parties contractantes, renonce aux clauses de notre transaction ; les parties qui restent peuvent donc en mettre de nouvelles.

Il serait bien besoin de répandre avec profusion une petite instruction propre à éclairer et à diriger le peuple ; nous sommes dans une crise dont le résultat doit être la perte ou la perfection de notre Constitution. Nous avons plus de bras que de têtes ; notre jeunesse se battra vigoureusement ; mais ses combats et ses victoires même pourraient ne servir qu’à nous épuiser, si nous demeurons sous l’influence des traîtres et que nous jugions mal du but vers lequel il convient de diriger tous nos efforts.

Je ne sais si vous aurez reçu à temps ma lettre d’hier ; j’ai lieu de présumer que toutes les expéditions ont été arrêtées, et c’est encore une des astuces des chefs de bureaux. Car, le départ du Roi étant effectué, ses partisans n’avaient rien à mander de redoutable, et il était fort instant de [laisser[178]] propager les impressions que les patriotes pouvaient produire dans ces premiers moments. L’Assemblée n’a pas voulu non plus adopter une mesure qui lui a été proposée et qui, par des signaux, aurait éveillé tout le royaume en vingt-quatre heures. — On ne travaille qu’à tout calmer, on ne veut que du sommeil ; il entre pourtant dans le complot quelque tentative de massacre dans Paris. Je ne m’appesantis pas sur des détails que les papiers publics vous donneront assez ; ils vont être tous remplis de l’ordre admirable qui règne ici et de la sagesse de l’Assemblée. Vous y verrez le sot manifeste du Roi, manifeste après lequel il est encore plus sot d’appeler sa fuite un enlèvement, comme a fait Bailly.

Le roi de Suède est à Bruxelles ; Louis XVI s’y rend, et tous les despotes vont s’unir comme vous pouvez croire. Nous étions inondés de croix de Saint-Louis, de ci-devant gardes du Roi : tout cela est disparu ; mais il nous reste beaucoup de malfaiteurs, et les ouvriers des ateliers de charité ont été licenciés il y a peu de jours.

Adieu, notre bon et digne ami, unissons-nous toujours davantage ; il faut voir tout le mal pour tout prévenir sans jamais désespérer ; il faut mourir sur la brèche avant d’abandonner la partie.


434

À MONSIEUR HENRY BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[179].
23 juin 1791, — de Paris.

Qui pourrait suffire à exprimer, à peindre les affections, les mouvements qui nous agitent ! Hier, à cinq heures du soir, réunis avec Robespierre et plusieurs autres[180], nous nous considérions sous le couteau ; il n’était question que de porter le peuple à de grandes mesures dont l’Assemblée est incapable, et chacun ne songeait qu’à la manière de se rendre plus utile au salut public, avant de perdre la vie qu’un massacre imprévu pouvait nous ôter d’un moment à l’autre.

Ainsi que je vous l’avais marqué, l’esprit général était excellent ; mais il y avait dans l’Assemblée une condition redoutable ; il était évident qu’elle n’était pas concentrée dans son sein ; on se voyait environné de pièges, et, tout en s’occupant à profiter des circonstances pour les succès de la liberté, ses plus ardents amis s’attendaient à y périr.

J’allai aux Jacobins[181] ; ils étaient aussi nombreux, et la séance commença aussi solennellement que la veille ; je ne sais si je vous avais dit qu’on y avait renouvelé, avec un transport inexprimable, genou en terre, épée nue a la main, le serment de vivre libre ou de mourir. Cet élan n’était rien en comparaison de l’intrépidité franche et gaie de tout le peuple ; mais le jeu couvert de 89 et l’agence des ministres, et [la vue de ce faquin de Lafayatte[182]], répandaient l’inquiétude. Tout à coup arrivent courriers sur courriers, apportant la nouvelle que le Roi et sa femme avaient été arrêtés par une petite municipalité des frontières de la Champagne et de la Lorraine, celle de Varennes, près Stenay ; le zèle et le danger ont appelé de proche en proche trente à quarante mille gardes nationales qui environnent Châlons-sur-Marne où l’on a amené nos grands brigands. Que fera-t-on d’eux ? C’est un problème curieux à résoudre. Il me semble qu’il faudrait mettre le mannequin royal en séquestre et faire le procès à sa femme. Mais notre Assemblée ne vaut rien pour cela. Hâtez-vous de finir vos élections, et que tout l’empire demande la nouvelle législature, elle sera le sceau nécessaire ; si celle-ci se prolonge, elle finira par nous trahir nous-mêmes, nous vendre à la Cour, ou se rendre sénat aristocratique. Il faudrait profiter de ces grands mouvements pour appeler tous les citoyens à l’activité, pour réformer enfin les vices de notre Constitution… Je suis pressée et je quitte à regret… Mais, tant que la paix avait duré, je m’en étais tenue au rôle paisible et au genre d’influence qui me semblent propres à mon sexe ; lorsque le départ du Roi a déclaré la guerre, il m’a paru que chacun devait se dévouer sans réserve ; je suis allée me faire recevoir aux Sociétés fraternelles[183], persuadée que le zèle et une bonne pensée peuvent être quelquefois très utiles dans les instants de crise.

Je ne sais pas me tenir chez moi et je vais voir les braves gens de ma connaissance pour nous exciter tous aux plus grandes mesures. La scène change encore une fois ; il faut songer maintenant à quelque instruction à faire et à répandre.

Donnez-nous de vos nouvelles. Je ne sais si mes précédentes vous seront parvenues, car nous avions tout à suspecter et à craindre des chefs de bureaux, aux postes comme ailleurs. Cette lettre doit être la cinquième. Adieu, mon ami ; j’espère que nous nous reverrons.


435

[À BANCAL, À CLERMONT[184].]
24 juin 1791, — de Paris.

La fatigue m’oblige à rester chez moi, du moins ce matin ; je me propose de vous entretenir sur notre situation présente, quoique j’aie l’intention de ne faire partir ma lettre que demain, car je veux pouvoir vous mander les résolutions de l’Assemblée. Elles vont à peu près décider de nos futures destinées. Les bons citoyens sont dans les alarmes, en considérant la faiblesse de nos représentants ; le peuple est admirablement disposé, mais il est trop confiant et il ne sent pas la nécessité de pousser et de guider ses médiocres législateurs.

On ramène Louis XVI, sa femme, ses enfants et sa sœur. Que doit-on faire d’un roi parjure, qui renonce et trahit ses engagements, viole le contrat dont il tenait son pouvoir, réclame hautement contre les clauses de la transaction, et fuit parmi les ennemis de sa nation pour revenir combattre et subjuguer le même peuple qui lui avait assuré le trône ? Tel est l’important problème qui se présente et qu’il faut résoudre avant l’arrivée de Louis XVI, puisque cette solution doit prescrire la manière de le recevoir et de le traiter. Louis XVI est en route, accompagné de quinze à vingt mille gardes nationales, et, demain matin, il sera dans nos murs.

Monsieur et sa femme sont à Mons ; l’Empereur s’y est rendu ; on s’agite extrêmement sur les frontières, et quels que soient le zèle et la foule de nos gardes nationales, les préparatifs et les munitions nous manquent, ainsi que l’habitude de la discipline, et des chefs habiles et sûrs. Le pays est ouvert et sans défense du côté de la Flandre ; on peut, par les Ardennes, arriver jusqu’à peu de distance de la capitale. M. [Lafayette[185]] a perdu la confiance publique, malgré le zèle aveugle d’un grand parti de sectateurs ; sa conduite est [suspecte], répréhensible ; [on ne doit pas lui conserver son commandement, et ce serait bientôt fait si l’on avait quelqu’un à mettre à sa place] ; mais Noailles n’en veut pas[186], Dubois de Crancé est trop médiocre et trop machine pour être capable de la remplir. Les Lameth ne sont vraiment que des factieux et nous plongeraient dans de nouveaux embarras ; on ne voit personne d’ailleurs. Après ce coup d’œil général, considérons quelques faits de détails. Hier, dans tous les groupes du Palais-Royal et de la ville, régnaient un même esprit et un même langage : profond mépris pour la personne du Roi, embarras de son retour, dont on est bien aise parce qu’il rompt les mesures d’un traître et semble éloigner la guerre qui allait commencer, mais qui dérange les idées républicaines auxquelles on commençait à se livrer ; désir de se passer de roi, peu de vues sur la manière d’y parvenir, mélange de confiance dans l’Assemblée, d’attente que ses mesures seront excessivement modérées ; sorte de résignation d’y souscrire, qui décèle le défaut des lumières, car l’énergie ne manque point, mais l’espoir des moyens d’arriver au but. Dans l’après-midi, une foule de députations et des détachements de bataillons, tous les tribunaux, etc., ont été solennellement à l’Assemblée prêter le nouveau serment de fidélité à la Nation et la Loi seulement ; mais, ce qui a été bien plus frappant, tout le faubourg Saint-Antoine s’y est porté, au nombre de je ne sais combien de mille âmes ; les hommes, armés de piques, de bâtons ; les femmes, avec un air de fête : tous défilant en bon ordre, rangés sur six de front, et occupant ainsi depuis la rue du faubourg jusqu’aux Tuileries, la musique nationale à leur tête ; entrés dans l’Assemblée, par parties, ils y ont tous juré à leur manière d’être fidèles à la nation ; ils y ont crié « Vive la loi ! Vive la liberté ! F… du roi ! Vivent les bons députés ! Que les autres prennent garde à eux !… » Et la musique de jouer Ça ira, et les gens de chanter le refrain, en envoyant au diable le Roi et les aristocrates. — Durant cette scène, imposante dans sa triviale énergie et faite pour encourager les républicains, les Jacobins passaient leur temps en discussions pitoyables : ils admettaient d’Orléans, Chapelier, Castellas[187] et autres 89 demandant à être reçus, en abrégeant les formalités pour mieux seconder leur empressement ; ils improuvaient Robert qui vantait la République, ils écoutaient Danton dont la vigueur, ou fausse ou peu éclairée, ne trouvait d’expédient que dans une régence[188]. Cependant le lâche Comité de constitution, le perfide Thouret[189], présentent un projet de décret contenant quelques mesures d’après l’enlèvement du Roi, pour assurer la tranquillité de sa personne jusqu’à sa réunion au Corps législatif : prononçant des peines contre ceux qui oseraient l’insulter, etc… Observez qu’on a envoyé Petion au-devant du Roi, que Buzot sort de maladie et peut a peine se faire entendre, que la permanence de l’Assemblée, entraînant beaucoup de fatigue, oblige ses membres à s’absenter par moments. Heureusement Robespierre rentrait dans la salle ; il s’élève avec son énergie ordinaire, on l’arrête, et l’on suspend l’Assemblée pour quelques heures.

Quant à nous, voici ce que nous pensons et ce que nous disions à Buzot après minuit. Remettre le Roi sur le trône est une ineptie, une absurdité, si ce n’est une horreur ; le déclarer en démence, c’est s’obliger, d’après la Constitution qui a prévu le cas, à nommer un régent ; nommer un régent serait non seulement confirmer les vices de notre Constitution dans un moment où l’on peut, où l’on doit les corriger, mais encore ouvrir les voies à la guerre civile : qui nommeriez-vous, de ceux que votre loi d’hérédité appelle à cette régence ? — Monsieur ? — d’Artois ? — Condé ? — ou d’Orléans, qui n’y a pas un droit rigoureux, qui est vicieux et méprisé, qui discréditerait votre opération et ferait soulever les provinces ? Faire le procès à Louis XVI serait, sans contredit, la plus grande, la plus juste des mesures : mais vous êtes incapables de la prendre, et il ne faut pas raisonner sur des hypothèses. Eh bien, mettez-le non en interdit proprement dit, mais en suspend, comme on faisait autrefois des magistrats qui avaient prévariqué ; c’est bien le moins que votre délégué, trahissant tous ses devoirs, soit suspendu de ses fonctions jusqu’à plus mûr examen ; cependant vous le détiendrez sous bonne et sûre garde ; vous ordonnerez l’information contre tous ceux qui ont concouru à sa fuite ; vous maintiendrez votre première mesure d’agir sans sanction royale, et, afin de mettre plus de régularité, d activité dans la répartition et l’exercice des pouvoirs, vous nommerez, pour l’exécutif, un président national et temporaire, le tout provisoirement. — Avec cette marche, vous suivez sans entrave toutes les opérations du gouvernement ; vous prouvez par le fait, aux départements bien moins avancés que Paris à cet égard, qu’un roi n’est pas nécessaire et que la machine peut aller et va bien sans lui. Cependant mettez vos frontières en état de défense, ordonnez des munitions, veillez à vos finances ; les bons citoyens répandront l’instruction par des écrits, le patriotisme de la capitale s’étendra de toutes parts, la réforme de la Constitution se prépare, s’assure, et la République s’établit. Voilà ce qui nous semble devoir être préféré, voilà ce que nous prêcherions sur les toits si nous avions des voix de Stentor et ce que nous répétons autour de nous.

Je ne suis pas contente de Brissot, dans ces grandes circonstances ; je voudrais que sa feuille fût toute instruction sur cette matière, je la trouve toute gazette sur les événements. Les heures se précipitent ; on ne peut à la fois concevoir, observer, parler à beaucoup de monde et écrire pour imprimer à temps. C’est en ce moment que nous sentons le défaut et combien auraient résulté d’avantages d’une association telle que nous l’avions imaginée, de trois ou quatre personnes bien indépendantes, bien dévouées au salut public, ne s’occupant que de mûrir l’opinion et ayant une imprimerie consacrée à cet objet. Mais il faut bien s’entendre, oublier toute considération particulière, ne chercher dans l’établissement que de quoi l’assurer et le faire fleurir, sans ambition de places ni d’argent. C’est cette entente et le degré d’énergie, de désintéressement qu’elle exige, qu’il est si difficile de trouver dans trois ou quatre personnes qui aient en même temps assez d’estime réciproque pour se tolérer les différences de caractère, des lumières et quelque talent. À quoi a-t-il tenu, pourtant, que quelques têtes de votre connaissance et de la mienne aient formé cette réunion, bien suffisante dans ces temps de révolution pour opérer les plus grandes choses ?

Lyon est toujours dans une agitation désolante ; les factieux paraissent l’emporter dans les assemblées primaires ; on aura les plus mauvais électeurs qu’il soit possible d’imaginer, et, si les représentants leur ressemblent, la députation sera pire encore que celle d’aujourd’hui, ce qui semble au-dessus de toute expression à ceux qui la connaissent. Tâchez de mieux faire ; adieu, jusqu’à demain.


Samedi 25.

Nous marchons au milieu des intrigues et des pièges ; le moment heureux pour la liberté s’échappe sans qu’on en profite, les ambitieux seuls savent en user ; c’est qu’ils sont coalisés pour leurs intérêts, tandis que les gens de bien, dévoués à l’avantage commun, demeurent isolés ou en petit nombre. Nous avons hier longuement et vivement conféré sur les moyens de faire un parti, puisqu’il en faut un même à la vérité ; il est bien tard, et les factions sont devenues très puissantes. L’Assemblée a décrété la suspension des élections[190] pour deux raisons qui décèlent également sa faiblesse et son despotisme. La première, c’est afin que les corps électoraux n’imaginent pas de prendre en considération la chose publique et d’émettre des vœux, qui pourraient ressembler à des ordres, sur les partis à prendre ; la seconde, c’est la crainte d’avoir tout prêts de nouveaux représentants qui, selon les circonstances, pourraient se convoquer et élever autel contre autel. Comment a-t-elle été promptement menée à cette mesure, car le décret a été comme surpris ? Par la Calomnie adroitement répandue que Brissot et Clavière, regardés comme chefs extérieurs d’un parti républicain, avaient expédié le matin 83 courriers pour insinuer le républicanisme dans les départements, calomnie dont le but était de mettre en défiance contre Robespierre, Buzot, etc., etc… C’est à parier que le Roi sera bien reçu par l’Assemblée et que nous allons tomber sous le règne d’un sénat aristocratique, soutenu d’une sorte de Maire de Palais ou de Protecteur ; j’emploie ces noms pour indiquer à peu près la chose. Barnave et Maubourg[191] vont concerter avec le Roi la conduite qu’il doit tenir, lui dicter des désaveux, des protestations que l’Assemblée prendra au pied de la lettre ; Petion ne sert au milieu d’eux qu’à voiler ces mesures aux yeux du public, et il sera leur dupe comme doit l’être un homme ouvert et sans défiance avec d’adroits intrigants. — Lafayette est plus puissant que jamais ; son jeu annonce plus de profondeur et d’habileté qu’on ne lui en aurait supposé ; les idées de guerre le rendent intéressant, il a la force armée ; il s’est conservé d’aveugles partisans, il s’est lié intimement avec la portion ambitieuse de l’Assemblée, et il fera tout avec elle, parce qu’ils ont un besoin réciproque l’une de l’autre pour gouverner ensemble.

Robert a été maltraité dans les corps de garde comme membre des Cordeliers ; chaque jour, les colporteurs de Marat[192], de l’Orateur du peuple[193] sont arrêtés et leurs feuilles déchirées par les satellites de Lafayette. On travaille en même temps à laisser avilir le Roi dans l’opinion, ce qui est juste et facile, et à persuader que c’est une machine nécessaire ; on veut le faire regarder comme indispensable dans la Constitution et sans danger pour elle ; on est assez bien parvenu à cette fin. On a l’art de prêcher l’ordre, la paix et l’union pour anéantir les inquiétudes, enchaîner l’activité ; on ne veut de forces que celles qu’on peut diriger. Il suit de là que le peuple, qui, en se reportant au niveau du 14 juillet 89, pouvait achever de reconquérir ses droits et perfectionner la Constitution, perd de vue l’avantage que les circonstances venaient lui offrir ; son attention ne se porte que sur l’idée de se défendre des ennemis extérieurs ; il rive les liens forgés par les mauvais décrets, il se dévoue à une Assemblée perverse, dominée par l’intrigue et l’amour du pouvoir ; il est la dupe d’une poignée de factieux qui ne veulent qu’accroître leur puissance et satisfaire leurs petits intérêts ; il adore la liberté dont on s’efforce de ne lui laisser que le simulacre ; il court à un état de choses qui ne vaudra peut-être pas même celui de l’Angleterre. D’après ce qui se passe, il est évident qu’il eût été meilleur pour la liberté que le Roi ne fût pas arrêté, parce qu’alors la guerre civile devenant immanquable, la nation allait forcément à cette grande école des vertus publiques. C’est une chose cruelle à penser, mais qui devient tous les jours plus frappante, que nous devons rétrograder par la paix et que nous ne saurions être régénérés que par le sang. Caractère léger, mœurs corrompues ou frivoles, voilà des données incompatibles avec la liberté, qui ne peuvent être changées que par les froissements de l’adversité. — Il parait bien que nous serons attaqués au dehors, mais la guerre extérieure n’est bonne qu’à fortifier nos intrigants, habiles à se rendre nécessaires, et à épuiser nos forces. — Je suis profondément affligée : l’avenir n’est gros que d’événements parmi lesquels je désespère de voir s’exalter et se purifier nos esprits et nos affections ; je suis dégoûtée des Jacobins comme je l’étais de l’Assemblée. Faut-il n’apprendre qu’à mépriser les hommes en les observant davantage !… Puisque les élections sont suspendues, vous reviendrez sans doute ici ; c’est encore le centre où il faut que se réunissent les bons citoyens pour y combattre les autres. Donnez-nous de vos nouvelles.

On attend le Roi demain.

Brissot commence pourtant à raisonner dans sa feuille d’aujourd’hui.


436

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[194].]
29 juin 1791, — de Paris.

Après tant de bonnes choses de ce seigneur et maître, les fantaisies de ma plume volontaire ne viennent peut-être pas fort à propos ; mais il faut que je vous apprenne que les électeurs de Villefranche sont détestables, dans toute la force du terme. Un petit avocat, Pein, homme sans mœurs, sans autre caractère que celui de l’intrigue, impudent et vain, ennemi de la Révolution, méprisable et méprisé, en conséquence mis de côté dans les premiers temps, a levé une espèce de petit club contre celui des Amis de la Constitution[195] ; avec ce moyen de cabale, adroitement ménagé, il a tout fait, et, de neuf électeurs, sept sont sortis de son petit club, lui à la tête[196] ; il va travailler tous vos gens de la campagne, et les infecter si vous n’y prenez garde ; c’est un ami et un allié des Guillin, les conspirateurs[197], dangereux, parce qu’il n’est pas sans esprit, mais bien sans honte.

Il y a, d’autre part, un abbé Vareynard[198], qui ne vaut pas mieux, dans un genre différent ; franc hypocrite, vrai pédant, fripon comme un prêtre, c’est tout dire. Les électeurs de Villefranche sont une vraie peste, dont l’influence peut être affreuse.

Je ne sais comme vous viendrez à bout de porter d’honnêtes gens à la députation ; ils seraient pourtant bien nécessaires, car les temps doivent être orageux encore pour bien des années. Si celui dont votre amitié nous fait mention[199] y parvient, ce sera comme par miracle, et il y portera une énergie qui, je crois, s’est encore augmentée ici dans la connaissance et le froissement des choses et des hommes ; sinon, il ira paisiblement cultiver ses laitues. Dans la comparaison des situations, je ne sais quelquefois ce qu’il convient de désirer ; cependant ce Paris enflamme, et l’on sourit à l’idée de déployer toutes ses forces pour le triomphe de la bonne cause, dût-on y perdre la vie. Adieu, mes affectueux embrassements à votre belle moitié.


437

[À BANCAL, À CLERMONT[200].]
1er juillet 1791, — de Paris.

Les papiers publics vous auront instruit de la suite des événements ; je n’ai plus pensé qu’il fût également nécessaire de vous donner les détails de chaque jour.

Nous venons de passer la plus belle époque pour la liberté, sans qu’on l’ait mise à profit avec la sagesse et la vigueur désirables dans les circonstances. Cependant l’avenir est gros d’événements ; nous ne faisons que commencer la Révolution, et nous sommes encore à la veille d’une nouvelle crise. Le Roi est suspendu et détenu par le fait, mais on n’a pas osé prononcer l’un et l’autre ; il s’ensuit qu’on ne se presse pas d’organiser le pouvoir exécutif d’une manière durable, et que le prisonnier n’est pas tellement gardé qu’il ne puisse communiquer avec qui lui plaît. On s’est contenté d’exprimer que l’on continuerait à se passer de sanction. Le seul triomphe qu’aient obtenu les partisans de la bonne cause a été de faire décréter que le gouverneur du Dauphin serait choisi hors de l’Assemblée. On parle beaucoup de Condorcet, qui n’est pas sans mérite, mais c’est un intrigant, et ce caractère n’est point recommandable. On ne doute pas qu’une partie de l’Assemblée nationale ne parte aux premiers jours ; déjà les Noirs les plus fameux ne paraissent plus aux séances. La Reine médite des vengeances, et l’on ne sait ce qui peut arriver. On marche au milieu des pièges, et l’on ignore, en mettant le pied sur le gazon, s’il n’y a point de fosse creusée par-dessous. Le Roi est tombé au dernier degré d’avilissement : il s’est montré à nu par son équipée, il n’inspire que du mépris ; on a effacé de partout son nom, sa figure, ses armes ; les notaires ont été obligés d’enlever les écussons fleurdelisée qui désignaient leurs maisons ; sa personne n’a plus d’autres dénominations que celles de Louis le faux, ou du gros cochon ; des caricatures de toute espèce le présentent sous les emblèmes, non les plus odieux, mais les plus propres à nourrir et augmenter le dédain[201]. Le peuple se porte de lui-même à tout ce qui peut exprimer ce sentiment, et il est impossible qu’il revoie jamais sur le trône un être qu’il méprise aussi complètement.

Je vous disais, dans ma dernière, que Lafayette perdait beaucoup dans l’opinion et qu’il était plus puissant que jamais ; cette contradiction existe, toute difficile qu’elle sembla à expliquer.

Il est presque impossible de ne pas croire le commandant instruit à l’avance de la fuite de la famille, et cette persuasion est généralement répandue ; mais, en même temps, on ne sait qui porter à sa place ; on le croit nécessaire, et il a un parti considérable dans l’Assemblée. Celle-ci, timide et peureuse, fera toutes les sottises que voudront les factieux dans la crainte de la guerre, et l’on ne manque pas de lui présenter à propos cet épouvantail. Elle a eu pourtant la noblesse de passer tranquillement à l’ordre du jour sur la lettre insolente de Bouillé ; mais ceux qui la travaillent connaissent bien son faible et savent s’en prévaloir. Il serait à souhaiter que, dans les provinces, le peuple un peu moins confiant sentit la nécessité de manifester son opinion et de régler l’Assemblée. Il serait aussi bien important qu’une autre législature fût nommée, mais il faudrait que les choix fussent bons, et, à voir ceux des électeurs en plusieurs endroits, on n’ose se livrer à l’espérance. Vous aurez vu le spécieux projet de Duport sur une fédération militaire et municipale ; c’était un moyen imaginé pour réunir des adorateurs de la vieille idole et la faire réintégrer.

Je ne sais, en vérité, que prévoir ; la seule chose qui me paraisse constante, c’est que l’impulsion vers la liberté est si forte et si générale, qu’il faudra bien que nous arrivions à cette liberté [fût-ce à travers une mer de sang[202]]. Les nations ne peuvent rétrograder ; la chute des trônes est arrêtée dans la destinée des empires, et si nous ne jouissons pas des fruits de la perfection sociale et politique, du moins nous la préparerons à nos neveux. Avec ce sentiment et cette perspective, quels obstacles sont insurmontables ?


Je[203] viens, mon cher ami, de chez M. Turpin[204]. J’ai retiré de chez lui les papiers qui regardent M. Addington[205], parce qu’il ne peut rien faire sans la procuration de celui-ci. Si vous écrivez à Londres, il faudrait la demander. L’ordre qui est derrière l’effet est bâtonné ; on ne peut y en substituer un autre.

Je viens de faire imprimer quelque chose sur la liberté de la presse[206]. Je me propose de vous en envoyer mille exemplaires, dont je vous prierai de faire faire la distribution dans votre département, le mien et ceux des environs, par votre Société des Amis de la Constitution.

Nous n’avons point pu réussir à ravoir vos lettres sur les pétitions. Au reste, dans ce moment, des intérêts plus importants encore méritent qu’on les préfère. Les élections étant suspendues, si vous veniez ici, nous pourrions suivre l’encouragement des sociétés populaires. C’est un des sujets les plus intéressants à traiter maintenant, et je vous offrirais de publier ensemble l’ouvrage que j’ai préparé sur cette matière. Il se ferait temps aussi que nous vissions si nous exécuterons quelque chose de ce dont il a été question entre nous et Brissot. M. Roland ne serait point éloigné d’y prendre part, afin de se faire une existence indépendante à Paris. Si vous pouvez venir nous retrouver bientôt, ce sera bien.

J’ai pressé ici pour qu’on profitât de la suspension que l’on a mise aux élections, et qu’on passât deux décrets nécessaires pour assurer leur bonté, — savoir, un pour le scrutin épuratoire de quatre listes, et l’autre pour que l’on puisse, dans chaque département, choisir les citoyens éligibles de tout le royaume. Sans doute, dans les circonstances, l’Assemblée nationale aurait dû s’élever et détruire tous les mauvais décrets qu’on lui a fait porter, le marc d’argent et toutes les distinctions qui restent entre citoyens, etc. ; mais, au moins, devrait-on obtenir ceux-là sur les élections. Cependant je n’ai pu persuader à nos patriotes d’en faire la motion. Cela vaudrait bien la peine qu’on fit des départements des pétitions. — Au scrutin épuratoire il y aurait une perfection à ajouter, que Brissot trouvait très juste : c’est de faire signer par chaque électeur ses listes après la première, afin que chacun fût pressé de composer sa liste de bons choix, ou au moins d’y mettre quelques hommes de mérite ; on se rapprocherait ainsi de la manière de voter que Rousseau trouvait la plus digne d’un peuple libre. Si on joignait à cela les discussions et scrutins préparatoires dans les Sociétés patriotiques, on serait assuré d’obtenir les meilleurs choix. Salut[207] !


438

À M. H. BANCAL, [À CLERMONT[208].]
1er juillet au soir 1791, — de Paris.

Ma lettre était partie lorsque la vôtre m’est parvenue ; nous avons lu cette dernière avec le plus vif intérêt : vos sentiments, vos idées s’accordent si parfaitement avec les nôtres, que leur expression nous plaît et nous anime en même temps. Brissot vient d’emporter et votre lettre et votre motion imprimée pour en faire usage ; cependant, en publiant une partie de votre lettre, il la supposera d’un autre lieu que de Clermont, car il faut à la fois effrayer l’Assemblée par la peinture de l’énergie des peuples, et éviter qu’elle voie si bien ceux qui peuvent la développer qu’elle sache à qui s’en prendre pour arrêter les progrès du bon esprit[209]. Je ne saurais trop vous le répéter, les dispositions sont excellentes, il ne manque au peuple que de savoir combien l’Assemblée est faible et corrompue, afin d’y avoir moins de confiance et de prendre la résolution de la diriger. Bosc arrive de la province, il a parcouru trois départements, et ses observations s’accordent aussi très bien avec ce que nous avons recueilli de toutes parts ; il ne faut que des lumières.

Vous ferez une chose excellente si vous pouvez porter vos assemblées primaires à délibérer que, les circonstances requérant un nouvel examen de la chose publique, elles ont voulu connaître quels changements il convenait d’y apporter, et, d’après une sage discussion, ont arrêté sur telles telles considérations que l’Assemblée nationale serait priée de convoquer toutes celles du royaume pour avoir leur vœu sur la formation d’un conseil électif et temporaire, auquel serait confié le pouvoir exécutif, etc., etc… Vous avez toutes les données nécessaires pour rédiger une excellente adresse ; faites-la tirer à milliers, envoyez-la à toutes les Sociétés ; que l’opinion se forme et prenne son empire : voilà le seul moyen de salut. Représentez-vous que notre détestable Assemblée veut réintégrer le Roi ; que la faction des Lameth s’est unie avec [Lafayette[210]] ; qu’elle agit de concert avec le Comité de constitution et les modérés, et que les Noirs la fortifient. On tente de porter des atteintes à la liberté de la presse ; il y a trois jours que l’on fit une dénonciation et rendit un décret contre une édition de la déclaration du Roi ; heureusement que Buzot obtint, par amendement, de faire exprimer que c’était à cause du faux matériel commis par celui qui avait pris le nom d’une imprimerie de laquelle l’édition ne sortait pas. Aujourd’hui, autre tapage : vous saurez qu’il s’est formé une société républicaine qui doit faire un journal dont le titre annonce et le but et les principes ; Payne est à la tête ; c’est lui qui a fourni les matériaux du prospectus affiché ce matin de tous côtés, en forme d’avis, sous le nom d’un particulier de la Société[211]. Malouet a dénoncé cette affiche comme digne de toute la rigueur des lois ; le plus violent orage s’est élevé dans l’Assemblée, ce n’a été qu’en caressant son amour pour la monarchie, en disant du mal du républicanisme et de ses partisans, qu’on est venu à bout de lui faire entendre que, telle ridicule qu’en soit l’opinion, encore faut-il lui laisser un libre cours et passer à l’ordre du jour sur la dénonciation faite avec transport et appuyée avec fureur. Jugez, par cet échantillon, dans quelles mains nous sommes livrés si nous ne savons pas rompre nos lisières et conduire nos législateurs ! Nous avons cependant deux Sociétés de Tyrannicides : les Cordeliers, qui se sont déclarés tels dès les premiers instants de la fuite du Roi, et une autre de particuliers qui, ne voulant pas se nommer pour se conserver plus sûrement la faculté de porter leurs coups, se sont fait annoncer par un seul citoyen nommé Le Brun[212]. Aujourd’hui, le Cercle social discute ouvertement s’il convient ou non de conserver des rois ; c’est le seul club, après les Cordeliers, qui, dans cette capitale, ose agir aussi ouvertement. Les Jacobins, comme l’Assemblée, entrent en convulsions au nom de république ; cependant ils agréent la chose, car ils sont à peu près décidés pour le conseil électif. Or il est évident qu’un gouvernement républicain étant celui où tous les pouvoirs sont exercés par des élus du peuple, choisis à temps et responsables de leur conduite, nous sommes république si nous confions le pouvoir exécutif à un conseil électif, puisqu’il n’y avait plus que celui-là qui, dans notre Constitution, fût abandonné à l’hérédité d’une famille et à l’absurde inviolabilité d’un chef. Il nous faut ce conseil pour établir la balance du Corps législatif, ainsi que dans le congrès des États-Unis la maintient le Sénat par rapport à la portion législative.

On croit généralement que nous serons attaqués par la Flandre, et que Paris sera l’objet immédiat de l’attaque et des efforts de l’ennemi. Les Ardennes couvrent le chemin, très ouvert jusqu’à la capitale. Mais, encore une fois, tout le danger me parait être dans la corruption d’une Assemblée devenue monstrueuse, à qui il ne manque plus que de faire emprisonner ceux de ses membres ou des citoyens qui osent blâmer sa conduite, pour ressembler au Long Parlement d’Angleterre. Voilà ce que les provinces ignorent, et ce qu’il faut leur apprendre ; je suis toute occupée d’y écrire. Faîtes de bons imprimés et répandez-les. Eh bien ! si la liberté s’élève un sanctuaire dans votre département, ce sera l’asile de ses défenseurs, si les autres départements les rejettent de leur sein ; ce sera, du moins, un point de ralliement, et il en faut un dans les troubles qui se préparent.

Une chose sur laquelle il me parait très important d’insister, c’est d’éclairer la nation sur l’état actuel de l’Assemblée, de manière non à avilir cette Assemblée, mais à faire sentir la nécessité de l’influencer et de la gouverner par la force de l’opinion. La disposition générale est si bonne, qu’il me semble qu’on pourra tout en espérer dès qu’on saura partout qu’une confiance aveugle dans nos représentants serait funeste dans ses conséquences, tandis qu’une action bien dirigée les obligera d’opérer notre bonheur.

