Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1790

Imprimerie nationale (p. 77-212).

ANNÉE 1790.


AVERTISSEMENT.

Nous allons indiquer sommairement les déplacements des Roland en 1790 :

Tout le commencement de l’année se passe à Lyon, où Roland est élu, en mars, membre du Conseil général de la commune, mais seulement en qualité de notable.

Le 3 avril, les Roland se rendent à Villefranche, et de là, le 12 avril, au Clos, où, sauf un voyage à Lyon indiqué par une lettre du 3 mai, ils séjournent jusqu’au 28 mai, travaillant au troisième volume du Dictionnaire.

Le 28 mai, ils retournent à Lyon pour assister, avec leur ami Champagneux, rédacteur du Courrier de Lyon, à la belle fête de la Fédération du 30 mai.

Ils s’occupent alors d’un projet qui va tenir une grande place dans la correspondance avec Bancal des Issarts ; il s’agissait de s’associer entre amis pour acheter un des domaines ecclésiastiques que la nation mettait en vente. La suppression imminente des inspecteurs des manufactures donnait à penser à Roland ; pour compenser la perte de sa place, il aurait voulu faire à la campagne un grand établissement. À ce souci de père de famille se mêlait un rêve de vie rustique à la Rousseau, ou plus encore à l’américaine ; ses associés et lui, comme ces fermiers des États-Unis dont Crèvecœur venait de décrire la vie, auraient cultivé leurs terres en philosophant et en répandant les lumières autour d’eux. La première idée semble être venue de Brissot. (Voir, aux Papiers Roland, ms. 9534, fol. 349-351, le plan d’une « société agricole ou d’amis », écrit tout entier de sa main, et qui semble avoir été rédigé immédiatement après le décret du 18 novembre 1789, qui mettait les biens du clergé à la disposition de la nation.) Brissot dut communiquer ce projet à Lanthenas et par celui-ci aux Roland, et un premier projet d’association parait avoir été agité entre eux, Lanthenas, Champagneux et Blot, l’ami d’enfance que Brissot avait à Lyon. Puis Blot et Champagneux s’étant retirés, Lanthenas fit des ouvertures à son ami Bancal des Issarts, qui, versé dans les affaires (il avait été notaire à Paris) et jouissant d’une belle aisance, aurait été un associé précieux. (Voir aux Papiers Roland, ms. 9534, fol. 219-220, 231-232, etc., les lettres de Lanthenas à Bancal.) Lanthenas fit aussi des ouvertures à un riche quaker anglais, Robet Pigott, adepte enthousiaste de la Révolution française, qui voyageait alors du côté de Genève et de Lyon.

C’est à cette occasion et en vue de ce projet que commença, le 22 juin, la correspondance de Madame Roland avec Bancal des Issarts. Les Roland étaient encore à Lyon, retenus par les élections départementales. Bancal, demeuré à Clermont pour un motif semblable (il était candidat au poste de procureur général-syndic et échoua), vint les rejoindre à Lyon dans les premiers jours de juillet, les accompagna au Clos (7 juillet), et, après un très court séjour, se mit en route pour Paris, où il devait représenter son département à la grande Fédération du 14 juillet, mais en promettant de revenir.

À ce moment-là, Roland a une vive alerte. La suppression des octrois, demandé par lui et ses amis, prononcée par la municipalité le 8 juillet, interdite par un décret de l’Assemblé nationale du 13, amène une sanglante émeute (25-26 juillet). L’émeute est bientôt vaincue, la ville est occupée militairement ; mais les ennemis de Roland l’accusent, bien qu’il eût quitté Lyon dès le 7, d’avoir été l’instigateur des troubles. De là des lettres pressantes à Brissot pour qu’il présente les choses sous leur véritable jour ; de là aussi ce voyage du 4 au 6 août, où Madame Roland, laissant son mari au Clos, se rend à cheval à Lyon pour se rendre compte de la situation et des déterminations à prendre.

L’orage était calmé, lorsque Bancal et Lanthenas arrivent de Paris le 330 août ; on jouit de la campagne, on s’entretient de l’acquisition projetée en commun ; on va passer quelques jours à Lyon, entre le 15 et le 20 septembre ; puis Bancal, demeuré à lyon un peu après Roland pour s’y occuper avec Lanthenas de propagande politique, revient un instant au Clos et n’en repart que le 2 octobre. C’est alors, et peut-être au moment des adieux, qu’il dut laisser voir à Madame Roland plus d’émotion que n’en comportait l’affection confiante qu’elle offrait à ses amis (voir lettre des 8 et 28 octobre).

Le 31 octobre, elle va à Villefranche confier sa fille aux Dames du couvent de la Visitation, où il semble que l’enfant, retirée de chez Frossard, eût déjà passé quelques mois auparavant.

Cependant Roland, rassuré sur la situation de Lyon depuis son voyage de mi-septembre, s’y était installé de nouveau, y avait repris son rôle et avait été nommé officier municipal (15-18 novembre). Sa femme s’apprête à aller l’y rejoindre (lettres des 191 et 20 novembre). Les rapports avec le chanoine Dominique, de plus en plus aigris par la politique, étaient arrivés alors à une brouille complète. Mais la mort de la vieille mère, survenue dans les derniers jours de novembre, amène entre les deux frères une réconciliation qui paraît avoir duré. C’est probablement pour quelque motif se rattachant à cet évènement que Madame Roland retourne au Clos, d’où elle écrit à Bancal le 30 novembre, et d’où elle ne partit que le 28 décembre pour aller retrouver son mari à Lyon.

Lanthenas, qui avait passé les huit premiers mois de l’année à Paris, et n’était arrivé au Clos avec Bancal que le 30 août, va et vient, pendant les quatre mois qui suivent entre le Clos et Lyon, prêchant son évangile tantôt parmi les paysans, tantôt dans les clubs des sections de la ville.

Nous croyons utile de faire remarquer que les lettres à Bancal, imprimées en 1835, l’avaient été d’une manière très fautive. Nous en avons établi le texte d’après les autographes, qui se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque nationale (Papiers Roland, ms. 9534).

338

À ALBERT GOSSE, À GENÈVE[1].
1er février 1790, — [de Lyon].

Notre ami, comme inspecteur, ne sait point encore quel sort lui est réservé ; mais, comme citoyen, il jouit du bien commun, il applaudit et concourt à tout ce qui peut le produire.

La seconde partie de son œuvre encyclopédique vient de paraître : écrite dans un temps où il fallait du courage pour s’exprimer avec liberté, elle se trouve au niveau du jour par la vigueur de son auteur et son dévouement à la vérité.

Adieu, nos bons amis, donnez-nous de vos nouvelles avec quelques entretiens de nous pour que vous nous parliez du vous-mêmes et de votre amitié, sur laquelle nous comptons toujours.


Ph. D. L. P.

339

À BRISSOT, [À PARIS[2].]
[premiers mois de 1790, — de…]

…« Si mon excellent ami eût eu quelques années de moins, l’Amérique nous aurait déjà reçus dans son sein. Nous regrettons moins cette terre promise depuis que nous espérons une patrie. La Révolution, tout imparfaite qu’elle soit, a changé la face de la France : Elle y développe un caractère, et nous n’en avions pas ; elle y laisse à la vérité un libre cours dont ses adorateurs peuvent profiter… »

340

[À BRISSOT, À PARIS[3].]
11 février 1790, — [de Lyon].

Vous êtes lié avec l’un des MM. Bergasse[4], celui que le public connaît par ses écrits ; il ne vous est pas indifférent de savoir quelle est la profession de foi de sa famille sur les affaires présentes et sur vous-même. Vous apprendrez peut-être avec étonnement que les frères Bergasse s’expliquent ici, d’une manière peu édifiante pour les patriotes, sur la révolution actuelle ; ils la désapprouvent hautement, ils témoignent du dédain pour l’Assemblée nationale ; ils blâment ses opérations ainsi que la dernière démarche du Roi[5] ; vos principes et vos ouvrages leur paraissent également répréhensibles, et, pour quiconque juge l’influence du député sur le jugement de ses frères, il n’est pas difficile d’en reconnaître l’effet. Notre ami Blot[6] sait que le premier a eu le projet de réfuter votre excellente lettre au marquis de Chastellux[7], dans le temps même que, sans vous en rien dire, il était avec vous sur le ton de la confiance.

J’ignore jusqu’à quel point une façon de voir particulière, un excessif attachement à sa propre opinion peut abuser un homme ; je n’accuse les personnes ni ne qualifie les procédés, mais je vous préviens d’une disposition publiquement manifestée, contraire aux principes du patriotisme exposé dans vos écrits et mis en action dans l’Assemblée, disposition propre à des gens qu’il vous importe de bien connaître.

[Cette lettre est datée de Lyon, du mois de février 1790. Elle contient le passage suivant, qui indique à quelle démarche du roi Madame Roland fait allusion :]

Que pensez-vous des causes de la démarche du Roi ? Les esprits sont ici très partagés. Les uns veulent qu’elle ait été forcée par je ne sais quoi ; les autres, qu’elle soit la suite du caractère qu’il a toujours montré, de son désir de faire le bien et de le voir opérer. On prête son discours à M. Necker ; quoiqu’il y ait au commencement des tournures ministérielles et un peu de ce pathos qui lui sont assez ordinaires, cependant on y trouve généralement un ton qui ne nous semble pas le sien, et quelquefois une touche de sentiments qu’il n’a jamais su mêler avec son apprêt et ses tortillages.


341

[À BOSC, À PARIS[8].]
18 février 1790, — [de Lyon].

…Il s’agit de certaine brochure que la Société d’agriculture de Paris[9] vient d’envoyer à celle de Lyon. C’est un texte d’objets intéressant sur lesquels on demande force renseignements ; notre ami fut aussitôt choisi pour commissaire ; mais, trop chargé d’autre part pour le moment, il a prié de faire tomber le choix sur d’autre. Néanmoins il désirerait beaucoup avoir cette brochure ; il n’y a eu qu’un exemplaire d’envoyé ; vous êtes à la source, demandez-en un autre et expédiez-nous-le.

Nous sommes ici dans un moment de grande agitation des esprits ; je crois pourtant que les nominations[10] se feront sagement : le patriotisme gagne tous les jours et, en dépit des cabaleurs et de leurs calomnies, le peuple juste et tranquille choisira de bons administrateurs.

Faites-nous part de ce que vous voyez et pensez ; vous ne nous avez plus dit un seul mot sur l’étrangère[11] et votre grande discrétion me fait croire à de grandes choses ; vous êtes un peu absorbé : mais encore peut-on vous demander des nouvelles de la société des Amis de la Loi.

Adieu, j’ai beaucoup à faire, et j’ai faim et je ne sais trop comment suffire à la fois à tant de choses.

Portez-vous bien, ne nous oubliez pas et aimez-nous toujours. Dites-moi si le fils du brave Gibert est rétabli et si le bon père est tranquille.


342

À LANTHENAS. [À PARIS[12].]
6 mars 1790, — [de… ].

Guerre ! guerre ! guerre !

343

[À BOSC, À PARIS[13].]
20 mars 1790, — [de Lyon].

Or donc, pourquoi n’entendons-nous plus parler de vous ? Si nous gardions pareil silence, vous pourriez être inquiet de ce que nous serions devenus. On voit bien que vous ne courez pas les dangers d’une grande célébrité et que vous n’avez pas la conscience des craintes de vos amis. Quoi qu’il en soit, voici une feuille où vous lirez quelques pages d’édification, puis vous ferez passer aux amateurs indiqués.

Je vous prie de faire passer la lettre pour Dieppe.

Tachez donc de nous avoir révélation de ce mémoire sur les noyers et l’huile de noix, que notre ami vous avait envoyé et dont nous n’entendons rien dire[14].

On travaille toujours ici aux élections, c’est l’ouvrage de Pénélope. Nous sommes enchantés de la manière dont Wille[15] a repoussé les injures de notre jeunesse. On ne peut mettre plus de force et de dignité, ni prendre un ton qui soit en même temps plus noble et plus touchant.

L’aristocratie de cette ville est dans un état de contraction et de rage inexprimables ; elle s’agite en cent façons : mais le peuple parait s’aheurter de son côté, et, si les choix sont mêlés, du moins il y en aura de bons.

Adieu, notre ami ; envoyez-nous donc une fois quelque courrier. Nous sommes toujours de braves gens qui vous aimons bien.


344

[À BOSC, À PARIS[16].]
16 avril 1790, — [de Lyon].

Jusqu’à ce que l’appétit revienne pour faire honneur au pain, au cidre que vous offrez, et surtout au fricot et au bon vin, je suis un peu gourmande, plus trop jeunette, et je trouve que cette dernière partie vaut bien l’autre. Vive le lit ! Par-dessus tout peut-être, car, avec toute l’activité possible, le repos me paraît la moitié de la vie.

Mais comment diable faire marcher un notable de Lyon ! Voilà bien l’embarras. Tirez-nous de là, en nous trouvant voiture et chevaux, surtout bourse garnie, et tout le poids de la notabilité ne nous empêchera pas d’être alertes.

En voilà bien assez pour de mauvais contes ; je vous embrasse tout rondement, en ami, en patriote. Adieu.


345

[À LANTHENAS, À PARIS[17].]
3 mai [1790, — de Lyon].

Au feu ! au feu !

Nous ne sommes pas au bout des crises, il s’en prépare de terribles, Vite et tôt, dénonciation dans tous les papiers publics quelconques pour déconcerter l’infernale cabale, s’il est possible.

Je tiens, du bon coin : 1° qu’il y a déjà coalition faite et connue des commissaires du Roi pour la formation des Assemblées#1 dans les quatre-vingt-trois départements ; 2° arrangement fait pour éloigner des Assemblées primaires la plus grande partie du peuple, en n’admettant que ceux qui auront payé leur imposition de 1789, et en exigeant, pour être électif, qu’avec cette imposition soit encore payé le quart du revenu ; 3° enfin, qu’il y a, dans cette ville, des dispositions préliminaires, pour faire porter des ennemis ardents de la Révolution dans le département.

D’après ces dispositions, on aurait :

Pour procureur syndic : le baron de Juis homme d’un caractère violent, de mauvaises mœurs ; riche parvenu, insolent au suprême degré ; hautement aristocrate ; avec quelque esprit, des principes exécrables, peu de jugement et point de talents (ci-devant procureur du Roi de la cour des Monnaies).

Pour agents ecclésiastiques : l’abbé de la Chapelle#3 (actuellement commissaire du Roi), le Maury de Lyon ; cette expression dit tout, et elle ne dit pas trop, quoiqu’il y ait quelque infériorité dans les moyens.[18]Jean-Marie de Lafont de Juis, procureur du Roi honoraire au bureau des finances de Lyon, membre du bureau général de la Société d’agriculture, administrateur de l’école gratuite de dessin (Alm. de Lyon, de 1789, p. 139, 219, 228), possesseur du bel hôtel de la rue de l’Arsenal dont nour avons parlé (lettre 286). Roland était son collègue à la Société d’agriculture et au bureau de l’École de dessin.</ref>[19] Mais c’est un homme infiniment dangereux par son esprit et son caractère, son ambition, sa souplesse, son hypocrisie, son activité, parlant bien et ayant d’excellents poumons : faux, fourbe, prêtre et enragé.

L’abbé de Vitry[20], ex-jésuite ; pour celui-ci, c’est un vizir furieux, prêt à envoyer le cordon à tout patriote qu’il trouve en son chemin. Homme très actif, ne manquant pas d’esprit, outré de la Révolution, quoiqu’elle augmente sa pension ; vendu au baron de Juis par rapprochement de femmes parentes de l’un, autrement liées à l’autre ; vieux satrape, le plus colère qui ait jamais existé. (Actuellement administrateur du dépôt des mendiants et vagabonds.)

Id. des comtes de Saint-Jean.

Pour Agents nobles : à prendre dans le cercle de Bellecour, société qui n’a pas été indifférente aux projets de contre-révolution, notamment à celui que Narbonne-Fritzlar voulait préparer ici avec Imbert[21].

Agents négociants : parmi les banquiers, les recteurs des hôpitaux, les anciens échevins ; enfin, quelques agents de change et autres habitués du café Grand et autres lieux publics, foyers d’aristocratie où un ami de la Révolution n’oserait bien parler d’elle sans risquer d’être environné par des gens prêts à l’insulter.

Jugez où en est le patriotisme de cette cité. Si cet affreux projet réussit, la guerre civile ou le despotisme sera inévitable ; l’une et l’autre sont à nos portes. Faites éclater, tonner Desmoulin(sic), Carra, Prudhomme, tous les papiers, tous les écrits ; que ce soit un cri si universel, si terrible, qu’il en impose à nos ennemis, qu’il éveille le peuple, excite sa vigilance et renverse toutes les intrigues. Il n’y a pas un instant à perdre, ou nous sommes perdus nous-mêmes.


Écriture de Roland :

Juis est Lafond en son nom, fils d’un marchand de soie, qui a acheté une terre, qui fut jadis érigée en baronnie, on ne sait en faveur de qui ; d’où le-dit Lafond a pris le nom de baron de Juis ; et de ne plus parler que de ses chevaux, de ses gens, de sa noblesse et de la canaille du peuple, dont il est détesté. Si cet homme est placé au département, je n’en donne pas pour un an qu’il n’y ait des soulèvements et du sang répandu ; que sais-je ? Peut-être la guerre civile ; car on y voit le complot d’une contre-révolution.