Ayez soin d’écrire et d’envoyer votre motion imprimée à Joseph Servan, à Condrieu. Cet excellent homme, bon patriote et bon officier, que son amour pour la Révolution a fait chasser de la maison du Roi, ne s’occupe, dans l’obscurité de sa retraite, qu’à propager les lumières et la vérité ; il a fait dans sa campagne, près Condrieu, un club populaire, et il produit un grand bien dans ses entours. Je le préviens de votre correspondance : je crois très utile d’étendre celle des amis de la liberté ; il faut entre eux une sainte coalition pour renverser celle des factieux et des partisans de la tyrannie.

Ce Servan[213] est un frère cadet et très différent du Servan ci-devant avocat général de Grenoble, par lequel il ne faudrait pas le juger. Mais, lorsque nous vous le donnons pour un ami, vous n’hésiterez pas. Ce serait un homme précieux à mettre à la tête de quelque commandement dans les gardes nationales ; dans tous les cas, il peut beaucoup servir la liberté, parce qu’il n’est pas sans influence dans son canton.


439

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[214].]
6 juillet 1791, — de Paris.

…Ma femme se lève[215], non au point du jour[216], mais pour recevoir mes adieux ; elle est bien sensible à votre souvenir, à votre amitié, à celle de la chère moitié ; et toujours pour vous et entre nous tous, salut, santé et amitié.

Je suis assez bien éveillée pour en réitérer les assurances, de cette bonne amitié ; elle ne peut que gagner encore au patriotisme qui s’alimente ici de tant de manières.

On mène une singulière vie dans ce pays : depuis la fuite de nos gens, les diverses Sociétés patriotiques ont pris une activité qui me les a fait suivre plus exactement ; on rentre chez soi à onze heures ou minuit, en réfléchissant sur la différence des intérêts pour lesquels le peuple s’assemble aujourd’hui, tandis qu’il y a peu d’années il ne se réunissait que pour chanter bêtement Amen.

Notre Assemblée a grand besoin d’être excitée au bien ; elle n’est plus capable de faire ce qu’elle devrait par ses propres forces. L’avenir est gros d’événements ; nous pourrons avoir de rudes froissements ; mais il faut que la Liberté triomphe, et elle l’emportera sur les trônes réunis !


440

À M. H. BANCAL, [À CLERMONT[217].]
Samedi, 9 juillet 1791. — de Paris.

En rentrant hier au soir, à plus d’onze heures, nous avons trouvé votre paquet du 5. Moi seule j’ai pu lire ce matin vos réflexions ; je les goûte beaucoup ; vous tonnez contre la royauté que j’abhorre, parce qu’elle me parait le comble de l’absurdité, et l’une des sources des maux qui désolent la société, et vous saisissez fort bien la circonstance la plus favorable pour combattre et détruire les préjugés qui la soutiennent encore. Je crois vos arrêtés dans les principes, quoique je sois un peu embarrassée d’une convention actuelle, parce que je crains qu’il ne soit pas aisé d’en faire une bonne en même temps qu’une législature qui le soit aussi, et que, d’ailleurs, je redoute quelque confusion entre ces deux corps dans ce moment de crise où le peuple n’a pas des idées très distinctes sur la Convention. J’avais pensé, dernièrement, dans la nécessité de renouveler promptement la législature et cependant le besoin de continuer les travaux constitutionnels, qu’il aurait peut-être fallu que cette législature prochaine fût investie par ses commettants, d’une manière expresse, des pouvoirs constituants, comme par une exception particulière, uniquement due à la singularité des circonstances.

Vous demandez l’organisation de la haute Cour nationale ; je crois bien me rappeler qu’elle est arrêtée par les décrets et qu’il n’est question que de procéder à la nomination des grands jurés suivant les formes prescrites. Au reste, je ne vous fais mes observations qu’avec doute, parce que, très occupée d’expéditions, je n’ai pas eu le loisir de les méditer, et que, d’ailleurs, je n’ai pu conférer avec nos amis[218], tous entrepris ce matin par la correspondance. Il faudrait qu’il plût des adresses de toutes parts, et le meilleur moyen de les obtenir de certains endroits, c’est de les y envoyer toutes faites ; en conséquence, nous travaillons à qui mieux mieux. Brissot vient dîner avec nous aujourd’hui, nous causerons et lirons votre morceau ; je le trouve très digne d’occuper une place dans le Républicain dont je vous, envoie le premier numéro, et je crois qu’il y figurera bien.

Je vous ai désolé hier par la peinture de ce que font et veulent faire les Comités ; je n’ai rien à changer à cela ; mais il faut du moins que je partage avec vous la lueur d’espérance que j’ai vue apparaître aux Jacobins[219]. La séance devait être consacrée à l’examen de la question que fera-t-on de Louis XVI ? La cabale a déployé toute son intrigue pour écarter cet ordre du jour ; les plus violents orages se sont élevés, mais ils n’ont pu l’éviter. Petion a parlé très judicieusement, avec beaucoup d’adresse et de succès ; il a bien développé la marche que les Comités se proposaient de suivre, les subtilités dont ils voulaient se prévaloir, la grande doctrine décrétée de l’inviolabilité dont ils prétendaient s’appuyer en criant à la nécessité d’observer la Constitution ; car c’est devenu un mot de ralliement pour s’opposer à toute amélioration, pour conserver au contraire tout ce qui est en opposition avec ses bases et parvenir ainsi à la détruire effectivement à l’aide de ce qu’elle a de vicieux. Le vieux royaliste Prefeln a gâté sa mauvaise cause de manière à dépiter les Comités qu’il voulait défendre ; on ne peut être plus pitoyable en raisonnements, plus choquant en personnalité. Rœderer, par un très noble et très beau mouvement, est parvenu à faire accueillir avec applaudissements le nom de républicain qui jusque-là n’avait été reçu dans cette Société qu’avec des huées. Enfin le mépris pour le Roi, la volonté de l’écarter, l’indignation à la seule idée de le voir rétablir, se sont manifestés avec la plus grande énergie, malgré l’opposition du parti.

Il arrive déjà beaucoup d’adresses des départements qui annoncent les mêmes dispositions ; celle de Perpignan est si vive et si bien faite quon n’a pas voulu la lire à l’Assemblée nationale, et c’est ainsi qu’on évite les leçons auxquelles on ne veut pas se conformer. Les Jacobins ont décrété l’impression de celle de Die qui, sans être frappée au même coin de supériorité, exprime également les plus fières résolutions et de grandes vérités.

Nous ne sommes pas à l’abri d’une mauvaise décision, parce que les Comités sont assurés de la majorité dans l’Assemblée ; mais l’opinion publique me parait se former, et il faudra bien enfin que, de manière ou d’autre, son empire commande aux passions mêmes ; ne négligeons rien pour l’éclairer et la fortifier.

Si nos neveux seuls doivent jouir de la liberté, du moins nous l’aurons établie, et s’il est vrai que son règne soit le plus favorable aux vertus, il l’est également qu’il faut de grandes vertus pour le fonder.

Farewell, my dear friend.


441

M. HENRY BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[220].
11 juillet 1791, — de Paris.

On vit ici dix ans en vingt-quatre heures ; les événements et les affections s’entremêlent et se succèdent avec une singulière rapidité ; jamais d’aussi grands intérêts n’avaient occupé les esprits ; on s’élève à leur hauteur, l’opinion s’éclaire et se forme au milieu des orages et prépare enfin le règne de la justice. Les Comités, résolus, comme je crois vous l’avoir marqué, de mettre le Roi hors de cause dans l’examen du fait de son évasion, et ne cherchant que le moment de faire adopter cette résolution à l’Assemblée, très disposée à l’accueillir, avaient encore lâché hier, aux Jacobins, le vieux royaliste Préfeln, chez qui l’opiniâtreté de préjugés invétérés, jointe à un caractère naturellement énergique, produisent une constance et une fermeté qui seraient héroïques si elles étaient employées pour la bonne cause. Il a tenu la tribune si longtemps, qu’on a cru voir avec indignation le dessein de faire perdre la séance en tumulte et d’ôter aux autres orateurs le moyen de parler. Enfin Brissot a paru ; Brissot, que des jaloux et l’austérité de ses principes n’ont fait écouter quelquefois qu’avec défaveur aux Jacobins, où d’ailleurs il va rarement, Brissot a entrepris de prouver les vices de la doctrine des royalistes sur l’inviolabilité, mais après avoir établi préliminairement que les patriotes monarchistes et républicain ne différaient point au fond, que tous voulaient également la Constitution, dont les bases sont républicaines et les formes représentatives ; il a fait voir ensuite que même en admettant l’inviolabilité, telle qu’elle est décrétée, elle n’est point applicable dans ce cas-ci ; il s’est appuyé de l’exemple des Anglais que nos adversaires avaient voulu citer, et il a bien prouvé que le Roi pouvait être jugé. La seconde partie de son discours a été employée à établir qu’il devait l’être ; il a passé en revue toute l’Europe pour démontrer que la crainte des puissances étrangères ne devait point nous arrêter dans ce que la justice et la raison exigeaient de nous à cet égard. Il a traité ces grandes questions avec tous les moyens du savoir et d’un grand talent, avec toute la force de la raison, l’empire du sentiment, l’autorité de la vertu ; ce n’était plus un simple orateur, c’était un homme libre défendant la cause du genre humain avec la majesté, la noblesse et la supériorité du génie même de la Liberté. Il a convaincu les esprits, électrisé les âmes, commandé ce qu’il a voulu ; ce n’étaient pas des applaudissements, c’étaient des cris, des transports ; trois fois l’Assemblée entraînée s’est levée tout entière, les bras étendus, les chapeaux en l’air, dans un enthousiasme inexprimable. Périsse à jamais quiconque a ressenti ou partagé ces grands mouvements et qui pourrait encore reprendre des fers ! Mais cela ne saurait être. On a arrêté que le discours serait imprimé au nom de la Société, des exemplaires envoyés à tous les membres de l’Assemblée nationale, à toutes les sections de Paris, à tous les bataillons, à tous les départements et aux Sociétés affiliées : on avait ajouté à toutes les municipalités de l’empire ; la longueur du tirage a empêché, ou plutôt une petite tourbe s’est servi de ce prétexte pour circonscrire, s’il lui était possible, un succès qui fait son désespoir et qui n’a pas d’exemple[221].

Les Comités sont déconcertés. Si l’Assemblée corrompue brave cette opinion, elle se perd elle-même ; ce qui, isolément, ne serait pas un grand mal, puisqu’elle ne vaut plus rien, mais ce qui nous jetterait infailliblement dans des crises terribles. Je me suis hâtée de vous esquisser ce triomphe de la raison dont j’espère d’heureux effets. Aujourd’hui, nous sommes occupés de celui de Voltaire. Puisse une nation sensible, habituée maintenant à de sublimes élans, éviter tous les pièges qui pourraient la faire retomber dans le néant de l’esclavage ! Enfin j’ai vu le feu de la Liberté s’allumer dans mon pays ; il ne saurait s’éteindre ; les derniers événements l’ont alimenté, les lumières de la raison se sont unies à l’instinct du sentiment pour l’entretenir et l’augmenter ; il faudra bien qu’il dévore jusqu’aux restes du despotisme et qu’il fasse crouler tous les trônes. Je finirai de vivre quand il plaira à la nature, mon dernier souffle sera encore le souffle de la joie et de l’espérance pour les générations qui vont nous succéder.


442

À M. HENRY BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[222].
Vendredi, 15 juillet 1791, — de Paris.

Je vous peindrais difficilement, mon triste ami, la situation où nous sommes. Je vous ai écrit lundi dans l’espèce d’espoir que m’inspirait la manifestation aux Jacobins d’une opinion saine qui avait enfin triomphé. L’après-midi du même jour fut consacré à la pompe triomphale de Voltaire ; le peuple montra un vif intérêt à cette fête noble et touchante qui semble prédire la ruine entière de la superstition et le règne de cette justice qui défère les honneurs publics aux services rendus à la patrie. L’activité des Sociétés patriotiques, les bons écrits, présageaient d’autre part des résolutions propres à influencer l’Assemblée nationale. Elle a commencé la discussion mercredi ; ce n’est que par des efforts extraordinaires que les honnêtes gens sont parvenus à la faire continuer jusqu’à aujourd’hui. Au milieu de l’inquiétude générale, on a cependant célébré les 13 et 14 juillet par le fameux hiérodrame et l’excellente musique exécutés à la cathédrale, et par la Fédération au Champ de Mars[223]. J’ai assisté à l’un et à l’autre, et j’ai cru voir, avec douleur, beaucoup plus de gens amoureux de spectacle, guidés par une curiosité frivole, que de personnes animées des sentiments qui font tout le charme de ces brillantes réunions. La Fédération m’a paru morne, quoiqu’il y eût un peuple immense : il n’y a pas eu le moindre signe d’allégresse, point de mouvements, point d’élans qui montrassent de l’énergie ou décelassent des sensations vives ; pas un seul cri pour la liberté, qu’on eût dû chanter avec transport pour annoncer l’enthousiasme avec lequel on doit la défendre.

Cependant l’accès des Tuileries est constamment interdit au peuple ; des manœuvres indécentes président à l’admission aux tribunes de l’Assemblée ; des personnes gagnées sont presque les seules qui puissent y pénétrer ; le lieu des séances est environné de gardes nombreuses qui, revêtant pour la plupart le ton et les manières des soldats du despotisme, présentent aux hommes réfléchis l’aspect de gardes prétoriennes à la dévotion d’un fourbe. Les Sociétés fraternelles se sont réunies et présentées à la porte de l’Assemblée pour faire une pétition à la barre ; en attendant la réponse du président, on a fait passer les femmes en dedans de la première barrière, à l’extérieur, et là, les gardes, les environnant, ont dirigé leurs baïonnettes sur ce faible troupeau comme s’il eût été composé de tigres qu’il fallût contenir ou immoler. Vous jugez des cris des hommes outrés ; la cavalerie est arrivée et a fait cesser cette scène révoltante ; le président ayant répondu que l’Assemblée ne pouvait écouter la pétition en ce moment : « Retournez lui dire, reprit celui qui était à la tête des Sociétés, retournez lui dire que c’est une partie du Souverain qui demande à ses délégués d’être entendue. » Cette sommation ne valut rien autre que d’être renvoyée au lendemain matin. Le parti espérait fermer alors la discussion qui fut encore continuée. Les Sociétés vont se présenter ce matin ; d’autre part, il se fait un rassemblement au Champ de Mars ; mais Lafayette fait mettre toutes ses gardes sous les armes. Que peut faire une foule, sans moyens que sa douleur, contre une force armée qui suit aveuglément l’impulsion d’un homme ?

Nous ne sommes plus en 89 ; on nous a préparé des chaînes ; on ne prêche que paix et union aux gardes nationales, parce qu’on sent bien que la division d’une partie qui se joindrait au peuple rendrait des forces à celui-ci. Voilà les fruits de cette séparation de toute une nation en deux classes, dont l’une est passive et nécessairement esclave. L’homme armé sera toujours un despote pour celui qui ne l’est pas ; et le premier tyran de l’empire saura se servir de l’une de ces deux classes pour subjuguer l’autre.

La coalition est si forte dans l’Assemblée, qu’il n’y a pas plus de quarante députés pour la bonne cause ; Robespierre a demandé en vain le renvoi du projet du Comité et la consultation du vœu des assemblées primaires ; aujourd’hui, immanquablement, on prononce la honte de la France et l’on entre dans la carrière de son nouvel esclavage ou des troubles les plus affreux. Dans le moment où je vous parle, des hommes gagés environnent la statue de Henri IV et la couronnent de fleurs.

Nous trouvâmes, en rentrant mardi soir, votre dernière lettre, et nous la fîmes passer à Brissot pour décider l’impression des réflexions que M. Caldaguez[224] apporta ; Brissot prit le tout et partit pour la campagne sans rien livrer à l’impression. Nous l’attendions hier matin ; il n’était pas revenu le soir, et nous envoyons actuellement chez lui, vraiment inquiets de sa personne.

Marat est mourant ; on le dit empoisonné, comme beaucoup de gens assurent que l’a été Loustallot.

[Ce qu’il y a de certain, c’est que les mouchards de Lafayette exercent la plus horrible inquisition et sont toujours prêts à faire un mauvais parti à quiconque ne fait pas son éloge, ou prêche le peuple trop vivement[225].] Si les provinces ne nous sauvent pas, je ne sais ce que nous deviendrons. Il faudrait que les corps électoraux fussent bons, qu’ils s’assemblassent sur-le-champ et nommassent les nouveaux législateurs, puis que les assemblées primaires convoquassent ceux-ci avec pouvoir de continuer la Constitution.

L’Assemblée actuelle n’est pas prête à révoquer son décret de suspension ; elle veut tout régler, tout assujettir avant de se retirer. Je ne cesse de le dire depuis six mois : elle est devenue incapable de faire autre chose que d’annuler la Déclaration des droits par des lois vicieuses ; la conserver, c’est maintenir les instruments de nos maux.

Je serais embarrassée de vous dire où vous serez le plus utile ; dans une pareille confusion, il est difficile de le distinguer. Cependant je suis, comme toujours, persuadée que c’est par un grand rapprochement de lumières, de soins et d’actions qu’on peut produire d’effet, bien plus que par l’activité d’hommes épars, tel talent et telle énergie qu’ils aient. Il faut de l’ensemble et un plan ; c’est le défaut de l’un et de l’autre qui a anéanti les patriotes de l’Assemblée, dont la réunion se réduit à trois ; ce sera encore le défaut d’une grande coalition qui empêchera la France de devenir libre. Toutes les passions, tous les intérêts sont en jeu, tous les ambitieux s’unissent, et si la vertu ne se fait un parti, il faudra bien qu’elle succombe. Or un parti, quel que soit son but, ne se fait que d’une manière, par l’unité d’action d’un nombre d’hommes dévoués au même objet et d’intelligence dans la recherche ou l’emploi de tous les moyens de réussir.

J’ai le cœur trop rempli, la tête trop agitée pour vous entretenir plus longuement. Adieu.


443

[À BANCAL, — À CLERMONT[226].]
16 juillet 1791, — de Paris.

Votre lettre du 12 m’est parvenue hier ; je vous avais écrit le matin dans l’inquiétude et l’agitation qui partageaient tous les bons citoyens. L’Assemblée s’est séparée à près de quatre heures ; elle a voulu persister dans la disposition de ses Comités, sans oser nettement braver l’opinion publique qu’elle n’a cependant pas suivie. Le Roi est mis hors de cause négativement, c’est-à-dire que cela n’est pas précisément exprimé. La question était de savoir qui l’on renverrait par-devant la Haute Cour nationale à cause de l’évasion du Roi, et l’on n’y a renvoyé que trois personnes subalternes, de manière que l’on désigne et livre à la justice des complices sans avoir de coupable et sans constater le délit. On a évité de prononcer sur la personne de Louis XVI, quoique Robespierre ait fort bien dit que, l’intention de l’Assemblée étant évidemment de mettre le Roi hors de cause, suivant le mode dans lequel la discussion avait commencé, il fallait qu’elle l’exprimât clairement, parce qu’une loi ne doit jamais être obscure. Mais les lâches, qui pourtant s’étaient préparés à répandre du sang, ont été effrayés de la sagesse du peuple et ont espéré réussir en voilant leurs intentions d’une ambiguïté dont personne n’est dupe, malgré quelques articles préparatoires qui ont l’air de prévenir une nouvelle fuite. Dix mille âmes s’étaient rassemblées au Champ de Mars pour y signer sur l’autel de la patrie une pétition dont l’inutilité ne les a pas découragées. Dès que la nouvelle du décret a été rendue, on s’est porté vers tous les spectacles pour les faire fermer dans ce moment de deuil universel, et les Sociétés patriotiques se sont mises dans la plus grande activité. On a proposé aux Jacobins[227] une mesure à laquelle la tournure du décret laisse lieu : car ne prononçant pas le mis hors de cause, on suppose du moins que le Roi demeure dans le même état de suspension ; donc il est encore temps de dire qu’il ne doit pas en sortir et d’exprimer sur cela un vœu général. On a chargé six commissaires, du nombre desquels sont Brissot et Lanthenas, de rédiger ce matin une pétition[228] qui aura pour objet d’exprimer ce vœu sur ce qu’il convient de faire de Louis XVI et sur le renouvellement prochain de la législature ; la pétition sera portée au Champ de Mars, des milliers d’exemplaires en seront répandus à Paris et dans tout l’empire pour être revêtus de signatures dont la Société fera le relevé pour présenter cette pétition avec l’authenticité la plus imposante et la preuve d’une généralité que l’Assemblée ne puisse révoquer en doute. Comme on délibérait à ce sujet, sur les onze heures une députation du peuple, assemblé au Palais Royal dans un nombre prodigieux, est venue remplir la salle et solliciter la Société de se rendre au Champ de Mars pour y jurer de mourir plutôt que de reconnaître jamais un Roi dans le perfide Louis XVI. Mais cette proposition a fait place au projet qui l’avait précédé, dont on a instruit la députation et qu’elle a accepté. On agit actuellement pour le réaliser ; mais, au moment où je vous parle, on ne voit et n’entend que détachements et tambours des gardes que le commandant répand de tous côtés. La cavalerie est toute royaliste ainsi qu’une grande partie de la troupe soldée et quelques compagnies de citoyens. Il a été fait une dénonciation terrible par un capitaine du bataillon de Popincourt, brave officier, précédemment garde-française, chez qui, le 14 juillet, à plus de onze heures du soir, se sont transportés deux officiers aides-majors, qu’il nomme, pour le sonder et le prévenir, avec invitation et menaces, sur ce qu’on préparait pour le 15 au cas d’insurrection contre le décret qui devait se rendre. L’usage de la violence était résolu : en conséquence, on ordonnait les dispositions des bataillons dont on connaît les sentiments contraires, et l’on s’attendait à mettre la capitale à feu et à sang, à faire s’entre-déchirer les gardes nationales et les citoyens, et à ménager dans ces horreurs le triomphe des royalistes, ainsi que la perte de leurs adversaires les plus redoutables.

La dénonciation du brave capitaine est très bien faite et circonstanciée ; il s’était hâté, dès le grand matin du 15, de la rédiger et de la faire remettre à la Ville par des commissaires de sa section, puis de la communiquer à la Société des Némophiles (sic)[229], qui vint en faire part aux Jacobins ; ceux-ci se dispersaient alors, il était près d’une heure du matin ; on n’a point pris de délibération sur cet objet ; chacun regagnait ses foyers, j’ai fait comme les autres et j’emploie à vous écrire les premiers moments de ce jour.

Nos amis ont dit hier positivement à Brissot qu’il fallait livrer à l’impression vos réflexions, en lui faisant quelques reproches de ne l’avoir pas encore fait[230]. Il est toujours temps de répandre la lumière ; quand elle ne prévient pas les maux, elle donne le moyen de les réparer. Mais, en vérité, on est ici dans une préoccupation dont l’effet nuit quelquefois au zèle même qui la produit ; événements, circonstances et journées se succèdent avec une effroyable rapidité.

Adieu ; faites de votre mieux ; nous ne restons pas ici dans l’inaction.

Dans le doute que Bosc soit à son bureau et ne voulant manquer le courrier, j’expédie directement.

444

[À BANCAL, À CLERMONT[231].]
Dimanche 17 juillet 1791, — [de Paris].

Les affaires se brouillent de plus en plus ; il est possible qu’avant huit jours nous soyons ici en pleine guerre civile. Hier au soir, l’Assemblée a décrété que Louis XVI demeurait suspendu jusqu’à la fin de la Constitution, qui lui serait alors présentée pour être acceptée oui ou non ; vous jugez de l’indignation qu’inspire une telle comédie et des mécontentements qui germent de toutes parts. Ce n’est pas la seule farce indécente qu’on fasse jouer : le Département a paru à la barre ; les ministres doivent aller dans l’Assemblée pour rendre compte aux législateurs et débiter de grands mots convenus d’avance avec eux sur leurs grands travaux, leur grande vigilance, le bon état de toutes choses et l’ordre admirable des finances.

Quand on voit, d’une part, la force de la coalition qui tient à sa disposition l’argent, les correspondances extérieures, tant d’hommes armés, tant de corps administratifs, et, de l’autre, la masse imposante d’une grande portion du peuple et du petit nombre des meilleurs citoyens, on ne voit qu’ébranlements, secousses terribles et dénouement incertain. Hier, on lut au Champ de Mars la pétition des Jacobins offerte aux citoyens ; elle ne contient que la demande du vœu des 83 départements pour prononcer sur le sort de Louis XVI et le remplacer d’une manière constitutionnelle ; cette dernière phrase éloigne bien des gens qui y voient l’élévation d’un enfant au trône et la régence d’un ambitieux ; elle est de Laclos[232], voué aux d’Orléans, et personne n’a pu la faire réformer.

Aujourd’hui, l’on doit rédiger une autre pétition pour la convocation de la prochaine législature ; on attend cent mille hommes au Champ de Mars.

La faction régnante, ne redoutant rien que l’opinion et l’influence des Jacobins pour la former, vient d’élever un autre club aux Feuillants, afin de balancer cette influence. La division se fomente dans les gardes nationales ; cet état est violent, et il doit nécessairement conduire à une rupture éclatante. Malheureusement, je ne vois pas encore assez d’ensemble dans le bon parti ; on n’a point de credo commun sur tous les points duquel on soit bien d’accord, seulement on ne veut pas de Louis XVI, et l’on désire également le changement de législature ; mais, pour tout ce qui est subséquent, on diffère à l’infini.

Quant au premier article, notre Assemblée est déclarée, et, quant au second, il est clair qu’elle ne veut ni se séparer avant la fin de la Constitution, ni hâter cette fin, ni laisser nommer à l’avance ses successeurs.

Encore une fois, les matériaux de l’insurrection et de la guerre civile s’amassent et s’amoncellent chaque jour ; le feu éclatera au premier instant.

Le décret d’hier au soir démontre l’assurance et l’audace du parti ; il rend plus difficile une opposition légale au rétablissement de Louis XVI, puisque son sort est prononcé ou remis entre ses propres mains par ce décret[233].

Toute la cavalerie est aujourd’hui sur pied ; la municipalité répand et fait afficher ses exhortations ordinaires et insignifiantes de paix et de confiance ; les calomnies contre les patriotes sont plus actives et plus multipliées que jamais ; on fait dissiper les groupes çà et là ; on a arrêté hier inconsidérément, puis relâché avec hypocrisie et saisi traîtreusement chez lui, dans la nuit, un citoyen paisible porteur d’une pétition de club à l’Assemblée nationale, et on l’a fermé à l’Abbaye ; on a bâti une dénonciation et on l’a faite au Comité des recherches contre Robespierre ; on élève contre lui des soupçons pour diminuer le poids de son opinion et l’influence de ce caractère énergique qu’il n’a pas cessé de développer ; on fait courir les menaces, et nous sommes dans un tel état, que je ne serais pas étonnée d’apprendre à quelque moment le sacrilège assassinat des trois ou quatre députés dont les talents et l’honnêteté militent pour la Bonne cause.

Je ne saurais vous peindre la situation où nous sommes ; je me sens environnée d’une silencieuse horreur ; le cœur s’affermit dans un calme solennel et triste, prêt à tout sacrifier plutôt que de cesser de défendre les principes, mais ignorant le moment où ils pourront triompher et ne formant d’autre résolution que de donner un grand exemple.

Adieu ; on m’apprend que le courrier ne part point aujourd’hui ; j’ajouterai un mot demain.

Lundi 18.

Le deuil et la mort sont dans nos murs ; la tyrannie s’est assise sur un trône souillé de sang ; elle étend son sceptre de fer, et il n’y a plus de liberté dans Paris que pour les gardes nationales qui veulent égorger leurs frères. Des citoyens s’étaient rendus au Champ de Mars, dans le dessein paisible d’y entendre lire et d’y signer une pétition pour demander la nomination des députés à la prochaine législature ; la municipalité avait été prévenue suivant les règles ; tous étaient sans armes et sans bâtons ; des femmes portant ou conduisant leurs enfants composaient une grande partie de cette assemblée, faite sous les cieux, autour de l’autel de la patrie, dans un lieu ouvert de toutes parts et dans la confiance des plus saints des droits, des plus justes sentiments. Deux hommes sont trouvés cachés dans la charpente où ils s’étaient introduits en levant des planches : ils s’occupaient, sous la partie où l’autel est élevé, à faire, des trous çà et là sous les pieds des spectateurs ; on s’en aperçoit, on les saisit, on les conduit à une municipalité voisine ; ils étaient munis d’eau-de-vie et d’eau forte ; ils s’obstinent à taire leur dessein et quelques hommes furieux s’emparent d’eux et les pendent. On fait conduire du canon sur les lieux ; trois officiers municipaux s’y rendent, ils trouvent le calme rétabli ; ils écoutent la pétition, avouent qu’elle est sage, disent qu’ils la signeraient s’ils n’étaient pas en fonctions et qu’ils vont faire retirer le canon ; ce qui fut effectué. Tout ceci se passa avant trois heures.

Dans l’après-midi, beaucoup de personnes augmentèrent le concours et prirent le Champ de Mars pour le but de leur promenade. Tout à coup une nouvelle artillerie arrive, dix canons sont rangés devant l’École Militaire ; un corps de troupe paraît et le drapeau rouge est au milieu ; nulle sommation n’est faite aux citoyens assis et signant sur l’autel ; les trois sommations prescrites par la loi sont négligées ; la première décharge, qui doit être à poudre, est à balles, cinq à six autres suivent, la cavalerie court sus à ceux qui fuient, le sabre atteint ceux que les balles ont épargnés, et c’est ainsi qu’on met en déroute le tranquille troupeau d’honnêtes gens assemblés sur la foi publique. La générale avait été battue dans tout Paris pour y répandre l’alarme et faire croire à une émeute ; les corps de gardes se multiplient, tout se hérisse de baïonnettes, les Jacobins sont investis et une petite porte environnée de soldats est laissée pour seule issue ; le Palais Royal est rempli d’hommes armés, tenant leurs armes hautes, présentant la baïonnette au moindre groupe ; le bataillon des enfants y est employé au même usage et l’on prostitue la jeunesse à se jouer de la vie des citoyens. Des chevaliers de Saint-Louis et autres aristocrate habitués de cette promenade applaudissent, excitent ces prouesses. Cependant la calomnie ménagée de loin se répand à flots : on imprime des pétitions incendiaires qu’on prétend être celles des citoyens assemblés ; on en fait de même de libelles auxquels on donne le nom de Robespierre, des relations infidèles de ce qui s’est passé ; enfin les conjurés, car c’est ainsi qu’il faut appeler maintenant la faction dominante de l’Assemblée nationale, réunis aux Feuillants, vont écrire ou ont déjà écrit à toutes les Sociétés affiliées pour les détacher des Jacobins et se les unir. Tel est le dernier moyen qu’ils veulent employer pour dominer l’opinion, comme ils oppriment ici les personnes. Si les départements cèdent à cette séduction, la liberté est perdue et nous sommes asservis au nom de la Constitution.

Vous ne sauriez vous représenter la puissance et l’intrigue de la coalition : il n’est plus permis de manifester son opinion ; l’ordre d’hier était, à tout factionnaire, de tirer sur tous ceux qui seraient unis au nombre de cinq ou six. Ceux qui, hier au soir, disaient dans les rues que la scène du Champ de Mars était affreuse, étaient colletés et conduits au corps de garde.

Oui, les gardes nationales sont les instruments de l’oppression, les satellites d’un homme abominable ; on peut dire que la contre-révolution est faite à Paris par le gros de l’Assemblée nationale [et la force armée avec Lafayette à la tête[234]].

Le drapeau rouge est arboré à la Maison de Ville ; l’appareil de la guerre est partout contre un peuple sans défense ; nous perdrons bientôt les meilleurs citoyens et les bons écrivains ; on les représente comme des séditieux ; presque toutes les feuilles qui courent les rues sont achetées par la coalition.

Adieu, mon ami ; il faut s’ensevelir dans la retraite et se consoler, s’il est possible, par les vertus privées, des maux affreux dans lesquels on nous plonge ; conservons-y du moins le feu sacré de la Liberté ; tâchons de l’étendre et de le transmettre dans sa pureté à une génération plus heureuse, si nos efforts continués ne lui obtiennent pas plus de succès de nos jours. Il y aurait encore de l’espérance si les départements s’entendent. Mais nous sommes menacés d’un sénat vénitien et d’un roi coalisé avec lui pour la ruine de l’empire et de l’humanité.

Le public n’est plus admis aux séances de l’Assemblée ; elle a fait afficher hier qu’on n’admettrait que les députés et les personnes nécessaires au service.

On veut justifier l’atrocité de l’exécution de la loi martiale sans les formes prescrites par un coup de fusil qu’on prétend avoir été tiré, ou quelques pierres jetées à l’entrée du Champ de Mars contre les gardes apportant le drapeau rouge ; l’excuse est pitoyable pour un fait aussi atroce.


445

[À BANCAL, À CLERMONT[235].].
Le soir du 18 juillet 1791, — [de Paris].

Dans la douleur qui me pénètre, je ne vois et ne cherche de consolation que dans l’exposé des faits ; la communication des sentiments qu’ils inspirent. L’erreur et la calomnie se répandent par mille moyens ; ceux qui les ont enfantés les propagent avec une incroyable rapidité. Du moins, que le petit nombre de bons citoyens qui connaissent et chérissent la vérité la transmettent soigneusement et la répètent autant qu’il leur est possible.

Une des premières mesures, ou plutôt la seule qui restât maintenant à prendre par la faction dominante pour opprimer absolument les patriotes, c’était d’enchaîner la liberté de la presse, et c’est à quoi l’on a travaillé ce matin. Une lutte pénible et longue de l’honnête Petion a fait apporter à la loi un léger amendement qui ne laisse pas que d’en diminuer beaucoup l’arbitraire. À quoi l’on est réduit de se féliciter !

Au reste, l’intrigue n’a pu parvenir à faire défendre de dire du mal des représentants, comme Garat[236] l’a proposé ; ils se méprisent trop réciproquement pour s’accorder à interdire au public la justice qu’ils aiment à faire rendre les uns aux autres.

Je vous ai prévenu ce matin du projet de la Société des Feuillants de ruiner les Jacobins et de s’attacher leurs affiliés ; le but est le même, mais les batteries sont déjà changées. On a senti qu’une scission et les démarches subséquentes proposées auraient des difficultés et produiraient de mauvais effets ; on a résolu de faire, au contraire, une apparente réconciliation ; tout le parti s’entendra pour venir aux Jarobins y capter la tourbe, soutenir ses partisans, dominer enfin, et régir tellement la Société, que les vrais amis de la Constitution soient réduits à la déserter ou à s’imposer silence. Cette marche est infiniment adroite : dejà, pour la préparer, ils ont fait insinuer par l’hypocrite Feydel[237] qu’il conviendrait au bien public et à la paix que les Jacobins envoyassent une députation aux Feuillants pour les inviter à la fraternité. Cette lâcheté, pour ceux qui s’y soumettraient, a fait quelque fortune ; et je ne serais pas qu’à l’heure où je vous parle, les fripons ne tiennent les dupes dans leur piège. Si ces projets avortent, ils ont d’autres combinaisons pour enchaîner l’opinion, car ils veulent subjuguer les clubs ou les anéantir. C’est plus facile qu’on ne pense par l’impossibilité où sont les provinces de juger à l’avance les intrigants et leurs manœuvres, ou les travers et les préventions de quelques honnêtes gens. La liste civile sert à gager beaucoup d’écrivains qui sèment le mensonge à journée : Montmorin[238] paye le Postillon-par-calais, à qui Regnault de Saint-Jean-d’Angély fournit tous tes petits poignards bien affilés ; Montmorin paye l’Argus patriote, que rédige l’infâme Morande, appelé de Londres pour continuer ici son métier de diffamateur et d’espion ; Montmorin soutient encore l’Ami des patriotes, que Duquesnoy, l’un des perfides modérés de l’Assemblée, écrit avec beaucoup d’art et de fiel. Depuis l’infernale coalition, les pamphlets de tout genre fourmillent et se renouvellent comme ces tribus d’insectes éphémères qui souillent les jours d’été ; aussi l’on ne saurait se représenter comme tous les faits s’altèrent, comme les réputations se tuent, comme la vérité s’étouffe et disparaît. Les malheureux saisis hier matin au Champ de Mars, l’un invalide, l’autre barbier, cachés d’une manière suspecte, aperçus par quelques personnes avant la réunion des citoyens pétitionnaires, conduits au Gros-Caillou et expédiés au même lieu par des gens de l’endroit irrités de ce qu’on les relâchait, ont été représentés à l’Assemblée comme deux gardes nationales, braves citoyens qui exhortaient à obéir aux lois et que des factieux avaient immolés sur l’autel de la patrie. La boucherie du soir, la cruauté de déployer la loi martiale contre des hommes sans armes, de poursuivre des femmes et de fouler aux pieds des enfants, a été décrite comme la juste vengeance et l’effort généreux de citoyens défenseurs de l’ordre ; l’assemblée leur a fait voter ce matin des remerciements. L’inquisition la plus rigoureuse s’exerce de toutes parts ; divers patriotes ont été avertis de ne pas coucher chez eux, et, pour notre part, nous avons donné asile aux Robert[239], qui sont venus nous le demander, quoique nous ne les eussions vus qu’une seule fois pour leur remettre une lettre ; leur confiance n’a pas été trahie. On ne machine rien moins que de faire dénoncer Robespierre à l’Assemblée, qui désire déclarer qu’il y a lieu à accusation afin de l’envoyer à Orléans, et il serait possible, avec tant d’ennemis d’une part, et de l’autre tant de vils agents prêts à se vendre, qu’on fabriquât un crime pour immoler en le déshonorant le plus vigoureux défenseur de la liberté. Cette manœuvre s’ourdit actuellement, et les premiers fils en ont été tendus hier aux Feuillants.

Que vous dirai-je ? Dans ce moment-ci même, on vient de m’interrompre pour une lettre machinée, ce me semble, afin de découvrir le nom de ceux que nous avons couchés cette nuit : au milieu des grands désordres j’ai oubliées petites ruses, et, si celle-là doit tourner contre nous, elle a réussi.

J’ai reçu cet après-midi votre lettre du 14 et vos bonnes pétitions[240] que l’événement a malheureusement prévenues ; cependant il est toujours temps de demander la nomination à la nouvelle législature, c’est même sur quoi il faut insister aujourd’hui et tout ce qui reste à faire. Vous n’êtes pas dans de bonnes mains que celles de Biauzat[241] pour cet objet ; il est un des plus ardents des Comités, et, lors même que vos demandes seraient arrivées à temps, je doute que la connaissance en eût été donnée à l’Assemblée ; il faut beaucoup répandre ces pétitions, les envoyer partout en nombre, car le meilleur effet qu’on puisse s’en promettre, c’est d’en éveiller et semer les idées partout pour former l’opinion.

J’en aurais long à vous dire s’il fallait vous détailler ce que j’ai vu hier, avec désespoir, de la lâcheté, du trouble des Jacobins : ils fuyaient parce qu’on disait la salle investie ; un homme effrayé a sauté, pour se sauver, dans la tribune des femmes ; je l’ai obligé d’en sortir comme il y était venu, en lui faisant honte de sa terreur. Il est vrai que l’ordre fut donné de dissoudre la Société ; cet acte tyrannique a été révoqué, on s’est contenté de fermer les grilles, de tout hérisser de baïonnettes et d’empêcher d’entrer ceux qui se présentaient ; les autres ont pu sortir à volonté, c’est ce que je n’ai fait qu’à la fin.


446

[À BANCAL, À CLERMONT[242].]
20 juillet 1791, — de Paris.

Je n’ai pu retenir quelques larmes en lisant votre réponse au récit que je vous avais fait du triomphe de Brissot et de l’enthousiasme qu’il avait excité. Comme les temps sont changés ! Si les nominations se fussent faites dans les deux ou trois jours suivants, on l’eût porté à la législature comme le premier représentant ; aujourd’hui, calomnié d’une manière atroce, il semble un objet d’horreur ; sa section[243] réclame et ne veut plus l’avoir pour électeur ; les insinuations perfides, les inculpations les plus odieuses se répandent avec succès ; la faction veut perdre lui et Robespierre. Tous les moyens sont employés : écrits, agents, préventions de toute espèce et argent, par conséquent dépositions et faux témoins. Le Comité des recherches est déjà muni d’une foule de ces matériaux recueillis avidement ; la faction voit que le sang versé a excité dans le peuple une indignation sourde et profonde qui s’alimente dans le secret même de la contrainte où la force armée la retient ; il faut donc qu’elle donne un cours, qu’elle ouvre une issue à cette indignation ; l’art suprême consiste à la détourner d’elle et à la diriger contre ses adversaires : tel est le nœud de la conjuration.

Les ambitieux actuellement régnants, les Noirs, la Cour et tous les gens obscurs, médiocres, faciles à tromper, ou naturellement ennemis des hommes supérieurs, sont réunis dans le désir de perdre l’écrivain le plus redoutable par ses talents, et le législateur dont ils haïssent davantage la grande popularité. Rien n’est épargné pour les faire croire des scélérats, et beaucoup de gens se persuadent qu’ils sont tels, car, avant de les traduire dans les tribunaux, il faut altérer l’opinion publique dont l’égide parait les défendre ; c’est l’acte où nous sommes de cette cruelle tragédie, et il est bien avancé ; les esprits étonnés, environnés d’erreurs, s’égarent enfin, s’abreuvent de soupçons et vont bientôt au delà. Les désordres excités d’abord sont ensuite mis à profit et fournissent à la vraisemblance des prétextes qui la changent en certitude. À moins que d’être fort près du foyer, de connaître les acteurs et de juger quels moyens ils sont capables d’employer, on n’imagine pas de trames aussi profondes. Aussi l’ami Garran, enveloppé de sa probité, environné de ses formes, ne voit rien dans tout cela que comme la masse d’honnêtes gens qu’on prévient ; il nous prend pour des rêveurs ou juge Bst. [Brissot] comme un imprudent.

Quant à moi, le système de persécution contre les patriotes remarquables m’est sensiblement démontré ; je le vois mis en action et tendant aux derniers excès.

Toutes les relations des faits de dimanche sont fausses, à commencer par le procès-verbal de la municipalité ; personne n’ose faire les véritables, même Bst. [Brissot], car ce serait se plonger le couteau sous lequel on est tenu. Je crois que, de mes différentes lettres, vous pouvez extraire un aperçu de la marche des choses et des ressorts secrets qui déterminent les mouvements ; faites cet extrait, répandez-le tant qu’il vous sera possible, privément, et par les membres de votre Société aux membres des Sociétés de divers lieux, afin d’arrêter, s’il est possible, l’effet du poison qui consume l’empire.

Les Jacobins ne pourront se soutenir, la faction des Feuillants s’est emparée de toute l’Assemblée, à très peu près, qui même sont en délibération de s’y joindre, du moins pour observer.

Votre imprimé ne subira pas une nouvelle édition, du moins nous voulons l’arrêter ; le moment n’est pas heureux ; le nom de « républicain » est donné pour synonyme de scélérat et de quiconque veut le trouble ou l’a excité. Je ne crois pas que vous deviez venir ici[244] ; vous ne pourriez ni vous abuser sur l’état des choses, ni, peut-être, renfermer les expressions de douleur de votre patriotisme ; dès lors vous seriez exposé ; restez avec vos frères, puisque vous avez le bonheur d’en avoir.

On a assassiné, cette nuit, deux personnes vêtues en gardes nationales ; est-ce l’effet de l’horreur qu’ont inspirée les excès auxquels on les a poussés ? On se perd dans les soupçons, et la vérité ne peut être qu’affreuse. Nous venons de tenir conseil pour savoir s’il faut que Lant[henas] parte et s’absente, ayant été désigné ; il veut demeurer, attendre et faire tête à l’orage.

On fait au Comité de constitution des adresses louangeuses qu’on fait adopter ensuite et expédier par des directoires et des gardes nationales de départements ; mais ce qui exprime le vœu de citoyens libres et généreux est tenu dans l’oubli du silence. On arrête beaucoup de personnes et jamais le despotisme n’offrit un appareil plus redoutable que celui qui s’offre dans toutes les parties de cette capitale.

Adieu ; puisse le ciel ne pas permettre qu’une si belle Révolution n’ait été faite que pour quelques factieux, au détriment du bon peuple qui n’avait besoin que de soutien pour se perfectionner !


447

[À BANCAL, À CLERMONT[245].]
21 juillet 1791. — de Paris.

Je vous engageais hier à faire un court précis de l’état des choses pour prémunir contres les erreurs dont les flots découlent de la capitale ; mais ne négligez pas la précaution de taire les noms des législateurs menacés ; B. [Brissot] a eu l’imprudence de les citer hier, et c’est d’un très mauvais effet ; je n’ai ni le temps ni le courage de vous détailler le pourquoi, sinon que, disposé à leur faire des crimes de tout, on leur prêterait des manœuvres pour faire réclamer en leur faveur, et l’on y trouverait une preuve de ce qu’on veut leur attribuer. En second lieu, ne faites rien que privément, c’est-à-dire de particulier à autre, car l’on serait fort habile à saisir le prétexte de persécuter une Société vigoureuse.

Les Jacobins touchent à leur entière dissolution ; ils ont lâchement arrêté hier[246] une députation aux Feuillants, pour les prier de joindre vingt de leurs membres à vingt Jacobins, lesquels ensemble choisiront, parmi les dix-huit cents qui composent la société des Jacobins, neuf cents seulement pour être incorporés aux Feuillants, rejetant tout le reste comme impur. La députation a été faite, et le vieux Préfeln, qui présidait les Feuillants, a remis gravement à trois jours pour recevoir la réponse. On se trompe bien, mon ami, quand on ne compte en ce monde que des dupes et des fripons ; une classe beaucoup plus nombreuse est celle des poltrons qui ne sont encore ni l’un ni l’autre, quoique très aptes à passer, suivant les circonstances, sur l’un ou l’autre bord. Quand aux honnêtes gens, ils ne font point de corporation ; ce sont quelques individus isolés, jetés au hasard dans la foule, et trop heureux quand ils se rencontrent et s’unissent par trois ou quatre. L’opinion publique s’altère sensiblement chaque jour, elle est déjà changée aux trois quarts ; les mêmes précautions qu’on a prises pour produire cet effet à Paris n’ont point été oubliées pour les départements ; des courriers sont partis dans la nuit du dimanche au lundi, afin de représenter partout les événements du 17 comme l’opération du salut public, tandis que c’est une véritable contre-révolution faite par les citoyens armés sous la direction de l’Assemblée même. Je n’en voudrais pour preuve que le triomphe des aristocrates qui sentent dans tout cela le doigt royal, et qui ne peuvent dissimuler leur joie. Jugez de quel œil je puis considérer nos imbéciles bourgeois, se félicitant d’être échappés au pillage de prétendus brigands, et la morgue ridicule de nos gardes nationales, si fières des éloges qu’on leur donne pour avoir déployé une grande force contre une poignée de personnes sans armes. Cependant l’intrigue et les haines continuent de diriger les soupçons : les prisons se remplissent, les gardes nationales s’applaudissent des captures qu’on les charge de faire, et le peuple bénit ces soins vigilants. Trois voitures viennent de passer ; Marat, un membre des plus connus du club des Cordeliers, quelques autres remarqués lors des 5 et 6 octobre 89 y étaient renfermés ; on les conduisait à je ne sais quelle prison, car l’Abbaye contient déjà un grand nombre d’habitants. « C’est bien fait ! disaient les regardants ; ce sont leurs écrits qui jetaient le trouble, ils étaient soudoyés par les méchants. ».

Encore un peu et vous entendrez dire que le courage à Robespierre à défendre les droits du peuple était payé par les puissances étrangères ; je veux dire que cela se débitera comme un fait constant, car cela se dit déjà. Ce n’est pas, assurément, que je compare l’énergie de ce digne homme aux excès qu’on peut reprocher à Marat ; mais il me semble qu’on se dispose à les juger dans le même esprit et avec la même injustice. Je ne sais si vos montagnes offrent un asile sûr, où la liberté puisse se conserver pour en sortir un jour plus glorieuse ; je le souhaite pour le bien de la France, et je n’attends plus rien de cette capitale corrompue où le feu des viles passions consume et détruit les semences les plus heureuses.

Notre ami L. [Lanthenas] pense que la coalition des Sociétés des Amis de la Constitution des divers départements pourrait former encore un rempart salutaire ; mais je ne vois pas bien quel serait votre centre. Au reste, tâchez de vous unir pour la demande d’une nouvelle législature ; cet objet ne peut manquer de plaire à tout le monde, et c’est le seul port qui nous reste. Entretenez correspondance, particulièrement avec la société de Saint-Claude, département du Jura, et celle de Marseille, dont le patriotisme et la vigueur les rendent supérieures à beaucoup d’autres.

Je me déplais horriblement ici et je ne souhaite plus que de partir ; les affaires particulières de notre malheureuse ville sont au pis ; on n’obtient rien de ces Comités que de la déraison. Je ne rêve plus qu’à la retraite et n’ambitionne que d’en jouir.

Les victimes paraissent devoir être telles : Danton, haï par [Lafayette][247], lui est sacrifié par les Lameth ; ceux-ci exigent en retour Brt. [Brissot], qu’ils détestent parce qu’il les a démasqués, et L.f. [Lafayette] le leur abandonne : avant tout Robesp[ierre] est sacrifié à la Cour par la faction dominante qui se la concilie, et abandonné par les jaloux de tous les partis.

Prudence dans toutes vos démarches pour ne point donner de prise.


448

[À BANCAL, À CLERMONT[248].]
22 juillet 1791, — [de Paris].

Nous avons été, nous sommes encore dans l’agitation que vous pouvez croire, au milieu des soupçons, des manœuvres et de la terreur qu’on rencontre de toutes parts.

À force de creuser les choses et de rapprocher les faits, il paraît que le premier but des calomnies et de la persécution est d’altérer l’opinion publique sur les écrivains ou hommes connus dont le talent ou le caractère est une pierre d’achoppement à la marche des ambitieux qu’ils surveillent.

Il faut discréditer Bst. [Brissot] pour le forcer au silence, à l’éloignement, et surtout l’empêcher de parvenir à rien ; il faut effrayer Robespierre ou définitivement le perdre, pour l’empêcher de demeurer accusateur public. Il faut enchaîner Danton parce qu’il a des moyens dont la cabale peut tirer parti, et qui pourraient servir contre elle. Il faut en imposer aux hommes actifs, aux chauds patriotes, pour éviter d’incommodes censeurs, et la voie qu’on prend pour cela est celle de l’arrestation, incarcération, etc., des têtes qui se sont aventurées avec la franchise, l’énergie ou même l’indiscrétion qui ne connaissent pas de mesures.

L’inquiétude était devenue universelle et le mécontentement très grand, en voyant la propension de l’Assemblée en faveur de Louis, sa précipitation à prononcer sur une aussi grande question ; les factieux qui la dirigent ont senti que, dans le mouvement qui semblait s’annoncer, la nation allait reprendre le droit ou l’exercice du droit de prononcer son vœu et que les vices de la Constitution seraient sans doute attaqués ; ils ont voulu conserver et accroître leur ascendant, et pour cela déployer une grande force au nom même de la loi. Comme une conduite violente nécessite des mesures de même nature pour la soutenir, cette résolution a entraîné une foule d’actes révoltants. À ces données se compliquent des vues réelles ou supposées d’ennemis secrets qui profitent des troubles et se plaisent à les exciter ; on a tourné vers elle l’attention et les craintes des citoyens ; ils n’ont plus imaginé que des brigands et aperçu que des précautions indispensables dans les soins ou les excès de l’autorité. Cependant, pour que les esprits ne s’éveillent pas sur l’arrestation étrange de tant de gens sans crime et dont la chaleur, même excessive, servit la Révolution, on commence à songer qu’il faut sévir aussi contre quelques écrivains de l’aristocratie, et l’on parlait hier de Gauthier[249] et de Sulleau[250].

Marat, qui avait été très malade et qu’on disait être empoisonné s’est trouvé rétabli à temps pour être conduit en prison avec nombreuse compagnie. Aujourd’hui, on affiche à profusion des placards où l’on affecte de le confondre avec B. [Brissot] et plusieurs autres, pour les présenter ensemble au peuple comme des hommes dignes de sa haine.

Comment sortirons-nous de tout ceci ? On parle de guerre étrangère, ce qui serait un excellent moyen pour se perpétuer et se changer en Long Parlement.

S’il en arrivait ainsi, je ne sais où il faudrait chercher une retraite ; on voit l’aristocratie se resserrer, les corps administratifs se peupler d’intrigants, et les vrais patriotes exposés à une suite de persécutions incalculables sous le règne des factieux.

Adieu, donnez-nous de vos nouvelles.

449

À MONSIEUR CHAMPAGNEUX,
officier municipal à lyon[251].
22 juillet 1791, — de Paris.

Si vous pouviez, digne citoyen, vous représenter l’agitation dans laquelle on est ici depuis quinze jours, vous ne seriez ni scandalisé, ni surpris de mon silence sur votre prière[252]. Ce n’est point dans un semblable tumulte que l’âme se recueille et s’élève par un de ces sublimes élans qui rendent l’expression facile et touchante, comme il convient à votre objet. Commandés par de grands intérêts, inquiets d’une décision qui devait les fixer et sur laquelle l’opposition des esprits d’une part et des volontés de l’autre présageait des mouvements funestes, jetés enfin dans un état de trouble et d’anxiété qu’on ne saurait peindre, on semble privé pour longtemps ici des aimables loisirs et des douces affections. Une faction puissante domine l’Assemblée nationale et s’étend au dehors par une force redoutable ; la multitude des moyens dont elle dispose lui donne action jusque sur l’opinion même, qu’elle dirige et modifie à son gré ; un voile épais couvre les chaînes qui lient les choses et les personnes ; la crainte, les soupçons, la terreur sont répandus de toutes parts. Je me rappelle des temps où l’existence de la Bastille rendait silencieux ou circonspect ; la réserve est encore plus grande en ce moment pour ceux qui ne sont pas abusés, car les risques sont les mêmes et leur proximité plus immédiate, quoique leur durée peut-être ne doive pas être aussi longue.

Je dois avoir l’air de vous dire de l’hébreu, et, en vérité, je n’ai pas le courage de me traduire d’une manière plus intelligible ; quand une correspondance suivie n’a pas conservé le fil des événements, il faudrait reprendre de bien loin pour donner quelque idée des intrigues régnantes et de tout ce qui peut en résulter.

Notre ami est en course pour voir et presser MM. du Comité qui entendront ce soir un troisième rapport sur l’affaire de votre cité ; il y, aura sans doute aujourd’hui quelque chose d’arrêté. Dupont, le seul avec lequel il ait été possible de conférer d’une manière suivie, de raisonner et de faire agir, Dupont, qui est travailleur et de bonne foi, est excédé des maussaderies du Comité. Quant à moi, je le serais aussi de l’indolence, de l’incurie ou de la perversité des quatre inviolables[253], dont un seul mot à l’Assemblée eût pu accélérer les choses. Mais, à vous parler franchement, je crois que, si nous obtenons quelque chose, ce sera malgré eux ; ils haïssent notre ami, autant que je puis le juger, et ils aimeraient mieux que la chose n’allât pas que de la voir aller par lui. Ils se sont constamment opposés à la demande d’aliénation des immeubles de l’Hôpital, sous prétexte quelle croiserait la grande affaire et lui nuirait de quelque manière[254]. Toutes les considérations possibles, tous les raisonnements imaginables n’ont pu les faire sortir de ce retranchement. Or il y a bien quelque moyen d’aller sans ces Messieurs, mais nullement de réussir contre leur opposition formelle dans les choses particulières au lieu même dont les intérêts sont censés leur être connus et chers.

Vous avez sans doute actuellement les renseignements nécessaires pour vous procurer votre quote-part des trois millions d’indemnités aux hôpitaux[255], et je crois bien à votre vigilance pour suivre diligemment cet objet.

Je me ronge les ongles chaque fois que j’apprends les nouvelles surcharges que vous donnent les inviolables par leurs minutieuses demandes de travaux sans fin, qu’ils aiment à imposer pour se donner l’air de songer à la chose et le temps de n’y rien faire.

J’en ai maintenant bien assez de Paris, du moins pour [cette] fois ; j’ai besoin d’aller voir mes arbres, après avoir vu tant de sots et de fripons. On respire et s’exalte dans le petit cercle des honnêtes gens, lorsque leur cause triomphe ; mais, quand la cabale reprend le dessus, que les manœuvres l’emportent et que l’erreur circule, il faut planter ses choux.

Notre ami vous a dit qu’il n’avait osé produire votre excellente adresse dans ce moment critique[256] ; je ne sais ce que vos députés en auront fait.

Ne songez à présent qu’à demander une autre législature, si vous voulez éviter un Long Parlement, les proscriptions de Sylla, et mille horreurs incalculables dont les échantillons arrivent chaque jour.

Adieu, éternelle amitié.

Les Jacobins se dissolvent, et l’on ne tend rien moins qu’à subjuguer ou anéantir tous les clubs ; c’est une intrigue bien profonde et bien cruelle. Tâchez de vous conserver, et, sans vous brouiller avec les Feuillants, qui vont d’ici chercher à vous capter, défiez-vous de leurs insinuations ; c’est la grande cabale dominante qui vient de les former pour ruiner les Jacobins et conduire ou annihiler leurs affiliés.

Notre ami a rendez-vous à onze heures avec M. La Miellerie[257] pour le pont.


450

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[258].]
27 juillet 1791, — de Paris.

Le mot que vous avez ajouté hier, dans la lettre du 23, nous a d’autant plus étonnés que, depuis le 17, notre ami a écrit exactement tous les jours ; vous attendez une lettre calmante, vous paraissez croire à d’heureux changements survenus ; ce n’est pas de nous que vous aurez ni cette lettre, ni les assurances de ces changements. Nous sommes non seulement trop près du foyer des intrigues, mais nous apercevons derrière la toile, et l’on ne voit rien là de bien consolant.

Du moment de l’arrestation du Roi, les ambitieux de l’Assemblée se sont réunis aux soi-disant modérés, pour un parti qui leur valût de l’autorité, leur assurât des avantages. La situation de Louis XVI était extrêmement défavorable, le peuple généralement indigné, le jeu devenait beau pour des intrigants qui auraient l’audace de faire en quelque sorte les médiateurs, de braver l’opinion publique en se donnant l’air de la contenir par la sagesse de considérations puissantes, et de se rendre très utiles à un prince faible dont la conservation deviendrait en quelque sorte leur ouvrage, dont l’incapacité leur permettrait de conserver beaucoup d’influence, et dont, par cette raison, les privilèges et la liste civile demeureraient leur patrimoine. Les vices mêmes de la Constitution, les préjugés encore répandus en faveur de la royauté et de toutes ses prérogatives fournissaient de beaux prétextes à cette marche intéressée.

Les Noirs ont soutenu naturellement une doctrine conforme à la leur, et il s’est ainsi formé une coalition redoutable, qui est véritablement devenue dominante. Les Lameth, profonds intrigants, l’ambitieux Duport, l’astucieux d’André se sont liés avec La Fayette, qu’ils haïssaient et qui les détestait, mais dont la suprême dissimulation se prête à tout pour se conserver un grand rôle dans toutes les suppositions imaginables ; la masse des hommes faibles, que de spécieuses raisons entraînent facilement, la tourbe des gens médiocres, ennemis secrets du système de l’égalité, avides de tout ce qui peut l’altérer, ont grossi bientôt la coalition, qui d’ailleurs n’épargne aucuns moyens pour se soutenir. L’un des premiers dut être d’affaiblir le crédit des bons écrivains et des honnêtes gens qui sont capables de dévoiler les manœuvres et d’éclairer le public ; il fallut prendre les devants, commencer par les calomnier et les accuser, investir l’opinion publique de préventions et la tourner contre eux ; ensuite, faire naître ou saisir une occasion de déployer une grande force armée, de répandre, la terreur et les soupçons, puis de faire tomber ceux-ci sur les personnes qu’on aurait intérêt de perdre ; définitivement prêter ou suggérer des torts à la Société des Jacobins pour l’affaiblir, la ruiner, détacher d’elle les Sociétés affiliées et régner partout sans obstacle. L’énergie que le peuple paraissait disposé à montrer a fait précipiter toutes ces mesures, et elles ont complètement réussi, à peu de chose prés. Le peuple est frappé de l’idée de brigands semés dans la capitale ; on les lui fait voir dans ses meilleurs défenseurs. La garde nationale a été excitée, insultée et poussée à des excès qui, en aigrissant d’une part, l’obligent, de l’autre, à les justifier par la continuité des mêmes moyens. Le drapeau rouge est toujours déployé, les moindres groupes sont défendus, la liberté de parler et d’écrire est entravée, les meilleurs citoyens craignent de s’exposer à des arrestations, comme il s’en fait tous les jours, en s’exprimant avec vigueur sur les circonstances ; la plus grande portion du peuple et de la force armée se persuade encore que ces mesures violentes sont nécessaires à la sûreté publique ; une autre portion gémit et s’inquiète. Cependant on quête et l’on arrache des félicitations de corps administratifs ou de chefs des gardes nationales des départements : on tait les réclamations de villes entières et des sociétés d’Amis de la Constitution. Cet état est violent, il ne peut durer ; il faudra bien que l’esclavage s’étende sur tout l’empire, ou que des secousses partielles opèrent des déchirements, car l’insurrection universelle n’est plus possible. Néanmoins les députés retirés aux Feuillants n’ont pas tellement affermi leur club qu’il soit à l’abri de dissensions intestines ; les jacobins sont encore sur pied ; les Petion, Buzot, Robespierre y restent, et l’on procède à l’épurement de cette Société. Plusieurs de celles des départements, sollicitées par des courriers extraordinaires des Feuillants, ont protesté de leur attachement à la Société mère. Il convient de se rallier autour d’elle ; cette union peut être formidable, car l’empire de l’opinion sera toujours le premier chez un peuple qui s’éclaire. Que fera votre Sainte-Claire[259] ? Si elle s’unit aux Feuillants, elle se déshonore aux yeux des bons citoyens, et ceux de cette étoffe n’auront rien de mieux à faire à Lyon que de se jeter dans les Sociétés populaires et d’affilier celles-ci aux Jacobins.

Je pense que votre municipalité, dont l’adresse excellente n’a pas eu de cours par le seul malheur des circonstances[260], ne changera point de ton  ; surtout, qu’elle se tienne en garde contre toute insinuation de flatter l’Assemblée actuelle. Il ne doit s’élever qu’un cri des départements, c’est la demande de procéder aux nominations pour la nouvelle législature. Déjà quelques-uns ont envoyé des députés extraordinaires pour faire cette demande ; on ne voulait pas les entendre, mais le bruit sourd des mécontentements du Midi, du courage de Marseille, commence à se faire présager, et je crois qu’on admettra incessamment à la barre un député chargé du vœu de quatorze villes de l’Auvergne pour les élections, vœu présenté avec des signatures individuelles, et dans toutes les formes de la loi, malgré les difficultés dont on les a hérissées.

Je ne vous parle pas des affaires particulières de votre cité ; notre ami écrit, après avoir couru comme il fait tous les jours[261].

On répand des horreurs contre le digne Brissot ; c’est bien l’écrivain dont on redoute le plus les talents, le courage et le désintéressement ; il y a trois ou quatre folliculaires payés par Montmorin sur la liste civile pour le décrier. Morande a été rappelé de Londres pour cet utile métier, dans lequel il est si bien versé. Vous connaissez la lettre de Petion à ses commettants[262] ? Je ne sais ce que l’avenir nous prépare, mais, sans cesser de croire qu’il faut toujours lutter et ne jamais désespérer du bien, je commence à désirer d’aller habiter la retraite et y oublier, dans les vertus faciles, les troubles qui déchirent la France et les passions des factieux qui veulent en faire leur proie.

Adieu, mille choses tendres à votre aimable compagne.

451

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[263].]
31 juillet 1791, — de Paris.

Malebranche reprochait aux Français de donner tout à la vraisemblance, et de s’écarter ainsi de la vérité ; ils n’ont point encore changé : ils donnent tout à la confiance, et c’est ainsi qu’on perd la liberté. Il est vrai que cette confiance est infiniment commode ; elle dispense du soin de veiller, de penser et de juger ; elle prête même un voile heureux à l’amour-propre, qui s’honore d’elle comme d’une vertu pour caresser sa paresse. Mais, encore une fois, il est impossible de conserver ses droits si l’on n’est continuellement aux aguets des hommes commis à l’exercice des plus importants ; le gouvernement représentatif devient bientôt le plus corrompu des gouvernements, si le peuple cesse d’inspecter ses représentants. Je vous j’ai dit il y a bien longtemps : ce n’est pas l’Assemblée qui a fait la Révolution, c’est la force des choses et de l’opinion. Tant que la nation en activité a développé cette opinion d’une manière puissante, l’Assemblée a fait de bonnes et grandes choses. Du moment où la nation, tranquillisée par ses premières victoires, a cessé de modifier habituellement l’Assemblée, celle-ci est retombée dans la langueur et la médiocrité qui lui sont propres, et auxquelles l’usage de l’autorité, les progrès de la corruption ont ajouté les plus funestes éléments. Depuis huit à neuf mois, l’Assemblée, à l’exception de quelques bons décrets, dont je pourrai vous donner l’histoire, n’a fait que saper et détruire, par les détails, les bases et les effets de la Constitution. Aujourd’hui qu’elle réunit et exerce tous les pouvoirs, elle est gouverné, séduite ou entraînée par une coalition qui s’entend avec la Cour et qui prépare des altérations plus grandes encore. Croiriez-vous que, dans certains Comités, on forme le projet de ressusciter la noblesse ?… Il est difficile, sans doute, qu’il s’exécute ; mais jugez de l’esprit de ceux qui peuvent le former et qui intriguent pour le faire réussir. Le moment de la révision s’approche et, avec lui, les menaces de guerre peut-être les attaques réelles. L’Assemblée avait arrêté d’envoyer trente de ses membres dans les départements frontières ; il a fallu l’énergie de l’honnête Buzot pour faire sentir les inconvénients de cet arrangement, vraie perfidie bien ménagée qu’il a eu le bonheur de faire échouer. On vient d’abolir les ordres de chevalerie[264] ; cette opération a été favorisée par la masse des honnêtes gens qui n’ont pas vu de raisons à y opposer ; elle n’a point inquiété les Noirs, qui comptent sur la guerre, et, par elle, sur de plus grandes restitutions ; elle n’a pas été très combattue par les intrigants, qui sont bien aises que l’Assemblée fasse un acte d’éclat très démocratique pour maintenir ou regagner la confiance, et lui laisser faire tout ce qu’ils espèrent en faveur du pouvoir exécutif, lequel saura bien recréer des joujoux de cette espèce, s’il acquiert l’ascendant qu’on veut lui rendre.

Oui, sans doute, une nouvelle législature est le grand moyen de salut, et la preuve qu’elle est nécessaire, c’est que celle-ci goûte si bien le charme de gouverner, qu’elle ne veut pas même entendre la demande de rendre le cours aux élections. Les adresses ou pétitions qui l’ont pour objet sont tues, soustraites ou dénigrées sous des prétextes, tandis que l’on fait grand étalage de félicitation mendiées ou d’adresses envoyées par des corps administratifs, dont quelques individus gagnés déterminent ces démarches.

Le département du Puy-de-Dôme, c’est-à-dire les citoyens de Clermont-Ferrand et ceux de quatorze villes ou communes, ont envoyé un député extraordinaire, chargé de leurs pétitions, toutes individuellement signées dans les formes prescrites par la loi, et portant le vœu libre de milliers de citoyens pour les nouvelles élections. On a refusé d’admettre et d’entendre le député, on n’a lu qu’une des pétitions, on l’a insidieusement interprétée et renvoyée comme un délit au Comité des recherches[265], tandis qu’un membre vendu des Comités a débité avec emphase l’adresse qu’il s’était fait envoyer par un directoire. Cette tyrannie révolte les bons citoyens et ne présage rien d’heureux. En attendant, le drapeau rouge est toujours déployé, et c’est sous de tels auspices que l’on prétend achever la Constitution.