L’abbé de Vit[ry], accoutumé à faire fouetter des écoliers pendant vingt ans, a remporté de chez les jésuites ce caractère altier, impérieux, despotique, qui s’est renforcé à la garde et direction des mendiants et vagabonds, qu’il mène par les fers et le cachot, commandant toujours la canne haute et le ton brusque : c’est le plus enragé despote, le déclamateur contre la Révolution le plus outré, le caractère le plus violent que je connaisse ; jugez du choix, et imaginez, si vous le pouvez, ce qui en résulterait.


346

[À BOSC, À PARIS[22].]
17 mai 1790, — du Clos.

[Trêve, pour un moment, à la politique ; retournons à l’histoire naturelle, la campagne rappelle à son étude[23]. Mais nos idées sur elle ont été tellement brouillées, que nous avons peine à nous retrouver mênm avec Erxlehen.

Par exemple, je crois avoir bien conçu les divisions de Linné, dont les classes sont les premières ; chez qui les ordres sont des subdivisions des classes ; les genres, des subdivisions des ordres ; les espèces, des subdivisions des genres ; et les variétés, des subdivisions des espèces. Il me paraît qu’Erxleben range ses divisions de la même manière ; cependant, quand je veux en trouver des exemples, il me semble apercevoir des contradictions. Son Mammalia n’est qu’une classe dans laquelle il fait 51 ordres. Le premier de ces ordres, hommo, n’a que des variétés ; mais dans le 4e ordre, Cercopithecus, je regarde comme des genres l’hamadryas, le veter, le senex, le vetulus, le silenus, le faunus, etc. ; d’où vient donc, est-il dit (après la synonymie du faunus ; barbatus, cauda apice, flocosa), species obscura, adeoque dubia ?

Ce mot espèce vient déranger toutes mes idées, et je n’entends plus rien à la marche de l’auteur.

Je voudrais trouver dans son Mammalia un exemple qui justifiât l’énoncé des subdivisions ; je voudrais, dans l’un des 51 ordres, trouver un genre qui eût des espèces et des variétés, ou apprendre pourquoi la dénomination species se trouve appliquée à une division que j’avais lieu de regarder comme un genre.

Donnez-moi le fil de ce labyrinthe, ou j’y suis perdue à ne plus savoir comment en sortir.]

Vous n’avez donc pas obtenu de renseignements clairs et précis sur l’expédition de votre caisse de Turin ? Nous retournerons à Lyon au 28 du mois, et nous y ferons de nouvelles recherches pour cet objet.

[Il fait un temps délicieux ; la campagne est changée à ne pas la reconnaître depuis six jours seulement ; les vignes et les noyers étaient noirs comme dans l’hiver ; un coup de baguette magique ne change pas plus vite l’aspect des choses que ne l’a fait la chaleur de quelques belles journées ; tout verdit et se feuille ; on trouve un doux ombrage, là où il n’existait que l’œil triste et mort de l’engourdissement et de l’inaction.

J’oublierais bien ici les affaires publiques et les disputes des hommes ; contente de ranger le manoir, de voir couver mes poules et de soigner nos lapins, je ne songerais plus aux révolutions des empires. Mais, dés que je suis en ville, la misère du peuple, l’insolence des riches réveillent ma haine de l’injustice et, de l’oppression ; je n’ai plus de vœux et d’âme que pour le triomphe des grandes vérités et le succès de notre régénération.

Nos campagnes sont très mécontentes du décret sur les droits féodaux[24] ; on trouve le taux du rachat des rentes et lods infiniment onéreux ; on ne rachètera ni ne payera : il faudra une réforme ou il y aura encore des châteaux brûlés. Le mal ne serait peut-être pas si grand, s’il n’était à craindre que les ennemis de la Révolution profitassent de ces mécontentements pour diminuer la confiance des peuples dans l’Assemblée nationale et exciter quelques désordres qu’ils ambitionnent comme un triomphe et comme un moyen de revenir sur l’eau.

On fait à Lyon les préparatifs du camp[25] ; envoyez-nous donc de braves gens qui fassent trembler l’aristocratie dans sa tanière. On avait mis en question si l’on permettrait aux femmes l’approche du camp ; apparemment que ceux qui avaient élevé ce doute préméditaient quelque trahison ; mais l’idée était trop choquante, elle n’a pas pris.

Adieu : causez une fois avec nous.]

Je ne vous adresse pas souvent de lettres, parce que je vous sais fort occupé et que je regarde celles à l’ami Lanthenas comme vous étant communes avec lui.

Notre ami n’est pas encore tout à fait bien.

Adieu. Nous vous embrassons.

347

À BOSC, À [PARIS[26].]
[1790 ?, — du Clos]

Dites-moi, je vous prie, notre ami, quelle idée on attache précisément dans le latin de Linné an mot abrupta ; par exemple, dans cette phrase : ursus, cauda abrupta. Ou je me trompe grossièrement, ou M. d’Aubenton[27] n’est guère de bonne foi ; c’est ce que je vous expliquerai lorsque vous m’aurez répondu. Je suis entourée, dans ce moment, d’histoire naturelle, je veux dire d’ouvrages qui en traitent ; je prends goût au grand maître et je suis piquée contre la vieille ganache qui cherche à dépriser sa méthode. Je vous adresserai peut-être, par la suite, plus d’une question. Adieu, en attendant ; salut, et toujours bonne amitié.


348

À BOSC [À PARIS[28].]
[Fin mai ? 1790, — du Clos,]

Vous verrez notre ami, par la ci-jointe, que nous avons reçu le viatique que vous nous avez envoyé et qui nous a fait d’autant plus de plaisir que ce mode met à l’abri de toute réduction.

Vous aurez su, par ma dernière, que vos plantes, ne sont toujours point arrivées[29].

Notre ami observe qu’il n’a point été commissaire pour des expériences ad hoc sur l’emploi, dans le blanchiment, de l’acide marin déphlogistiqué ; il n’y a eu que des expériences de particuliers dont il a dit tout ce qu’il savait dans son œuvre encyclopédie.

Je croyais bien vous avoir donné le nom du pauvre diable pour qui est la lettre que je vous fais repasser avec prière de lui donner cours.

Adieu ; nous vous embrassons cordialement. Que ne venez-vous en députation pour notre fédération patriotique !

J’ai[30] reçu le Discours préliminaire avec les notes ; je n’ai encore pu qu’y jeter un coup d’œil rapide : tout me sera utile soir pour corriger et réformer, soit pour confirmer et amplifier ; en vérité, j’ai beaucoup de choses à y joindre ; mais le temps ?… un notable… je vous ferai repasser le tout, quand…

Toujours point de nouvelles des plantes et insectes. Salut et amitié.


349

À BOSC, [À PARIS[31].]
7 juin 1790, — [du Clos ?].

J’ai reçu le billet ; je ne l’ai point encore placé. Je voulais répondre longuement à votre bonne lettre, je ne le puis.

Vous êtes assez content de la tournure des affaires ; nous le sommes fort peu, et du fameux décret de la guerre et de la paix[32] qui est purement illusoire et tout royaliste, et des belles paroles du ministre, et des vingt millions versés le lendemain au Trésor royal, et de mille décisions du Comité de constitution qui paraît vendu au ministre et devient plus effrayant que son premier commis, et de cent choses qui vont de travers.

N’abandonnez pas votre fédération du 14 juillet ; tenez-y et faites-la. Mais, tout en jurant adhésion, obéissance ; dévouement aux décrets, ayez grand soin d’insinuer la nécessité de sanctionner la Constitution par la voix de la nation même dans une Convention ad hoc, sans cela nous ne faisons que de l’eau claire.

Je suis impatientée du fatras de cette vieille hiérarchie, archevêques, primats, évêques, etc. Bientôt on va nous conserver aussi des chanoines. Que de frelons, que de brouillons théologiens, ambitieux, sectaires, intolérants, sanguinaires, fauteurs de sottises et de corruption[33] !

L’Assemblée a donc perdu sa boussole ? Si cela continue, ses derniers décrets bouleverseront, sans qu’on s’en doute, tous les principes de la constitution établie dans les premiers temps.

Je parlerais plus d’Eudora si elle m’occupait moins ; je suis assez habile à conduire le sentiment, mais je ne sais pas le faire naître dans un cœur froid. Ce froid-là me déconcerte, moi et ma méthode ; j’ignore la prise qu’on peut avoir sur une tête qui ne se fixe point, et un caractère qui ne s’émeut de rien.

J’en jette mon bonnet par-dessus les moulins, et j’avoue ne rien entendre à pareille éducation.

Adieu, adieu.


350

[À LANTHENAS, À PARIS[34].]
20 juin 1790, — de Lyon.

Elle mande le départ pour Paris de M. Blot, député par Lyon pour obtenir du Gouvernement des secours pour payer les dettes de cette ville. Elle fait un piquant tableau de ce personnage qui, tour à tour, a secondé Roland dans ses projets et l’a abandonné. Puis elle parle de Champagneux[35], directeur du journal le Courrier de Lyon, brave et excellent homme, mais pas assez actif….


351

À LANTHENAS, [À PARIS[36].]
22 juin 1790, — [de Lyon.]

Je reçois en même temps, mon bon frère, vos deux lettres des 16 et 18 ; elles me font un extrême plaisir ; je n’ai pas besoin de nouvelles circonstances pour apprécier votre amitié ; mais il en est telles où ses témoignages deviennent encore plus touchants. Je me sais bon gré de vous avoir donné tous les détails que je vous expédiai hier directement, et puisque Wlle [Warville] se soutient ainsi, je laisse à votre prudence de lui communiquer tout ce que je vous ai dit de Blot et de notre liaison avec lui.

Blot nous a véritablement abandonnés, après nous avoir poussés ; c’est un vrai clabaudeur, déclamant avec violence dans le particulier, mais ne sachant rien soutenir en public. Je vous enverrai demain, faute de temps aujourd’hui, la copie de ce que notre ami a lu au Conseil de la commune[37] et qui a fait si fort crier, parce que c’étaient de dures vérités. Nous sommes des proscrits contre lesquels on se déchaîne avec une incroyable fureur ; Blot a eu grand soin, au dernier conseil, la veille de son départ[38], de changer de place pour n’être pas à côté de M. de Laplt. [Laplatière]. Il était déjà échappé à sa femme de me dire que son mari était tympanisé à cause de sa liaison avec le mien… J’ai frémi un moment d’indignation et j’ai bientôt souri de pitié… Comme si de tels Myrmidons, apprentis des affaires et des vertus publiques, ne devaient pas s’honorer de tenir à un homme blanchi dans l’exercice du courage et la profession de publier la vérité. Sans doute, sous l’ancien régime, on pouvait lui faire un tort de sa rude franchise, sans doute encore dans la société, où l’on ne veut que des agréments aux dépens des qualités, on peut lui reprocher son inflexibilité, ses formes anguleuses. Mais, quand on soulève l’oppression, quand on déchire tous les voiles, quand il faut poursuivre les abus, tonner contre l’injustice et révéler toutes les iniquités, il est bien question de ménagements, de confitures et de politesses ! Je suis persuadée que Blot va tourner Wlle [Warville] et lui représenter Lyon comme devant se conduire tout différemment que Paris ; il répétera le dicton de nos lâches patriotes, qu’on ne peut pas tout dire en province ; et pourquoi ?… Parce qu’ils sont des pleutres à qui les cris font peur et que les menaces effrayent ; non contents de se cacher, ils désavouent le seul homme qui ait assez de caractère pour se montrer.

Si nous avions eu un second de notre force, tout Lyon était à la raison ; les méchants se plaignent et les autres nous trahissent. Leurs sots propos, leurs indignes clameurs, leurs absurdes calomnies se propagent à l’aise. Retirés dans le cabinet, avec la plume pour notre seule défense, ne cultivant personne par intérêt quelconque, nous sommes en proie à toutes les insinuations qu’on veut répandre contre nous ; jamais on ne nous voit nulle part en personne nous montrer pour les détruire et mille gens qui devraient nous chérir nous vouent au gibet.

On a voulu établir ici une seule sorte de pain[39] parce que le peuple était mal nourri ; c’est une entreprise qui a eu plein succès à Marseille et à Aix. Ici, les boulangers contreviennent à l’ordonnance, font encore plus mauvais le pain unique qu’ils devraient faire meilleur en ôtant tous les sons et mêlant toutes les farines, et l’on ne sévit pas contre eux, et le peuple est vexé, et notre ami qui s’est élevé pour le bien est donné publiquement dans les carrefours comme l’auteur de tous maux, et on fait dans les cafés des listes de gens à pendre, à la tête desquels on le place ; et on lui fera un crime de parler avec vigueur, même dureté ; et d’indignes amis l’éviteront pour ne pas partager avec lui la glorieuse haine des méchants ; et ces lâches se feront un mérite de leur turpitude, et ils l’appelleront sagesse ; et une petite marque de confiance, une nomination de député de la part de ceux qu’ils méprisaient les rendra leurs partisans ; et ils feront coalition avec de perfides administrateurs, et ils leur voteront des remerciements après les avoir dédaignés, et ils iront encore vous donner leur mince succès pour preuve de leur raison. Mon cœur se soulève et les rejette.

Je pardonne ou je méprise le fripon ou le méchant qui se plaint de la justice et se révolte de la vérité ; mais je hais l’homme faible et trompeur qui, sous une apparence d’énergie et de patriotisme, a séduit mon amitié et ne lui présente plus que les détours de l’ambition ou de la pusillanimité… Voulez-vous le mot : Blot, lui-même, est jaloux de notre ami ; il se croyait une tête d’administrateur, la comparaison l’a détrompé ou seulement humilié ; il le craint, il s’éloigne, il n’y a plus qu’un pas pour le desservir : que dis-je ? il est déjà fait.

Faites aussi ce que vous voudrez de ma lettre ; je ne cache rien de ce que je pense et de ce que je sens ; j’en ait dit autant et plus à Blot lui-même une première fois ; je le croyais revenu ; je me suis encore trompée en cela même. Le ciel le conduise et le protège, mais, ce n’est point là ce que j’appelle un homme, et je lui ai retiré lgestime que je crovais lui devoir à ce titre.

Quant à nous, notre marche ne changera jamais ; ces cris ne m’atteignent point, ils ne sont pas dans ma, région. Qu’ils hurlent, que m’importe ! Je veux le bien pour lui, je dis la vérité pour elle, je n’ambitionne rien et j’aurais moins qu’il ne me reste, que je serais la même ; j’ai connu un état plus fâcheux, j’ai dû le supporter, je me passerais de tout, hors de mon estime. Que mon ami soit abandonné, il ne demeurera pas seul, car je lui reste et je vaux quelque chose.

J’ai écrit à Pigott, à Desissarts ; je vous ai fait repasser votre adresse.

J’ai reçu à différentes fois vos numéros de l’ami du peuple[40] ; je les vois avec plaisir, mais je suis trop isolée pour leur donner un grand cours, et le bon Chpgx [Champagneux] n’est pas de force à user de certaines choses. Je ne lui en veux pas ; il se montre toujours ce qu’il est, et on ne peut faire un crime à personne d’être ce que la nature l’a fait. Mais foin de ces héros de chambre qui tremblent dans la première rue !


352

À M. HENRY BANCAL, [À CLERMONT[41].]
22 juin 1790, — de Lyon.

Je n’ai pas, Monsieur, l’honneur de vous connaître personnellement ; mais comme l’existence d’un citoyen n’est pas bornée à sa végétation dans tel ou tel lieu, l’idée qu’on peut se faire de lui-même et l’estime qu’on peut lui accorder ne tiennent pas non plus à la connaissance de son visage.

Depuis que les Français ont acquis une patrie, il a dû s’établir, entre tous ceux qui sont dignes de ce bien, un lien puissant et nouveau qui les rapproche malgré les distances et les unit dans une même cause. Un ami de la Révolution ne saurait être étranger à aucun de ceux qui aiment cette Révolution et qui désirent contribuer à son plein succès. Vous êtes lié, à Paris, avec l’honnête et digne Lanthenas, c’est lui qui vous a fait connaître à nous, et vous lui aurez entendu parler de son ami de Lyon, Roland de La Platière ; ce n’est que la femme de celui-ci qui vous écrit aujourd’hui, mais comme une même âme les anime, les expressions de l’un vous rendent les sentiments de l’autre. Nous avions l’espérance de vous voir ici à notre fête civique, et nous nous en étions fait une de vous accueillir. Ce plaisir n’est que retardé sans doute ; l’ami Lanthenas doit s’acheminer vers notre ermitage dans le courant du mois d’août ; vous avez à nourrir ensemble des projets auxquels nous pourrions prendre part de quelque manière[42]. En attendant que les circonstances permettent de les combiner sûrement pour travailler à leur exécution, j’ai voulu me procurer l’avantage de votre correspondance ; le désir en était tout naturel chez de bons patriotes, j’avoue cependant que je dois à M. Lanthenas l’idée et la résolution de la provoquer.

Vous êtes occupé d’un objet bien intéressant[43] qui absorbe aussi, pour ainsi dire, dans ce moment mon excellent mari. Je ne sais si vous aurez beaucoup à vous applaudir des administrations que vous concourrez à former, ou du moins des sujets que vous allez leur fournir. Autant les fonctions d’électeur sont honorables et importantes, autant il me parait difficile de les bien remplir dans ce temps de crise, parmi l’ignorance des bons cultivateurs et l’intrigue des gens des villes.

La cabale a presque tout fait pour le département de Lyon[44], dans lequel il n’y a pas ce qu’on appelle un homme dans un pays libre ; je veux dire un être qui, à la connaissance des droits de l’homme et des devoirs d’administrateur, joigne le caractère et les talents nécessaires pour défendre les uns et suffire aux autres.

On travaille maintenant la formation du district[45] ; il est douteux qu’il s’organise plus heureusement. Il règne dans ce pays la quadruple aristocratie des prêtres et des petits nobles, des gros marchands et des robins. Ce qu’on appelait les honnêtes gens, dans l’insolence du vieux régime, présente à peine quelques patriotes ; il n’y a que le peuple qui chérisse la Révolution, parce que, son intérêt tenant immédiatement à l’intérêt général, il est juste par sa situation comme par sa nature ; mais ce peuple peu instruit est en proie aux perfides insinuations, et lors même qu’il juge bien, il a encore cette timidité, reste flétrissant des fers qu’il a si longtemps portés. Il faut une génération pour en effacer les traces, pour faire naître et motiver cette noble fierté qui soutient l’homme au niveau de la liberté et les perfectionnera ensemble.

Si la conformité des principes et le besoin de s’entr’aider vous font attacher, Monsieur, quelque intérêt à notre correspondance, vous pourrez nous adresser sous le couvert de l’Intendant de Lyon. Quoique le personnage n’existe plus[46] en quelque sorte, la machine est encore montée pour quelque temps. Si vous aviez à nous faire passer des notes ou des observations utiles à publier dans nos provinces, nous avons un moyen[47] d’en favoriser la publication. Si vous vous trouviez enfin arriver ici dans un moment ou nous n’y serions pas, veuillez vous rappeler que notre ermitage n’est qu’à cinq heures de la ville et qu’il est ouvert aux patriotes, aux citoyens qui vous ressemblent. L’ami Lanthenas et M. Blot en connaissent le chemin.

Recevez, sans compliment, le salut et l’estime du patriotisme et de la liberté.


Phlipon Delaplatière.

353

À LANTHENAS, [À PARIS[48].]
28 juin 1790, — de Lyon.

Votre lettre du 19 est venue couronner la journée d’hier où j’avais déjà reçu celles des 16 et 18. Je joins ici le morceau de notre ami qui lui fait tant d’ennemis dans ce moment ; non pour que vous le fassiez publier, ce ne serait pas le moyen de nous rendre la paix, mais pour que vous en jugiez, et par là, des gens qui s’en offensent.

Tous les faits, toutes les observations sont justes ; restent quelques expressions qui le sont trop aussi pour n’être pas désobligeantes. Cela fut jeté le matin au moment de partir pour le conseil, d’après ce qu’on avait entendu dire la veille du sujet dont il serait traité. Avec le loisir de la critique, on eût pu adoucir quelques phrases en les arrondissant ; mais au moins cette endosse ne doit-elle pas valoir d’être dépeint et traité comme un ennemi du bien public et abandonné de ses amis comme un pestiféré, ou un sujet avec lequel il soit honteux de se montrer.

Autre chose : la fameuse lettre de Desmoulins a été dénoncée hier à l’assemblée des Électeurs[49], avec des réclamations, des cris sans fin et la motion d’informer contre le journaliste pour connaître les auteurs etc… Le bon sens du président s’est opposé à cette motion ridicule et l’a fait tomber, non sans peine.

Nos municipaux sont furieux ; déjà ils l’avaient été du mot de Wlle [Warville] et ils avaient mis en délibération de lui intenter un procès comme criminel de lèse-nation pour avoir mal parlé d’administrateurs qui ont besoin de la confiance publique.

J’ai vu Blot rire comme un fou de cette colère et de cette prétention : mais on ne rit pas toujours ; il a craint d’être soupçonné, il n’a pas cru pouvoir mieux se mettre à l’abri qu’en faisant auprès des offensés le rôle d’un quoniam bonus. Tant y a que nos ganaches s’étaient apaisées ou endormies ; la lettre de Desmoulins les agace violemment ; on en fait grand tapage et, dans l’indisposition où ils sont contre notre ami, leurs idées se dirigent de sont côtés ; je ne doute pas qu’ils ne fassent quelques démarches pour tâcher de lever le voile.

Il importe que vous soyez prévenu. Votre nom ne vaudrait rien, il serait trop aisé de remonter à la source ; et s’il arrivait qu’on dût en donner un, il faudrait les chercher en l’air. Au reste, je vous dis tout ceci par prudence, car, malgré leur fureur, ils sont si bêtes, et les choses dites sont si vraies, qu’il ne leur serait pas aisé de s’en tirer avec les honneurs de la guerre. J’imagine que Desmoulins n’est pas un petit compagnon à se laisser faire et à ne savoir se retourner. Prévenez-le comme vous l’entendrez, pour éviter la cacophonie et l’indiscrétion[50].

Notre district s’organisera peut-être un peu moins mal que le département ; mais c’est encore fort douteux.

Je vous laisse à nous maintenir avec le brave Wlle [Warville] dans les termes qui conviennent à notre commun amour pour le bien public. Je vous avoue que je ne m’attends pas à être recommandée par Bt [Blot] dans son esprit ; il est devenu d’une prudence à nous juger têtes exaltées. Le fait est que nous ne sommes point à notre place, et puis c’est tout. Si Blt [Blot] avait eu de la suite, notre projet de société patriotique serait exécuté et nous aurions fait comme à Dijon ; mais quand il a fallu agir, adieu mon homme et son enthousiasme.

J’ai reçu une lettre du brave Pigott. Il faut engager Desissarts à venir nous trouver au Clos où nous serons probablement lorsqu’il viendra ici. Adieu, courage et amitié, tous deux éternels et immuables !


354

À LANTHENAS, [À PARIS[51].]
25 juin 1790, — de Lyon.

Que signifie donc cette farce ridicule que la cour fait jouer maintenant dans nos provinces ? Deux de vos poissardes sont arrivées ici dans les premiers jours de cette semaine, munies d’un passeport de M. Bailly, et s’annonçant pour aller à Turin chercher les Princes, ne voulant pas que Mme  d’Artois accouche en Savoie et devant ramener cette princesse ainsi que votre archevêque, etc… Elles ont été accueillies chez le commandant de notre garde nationale, où elles ont mangé ; elles se sont présentées au Conseil général de la commune, où elles ont chanté, baisé, juré, suivant leur usage ; le lendemain au spectacle, donnant le ton, criant à tout propos : Vivent nos Princes ! et « ftr de ceux qui ne pensent pas comme nous, nous assommerons ces bgres-là ! » Et nos Lyonnais d’applaudir. Représentez-vous les plus dégoûtantes coureuses, sans esprit même de leur genre, soufflant l’eau-de-vie et les jurements, vous n’aurez qu’une faible image de ces rebutantes créatures et de leurs scènes indécentes. Cependant une affiche exprès pour elles a annoncé qu’on ne donnerait ps tel spectacle attendu, mais tel autre, demandé par les dames de Paris, qui, bouffies de liqueur et de grossièreté, y ont joué leur insolente parade dans la loge du commandant. Je vous avoue que le cœur me défaille en voyant la bassesse de nos citoyens et de nos hommes en place, tous enchantés de platitudes et les honorant d’applaudissements. Quoi ! nous somme libres, et les flagorneries, les sottises de femme imbéciles et brutales, payées pour jouer cette plate comédie, ne nous ont pas rebutés ?…

Cela n’est pas vrai ; je ne vois que des esclaves avilis se roulant dans la fange et rappelant leurs maître et leurs fers. Nous ne valons que d’être fouettés pour leurs plaisirs.

Faites-moi donc relever ces indignités par vos écrivains hommes, puisque vous en avez ; je ne connais ici que des eunuques.

N’allez pas dire cela à B. [Blot] qui le redirait à C. [Champagneux]. Je crois cependant pour l’honneur de ce dernier qu’il doit donner son coup de patte ; son cœur honnête s’est révolté.

Adieu.

L’une de ces déesses s’appelle la Reine d’Hongrie ; elle s’est vantée d’avoir été aux expéditions de la Bastille et de Versailles ; c’est donc pour les discréditer, ces expéditions, que ces vilaines machines viennent s’annoncer pour y avoir coopéré !

On dit que votre Commune leur a fait adresse et que tout cela se tripote à dessein avec La Fayette, Bailly, la Cour et le reste.


De la main de Bosc (écriture de M. Faugère) :

Faites usage le plus tôt possible de la lettre ci-jointe et n’épargnez pas les épithètes piquantes pour ridiculiser cette platitude. Vous me renverrez la lettre aussi le plus tôt possible. — Bosc.


355

[À BOSC, À PARIS[52].]
27 juin 1790, — de Lyon.

Nous sommes en peine de vous, vrai patriote et bon ami ; nous avons été frappés, dans une feuille d’aujourd’hui, de l’annonce d’un changement décrété dans les postes, et des réductions particulièrement faites à M. d’Ogny[53]. Ne vous trouvez-vous point intéressé dans ce remuement ? Votre sort n’en est-il pas altéré ou menacé ? Voilà notre inquiétude. Elle est plus grande que je ne saurais vous l’exprimer et bien naturelle à l’affection qui nous unit.

Éclairez-nous promptement sur la vérité de votre situation : cette connaissance est nécessaire à notre tranquillité. Faites-nous partager vos peines ou goûter votre sécurité.

Votre jolie fête des Ami de la Loi[54] a donc eu son exécution ? Puisse-t-il s’en faire beaucoup de semblables pour électriser les âmes !

Paoli vient d’arriver en cette ville[55].


356

À LANTHENAS, [À PARIS[56].]
30 juin 1790, — [du Clos ?].

…Ô mes amis, gardons bien la liberté, car si nous venions à la perdre après cette grande égalité, nous serions plus esclaves que jamais ! Soutenez bien l’opinion publique contre la guerre qui nous menace, contre le décret qui y est relatif, et sur la nécessité de voir clair dans nos finances ; toujours des millions et point de comptes : cela me fait sauter aux nues. Faites donc vendre les biens ecclésiastiques[57] ; jamais nous ne serons débarrassés des bêtes féroces, tant qu’on ne détruira pas le repaire. Adieu, brave homme ; je me moque du sifflement des serpents ; ils ne sauraient troubler mon repos.


357

À LANTHENAS, [À PARIS[58].]
2 juillet 1790, — de Lyon.

[Elle parle de l’inquiétude qu’elle éprouve au sujet de sa chère Agathe, puis elle s’entretient de la politique et des affaires lyonnaises · · · · · · · · · · ]

« qui sont dans un terrible chaos. Le peuple n’y est pas si violent qu’on le dit, mais la municipalité y fait des inconséquences sans nombre… Tous vos ministres sont des fripons, mais le premier me semble le pire de tous. L’homme de paille a été mal conseillé pour le grand jour, et sa femme me semble la plus cruelle ennemie de la Révolution. Je déteste le Pce [Prince ?] et vos lâches députés courtisans… »


358

[À…[59]]
3 juillet 1790, — de Lyon.

359

[À BANCAL, À LYON[60].]
[premiers jours de juillet 1790, — de Lyon.]

J’avais disposé de vous aujourd’hui. Monsieur, il est vrai que c’était sans votre aveu ; mais par suite de ma franchise, il faut que je vous en prévienne. Vous n’avez point encore visité notre spectacle, j’avais arrangé que vous iriez le voir aujourd’hui et que vous m’y donneriez la main ; si cela vous convient, venez ratifier cette disposition ; si vous en avez d’autres qui doivent être préférées, n’y changez rien. Recevez mille saluts de mon ménage.


Je suis bien persuadée que, si vous n’êtes pas venu au moment indiqué, c’est que vous n’avez pu mieux faire ; mais l’heure du départ de mon mari et de nos gens devient très prochaine ; s’il y a quelques difficultés de votre côté pour les chevaux ou par autre circonstance, marquez-le-moi ; je partirai avec notre ami et nous vous attendrons ce soir à la petite ville, ou vous nous y précéderez et vous y trouverez mon beau-frère prévenu de votre arrivée.

Mille saluts.


360

À M. HENRY BANCAL, [À PARIS[61].]
Le 5e jour de l’an ii de la liberté, — [du Clos].

Il est vrai que les âmes s’entendent, que j’avais parfaitement calculé le jour de votre première lettre ; aussi ne savais-je que penser lorsque je vis arriver de la ville sans qu’on nous apportât rien de Paris. On ne nous dit point que le courrier n’était pas encore venu ; son retard a tout éclairci.

Assurément, vous serez, vous êtes notre digne et bon ami ; quel autre nous pourrait rendre les convenances qui nous rapprochent, les rapports qui nous lient ? Si vous avez promptement aperçu en nous ces mœurs simples, compagnes des sages principes et des douces affections, nous avons bientôt reconnu votre cœur aimant et généreux, fait pour goûter tout ce que peuvent produire le sentiment et la vertu.

Il est plus vrai qu’on ne le pense que les temps de révolution, si propres à développer les facultés morales et tout ce qui existe de passions nobles, favorisent également ces liaisons rapides et durables qui naissent de l’énergie des unes et des autres.

Sous l’ancien régime, il fallait peut-être s’étudier davantage pour s’apprécier sûrement ; mais avec une haine égale de l’esclavage, des tyrans, et des vices qu’ils enfantent ou protègent, lorsqu’on vit à une époque où cette haine doit se manifester par la conduite et par des sacrifices, on a toujours avec soi une juste mesure pour estimer ses pareils.

Vous avez célébré la fameuse journée… Vous aurez occupé à la fête une place où il est glorieux de se trouver, parce qu’elle est donnée à des soins pris dans un temps où le seul amour du bien faisait braver les périls[62].

Le ciel n’a pas voulu que je fusse témoin d’aucun de ces grands spectacles dont Paris a été le théâtre et dont j’aurais été ravie ! Je m’en suis dédommagée en me livrant avec transport à tous les sentiments qu’ils ont dû enflammer dans les âmes saines.

Je me rappelle avec attendrissement ces instants de ma jeunesse où nourrissant mon cœur, dans le silence et la retraite, de l’étude de l’histoire ancienne, je pleurais de dépit de n’être pas née Spartiate ou romaine[63]. Je n’ai plus rien à envier aux antiques républiques : un jour plus pur encore nous éclaire, la philosophie a étendu la connaissance des droits et des devoirs de l’homme, nous serons citoyens sans être les ennemis des malheureux qui ne partagent pas les bienfaits de notre patrie.

Lyon a subi un changement depuis notre départ : la réclamation générale du peuple a forcé la municipalité de prononcer l’abolition des octrois[64] ;. il n’y avait plus que ce moyen de conserver l’industrie dans une ville qui n’existe que par elle. De sages administrateurs l’auraient prévu et se seraient fait un mérite de la chose. On avise aux moyens de remplacement, et l’impôt sur les loyers paraît entraîner le consentement universel.

Notre ami prêchait depuis longtemps contre ces octrois désastreux[65], et la voix de la vérité, toute perdue qu’elle paraisse dans la foule, finit par opérer des changements inattendus.

Mais il n’y aurait qu’un seul et puissant moyen d’influer à Lyon, d’y régénérer les esprits, ce serait d’y élever une imprimerie patriotique ; nous l’avions bien senti ; nos seconds sont trop lents ou trop lâches, et nous ne pourrons soulever le fardeau à nous seuls.

Je ne sais si la nomination des juges obligera bientôt notre ami de retourner dans cette ville ; jusque-là nous n’avons de projets que pour notre domaine et les travaux de cabinet, et déjà notre existence s’est modifiée suivant notre situation. Redevenus fermiers, nous rendons aux soins agraires et domestiques l’activité que nous donnions aux spéculations politiques. Cependant j’avoue qu’à mon arrivée la campagne m’a paru triste ; les fleurs du printemps sont passées, celles de l’automne ne sont pas encore venues, et l’été de ce climat n’a que des ardeurs stériles. Nous n’avons point de ces grandes scènes champêtres, de ces lieux romantiques,


Where heav’nly pensive Contemplation dwells
And ever musing Melancholy reigns[66].


Le pays est austère, sans majesté ; le sol y est dur et ingrat ; c’est la retraite du sage laborieux qui se fait un bonheur sévère et qui embellit son séjour par sa conscience bien plus qu’il ne reçoit de ses entours des impressions délicieuses. Mais passé le premier moment où cette âpreté fait quelque peine, la raison s’accommode de l’ensemble, et le cœur, toujours électrisé dans les champs, même les plus agrestes, fait aisément les frais du reste.

Notre ami a repris son travail sur les pelleteries ; je vais étudier les mœurs de ces pauvres animaux que le besoin des contrées boréales et le luxe de nos pays tempérés fait chasser pour leurs fourrures ; m’aimable botanique aura quelques-uns de mes regards, et je conserve sur ma table Thompson et le Tasse pour ne pas oublier entièrement leurs langues.

J’ai dans ce moment devant ma fenêtre, mais à un éloignement presque désolant, la cime du mont Blanc que vos yeux ont tant cherchée à Lyon, elle est dorée par les derniers rayons du soleil couchant.

Adieu, je vous rends à vos occupations et vais reprendre les miennes ; mais ce sera sans cesser de nourrir les sentiments qui vous ont fait accueillir, qui vous attendent et qui vous sont voués pour jamais dans notre ménage.


361

À LANTHENAS, [À PARIS[67].]
20 juillet 1790, — [du Clos].

J’ai reçu la lettre de mes bons parents et, par le courrier prochain, je vous en enverrai une autre pour ma pauvre tante[68] dont la fête s’approche.

Je désirerais bien qu’avant de quitter Paris vous me fissiez le plaisir d’aller à la Congrégation, de vous informer positivement si Agathe existe encore, de faire tout pour la voir ; si elle est visible, de verser quelque douceur dans ce cœur trop sensible, en l’entretenant de mon antique et inviolable amitié. Sa dernière lettre avait de tels caractères de démence, que je l’ai pleurée comme perdue et que je n’ai plus su quel ton prendre pour lui écrire. Mais ce pourrait être un accès passager.