Procurez-vous le n° 106 des Révolutions de Paris, de Prudhomme et vous y verrez le seul récit exact qui ait été fait des événements du 17, de même qu’un parallèle trop juste du mois de juillet 89 avec celui que nous finissons.

Votre société du Concert a donc consommé sa honte par son union aux Feuillants ! Nos Jacobins n’y perdront rien en s’unissant au comité central des Sociétés populaires, qui lui (sic) a manifesté son attachement ; les principes se propageront toujours mieux dans le peuple même que parmi des marchands et des importants qui se croient au-dessus de lui, sans avoir plus de lumières.

Le bruit l’arrestation de notre ami[266] nous a paru plaisant ; on lui fait, à Lyon, plus d’honneur qu’il n’en a mérité à Paris. Il porte partout ses opinions, sans doute ; mais, ayant ici un caractère public, il n’a jamais agi que comme député extraordinaire, et, par cela même, il n’a dit ni fait quoi que ce fût d’étranger à ce titre ; par conséquent, les malveillants mêmes ne sauraient trouver de prétextes à rien. Quant à la question d’un second, je vous dirai qu’au départ de M. Bt [Bret] nous étions si pénétrés, si abreuvés des inconvénients d’un second, qu’il nous était impossible d’en imaginer l’utilité. Il n’y a eu, avec les inviolables, aucun différend que ces choses résultantes inévitablement de principes et de manières de voir opposées. Enfin notre ami a fait pour le mieux, dans le désir, le calcul, le sentiment de ce mieux, pour la chose uniquement. Si l’événement ne le justifie pas, il se consolera dans sa conscience. Aussi bien, ce n’est toujours que là qu’on peut trouver ses dédommagements ou sa récompense : l’opinion est trop versatile, et, en vérité, pour les gens qui raisonnent, l’étude de ce pays-ci, dans les circonstances, est un sûr remède de la folie de vouloir être toujours approuvé. Je vous assure que, si les choses se prolongent, je serai portée à ce que notre ami demandât un substitut, car il y a des bornes à tout et il faut savoir se reposer. D’autre part, je sens bien que la retraite, avant une fin quelconque, donne un bien beau jeu aux contrôleurs ; c’est un parti à réfléchir.

On nous répète de tant de côtés le bruit de Lyon comme si général, que nous pensons qu’il convient peut-être de faire là-dessus une petite lettre.

Faites agréer à Madame mes tendres embrassements ; je conçois trop bien ce qu’elle a pu éprouver ; je n’exprimerai jamais ce que j’ai ressenti.

Ce mois-ci ne se passera pas sans de nouveaux événements.

Toutes les fois que vous me parlez de l’invocation[267], j’ai le désir de la faire ; mais vous ne vous représentez guère les sentiments qui nous agitent ici ; je crois que vous n’aurez rien de moi jusqu’à ce que je respire l’air des champs.

Lisez la lettre ci-jointe[268] ; veuillez la cacheter et lui faire suivre sa destination.


452

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[269].]
Dimanche, 14 août 1791, — [de Paris].

Au lieu de Prière, que je ne sais plus faire[270], je vous envoie deux morceaux qui méritent d’être lus, non seulement pour ce qui est particulier à leurs autours, l’un et l’autre défenseurs intrépides de la liberté, l’un et l’autre haïs des méchants, l’un et l’autre persécutés, mais à cause du jour qu’ils jettent sur les circonstances actuelles et la marche de la coalition. L’un de ces écrits vous est déjà parvenu, mais il est bon que vous en ayez le double pour édifier les honnêtes gens. Je vous fais passer aussi d’autres numéros du Repbl.[271] ; il se sent du malheur des temps, et n’est pas ce qu’il aurait pu être ; encore ne faut-il pas trop parler de lui, pour ne pas fournir le prétexte d’une accusation ; c’est presque un fruit défendu.

Le brave Robert est décrété ; la persécution est ouverte contre les vigoureux patriotes dont l’existence ou les relations ne sont pas imposantes.

Nous recevons à l’instant votre lettre du 9 ; vous êtes plaisant avec vos couleurs douces, votre calme et votre confiance. Sans doute, il ne faut jamais désespérer, mais il faut toujours veiller ; il n’appartient qu’aux esclaves de dormir sur la foi d’autrui dans un temps de troubles et de factions.

Si vos députés se morfondent en quelque chose, c’est dans leur égoïsme et leur nullité, et dans l’ambition de paraître tout faire en ne voulant prendre la peine de rien. Dieu les bénisse et me préserve de rencontrer jamais, de telles chenilles en mon chemin !

Adieu, unissez-vous au brave Servan[272]. Lisez donc le Patriote et vous y verrez l’état de l’Assemblée, quoique tracé avec ménagements.

J’embrasse Madame et vous souhaite à tous mille bénédictions.

Je pourrai bien avant peu m’en aller à Thésée, car mes affaires m’y appellent, et je laisserai notre ami finir ici celles de votre ville.

Grand merci du certificat envoyé.


453

À CHAMPAGNEUX, À LYON[273].
17 août 1791, — de Paris.

Et moi je veux pourtant dire que dans la semaine qui a précédé le décret sur les villes[274], l’arrangement des cent mille écus pour l’Hôpital et des autres petites affaires, il ne s’est guère écoulé de jours sans que nous reçussions une lettre de lamentations, avec force exhortations de courage ; mais, depuis que les choses sont arrangées, nous n’avons pas encore eu le plaisir de recevoir une seule expression qui manifestât quelque joie, enfin le moindre aperçu ou sentiment d’un soulagement quelconque.

La révision a été finie hier[275] ; maintenant on va s’occuper des articles, très graves, qui avaient été renvoyés ; tout cela se précipite et se gâche horriblement ; c’est la coalition qui l’emporte et nous aurons du grabuge. Mettez-vous dans l’esprit et disposez-vous à persuader que, dans le cas de guerre, il faudra que les électeurs suivent toujours leur besogne et demeurent assemblés, s’il est possible, comme en 89, pour veiller à la chose publique. Nous sommes bien près d’être remis sous le joug, et un joug légal en apparence, avec moins de moyens de le secouer si une fois on nous l’impose.


454

À MONSIEUR H. BANCAL, RUE DU PETIT-BOURBON,
[À PARIS[276].]
Vendredi matin, 19 août 1791, — [de Paris].

Je suis bien aise de vous signifier que vous êtes condamné à venir dîner avec nous : Brissot sort d’ici, il doit revenir, et mon ami observe que c’est le moment où, plus que jamais, les bons citoyens doivent s’unir et s’entendre. Cette doctrine de bonne intelligence est fort de mon goût, et j’espère qu’elle ne contrarie pas le vôtre. Adieu, mon ami, jusqu’au plaisir de vous revoir dans la paix et les douces affections.

À MONSIEUR BANCAL, RUE DU PETIT-BOURBON,
MAISON DU NOTAIRE, [À PARIS[277].]
Mercredi matin [(?) août 1791, — de Paris].

Votre bon ami Garran doit venir dîner avec nous ; n’oubliez pas l’engagement.


456

[À BANCAL, À CLERMONT[278].]
29 août 1791, — de Paris.

Nous[279] attendons, mon cher ami, avec empressement de vos nouvelles. Madame Roland est guérie, et elle dispose son départ pour samedi prochain. Nous resterons seuls et vous manderons ce qui se passera ici de la chose publique. Nous souhaitons que vous nous appreniez quelque chose de fait et favorable à notre chose particulière que nous avions envie d’établir dans votre département. J’attends toujours d’en avoir quelque nouvelle pour chercher à employer les fonds que j’ai, si je ne pouvais les disposer de cette manière[280].

J’ai fait partir d’ici, le 1er août courant, une caisse, A.L., n° 1, pesant 160 — par Desvignes frères, voituriers de Nîmes, à l’adresse de Lanthenas[281], négociant au Puy-en-Velay. — Ce voiturier a dû aller directement à Clermont, d’où il aurait dû faire passer sans délai cette caisse. Mon frère me mande, le 23 courant, qu’il n’en a aucune nouvelle. Comme elle contient de mon écrit sur la presse et de celui sur l’inégalité entre les enfants[282], qui doivent me rendre présent aux électeurs, si toutefois cela est possible, au milieu de la chaleur des intérêts qui les mouvront, je vous prie de faire quelque recherche dans les principaux dépôts de chargement de votre ville, pour savoir si cette caisse est passée, et accélérer son expédition par le carrosse s’il le faut ou autrement.

J’imagine que votre Société a fait la distribution des 300 exemplaires de l’écrit sur la presse que vous lui aviez laissés.

Vous aurez trouvé chez Monsieur votre frère[283] le paquet qui renfermait mes deux manuscrits, l’un un projet d’adresse à l’Assemblée nationale, et l’autre une opinion que je voulais lire aux Jacobins où, alors, je ne pus jamais obtenir la parole. Je vous serais obligé d’en faire ce dont je vous priais alors, qui était de m’en faire tirer une copie et de l’adresser à la Société du Puy en lui disant la cause qui a fait que cela a été arrêté chez vous.

L’Assemblée nationale va de pis en pis. Petion était, hier, désolé, non de l’insolence des méchants qui ont eu l’impudence de dire à la tribune que ses discours et ceux de Robespierre dans la tribune étaient cause de l’insubordination des soldats, non des mauvais décrets mêmes, mais de la mort qui a été portée à l’opinion publique par toute cette affaire du Champ de Mars. Elle ne se manifeste par aucune chaleur de patriotisme. Il semble que le despotisme ait repris ici tout son empire.

Cependant on annonce la sortie des pétitionnaires du Champ de Mars des prisons, pour le premier jour. Mais Monade répand en plus d’abondance encore ses poisons. Le corps électoral d’ici se montre mal. Lacépède[284] le préside. Les patriotes y sont désignés sous le titre de mauvaises têtes, hommes dangereux ; jugez. Si les départements, encore une fois, n’aspirent maintenant à sauver la France, font est perdu.

On lut hier à la tribune des Jacobins une opinion vigoureuse sur la nécessité de continuer de garder le Roi dans la capitale. Elle fut très applaudie. Le mouvement oratoire qui y était ne plut pas à quelques modérés[285]. Je ne sais quel parti on va prendre. C’est ce matin que l’on propose un mode pour faire accepter la Constitution à ce sire. Salut.


F. Lanthenas.

Mardi 30[286].

Nous avions dû vous écrire par le courrier de samedi dernier ; nous en avons été empêchés par cette préoccupation si ordinaire dans la capitale au milieu des événements publics et des affaires de chacun. J’espère qu’il arrivera ce matin de vos nouvelles, mais peut-être ne les recevrons-nous que demain ; car Bs [Bosc] est absent depuis deux jours, et c’est notre raison de vous expédier celle-ci directement. La marche de la législature est toujours conséquente à son extrême corruption, c’est un véritable renversement de la Constitution, une ironie de la Déclaration des droits. Nous voici avec des prince, citoyens non éligibles ; avec un roi inviolable, environné d’assassins militaires à ses ordres ; avec des électeur à argent, etc., etc. Les papiers publics vous rendent toutes ces odieuses lois, vrais poisons de la liberté. Je commence à applaudir aux derniers excès de l’Assemblée, à désirer les plus grands comme le seul moyen de réveiller l’opinion publique dont le sommeil me tue.

On commence à sentir et l’on a dit hautement hier aux Jacobins qu’il fallait que la prochaine législature fût constituante[287]. Je ne voudrais pas qu’on révélât cette vérité dans la capitale, l’Assemblée présente ne voudra plus s’en aller.

Ma santé ne m’a pas permis de partir aussitôt que je me l’étais proposé ; je crois pouvoir actuellement compter sur elle et je pars samedi pour être à Villefr[anche] le jeudi 8 septembre.

Nous attendons impatiemment l’assurance de quelque acquisition que vous aurez faite pour notre société, car les finances sont dans un état horrible. Avertissez les patriotes acquéreurs d’exiger qu’on estampille les assignats prix de leur vente ; cela ne se fait pas toujours ici, et ce désordre, joint à tant d’autres, peut amener un bouleversement épouvantable. La nouvelle monnaie, dont on fabrique beaucoup, est toujours invisible pour le peuple ; les petits billets de section disparaissent, les denrées enchérissent, et il se pratique sûrement encore quelque diablerie.

J’espère peu des élections de Paris ; on parle cependant du brave Garran, mais comme il est aussi question de Pastoret[288], je crains que l’honnête homme ne soit mis en avant pour cacher l’autre et amuser les patriotes. On redouble d’efforts, et d’horreurs contre Brissot.

Je vous enverrai jeudi un Ami des ministériels[289], jolie petite feuille qui en fait les honneurs à merveille et qui les peint au vrai.

Les Sociétés populaires de Lyon sont affiliées aux Jacobins[290]. Les élections de ce département ont dû commencer dimanche dernier ; l’intrigue les travaille vigoureusement.

Adieu, travaillez là-bas comme ici, faites de bonne besogne et n’oubliez pas vos bons amis, car, en vérité, si la chose publique ne se relève, il ne reste aux bons citoyens que de bien s’aimer !

Je n’ai trouvé qu’hier la musique anglaise que vous avez bien voulu me laisser ; je vous enverrais bien, en échange de l’aimable Lass of Richmond’s Hill[291], d’assez jolis couplets, mais ils ne sont pas assez graves pour les circonstances, et j’ai quelque honte de vous parler de chansons.

Rien ne se vendra avant un mois dans le district de Gonesse ; soins et demandes ne m’ont point encore valu tous les renseignements désirés sur Sainte-Radegonde ; le receveur n’était pas bien instruit ; j’en attends d’un second voyage qu’il vient faire à Paris[292].


457

[À BANCAL, À CLERMONT[293].]
31 août 1791, — de Paris.

Nous[294] vous avons écrit, mon cher ami, le courrier passé. Nous avons reçu vos deux lettres. Vous aurez vu que votre adresse est venue trop tard ; d’ailleurs, des adresses sont maintenant pour l’Assemblée ce que sont les vésicatoires pour un corps mort. Chasset disait à notre ami qu’il n’avait jamais craint qu’à présent ; le tiers du côté patriote, les faux patriotes de 89 sont plus dangereux aujourd’hui que les aristocrates. Il croit que septembre ne se passera pas sans crises violentes.

Je vous envoie ci-joint quelques lettres, c’est plus court, pour que vous jugiez de ce qu’elles inspirent, que de vous le dire. — Les frères Richard[295], commissionnaires, rue des Fripiers, quartier Saint-Nizier, à Lyon, sont d’excellents patriotes, qui ont de la tenue et sur qui vous pouvez compter. Je crois que votre Société devrait y établir correspondance.

Il y a des divisions au Puy entre les citoyens. Il en est un grand nombre qui sont, je crois, patriotes et qui ne se soulèvent que contre le gouvernement de quelques hommes durs qui se sont élevés par la faveur de la classe aigrie par la misère. — Je crois qu’il serait digne de votre Société de prêcher autour d’elle l’union et la paix. Je crois que les Sociétés de nos départements devraient se visiter pour resserrer les nœuds de la fraternité, etc. Nous devions, aux Jacobins, dans le Comité de correspondance[296], délibérer sur la proposition des courriers extraordinaires entre les Sociétés, en cas de nouveaux malheurs ; Petion et d’autres qui devaient y venir pour cela ne s’y sont pas trouvés. — Cette mesure me paraît bien difficile avec aussi peu de tenue qu’on a montré.

Voilà donc notre acquisition manquée ; nous sommes toujours dans les mêmes intentions de réaliser d’une manière ou d’autre, et nous vous laissons maître du tout.

Compte de M. Roland, de 40 à 60 M.[297].

De moi, de 20 à 30, — et puis voyez ce que vous pourrez fournir. — Quelque chose de bâti serait plus agréable, plus utile même, car, si nous avons la paix, je pourrais y faire la médecine, pour cela je demande de l’eau et bon air.

Ainsi voyez ce qui se présente de convenable dans les biens nationaux ou autres, en ayant égard pour ceux-ci à toutes les autres conditions qu’ils donnent. Je vous réitère ce que je vous ai dit dans ma dernière pour me retrouver une caisse qu’un mauvais génie, je crois, me retient ; — mon frère se désole de ne pas la recevoir.

Je[298] prends la plume à mon tour pour vous transmettre les observations de notre ami sur l’objet des acquisitions.

Premièrement, l’état des choses et la manière dont nous l’envisageons nous font croire prudent et nécessaire de placer nos fonds ; en second lieu, nos circonstances particulières nous rendent ce placement très instant, puisque, d’une part, les fonds de Lt [Lanthenas] sont à dormir en portefeuille, et que, de l’autre, nous touchons pour les nôtres à des époques de renouvellement de billets qu’il faut prévenir ou qui vont nous arrêter ensuite plus que nous ne le voudrions. Les rapports qui nous lient tous trois nous ont fait croire possible et agréable un placement en commun ; l’idée des bons fonds d’Auvergne est venue se joindre aux premières considérations et l’opération nous a paru désirable. Si la connaissance que vous avez des affaires vous fait entrevoir quelque difficulté, soyez franc comme nous et nous éclairez ; s’il n’y en a pas, procédez sans délai, les choses et le moment le requièrent. Quant au domaine de Grand-Pré[299], l’objection du trop d’eau dans un pré ne nous avait point effrayés, car il y a des moyens de remédier à cet inconvénient, et l’on sait que les biens du clergé ont souffert des détériorations que l’intelligence de nouveaux propriétaires doit et peut réparer. La question de savoir si l’acquéreur veut le céder et quel prix il y met ne peut être résolue que par vous, après vous être assuré de la valeur du domaine et du taux auquel des gens sages doivent se fixer. À défaut de cet objet, le choix d’un autre est également remis à vos soins et vous voyez, en conséquence des sommes que nous pourrions fournir et de celles que vous pourriez ajouter, si nous pouvons aller à la totalité de 50,000 écus ; le nec plus ultra pour nous est 60,000 livres. Si l’acquisition se portait sur un bien de particulier, il faudrait qu’il fît d’avance et à l’amiable le rachat des droits seigneuriaux pour profiter du bénéfice de la loi nouvelle et éviter les lods. Ce soin, ainsi que tous ceux relatifs au choix, à la résolution et à l’exécution, est absolument remis à votre sagesse et à votre amitié. D’après cela voyez et jugez, puis agissez ou nous parlez, le tout avec l’ouverture et la franchise qui nous conviennent à tous, le tout avec l’espèce de célérité que demandent les considérations ci-dessus énoncées. J’arriverai à Villefranche jeudi 8 septembre. Donnez-y-moi de vos nouvelles et de celles de cette affaire si vous voyez des moyens de la traiter, parce que cela guidera ma marche sur les arrangements particuliers de nos fonds.

Biauzat est allé hier aux Jacobins[300] ; les hommes de parti, je n’en doute pas, y retourneront tous, quand cela conviendra à leurs vues, afin d’intriguer de nouveau. Aussi j’ai beaucoup regretté la mesure, molle et lâche à mes yeux, d’inviter les Feuillants en masse, lesquels ont répondu à cette proposition par un ajournement à quinzaine.

Enfin, si l’autre législature se forme vigoureusement, ce sera à elle d’aviser aux moyens d’épurement avant de s’unir aux Jacobins ou de faire un nouveau foyer de patriotisme.

Votre idée des courriers extraordinaires est excellente, mais il faut que l’usage en soit dirigé avec sagesse, car, s’il était une seule fois appliqué à la propagation d’une nouvelle fausse ou mal présentée, il en résulterait quelque mouvement qu’on se hâterait de saisir pour achever de décrier et pour anéantir les clubs que haïssent les dominateurs.

L’élection de Chartres est faite, elle ne présente qu’un patriote[301]. Le corps électoral de Paris se travaille terriblement ; il s’était formé un club dans lequel on a d’abord discuté Brissot. D’honnêtes citoyens l’ont défendu avec chaleur, et il fut décidé qu’on le présenterait dans le premier scrutin, en opposition à Lacépède et à Pastoret que portent les modérés et les Noirs, ou à peu près ; ses ennemis ont senti qu’il fallait diviser pour l’écarter ; ils ont employé pour dernière arme la sensation désolante de l’affaire du Champ de Mars, sa liaison avec la chaleur de Brissot, et, en profitant du faible de certains esprits à cet égard, ils ont proposé Garran.

Nul doute que les modérés ne préfèrent encore celui-ci à Brissot, d’où l’on peut présumer que, si la division des patriotes ne les sert pas à pousser Lacépède ou Pastoret, du moins elle parviendra à écarter Brissot. Je me suis rappelé, à ce sujet, la manière peu exacte, pour ne pas dire baroque, dont Garran voit l’affaire du Champ de Mars, et je me suis affligée de tout ce mélange.

L’agitation est grande à Lyon ; je ne crois pas possible d’en prévoir le résultat ; il faut attendre l’événement

J’ai lu, hier, dans le Paquebot[302], que vous seriez, un des premiers, porté au Puy-de-Dôme.

Je ne vous parle plus des opérations de l’Assemblée ; elles sont dignes de l’esprit infernal qui y règne. Dans une importante discussion de ces derniers jours, il fut impossible à nos trois patriotes d’obtenir la parole, quoique d’André la prit quatre fois dans cette même discussion.

On vient de mettre les conventions[303] à des conditions fort singulières : cependant, en dépit de la coalition, le mode prête au corps législatif une prépondérance qu’elle n’aurait pas voulu lui accorder. On croit bien que le Roi ne manquera pas d’accepter, en demandant toutefois à pouvoir choisir ses ministres parmi ceux des représentants du peuple qui auront mérité l’estime publique. — L’heure me presse, les affaires me talonnent ; je ne puis vous entretenir comme je le voudrais. Adieu, notre bon ami.


Paris, le 3 septembre 1791[304].

Ma femme part aujourd’hui, notre ami ; elle est, comme vous pouvez croire, singulièrement occupée, mais non moins à ceux qui nous attachent comme vous. Au reçu de ma lettre, écrivez-lui à Villefranche, département de Rhône-et-Loire, si toutefois il ne faut pas que vos lettres viennent passer par Paris pour aller à Lyon, car elle apprendrait vos destinés aussitôt que par nous-mêmes, à qui sans doute vous en ferez part sans délai.

L’on parle beaucoup de moi à Lyon ; par toutes les lettres que j’en reçois, l’on m’apprend que je suis porté des premiers sur presque toutes les listes et qu’il y a tout lieu d’espérer, quoiqu’il y ait une cabale infernale[305]. Au reste, si la chose a dû avoir lieu, elle doit être faite en ce moment, quant à moi du moins. Si je ne passe pas des premiers, j’en désespère ; ainsi j’attends la nouvelle décisive de mon sort par le courrier de mardi ou au plus tard celui de mercredi prochain.

Brissot est terriblement ballotté ; s’il ne passe pas aujourd’hui, je tremble pour lui[306] : la cabale des enragés s’est tournée en perfides astuces. Ce ne sont plus ces grands moyens de brigands ; ce sont de basses et astucieuses scélératesses, des espérances, des promesses, des aveux de talents, de mérite, etc. ; mais, à cause de l’opinion publique, des égards, des ménagements, il faut d’abord faire passer celui-ci, celui-là. C’est ainsi que Garran a été nommé, puis Lacépède : aujourd’hui on veut encore Pastoret, demain un autre.

Le temps coule, les nominations se font ; le zèle s’amortit ; on se lasse d’une lutte qui d’abord a été vigoureuse ; il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais parmi les patriotes de ligue soutenue avec la constance, l’acharnement et l’emploi de tous les moyens de cette bande d’abominables scélérats, dont voici un trait à peu près public en ce moment et qui les peint d’après nature : Barn[ave], causant des événements confidemment avec clique et voyant que le terrible effet de leurs libelles s’amortissait insensiblement, s’écria, dans un moment de rage et avec le ton et un mouvement de désespoir : « Je vous l’avais bien dit, nous l’avons calomnié trop tôt. Il fallait attendre ce moment. » On frémit d’horreur quand on songe que le poignard et le poison sont moins dangereux, et ceux qui les administrent, moins atroces. C’est cet abominable homme qui a osé dire en pleine Assemblée (je l’ai entendu) que « la paix était le souverain bien du peuple, et que la liberté pour lui n’était qu’un superflu », que l’idée en était si fine, qu’elle était au-dessus de ses conceptions, et qu’il fallait même se garder de lui en parler, que cela ne servirait qu’à troubler son repos et l’entraîner dans les plus grands malheurs, l’anarchie, le meurtre, le pillage, l’incendie, etc., etc. ; et les tribunes et le peuple d’applaudir à tout rompre. Que voulez-vous espérer de gens qui chantent la servitude et baisent les mains à leurs bourreaux ! Adieu.


Paris, le 6 septembre 1791.

Ma moitié, notre ami, est partie samedi au soir par la diligence de Lyon ; elle ne se portait pas très bien, et je n’ai pu encore en recevoir des nouvelles. Je suis triste : il se passe ici des choses affreuses, des horreurs aux élections : ce sont tous les jours de nouvelles infamies répandues dans l’assemblée des électeurs et affichées contre les murs. On en est venu à dire tout haut que les talents, le savoir, la diction, les connaissances, l’éducation, etc., n’étaient point ce qui était nécessaire ; que le plus souvent, au contraire, cela ne servait qu’a prolonger les discussions, embrouiller les affaires et les terminer par des sottises. Et l’on agit vraiment d’après ces grands principes ; ainsi Brissot est éloigné à Paris, d’autres le sont à Lyon, à Rouen, à Amiens, car j’apprends que c’est partout de même. Je suis mécontent de votre ami Garran ; il a une trop forte dose d’amour-propre et d’égoïsme qui percent à travers un ton de fermeté et de droiture que je ne conteste pas, mais que je ne juge pas tout à fait comme avant telles époques ; il a manqué, selon moi, à son ami Brissot au point que je puis bien attester, à part moi et dans ma conscience, que cet ami n’est point son ami, et que tes gens de sa trempe n’en ont qu’un qui l’emporte sur tous les autres, c’est eux-mêmes. Lanthenas apprend du Puy, ce que j’apprends d’ailleurs et ce qui se passe ici : il faut changer ses batteries, ses idées, ses projets, et, comme je persiste dans les résolutions que les circonstances me forcent de prendre, n’ayant point à me mêler de la chose publique à laquelle je me serais livré tout entier, je dévierai mon imagination et l’attacherai à tout autre chose.

Vous nous avez envoyé une lettre pour remettre à Brissot ; nous allons lui faire passer ; je ne sais quel parti il en tirera, mais il me semble que cela est vague, peu motivé, et me fait penser que vous auriez bien dû faire l’article.

Faisons-nous quelque acquisition ? Je regrette que la première n’ait pas eu lieu, soit par la nature du terrain, sa proximité du grand chemin, de Clermont, les moyens d’amélioration et d’affermer sans y être ; car, pour rien, je ne veux de vignes. Adieu. Nous vous embrassons, le temps presse ; je vais courir, c’est ici mon métier ; j’en suis excédé.

458

À MONSIEUR, MONSIEUR BOSC, RUE DES PROUVAIRES[307].
Vendredi, à onze heures du soir [2 septembre 1791, — de Paris].

L’ami L[anthenas] me remet dans l’instant le billet dont vous l’avez chargé ; je ne veux pas me coucher avant d’y avoir répondu.

Vous vous trompez étrangement, mon ami : j’ai voulu laisser à Mme  Gch.[308] de vous annoncer elle-même son départ ; je dirai plus, j’ai cru que je le devais, et lorsque j’ai vu que vous ne me disiez rien aujourd’hui, j’en ai conclu qu’elle ne vous avait encore rien dit ; j’ai imaginé alors que j’aurais demain au soir le plaisir de la surprise, qu’elle-même avait eu le dessein de la ménager ; je me suis fait une image délicieuse de ce que nous aurions à sentir, à partager et à exprimer demain au soir, et c’est lorsque mon cœur se nourrit des plus douces affections que vous le supposez manquant à la confiance sans laquelle il n’est point d amitié.

Je ne vous reprocherai pas votre erreur, elle est à mes yeux le fruit d’un sentiment trop vif qui ne vous a pas permis de bien juger, et ce tort, une fois reconnu, devient presque un mérite. Laissez donc là votre très mauvaise résolution ; venez ainsi que vous me l’avez promis, j’ose dire que vous me le devez, et j’ajouterais que je l’exige, si je ne préférais le devoir, à mon tour, à votre libre volonté.

Mais certainement vous feriez plus que me fâcher, vous m’affligeriez profondément si vous ne veniez pas ; ce serait être pis qu’injuste.

J’en aurais beaucoup à vous dire ; je me réserve à vous l’exprimer de vive voix en vous embrassant comme mon second fils.

Il me semble que vous ne vous rappelez pas que je vous ai témoigné, il y a plusieurs jours, avoir quelque espérance d’être accompagnée à mon départ par Mme  Grdch.


459

À MONSIEUR, MONSIEUR LOUIS BOSC[309].
Samedi, à 2 heures [3 septembre 1791, — de Paris].

J’arrive de votre bureau et de votre logement, le tout en vain ; j’étais fatiguée des préparatifs et j’avais peu de temps, mais j’aurais tout fait pour ne pas emporter avec moi la douleur de laisser un ami dans les dispositions où vous êtes. Quelque raison que les apparences puissent vous donner, vous ne devriez pas m’éviter, et il est cruel de s’en rapporter à soi-même sur les torts que l’on croit trouver à ses amis ; encore faut-il les entendre, c’est une justice que la loi même ne refuse pas à des coupables.

Il est très vrai que la présence d’étrangers pourrait me gêner ; mais enfin, lorsque je vais m’éloigner, pour longtemps peut-être, vous ne pouvez me laisser partir sans vous revoir.

Je vous dois la connaissance de Mme  G. C’est ce que vous m’aviez dit d’elle, et réciproquement les témoignages que vous lui aviez rendus de moi, qui nous ont disposées à nous voir d’abord avec une sorte de confiance. Sa situation a dû ajouter à l’intérêt avec lequel je la voyais ; assurément, je n’aurais pas autant précipité la liaison si Mme  G. m’eût paru heureuse. De son côté, ayant quelque sujet de juger votre sexe avec rigueur, elle a été plus sensible à la rencontre d’une femme qui lui montrait un cœur franc et en qui elle a cru reconnaître un caractère sûr. Dans ces dispositions respectives, il a dû s’établir rapidement, avec les autres données qui sont à votre connaissance, je veux dire quelques rapports de goûts et de travaux, une sorte de communication confiante et le désir de s’étudier davantage.

La circonstance de mon voyage en fournissait l’occasion : partant seule et devant me rendre à la campagne pour un intervalle prescrit, la société de Mme  G. nous devenait à toutes deux un moyen de nous bien connaître ; il y avait assez d’aperçus pour compter avec vraisemblance que, dans tous les cas, nous aurions passé ce temps avec plaisir. La saison, la santé de G., d’autres circonstances qui lui sont personnelles, fournissaient des motifs à l’appui de ce projet ; mais il y avait aussi des obstacles à son exécution, et, jusqu’à hier matin, ce fut plutôt un désir, ainsi que nous vous l’avions témoigné, qu’une affaire arrêtée. Dans cet état de choses, je vous aurais pourtant fait part de ce qui existait, avec un peu plus de détails qu’à ma première annonce, si nous nous fussions trouvés de cette manière qui favorise la communication ; mais les préoccupations, les alentours, s’unissant aux considérations d’après lesquelles je croyais de délicatesse de ne point annoncer ce qui, peut-être, n’aurait pas lieu, je ne vous mis point au courant. Je vous ai dit quelles idées me vinrent hier, et certainement mon exposé est aussi franc sur cette partie que pour tout le reste.

Si j’ai des torts dans tout ceci, ils sont bien involontaires, et je crois que je ne les dois qu’à un degré de délicatesse qui ne devrait pas m’en faire avoir. Je ne vous en prête point, je ne me plains pas de ce que vous pensez : circonstances et sensibilité expliquent tout de votre part ; peut-être les apparences sont-elles contre moi. Mais je suis affligée au delà de tout ce que je puis dire, et je trouve affreux d’altérer ses amis par cela même qui, dans ma conscience, me rend plus digne de leur attachement.

D’après cela, vous n’attendrez pas de moi d’autre explication ; tout ce que je puis ajouter, c’est que toute l’injustice du monde ne me porterait pas à devenir injuste moi-même, et que je ne me vengerai jamais du sort et des hommes qu’en bien méritant de l’un et des autres.

Adieu, mon ami, mon fils ; vous serez à jamais pour moi l’un et l’autre.


460

À ROLAND, [À PARIS[310].]
Jeudi, 8 septembre 1791, 2 heures, — de Riottier[311].

Nous sommes au port, mon bon ami ; il fait une chaleur extrême, un soleil ardent ; la diligence[312] vient de repartir pour Lyon ; c’est fête, tous les gens d’alentour sont à la foire de Montmerle[313] ; je laisserai le bagage faute de gens pour le porter et nous nous rendrons à notre destination[314] lorsque la chaleur du jour commencera de diminuer. Notre fatigue a été très grande ; il est impossible d’imaginer une plus mauvaise administration de voitures publiques ; nous n’avons pas eu une seule nuit passable ; toujours levés à une ou deux heures du matin, cahotés horriblement, obligés de manger quand on n’a pas faim et de s’en passer quand l’appétit se fait sentir, c’est une véritable épreuve pour la santé[315]. Ma compagne a été fort incommodée, j’ai eu mes misères ; mais, au milieu de tout cela, on ne saurait voyager plus gaiement, causer davantage et de plus de choses intéressantes. Cependant nous n’avions avec nous que des aristocrates de plusieurs nuances, depuis le gris jusqu’au couleur de rose. L’un, vieillard de quatre-vingts ans, vigoureux à la manière de ta défunte mère, avec laquelle sa famille a été liée, puisque c’est un neveu de Mme  de Chenelettes[316] ; bonhomme sur tout ce qui n’était pas de politique, excellent père, accompagné de l’un de ses cinq fils, homme de vingt-cinq ans dont la candeur et la modération paraissent être les principaux caractères. Cette famille vit en Dauphiné, à la campagne, et quelquefois à Lyon. Deux personnages nuls se trouvaient aussi dans la voiture, hommes en apparence et se disant frères et Avignonnais ; mais l’un des deux n’était qu’une jeune fille bien imbécile et, à part quelques mots qui ajoutaient à l’idée qu’on pouvait prendre, en les voyant, de leur sottise et de leur rusticité, ils ne jouèrent que le rôle de muets.