Ne négligez rien pour me donner satisfaction sur cet article et me procurer des nouvelles sûres de cette amie de mon jeune âge, de mes années heureuses et de mon temps d’épreuve[69].


362

À M. H. BANCAL, [À PARIS[70].]
21 juillet 1790, — [du Clos].

Oh ! combien vous m’avez fait regretter de n’avoir pas été témoin de ces touchantes scènes, de n’avoir pas mêlé mes pleurs… Mais que dis-je ? Vous nous avez fait franchir l’intervalle, oublier la distance ; vous nous avez rendus présents à ces fêtes sublimes et nous avons partagé vos transports. Heureux citoyen ! vous avez servi votre pays dans ses jours de douleurs, vous êtes appelé à ses chants d’allégresse ; arrêtez-vous moins sur le touchant mœrorem et livrez-vous à l’enthousiasme du triumphamus.

Il est un certain chant de l’Iliade qui m’a donné la fièvre la première fois que je l’ai lu ; votre description en a fait autant et m’a tenu lieu d’un repas.

Vous aurez vu, par ma lettre au triumvirat[71], que je n’avais pas attendu vos premières nouvelles pour vous entretenir de votre anniversaire. Puisse ce jour mémorable avoir élevé les Français à leurs hautes destinées, avoir marqué d’opprobre tous les restes de la tyrannie et enflammé tous les cœurs du feu sacré de la liberté, sans laquelle il n’est sur la terre ni vertu, ni bonheur !

Je suis fâchée pour le Roi plus que pour la chose publique des mauvais conseils d’après lesquels il s’est conduit le jour de la Fédération : ces inconvenances obligent les écrivains patriotes à des observations qui éclairent le peuple. le ramènent aux principes, et elles préservent de l’adulation à laquelle notre malheureuse légèreté ne nous porte que trop. La sécurité est la mort de la liberté ; les indiscrétions de la cour nous tiennent en éveil et elles sont salutaires sous ce rapport.

Mais la coalition des ministres entre eux, le caractère du papa N. [Necker], le voile tenu sur nos finances, la lâcheté du comité de l’Assemblée chargé de cette partie, voilà des maux réels et de terribles écueils. Je voudrais qu’une voix universelle, imposante, s’élevât de toutes les provinces pour demander ces comptes tant attendus et forcer la vérité à sortir de son puits. Malheureusement, beaucoup de départements sont mal organisés. Celui de notre belle ville vient de prendre pour sous-ordres les dévoués de l’aristocratie. Je crains fort que la conduite faible, oblique et mal soutenue de la municipalité ne finisse par produire des scènes sanglantes.

On a envenimé la conduite du peuple[72] ; il n’a rien incendié, suivant ce qu’on nous a mandé ; mais il s’est attroupé et, sur ses clameurs contre les octrois, la municipalité a convoqué les assemblées de sections. Le vœu de toutes a été pour la suppression des octrois, au moyen d’un remplacement. D’après la généralité de ce vœu, la municipalité, assemblée le 10, a prononcé solennellement l’abolition des octrois, et les assemblées des sections ont été convoquées à l’effet de nommer des commissaires pour aviser aux moyens de remplacement. Tandis que ceci se passait à Lyon, un exprès envoyé par la municipalité informait les députés de la ville[73] des premières rumeurs et les engageait apparemment à solliciter le maintien des droits. Effectivement, l’Assemblée nationale rendit, le 13, un décret pour supplier le pouvoir exécutif de veiller à leur conservation.

Le décret arrive, et la municipalité se hâte de le faire afficher. Le peuple, déçu, se croit joué ; il s’assemble, il menace, il veut jouir de ce qui lui a été promis ; les commissaires des sections travaillent au plan de remplacement, ils le présentent à la municipalité, qui l’a expédié extraordinairement et qui a dû faire connaître l’empressement de tous les citoyens, jusqu’aux plus pauvres ouvriers, à se prêter suivant leurs facultés à une taxe quelconque ou indemnité pour la ville des droits dont ils désirent et veulent la suppression.

Cependant Bosc nous mande qu’un nouveau décret[74] vient d’être rendu pour assurer ces droits et rechercher les auteurs de l’insurrection ; d’autre part, on dit que deux régiments sont appelés. Qu’est-ce que cela peut devenir ? je l’ignore.

On croit qu’un municipal[75], frère d’un député, a des intérêts communs avec le fermier des octrois[76], lequel, comme tous les gens de finance, est très protégé par le ministre. Il pourrait bien y avoir sous tout ceci des menées auxquelles on ne voit pas très clair. Le fait est que la conduite du peuple n’est point révoltante, comme on la dépeinte, et que celle de la municipalité est du moins très inconséquente.

Quant à la chose en elle-même, et quel que soit le système général, il est évident que les droits d’entrée à Lyon sont tels, par leur excès, que la fabrique qui en fait la splendeur, et même l’existence, ne saurait s’y soutenir s’ils subsistent.

Voilà ce qu’a prouvé notre ami dans un mémoire de son œuvre encyclopédique[77], publié avant la Révolution française ; voilà pourquoi, dans la municipalité, il propose une diminution de ces droits avec remplacement sur les loyers, c’est-à-dire sur les maisons.

Voilà tout ce qu’il a fait à ce sujet. Mais, comme l’aristocratie voudrait sa perte, elle travaille à le faire regarder comme l’auteur de l’insurrection ; le bruit en parait déjà porté dans la capitale, et dans trois ou quatre sections de Lyon, où domine l’aristocratie mercantile, on s’est répandu contre lui en propos les plus étranges. Ce qu’il y a de singulier, c’est que, dans la fureur de lui nuire, on a débité qu’il était probablement complice de Trouard, dernièrement arrêté à Bourgoing[78], fermé à Pierre-Seize, et trouvé avec des notes instructives sur l’état des divers départements et les moyens d’opérer une contre-révolution, tandis que ces notes contiennent un portrait odieux de notre ami et de Blot, regardé avec lui comme un dangereux patriote.

Vous jugez que cet orage nous inquiète peu : nous en avons vu de plus affreux ; je ne trouverais pas mauvais que les intrigues ennemies nous valussent d’être appelés à la barre de l’Assemblée nationale ; notre ami pourrait s’y présenter comme Scipion devant rassemblée du peuple. Mais les méchants craignent le grand jour ; ils ne travaillent que dans l’ombre, ils soufflent de perfides insinuations et sauront bien éviter que celui qu’ils redoutent soit traduit à tel tribunal.

Au milieu de cette fermentation, parmi tant de gens faibles ou malveillants avec qui le bien est impossible à faire, je trouve bon que nous soyons à la campagne. Si l’orage avait commencé durant notre séjour, nous l’eussions affronté sans nous ébranler comme nous l’avions fait précédemment ; il s’est élevé depuis notre départ : qu’il ait son cours. Nous sommes sur nos pieds pour répondre à la première attaque digne de nous provoquer ; nous ne nous abaisserons pas pour courir après la calomnie on poursuivre des reptiles. Je sens seulement que, si la guerre vient, je réprendrai mes forces et ma santé.

Selon ce qu’on nous mande de Paris, la suppression des inspecteurs[79] devient tous les jours plus probable : ce sera un petit malheur qui ne m’arrachera pas un soupir. Je vois en perspective mon séjour absolu à la campagne, où j’aurai seulement moins de moyens de faire des réparations : mais mon bonheur ne tient ni à la quotité de notre revenu, ni à la beauté de mon habitation : j’en jouirai partout où je pourrai concourir à la félicité d’un sage, à la consolation de quelques braves gens, et cueillir quelques fleurs de la douce amitié : on fait tout cela avec le cœur, sans échafaudage extérieur.

Vous nous avez envoyé d’excellentes choses qui nous ont fait grand plaisir : il est doux de retrouver dans les écrits de ses amis le développement des principes que l’on professe et l’expression des sentiments dont on est pénétré.

Vous connaissez les nôtres, ils sont inviolables ; adieu, digne et bon ami.

363

À BRISSOT, À PARIS[80].
23 juillet 1790, — [du Clos].

[copie de la lettre écrité de la campagne le 23 juillet 1790, à M. Brissot, à Paris.]

Je vous crois, Monsieur, tellement digne de la vérité par vos principes et votre caractère que je regarde comme un devoir de vous la faire connaître ou de vous mettre sur la voie de la chercher, lorsqu’elle paraît vous être échappée.

Si j’habitais Lyon dans ce moment, je vous dirais précisément jusqu’où s’étend votre erreur. J’avais quitté cette ville avant les troubles qui y sont survenus ; et, sans doute, je ne puis prétendre à vous donner précisément leur histoire, puisque Raleigh lui-même ne sut parvenir à se convaincre de l’exactitude d’un fait passé sous ses yeux ; mais je ne suis qu’à cinq lieues de cette ville, j’en reçois des lettres, je vois des gens qui en arrivent ; je vous dirai ce qui m’est revenu, et vous vous jugerez vous-même.

Vous avez peint le peuple de Lyon[81] comme emporté dans l’insurection la plus violente, ayant incendié des barrières, forcé la main à la municipalité, fait des assemblées tumultueuses, commis des excès qui méritent d’être réprimés par la force, qu’on va réellement employer ; vous avez versé le blâme et le ridicule sur l’assemblée des commissaires des sections ; vous les avez accusés d’avoir décidé l’abolition des octrois, en agissant comme des législateurs au petit pied

Vous paraissez avoir oublié que la conduite d’un peuple qui réclame contre des maux dont il sent la douleur est toujours envenimée ; que ceux qui sont en place, dans ces moments difficiles, ne manquent pas de cacher leur imprévoyance, leur maladresse ou leur mauvaise foi sous des récits inexacts, et à la charge de ce peuple qu’ils n’ont su ou voulu éclairer.

Vous avez perdu de vue que l’exagération des torts aigrit les coupables, loin de les ramener ; que, dans le fait, le peuple n’agit jamais mal que par ignorance ; que son intérêt est toujours juste, parce qu’il est celui du plus grand nombre ; qu’ainsi on doit le prêcher quand il s’égare, mais non le blâmer légèrement, surtout lorsqu’il souffre ; qu’au contraire les hommes en place doivent être rigoureusement rappelés à leurs devoirs, parce qu’ils [sont] également inexcusables de ne pas les connaître ou de les négliger ; qu’enfin on n’inspire pas de la confiance au peuple en lui disant qu’il la doit à ses magistrats, s’il les voit ineptes ou inconséquents, mais en surveillant tellement leur conduite que le peuple sente qu’ils seront forcés d’en avoir une ferme et sage.

Il n’est pas encore évident que le peuple de Lyon ait rien brûlé aux barrières dans cette circonstance ; les uns m’ont assuré que cela n’était pas, les autres sont convenus qu’ils n’en avaient rien vu ; et, si près du lieu, je n’ai pu tirer cela au clair, comment le sauriez-vous à cent lieues ? Le Courrier de Lyon lui-même n’en a rien dit. Ce qui est assuré, c’est que le peuple, affaissé sous le joug insupportable d’octrois excessifs, qui le réduisent à la misère, qui ruinent les fabriques et mettent la main-d’œuvre à un taux d’où il résulte que ses productions ne peuvent plus soutenir la concurrence avec celles des étrangers ; il est assuré, dis-je, qu’il a fait entendre ses clameurs et qu’il s’est attroupé pour les rendre plus imposantes.

J’arrête ici et j’observe que, depuis nombre d’années, on gémit de l’excès des octrois, du dépérissement des fabriques lyonnaise, et l’on convient généralement de la nécessité absolue de les modérer dans cette ville. On espérait du nouveau régime une prompte action à cet égard : c’était effectivement l’un des premiers devoirs de la municipalité. Si elle se fût seulement occupée de cet objet, comme l’opinion et le vœu publics lui en faisaient la loi, le peuple eût pris patience, car il tolère des maux dont il voit qu’on travaille à le soulager.

Un projet de diminution avec un remplacement, facile à faire pour une partie, présenté à l’Assemblée nationale par une municipalité active, capable et bienveillante : voilà ce qui eût probablement prévenu la crise.

Revenons au faits : le peuple lassé, impatienté, souffrant toujours et ne partageant point dans ces murs où le retient l’industrie, seul moyen de satisfaire à ses premiers besoins, les bienfaits que la Constitution commence déjà à faire goûter aux campagnes par l’imposition des privilégiés, etc…, le peuple se plaint hautement ; ses cris et son attroupement effrayent les commis et leurs chefs ; tout disparaît. La municipalité convoque les assemblées primaires ; elles se tiennent, nomment des commissaires pour examiner la question.

Vous conviendrez que ce peuple, qui, perdant espérance en ses magistrats peu actifs, se confie à des commissaires régulièrement choisis suivant ses vues, peut être à plaindre, mais n’est point à blâmer de n’en savoir pas davantage.

Ces commissaires ne décrètent point, comme vous l’avez dit en les tançant vertement ; ils ont fait un arrêté sur la nécessité de supprimer les octrois. S’ils avaient été plus instruits, ils auraient fait sentir au peuple la nécessité de le soumettre à l’Assemblée nationale : ils crurent qu’il suffisait de le soumettre à la municipalité.

C’était donc à cette dernière de joindre ses instances à cet arrêté, soutenant l’espoir du peuple en même temps que sa soumission, d’envoyer le tout à l’Assemblée. Mais elle commence par déclarer solennellement l’abolition des octrois ; la déclaration se fait avec éclat : voilà le pauvre peuple confirmé dans la croyance qu’elle a ce pouvoir ; il se livre à la joie et reconduit le maire en triomphe.

Cependant la municipalité avait écrit, et le lendemain de sa déclaration arrive le décret du 13 qui ordonne la continuité de la perception des droits. Alors, sans avis, sans observations, elle se hâte de faire afficher ce décret. Le peuple se croit joué, il est furieux, il s’assemble, il annonce qu’il a compté sur la déclaration faite, et qu’il ne payera plus ces droits ; mais il continue de montrer son empressement à se prêter à un remplacement. Les projets pleuvent de toute part, et, jusqu’aux plus pauvres, font des offres à leur manière ; les commissaires des sections travaillent au mode du remplacement. Durant cet intervalle, on peint à l’Assemblée la révolte du peuple de Lyon, l’embarras de sa municipalité, le malheur de ses magistrats, la nécessité d’arrêter l’insurrection, de déployer la force, etc. Nouveau décret du 19[82] (détestable sous tous les rapports). Le pouvoir exécutif est interpellé, les régiments sont en marche, le peuple désespéré s’enflamme… Qu’arrivera-t-il ? C’est ce qu’on ne peut prévoir. Mais était-ce à vous, ami de l’homme et des malheureux, d’ajouter à leur état fâcheux, fruit de l’ignorance et de l’oppression, l’amertume du blâme sans ménagement ? Ils vous regardaient comme un de leurs défenseurs, et, en vous voyant les mal juger, ils se croient trahis.

Rappelez-vous que la majeure partie du corps municipal lyonnais est ennemie de la Révolution ; sachez que l’un de ses membres, frère d’un député, passe pour avoir des intérêts communs avec le fermier des octrois ; suivez la marche de ce corps aussi ignorant peut-être et moins pur que le peuple lui-même, et voyez avec quelle discrétion l’écrivain impartial et patriote doit distribuer l’éloge et la censure.

Vous n’aurez entendu qu’une partie ; l’ami Blot lui-même aura été induit en erreur. Envoyé par la municipalité, c’est avec celui de ses membres dont le patriotisme est le plus suspect, ou, disons mieux, dont l’aristocratie est la plus connue, qu’il est plus particulièrement en relation. Avertissez-le qu’il a plus besoin que jamais de sagesse et de conséquence dans sa conduite comme homme public. Ce qu’on appelle patriotes, tel faible qu’en soit le parti à Lyon, commence à craindre que Bt [Blot] ne soit de ces impartiaux dont il faut se défier. Sans doute, ce sont bien moins les considérations d’intérêt, auxquelles on échappe difficilement dans l’urgence de certains cas, que le besoin de son cœur de ne déplaire à personne, qui dirige et modifie ses actions ; mais trop prompt à s’enflammer d’une part, et de l’autre trop peu capable de suivre avec continuité de la même vigueur un parti pris dans l’enthousiasme, il est exposé à des alternatives qui peuvent lui faire le plus grand tort et finiront par lui rendre les deux partis ennemis. Dite-lui que, quoiqu’il nous boude, nous ne l’avertirons pas moins de ce qui peut lui être utile. S’il a trouvé que des amis de notre force ne convenaient pas à son allure, il n’a pas bien fait pour cela de tant relâcher le lien ; il aurait dû sentir que des âmes de notre trempe sont précieuses au sage qui sait mettre à profit leur franchise et leur énergie.

Il a dû me trouver vive et rèche, une fois que j’ai cru qu’il avait molli. Il est vrai qu’en fait de principes je ne sais pas composer et que j’ai l’habitude, lorsque je pense mal de mes amis, d’aller leur en faire la confidence sans ménagements : je garde ceux-ci pour les tiers indifférents. Mais je suis aussi prompte à adoucir l’effet de mes fortes expressions qu’à les mettre en usage : il a dû le voir aussi.

Nous avons également senti et su qu’il avait eu la faiblesse de regarder sa liaison avec mon mari comme pouvant lui nuire dans l’esprit de certaines gens. Sur cet article, je ne me permettrai pas de dire ce qui m’en semble ; il me touche de si près, et je suis d’un caractère si parfaitement opposé à ce genre de faiblesse, qu’il me serait difficile de le traiter modérément.

Je sais qu’avec bien d’autres il reproche à mon mari cette rigidité qui ne se prête jamais aux passions d’autrui, cette âpreté à combattre les abus et les fripons, sans égard aux préjugés ni même toujours aux circonstances, cette austère et inflexible vertu qui veut le bien et tend puissamment à l’opérer, sans calcul d’aucun intérêt, et sans choix dans les formes, pourvu qu’elles soient justes et efficaces.

Mais toutes ces choses très vraies, qui peuvent devenir des défauts et faire des torts dans la société du monde ou dans le détail de quelques relations, sont des qualités éminentes dans un homme public et dans les temps de révolution ; et si elles se fussent trouvées seulement dans trois ou quatre personnes de la municipalité de Lyon, cette ville et son administration se fussent régénérées ensemble.

Il n’était ni digne ni adroit à Blot de marquer tout à coup son éloignement d’un tel homme, car il avait de plus fortes raisons pour s’honorer de son estime et pour profiter de ses lumières. Sans ce froissement, très sensible immédiatement avant son départ pour Paris, il eût conservé quelque correspondance, et elle ne lui aurait pas été inutile pour ses opération mêmes ; car c’est des avis contradictoires que résulte l’indication du mieux possible.

Au reste, je ne dis rien de ceci en forme de reproches ; je suis infiniment éloignée de l’idée d’en faire, et je n’avais pas le projet de vous en entretenir en prenant la plume : je me proposais seulement de vous dire de prévenir votre ami de la disposition des esprits sur son compte, parce que je crois qu’il importe à ses intérêts, à sa satisfaction d’en être instruit.

Quant à nous personnellement, nous sommes tellement indépendants, par notre façon de voir, et des choses et des hommes, qu’il n’est rien au monde capable de nous faire dévier de la voie où nous jugeons devoir marcher. Avant que nous nous connussions, mon mari et moi, nous avions, chacun dans notre genre, subi assez d’épreuves pour n’en plus craindre aucune ; aussi, excepté de mal faire, il n’est rien au monde que je redoute. D’après quoi, vous jugerez aisément comment nous apprécions les propos et les évènement.

On nous a instruits dernièrement que, dans trois ou quatre sections aristocratiques de Lyon, on s’était permis sur le compte de notre ami les discours les plus étranges ; on le donne pour l’auteur de l’insurrection ; on veut qu’il soit pendu ; on va jusqu’à dire qu’il est complice de Trouard, fermé à Pierre-Seize. Notez que, dans les papiers de cet homme, les notes les plus calomnieuses sont dirigées contre notre ami et contre Blot, comme les deux patriotes les plus redoutables ; notez en outre que, sur l’affaire ou plutôt la question des octrois, l’ouvrage le plus fort de notre ami est un mémoire fait en 1786, mis à l’impression en 1788, et qui se trouve dans son œuvre encyclopédique, à l’article Bonneterie du Supplément. Jamais, d’ailleurs, il n’a traité cette matière ; seulement, dans sa petite brochure Municipalité de Lyon[83], il a fait sentir l’avantage de diminuer ces octrois, en adoptant telle forme de remplacement pour la partie diminuée. Mais le fondement réel de ces accusations, de cette rage, est dans l’humeur des marchands, des agioteurs, de administrateurs anciens et nouveaux, irrités des vérités humiliante qu’il leur a démontrées.

J’ai bien peur que vous ne trouviez cette lettre plus longue qu’elle ne m’a semblé à faire : je ne vous en ferai point d’excuses, car, si je croyais en devoir pour cela, je commencerais par jeter la lettre au feu. Ne voyez dans tout ceci qu’un motif de rechercher plus sûrement la vérité, et un témoignage des sentiments vrais et inaltérables que l’estime et le patriotisme nous on fait vous vouer[84].


Signé : R. n. P.

364

[À BOSC, À PARIS[85].]
24 juillet 1790, — [du Clos].

Non, ne faites rien dire à Brissot ; la lettre que je viens de faire et qui m’est poussée comme un champignon lui dira tout[86]. Si vous avez le temps et le goût de la lire, vous y verrez ce que je pense des choses et des hommes, et combien les mêmes évènements présentent de faces différentes.

Je crains fort qu’il n’y ait à Lyon du sang versé et que les esprits ne s’y aigrissent pour longtemps. Et l’on ne gémirait pas quand on voit que l’incapacité ou la mauvaise foi de gens en place amène ces malheurs qu’un peu de sagesse aurait prévenus !

Envoyez à Lanthenas la lettre pour Brissot. Ellle lui tiendra lieu de ce que je ne puis lui écrire aujourd’hui, et il la remettra en mains propres, ce qui n’est pas à négliger, parce que de telles franchises ne sont pas faites pour tout le monde.


365

À M. H. BANCAL, [À PARIS[87].]
25 juillet 1790, — [du Clos].

Nous avons reçu dernièrement une lettre d’un député patriote[88] ; j’ai pensé qu’il fallait vous la communiquer, parce que les bons citoyens doivent être au courant de leurs manières de voir réciproques : c’est le moyen de bien connaître la vérité, de servir plus sûrement la patrie.

C’est dans le même esprit que je viens de communiquer à Brissot, je ne dirai pas des faits, mais des considérations qui peuvent être utiles à l’écrivain et à l’ami de l’humanité[89].

Vous trouverez que notre député[90] nous jette terriblement dans la tristesse du premier verset de l’hiérodrame. Puisse-t-il s’exagérer les danger de l’État et mériter que vous l’accusiez de se tromper ! Dites-moi ce qu’il vous en semble.

Après la chose publique, je ne sais comment revenir à ce qui m’est particulier, cela se tient cependant. Vous saurez que, tandis que je goûte ici la nature et le sentiment, on déchire à Lyon notre ami si terriblement, que nos amis se scandalisent de notre silence, et que les honnêtes gens qui ne nous connaissent pas commencent à nous croire coupables ; il faut donc descendre dans l’arène. J’ai pensé que c’était le cas d’une lettre explicative.

Notre ami ne pouvait s’en persuader la nécessité, tant il se trouve au-dessus de telles inculpations. J’ai imaginé qu’on pouvait prendre une tournure qui ne dérogeât point à la dignité de l’innocence : vous verrez si je me suis trompée ; j’aime à vous en envoyer copie pour que vous jugiez de cela même. Cette lettre sera imprimée dans le Courrier de Lyon[91].

Adieu, notre bon et digne ami.

Vous nous marquerez bien quand nous pourrons espérer de vous dire bonjour ?


Copie de la lettre d’un député à l’Assemblée nationale ; du dimanche, jour de la revue du Roi.
[18 juillet 1790.] (Écriture de Roland.)

Oui, Monsieur, il faut des idoles, il faut des fers aux grandes nations : tout sert à me convaincre de cette triste vérité ; et cette fédération elle-même, dont l’objet est d’assurer la conservation d’une juste liberté, comme j’y ai aperçu le germe de notre future servitude ! Un enfant faisant baiser sa main à tous les fédérés transportés d’ivresse ! Tous ne cherchant, ne voulant voir et être vus que du maître ! Des Angevins le haranguant dans son palais, et assurant à haute voix que son pouvoir venait de Dieu seul ! Toutes les expressions d’autant plus applaudies qu’elles étaient plus serviles ! L’assemblée accroissant chaque jour ses ennemis financiers, magistrats, soldats des gabelles, des fermes, du tabac, nobles, bénéficiers de toute classes, et maintenant les pensionnaires ; ne voulant point encore s’occuper des tribunaux et surtout de la cour nationale, faite pour arrêter les complots. Bonne-Savardin élargi ; aucune justice ; l’État périssant faute d’argent et de loi ; l’armée se débandant peu à peu ; et l’abominable Necker, patelisant (sic), boursouflé, jetant sur nous incessamment les horreurs d’une faillite qe nécessitera le défaut de perception, la négligence des districts, la paresse de trop d’agents ! Vous qui aimez la liberté, vous qui l’avez défendue, allez dans vos champs et, comme Caton, pleurez sur elle. Jamais je n’ai été si triste, et jamais je n’ai désespéré de la chose publique comme dans ces jours où tous autour de moi sont joyeux. Pauvres victimes, bien couronnées, allez en dansant adorer, et bientôt tomber sous le pouvoir extrême dont nous ne pouvons pas vous sortir !

Copie d’une lettre écrite à M. Champagneux, auteur du Courrier de Lyon, Villefranche, le 25 juillet 1790. (Écriture de Roland.)

J’apprends, Monsieur, que l’on m’inculpe dans le public d’une manière étrange. Je suis, je l’avouerai, tellement persuadé qu’il est impossible d’échapper aux mauvais propos dans un temps où deux partis très opposés partagent absolument les esprits, et si éloigné de croire que le bruit de quelques méchants constitue l’opinion générale, que j’ai cru devoir dédaigner ce qu’on disait m’être attribué. Mes amis m’en font un reproche, et jugent qu’employé dans l’administration je dois, à ce titre, témoigner mon étonnement des indignes soupçons qu’on cherche à répandre contre moi ; c’est un hommage à rendre à l’estime des honnêtes gens, et j’y consens sous ce rapport.

Il m’était bien revenu que, lors des dernières assemblées à Lyon, divers particuliers, qu’on n’a su me désigner, s’étaient permis, particulièrement dans les sections de rue Buissou, du Plâtre et du Griffon, de débiter mille atrocités sur mon compte : j’étais l’auteur de l’insurection du peuple ; je méritais la corde ; j’avais fui hors du royaume à la veille du 14 juillet ; je m’entendais avec ce Trouard qui vient d’être renfermé à Pierre-Seize.

Plus le mensonge est grossier, moins il doit aller au but : tel a été mon raisonnement, et je suis demeuré fort tranquille, je n’ai pas même eu le plus léger mouvement d’indignation, tant l’absurdité me semblait pitoyable. D’ailleurs, dans ces temps difficiles, le patriotisme doit être persécuté par la calomnie ; et j’ai dejà fait assez d’épreuves de cette dernière pour qu’elle ne doive plus m’étonner. Cependant elle s’est prévalue de ma sécurité ; celles des personnes impartiales dont je ne suis pas connu se scandalisent de mon silence ou en infèrent quelque vraisemblance dans les accusations dont je suis l’objet. Ce n’est que pour elles que j’écris ; car, assurément, ceux qui cherchent à me rendre odieux ne croient pas éux-mêmes ce qu’ils avancent.

J’ai quitté Lyon le 7 de ce mois, parce que mes affaires m’appelaient ailleurs : tout était tranquille alors. J’ai passé trois jours à Villefranche, où je reviens souvent, et je suis plus fréquemment à la campagne, où le cadastre de mes fonds exigeait ma présence, où mes intérêts demanderaient que je fusse toujours, et dont le séjour m’est autant agréable par l’estime et l’attachement de tous mes voisins qu’il est favorable à mes goûts et à ma santé ; je serai à Lyon sous quinzaine, pour conférer des objets qui m’étaient confiés par l’ancienne administration avec celle qui est aujourd’hui en exercice.

Je n’ai jamais traité la question des octrois que relativement aux fabriques, du succès desquelles je devais m’occuper ; et je l’ai fait, en 1786, dans un mémoire qui a été livré à l’impression en 1788, et qui se trouve dans mon œuvre encyclopédique. Le mot que j’en ai dit dans la brochure intitulée Municipalité de Lyon est dans les mêmes principes, et rien de tout cela ne respire d’autre sentiment que celui du bien public, nécessairement attaché à une sage administration, au bon ordre et à la paix.

Je n’ai de ma vie entendu parler du sieur Trouard que depuis son arrestation : et, tandis que mes ennemis me font bénignement son complice, j’apprends, d’autre part, que je suis fort mal dans les papiers de ce personnage, qui a fait des notes très calomnieuses particulièrement sur moi et sur un autre membre du Conseil de la commune, dont le patriotisme est aussi connu que le mien.

Je déclare maintenant que si mon respect pour le public qui m’a honoré de quelque confiance et ma déférence pour des amis que j’estime m’ont obligé à publier ces éclaircissements, je n’entends pas en cela descendre à une justification et avilir ainsi l’innocence.

On peut me reprocher la rigidité d’un caractère inflexible, qui se révolte de l’injustice, qui poursuit les abus sans égard aux passions des hommes, et qui va au bien sans ménagement, sans calcul d’aucun intérêt propre. J’ai haï toutes les sortes de despotisme, et j’ai réclamé contre, dans le temps même de leur faveur. Mais ceux qui me connaissent le plus n’ont eu à m’accuser que de la rudesse de la vertu, et je délie tous les autres de prouver que j’aie jamais fait quoi que ce puisse être qui ne fût pas dans l’équité la plus rigoureuse.

Je suis, etc.


Signé : Jean-Marie Roland,
Ci-devant Delaplatière.

366

[À LANTHENAS ET BOSC, À PARIS[92].]
Le 28 juillet 1790, — de Villefranche.

Je suis arrivée d’hier au soir. Cette petite ville est tellement imbue des propos dont on nous accable, que j’ai voulu venir les entendre par le menu ; on y arrête notre domestique par les rues pour lui demander si nous n’avons pas peur d’être pris, et quelle figure font chez nous les fugitifs que nous y avons reçus ? Notez que je n’y ai pas vu un chat.

Il est impossible de se figurer toutes les absurdités qu’on débite ; il paraît qu’il y a une ligne dans la cabale aristocratique pour accuser les patriotes et, s’ils ne peuvent les traduire juridiquement, du moins leur nuire dans l’esprit du public, en les couvrant du plus odieux vernis. Dites à l’ami Bancal que cette femme dont il a vu les démarches durant cinq à six jours est accusée d’avoir, dans ces mêmes jours, visité tous les galetas de Lyon et répandu de l’argent chez tous les malheureux pour les engager à la révolte. On me lie, pour cette belle œuvre, avec une autre femme dont j’ignorais l’existence, et qui probablement est demeurée aussi tranquille que moi.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que ma vie retirée à Lyon y a conservé mon visage parfaitement inconnu et que, sous certain rapport, j’en pourrais dire autant de mon nom, car beaucoup de gens prennent ici mon mari pour un abbé, soit à cause de son costume, soit pour sa mine discrète.

Pour ajouter à la peinture de ces extravagances, que puis-je mieux faire que de vous dire que mon beau-frère s’en était laissé persuader.

« Eh quoi ! lui disais-je hier, si l’on venait m’assurer que, par fanatisme, vous avez tué votre frère, je commencerais par rejeter cette sotte nouvelle, quoique je connaisse vos opinions. Il est une vérité de sentiment fondée sur le caractère et les habitudes, propre à infirmer même les plus nombreux témoignages. — Vous avez tort, le répondit-il, on ne peut être assuré que de soi-même, et encore n’en doit-on pas toujours répondre. — Vraiment ! ai-je répliqué, je vois bien qu’à la place d’Alexandre vous n’auriez pas reçu le breuvage des mains de Philippe. Aussi, ajoutais-je mentalement, vous n’êtes pas un héros. » Ô mes amis, de quels excès ne sont pas capables les ennemis de la Révolution, puisqu’ils sont si hardis à supposer ou si faciles à croire ceux prétendus des bons citoyens !

Dans les circonstances aussi critiques, il importe cependant que l’innocence soit manifestée ; en conséquence, il va aujourd’hui à l’imprimerie un petit écrit propre à la faire connaître et à fermer la bouche aux imposteurs[93]. Vous jugez bien qu’il n’y est pas question de moi, je serai assez lavée dès que l’innocence de mon mari sera reconnue. Justifier une femme, c’est presque toujours la compromettre, et je n’ai trouvé Mme  Nec[ker] ridicule que depuis que son mari a publié son éloge en traitant d’affaires d’État.

Au fait, comme nous n’avons absolument rien à nous reprocher, qu’il n’existe ni démarche, ni écrits relativement aux octrois dont on puisse se faire des armes contre nous, il faudra bien que tout ce tapage finisse, et j’ai pris le parti d’aller voir les choses de près. Je ne me soucie pas que mon mari se rende encore à Lyon, puisqu’il en est une fois sorti ; un honnête homme est aussitôt pendu qu’un sot, et tel glorieux qu’il soit de mourir pour la patrie, ce n’est pas au réverbère. Il ne faut qu’un petit nombre de sujets apostés pour faire un mauvais parti. Mais, comme l’usage ne s’est pas encore introduit de lanterner les femmes, je dirigerai mon palefroi vers la grande ville après demain vendredi.

On répandait ce matin que le peuple s’occupait à la dépaver, pour s’opposer à l’arrivée des troupes de ligne. Je ne crois pas encore à cette nouvelle ; on avait bien dit un jour qu’il était à brûler les barrières, auxquelles il n’a fait aucun mal. Je saurai ce soir à quoi m’en tenir, j’y ai envoyé un exprès. Je ne sais, mes amis, mais je crois que l’aristocratie se ménage l’arrivée des troupes à Lyon pour en faire le centre de ses menées. C’est un ancien projet. Nombre de nobles du Dauphiné, du Forez et autres provinces voisines n’attendaient cet hiver qu’une garnison à Lyon pour choisir le séjour de cette ville ; on a toujours affecté de répandre qu’elle ne pouvait se garder elle-même. L’avenir me semble gros de malheurs pour cette belle commune ; mais s’il doit y avoir en France une contre-révolution, elle commencera par Lyon. L’esprit de la province, ses relations et sa proximité avec la Savoie, l’aristocratie qui s’y établit, tout me paraît devoir confirmer cette présomption. L’Assemblée n’a pas été bien instruite touchant l’état de cette ville, la misère du peuple et les idées de la classe dominante ; aussi n’a-t-elle su qu’ordonner l’emploi de la force, qui va peut-être causer des effets désastreux. Mieux éclairée sur cet objet, elle eût dans son premier décret, en ordonnant la continuité de la perception pour ne pas déroger à ses principes, déclaré qu’elle apercevait l’excès des charges dont le peuple se plaignait et chargé aussitôt la municipalité de lui fournir des renseignements sur lgétat de la ville et les moyens d’améliorer le sort de ses habitants. Ceux-ci eussent été calmés, et l’adhésion, faite seulement aujourd’hui par quelques sections, aurait été générale. Malheureusement, la députation de Lyon à l’Assemblée est mesquinement composée ; il y a des intéressés dans tout cela, et, pour achever, un de nos notables patriotes (autre que Blot), qui vient de se rendre à Paris[94], a dans sa manche une nouvelle compagnie qui se propose pour les octrois, qu’en conséquence il défend sur les toits.