Mais le huitième de la bande est un être singulier, fort intéressant par beaucoup d’esprit et de connaissances, ayant parcouru toute la France, l’Angleterre et la Suisse ; sachant son Paris par cœur, ayant vu les gens de lettres et ceux du monde, les jugeant assez bien ; philosophe, mais non sans préjugés ; unissant le goût et même de la sensibilité à beaucoup d’égoïsme ; pénétré de la plupart des meilleurs principes de politique et de morale ; se disant aristocrate et l’étant par caractère, par opinion, quoique rapproché sur beaucoup de points des patriotes éclairés ; enfin, homme à voir dans la meilleure compagnie, à cultiver pour relation, mais que je ne conseillerais à personne pour ami : tel est le résultat d’une connaissance de cinq jours, sauf plus ample examen. Pour tout dire, te connaissant et étant allé chez toi à Amiens, avant ton départ pour l’Italie, n’ignorant pas ce qui concerne l’Inspection et les administrateurs de cette partie, mais gardant l’incognito pour son compte avec un soin qu’il ne déguise pas.

La conversation a toujours été vive et nourrie, ma compagne de voyage y a fourni prodigieusement et je l’ai plus connue dans cet intervalle, du côté du savoir, que je n’aurais peut-être fait durant longtemps ; quelle tête étonnante et comme elle est meublée ! Mais la philosophie et l’érudition n’ont pas nui à la gaîté ; on ne peut dire plus de folies sans en faire et mêler plus plaisamment la raison, les grâces et l’aimable abandon. Nos voyageurs et l’incognito en particulier ont été assez étonnés et fort joyeux de leur rencontre ; le vieux papa, M. Guéraud, ci-devant de Gazier, nous a témoigné la plus grande envie de nous retrouver, et son fils a presque arrangé son retour avec Mme  Gd. Chp., au cas quelle partît pour Paris à la même époque. Quant à l’incognito qui va à Lyon pour quinze jours ou pour trois mois, qui, peut-être, passera à Genève incessamment et sera cet hiver à Paris, à qui j’ai dit, au moment des adieux, que j’aurais été bien aise de te rappeler une personne que, sans doute, tu avais vue avec plaisir, il m’a répondu que certainement il me reverrait. Mme  Gd, Ch. avait présumé un moment que ce pouvait être un ci-devant religieux, parce que la théologie, l’Écriture et les Pères lui paraissent aussi bien connus que les historiens et les poètes anciens et modernes ; d’autres aperçus ont changé les conjectures, sans nous y faire voir plus clair ; c’est un homme de plus de trente ans.

Je suis toujours plus aise de l’arrangement qui me procure la société de Mme  Gd. Chp. et je lui sais infiniment de gré de son voyage. C’était une entreprise pour sa santé, pour l’interruption de ses travaux et de ses relations ordinaires ; je désire beaucoup que tu la connaisses davantage ; il n’y a pas une seconde tête de femme de cette force-là.

J’oubliais de te parler de la jeune femme avec son petit enfant ; pour comble de singularité, elle demeure à Thésée ; c’est une veuve bien élevée, douce, aimable, musicienne et tendre mère, avec peu de fortune, qui a imaginé de louer une bicoque à Thésée pour y vivre dans la solitude jusqu’à l’arrangement de quelques affaires.

Je n’ai rien entendu dire dans les auberges, je ne sais pas le plus petit mot des affaires publiques ; je me suis contentée, faute de mieux, de laisser partout des brochures qu’on aura trouvées après mon départ. Les maîtres des auberges ne savent et ne veulent que leurs petits intérêts ; le peu d’étrangers que nous avons vus chez eux n’étaient que des marchands ignares, et nous n’avons pas eu le loisir d’entretenir personne autre.

J’arrête ici jusqu’à mon arrivée à la ville.


Villefranche, le vendredi.

Je venais d’écrire lorsque, jetant les yeux sur la Saône, j’ai vu, de l’autre côté, un homme vêtu de brun et une fille assez alerte errant sur le rivage, où était arrêtée une carriole et faisant des signes aux gens de rivière ; j’ai cru deviner ton frère et Claudine, je ne me suis pas trompée ; ils venaient au-devant de moi ; le chanoine, fort aimable, m’a dit être revenu des eaux exprès pour me recevoir, d’après ce que tu lui avais marqué précédemment que je quitterais Paris dans les derniers jours d’août.

Je te fais passer la lettre de Champagneux sur les élections de Lyon, qui me paraissent détestables dans ceux des sujets que nous connaissons, excepté l’évêque[317]. On dit que Vitet avait demandé du temps pour accepter et qu’il a refusé en voyant cette composition. Ainsi donc, adieu aux heureux projets pour la chose publique. Je ne me suis pas défendue de quelque peine. J’entrevois que les grands intérêts ne sont pas dans les meilleures mains du monde et j’aurais vu avec plaisir, pour mon compte, l’assurance d’un séjour à Paris. Toute la nullité de la province m’a paru tomber sur ma tête, je me suis sentie comme ensevelie dans le vide et l’obscurité ; j’en ai calculé les effets pour mon enfant, que j’avais principalement en vue, et j’ai été triste.

Il n’y avait pas deux heures que j’étais à la maison, fort occupée de faire nettoyer notre appartement, où la plus horrible poussière avait pénétré je ne sais comment, qu’Eudora[318] avait envoyé trois fois me témoigner son impatience. La mienne était aussi grande, mais j’étais accablée par la chaleur et commandée par mille petites sollicitudes ; je me suis rendue à Sainte-Marie dans l’intention d’y embrasser ma fille et de l’y laisser jusqu’au lendemain, que je serais bien établie et que nous pourrions agir ensemble ; la pauvre petite s’est précipitée dans mes bras avec des sanglots d’attendrissement et je lui ai si bien répondu qu’il a été facile de juger, pour les spectateurs, que nous n’étions pas disposées à nous quitter ; aussi sommes-nous revenues ensemble, sans que je lui aie seulement dit que j’avais eu un autre projet ; j’avais compté sans mon hôte. — Au reste, il ne faut pas se le dissimuler, ta fille est sensible, elle m’aime, elle sera douce, mais elle n’a pas une idée, pas un grain de mémoire ; elle a l’air de sortir de nourrice et de ne promettre aucun esprit. Elle m’a joliment brodé un sac à ouvrage et elle travaille un peu de l’aiguille ; d’ailleurs, aucun goût n’est né chez elle et je commence à croire qu’il ne faut pas s’obstiner à en attendre beaucoup, bien moins à en exiger. Je t’en dirai plus long lorsque je l’aurai étudiée davantage.

J’aurais grande envie pour elle d’aller incessamment à Lyon, car son habillement et sa chaussure ne sont propres qu’à lui ôter toutes les grâces de la taille et du pied, et il n’y a personne ici qui fasse mieux ; mais la campagne me presse : il n’y a pas eu de pluie depuis la Saint-Jean, l’eau manque partout, tout est grillé ; le bosquet commencé, la charmille naissante, le petit pré, les prés même du vallon, tout est mort. Il n’y a rien, absolument rien au jardin ; il faudra que j’achète et fasse venir de la ville des légumes et de la salade, si je veux en manger. Les raisins sont très avancés, on va vendanger autour de Villefranche et il faudra que nous en fassions autant avant quinze jours[319] ; rien n’est préparé ; j’ai dit à André[320] de presser le tonnelier et le bennier afin qu’ils commencent lundi, que je serai rendue au Clos.

La Bourgogne a été gelée, ou coulée, ou brûlée ; le vin n’a plus de prix ; un propriétaire près de cette ville a vendu dernièrement deux ânées 40 écus.

Hâte-toi de revenir pour arranger nos affaires et y mettre l’ordre dont elles ont besoin, puis aviser au moyen de retourner souvent à Paris. Ce ne sont pas ses plaisirs que j’y ambitionne ; mais, dans la nullité du seul enfant que nous ayons, je ne conçois d’espérance d’en faire quelque chose qu’en frappant ses yeux de tant d’objets qu’il puisse en trouver quelqu’un capable de l’intéresser. J’ai trouvé une lettre de Bancal ; il n’y avait encore que l’organisation de l’assemblée électorale ; tu en sauras autant que moi, puisqu’il t’a écrit en même temps.

Bonjour à mon bon frère, à notre digne ami ; dépêchez-vous ensemble de venir respirer à l’aise et combiner ce que nous avons de mieux à faire.

Je n’écris rien à l’ami Bosc, sinon que je l’aime toujours, parce que les erreurs de mes amis[321] et surtout celles de leur sensibilité n’altèrent point mon attachement pour eux ; mais fais-le lui lire ici, car je n’ai pas le loisir de le lui adresser ; le temps me presse, quoique je me sois levée de bonne heure, et je me sens harassée.

Je m’étais promis d’écrire à Mme  Buzot[322] par ce même courrier ; elle ne saurait imaginer ma sensibilité aux témoignages d’intérêt qu’elle a bien voulu me donner ; je l’ai quittée avec une sorte de précipitation, parce qu’il fallait s’arracher, mais jamais ce moment-là ne sortira de mon cœur. Dis-lui, ainsi qu’à son digne époux, combien ils nous sont chers ; tu peux parler pour nous deux, puisque tu les aimes autant que je fais.

Je crois que le brave Brissot n’aura pas été nommé ; la partie est liée partout pour écarter les hommes redoutables par leur caractère et leur intégrité, à l’exception d’un petit nombre de départements où domine le bon esprit. Mes embrassements à cet excellent citoyen. Fais-moi passer le journal ; je suis comme tombée du ciel. Mme  Braun est à Lyon. J’ai envie de ne point faire renouveler les billets[323] et de t’attendre puisqu’il est certain que tu dois revenir et que rien encore n’est décidé en Auvergne.

Ma compagne écrit pour ses affaires et ses amis ; elle te dit mille choses ; je suis enchantée d’elle. Adieu, mon bon ami, ménage-toi et reviens ; je t’embrasse de tout mon cœur ; j’attends de tes nouvelles.

Eudora parle de son papa, l’attend et l’embrasse.


461

À MONSIEUR CHAMPAGNEUX,
officier municipal, à lyon, place de la baleine[324].
Vendredi, 9 septembre 1791, — de Villefranche.

Je suis arrivée hier après-midi, plus fatiguée que je ne saurais dire ; j’ai trouvé votre lettre et je prends le premier courrier pour vous faire passer signe de vie et de reconnaissance.

Je ne suis nullement étonnée du choix[325] ; l’aristocratie a toujours dominé à Lyon, et les moyens qu’elle ne craint pas d’employer ont dû lui procurer toutes les facilités imaginables d’abuser les électeurs des campagnes.

Il faut espérer que tous les départements ne ressembleront pas au nôtre et que la chose publique aura des défenseurs ; mais croyez que nous n’aurons pas de législature sans un parti de l’opposition, qui sera toujours celui des honnêtes gens et de la minorité.

Je désirerais bien aller à Lyon ; j’y ai à faire pour divers objets, mais je n’ai devancé notre ami qu’à cause de la campagne et tout y presse. On va vendanger autour de cette ville la semaine prochaine ; il faut que j’en fasse autant sous douze jours, et je n’ai rien de préparé. Le raisin est misérable partout et le vin très cher ; la sécheresse a tout grillé dans notre domaine ; il n’y a pas plu depuis la Saint-Jean ; l’eau manque et la verdure n’est plus que de la paille séchée ; je n’ai pas même une salade à manger. Si l’on ne cueille le raisin incessamment, les premières pluies le feront pourrir et tomber.

Je n’ai pas un moment à moi, je suis excédée et il me faut plus d’activité que jamais. Jugez de ce qui me commande, puisqu’il me faudrait faire habiller ma fille, ce que je ne puis exécuter qu’à Lyon, et que cependant j’ignore quand je pourrai m’y rendre.

Vous, homme, si vous pouviez, dans la semaine prochaine, me donner quelques instants dans mon ermitage, vous me feriez un grand plaisir. J’ai avec moi une femme de Paris, de mes amies, qui m’a accompagnée à cent lieues pour me faire une petite visite.

Veuillez dire pour moi mille bonnes choses à M. Servan ; je vais lui adresser la même prière.

J’honore, je salue, j’aime et j’embrasse votre tant aimable moitié ; je voudrais la voir dans ma solitude et j’enrage d’être si loin que je n’ose pas même presser une mère de famille de venir me voir ; il y aurait une sorte de présomption, quand le loisir et les circonstances ne sont pas telles (sic) qu’on puisse me donner quinze ou du moins huit jours.

Recevez mille amitiés et les nouvelles assurances d’un attachement plus inviolable qu’un député. Soyez assez complaisant pour m’écrire ; je suis tombée du ciel et accablée de soins.

462

À MONSIEUR HENRI BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[326].
11 septembre 1791, — de Villefranche.

J’ai trouvé votre lettre en arrivant ici, il y a deux jours ; je n’y ai pas répondu aussitôt que je le voulais, car il m’a été impossible de le faire par le seul courrier qu’il y ait eu dans cet intervalle. J’ai été extrêmement fatiguée du voyage ; il est impossible d’imaginer une plus mauvaise administration de voiture publique. Mais ce n’est pas de ces intérêts dont je peux vous entretenir lorsque tant d’autres méritent de nous occuper. Il est décidé que notre ami ne sera point nommé ; tous les députés le sont et on a fait, avec succès, les plus grands efforts pour étouffer les voix qui le portaient. Comme ce n’étaient que celles des patriotes, qu’aucune intrigue ne secondait, tandis que la cabale agissait puissamment d’autre part, celle-ci a dû triompher. Il y a plusieurs mauvais sujets de la ville, des paysans des environs et quelques hommes absolument inconnus, qu’on dit honnêtes ; aussi le maire, qui avait été élu[327], a-t-il refusé en voyant cette composition. Les calomnies ont été aussi actives et autant impudentes qu’à Paris, où l’ami Bt [Brissot] n’arrivera pas non plus. J’ai trouvé partout l’opinion languissante ou morte ; nous n’aurons qu’un fantôme de Liberté, un simulacre de Constitution auquel la multitude rendra stupidement des actions de grâces, tandis qu’on s’en servira pour la garrotter ; les bons citoyens feront dans la législature un parti de l’opposition qui n’aura qu’une faible minorité. Nous n’aurons point de crise, ni de secousse, elles réveilleraient l’esprit public et l’énergie ; les ambitieux se garderont bien de les exciter. Le peuple est las, il se laisse aisément persuader que tout est fait et il ne songe plus qu’à ses travaux journaliers.

Nos amis m’apprennent que Biauzat fait des siennes aux Jacobins et qu’il est parvenu à y faire adopter ses motions[328]. Quant à nous personnellement, je ne vois pas sans peine que notre ami soit rejeté dans le silence et l’obscurité ; il est habitué à la vie publique, elle lui est nécessaire plus qu’il ne pense lui-même ; son énergie, son activité deviennent funestes à sa santé quand elles ne sont pas employées suivant ses goûts. D’ailleurs, j’aurais espéré, pour mon enfant, de grands avantages du séjour de Paris ; j’ai retrouvé mon Eudora bonne et sensible, empressée de me revoir, attendrie de mon retour au delà de toute expression et plus que je n’aurais osé m’en flatter ; je n’oublierai jamais le moment délicieux où elle s’est précipitée dans mes bras, où nos pleurs et nos sanglots se sont confondus. Mais, si mon absence lui a fait sentir son cœur, le temps ne lui a encore valu aucune connaissance, donné aucune idée ; elle n’a ni mémoire, ni goût, nulle envie de rien savoir, sinon que je l’aime, et peu de faculté pour rien autre que de me payer de retour. Occupée à Paris de son éducation, j’aurais pu lui présenter une foule d’objets capables d’exciter, de développer un goût quelconque : la vie concentrée que je dois mener me fait trembler pour elle. Du moment où mon mari n’a plus d’occupation que dans son cabinet, il faut que je m’y tienne pour l’y distraire et y adoucir ses travaux journaliers, suivant une habitude et un devoir qui ne peuvent être éludés ; cette existence est parfaitement contraire à celle qui convient à une fille de dix ans qu’aucune disposition ne porte à l’étude. Mon cœur se serre à l’idée de cette contradiction, déjà trop éprouvée ; je me sens tombée dans toute la nullité de la province, le défaut de secours extérieurs pour suppléer à ce que je ne pourrai faire moi-même, et je vois sur l’avenir un voile attristant. Si je jugeais mon mari bien heureux à sa manière, l’aspect serait tout autre, l’espérance l’embellirait. Enfin, les destins sont fixés ; il ne s’agit que de les rendre les plus doux qu’il soit possible.

Comme vous le dites fort bien, notre séparation n’est bonne à rien et il est dur d’envisager en même temps quelle est nécessaire, toute nuisible qu’elle se trouve à tant de choses et à nous-mêmes. Vous êtes peut-être élu dans ce moment[329] et vous allez être entraîné loin de nous. Que puis-je vous dire sur les biens dont vous parlez, que vous répéter ce que je vous écrivis avant de quitter la capitale ? Adieu, mon ami, adieu ; mon cœur est triste. J’ai pourtant amené avec moi une femme bien intéressante, avec laquelle je me suis liée à Paris, et qui est venue m’accompagner à cent lieues, comme on va à deux pour ne pas quitter si vite ses amis. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que celui qui nous a mises en liaison s’est fâché d’avoir si bien réussi, tant le cœur des hommes est inexplicable ! J’imagine que le vôtre n’est pas si difficile à entendre. Adieu, encore ; quand est-ce que nous nous reverrons ? Je finis ma causerie, je retiens mon abandon pour faire des lettres indispensables ; donnez-moi de vos nouvelles. Mon bon ami partira de Paris vers le 20.


463

[À BANCAL, À CLERMONT[330].]
24 septembre 1791, — du Clos Laplatière.

Qu’êtes-vous donc devenu, mon ami ? Je ne puis expliquer votre silence. Il me paraît être égal pour nos amis de Paris comme pour moi ; il m’inquiète et m’afflige plus que je ne saurais vous dire.

Les élections doivent être terminées chez vous, et lors même quelles ne le seraient pas encore, vous ne devriez pas nous laisser aussi longtemps sans nous donner de vos nouvelles. Avez-vous déjà oublié combien elles nous sont chères ? Je ne puis le croire, et ne saurais dès lors assigner à votre silence que des causes d’impossibilité physique inexplicables sans une maladie.

Hâtez-vous de me tirer de cette anxiété que vous devez bien vous reprocher si elle résulte de quelque négligence. J’attends mon mari demain ; il a dû partir de la capitale le 19, et il l’aura quittée avec la tristesse qui pénétrait la plupart des patriotes témoins de la légèreté, de l’inconséquence et de l’idolâtrie de ses inconcevables habitants, devenus ivres du Roi depuis l’acceptation, et se portant à toutes les bassesses imaginables.

Je n’ai pas le temps de vous parler de Lyon, ce foyer d’aristocratie dont la perfidie a infecté jusqu’à ma retraite par les plus insignes calomnie. J’y ai trouvé (ici) beaucoup de gens attribuant la longueur de notre absence à l’emprisonnement de mon mari, supposé contre-révolutionnaire. Et de telles absurdités ont pu trouver créance dans des êtres témoins de notre patriotisme, de notre dévouement au bien commun, et au leur en particulier ! Et de mauvaises têtes ont été jusqu’à des projets nuisibles ou des propos de menaces ! Et j’ai entendu derrière moi chanter « Les aristocrate à la lanterne ». Étonnez-vous de quelque chose après cela !

Il est vrai que ces cruelles folies n’ont pu séduire la majorité et que les traces doivent en disparaître promptement ; mais cela donne une idée désespérante de la stupidité du peuple.

J’ai été, je suis encore si préoccupée de soins économiques à ce temps de récolte, que je n’ai pas un moment à moi ; j’en ai perdu, je crois, jusqu’à la faculté d’écrire. Mon papier est déchiré par mégarde. Adieu, donnez-moi donc signe de vie ; pouvez-vous affliger quiconque désire autant votre bonheur ?

Lanthenas reste à Paris. Vous savez la nomination de Brissot ; elle m’a fait une grande joie. Puisse-t-il faire le bien qu’il sait vouloir.


464

[À ROBESPIERRE, À PARIS[331].]
27 septembre 1791, — du Clos Laplatière, paroisse de Thésée.

Au sein de celle capitale, foyer de tant de passions, où votre patriotisme vient de fournir une carrière aussi pénible qu’honorable, vous ne recevrez pas, Monsieur, sans quelque intérêt, une lettre datée du fond des déserts, écrite par une main libre, et que vous fait adresser ce sentiment d’estime et de plaisir qu’éprouvent les honnêtes gens à se communiquer. Lors même que je n’aurais suivi le cours de la Révolution et la marche du Corps législatif que dans les papiers publics, j’aurais distingué le petit nombre d’hommes courageux toujours fidèles aux principes, et, parmi ces hommes mêmes, celui dont l’énergie n’a cessé d’opposer la plus grande résistance aux prétentions, aux manœuvres du despotisme et de l’intrigue ; j’aurais voué à ces élus l’attachement et la reconnaissance des amis de l’humanité pour ses généreux défenseurs. Mais ces sentiments acquièrent une nouvelle force lorsqu’on a vu de près la profondeur des manœuvres et l’horreur de la corruption qu’emploie le despotisme pour asservir et dégrader l’espèce, pour conserver ou augmenter la stupidité des peuples, égarer l’opinion, séduire les faibles, effrayer le vulgaire et perdre les bons citoyens. L’histoire ne peint qu’à grands traits l’action et les suites de la tyrannie, et cet affreux tableau est plus que suffisant pour faire haïr violemment tout pouvoir arbitraire ; mais je n’imagine rien d’aussi hideux, d’aussi révoltant que ses efforts, ses ruses et son atrocité déployés en cent façons pour se maintenir dans notre Révolution. Quiconque est né avec une âme et l’a conservée saine ne peut avoir vu Paris, dans ces derniers temps, sans gémir sur l’aveuglement des nations corrompues et l’abîme de maux dont il est si difficile de les sortir.

J’ai fait dans cette ville un cours d’observations dont le triste résultat ressemble à celui qu’on tire presque toujours de l’étude des hommes ; c’est que leur plus grand nombre est infiniment méprisable et qu’il est rendu tel par nos institutions sociales ; c’est que l’on doit travailler au bien de l’espèce, à la manière de la Divinité, pour le charme de l’opérer, le plaisir d’être soi, de remplir sa destination et de jouir de sa propre estime, mais sans attendre ni reconnaissance, ni justice de la part des individus ; c’est enfin que le peu d’âmes élevées qui seraient capables de grandes choses, dispersées sur la surface de la terre et commandées par les circonstances, ne peuvent presque jamais se réunir pour agir de concert.

J’ai trouvé sur la route, comme à Paris, le peuple trompé par son ignorance ou par les soins de ses ennemis, ne connaissant guère ou jugeant mal l’état des choses. Partout la masse est bonne ; elle a une volonté juste parce que son intérêt est celui de tous, mais elle est séduite ou aveugle. Nulle part, je n’ai rencontré de gens avec qui je pusse causer ouvertement et d’une manière utile de notre situation, politique ; je m’en suis tenue à laisser, dans tous les lieux où j’ai passé, des exemplaires de votre adresse[332] ; ils auront été trouvés après mon départ, et fourni un excellent texte aux méditations de quelques personnes.

La petite ville où j’ai une demeure et dans laquelle je me suis arrêtée durant quelques jours, Villefranche, n’a que des patriotes à la toise, qui aiment la Révolution parce qu’elle a détruit ce qui était au-dessus d’eux, mais qui ne connaissent rien à la théorie d’un gouvernement libre, et qui ne se doutent pas de ce sentiment sublime et délicieux qui ne nous fait voir que des frères dans nos semblables, et qui confond la bienveillance universelle avec l’ardent amour de cette liberté seule capable d’assurer le bonheur du genre humain. Aussi tous ces hommes-là se hérissent-ils au nom de République, et un Roi leur paraît fort essentiel à leur existence.

J’ai embrassé mon enfant avec transport : j’ai juré, en versant de douces larmes, d’oublier la politique pour ne plus étudier et sentir que la nature, et je me suis hâtée d’arriver à la campagne.

Une sécheresse extraordinaire avait ajouté tout ce qu’il est possible d’imaginer à l’aridité d’un sol ingrat et pierreux, à l’aspect assez triste d’un domaine agreste que l’œil du maître peut seul vivifier et qui avait été abandonné depuis six mois ; le moment de la récolte exigeait ma présence et augmentait mes sollicitudes, mais les travaux rustiques portent avec eux la paix et la gaieté, et je les aurais goûtés sans mélange, si je n’avais découvert que les calomnies, inventées à Lyon pour éloigner mon mari de la législature, avaient pénétré jusque dans ma retraite et que des hommes, qui n’ont jamais eu lieu que de sentir notre dévouement au bien général et au leur en particulier, attribuaient notre absence à l’arrestation supposée de M. Roland, comme contre-révolutionnaire ; enfin j’ai entendu chanter derrière moi « Les aristocrates à la lanterne ».

Je ne redoute pas les suites de ces absurdes préventions qui n’ont pu gagner la majorité ; d’ailleurs, notre seule présence et la reprisse de cette vie simple et bienfaisante à laquelle nous sommes habitués, fera bientôt disparaître jusqu’à leurs moindres traces ; mais comme il est aisé d’égarer le peuple et de le tourner contre ses propres défenseurs !

Quant à Lyon, cette ville est dévouée à l’aristocratie. ; ses élections sont détestables ; les députés ne sont que des ennemis de la liberté, des agioteurs, des gens nuls ou malfamés ; il n’y a pas un talent, même médiocre ; son département est composé à peu près comme sa députation à la législature : quelques patriotes ont été poussés au district où ils ne sauraient faire, grand bien, ni empêcher beaucoup de mal[333].

S’il faut juger du gouvernement représentatif par le peu d’expérience que nous en avons déjà, nous ne devons pas nous estimer fort heureux.

La masse du peuple ne se trompe pas longtemps grossièrement ; mais on achète les électeurs, puis les administrateurs, et enfin les représentants qui vendent le peuple. Puissions-nous, en appréciant les vices que les préjugés et les ambitieux ont fait introduire dans notre Constitution, sentir toujours davantage que tout ce qui s’écarte de la plus parfaite égalité, de la plus grande liberté tend nécessairement à dégrader l’espèce, la corrompt et l’éloigne du bonheur !

Vous avez beaucoup fait, Monsieur, pour démontrer et répandre ces principes ; il est beau, il est consolant de pouvoir se rendre ce témoignage à un âge où tant d’autres ne savent point encore quelle carrière leur est réservée ; il vous en reste une grande à parcourir pour que toutes les parties répondent au commencement et vous êtes sur un théâtre où votre courage ne manquera pas d’exercice.

Du fond de ma retraite, j’apprendrai avec joie la suite de vos succès ; j’appelle ainsi vos soins pour le triomphe de la justice, car la publication des vérités qui intéressent la félicité publique est toujours un succès pour la bonne cause.

Si je n’avais considéré que ce que je pouvais vous mander, je me serais abstenue de vous écrire ; mais sans avoir rien à vous apprendre, j’ai eu foi à l’intérêt avec lequel vous recevriez des nouvelles de deux êtres dont l’âme est faite pour vous sentir et qui aiment à vous exprimer une estime qu’ils accordent à peu de personnes, un attachement qu’ils n’ont voué qu’à ceux qui placent au-dessus de tout la gloire d’être juste et le bonheur d’être sensible.

M. Roland vient de me rejoindre[334], fatigué, attristé de l’inconséquence et de la légèreté des Parisiens ; nous allons ensemble suivre nos travaux champêtres, entremêlés de quelques occupations de cabinet, et chercher dans la pratique des vertus privées un adoucissement aux malheurs publics, s’il nous est réservé d’être témoins de ceux que peuvent faire une Cour perfide et de scélérats ambitieux.

Accueillez, comme nous vous les offrons, nos sentiments et nos vœux.


Roland, née Phlipon.

465

[À CHAMPAGNEUX, À LYON[335].]
12 octobre 1791, — de Villefranche.

En arrivant à Lyon, il y a eu vendredi huit jours, je me présentai chez vous avant d’entrer chez moi, au sortir de la voiture, tant j’étais préoccupée du désir de vous voir et d’embrasser Mme  Champagneux. J’ai été toute sotte et me suis sentie contristée en ne trouvant que visage de bois, avec l’affirmation du voisinage que vous étiez partis du matin de ce jour même. Je trouvai à mon logis votre lettre aimable et touchante ; je fis en vain le projet d’y répondre incessamment ; j’eus à persécuter des ouvriers parce qu’il fallait précipiter notre séjour, que notre ami s’ennuyait de rester seul et que nous étions pressées de le rejoindre ; je courus prodigieusement, ma compagne voulait voir, et elle sait bien voir. Nous sommes allées à la bibliothèque de l’Académie feuilleter les bouquins et chercher des renseignements sur ce qu’il est intéressant de visiter. Nous avons parcouru Fourvières et ses débris d’antiquités ; nous sommes allées jusqu’à Chaponost[336] examiner les superbes restes d’aqueducs des Romains. Que sais-je enfin ? Toujours en activité, ne mangeant chez personne pour avoir plus de loisir, nous sommes revenues avant-hier sans nous être trouvé un moment de repos, et très fatiguées de nos excursions. Notre ami est venu au-devant de nous dans la petite ville où nous passons quelques jours avant de nous rendre, nous à la campagne, lui à Lyon, où il va aider le parti patriotique dans la formation du directoire, c’est un devoir à remplir, et il ne peut être négligé[337].

Je vous dirai que je n’ai pas entendu sans étonnement que plusieurs membres du Conseil de la commune étaient scandalisés du retour de mon mari, qu’ils le jugeaient presque indifférent aux intérêts de la ville, puisqu’il avait été délibéré qu’il continuerait de les suivre auprès de la nouvelle législature. J’ai répondu que cette délibération était une nouvelle pour moi ; on m’a répliqué que vous aviez été chargé de la communiquer ; j’ai juré mes grands dieux que vous n’en aviez rien fait, parce que mon mari m’avait mandé à peu près dans quels termes vous lui aviez écrit, et qu’il n’y avait vu que l’abandon de la question à sa délicatesse. On a fait des exclamations sans nombre. J’ai ajouté tout aussi résolument que je ne voyais là qu’un malentendu qui, pour moi, n’élevait aucun nuage sur votre amitié, parce que je la jugeais aussi bien que je la sentais, et qu’avec une âme on ne se trompe pas en telle matière.

Depuis mon retour, j’ai désiré voir les dernières lettres de la correspondance ; j’ai bien retrouvé votre expression modérée qui me prescrit rien de déterminé ; mais, très postérieurement, est une lettre de la municipalité, qui mentionne cette délibération ; il s’est trouvé qu’elle a été retardée de dix ou douze jours, que notre ami la reçut à la veille de son départ, et que, dans sa préoccupation, il n’en calcula peut-être pas toute la force. Au reste, si le même jugement subsiste, il est prêt à retourner, sans égard à un voyage que ses affaires ont occasionné.

Je ne vous ai point encore appris que les inspecteurs sont supprimés, sec et net[338], sans qu’on ait fait mention de retraite ou d’indemnité[339]. Il n’est nullement doux de perdre 5,000 livres de revenu, après quarante années de services, sans le plus petit dédommagement[340]. Il n’est pas possible qu’il n’y en ait point, mais il ne faut pas négliger de le solliciter, car dans ce monde on n’obtient justice qu’en faisant valoir ses droits. Je voudrais bien que nous ne fussions pas si éloignés de la capitale.

Dans l’espèce d’incertitude qu’apporte cet événement à notre situation, nous ne saurions, pour l’instant, songer au projet en question. Mais connaîtriez-vous, en Dauphiné, autour de Lyon, quelque bien national qui ne soit pas en vigne[341] et que l’on puisse affermer, de la valeur d’environ 40, 000 francs ?

Si vous découvrez très promptement quelque chose de semblable, hâtez-vous d’en avoir des renseignements détaillés et veuillez nous en faire part. Ne sauriez-vous point si les biens de l’abbaye de Savigny, en ci-devant Lyonnais, sont actuellement vendus[342] ?

Ne vous étonnez pas, et soyez indulgent sur mon mauvais caractère d’écriture ; je finis ma lettre avec le jour, je ne vois point ce que je trace, mais nos sentiments n’en sont pas altérés, et je vous réitère, pour nous deux à vous deux, un attachement inviolable.

Recevez nos embrassements.

466

[À ROLAND, À LYON[343].]
Mercredi, 30 novembre 1791, à midi — [de Villefranche].

Je reçois ta lettre, mon bon ami, et elle me trouve occupée d’un petit discours que Preverd[344] m’a priée de lui faire pour une grande occasion ; mais nous causerons de ces graves choses, il faut maintenant traiter de nos affaires. Je t’envoie les dernières nouvelles du bon Lanthenas qui s’est déterminé à nous attendre ; ainsi je crois qu’à notre arrivée à Paris, il faudra que l’un de nous fasse avec lui le voyage de Mortemer[345] pour décider une bonne fois s’il faut se fixer ou ne plus songer à cet objet.

On s’attend plus toujours à la guerre, et je ne sais que penser de ses suites, avec un ministère traître, des volontaires mal armés, une Assemblée médiocre et un peuple inconstant. Les prêtres sont furieux, et des gens qui ont faim prennent aisément la rage. Je pense qu’il faut garder Arnould[346] pour nous aider et nous accompagner jusqu’au dernier instant ; mais arrive demain de bonne heure, car j’ai faim de te voir et de faire avec toi nos dernières dispositions.