Adieu.


Roland, née Phlipon.

367

À M. H. BANCAL, [À PARIS[95].]
31 juillet, 18e jour an ii de la liberté, — [du Clos].

Comme la distance apporte de retards à la correspondance, même la plus suivie ! Je vous ai écrit trois ou quatre fois, et je vois seulement que vous avez reçu ma première. Vous êtes inquiet de ma santé ; elle est un peu variable comme le beau temps de l’automne. Depuis que nous sommes à la campagne, j’ai pris beaucoup de lait, et son usage habituel joint au repos du lit a dissipé l’irritation que je sentais à la poitrine ; je n’ai plus qu’une sorte de faiblesse, qui m’étonne toujours parce qu’elle me force souvent de m’arrêter et que ma volonté n’est point habituée à se voir contrainte par le défaut de facultés. Au reste, il ne faut qu’un peu de contrariétés extérieures pour rappeler ma vigueur ; rien ne me donné du courage comme le besoin d’en user, et depuis la crise de Lyon je me sens ranimer. Je joins ici quelques exemplaires de la petite brochure que les circonstances ont rendue nécessaire ; elle aurait pu être mieux faite, mais, quand on est décidé à donner ces sortes d’explications, on n’éprouve qu’un sentiment, celui de repousser avec célérité les fausses idées qui ont pris faveur.

Je tiens toujours à mon petit voyage à Lyon ; je l’ai retardé de deux fois vingt-quatre heures, parce que la publication de l’écrit en question n’a pas été aussi prompte que je l’avais espéré et que je veux en aller voir lgeffet. Je tiens également à ce que mon ami ne s’y rende pas ; quant au fond des affaires de la ville, en ce qui concerne ses finances, il a dit, répété, écrit ce qui lui semblait instant et sage ; il n’aurait qu’à répéter les mêmes choses, et probablement sans beaucoup de succès ; quant à l’insurrection, on peut la regarder comme finie ; mais elle ne l’est que par l’effet de la force, et le plus grand des malheurs est qu’on ait eu besoin de cette dernière.

L’aristocratie devra triompher, car elle jouit des torts du peuple et s’en prévaudra longtemps. La régénération de cette ville est plus éloignée que jamais, et je n’imagine plus à quelle époque on peut l’espérer. Mais répandez bien cette idée, que l’Assemblée nationale doit avoir les yeux perpétuellement ouverts sur Lyon et se défier autant, peut-être, des principes de ceux qui le gouvernent, et certainement de l’esprit qui y domine, que des erreurs du peuple et des excès auxquels il peut être entraîné.

Ce que vous nous mandez du Club de 1789[96] et ce que j’apprends de M. Necker prouvent également la corruption de l’un et les affreux principes de l’autre. Que la liberté est encore mal assurée, et combien il est difficile de l’établir chez une nation qui a perdu ses mœurs ! Vous le dites avec grande raison, l’imprimerie doit faire des prodiges avec le temps, mais il faut conserver ta liberté de la presse : voilà le grand point ; la Cour doit le sentir et fera tout pour nous l’ôter.

il serait à souhaiter que de bons esprits se réunissent pour esquisser les objets dont il convient que la législature actuelle s’occupe uniquement ; il faudrait que cette esquisse fût accompagnée de sages et de vigoureuses réflexions sur la nécessité, pour l’Assemblée nationale et pour ceux qu’elle représente, de se concentrer dans ces objets. Un petit ouvrage de ce genre, bien frappé, très répandu, pourrait éveiller les provinces et nécessiter la marche des législateurs.

J’ai souri de votre empressement à nous démontrer que notre liaison eût existé indépendamment de la Révolution ; on dirait que vous avez peur que le patriotisme n’ait les honneurs de notre amitié ; j’ai presque envie d’en faire la guerre à votre civisme. Vous demandez nos commissions, je vous les donnerais avec un singulier plaisir, mais le bon Lanthenas s’est tellement chargé de ce qui nous concernait dans la capitale, qu’il a tout mis à jour. Apportez-moi quelques graines de jolies plantes que je puisse cultiver dans quelques coins de ma solitude, et dont je dirai, en les voyant : c’est l’amitié qui leur a donné naissance ici.

Je conais peu Fontenay-aux-Roses proprement dit, mais je me suis beaucoup promenée dans les bois et le parc de Sceaux, dont je me rappelle parfaitement les eaux vives, les charmants gazons et les superbes hêtres.

L’ami Lanthenas me parle d’une manière de faire votre voyage à laquelle il conviendrait peut-être d’apporter quelques modifications ; vous êtes bien aussi braves que des Romains, mais vous n’êtes point habitués, comme leurs miles, à faire de longues routes à pied ; il convient de garder ses forces, ou plutôt on ne saurait les consulter lorsque le devoir ou la patrie demande qu’on les déploie sans ménagements, mais il ne faut pas les prodiguer sans nécessité. Je ne vous dis point combien l’assurance de vous revoir nous a rendus joyeux ; il me semble que cela ne se dit pas, faute de pouvoir s’exprimer.

Notre petit courrier apporte les paquets de la ville, et je reçois, mon digne ami, votre lettre du 28 toute remplie, comme votre âme énergique, du feu du sentiment et de la force de la raison. J’ai écrit une longue lettre à Brissot ; je désirerais que vous l’eussiez vue : j’y donnais sur Lyon des aperçus qui peuvent avoir quelque utilité ; je n’imagine pas qu’elle soit passée entre les mains de nos deux amis sans vous être communiquée.

Je crois, à vous parler franchement, que nous sommes voisins d’une nouvelle crise ; je crois qu’il s’en prépare deux de différents genres et que l’antériorité de l’une pourra seule prévenir l’autre. Assurément, il existe toujours des projets de contre-révolution ; on ne saurait en douter, et les mouvements extérieurs me semblent devoir les confirmer, en même temps que la foule des mécontents et des corrupteurs atteste leur permanence.

L’abîme des finances est le Tartare où le despotisme espère nous précipiter ; la nation commence à le sentir et Paris à s’écrier. Voilà le second principe de mouvement et celui qui peut nous sauver, s’il se fait bien à temps ! C’est encore Paris seul qui soit capable de ce vigoureux élan ; il faut que sa réclamation puissante, semblable à la voix du Créateur, fasse sortir la lumière du sein du chaos, force l’Assemblée de déchirer le voile qui cache l’iniquité des mystères financiers, l’oblige à user de la responsabilité des ministres et à faire un éclatant exemple du plus infâme tartuffe qui se soit joué de la confiance d’une nation généreuse et trop enthousiaste. Sans cette nouvelle révolution, la guerre civile me paraît inévitable, ses déchirements morcelleront l’empire, et l’œil humain ne peut plus prévoir les événements qui devront en résulter.

On parle de préparatifs en Savoie, cela s’est déjà murmuré plusieurs fois ; mais admirez avec quelle justesse nos ennemis jugent certaines choses : dans l’extrait du mémoire de Bonne-Savardin[97], on compte gagner aisément Lyon aux princes en lui accordant quelques privilèges pour son commerce. Il n’y a véritablement dans cette ville que l’esprit du gain, et, comme le lui a justement appliqué notre ami, d’après Montesquieu, dans les pays où règne l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, de toutes les vertus morales.

Le peuple seul, avec des lumières, eût eu des intentions équitables, parce que, ainsi qu’il faut toujours le répéter, son intérêt est nécessairement juste, puisqu’il est l’intérêt général. Mais, après l’avoir opprimé, on a négligé de l’instruire et de le soulager ; on l’a excité par une conduite artificieuse : il s’est enflammé, emporté ; il est devenu coupable. Et l’on triomphe des torts qu’on lui a fait avoir ! Je vous le confesse, l’histoire de Lyon me navre le cœur.

Il me semble évident qu’avec de la sagesse et de l’activité on aurait prévenu les excès de ce peuple malheureux ; je crois vous l’avoir déjà mandé. Mais qu’on ne perde jamais de vue ces deux points : l’aristocratie lyonnaise n’a jamais ambitionné que de pouvoir accuser le peuple de factions et d’être autorisée à faire garder la ville par des troupes réglées ; elle est parvenue à voir le peuple, irrité par une suite de négligences ou de manœuvres, oublier les voies légales et recourir à la violence ; dès lors, l’emploi de la force est devenu nécessaire et juste.

Donc Lyon est ou sera bientôt perdu pour la Révolution, à moins que celle-ci ne devienne si bien assurée, si triomphante, que son ascendant agisse irrésistiblement sur toutes les parties de la France. Quelle bizarrerie a jeté deux êtres, amis de la justice et de l’égalité, dans le lieu du royaume le plus infecté des idées et des vices de l’esclavage et de la tyrannie ? Vos réflexions sur ce que la municipalité et les députés de Lyon eussent dû faire me semblent parfaitement justes ; ce sont précisément les mêmes que j’ai faîtes à Brissot. Il est très vrai qu’il vaut mieux que ce soit un autre que lui qui publie celles de ce genre : encore faut-il convenir qu’en ce moment de fermentation on n’ose pas trop relever les torts des gens en place, pour ne pas exciter un nouvel incendie.

peuple ce voulait absolument point de troupes ; il a fait feu sur elles à plusieurs fois, sans quelles ripostassent : et voilà véritablement sa faute majeure, l’acte qui marque la révolte. Avant qu’elles arrivassent, il avait appendu à un rocher d’un faubourg un drapeau noir, avec la devise : Vaincre ou mourir ! La vue du canon a rappelé l’ordre. Au reste, ces faits ne sont à reprocher qu’à un seul quartier, l’un des plus peuplés de pauvres gens qui, par l’abandon d’un seul jour de leur travail, se donnent pour ainsi dire le besoin de se révolter.

J’ai peur que vous ne puissiez me lire ; le jour baisse pour moi, la plume est trop lente à rendre les communications de l’esprit et le doux abandon du cœur.

Adieu, notre bon ami.

Je désirerais un exemplaire de la Déclaration des droits, décrétée par l’Assemblée ; je ne l’ai que morcelée dans les journaux.


368

À BOSC, [À PARIS[98].]
31 juillet 1790, — [du Clos].

Et vous, bon ami, qui servez si bien les communications d’un sentiment que vous méritez de partager à tant de titres, je vous écris peu, parce que je vous réunis avec les autres. Si vous avez le temps de jeter un coup d’œil sur les ci-jointes, vous y prendrez l’idée de notre situation d’esprit relativement aux affaires du jour ; mais, dans tous les cas, veuillez leur faire suivre leur destination avec célérité.

Vous garderez une brochure[99] pour vous, ou vous en prendrez plusieurs, comme vous le jugerez bon, et vous nous direz s’il serait utile de vous en expédier quelques autres.

L’intérêt sans doute est très local, et ce n’est que par approximation que cela peut fixer l’attention de quelques personnes à qui notre ami ne serait pas tout à fait inconnu ou qui auraient été prévenues contre lui.

L’état des affaires me semble bien critique ; les nouvelles en deviennent d’autant plus intéressantes ; vous ne nous en laisserez pas chômer, lorsque les amis seront rendus à l’ermitage ? Que n’êtes-vous de la partie !

Notre ami répondra l’un de ces jours à la leltre du frère[100] ; il le ferait avec plus d’empressement s’il avait à lui mander des choses qui correspondissent mieux à ses vues. Mais 1° nous n’avons ici que des toiles très communes ; 2° ce moment de crise est d’un tel effet sur le commerce, qu’on ne saurait plus mal choisir pour un établissement du genre.

Adieu, nous vous embrassons cordialement.

Envoyez à Brissot un exemplaire.


369

À M. H. BANCAL, [À PARIS[101].]
Mercredi, 7 heures du soir, 4 août 1790, — de Lyon.

Je rentre chez moi, contre vent et marée, parce que je veux prendre un moment pour vous écrire d’ici, que je n’en aurais pas le loisir demain matin et que je veux partir vendredi de bonne heure. J’ai quitté aujourd’hui au soleil levant ma solitude et mon ami. Comme il faisait bon dans les bois, doucement abandonnée aux impressions de la nature à son réveil ! Qu’elle est riche et bienfaisante, cette nature aimable, pour ceux qui savent la sentir ! Comme il est aisé d’être heureux quand on a conservé la faculté de la goûter ! Quel est l’insensé qui peut espérer le bonheur loin d’elle et de son propre cœur ? J’ai beaucoup songé à vous, j’ai repassé sur une partie du chemin que nous avons fait ensemble…

Vous êtes appelé à connaître tout ce qu’il y a de félicité en ce monde, car vous sentez le prix de la vertu : il n’y a rien au delà ! Mais ce n’est point de cela que je voulais vous parler.

Arrivée sur les bords de la Saône, j’ai quitté mon cheval, contre mon usage, parce que mon ami m’avait témoigné quelque répugnance à ce que je traversasse ainsi la ville dans cette circonstance ; j’ai pris un bateau et je suis arrivé dans le voisinage de mon quartier.

Vous dirai-je tous les contes que l’on a faits sur mon digne ami et sur moi ? Sur lui, je le conçois : il est homme public et patriote ; il joint a l’énergie une raideur, une inflexibilité salutaires peut-être, mais qui ne réussissent pas toujours, parce qu’elles irritent et révoltent toutes les passions et tous les intérêts. Sur moi, je ne sais comment, car mon visage est aussi inconnu ici que Thucydide voulait que le fût, en Grèce, celui d’une femme honnête. Je ne vous entretiendrai point de ces sottises, qui vous feraient sauter aux nues ou rire à gorge déployée. Ce n’est le temps ni de se fâcher pour si peu, ni de se divertir de semblables balivernes ; et que sais-je quelle idée vous viendrait à l’esprit, si vous appreniez que le commandant de notre garde nationale[102] a manqué à son devoir tel jour, parce qu’il était à mes genoux, quoique je ne l’aie jamais vu chez moi et que ce jour-là je fusse à sept lieues de lui ? Il fut un temps où je serais morte de douleur en apprenant qu’on parlait mal de moi ; mais ces extravagances sont si loin de ma région, que je ne saurais en être ni indignée ni chatouillée ; c’est d’un autre monde, où je ne suis pour rien.

J’ai vu l’effrayant drapeau rouge, suspendu à l’Hôtel commun, dont les entrées étaient gardées par des dragons et des Suisses ; mon cœur s’est serré à cet aspect, j’ai gémi sur le peuple abusé ; j’ai anathématisé les indignes administrateurs qui se gardent bien de prévenir ces excès, pour avoir le droit de les réprimer. Après avoir vu mille gens faibles ou mal instruits, ou pis encore, j’ai enfin rencontré un jeune médecin, éclairé comme on l’est dans son état, sensible, généreux et franc comme on l’est à vingt-cinq ans, avec une âme ardente et un esprit juste[103]. Deux heures de sa conversation, toute consacrée aux affaires et à la patrie, m’ont mieux mise au fait de l’état des choses que les propos divers d’une foule de personnes.

Deux choses sont évidentes : c’est que les troubles de cette ville sont l’effet d’un projet de contre-révolution, le commencement de son exécution, et que la municipalité l’a favorisé par sa conduite.

Le parti ministériel avait dessein d’établir à Lyon 10,000 hommes de troupes réglées, choisies à dessein, pour tout contenir et seconder les invasions étrangères. Il n’y avait qu’un moyen de les y placer, c’était de les y rendre nécessaires et d’exciter pour cela une révolte dans le peuple. Celui-ci était aisé à soulever : il n’y avait qu’à lui représenter sa misère, causée en partie par l’énormité des octrois contre lesquels il s’indignait ou dont il gémissait depuis longtemps.

Des émissaires sont répandus en conséquence ; toute la canaille gagée à Nîmes pour son saccage[104] s’est trouvée transportée dans cette ville ; faufilée dans les cabarets avec les pauvres ouvriers, elle les induit à s’insurger ; on s’attroupe, on se porte sur les ports en face de l’Hôtel commun et l’on demande la destruction des barrières. Remarquez deux choses : la première, c’est que, lors de cette demande tumultueuse, renouvelée après l’assemblée des sections convoquée par la municipalité pur délibérer sur cette question, il n’y avait pas plus de quatre cents personnes, à chaque fois, qui faisaient entendre leurs clameurs et se trouvaient réunies sur cette place, de manière que les soins et la vigueur de la garde nationale auraient suffi pour les dissiper. Mais la municipalité ne les requit point et eut l’air de se laisser mettre le pied sur la gorge. La seconde, c’est que, dans le Conseil de la commune, ou plutôt dans la salle où il se tenait alors, on avait laissé pénétrer beaucoup de ces gens sans aveu, vrais brigands étrangers, reconnaissables au premier coup d’œil, qui se permettaient de criailler parce qu’il n’y avait nulle police, nul moyen de maintenir ou de rappeler l’ordre. Puis tous nos magistrats de dire : « Voilà ce que c’est que la publicité et l’obligation qu’on a à M. Blot, qui l’a tant prêché ! On nous a forcé. »

Ce n’est pas tout ; mais vous savez ce qui a suivi ces premiers jours : cette contradiction de la déclaration solennelle d’une abolition des droits, puis la subite affiche du décret qui ordonne la continuité de leur perception[105].