Tu me dis de changer en petits billets deux assignats de 50 livres ; mais tu ne m’en as laissé qu’un ; il est déjà échangé, et j’aurai sur lui quelques bagatelles à acquitter.

Ce qui me gêne gros, c’est le compte de Mme  Braun que je croyais solder hier ; j’ai eu le nez cassé, faute de moyens ; il se monte à 160tt sur lesquelles je me trouve redevable de plus de 70tt. Je voudrais bien terminer cet objet, il me semble dette d’honneur, puisque c’est en avances pour notre enfant, et je voudrais que tu reprisses je ne sais quoi à la campagne plutôt que de le laisser en arrière ; c’est une convenance aussi vivement sentie que justement calculée, à raison des gens et des circonstances.

J’ai lu à ta fille ce qui la concerne ; elle est partie en sanglots et s’est écriée d’une façon originale et énergique : « Ce papa me gronde toujours ; ça m’ennuie ! » J’ai repris comme tu peux croire, en lui faisant observer que, si tu l’aimais moins, tu ne la gronderais guère, que c’était l’extrême envie de la voir bien qui le faisait relever ses défauts, et qu’elle devait en être plus ardente à se corriger. « Cela ne m’encourage pas, a-t-elle répondu, toujours pleurant, au contraire ! » J’ai repris mon raisonnement, elle s’est calmée, elle a senti plus juste, et formé de belles résolutions ; mais tu n’auras rien d’elle aujourd’hui. Dans ces moments où elle se prononce, il me semble qu’elle doit avoir quelque rapport avec ce qu’était son lutin de papa à pareil âge, et je crois que cette petite scène, dans son ingénuité, ne te déplaira pas à plusieurs égards. Au reste, nous lisons l’Iliade qui nous amuse beaucoup ; Eudora passe fort bien deux heures du soir à lire ou Homère ou Ovide, tandis que je couds, et lorsqu’il vient quelqu’un nous interrompre, c’est un dépit très plaisant. Je vois que beaucoup de gaieté dilate ce caractère. Depuis quelques jours, si elle ne fait pas grand ouvrage, du moins elle ne fait rien qu’avec plaisir ; elle lit beaucoup, elle prend quelques idées et tout est facile. Si je la gardais, je voudrais la rendre aimable à force de la rendre heureuse ; mais il faudrait être tout entière à cet être-là, sans aucun partage, et il faut convenir qu’il n’est guère de situations en ce monde où l’on puisse se concentrer ainsi et se dévouer uniquement à une éducation.

J’attendrai donc les pruneaux et nous arrangerons le tout pour l’expédier le mieux possible. Reviens vite, je ne sais plus rien faire que tu n’y sois. Notre bonne commence à se tempérer et à prendre son parti ; elle fera notre besogne là-bas, et nous ferons de notre mieux là-haut. Je saurai l’affaire de l’Hôpital[347].

Le non-départ de nos marrons serait désolant ; quant au prix, j’ai assez couru chez divers marchands pour croire n’avoir payé que ce qu’ils se vendent cette année ; j’en avais vu aussi à 50 livres. Mais, de ceux-là aux beaux, la différence était grande. Enfin, si c’est une école, ce sera la dernière de ce genre.

Je t’embrasse de tout mon cœur et t’attends avec impatience[348].

  1. Voir Discours prononcé à la Société centrale formée des commissions des Sociétés populaires des Amis de la Constitution, de Lyon, le 2 janvier 1791, par J.-M. Roland. « Il y traçait aux clubs les limites légales de leur action. » (Wahl, 368.)
  2. Fin de lettre, citée par Sainte-Beuve, Introduction aux Lettres à Bancal des Issarts; p. xxxii.
  3. Lettres à Bancal, p. 145 ; — ms. 9534, fol. 81-82. – L’adresse, qui porte le timbre de la poste de Lyon, est ainsi conçue : « À M. Henry Bancal, French citizen, at Mrs. Margrave’s Bury Street, Saint-James, Londres. » Et Bancal a mis en note : « Reçue dimanche 23 dud. »
  4. Toute la première partie de cette lettre est de Lanthenas. Bien que nous ne donnions pas les lettres inédites de Lanthenas qui sont aux Papiers Roland, nous nous croyons obligé de reproduire celles qu’a imprimées, à travers la Correspondance de Madame Roland, l’éditeur de 1835.
  5. La Société des Amis de la Constitution de Lyon, fondée en 1789, qui siégeait au quai Saint-Clair et qui allait bientôt se transporter à la salle du Concert, place des Cordeliers. Les clubs populaires, fondés dans les trente et un quartiers de Lyon et rattachés à un club central, représentaient une nuance plus avancée et devinrent bientôt prépondérants. (Wahl, 365.).
  6. Petion présenta en effet l’adresse à l’Assemblée. — Voir Patriote français du 17 janvier 1791.
  7. Nous ne saurions dire au juste quel était cet ami de Lanthenas à Philadelphie. Quant à Dupont, c’est certainement le beau-frère de Brissot. François Dupont, établi en Amérique depuis le commencement de 1789.
  8. Ici Madame Roland prend la plume.
  9. Voir lettre du 5 mai 1791.
  10. Nous donnons ce préambule de Lanthenas, parce qu’il est indispensable, comme on va le voir, pour déterminer la date exacte de cette lettre.

    Elle a été publiée pour la première fois — sans le préambule — par Barrière (édit. de 1820, t. I, 342), qui la tenait de Bosc. Mais Barrière et, après lui, Dauban (t. II, p. 577) l’ont datée du 22 janvier 1790.

    Elle a paru depuis, en fac-similé, dans le deuxième volume de l’Isographie des hommes célèbres (Paris, 1828-1830, 2 volumes), toujours sous la date de 1790.

    La Revue rétrospective (p. 311-312 du tome V de la 2e série, 1834) a publié lettre et préambule, mais en gardant la date du 22 janvier 1790 et en attribuant le préambule à Roland.

    L’autographe original (3 pages un quart in-4o, dont 2 pour le préambule de Lanthenas) était alors dans la collection de M. de Châteaugiron. Il a passé depuis dans diverses ventes :

    1° Collection Benjamin Fillon, n° 1140. Le Catalogue date la lettre du 22 juin 1790 et la dit adressée à Buzot ;

    2° Collection A. Sensier, n° 335, vente des 11-16 février 1878. Même erreur sur Buzot. Date, 22 janvier 1790 ;

    3° Collection E. Michelot, n° 394, vente des 7 et 8 mai 1880, Eug. Charavay, expert. Date, 22 juin 1790.

    (Tous ces trois catalogues donnent des extraits qui ne permettent pas de douter qu’il ne s’agisse de la même lettre.)

    Or : 1° Le préambule est de Lanthenas – et non de Roland ‑ comme le constatent d’ailleurs les trois catalogues d’experts ci-dessus et comme le prouve la comparaison avec la lettre précédente (10 janvier).


    2° Préambule et lettre sont non pas du 22 janvier ni du 22 juin 1790, mais du 22 janvier 1791. Bancal, dont Lanthenas réclame le retour, était parti pour l’Angleterre au commencement de novembre 1790 et en revint dans les premiers jours de juin 1791. Aucune des deux dates nous rejetons ne saurait donc convenir. Il suffit d’ailleurs de lire ces deux morceaux à la place que nous leur assignons, entre les lettres qui précèdent et qui suivent, pour voir qu’ils ont été écrits en janvier 1791. Lanthenas a bien pu, par distraction, dans ce premier mois de l’année, mettre 1790 au lieu de 1791. Nous nous expliquons moins que des experts aient lu juin pour janvier.

    3° Le destinataire n’est pas Buzot, que Madame Roland ne connut qu’en avril 1791 ; c’est Bosc, qui, comme d’ordinaire, faisait passer à Bancal les lettres de leurs amis communs. Nous avons dit d’ailleurs que c’est lui qui avait donné la lettre à Barrière.

  11. Brissot ne tarda pas à s’exécuter. — Voir Patriote français des 5, 14 et 28 février 1791.
  12. La Chronique de Paris, alors dirigée par Millin et Noël. Le journal qu’il s’agissait d’y faire annoncer est le « Journal de la Société populaire des Amis de la Constitution, établie à Lyon, rédigé par des écrivains patriotiques deux fois par semaine », Lyon, 1791, in-8o, 16 pages. — Le premier numéro, du 16 janvier 1791, venait de paraître. Le journal ne dura que jusqu’au 10 avril suivant. (Histoire des journaux de Lyon, par Aimé Vingtrinier, Lyon, 1852.)
  13. Lettres à Bancal, p. 151 ; — ms. 9534, fol. 83-86. — Même adresse que la lettre du 10 janvier. Bancal a inscrit en marge : « Reçu le mardi 8 février. »
  14. Le père de Bancal était mort le 21 novembre 1790 (Mège, p. 5). Mais nous nous demandons si le consciencieux érudit n’a pas laissé échapper là une faute d’impression, novembre pour décembre. On ne s’expliquerait pas que Madame Roland, qui, le 30 décembre, accusait réception à Bancal d’une lettre du 14, eût attendu le 24 janvier pour lui parler de son deuil pour la première fois.
  15. Ce qui suit est de Lanthenas.
  16. C’est le 28 décembre 1789 qu’Arthur Young, passant par Lyon, y avait vu Roland.

    Son récit (Voyage en France pendant les années 1787-1790, trad. Decasaux, Paris, 1793, t. II, p. 97-99) est d’un homme qui sait voir. Le matin, il déjeune chez Goudard, grand négociant en soie (le frère du député à la Constituante) : « …Je fis les plus grands efforts pour me procurer quelques informations sur les manufactures de Lyon ; mais en vain, tout était selon ou suivant… » Il va voir ensuite l’abbé Rozier, puis le ministre protestant Frossard, « qui me donna fort volontiers, et avec beaucoup de politesse, de bonnes instructions, et qui, pour les choses dont il n’était pas bien informé, me recommanda à M. Roland de La Platière, inspecteur des fabriques de Lyon. Ce dernier avait des notes sur divers sujets qui nous procurèrent une conversation fort intéressante ; et comme il est très communicatif, j’eus le plaisir de voir que je ne quitterais pas Lyon sans obtenir une grande partie des connaissances dont j’avais besoin. Ce monsieur, qui est déjà âgé, a une jeune femme fort jolie… M. Frossard invita M. de La Platière à dîner, ainsi que moi. Nous eûmes une grande conversation sur l’agriculture, les manufactures et commerce. Nous ne différions que très peu en opinions, excepté sur le traité de commerce entre la France et l’Angleterre, qu’il condamna, à ce que je m’imagine, injustement, et nous discutâmes ce point… Nous discutâmes ces sujets et d’autres semblables avec cette attention et cette candeur qui les rendent intéressants pour les personnes qui aiment une conversation libérale sur des matières importantes… »

  17. Madame Roland reprend la plume.
  18. Cette fin est de Bosc, chargé de transmettre la lettre à Bancal.
  19. Malouet, Clermont-Tonnerre et leurs amis avaient fondé, en opposition aux Jacobins, le Club des Impartiaux, qui devint bientôt le Club de Amis de la Constitution monarchique ou, par une abréviation courante, le Club monarchique. Il entreprit d’avoir des affiliations en province ; à Paris, il distribuait des bons de pain et organisait des ateliers de charité (voir lettre du 22 mars 1791). À la suite d’une émeute populaire (28 mars 1791), la municipalité de Paris le fit fermer en avril. (Tourneux, 9712, 9896.)
  20. Collection Alfred Morrison. — Dans un angle de la lettre, à gauche, il y a : « M. Bosc. »
  21. La question du maintien ou de la suppression des inspecteurs des manufactures toujours en suspens.
  22. Lettres à Bancal, p. 160 ; — ms. 9534, fol. 87-88.
  23. Collection Alfred Morrison. — Dans un coin de la lettre, il y a : « M. Bosc. »
  24. Camus, député du Tiers de Paris, 1740-1804, puis conventionnel, membre des Cinq-Cents, etc., bien connu comme helléniste, légiste (constitution civile du clergé), archiviste, etc., était alors chargé à l’Assemblée de la plupart des rapports de finances. Roland, officier municipal à Lyon, présidait le bureau des finances (Wahl, 290) et s’efforçait de débrouiller la dette léguée à la ville par l’ancien régime.
  25. Garran de Coulon. — Voir lettre du 8 octobre 1790.
  26. Lettres à Bancal, p. 165 ; — ms. 9534, fol. 89.
  27. Ce début est de Lanthenas.
  28. De Bruhl.
  29. De Madame Roland.
  30. Probablement à Gosse.
  31. C’est le 1er février que Roland fut désigné par le conseil général de la commune de Lyon pour aller, avec Bret, procureur de la commune, demander à l’Assemblée nationale de prendre au compte de l’État la dette lyonnaise. On leur allouait à chacun 12 livres par jour (Wahl, p. 347).
  32. Bosc, Iv, 137 ; Dauban, II, 584.
  33. Allusion à la rixe sanglante qui avait eu lieu, le 24 janvier, à La Chapelle-lès-Saint-Denis, entre des chasseurs préposés à la garde des barrières et la population, à propos de contrebande. La société des Jacobins s’en était émue (voir Aulard, II, 28-39).
  34. C’étaient les amis d’André Thouin, Larevellière-Lepeaux, Leclerc, Creuzé-La-touche, etc. (Voir, sur ces réunions. Mém. de Larevellière, I, 74.)
  35. Collection Alfred Morrison. — Dans un angle de la lettre, à gauche, il y a : « M. Bosc. »
  36. Marc-Étienne Populus (1736-1794), député du Tiers de Bourg-en-Bresse, guillotiné à Lyon le 14 février 1794. On voit ici que les Roland étaient en correspondance régulière avec lui. Comme il avait été nommé par l’Assemblée commissaire à la fabrication des assignats, on peut présumer qu’il est l’auteur des deux lettres des 18 juillet et 30 octobre 1790 que nous avons données en note.

    « L’expédition » pour Brissot est probablement le « Mémoire sur la suppression des octrois des villes » qui parut dans le Patriote français, quelques jours après (14-17 février), et qui développe une thèse chère à Roland, le remplacement des octrois par une taxe sur les loyers.

  37. Voir au Patriote français du 28 février un long article du Lanthenas sur les « Sociétés populaires ou fraternelles ». Elles commençaient à se constituer à Paris. — Cf. Tourneux, II, p. 433-474.
  38. Bosc, IV, 138 ; Dauban, II, 585.
  39. La Société des Jacobins, dans sa séance du 28 janvier (Aulard, II, 41), avait entendu un rapport sur l’organisation de la garde nationale, puis, le 31 janvier, avait publié une adresse où on lit : « À peine avions-nous fait le serment [24 janvier, à propos de l’affaire de La Chapelle] de défendre de tout notre pouvoir les citoyens que de patriotiques dénonciations exposeraient à se voir persécutés, qu’un grand nombre des sections de cette ville s’est empressé d’adhérer à notre démarche et de prendre le même engagement. » (Ibid, 50.).
  40. Le grand décret organique de la garde nationale ne fut rendu par la Constituante que le 29 septembre 1791, à la veille de sa séparation.
  41. Probablement l’Adresse des curés et vicaires du royaume aux électeurs des 83 départements, qui venait d’être imprimée à Lyon (1791, in-8o). — C’était une violente protestation contre la constitution civile du clergé, et en particulier contre les mesures que le Directoire du département de Rhône-et-Loir venait de prendre, sur la réquisition de la municipalité, pour faire remplacer l’archevêque M. de Marbeuf, qui refusait le serment.
  42. Collection Alfred Morrison.
  43. Roland et sa femme, son collègue Bret, sa bonne et un garçon, plus Lanthenas, qui devait venir habiter avec ses amis.
  44. Delandine, député du Tiers du Forez, demeurait rue Caumartin, 5.
  45. Voir, dans la Révolution française d’avril 1899, notre article sur « le premier salon de Madame Roland », où nous exposons les raisons qui permettent de croire que le logement occupé à Paris par les Roland, du 20 février au mois de septembre suivant, était le premier étage de la maison de la rue Guénégaud qui porte aujourd’hui le n° 12, et que c’est bien Bosc qui leur procura cet appartement, dont la disposition correspond au programme donné dans cette lettre.
  46. Lettres à Bancal, p. 168 ; — ms. 9534, fol. 90-91. — La lettre, timbrée de Lyon porte le même libellé d’adresse que celle du 26 janvier.
  47. Bancal, qui depuis son séjour au Clos, se sentait — de toutes façons — tenu à distance, n’acceptait pas toujours avec résignation les conseils indirects du genre de ceux qu’on vient de lire. Sur l’autographe de cette lettre, entre les lignes, il a écrit : « Voulu ! quelle expression ! Quand on a été un Électeur toujours agissant de 1789, membre d’un premier Comité permanent, exposé à tous les dangers, à toutes les peines de la Révolution ; quand on a ensuite passé deux mois jour et nuit dans un Comité de subsistances, qui a préservé Paris de la famine, on a plus fait que vouloir. Après deux inflammations causées par ce travail extrême, j’ai été dans ma province, où je n’ai pas cessé d’être utile. J’ai travaillé pendant un an et demi pour la Révolution, sauf un mois qui pourtant ne fut pas entièrement perdu pour elle (C’est nous qui soulignons cette allusion au séjour du Clos en septembre 1790). Peut-on qu’un membre du Comité permanent qui a créé et rallié la garde nationale a plus fait pour son pays en trois jours, que d’autres pourront daire dans des années ; et ses services pour la création de la liberté seraient-ils moins grands parce qu’ils ont été courts ?… »
  48. Collection Alfred Morrison.
  49. Rue des Prouvaires, n° 32.
  50. Collection Alfred Morrison.
  51. Les Roland étaient arrivés à Paris le 20 février 1791 et s’étaient installés, ainsi que nous l’avons dit, à l’Hôtel Britannique, rue Guénégaud (Mém., I, 54, 164). Un de leurs premiers soins fut de voir Brissot, avec lequel ils correspondaient depuis plusieurs années sans le connaître, et c’est Brissot qui les conduisit chez Pétion (ibid, I, 54, 57).

    Madame Roland, en ce passage de ses Mémoires, dit qu’elle n’avait pas vu son pays depuis cinq ans. Cela supposerait qu’elle y serait allés en 1786, voyage dont nous ne trouvons aucune trace. Nous croyons qu’elle n’avait pas revu Paris depuis qu’elle l’avait quitté en septembre 1784, et que, par une distraction dont elle n’est pas coutumière, elle a écrit cinq ans pour sept ans.

  52. Collection Alfred Morrison.
  53. Cette indication nous donne la date de la lettre. Écrite avant la suivante (qui est du 7 mars), ainsi qu’on le voit par la mention de la lettre de Bancal, elle ne peut être que du mardi 1er 1791.
  54. Lettres à bancal, p. 171 ; — ms. 9534, fol. 92-93.

    Même libellé d’adresse que pour les lettres précédentes. Bancal a écrit en marge : « Reçue le samedi 19 ; répondu le vendredi 25. »

  55. Ce debut est de Lanthenas.
  56. L’affaire des Chevaliers du poignard, 28 février 1791. Voir là-dessus Aulard, II, 95.
  57. Cf. lettre 406.
  58. Madame Roland prend la plume.
  59. M. et Mme  Besnard, oncle et tante de sa mère.
  60. Sa cousine Trude, retirée à Vaux près Meulan. — Voir Appendice B.
  61. Le côté droit de l’Assemblée, dans le langage du temps. Cf. Mémoires, I, 54.
  62. Cf. Mémoires, I, 54 : …« Je courus aux séances ; je vis le puissant Mirabeau, l’étonnant Cazalès, l’audacieux Maury, les astucieux Lameth, le froid Barnave, etc… » Cf. aussi et surtout, dans un des cahiers indédits des Mémoires acquis en 1892 par la Bibliothèque nationale (N.A. fr. 4697, cahier Brissot) ; les pages si vivantes dont ce passage imprimé n’est qu’une esquisse. La plus grande partie de ce cahier inédit, – que Bosc avait supprimé en se contentant d’en tirer le portrait de Mirabeau, — a été donnée par Mlle  Cl. Bader dans le Correspondant du 25 juin 1892.
  63. Roland demandait à être admis à la barre de l’Assemblée pour y présenter la requête de la ville de Lyon, et rencontrait des obstacles. Le n° 238 de la vente d’autographes, des 26-27 mai 1876, Ét. Charavay, expert, est ainsi conçu : « Madame Roland ; minute autographe d’une réponse à une lettre adressée à Roland, 10 mars 1791, 1 p. in-4o » — La lettre prévient Roland que l’admission à la barre des députés extraordinaires de Lyon fait naître l’appréhension de grands dangers. On demande qu’il y ait de l’uniformité dans l’adoption des principes destinés à régir les grandes villes. Madame Roland répond : « Le raisonnement est très juste en soi ; mais l’application en est fausse, puisque la municipalité de Paris a déjà agi, puisque c’est ce soir même qu’on doit faire le rapport de ce qui la concerne. Ce serait donc une sottise et une perfidie que de se lier les bras dans cette circonstance. »

    Et le même jour, elle rédige, au nom de son mari, un projet de lettre au Président de l’Assemblée nationale (aut. Paris, 10 mars 1791, 3 p. 1/4 in-4o, n° 369 du Bulletin d’autographes n°8, de la maison J. Charavay).

  64. Lettres à Bancal, p. 175 ; — ms. 9534, fol. 94-97.
  65. Voir, sur le Club de 1789 fondé par Sieyès en janvier 1790, notre article de la Révolution française de septembre 1900. Le Club des Impartiaux, qui paraît avoir été fondé au commencement de 1791, c’est-à-dire au moment même où le Club de 1789 expirait, se proposait sans doute d’en recueillir les adhérents ; il était dirigé par Malouët et Clermont-Tonnerre. — Il ne tarda pas, dit Maurice Tourneux (II, 9898), à se fondre avec la « Société des Amis de la constitution monarchique ». Nous ne croyons pas qu’on ait encore étudié de près ces cadres successifs de la droite constitutionnelle, tentatives impuissantes de concurrence contre la Société des Jacobins. En tout cas, ce mot de Madame Roland « 89 ou les Impartiaux » montre bien que, aux yeux des « patriotes », le Club des Impartiaux continuait le Club de 1789.
  66. C’est la première fois que le nom de Robespierre se trouve sous la plume de Madame Roland. Ainsi que nous allons le voir, et comme Madame Roland nous l’apprend elle-même (Mém., I, 58, et passim, et cahier Brissot inédit), il devint un des habitués, quoique « peu assidu », du petit salon de la rue Guénégaud.

    Rœderer, alors député de Metz, est trop connu par son rôle sous la Révolution et sous l’Empire pour que nous lui consacrions une notice.

  67. Antoine de Valdec de Lessart, Contrôleur général des finances (décembre 1790-janvier 1791), Ministre de l’Intérieur (janvier-décembre 1791), massacré à Versailles le 9 septembre 1792 parmi les accusés de la Haute-Cour d’Orléans.
  68. Jean-Baptiste-Joseph Gobel, député du Clergé de Belfort à la Constituante, était évêque in partibus de Lydda. Élu tout à la fois, en 1791, évêque du Haut-Rhin, de la Haute-Marne et de Paris (13 mars), il opta pour Paris. Guillotiné le 17 avril 1794 avec Chaumette.
  69. On verra plus loin qu’Eudora avait été mise en pension au couvent de la Visitation, à Villefranche.
  70. Mme  Brissot, née Félicité Dupont, est une des figures de femme les plus intéressantes de la Révolution. Madame Roland ne parle d’elle (Mém., I, 56-57, 221) qu’avec infiniment d’estime et de respect. Les Mémoires de Brissot (éd. Montrol, passim) nous la font connaître et aimer, et tous les témoignages contemporains lui sont favorables. — Voir, au ms. 9534, plusieurs lettres d’elle et de nombreux renseignements.
  71. Voir sur Mme  Macaulay une note de la lettre du 1er novembre 1790.
  72. Mathieu Bertrand, négociant au Puy alors notable de la commune de cette ville, plus tard maire du Puy (décembre 1793-mars 1795). Lanthenas avait des fonds chez lui.
  73. James Phillips, libraire à Londres George Yard, Lombard Street, était un quaker qui avait publié en 1786 le premier essai anti-esclavagiste de Thomas Clarkson. Son nom figure sur la liste du premier comité des Amis des Noirs fondé le 22 mai 1787 et sa maison était le lieu où ils se réunissaient. Brissot y avait fréquenté. Lorsque Bancal se rendit en Angleterre, Brissot l’adresse chez Phillips (catalogue Morrison, lettre du 6 novembre 1790). La liaison survécut à la Révolution, car, le 20 juin 1797, un quaker, John Walker, écrivait à Bancal : « J’ai le plaisir de vous présenter les respects de James Phillips, libraire. » (Collection Picot.)
  74. Lettres à Bancal ; — ms. 9534, fol. 98-101. — L’adresse complète porte : « Frith Street, n° 7, Soho Square. » Bancal a écrit en marge : « Reçu le mardi 29, répondu le dit jour. »

    Il y a, au manuscrit, un post-scriptum inédit de Bosc que nous croyons utile de donner, à la suite de la lettre.

  75. Le club formé au Palais-Royal par l’abbé Fauchet et Bonneville, et dont le journal la Bouche de Fer était l’organe.
  76. En mard 1791, le bureau des Jacobins était composé de Biauzat, président, Massieu, Bonnecarrère, Collot d’Herbois et Lavie, secrétaires (Aulard, II, 189, 215), et le journal de Brissot lui reprochait sa tiédeur (n° du 17 mars).
  77. Henriette Cannet. Son mari, Muyart de Vouglans, ancien conseiller au Grand-Conseil, était mort le 15 mars, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
  78. Une des demoiselles Malortie. — Voir appendice D.
  79. Le Conseil général du département de Rhône-et-Loire avait été élu du 7 au 15 juin 1790 (Wahl, p. 169), et déjà, dans sa lettre du 22 juin à Bancal, Madame Roland se plaignait de sa composition : « Les électeurs avaient tenu compte des aptitudes administratives et de la notoriété locale ; il est difficile de reconnaître à l’élection, considérée dans son ensemble, une couleur politique déterminé… » (Wahl). Aussi le Directoire du département ne tarda-t-il pas à entrer en lutte avec la municipalité, où les amis de Roland étaient plus nombreux (on n’en comptait guère que quatre ou cinq, Pezant, Vitet, etc., dans les trente-six membres de l’assemblée départementale).
  80. Les mots entre crochets ont été ajoutés par Bosc.
  81. Le botaniste anglais James Edward Smith (1759-1828), ami de Bosc, déjà mentionné à la lettre 413.
  82. Ms. 6241, fol. 32-33. — Voir Révolution française du 14 août 1895.
  83. Les députés du Tiers de Lyon à l’Assemblé, Millanois, Périsse du Luc, Condere et Goudard. — Champagneux, devenu officier municipal en décembre 1790 en même temps que Roland, avait pris à Lyon la suite des affaires commencées par lui, et déployait une activité et une compétence remarquables (Wahl, p. 350-358).
  84. Le clergé insermenté s’agitait à Lyon ; le 15 mars, rixe violente dans l’église Saint-Nizier ; le 23, la municipalité fait arrêter Boisboissel, grand-vicaire de M. de Marbeuf, l’ancien archevêque ; le 24, elle écrit aux députés de Lyon pour signaler celui-ci au Comité des recherches de l’Assemblée. C’est cette lettre, accompagnée d’un dossier à l’appui, que Roland, comme on voit, avait été chargé de transmettre, et dont on accuse ici réception, à Champagneux (Wahl, p. 286-380).
  85. Lamourette (1742-1794), grand vicaire d’Arras, amis de Mirabeau, élu évêque de Lyon le 1er mars.
  86. Le 28 mars, l’Assemblée avait décrété que tous les agents de l’État seraient astreints à la résidence, et que le Roi, « premier fonctionnaire public, devait avoir sa résidence à vingt lieues au plus de l’Assemblée nationale ».
  87. Tandis que Lyon demandait que les dettes des villes fussent nationalisées, le Comité des impositions fit voter à l’Assemblée, le 29 mars, à la date même de cette lettre, un décret autorisant les villes à percevoir « des sols additionnels » pour le service de leurs emprunts, etc. — Voir lettre à Bancal du 5 avril. C’est ce que Madame Roland appelle « l’impôt municipal », contre lequel elle protestait.
  88. Dupont de Nemours, rapporteur du projet.
  89. Lettres à Bancal, p. 189 ; — ms. 9534, fol. 102-106.
  90. Bret quitta, en effet, Paris à ce moment-là pour se rendre à Lyon. Le 11, il arrivait à Villefranche avec l’évêque Lamourette. (Voir dans la Révolution française du 14 août 1896 notre récit « Une entrée épiscopale en 1791 ».) — François Bret, né à Grenoble en 1745, avocat à Lyon en 1769, procureur de la Commune en 1790, fut condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de cette ville et exécuté le 13 décembre 1793 (Wahl, 287).
  91. Du 2 avril.
  92. Le veto suspensif avait été voté, le 11 septembre 1789, contre Mirabeau, qui soutenait le veto absolu ; — le décret sur le droit de paix et de guerre, dans la discussion duquel Mirabeau avait d’abord soutenu la prérogative royale, est du 22 mais 1790 : — le décret sur l’organisation du Trésor public, du 18 mars 1791 ; — la loi régence, du 22 au 29 mars 1791 ; — l’affaire des mines, où Mirabeau prononça son dernier discours, fut discutée le 27 mars, six jours avant sa mort.
  93. Voir Mémoires, I, 57, et cahier inédit intitulé Brissot, sur les réunions qui se tenaient chez Madame Roland « quatre fois la semaine, après la séance de l’Assemblée et avant la séance des Jacobins », et auxquelles assistaient Pétion, Buzot, Robespierre, Brissot, Clavière, Louis de Noailles, Volfius, Antoine, etc… sans oublier Lanthenas.
  94. Bancal, sur le verso de la page, a jeté les réflexions suivantes : « Tout préparé. Dans l’éloignement, l’intérêt n’est pas le même. Sa correspondance languit. Si employé dans la chose publique, je ne pourrais donner à ce travail tout le temps convenable. Quand je vois toutes ces prétentions des hommes, je voudrais n’être jamais connu, pouvoir faire le bien comme un Dieu invisible. Il semble qu’il s’agisse plus d’eux que du bien public. »
  95. Lettres à Bancal, p. 200 ; — ms. 9534, fol. 107-108. — Même adresse que la lettre 415, avec même contreseing du Directoire des Postes. Bancal a écrit en marge : « Reçu le lundi 18, rép. le 19. »
  96. Étienne Clavière (1735-1793), le banquier génevois bien connu, qui devait être le collègue de Roland aux deux ministères girondins de 1792. C’est par Brissot, qui lui avait prêté sa plume avant la Révolution (Mém. de Brissot, II, 343-352), que les Roland durent être mis en relation avec lui. Le jugement de Madame Roland sur Clavière (Mém., I, 268) est plus perspicace que bienveillant. Ils se retrouvèrent en novembre 1793 à la Conciergerie (Riouffe, Mém. d’un détenu), où Clavière se tua le 8 décembre.
  97. C’est bien Abauzit (voir plus loin lettre du 27 avril). — C’est probablement Marc-Théophile Abauzit, qui fut plus tard, de 1803 à 1802, chapelain de l’hospice des réfugiés français à Londre, et mourut à Génève en 1834 (Hang. France protestante).
  98. Mlle  Coulon, danseuse de l’Opéra. – Le samedi 26 mars.
  99. Cette maison de campagne était à Argenteuil. — Mme  Le Jay était la femme du libraire chez qui paraissait le Courrier de Provence, rédigé par les amis de Mirabeau et sous son inspiration.

    On connaît (Loménie, Stern, etc… ) les relations complexes de Mirabeau avec Mme  Le Jay.

  100. Nicolas de Bonneville (1760-1828), un des adeptes les plus fervents du Martinisme, orateur du Cercle social, imprimeur de la Bouche de fer, etc.
  101. Tout ce projet eut un commencement d’exécution. On trouvera, au ms. 9534, outre la lettre de Lanthenas à Bancal (fol. 250-251), une lettre de Fauchet, « procureur général de la confédération des Amis de la Vérité », du 15 avril 1791, adressé au même Bancal, et la réponse de celui-ci, datée du 26 avril (fol. 197-202).
  102. Thomas Paine (1737-1809), le fameux publiciste anglo-américain, depuis membre de la Convention, venait de publier à Londres son livre des Droits de l’homme (1791), en riposte aux pamphlets de Burke contre la France.

    L’ouvrage fut traduit en français, Paris 1791 (Quérard, France littéraire), par Soulès (est-ce ce secrétaire de M. de Larochefoucauld dont va parler Madame Roland ?). Une seconde partie parut en 1792 et fut traduite par Lanthenas.

  103. Lettres à Bancal, p. 206 ; — ms. 9534, fol. 109-110. — Bancal à écrit en marge : « Reçu le lundi 25 avril 1791, rép. le 26. » Comme on le voit, la première partie de la lettre est de Lanthenas. — Nous la reproduisons, à l’exemple de l’édition de 1835, parce qu’elle est utile à la suite de la correspondance.
  104. Le 18 avril, Louis XVI avait voulu se rendre à Saint-Cloud. Une émeute, malgré l’intervention de Lafayette et de Bailly, l’avait contraint de rester aux Tuileries.
  105. Madame Roland continue la lettre.
  106. Probablement Gauthier de Biauzat, député du Tiers de Clermont, que nous avons vu, le mois précédent, président des Jacobins. — La scission entre Bancal et lui n’allait pas tarder à se produire.
  107. Joseph Gurney-Bevan (1753-1814), écrivain quaker, ami de James Phlipps. Bancal le vit à Londres (Coll. Picot.)