Je viens au lundi 26[106]. Rien n’avait été rétabli, la fermentation subsistait, et cependant aucune précaution extraordinaire n’était prise. Aussi quelques centaines de révoltés vinrent-ils envahir la Maison commune et s’en emparèrent-ils avec facilité, tandis que d’autres se portaient, d’une part au Grenier à poudre, de l’autre à l’Arsenal. Le particulier qui commandait à ce dernier poste envoie demander aussitôt la permission de charger des canons pour faire montre de vigoureuse résistance ; le maire répond qu’il n’est pas nécessaire ; le capitaine, outré, prêt à être forcé, agit contre l’ordre, sort les canons, les charge, et la multitude est dissipée par cette seule annonce de fermeté. Une partie des gardes nationales pénètre, par les derrières, dans la Maison commune et en chasse aisément ceux qui y avaient pénétré.

Plusieurs maisons étaient, dès le matin, marquées à la craie pour le pillage ; c’étaient celles des plus riches commerçants ou de ceux soupçonnés pour avoir le plus d’argent. On eût dû, dès ce moment, appeler les Suisses pour doubler les postes et soutenir la garde nationale ; ils ne furent invités que le soir ou au milieu du jour à sortir de leurs casernes pour s’emparer du magasin à poudre, et c’est à l’instant qu’ils se rendaient à ce poste, avec partie de la garde nationale, que tout un quartier tira sur eux des coups de fusil qui eussent fait beaucoup de victimes, si les gens qui les tiraient, heureusement peu au fait, n’eussent visé de manière que leurs balles allaient frapper les baïonnettes des braves gens qu’ils voulaient immoler.

le lendemain mardi 27, dès le matin, soixante hommes des gardes nationales d’Ecquevilly[107], tout près de Lyon, se rendent à ses portes et, avant d’entrer, envoient deux des leurs pour offrir leur secours à la municipalité ; elle les remercie comme inutiles, et ces bonnes gens, bien dressés, en uniformes, qui avaient quitté leurs travaux des champs pour voler au secours de la ville, retournent chez eux moins précipitamment qu’ils n’en étaient venus. Dans le même jour, deux cents hommes id., de Neuville[108], se mettent en marche pour la même cause, députent et sont également remerciés. Enfin un nombre égal ou supérieur, de Trévoux et autres petites villes circonvoisines, fait faire les mêmes offres et est également remercié.

Il est clair, cependant, qu’avec ces forces nationales et volontaires on contenait tout dans l’ordre et on pouvait même travailler à l’exécution des décrets en rétablissant les barrières.

Enfin des gardes nationales de Vienne arrivent avec un détachement de dragons ; celles de divers lieux sur la route se joignent à elles ; elles ne s’amusent point à députer, elles arrivent enseignes déployées, tambour battant, comme dans une ville rebelle, et elles campent, sans demander de logements, ne s’offrant que pour renforcer et soutenir le service des divers postes. Il fallut bien les recevoir et finir par les loger.

L’exactitude de leur service est une leçon vivante pour nos pleutres Lyonnais. La municipalité vient d’en congédier une partie ; mais toutes celles qui sont de Vienne ont déclaré qu’elles demeureraient jusqu’au rétablissement de la paix, et les dragons venus avec elles ont dit qu’ils ne les quitteraient pas. Voilà tout le renfort extraordinaire de ce moment ; il suffit pour garder les postes, il est trop faible pour protéger le rétablissement des barrières… Aussi ne paye-t-on toujours rien aux entrées ; on attend, pour percevoir les droits, l’arrivée très prochaine d’environ quatre mille hommes d’infanterie : le régiment de Monsieur, celui de la Marine, Lamark allemand et un régiment suisse ; plus environ six cents chasseurs de Bourgogne et des Ardennes.

Il y a dans les écrits une fermentation terrible. Quatre quartiers viennent de protester contre le désarmement qui a été fait de celui de Bourg-Neuf qui avait tiré sur les troupes ; ils demandent le renvoi des troupes, qu’on ôte le drapeau rouge, et je ne sais quoi encore.

Mon ami, la contre-révolution est commencée ici : c’est un pays perdu ; il est incurable. Il n’y a que la constance et la vigueur de la Révolution dans toute la France qui pourra le contraindre et définitivement le ramener un jour. Mais l’objet des ministres, du parti dominant et du plus grand nombre des membres de la municipalité, est de pousser le peuple ou de le laisser exciter, pour être autorisés à déployer la force, à réunir ici beaucoup de troupes et à s’y faire un point d’appui pour soutenir les mécontents et favoriser l’invasion des étrangers. Voilà le mot de l’énigme. Il est inutile d’en chercher un antre, et je l’avais trop bien deviné ! Cependant l’Assemblée nationale décrète des remerciements à cette municipalité. Juste ciel ! Bientôt elle votera des honneurs à ses bourreaux.

La chose publique a probablement perdu, et mon ami beaucoup gagné à son absence dans ce moment ; sa droiture et sa vigueur eussent pu déconcerter beaucoup de longueurs préméditées et de desseins pervers ; mais assurément on n’eût rien négligé pour lui faire un mauvais parti, et cela eût été facile. Maintenant, il n’a rien de mieux à faire que de se tenir où il est ; ses efforts seraient vains ; il serait seul contre tous. Je saisirai de la vérité ce que je pourrai, et vous en citerez pour le mieux. Ce ne sont pas tels et tels journaux qu’il faut faire parler, ce sont les comités de recherches qu’il serait bon de prévenir. Il y a ici si peu de patriotes et leurs ennemis sont si ardents, qu’ils risquent tout à se montrer. Une chose qui vous fera plaisir, c’est que, dans une assemblée tenue à Bourgoing, on a fait le projet de former un camp d’observation, composé de députés des gardes nationales de tout le Dauphiné ; ce camp aura pour objet de veiller sur les frontières de Savoie et de prévenir l’invasion qu’on attend. Le projet n’est pas encore arrêté ; mais on espère son exécution du patriotisme des Dauphinois. On nous promet des Bretons sous quinzaine. Comme il aurait été facile à notre municipalité, avec le seul secours des gardes nationales, de rétablir l’ordre et de prévenir les malheurs qui nous menacent ! Mais on veut des troupes réglées, et surtout des Allemands.

Mon cœur saigne de tout ce que je prévois ! Si mon ami risquait moins, ou que je pusse exister sans lui, je me tiendrais ici aux aguets pour révéler impitoyablement tout ce que j’apercevrais de perfide. Je n’ai pas de vos nouvelles depuis samedi, je n’en aurai, s’il y en a, qu’au bout de la huitaine, puisque je ne serai de retour au colombier que vendredi.

Adieu ; puissiez-vous me lire ! Mais je ne sais pas écrire doucement quand je pense vite, et je griffonne comme un chat. Mille choses à nos amis ; je n’ose

vous parler du plaisir de vous voir : j’ai presque honte de songer à ma propre satisfactiot en partageant le deuil public.

Des visites ont coupé ma lettre ; je la finis à plus d’onze heures ; je suis levée depuis quatre ; je vais me coucher après avoir avalé deux œufs, en songeant à un temps où je m’accommodais de moins encore plutôt que d’épouser un riche fripon.

Vous pouvez juger combien trois semaines déjà passées sans le rétablissement des barrières ont laissé entrer de provisions, et quel déficit cela devra faire dans l’imposition.

La conduite de ceux qui commandent est impardonnable. On ne put pas dire, assurément, que soixante personnes connivent pour le mal : d’ailleurs, il existe dans ce nombre d’honnêtes gens connus ; mais certainement il y a des traîtres, et les autres sont des imbéciles ou des faibles. Un corps nombreux n’agit point inconséquemment, et, quand il fait des inconséquences, il a ses raisons pour cela. Cette ville est un cloaque de tout ce que l’ancien régime produisait de plus immonde.

Le président des commissions de sections, Vernes[109], procureur, est un anti-révolutionnaire qui n’a excité le peuple qu’à dessein. Il est en fuite.


370

À M. H. BANCAL, [À PARIS[110].]
Dimanche 8 août 1790, — [du Clos].

J’arrivai de Lyon vendredi, et le même jour nous parvinrent vos deux lettres du 30 et du 2 courant. Elles me firent un extrême plaisir. Vous y traitez de la liberté de la presse comme j’en pense et comme il me semble que peu de gens l’envisagent. On n’apprécie point assez son extrême conséquence ; tout tient à cela cependant ; aucun abus ne saurait subsister avec ce puissant correctif, et, faute de lui, tous tes abus peuvent s’établir. Vous avez prié, agi en homme très éclairé, comme un excellent patriote, et, quoique je vous connaisse bien pour l’un et l’autre, je vous en aime encore davantage de ce moment. J’étais chez Champagneux[111] jeudi lorsqu’on lut les premières nouvelles du décret sollicité par Malouet[112] ; je ne vis personne qui s’en indignât comme moi et qui parût voir jusqu’où pouvait s’étendre cet attentat.

Je vous ai écrit d’ici et de Lyon ; j’ai écrit à l’ami Lanthenas de Villefranche, et je vous ai fait part de tout ce que j’ai pu découvrir, apprendre ou pressentir.

Il nous arrive, à l’instant, des nouvelles de ce digne ami ; elles nous apprennent les dispositions de Blot, dont aucune ne m’étonne. Je vais en causer avec Lanthenas et vous verrez ce que j’en pense.

Je vous dirai seulement, pour répondre à votre observation particulière, que les convenances morales m’ont toujours paru les plus difficiles à rencontrer dans une entreprise comme celle dont il était question pour vous tous[113].

Ce texte fournira à nos conversations, et je ne veux pas entreprendre de le développer par écrit.

Quant à nous personnellement, je vous avouerai que je regarde depuis longtemps comme non avenu notre acte de société avec Blot et Champagneux. La lenteur de celui-ci m’a d’abord semblé le premier obstacle à l’exécution, car pour tout il est un moment à saisir, passé lequel on n’en trouve plus d’aussi favorable ; ensuite la chaleur volcanique et momentanée de Blot, d’où résultent l’incertitude et les vacillations, même les inconséquences, m’a fait apercevoir des inconvénients plus grands encore, des difficultés moins solubles.

Mon voyage à Lyon, ce que j’ai vu de l’état des choses et toutes nos réflexions me font engager notre ami à se tenir paisiblement ici jusque après la Saint-Martin, de manière que les élections de cette époque se fassent sans sa présence. Il est probable qu’il sortira de la notabilité ; à l’est également que le sort de sa place sera déterminé alors, et, dans ce cas, j’opine pour abandonner Lyon, où un seul homme de bien se consume en vains efforts sans influer sur la chose publique, et pour se faire citoyen actif avec nos campagnards paisibles dont nous avons les mœurs, dont nous mènerons toujours la vie.

Champagneux incline également à se retirer chez lui. Si Blot prend alors son journal et forme quelque arrangement que ce soit, je lui souhaiterai beaucoup de succès, mais nous n’y serons pour rien ; il m’est démontré que son ton chaud et dominant fera toujours dissonance avec la manière ferme et rigide de mon excellent ami.

Où que vous soyez, quoi que vous fassiez, nos âmes ne cesseront pas de s’entendre, et nous nourrirons tout ce que la conformité de principes, de sentiments peut entretenir de correspondance et de liens.

Ma lettre à Brissot avait moins pour objet de le faire revenir sur ses pas que de l’engager à s’informer plus scrupuleusement des faits avant de les présenter dorénavant sous tel ou tel jour. Je ne lui ai pas donné ma façon de voir comme la meilleure, mais comme devant être comparée avec son contraire pour s’assurer de la vérité. J’aurais eu autant de tort de lui dire que toutes mes considérations étaient exclusivement des plus justes, que Blot en a eu d’avancer que tout ce qui était dans ma lettre était faux. Voilà un jugement qui sent la passion, et certainement mes réflexions n’avaient rien de semblable.

J’avais commencé par observer qu’à cinq lieues de la scène je ne pouvais rien garantir, mais qu’à cent il avait pu s’égarer. Ce que j’ai dit de l’énormité des octrois, de la misère du peuple par cette cause, de sa longue attente d’un soulagement, de ce qu’aurait dû la municipalité et de ce qu’elle n’a pas fait par négligence ou par incapacité, est malheureusement trop exact. On ne peut pas dire que ces choses-là soient fausses, en ayant sa têté à soi et son âme dans ses mains. Mais Blot ne peut plus être juste avec nous, et certainement ce malheur est plus grand pour lui que pour nous-mêmes ; aussi je le plains sans lui en vouloir.

J’ai un tort qu’il ne me pardonnera jamais : je lui ai laissé voir que j’avais eu de son caractère une plus haute idée que celle qui me restait ; j’en avais encore une trop relevée en ayant cette franchise ; il y a peu de gens qui puissent la digérer et je me suis rappelé cette maxime, que mon cœur ne goûta jamais : soyez avec vos amis comme s’il devaient être vos ennemis un jour. C’est un abominable précepte, qui a son genre de sagesse pour quiconque soumet tout au calcul. Mais les âmes pures n’ont besoin que d’être elles-mêmes, et, si elles y perdent quelques relations, elles en conservent plus sûrement celles qui leur restent.

On parle maintenant de 15,000 hommes à fixer à Lyon ou tout autour d’elle. Il est question de former un camp sur le local où fut placé celui de la Fédération. On logera des régiments à Trévoux, d’autres à Villefranche, etc.

Je ne vous donne pas cela pour des faits incontestables, mais pour des choses qui se disent hautement ; et l’un des municipaux de Villefranche fait aujourd’hui des démarches pour s’assurer s’il est vrai que l’on doive loger 900 hommes dans cette petite ville, parce qu’il aura, dans le cas de l’affirmative, de fortes représentations à faire. On dit qu’on veut désarmer tout Lyon.

Je vous laisse à juger si toutes ces choses ont des rapports avec ce que je vous marquais dans ma dernière de Lyon même.

Plaise au ciel que le patriote qui me les représentait se soit entièrement trompé ! Plaise au ciel que je voie trouble et que j’aie le plus grand tort, en apercevant ici la marche ministérielle et la contre-révolution !

Quels que soient les événements auxquels nous soyons réservés, je ne gémirai que sur ma patrie, je me consolerai de mes propres maux si le bien général s’opère ; ce bien seul aura tous mes vœux et, s’il ne peut s’effectuer, j’en regretterai moins la vie, mais je pourrai la quitter, à quelque moment qu’il le faille, sans qu’on me surprenne avec un soupir indigne de qui sait être citoyenne et amie.

Nous vous attendons.


371

À M. HENRY BANCAL, À PARIS[114].
11 août 1790, l’an ii de la liberté, — [du Clos].

Je présume que cette lettre sera la dernière que je vous adresserai à Paris pour cette fois ; je la fais dans cette idée avec un plaisir particulier. Je vous confesserai cependant, pour ne rien taire à l’amitié, que si je ne croyais à votre voyage un autre but que de venir nous voir, je ne serais pas sans scrupule. La chose publique me semble requérir aussi instamment que jamais l’œil et l’action des bons patriotes dans la capitale. L’Assemblée a besoin d’être surveillée, incitée ; les sociétés, les clubs peuvent seuls remplir cet objet par des pétitions vigoureuses et sages, appropriées aux circonstances ; il ne faut donc pas ôter à ces sociétés les hommes capables de les faire agir et de les éclairer. Je sens cela aussi fortement que le désir de réunir nos bons amis autour de nous, et ce ne me serait pas un petit embarras que ces vœux contradictoires, si je n’ajustais au milieu de tout cela vos projets antérieurs et vos raisons de les poursuivre. Il me semble aussi, en fouillant bien avant dans ma conscience, que ces réflexions ont déjà dû se présenter à mon esprit, et je m’étonne de ne me prendre à les faire qu’au dernier moment, lorsque vos arrangements seront déjà déterminés. J’ai presque doute de ma bonne foi avec moi-même et je me dépêche de vous dire que vous devez être trop bon citoyen pour n’avoir pas calculé votre marche avec les intérêts de la patrie. On dirait qu’il m’a fallu passer sur des charbons ardents pour faire cette exhortation ; mais vous me priez si gravement de me ménager nom de cette patrie, que vous me faites chercher quels peuvent être envers elle tous les devoirs d’un petit individu comme moi, qui ai si peu de moyens de lui être utile.

J’ai bien eu, comme vous, quelque envie de vous envoyer directement mes lettres ; des considérations du même genre m’en ont empêchée ; d’ailleurs, je n’avais pas toutes les indications nécessaires. J’use de cette voie aujourd’hui et, quoique je ne me gêne nullement dans la profession de mes sentiments envers mes amis, parce que je me fais gloire de les avouer hautement, cependant, en songeant que ma lettre va de nous à vous seul, je me trouve comme les écoliers lorsqu’ils se sentent hors du chemin battu.

Puisque je suis en train de confession, il faut que je revienne sur nos petits différends avec Blot. J’ai quelque crainte que ma franchise à son occasion ne vous ait porté à le déprécier et, par suite de cela même, ne vous inspire quelque éloignement pour les affaires ou les établissements auxquels il pourrait participer. Je ne voudrais point avoir pareil reproche à me faire. De ce que nous n’avons pas été d’accord avec lui et que même nous ayons eu quelques légers sujets de nous plaindre, il résulte seulement que nous sommes divers, mais non qu’il soit moins estimable au fond et moins propre à une infinité de choses. Il ne faudrait pas que votre affection pour ceux à qui vous vous êtes lié les premiers vous rendit susceptible de prévention contre celui avec lequel il se trouve moins de convenances qu’on n’avait cru.