    Quant à J. Marsillac, « docteur en médecine de la Faculté de Montpellier, député extraordinaire des Amis de France à l’Assemblée nationale » (Quérard, France littéraire), c’était, comme le dit Madame Roland, « un quaker français ». Il venait de publier la Vie de Guillaume Penn (Paris, au Cercle social, 1791, 2 vol. in-8o). Nous possédons de lui deux brochures de 1792 : 1° Hôpitaux remplacés par des sociétés civiques et des maisons d’industrie, par J. Marssilac, médecin de Hôpitaux ; 2° Règlements des sociétés civiques, par J. Marssilac, médecin ; — et Rolan, par une circulaire du 17 décembre 1792, adressa ces brochures « aux sociétés populaires, aux pasteurs de campagnes et les villes, etc… ». — Cf., sur lui, Tourneux, 10318.

  108. Lettres à Bancal, p. 211 ; — ms. 9534, fol. 111-113, copie, qui semble être de la main de Henriette, la fille aînée de Bancal (Mme  de Diane).
  109. Ceci fixe la date exacte de la lettre suivante, que MM. de Montrol et Dauban indiquaient seulement comme écrite « en avril ».
  110. Biauzat.
  111. Pour Saint-Cloud.
  112. Le 23 avril, M. de Montmorin avait communiqué à l’Assemblée, au nom du Roi, une lettre adressée à nos ambassadeurs près les cours étrangères. Cette lettre faisait un éloge affecté de la Constitution, et rejetait comme une « calomnie atroce » l’assertion que le Roi n’était pas libre. Mais Madame Roland avait raison d’y voir une hypocrisie, puisque nous savons aujourd’hui que des dépêches secrètes contredisaient la lettre officielle (Sorel, II, 188).
  113. Travertissement du nom de Malouet. Voir les Révol. de Paris, n° 95, p. 198 : « Assemblée nationale. — Séance du lundi 25 avril. — On a fait lecture de différentes lettres et adresses ; la première contenait le récit des troubles qui désolent Avignon et le Comtat ; la seconde rendait compte des évènements survenus à Saint-Domingue et entre autres, de la mort de M. Mauduit. »
  114. Les décrets Barnave sont les décrets de 8 et 28 mars 1790.
  115. Publiée en 1835 par M. de Montrel dans la Nouvelle Minerve (t. I, p. 312). Sainte-Beuve (Introd. aux Lettres à Bancal), la même année, en cité quelques lignes ; – reproduite par Dauban, t. II, p. 587. La lettre se trouve d’ailleurs tout au long dans le Patriote français du 30 avril 1791 (n° dcxxx, avec un préambule de Brissot que voici :

    « Compte rendu de la séance de l’Assemblée du jeudi 28 avril où le comité proposait « de borner aux citoyens actifs le droit « d’être gardes nationales » :

    « Nous ne rendrons pas compte du succès honteux qu’il [d’André] a eu en faisant passer l’avis du comité. La lettre qu’une Romaine nous écrit, et dont nous joignons ici un fragment, nous en dispense ; elle était présente…, etc.

    « Fragment d’une lettre sur la séance de jeudi matin… »

    Suit la lettre. Le texte de M. de Montrol, qui avait l’autographe entre les mains, diffère en certains endroits du texte de Brissot. Celui-ci, comme tout rédacteur en chef aura usé çà et là du droit d’adoucir, d’atténuer, etc. — Nous donnons en note le texte de Brissot.

    Quoiqu’il en soit, on voit que la lettre est bien de Madame Roland (cf. sa lettre à Bancal du 27 avril) et qu’elle est du 28.

  116. C’est la première fois que le nom de Buzot apparaît. Il reviendra trop souvent et l’histoire de Buzot est trop connue pour que nous ne nous bornions pas à rappeler ici que François-Nicolas-Léonard Buzot (1760-1794) était député du Tiers d’Évreux. Sur ses rapports avec les Roland, voir notre appendice R.
  117. Dubois-Crancé.
  118. Antoine-Balthazar-Joseph d’André (1759-1825), député de la noblesse de la sénéchaussée d’Aix-en-Provence ; un des chefs du parti constitutionnel.

    Voir, sur lui, Aulard, Les orateurs de la Constituante.

  119. Rahaut-Saint-Étienne.
  120. La discussion qui avait irrité Madame Roland était celle de l’organisation de la garde nationale. L’article 1er, voté dans cette séance du 28, n’admettait dans la garde nationale que les citoyens actifs, conformément à l’avis de Dubois-Crancé.
  121. Voici le texte publié par le Patriote français du 30 avril :
    fragment d’une lettre
    sur la séance de jeudi matin.

    J’ai vu aujourd’hui cette Assemblée qu’on ne saurait appeler nationale. La raison, la vérité, la justice y sont étouffées, honnies. Quand on a suivi la marche qu’elle a tenue ce matin, quand on a entendu les propos que les Noirs osaient y tenir, quand on a vu le jeu des vils intérêts des passions qui l’on guidée, il ne reste plus qu’à s’envelopper la tête, ou à percer le sein de ses ennemis.

    Il me semble évident que, pour toute personne qui a des idées justes de la liberté et le sentiment vif de ce qu’elle inspire, il me semble démontré que l’Assemblée ne saurait plus rien faire qui ne soit funeste à cette liberté. Elle fortifiera le pouvoir exécutif, elle décrétera la rééligibilité, elle fera des lois pour limiter la liberté de la presse, elle évitera une Convention, ou elle étouffera tellement l’esprit public avant qu’elle puisse avoir lieu, que la Convention fera pis qu’elle encore. Comment les Noirs même ne conçoivent-ils pas que si notre Constitution ne se perfectionne, l’empire se démembrera nécessairement ? Mais non, ils espèrent que nous retomberons sous le joug du despotisme, et j’ai peur qu’ils n’ai raison. Que faire, dans un pareil état de choses ? S’ensevelir dans la retraite ou se dévouer comme Décius ? Car que peuvent cinq à six hommes de bien contre une légion de mauvais esprits ? Il faudrait des voix de stentor et le génie d’un dieu. Des moyens humains n’ont pas de prise sur une foule audacieuse et corrompue. N’existe-t-il donc pas, dans l’Assemblée une trentaine d’honnêtes gens capables de comprendre les bons principes, de s’entendre pour les soutenir et pour crier du moins contre les criailleurs, lorsque ceux-ci veulent arrêter la discussion et repousser la lumière ? Il faut les chercher, ces honnêtes gens, les électriser et les conduire ; il faut tolérer leur travers particuliers, leur marotte et leur médiocrité.


    Pétion s’est échauffé et n’en a que mieux parlé ; le vigoureux Robespierre et le sage Buzot ont déployé tous leurs moyens ; mais leurs cris étaient étouffés, même par les enfants de la Montagne, aussi vils aujourd’hui que des modérés. Ils criaient à l’ordre quand on parlait de citoyens passifs. Comme Tibère, ils faisaient un crime d’appeler la tyrannie par son nom. Que vous dirai-je de ces hommes médiocres, qui ne savent répondre que par des clameurs, d’imbéciles ricanements et de grossiers propos ; qui, toujours à l’affût d’une négligence, d’une répétition et d’un mot impropre, les saisissent pour entraîner a foule légère, inconsidérée des sots et des jaloux, toujours prêts à se venger, sur la raison même, de leur propre nullité ?

    J’ai le cœur navré ; j’ai fait le vœu ce matin de ne plus retourner dans cette Assemblée, où l’on se rit de la justice et de l’humanité, où cinq à six hommes courageux sont vilipendés par des furies qui veulent nous déchirer.

    Lorsque Dubois, d’André, Rabaut ont répété insidieusement qu’il n’y aurait que des mendiants qui ne seraient pas citoyens actifs, comment quelqu’un n’a-t-il pas observé que dans des villes de grande fabrique il y a un nombre considérable d’ouvriers qui, par l’effet des crises auxquelles sont exposés tous les objets de commerce et de manufacture de leur industrie, se trouvent momentanément hors d’état de supporter aucune imposition, et même réduits aux secours de passagers de l’assistance publique ? C’est ainsi qu’à Lyon, dans l’hiver de 1789, plus de vingt-cinq mille âmes furent livrées à la misère. Ces ouvriers sont cependant d’utiles et braves citoyens, d’honnêtes pères de famille, très attachés à la Constitution, très ardents à son maintien, et ils n’auraient pas le droit d’être armés pour elle ! et l’autorité arbitraire des municipalités pourra les rejeter ! Car on a aussi à Lyon l’exemple d’une précédente municipalité qui, sous le prétexte que tels ou tels n’étaient pas pou 89, sur le rôle des contributions, n’ont pas voulu les y admettre lorsqu’ils ont sollicité d’y être, afin de partager les droits de citoyens actifs.

  122. Lettres à Bancal, p. 216 ; — ms. 9534, fol. 114-115. Même adresse qu’à la lettre 415.
  123. Ce début et Lanthenas.
  124. 9 mai.
  125. Les quakers d’Angleterre.
  126. Lanthenas écrivait déjà à Bancal, en avril, en lui exposant ses plans de propagande (ms. 9534, fol. 250-251) : « Brissot va, ce matin, chez M. Lafayette pour éprouver ses intentions. Il a offert plusieurs fois de l’argent pour quelque entreprise qui tendit à garantir la Constitution contre les dangers qui de tous côtés la menacent. Si nous pouvons le déterminer pour ce projet des sociétés populaires, etc… »
  127. C’était un manuscrit considérable que Lanthenas avait rédigé à Lyon à la fin de 1790 et au commencement de 1791 ; on verra plus loin que Robespierre, à qui il l’avait communiqué, le lui perdit dans un fiacre. Il en publia depuis un résumé dans la Chronique du mois, en février 1792, et un tirage à part en avril suivant.
  128. Voir Patriote français du 4 mai : « Réflexions sur l’adresse du Directoire du département de Paris, du 26 avril, concernant le code pénal, la liberté de la presse et en général sur les droits et la nécessité des mouvements du peupls. » L’article paraît bien être de Lanthenas. — Cf. lettre suivante, du 22 mai.
  129. Thomas Clarkson (1760-1846), pasteur et publiciste anglais, un des hommes qui ont le plus contribué, avec Wilberforce, à l’abolition de la traite de nègres, pour lesquels il avait fondé, en mai 1787, la Société des Amis des Noirs. C’est par Brissot que Bancal lui avait été adressé (voir Mém. de Brissot, t. III, p. 2 et suiv.).
  130. Cette suite est de Madame Roland.
  131. Le mardi, 3 mai, on avait brûlé le pape en effigie au Palais-Royal.
  132. Le 4 mai, l’Assemblée avait rejeté un projet de décret portant qu’Avignon et le comtat Venaissin « feraient partie intégrante de l’empire français. »
  133. Il y avait deux Crillon à la Constituante : le marquis de Crillon, député de la noblesse de Troyes, et son frère, le comte de Crillon, député de la noblesse de Beauvais. Il s’agit ici du second, qui a joué un rôle bien plus effacé que le premier.
  134. Bosc ajoute, en post-scriptum : « Je n’ai rien à vous apprendre de particulier. Je suis plus mécontent que jamais de l’Assemblée, mais je ne crois pas que les circonstances extérieures soient inquiétantes. Nous vous attendons bientôt et nous raisonnerons vos projets. Je vous embrasse. L.B. »
  135. Lettres à Bancal, p. 221 ; — ms. 9534, fol. 116-118. Bancal a écrit en marge : « Rép. le 27. »
  136. Nous ne savons ce que signifie ici évidences.
  137. Voir sur les séances des Jacobins, des 11 et 13 mai, où cette question fut débattue, Aulard, t. II, p. 412-415.
  138. Baptiste-Henri Grégoire (1750-1831), curé d’Émberménil en Lorraine, député du clergé de Nancy à la Constituante, évêque de Blois, etc. On connaît son rôle depuis. Il était un des membres les plus actifs de la Société des Amis des Noirs (Mém. de Brissot, t. III, p. 89).
  139. Décret des 10-18 mai 1791. — Voir plus loin lettre du 27 mai.
  140. Dans la séance du 5 mai, l’affaire d’Avignon était revenue en discussion, et les partisans de la réunion, rejetée la veille, avaient obtenu le renvoi aux comités réunis.
  141. Lettres à Bancal, p.227 ; — ms. 9534, fol. 119-122. — En marge, de la main de Bancal « Rép. le 27 »
  142. Ce qui suit est de Lanthenas.
  143. Voir Patriote français du 17 mai : « Manuscrit perdu. M. Robespierre a laissé, dans un fiacre qu’il a pris à 9 heures et demie du soir, jeudi 12, sur le quai des Augustins, un manuscrit sur la Liberté indéfinie de la presse et sur les Sociétés populaires. Il prie les bons citoyens qui pourraient en avoir entendu parler de le lui faire retrouver. Il donnera une récompense à ceux qui se seront donné quelque peine pour cela.

    « On s’adressera à lui, rue Saintonge, au Marais, n° 8, ou bien chez M.F. Lanthenas, rue Guénégaud, hôtel Britannique, faubourg Saint-Germain. La dernière partie de ce manuscrit a été lue au Cercle social par M.C. Fauchet. On espère que les patriotes s’intéresseront à ce qu’il ne soit point perdu. »

    C’est sans doute en sortant d’une des réunions qui se tenaient chez Madame Roland (la rue Guénégaud débouchant tout près du quai des Grands-Augustins) que Robespierre avait perdu le manuscrit de Lanthenas. La veille (11 mai), il avait précisément lu aux Jacobins un long discours pour soutenir que « la liberté de la presse doit être entière et indéfinie, ou elle n’existe pas ». (Aulard, Jacobins, II, 396-411).

  144. Lanthenas eut, en effet, le courage de recommencer, et son opuscule fur imprimé moins d’un mois après, sous ce titre : « De la liberté indéfinie de la presse et de l’importance de ne soumettre la communication des pensées qu’à l’opinion publique, adressé et recommandé à toutes les Sociétés patriotiques, populaires et fraternelles de l’Empire français, par F. Lanthenas, docteur-médecin, citoyen français. — Paris, chez Visse, libraire, rue de la Harpe, et Desenne, libraire, au Palais-Royal, 17 juin 1791 ; in-8o de 38 pages, de l’imprimerie du Patriote français, place Théâtre Italien. — Cf. Patriote des 10 juin, 24 juillet, 12 août 1791.

    Il refit également son travail sur les Sociétés populaires. — Voir note de la lettre 422.

  145. Creuzé-Latouche.
  146. Ms. 6241, fol. 55-58. — Voir Révolution française du 14 août 1895.
  147. Le décret du 29 mars, qui avait pourvu provisoirement aux moyens d’assurer, par des sols additionnels, le service des dettes municipales, mais sans rien spécifier pour Lyon, n’avait pas, dès lors, arrêté les revendications particulières de cette ville, et Roland les poursuivait avec ténacité. (Voir Wahl, p. 350 et suiv.)
  148. Delandine (voir note de la lettre du 13 janvier 1787) ; — député du Tiers du Forez, il avait qualité pour s’occuper des affaires du département de Rhône-et-Loire dans lequel le Forez était compris. Bien qu’il votât d’ordinaire avec la droite constitutionnelle, il avait gardé d’excellentes relations avec Roland.
  149. Décret du 27 mai concernant la répartition entre les 83 départements des 300 millions de contribution foncière et mobilière pour 1791. « Rhône-et-Loir, écrit Roland à Champagneux le 28 mai, vient le quatrième pour la charge (8,254,100tt) » (Ms. 6241, fol. 53-54.)
  150. Voir Wahl, p. 350-351, sur l’éloquent rapport présenté, le 19 mai, par Champagneux au Conseil général de la commune de Lyon pour sauver, en le prenant en régie municipale, l’Hôpital-général de Lyon, ruiné par la suppression des octrois, sa plus importante ressource.
  151. La ville demandait un secours immédiat de 3 millions. (Voir lettre suivante).
  152. Décret des 10-18 mai 1791, relatif au droit de pétition et qui fixe les cas où les citoyens pourront requérir la convocation de la commune : « Le droit de pétition appartient à tout individu et ne peut être délégué ; en conséquence, il ne pourra être exercé en nom collectif par les corps électoraux, judiciaires, administratifs et municipaux, etc. » (Article 1er)

    C’est le Directoire du département de Paris qui avait provoqué ce décret. — Cf. lettre 423.

  153. Ms. 6241, fol. 63-64. — Cette copie est de la main de Madame Roland. Il se peut que la rédaction soit aussi d’elle et, dans le doute, nous avons cru devoir donner la pièce.
  154. Disons ici, pour n’avoir pas à y revenir, que les démarches de Roland ne furent pas entièrement infructueuses ; il obtint une avance immédiate de 300,000 livres pour l’Hôtel-Dieu, de 50,000 livres pour l’œuvre des Enfants trouvés. Plus tard, en octobre, après son retour à Lyon, l’État alloua encore 450,000 livres à la ville (Wahl, p. 403). — Enfin, sous son premier ministère, en avril 1792, un décret attribua à Lyon, à titre d’avance, une somme de 1,693,580 livres, montant des arrérages dus à ses créanciers, plus 500,000 livres remboursées à M. Régny, receveur municipal (Patriote français du 29 avril 1792).

    Nous avons dit, en outre, que le décret du 5-10 août 1791 fit passer au compte de l’État 33 millions (sur 39) de la dette lyonnaise, mesure générale dont on voit que Lyon bénéficia largement.

  155. Ms. 6241, fol. 65-66. — Même remarques que pour la lettre précédente.
  156. Ms. 6241, fol. 71-72 (Voir Révolution française du 14 août 1895.)
  157. Cette lettre vient, dans le manuscrit, en post-scriptum à une lettre de Roland, que nous ne croyons pas devoir reproduire ici (C’est un règlement de comptes au sujet de ses frais de mission, et qui n’offre aucun intérêt.)
  158. La fin manque au manuscrit.
  159. Patriote français du 12 juin 1791 (n° dclxxiii. — Ceci est moins une lettre qu’un article de journal. Brissot, se préoccupant des élections pour la Législative, écrivait : « Pour discuter avec méthode les candidats, il faut se faire une idée nette des qualités que l’on doit exiger des législateurs futurs ; et, avant de donner nos idées à cet égard, nous croyons devoir présenter celles d’une de nos abonnées dont les réflexions ont plus d’une fois orné ce journal. » Suit le morceau que nous publions. — L’allusion si claire de Brissot et le ton de l’article ne permettent pas de douter qu’il soit de Madame Roland.

    L’article fut reproduit par Camille Desmoulins dans ses Révolutions de France et de Brabant (n° 81).

    Desmoulins, malgré quelques épigrammes, faisait encore campagne avec Brissot, et Lanthenas, lié avec l’un et l’autre, louait encore Desmoulins dans le Patriote du 6 novembre 1791.

  160. Ms. 9534, fol. 195-196. — Ce billet, par les indications qu’il contient, ne peut se placer qu’en juin 1791, pendant le court passage de Bancal à Paris. Les décrets de 27 et 28 mai, convoquant « la première Législature » et invitant les assemblées primaires à se réunir du 12 au 25 juin, l’avaient décidé à revenir pour se présenter aux électeurs du Puy-de-Dôme. Dès le 28 mai, Lanthenas lui écrivait : « Il est infiniment important, si vous voulez vous faire nommer, que vous arriviez promptement » (ms. 9534, fol. 245-2456). Une lettre de la collection Picot nous montre qu’il était encore à Londres le 2 juin. Il dut arriver à Paris peu après, mais s’y arrêter for peu, pressé d’aller à Clermont. Nous voyons d’ailleurs, par la lettre 432, qu’à la date du 20 juin il avait déjà quitté Paris.
  161. M. Pierre un des secrétaire-commis de l’Assemblée nationale. Nous ne savons quel est l’ouvrage que Bancal faisait disrtribuer.
  162. Aux Jacobins.
  163. Lettre à Bancal, p. 336.

    Ce fragment n’est pas daté. Mais on voit, en le lisant, qu’il a été écrit peu de temps après le passage de Bancal à Paris, à son retour de Londres. Il faut donc le placer un peu avant la lettre du 20 juin 1791.

  164. Lettres à Bancal, p. 231 ; — ms. 9534, fol. 123-125.
  165. Rue du Petit-Bourbon, n° 15, près Saint-Sulpice, chez le notaire Bro, son parent.
  166. Nous rencontrons ici pour la première fois le nom de Robert ; qui, après avoir été d’abord en bonnes relations avec les Roland, devint un de leurs ennemis les plus acharnés.

    Pierre-François Robert (1763-1826) eut un rôle très actif à Paris, dès 1789, comme agitateur et journaliste. Marié à Mlle  Louise de Keralio (1758-1821), qui ne mettait pas une ardeur moindre au service de la Révolution, il fut un des premiers, avec elle, à demander la République. Dès le 19 décembre 1790, le Patriote français annonçait : « Le républicanisme adapté à la France par F. Robert, membre de la Société des Amis de la Constitution de Paris, in-8o de 14 pages ». Cf. Aulard, Histoire politique de la Révolution française. Membre du club des Jacobins et du club des Cordeliers, compromis dans l’affaire de la pétition du Champ-de-Mars, il fut député de Paris à la Convention.


    Madame Roland, dans ses Mémoires (I, 163-171), traite fort mal Robert et sa femme.

    Dans la séance des Jacobins du 17 décembre 1792, Robert prononça contre Roland un long discours qui, disent Buchez et Roux, « est l’acte d’accusation le plus complet qui ait été dressé contre Roland et son parti ». (Discours sur l’état actuel de la République, Lille, 1792, 31 p. in-8o) — Cf. Aulard, Jacobins, IV, 595.

  167. Éd.-P. Bridel, fils d’un avocat de Chartres, avait été camarade de collège de Brissot ; mal traité par son père, il était allé s’établir professeur de français à Londres ; lorsque Brissot, en 1784, fut mis en prison pour dettes à Londres, Bridel lui rendit les services les plus affectueux (Mém. de Brissot, II, 303). Il faisait campagne avec ses généreux quakers qui ont exercé une influence si curieuse, au debut de notre Révolution, sur Brissot, Lanthenas, Bancal et leurs amis. Voir Patriote français du 1er avril 1791, aux annonces : « Histoire abrégée de l’origine et de la formation de la Société des quakers, par Guillaume Penn, traduit par M. Bredel (sic) ; in-12 de 200 pages, Paris, Legras, libraire rue Dauphine » – Voir Quérard, France litt., articles Bridel et Penn
  168. Voir, sur ces conflits de juin 1791 entre la municipalité de Lyon, conduite par les amis de Roland, et les deux Directoires du département et du district, Wahl, p. 372-382.
  169. Il n’y eut jamais de sympathie entre Condorcet et les Roland, ainsi qu’on va le voir d’ailleurs par une des lettres suivantes (1er juillet 1791). Peut-être se souvenait-on, de part et d’autre, d’avoir eu en 1781, à propos des Arts que publiait Roland, des rapports assez difficiles (voir Appendice G.). Nous les trouverons pourtant quelques jours après cette lettre, plus ou moins alliés dans l’affaire du Républicain. Mais l’éloignement réciproque resta la note dominante. — Voir dans Robinet, Condorcet, sa vie, son œuvre, Paris, 1894, passim, et surtout la lettre si malveillante pour Madame Roland publiée par la Chronique de Paris le 22 février 1793. Cf., par contre, la page injuste des Mémoires de Madame Roland sur Condorcet. (I, 283-284).
  170. Le mot est détruit par la déchirure du cachet.
  171. Cette ligne a été biffée, probablement par Bancal plus tard, puis rétablie de la main de sa fille Henriette.
  172. Lettres à Bancal, p. 238 ; — ms. fol. 126-128.
  173. Briois de Beaumetz, député de la noblesse d’Arras.
  174. Duport-Dutertre.
  175. Tout le passage que nous mettons entre crochets a été biffé dans l’autographe, évidemment à une date postérieure.
  176. C’est la première fois que Madame Roland nomme Danton. Par un ressouvenir de l’orthographe du nom avant le décret du 19 juin 1790, elle écrit « dAnton ». De même à la lettre 448.
  177. Voir le procès-verbal de cette séance dans Aulard, Jacobins, II, 531-538.
  178. Le mot a disparu dans une déchirure du papier.
  179. Lettres à Bancal, p. 245 ; — ms. 9534, fol. 129-130.
  180. Probablement chez Petion. Cf. Mém., I, 60. — Le nom de Robespierre a été biffé sur l’autographe, probablement par Bancal, mais reste cependant lisible et a d’ailleurs été rétabli au bas de la page de la main de Henriette Bancal.
  181. Voir dans Aulard, Jacobins, II, 538-544, le compte rendu de cette séance.
  182. Les mots entre crochets ont été biffés sur l’autographe, et rétablis de la main de Henriette Bancal.
  183. Probablement à la « Société fraternelle des Patriotes des deux sexes, séant aux Jacobins ». — Voir, sur ces Sociétés, Tourneux, 10023-10049, et Aulard, Jacobins, Table générale.
  184. Lettres à Bancal, p. 248 ; — ms. 9534, fol. 131-132.
  185. Ce nom, ainsi que les mots mis entre crochets dans les quatre lignes suivantes, ont été biffés sur l’autographe, puis rétablis de la manière que nous avons déjà dite.
  186. Louis-Marie, vicomte de Noailles (1756-1804), député de la noblesse du bailliage de Nemours. On connaît son rôle dans la nuit du 4 août 1789 et sa mort glorieuse à la Havane. Beau-frère de Lafayette, il était alors engagé plus avant que lui dans la Révolution. Madame Roland le nomme (Mém., cahier Brissot, inédit) parmi ceux qui se réunissaient chez elle. Envoyé à Colmar pour y apaiser une sédition (il était colonel du régiment des chasseurs d’Alsace), il en était revenu au moment de la fuite du Roi (Aulard, Jacobins, séance du 22 juin 1791 : « M. Chépy annonce le retour de M. de Noailles à Paris [on applaudit]… » ; séance du 23 juin : …« M. de Noailles entre dans l’assemblée et est applaudi de toutes parts… »).
  187. Jean-Antoine de Castellas (1735-1801), député du clergé de Lyon à la Constituante. — Madame Roland doit faire erreur ici. Ce qu’on sait du rôle de Castellas ne permet guère de se le représenter allant aux Jacobins.
  188. Voir dans Aulard, II, 344-348, le compte rendu de cette séance, où la faction d’Orléans chercha, en effet, à profiter du désarroi causé par la fuite de Louis XVI. Remarquons une fois pour toutes que ces lettres complètent utilement les comptes rendus publiés par M. Aulard. Dans celui du 23 juin, par exemple, il n’est question en aucun endroit de Robert et de sa motion républicaine.
  189. Jacques-Guillaume Thouret (1746-1794), député du Tiers de Rouen.
  190. Décret du 24 juin 1791, ajournant les opérations électorales prescrites par la loi du 28-29 mai précédent en vue de la première législature.
  191. Le comte de Latour-Maubourg (1756-1831), député de la noblesse du Puy, compatriote et ami de Lafayette, avait été, avec Barnave et Petion, envoyé par l’Assemblé pour ramener Louis XVI à Paris. Il émigra avec Lafayette le 18 août 1792.
  192. Notons ici la première mention du nom de Marat.
  193. Sur l’Orateur du peuple, de Fréron, voir Hatin, p. 183.
  194. Ms. 6241, fol. 75-76. — La première partie de la lettre est de Roland (suites de l’affaire de Varennes ; Louis XVI « est démontré coupable ou imbécile ; il faut le punir ou le déclarer en démence ». — Affaires de Lyon ; Choix des électeurs de Lyon ; Roland s’en inquiète). — Nous ne donnons ici que le post-scriptum, qui est de Madame Roland.
  195. Il y avait, à Villefranche, deux clubs des Amis de la Constitution : l’un, affilié à la Société de Paris, et où étaient les amis de Roland ; l’autre, non affilié, « tenant ses séances chez Maurin », et dont Pein était président. — Voir une lettre intéressante écrite à Madame Roland, le 13 avril 1791, par une de ses amies de Villefranche (Mme  Braun), et publiée par nous (Révolution française d’août 1896 : « Une entrée épiscopale en 1791 »).
  196. Électeurs de Villefranche, 1re section : Pein, homme de loi ; Dachot fils, Deschamps-Arnaud, Vatout, Constant aîné ; 2e section : Varenard, procureur syndic du district, Canet cadet, Pique, Corcevay père (Almanach de la ville de Lyon et du département de Rhône-et-Loire, 1792).
  197. Voir, sur la conspiration des Guillin, les lettres 394 et 396.
  198. Varenard. — Voir lettre 388.
  199. Roland.
  200. Lettres à Bancal, p. 259 ; — ms. 9534, fol. 143-135.
  201. La limite fut vite franchie. Moins de trois mois après, Roland écrira à sa femme (ms. 6240, fol. 262-263), le 12 septembre 1791 :

    « On vient d’exposer en vente, contre les murs de la Monnaie, une gravure représentant le Grand Couvert ; Gargantua est à table ; d’un côté, la famille ; de l’autre, sa femme, debout, lui tenant la tête d’une main et recevant, de l’autre, dans un grand verre, le sang d’un homme qu’égorge le boucher de Nancy, pour le faire boire à Gargantua, qui à déjà la bouche ouverte ; et elle, avec un air atroce, prononce ces mots : « Que ce verre ne peut-il me servir de baignoire ! » C’est la plus terrible apostrophe, la plus horrible caricature qu’on ait encore faite ; on frémit en la considérant… »

  202. Les mots entre crochets sont biffés dans l’original, mais restent lisibles.
  203. Ce qui suit est de Lanthenas.
  204. Turpin (Gérard-Maurice), agent des créances du Trésor public, rue Royale, butte Saint-Roch, n° 18 (Almanach royal de 1792, p. 679, et Tuetey, III, 447, 1906, 2254).
  205. Une pièce de la collection Picot nous apprend qu’Addington était un des Anglais de la société que Bancal avait fréquentée à Londres, et pour lequel il s’était chargé de faire nous ne savons quels recouvrements à Paris.
  206. « De la liberté indéfinie de la presse et de l’importance de ne soumettre la communication des pensées qu’à l’opinion publique, par F. Lanthenas, docteur médecin, citoyen français », 17 juin 1791, 37 pages in-8o (avec un post-scriptum du 23 juin) ; à l’imprimerie du Cercle social ; Visse et Desenne, libraires.
  207. Bosc a ajouté : « Me voilà de retour, mais très occupé. Je vous écrirai sous peu. Je vous embrasse. Louis Bosc. »
  208. Lettres à Bancal, p. 265 ; – ms. 9534, fol. 136-138. Pas d’adresse ; mais, dans un coin : « H. Bancal. »
  209. Brissot n’y mit pas tant de précautions. — Voir Patriote français du 3 juillet 1791 : « Extrait de la motion de Jean-Henri Bancal, faite à la Société des Amis de la Constitution [de Clermont], les 23 et 24 juin 1791. » (Bancal y proposait la déchéance du Roi.)
  210. Le nom est biffé au manuscrit, mais reste lisible, et a d’ailleurs été rétabli de la main de Henriette Bancal.
  211. Voir sur cette manifestation républicaine, si remarquable par sa date, et sur l’orage qu’elle excita dans l’Assemblée, tous les historiens de la Révolution. Cf. Patriote français de 2 et 14 juillet 1791 ; Beaulieu, II, 509 ; Mémoire de Madame Roland, I, 60-61 : « Le projet du journal intitulé Le Républicain (et dont il n’y a eu que deux numéros) fut alors imaginé. Dumont le Genevois, homme d’esprit, y travaillait ; du Châtelet, militaire, y prêtait son nom, et Condorcet, Brissot, etc., se préparaient à y concourir. » — Il y eu plus de deux numéros. Deschiens (p. 105) dit en posséder quatre. Hatin (p. 215) dit que la Bibliothèque nationale a les trois premiers, et donne quelques détails. Le prospectus du journal, signé « Achille Duchastellet », avait été affiché, dans la matinée du 1er juillet, jusqu’à la porte et dans les corridors de l’Assemblée, et c’était ce qui motiva la motion de Malouet. On s’accorde à penser que Thomas Paine l’avait rédigée.

    Quant au hardi signataire de la pièce, Achille-François du Chastellet, le dernier descendant des Urfé, il faut saluer en lui un des généreux adeptes de la Révolution. Né en 1759, il avait fait les campagnes d’Amérique, de 1780 à 1783, comme aide de camp de Bouillé ; en octobre 1789, il était aide de camp de Lafayette, et avait servi d’intermédiaire pour une tentative de rapprochement entre ses deux chefs (Mémoire de Bouillé, édit. Barrière, p. 144). La Révolution le fit maréchal de camp le 19 mars 1792 ; grièvement blessé devant Courtrai, le 24 juin suivant, lieutenant général le 7 septembre, il faillit être ministre de la guerre (séance de la Convention du 4 février 1793, 216 voix données à du Chastellet contre 356 à Beurnonville). Mais, en raison de ses liaisons avec les Girondins, il fut arrêté le 15 septembre 1793 et écroué à la Force, où il s’empoisonna le 20 mars 1794. Champagneux, qui fut son compagnon de captivité, parle de lui avec admiration. — Voir aussi Ét. Dumon, Souvenirs sur Mirabeau, chap. xiii, xvi, xxi. Un livre récent (Achille-François de Lascaris d’Urfé, marquis du Chastellet, lieutenant général des armées de la République, 1759-1794, par A. David de Saint-Georges, Dijon, 1896, in-8o) renferme, à travers beaucoup de disgressions et de hors-d’œuvre, des renseignements d’un réel intérêt.

  212. Très probablement Lebrun-Tondu, le futur ministre du 10 août. — Il collaborait alors, avec Robert et sa femme, au Mercure national et étranger (Tourneu, 10660).
  213. Joseph Servan, dont nous avons déjà parlé (note de la lettre du 30 décembre 1790), avait été pendant quelque temps, avant la Révolution, sous-gouverneur des pages de Louis XVI. Il était le frère cadet d’Antoine Servan, procureur général au Parlement de Grenoble de 1764 à 1772, célèbre comme orateur et comme publiciste, mais qui, après avoir appelé la Révolution, commençait à ne plus la suivre.
  214. Ms. 6241, fol. 79-80.
  215. La première partie de la lettre est de Roland. M. Faugère en a cité une partie dans son édition des Mémoires (I, 354). Nous n’en donnons que le paragraphe qui motive le post-scriptum de Madame Roland.
  216. Allusion à la célèbre chanson rustique de la région lyonnaise :

    La Pernette se lève
    Trois heures avant le jour…

  217. Lettres à Bancal, p. 271 ; — ms. 9534, fol. 139-140.
  218. Lanthenas et Roland, qui logeaient ensemble.
  219. Voir dans Aulard, Jacobins, t. II, p. 596-598, le compte rendu de cette séance.
  220. Lettres à Bancal, p. 275 ; — ms. 9534, fol. 141-142. Bancal a mis en marge : « Rép. le 16. »
  221. Voir dans Aulard, Jacobins, t. II, p. 606-607, le compte rendu de cette séance, où Goupil de Préfelne, député du Tiers du bailliage d’Alençon, n’est désigné que sous son nom patronymique de Goupil. On trouve à la suite (p. 608-626) le discours de Brissot « sur la question de savoir si le Roi peut être jugé », discours qu’on trouvera aussi au tome IV de ses Mémoires, éd. Montrol. Remarquons ici, une fois pour toutes, que ces comptes rendus, tirés des journaux du temps, sont singulièrement pâles et incohérents à côté des vibrants récits de Madame Roland.
  222. Lettre à Bancal, p. 278 ; — ms. 9534, fol. 143-145. Bancal a mis en marge : « Rép. le 19. »
  223. Les Révolutions de Paris, n° 105, p. 31, rendent compte des deux cérémonies. À celle de Notre-Dame, célébrée le 13 juillet, « on a éxécuté, pour la seconde fois, l’hiérodrame tiré des livres saints et dont le sujet est la prise de la Bastille ». Les paroles et la musique étaient du compositeur Marc-Antoine Désaugiers (le père du chansonnier). On entendit ensuite un violent discours du père Hetvier, et « un Te Deum, de Gossec, termina cette fête civico-religieuse », à laquelle La Fayette assistait. — Le 14, les corps constitués se rendirent de la place de la Bastille, par les Boulevards, au Champ de Mars, où Gobel dit la messe sur l’autel de la patrie, dont un des bas-reliefs représentait « le triomphe de Voltaire ».
  224. Caldaguez était un imprimeur, rue Bertin-Poirée. Il s’agissait de lui faire réimprimer les « réflexions » que Bancal avait fait voter par la Société des Amis de la constitution de Clermont, les 23 et 24 juin, pour proposer la République, sans toutefois en prononcer le nom, et, le 3 juillet, contre le décret du 24 juin qui ajournait les élections législatives. — Voir au ms. 9534, fol. 256, une lettre de Lanthenas à Caldaguez, du 13 juillet, sur cette affaire ; cf. lettres 440 et 443, ainsi que la lettre 446, qui nous apprend que la réimpression n’eut pas lieu.
  225. Le passage que nous mettons entre crochets a été bâtonné dans l’autographe.
  226. Lettres à Bancal, p. 285 ; — ms. 9534, fol. 146-147. — Bancal a écrit en marge : « Rép. le 19. »
  227. Voir, sur cette séance des Jacobins du 15 juillet, Aulard, Jacobins, t. III, p. 14-20. — Cf. Mém. de Brissot, IV, 342-344, « Projet de défense devant le Tribunal révolutionnaire en réponse au rapport d’Amar ».
  228. D’après Brissot, il y aurait eu deux pétitions différentes : 1° l’une, rédigée par lui, dans la matinée du 16, au nom d’une commission de six membres dont faisaient partie Laclos, Réal et Lanthenas (Les Mém. de Brissot disent Lanthunat, mais c’est une faute d’impression évidente), et que Laclos aurait aussitôt portée aux Jacobins, mais après y avoir ajouté de son chef une phrase demandant à mots couverts un changement de dynastie ; 2° une autre, rédigée au Champ de Mars, le 17, par Robert et Bonneville, et c’est celle là qui aurait été signée sur l’autel de la patrie. Nous n’avons pas à discuter ici le détail des circonstances, parfois contradictoires, de ces journées de 15, 16 et 17 juillet. Bornons-nous à constater que le récit de Brissot concorde avec ce qu’écrit Madame Roland dans ses deux lettres du 16 et du 17 et avec ce qu’elle écrira plus tard dans ses « Observations rapides sur l’acte d’accusation des députés par Amar » (Mém., I, 293.)
  229. Sur la société des Nomophiles, « composée des deux sexes », séant au marché Sainte-Catherine, voir Tuetey, III, 3054, 3055, et Aulard, Jacobins, séances des 27 juillet 1791, 10 février et 23 mars 1792.
  230. Secondes réflexions sur l’institution du pouvoir exécutif, par Jean-Henri Bancal, lues à la Société des Amis de la Constitution de Clermont-Ferrand, le 3 juillet 1791, Clermont, 24 pages in-8o. — Cf. le début de la lettre 440.
  231. Lettres à Bancal, p. 288 ; — ms. 9534, fol. 148-151.
  232. Choderlos de Laclos (1741-1803), l’auteur des Liaisons dangereuses et l’âme damnée du duc d’Orléans, trop connu pour qu’il y ait lieu de rappeler ici son rôle pendant la Révolution. Il suffira de renvoyer, pour voi avec quelle sévérité Madame Roland la jugeait, aux Mémoires, t. I, p. 62-63, etc.
  233. Décret du 16 juiller, prévoyant les cas où le Roi serait censé avoir abdiqué.
  234. Les mots que nous mettons entre crochets ont été biffés dans l’autographe, puis rétablis de la main de Henriette Bancal.
  235. Lettres à Bancal, p. 296 ; — ms. 9534, fol. 152-153.
  236. Nous rencontrons ici pour la prémière fois le nom de Garat, qui reviendra si durement traité dans les lettres de 1793. Il appartient trop à l’histoire générale, pour que nous lui consacrions une notice détaillée. Il suffira de rappeler que Dominique-Joseph Garat (1749-1833), littérateur et journaliste avant 1789, député du Tiers du baillaige d’Ustaritz, puis ministre de la justice le 9 octobre 1792, ministre de l’intérieur du 19 mars au 19 août 1793, membre de l’institut, du Conseil des Anciens, du Sénat conservateur, comte de l’Empire, etc., fut un des parleurs les plus diserts et des caractères les plus faibles de la Révolution.
  237. Faydel, député du Tiers du Quercy (1744-1827). — Voir, sur son rôle à la séance des Jacobins du 18 juillet, Aulard, Jacobins, t. III, p. 35-35.
  238. Le comte de Montmorin-Saint-Hérem, qui avait succédé à Vergennes, en 1787, au Ministère des affaires étrangères, qu’il garda jusqu’au 20 novembre 1791. Masacré à l’Abbaye le 2 septembre 1792.

    Voir sur « le Postillon, par Calais », et ses nombreuses contrefaçons, Tourneux 10429. et Hatin, p. 185-186.

    Regnault (1761-1819), député du Tiers de Saint-Jean-D’Angély, un des orateurs et de journalistes du parti constitutionnel, bien connu par son rôle considérable auprès de Napoléon.

    L’Argus patriote (8 juin 1791-26 mai 1792) était, en effet, rédigé par l’impudent Morande, sur lequel nous ne pouvons que renvoyer au livre de M. Paul Robiquet (Théveneau de Morande, Paris, Quantin, 1882).

    L’Ami des Patriotes, 27 novembre 1790 août 1792 (Tourneux, 10593, et Hatin, p. 157 ; Beaulieu, II, 45), rédigé d’abord par Duquesnoy, puis par Regnault de Saint-Jean-d’Angély et Blin. — Adrien-Cyprien Duquesnoy, 1759-1808, était député du Tiers du bailliage de Bar-le-Duc.

  239. Cf. Mémoires, t. I, p. 164-165.
  240. C’est la pétition des Amis de la Constitution de Clermont-Ferrand, du 14 juillet contre le décret du 24 juin qui avait ajourné les élections. — Voir Patriote français du 20 juillet.
  241. C’est la première fois que Madame Roland nomme Biauzat, mais il a déjà été question (voir lettre du 28 avril 1791) de ce compatriote de Bancal. — Gaultier de Biauzat, 1739-1815, député du Tiers de Clermont-Ferrand, était en effet un des membres les plus actifs non seulement de l’Assemblée, mais aussi des Jacobins (voir Aulard, Jacobins, t. II, et t. III, passim). Il fut, en juillet 1791, un des chefs de la scission des Feuillants, ce qui ne l’empêcha pas, en septembre, de reparaître aux Jacobins. – Voir sur lui Fr. Mègre, Les fondateurs du « Journal des débats » en 1789 (in-8°, 1865).
  242. Lettres à Bancal, p. 301 ; — ms. 9534, fol. 154-155.
  243. Brissot était électeur de la section de la Bibliothèque [depuis des Filles-Saint-Thomas Filles-Saint-Thomas, puis Lepelletier] ; il demeurait rue de Grétry, n° 34 (Alm. royal de 1791) ou n° 2 (Alm. de 1792). C’est probablement la même adresse, avec un numérotage différent.
  244. Bancal se préparait à venir à Paris apporter les réclamations des « citoyens libres » de Clermont contre le décret qui ajournait les élections. « Il provoque, le 19 juillet, une nouvelle réunion des membres de la Société populaire et des citoyens patriotes de Clermont-Ferrand ; et là, il se fait donner une délégation expresse avec mission d’aller à Paris présenter à l’Assemblée nationale une seconde pétition plus explicite et plus énergique que la première [celle du 14]. Suit le texte de la délibération et de la pétition (Mègre, p. 42-43.) — Le 28 juillet, il se présenta à la barre de l’Assemblée, qui, après avoir entendu la pétition, puis « un violent réquisitoire » de Biauzat contre les pétitionnaires et leur délégué qualifiés par lui d’intrigants, vota le renvoi au Comité des recherches « pour en faire punir les auteurs ».(Ibid) Il est vrai que, le 13 août, à la demande de Biauzat lui-même, elle rapporta un décret. (Voir les pièces de l’affaire dans Mègre, p. 179-190.) — C’est ce voyage de Bancal à Paris qui explique l’interruption de la correspondance entre le 22 juillet et le 30 août.
  245. Lettres à Bancal, p. 306 ; – ms. 9534, fol. 156-157.
  246. Voir dans Aulard, Jacobins, t. III, p. 44-45, le compte rendu de cette séance du 20 juillet.
  247. Nom biffé et rétabli de la main de Henriette Bancal.
  248. Lettres à Bancal, p. 310 ; — ms. 9534, fol. 158-159.
  249. Gauthier, lire Gautier, le principal rédacteur du Journal général de la Cour et de la ville, 15 septembre 1789 - 10 août 1792 (Tourneux, 10323-10328, et Hatin, p. 134-136). Ce journal est, dit Hatin, « sinon pour la forme, au moins pour le fond, le digne pendant des Actes des Apôtres, dont il partagea quelque temps la vogue ». Cf. Tuetey, III, 5775.
  250. François-Louis Suleau, un des principaux rédacteurs des Actes des Apôtre, égorgé le 10 août 1792.
  251. Ms. 6241, fol. 92-93. — Voir Révolution française du 14 août 1895.
  252. Il semble par cette lettre, rapprochée de celle du 14 août suivant, que Champagneux ait demandé à Madame Roland de lui envoyer, nous ne saurions dire pour quel objet, quelque invocation ou prière à la façon du vicaire savoyard. — Voir ms. 6241, fol. 81-82, une lettre de Roland à Champagneux, du 8 juillet 1791, sur le même sujet : « Notre femme a été un peu effarouchée de la tâche, etc… ».
  253. Les quatre députés du Tiers, de Lyon.
  254. La commune de Lyon demandait à aliéner des immeubles de l’Hôpital général (Wahl, 352-353) et particulièrement des terrains situés au Brotteaux, de l’autre côté du Rhône, pour pourvoir aux besoins immédiats de cette maison. Quant à « la grande affaire », c’était l’objet même de la mission de Roland, à savoir : la nationalisation de tout ou partie de la dette lyonnaise et l’avance immédiate de deux ou trois millions. Roland venait encore d’écrire au président de l’Assemblée nationale, le 19 juillet, pour cet objet (n° 384 de la collection J. Gallois, vendue le 11 juillet 1844 et jours suivants. Charon et Techener experts, lettre de la main de Madame Roland, signée par son mari, 3 pages in-folio).
  255. Décret du 8 juillet 1791, qui accorde provisoirement des fonds pour les besoins des hôpitaux. Sur les trois millions alloués par l’Assemblée pour cet usage, la commune de Lyon allait demander trois cent mille livres (29 juillet), et Roland allait les lui obtenir (Wahl, 402-403).
  256. À Lyon, comme à Clermont, le parti avancé lançait des adresses à l’Assemblée pour demander la déchéance du Roi. Le 15 juillet, la municipalité de Lyon avait envoyé une adresse très hardie, sans l’avoir lue, d’ailleurs, en séance (mais elle existe au registre). Arrivant à Paris avant l’affaire du Champ de Mars, cette manifestation devenait une imprudence, qu’on essaya de réparer par une autre adresse, plus constitutionnelle, du 25 juillet (Wahl, 397-398).
  257. Il s’agit évidemment de Jacques-Louis Chaumont de La Millière, Intendant des finances, qui, malgré la suppression des Intendants, continuait à diriger le service des Ponts et Chaussées (nous ne savons au juste de quel pont du Rhône il est question). — Arrêté en août 1792 (Tuetey, IV, 3876) et maintenu en prison pendant la Terreur (Mémoires sur les prisons, collection Berville et Barrière, t. II, p. 1), il ne paraît pas avoir fait preuve d’héroïsme (P.V.C., 16 octobre 1793).
  258. Ms. 6241, fol. 96-97. — Voir Révolution française du 14 août 1895.
  259. La Société des Amis de la Constitution de Lyon, qui avait d’abord siégé au quai Saint-Clair, mais qui, depuis la fin de 1790, s’était transportée à la Salle du Concert (place des cordeliers), ce qui fait qu’on l’appelait le plus souvent la Société du Concert. Madame Roland la trouvait bien tiède, et, avec Lanthenas, inclinait depuis longtemps vers la Société populaireou Club Central, constituée avec les délégués de trente et un clubs de quartier (Wahl, 227-228).
  260. Elle fut lue aux Jacobins, le 25 juillet, par une députation de la Société fraternelle (Aulard, t. III, p. 54).
  261. Lettre autographe de Madame Roland, signée par son mari, au Comité des finances [de Lyon], Paris, 23 juillet 1791, 2 pages 1/2 in-4o. — Il mande qu’il a été décidé que chaque commune payerait ses dettes. Le travail à faire sera long. « On craint une subversion générale, peut-être une guerre civile, peut-être pis que les horreurs qui en sont la suite. » — N° 126 de la vente du 7 novembre 1876, Ét. Charavay ; n° 28169 du Bulletin d’autographe n° 191 de la maison Ét. Charavay.
  262. « Lettre de J. Petion à ses commettants sur les circonstances actuelles [18 juillet 1791], impr du « Patriote français », s.d., in-8o, 11 pages » (Tourneux, 3061.)
  263. Ms. 6241, fol. 98-99. — Voir Révolution française de 14 août 1895.
  264. Décret du 30 juillet 1791.
  265. Voir note de la lettre du 20 juillet 1791.
  266. Sur cette prétendue arrestation de Roland, inventée par ses ennemis de Lyon et répétée à Villefranche, voir la lettre de Madame Roland à Robespierre, du 27 septembre 1791, et la lettre à Bancal, du 24 septembre.
  267. Voir note 2 de la lettre 449.
  268. Cette lettre manque.
  269. Ms. 6241, fol. 105. — Voir Révolution française, du 14 août 1895. — M. Faugère avait cité deux lignes de cette lettre dans son édition des Mémoires, en 1864 (I, 61).
  270. Cette lettre débute par deux pages de Roland ayant uniquement rapport à sa mission. Nous ne les donnons pas. Pour les prières, voir lettres précédentes de 22 et 31 juillet. — Les deux « morceaux » envoyés par Madame Roland à Champagneux nous manquent. Mais il semble bien que ce soient : 1° La Lettre de Petion à ses commettants, dont elle lui a déjà parlé ; 2° La brochure de Brissot, « Réponse de J.-B. Brissot à ses calomniateurs », qui venait précisément de paraître (10 août 1791).
  271. Du Républicain. — Voir note de la lettre du 1er juillet 1791 (2e lettre).
  272. Roland écrivait de son côté, le 3 septembre, à Champagneux (ms. 6241, fol. 122-123) : « …N’oubliez rien pour notre ami Servan. Vous l’avez bien jugé. C’est un excellent patriote, qui a véritablement l’esprit et les talents de la chose. Il a d’ailleurs une énergie très sympathisante avec ceux qui marchent droit au but, dans le sens de la Révolution… »

    Il semble qu’il s’agissait de poser à Lyon la candidature de Servan pour les élections législatives.

  273. Ms. 6241, fol. 106-107. — La lettre porte le timbre de l’Assemblée nationale, sous lequel Roland, député extraordinaire de Lyon auprès de l’Assemblé, pouvait faire passer sa correspondance en franchise.

    Le commencement de la lettre est de Roland : « Je vais, mon honorable collègue, répondre à votre lettre du 13 à notre femme, et je vais le faire en bon homme, comme je débute en style de bonnes gens… » Affaires de Paris… « Avant que cela s’éclaircisse, si pourtant ce n’est pas plutôt, dans quinze jours j’envoie ma femme à la campagne… » Les affaires de Lyon sont à peu près réglées…


    Vient alors le post-scriptum de Madame Roland, que nous donnons ici.

  274. Décret du 5-10 août 1791, qui faisait passer au compte de l’État plus de 33 millions de la dette de Lyon.

    Les catalogues d’autographes signalent encore une lettre écrite par Madame Roland, mais signée de son mari, aux maire, aux maire et officiers municipaux de la ville de Lyon, Paris, 29 août 1791, 6 pages in-folio. « Il leur rend compte de la mission dont ils l’avaient chargé près de l’Assemblée nationale. » (N° 1701 du catalogue 9 [avril 1857] de Laverdet ; n° 3430 du Bulletin d’autographes n° 50 de la maison Jacques Charavay ; n° 577 du catalogue Dubrunfait viie série, Révolution française, vente des 19-21 mars 1885 : n° 230 du catalogue à prix marqués n° 170 de la maison G. Charavay ; n° 95 de la vente du 3 décembre 1887, Eug. Charavay, expert.)

  275. « La revision de la Constitution est achevée ; il ne reste plus que quelques articles renvoyés, dont le rapport sera fait jeudi ». (Patriote français du 17 août 1791.)
  276. Ms. 9534, fol. 167-168. — Nous avons vu que Bancal était revenu de Clermont à Paris, en août, apportant une pétition contre l’ajournement des élections.
  277. Ms. 9534, fol. 165-166. — Ce billet se place nécessairement dans un des deux courts séjours que Bancal fit à Paris en 1791, car, en 1792, Garran n’était déjà plus des amis de la maison.
  278. Lettres à Bancal, p. 313 ; — ms. 9534, fol. 160-161.
  279. Ce début est de Lanthenas. — La deuxième partie de la lettre, datée du mardi 30, est de Madame Roland.
  280. Comme on le voit par cette lettre, le projet d’acheter en commun quelque bien national n’était pas abandonné. Mais Bancal, depuis un mois, avait acquis pour son compte seul (27 juillet*) le domaine de Bonneval, possédé auparavant par l’abbaye de Bonnaigue en Limousin. C’est là qu’il se retira plus tard, quand il sortit de la vie publique. La propriété appartient encore à ses héritiers (Mègre, p. 26-27).

    *. Cette date du 27 juillet est donnée par M. Mègre. Remarquons toutefois que, ce jour-l, Bancal n’a pu signer un acte à Clermont, puisque, le 28, il était à la barre de l’Assemblée constituante (et, le 31, au Jacobins, Aulard, III, 63).

  281. Le frère aîné de Lanthenas. (Voir Appendice L.).
  282. Sur ces écrits de Lanthenas, voir Appendice L.
  283. L’aîné des frères de Bancal, qui était demeuré à Clermont, où il continuait l’industrie du père.
  284. Le naturaliste Lacépède (1756-1825), ou plutôt, comme on écrivait alors, « M. le comte de La Cépède » (Alm. roy de 1789, p. 553), avait succédé à Daubenton jeune, en 1786, comme garde et sous-démonstrateur des cabinets d’histoire naturelle au Jardin du Roi. Il était entré dans les mouvements de 1789 et avait été élu parmi les administrateurs du département de Paris, mais il était tiède.
  285. Voir, sur cette séance du 28 août Aulard, t. III, 103-105. Le compte rendu ne mentionne pas l’incident dont parle Lanthenas.
  286. Ce qui suit est de Madame Roland.
  287. Et qu’elle pût, dès lors, reviser la Constitution. (Voir Aulard, t. III, p. 106-107.)
  288. Claude-Emmanuel-Joseph-Pierre de Pastoret (1755-1840), procureur-général-syndic du département de Paris, élu, le 3 septembre 1791, député de Paris à l’Assemblée législative, où il fut un des chefs de la droite constitutionnelle. On connait la suite de son rôle politique.
  289. Voir sur ce journal, dirigé contre les ministériels, Hatin, p. 201.
  290. « L’affiliation est accordée aux sociétés populaires de Lyon… » (Séance des Jacobins du 28 août. Aulard, t. III, p. 104.)
  291. « La fille de la colline de Richmond. »
  292. Bancal finit par acheter, au commencement de 1792 (A. Rey, Le naturaliste Bosc et les Girondins à Saint-Prix, p. 13-14), ce petit prieuré de Sainte-Radegonde, situé au milieu de la forêt de Montmorency, que Bosc lui avait indiqué. M. Rey a raconté avec un grand charme l’histoire de ce rustique domaine, qui abrité pendant la Terreur d’illustres proscrits.

    C’est sans doute sur les indications de ce même receveur que Roland acheta plus tard à Villeron, district de Gonnesse, une propriété que Bosc fit restituer à sa fille en 1795. (Voir Appendice K.)

  293. Lettres à Bancal, p. 319 ; — ms. 9534, fol. 162-164. – Bancal a écrit en marge : « Reçu le 9 septembre, rép. le 20 »
  294. Ce début est de Lanthenas.
  295. Il y a, au ms. 9534, fol. 258-261, deux longues lettres des frères Richard à Lanthenas, du 22 et du 25 août 1791. Nous retrouvons ce nom parmi ceux des membres de la Commission populaire qui dirigea l’insurrection de Lyon en 1793.
  296. Lanthenas était membre du Comité de correspondance des Jacobins dès juillet 1791 (Aulard, t. III, p. 24) ; il venait, en outre, d’être nommé secrétaire, le 29 août avec le duc d’Orléans et Collot-d’Herbois. (Ibid, 106.)
  297. C’est-à-dire de 40,000 à 60,000 livres.
  298. Ici commence Madame Roland.
  299. Nous ne savons où était ce domaine. Bien probablement en Auvergne.
  300. Voir, Aulard, t. III, p. 109, séance du 31 août : « MM.…, Biauzat, … ont paru à cette séance. » Les Jacobins, si fortement ébranlés après l’affaire du Champ de Mars et la scission des Feuillants, se ressaisissaient et les tranfuges rentraient.
  301. Il est probable que Madame Roland veut parler ici de Delacroix.
  302. Le paquebot, janvier-août 1791. — Voir Hatin, . 214, et Rourneux 10612.
  303. Madame Roland entend par là les assemblées électorales des départements.
  304. À la suite de la lettre de Madame Roland du 31 août, l’éditeur de 1835 a donné les deux lettres suivantes de Roland, des 3 et 6 septembre, dont les autographes sont au ms. 9534, fol. 169-172. Nous croyaons devoir les donner aussi.
  305. Roland s’abusait. Il ne fut pas élu. L’élection, qui se fit du 30 août au 4 septembre, fut dominé par le souci « moins de faire un choix entre les nuances d’opinion que d’assurer à chaque partie du département sa part de représentation. » (Wahl, p. 425.)
  306. Brissot, malgré l’ardente campagne faite contre lui, à Paris, le 13 septembre, le 11e sur 28.
  307. Collection Alfred Morrison. — Madame Roland ayant quitté Paris le 3 septembre 1791, cette lettre est nécessairement du 2.
  308. Ces initiales Gch., Grdch, et plus loin Grd. Chp. désignent Sophie Grandchamp, cette amie de Bosc qu’avait liée avec Madame Rolan et qui a écrit sur elle des Souvenirs si intéressants, que nous avons publiés dans la Révolution française de juillet et août 1899. Nous ne pouvons que renvoyer à ce travail. Ajoutons seulement que Mme  Grandchamp était alors en rapports suivis avec tout le groupe de Brissot. Lanthenas écrivait à Bancal (ms. 9534, fol. 212-213), dans une lettre non datée, mais qui doit être d’avril 1790 : « Nous avons aujourd’hui un congrès de Creuzet [Creuzé-Latouche], Garran, Warville [Brissot], D. [Dantic, c-à-d. Bosc], Mme  G…, Mme  Wille [Mme  Brissot] et Mlle  Dupont [une des belles sœurs de Brissot] »
  309. Collection Alfred Morrison.
  310. Ms. 6239, fol. 225-228. — Les folios 225-226 et 227-228 sont transposés au ms. — Pas d’adresse ; mais au haut de la première page, à gauche, il y a : « M. Roland ».
  311. Riottier, petit port de Villefranche, sur la Saône.
  312. La diligence d’eau.
  313. Montmerle, gros bourg sur la Saône, à deux lieues au nore de Riottier. Foire célèbre dans la région, et bien plus importante alors qu’aujourd’hui.
  314. C.-à-d. à Villefranche, dont Riottier est distant de 3 kilomètres.
  315. On allait de Paris à Chalon-sur-Saône par Joigny, Auxerre, Autun, etc., en trois jours ; de Chalon à Lyon, par la diligence d’eau, en deux jours (Alm. de Lyon, 1791). Nous voyons, en effet, que Madame Roland quitta Paris le 3 septembre au soir et qu’elle fut déposée à Riottier le 8, à 2 heures après midi, par la diligence d’eau qui dut arriver le même soir à Lyon. On couchait en route mais mal.
  316. Ms. 6243, fol. 9, énumération des alliances des Roland : « …Du côté des mères Roland, …feu M. le maréchal de Chenelette, proche parent… ». Chenelette est une paroisse du haut Beaujolais, peu éloignée de Thizy.
  317. Sur 15 députés élus, Lamourette avait été nommé le second ; Vitet, nommé le septième, refusa. Le quinzième fut Lémontey, l’historien, qui fréquentera le salon de Madame Roland en 1792. De tous les autres, dont nous donnerons les noms plus loin (lettre du 11 septembre), il n’y a à retenir que le nom de Dupuy, qui fut réélu à la Convention, et qui, proscrit par la loi de 1816, alla s’établir à Valence, en Espagne, où il fonda une manufacture de soierie. (C’est de lui que descendrait, nous a-t-on dit à Valence, la branche espagnole des Dupuy de Lôme.)
  318. Rappelons qu’Eudora Roland était en pension chez les dames de la Visitation de Sainte-Marie.
  319. On vendange toujours, à Theizé, sur les hauts coteaux, plusieurs jours plus tard que dans la plaine.
  320. Nous ne retrouvons pas le nom de ce serviteur aux inventaires des scellés de 1793.
  321. Voir les lettres des 2 et 3 septembre.
  322. Marie-Anne-Victoire Baudry, mariée à Buzot le 28 avril 1784, morte à Évreux le 30 juillet 1812 (Dauban, Mém. de Buzot, Introd., p. lvii-lxxiii). Voir sur elle Mém., I, 49, 66, 136, 139, et notre Appendice B.
  323. Probablement les billets ou obligations représentant les capitaux, 40,000 livres environ, dont disposait Roland ; voir lettres du 31 août et du 12 octobre.
  324. Ms. 6241, fol. 132-133. — Voir Révolution française du 14 août 1895.
  325. Des députés de Rhône-et-Loire. Nous en donnons la liste un peu plus loin.
  326. Lettres à Bancal, p. 331 ; — ms. 9534, fol. 173-174.
  327. Les députés définitivement élus étaient Michon-Dumarais, administrateur du département et propriétaire à Roanne ; Lamourette ; Dupuy, juge à Montbrison ; Colomb de Gaste, propriétaire en Forez et administrateur du département ; Thévenet, laboureur à Mornant et administrateur de district ; Sanslaville, notaire à Beaujeu ; Duvant, homme de loi à Néronde-en-Forez, administrateur du département ; Blanchon, cultivateur ; Jovin-Molle, de Saint-Étienne, administrateur du département ; Sage, notaire et administrateur du département ; Saulnier, propriétaire à Lantignié ; Caminet, administrateur du département, « tout particulièrement mal vu des Jacobins lyonnais » ; Delarochette, procureur-syndic du district de Roanne ; Chirat, procureur général-syndic du département, et enfin Lémontey, substitut du procureur de la commune de Lyon. — Ainsi la grande ville n’était représentée que par trois ou quatre noms, et les électeurs du Forez s’étaient fait une large part. À un autre point de vue, il convient de remarquer que le département et le district, en lutte avec la commune de Lyon, avaient obtenu six nominations.
  328. Voir dans Aulard, t. III, p. 113-116, le compte rendu de cette séance du 4 septembre 1791, où Biauzat, « au milieu d’applaudissements redoublés », avait fait acclamer la Constitution de 1791, — entendue comme l’entendaient les Feuillants.
  329. Bancal ne fut pas élu. — Voir sur les circonstances et les causes de son échec. Mègre, p. 48-49. Il alla alors voyager pendant deux mois dans le midi de la France et arriva à Paris au commencement de décembre 1791. De là, l’interruption qu’on va trouver dans la correspondance de Madame Roland avec lui.
  330. Lettres à Bancal, p. 335 ; — ms. 9534, fol. 175.
  331. L’autographe de cette lettre, publiée par M. Faugère dans son édition des Mémoires, t. I, p. 386-391, est au ms. 9533, fol. 213-215. Il a figuré, sous le n° 292 dans la vente des 9 et 10 décembre 1875, Ét. Charavay, expert.
  332. C’est l’« Adresse de la Société des Amis de la Constitution séante aux Jacobins de Paris, aux Sociétés affiliées, sur les événements du Champ de Mars, 17 juillet 1791 ». Elle est datée du 7 août, et avait été rédigée par Robespierre, assisté de Pétion. Rœderer, Brissot et Buzot. (Aulard, Jacobins, t. III, p. 65 et 72)
  333. Les élections pour le district venaient d’avoir lieu à Lyon (Wahl, p. 426) et avaient été une victoire pour le parti municipal, modeste revanche de l’échec législatif. Roland, Pressavin et huit de leurs amis avaient été nommés. Blot avait été élu procureur-syndic.
  334. Roland, pressé de veiller à ses vendanges, avait quitté Paris le 19, et était arrivé au Clos le 25.
  335. Ms. 6241, fol. 139-140. — Voir Révolution française du 14 août 1895.
  336. Chaponost, village à 12 kilomètres au sud-est de Lyon.
  337. Le directoire du département ne fut renouvelé que les 15 et 19 novembre et les nouveaux membres furent constitutionnels comme leurs prédécesseurs, c’est-à-dire peu favorables au parti de Roland.
  338. Les inspecteurs des manufactures. — Voir Mém., t. I, p. 66-67 : « L’un des derniers actes de la Constituante fut la suppression des inspecteurs ». — Cf. décret du 27 septembre 1791, portant suppression de toutes les chambres de commerce existant dans tout le royaume… Art. s : « Les commissions données aux préposés chargés du service desdits bureaux, ainsi qu’aux inspecteurs et directeurs généraux du commerce et des manufactures sont révoquées… ».
  339. Madame Roland se trompait en ce point. L’article 4 du décret du 27 septembre stipulait « des retraites ou secours à celle des personnes supprimées qui en sont susceptibles par la nature et la durée de leurs services, etc… Or Roland établit, dans un mémoire de décembre 1791, publié par M. de Girardot (Les Ministres de République française, Roland et Madame Roland ; Paris, Guillaumin, 1860, p. 7-9), qu’il était alors dans sa trente-huitième année de services.
  340. Exactement 5,600 francs, dont 5,000 francs de traitement fixe et 600 francs d’indemnité de logement (Girardot, pièce citée). Un pamphlétaire qui a connu et calomnié les Roland, l’abbé Guillon de Mauléon (Mémoires, p. 57), dit huit mille livres, et M. Granier de Cassagnac, qui copie l’abbé Guillon sans y regarder, reproduit ce chiffre. ( Les Girondins et les massacres de Septembre, t. I, p. 182.)
  341. « Pour rien, je ne veux de vignes », écrivait Roland à Bancal, le 6 septembre précédent. — « Un bien que l’on puisse affermer » ne veut par dire un bien que Roland prendrait à ferme, mais au contraire un bien qu’il achèterait pour le donner à bail à un fermier.
  342. Voir lettre du 13 octobre 1790.
  343. Ms. 6239, fol. 229-230.
  344. Préveraud de Pomberton, cousin de Roland, devenu major de la garde nationale de Villefranche. — Voir sa notice, lettre du 10 décembre 1784.
  345. L’abbaye de Mortemer, en Normandie. C’était une abbaye commandataire de Cisterciens, dont la France ecclésiastique (ann. 1786, p. 334) évalue le revenu à 8,000 livres. Lanthenas, dans une lettre à Bancal du 14 octobre 1791 (ms. 9534, fol. 263), évaluait le prix du domaine à 435,000, « qu’on pourrait aisément doubler en faisant dans la maison une éducation nationale rurale », et proposait à ses amis de faire cette acquisition en commun.
  346. Nous ne savons rien de ce serviteur.
  347. Nous ne savons de quoi il est question.
  348. Pour retourner à Paris, où ils arrivèrent le 15 décembre (Mém., t. I, p. 240).