Pour le bonheur d’un établissement fait en société, à la campagne ou ailleurs, il n’est pas nécessaire de trouver des hommes parfaits ; cette condition serait chimérique ; mais il est important de se bien connaître, de même qu’il est indispensable de se tolérer. Chaque situation a ses inconvénients comme ses avantages et ses devoirs ; en cherchant les ressources, l’agrément et les biens sans nombre d’une association, il ne faut pas se dissimuler qu’on s’impose des obligations et des vertus dont on n’a pas le même nombre ou le même besoin dans une existence isolée.

Ne prenez donc, de nos discussions avec Blot, que ce qui put vous aider à vous faire nous juger tous ; profitez de l’occasion, en bon philosophe, pour mieux peser tout votre monde, et soyez également sévère ou autant indulgent pour tous.

Je me permets de vous prêcher à cet égard ; parce que j’ai inféré de votre empressement auprès de Brissot pour qu’il usât de ma lettre, empressement plus grand que le mien même, que vous me donniez trop raison et que vous preniez comme infaillible ce que j’avais présenté comme probable.

En vous montrant si favorable, vous me rappelez combien je dois user de rigueur avec moi-même. Témoigner à quelqu’un tant de créance, c’est l’obliger à ne se jamais tromper, sous peine d’être déchu du rang où on l’avait placé dans son opinion. Veuillez donc me critiquer quelquefois, pour me laisser plus de confiance. En écrivant à mes amis, comme en conversant avec eux, je ne connais point de réserve ; ce que je vois, ce qui m’affecte, c’est ce que je dis ; c’est encore ainsi que je vous ai transmis de Lyon tout ce qui m’a frappée, tout ce dont j’étais pénétrée. Ce résultat de premières impressions peut être modifié par des observations plus nombreuses où des faits qui n’auraient point été alors à ma connaissance. Je dois dire encore que d’après mes deux principes : que la sécurité est le tombeau de la liberté ; que l’indulgence envers les hommes en autorité est le moyen de les pousser au despotisme, je ne crains pas d’étendre mes conjectures contre tout ce qui tend au repos dangereux et à la funeste idolâtrie. Cette manière d’être et de sentir me donne, dans le jugement des affaires publiques, quelque chose d’austère que certaines gens trouveraient outré. Je n’ai pas encore vu, pourtant, que cela m’ait trompée ; mais, pour éviter toute erreur à mes amis, je ne puis mieux faire que de les mettre en garde contre moi-même.

Je ne vous donnerai pas de nouvelles aujourd’hui ; je sais seulement qu’il est arrivé des troupes à Villefranche ; j’ignore tout, d’ailleurs, depuis trois jours ; je n’ai entendu d’autre bruit que celui des fléaux qui battent le blé, je n’ai vu que nos bêtes et je n’ai fait que des confitures. Mes bons voisins ne m’occupent pas autant qu’ils font quelquefois, et c’est une chose remarquable, non seulement dans cette paroisse, mais dans la province, que le peu de maladies qu’il y a cette année. C’est bien assez du venin de l’aristocratie et de la lie que laisse après soi l’esclavage pour défigurer encore cette pauvre France.

Vous m’avez écrit d’excellentes choses que je ne relève point, parce que nous en causerons. Je suis bien aise d’avoir la Déclaration des droits ; c’est un petit bréviaire dont j’étais jalouse. Si vous voyez Brissot, assurez-le de toute mon estime ; dites-lui bien que je ne crois pas que mes opinions soient des lois ; que c’est pour cela que je les livre à la discussion avec tant de confiance et parce que je suis persuadée que son patriotisme sait tirer parti de tout pour tirer la vérité plus sûrement au clair.

En préparant à ma solitude le délicieux ornement de quelques plantes fournies par l’amitié, songez que le sol est dur, sec et pierreux. J’aurais été bien étonnée que le digne Thouin[115] ne fût pas patriote, mais je suis charmée que vous m’en donniez la confirmation ; il a cette douceur et cette sérénité d’âme, sûrs garants de sentiments équitables et purs.

Le cheval m’a fatiguée plus que de coutume ; je reprends les bains avec quelques doses de douce paresse et je m’abstiens de vous prier de la proclamation de Lafayette[116] pour ne pas m’échauffer le sang.

Adieu, notre bon et digne ami ; nous vous attendons avec empressement ; vous n’aurez point à craindre ici les délices de Capoue ; je dirais de ce pays, en parodiant de beaux vers de Crébillon :


La nature sévère, en ce climat sauvage,
Ne donne pour plaisir que les devoirs du sage.


N’allez pas vous rappeler tout de suite les vers de mon auteur ; vous trouveriez les miens détestables ; c’est bien assez qu’ils soient justes. Je ne vous dis rien nommément de mon ami ; nous n’avons qu’une âme, et les expressions de l’un vous assurent des sentiments de l’autre.

372

À LANTHENAS. [À PARIS[117].]
11 août 1790, — [du Clos].

J’imagine, mon bon frère, que la première des vôtres nous apprendra le jour de votre départ de la capitale, de cette ville de boue et de fumée qui était devenue le plus brillant théâtre du patriotisme et qui me semble rentrer dans une atmosphère embrumée.

C’est peut-être bien un moment où il est intéressant que les bons citoyens se liguent, s’unissent et réclament plus que jamais pour soutenir les bons principes. Je meurs de peur que la liberté de la presse ne reçoive des atteintes mortelles ; si elle est gênée, nous redescendrons plus bas que les Anglais, au-dessus desquels nous nous étions élevés.

Vous n’aurez point, cette fois, de détails de ce qui se passe à Lyon ; je n’en sais pas le plus petit mot depuis que je suis revenue, et, en vérité, ce n’est pas sans quelque plaisir que je me trouve concentrée dans les soins champêtres. Venez participer à ce doux oubli des querelles des humains.

Je suis bien aise que Brissot ait eu le noble courage de soutenir son dire même contre l’heureux Bailly[118] ; mais je n’aime pas à voir que la continuité de ce personnage en place menace sourdement la liberté, les habitudes, les principes qui la maintiennent, en même temps que votre général lève le masque et tranche de l’arbitraire.

J’aurais mille et mille choses à vous dire, mais, dans l’espérance de vous voir bientôt, je n’ai plus le courage de les écrire.

N’oubliez pas les deux volumes dont je vous ai parlé pour notre ami ; vous aurez reçu, sans doute, le gros assignat qu’il a été obligé de vous renvoyer parce qu’il ne se trouvait pas en règle.

Ménagez-vous, faites bon voyage et arrivez tous deux ; vous êtes attendus par de bon amis qui se font une grande fête de vous embrasser.


373

AUX DEUX VOYAGEURS, [À PARIS[119].]
Le 13 août 1790, — [du Clos.]

En vérité, mes bons amis, je commence à m’ennuyer des incertitudes de nos grandes affaires et des longueurs de ce départ tant désiré. Ce sentiment n’est digne ni du courage d’une citoyenne, ni de la constance d’une âme éprouvée ; aussi je me dépêche d’en faire justice ; mais je confesse ce mouvement de faiblesse, parce qu’on n’a nul besoin de cacher ce qu’on parvient à surmonter. D’ailleurs, je ne me défends pas d’un certain mélange d’inquiétudes et de crainte que je ne saurais définir.

Nous nous étions nourris du plaisir de vous recevoir, dans la paix et l’amitié, à une époque déterminée : la chose publique devait prêter un nouvel intérêt à nos conférences, sans paraître alors devoir rien offrir à nos alarmes, et l’avenir ne présentait qu’un nuage embelli des rayons d’une douce espérance. L’horizon me semble changé ; de nouveaux incidents s’accumulent ; une crise se prépare ; de petites circonstances successives vous arrêtent, et j’ai peur qu’elles ne vous conduisent à un point où vous ne deviez plus quitter. Je dis que j’ai peur, et c’est le mot ; car je ne suis femme ni à vous engager de quitter le poste, si quelque devoir vous commande de le garder, ni à voir tranquillement mes amis dans un péril que je ne partagerais pas avec eux. Je suis véritablement sur les épines, attendant chaque courrier la nouvelle de votre départ ou celle de quelque révolution ; cette situation alimente terriblement l’activité d’une âme sensible. Mais c’est assez vous parler de moi ; je n’ai pas besoin de fixer votre attention sur l’état de ceux qui attendent ; vous la devez tout entière aux grands objets qui vous environnent. Il y a, ce me semble, de profondes combinaisons dans la marche de nos ennemis : je l’augure du concours d’un si grand nombre de tentatives réunies ; le décret Malouet, pour intimider et arrêter les écrivains patriotes ; la procédure inique de cet infâme Châtelet[120], tendant à la dissolution même de l’Assemblée et malgré l’un de ses décrets relatif aux journées des 5 et 6 octobre ; les demandes réitérées du grand avaleur de millions qui vient encore d’en engloutir quarante, sans que l’on dise mot de son mauvais compte ; les mesures des troupes autrichennes[121], l’état de Lyon, tout me semble se tenir et nous pousser dans l’abîme, si nous ne faisons volte-face et défense ouverte. Puisque j’ai cité Lyon, il faut que je vous répète que les barrières n’y sont toujours point rétablies, quoi qu’en ait dit faussement Brissot lui-même ; qu’à l’exception du premier décret relatif, dont l’annonce précipitée, après l’abolition déclarée par la municipalité, causa de la fermentation, l’autre n’est point encore publié ; celui que vous dites accompagné d’une invitation si touchante et si propre à ramener les esprits est toujours dans le secret ; on attend, dit-on, pour le publier avec succès, qu’il y ait assez de forces réunies pour en assurer l’exécution.

Mais j’ai deux questions à faire :

1° Puisqu’il est instant d’assurer les perceptions des revenus publics et que Lyon a eu, ainsi qu’il le fait annoncer dans les papiers, tant de secours de gardes nationales des environs, et j’ajoute qu’il aurait pu en avoir tant d’autres, pourquoi ne s’est-il pas hâté d’user de ces secours pour rétablir la perception des droits ? Un citoyen, comme je crois vous l’avoir déjà mandé, m’observait qu’avec bonne garde à chaque porte, les barrières eussent été rétablies avec facilité dès les premiers temps.

2° Pourquoi, puisque l’on veut devoir ce secours à des troupes réglées, ne pas précipiter leur marche ? Voilà déjà six semaines d’écoulées sans perception de droits quelconques. Lundi 9, le régiment de Monsieur arrive à Villefranche de bonne heure ; il y couche. Le lendemain, il se rend à Trévoux à une lieue et demie, pour y séjourner ; je doute qu’il soit encore à Lyon. Le 17, on attend à Villefranche Lamark Allemand.

Cette marche me semble bien singulière lorsqu’il s’agit d’aller maintenir une loi dont l’exécution est pressante. El cependant le drapeau rouge demeure déployé et la loi qui ordonne la continuité des perceptions toujours enfreinte.

Assurément, le ministère ou la municipalité est coupable, et peut-être y a-t-il intelligence entre eux. Rapprochez cela de ce qu’on a su précédemment des intrigues de la Savoie[122] et de ce qui se brasse dans la capitale, et jugez s’il est permis à de bons citoyens de trouver que l’histoire et la conduite de Lyon soient naturelles et simples. Cependant encore, les instigateurs ont le loisir de préparer leurs poisons, de maintenir quelque sourde agitation dans le peuple et, peut-être aussi, de ménager quelques excès nouveaux, pour nécessiter de nouvelles manœuvres correspondantes à leurs vues.

Assurément, le pauvre Blot perd bien son temps ; il a cru mieux faire que de suivre le premier projet, et il en aura fait manquer l’exécution sans rien mettre à la place. Il me divertit avec sa tranquillité à assurer qu’on n’accuse point notre ami ; il a donc pris de bien longues lunettes pour voir clair de si loin ! D’accusations juridiques, sans doute il n’y en a pas, puisque nous les défions ; mais de bruits publics, c’est une autre affaire ; il fallait bien qu’ils fussent grands et jugés tels par des tiers respectables, pour nous déterminer à les repousser, lors même que nous les méprisons dans leur source. Que Brissot fasse ou ne fasse pas mention de l’écrit justificatif[123], c’est assez indifférent ; il ne faut point le tourmenter pour cela ; l’écrit est fait pour Lyon, où existait la calomnie, il y est répandu, l’objet est rempli. Il ne s’agit pas de fermer la bouche aux méchants, mais de leur ôter les moyens de faire des dupes et de fournir aux honnêtes gens des raisons de défendre ceux qui leur ressemblent. Je trouve bien faibles les prétendus patriotes qui craignent la calomnie ou la censure et qui, par cette raison, voudraient des lois sur la presse ; un peuple n’est pas libre et ne saurait le devenir si chacun n’a la faculté de dévoiler les desseins perfides, de relever les abus du talent comme ceux de l’autorité, d’éplucher les avis de tout le monde, de peser les lois mêmes à la balance de la raison universelle et d’éclairer les dépositaires du pouvoir dans leur conduite journalière. Qu’importe qu’on soit calomnié, pourvu qu’on soit innocent et toujours prêt à le prouver. Cette espèce de guerre à la vertu me semble, au contraire, un excellent véhicule ; peut-être que l’habitude et la sécurité ne font à la vertu même que lui ôter son énergie : il faut qu’elle soit attaquée pour devenir forte, et ce sont les dangers qui la rendent sublime.

Quant à la médisance, c’est plaisanterie si l’objet est léger, et censure s’il est grave ; or la censure publique est le frein le plus salutaire des hommes en place et des mœurs des particuliers.

J’ai hâte de savoir le sort et de l’adresse pour les cadets[124], et de la pétition contre le Châtelet[125], et de la tentative pour réunir aux Jacobins ce qu’il y a de patriotes au Club 89[126]. Je voudrais surtout que l’Assemblée déclarât, comme l’un des droits imprescriptibles de l’homme et loi constitutionnelle de l’État, la liberté indéfinie de la presse ; je ne croîs pas sans cela à notre régénération. Qu’est devenue la réclamation des patriotes contre la proclamation de Lafayette[127] ? Je n’entends rien, ou plutôt je conçois trop, à ce peu d’union entre des hommes que le patriotisme devrait unir si étroitement : il faut que ce patriotisme soit bien faible et que les têtes soient encore bien françaises ! Je ne sais comment je ne vous parle pas de tous les imprimés que vous m’envoyez ; je les lis pourtant, et les fais lire à qui je puis. L’histoire du somnambulisme[128] m’a rappelé quelque chose que j’ai vu en Suisse, sans compter le baquet d’Amiens et les petites baguettes d’acier poli ; mais nous rirons de ces folies sous nos arbres, sans prétendre en magnétiser les oiseaux, comme veut certain personnage de cette province qui les fait tomber, dit-on, dans la main des dames. Je n’ai fait que jeter un coup d’œil sur le dernier écrit de M. Clavière, où j’ai vu des réflexions sages sur Lyon même, à l’occasion de la nature de l’impôt.

J’écrirai à M. Pigott[129], puisque vous le désirez, mon frère[130] ; mais je ne sais où le prendre à Lyon ; je ferai deux lettres, lgune pour cette ville, l’autre à Genève. Il est vrai que Mme  Blot est à la campagne. Je lui avais écrit précédemment, pour ne pas manquer au procédé, et, quoiqu’elle ne m’eût pas répondu, je suis allée la chercher à Lyon ce dernier voyage ; j’appris qu’elle était absente et, comme la campagne où elle se tient ordinairement n’est pas loin de ma route, je l’ai cherchée à mon retour ; mais elle se trouvait, pour cette fois, dans une maison plus éloignée, et je n’ai pu la voir.

La citation de Fontenay-aux-Roses avait éloigné mon imagination de Meudon, lieu charmant, que j’ai tant pratiqué et où mon jeune cœur s’est si souvent gonflé du bonheur d’être et du plaisir de méditer une bonne action[131] ! Vous vous apercevez bien qu’en m’adressant à deux, il m’arrive portant de ne prier qu’à un à la fois ; chacun entendra sa réponse ; mais je ne sépare pas deux voyageurs qui doivent faire la même route et qui sont attendus ensemble.

Adieu, nos bons amis, jusqu’à la bonne nouvelle après laquelle nous aspirons. Nous vous embrassons cordialement.

On nous mande d’Amiens[132] qu’on n’y paye pas les droits non plus qu’à Lyon, et que la faiblesse de la municipalité en est en partie cause ; c’est un officier municipal qui nous écrit ainsi, brave homme, excellent citoyen qui se dégoûte fort des affaires, à cause de l’incapacité ou du peu de bonne volonté du plus grand nombre des agents. On ne paye guère à Villefranche même. Tous les employés à la perception des droits sont des criailleurs contre la Révolution qu’ils concourraient volontiers à faire manquer. Il faudra que vous nous mandiez le jour de votre arrivée à Villefranche, afin que nous vous y envoyions un cheval ; on ne peut venir jusqu’ici en voiture à deux roues sans risquer de verser[133] ; demandez au frère de La Page[134].

Je reçois dans le moment une lettre du digne M. Pezant[135], administrateur du département, dont il serait président s’il n’avait absolument refusé les honneurs du fauteuil ; il nous félicite d’avoir repoussé les calomnies qui inondaient, nous dit-il, les sociétés de Lyon et dont il avait été navré à son dernier voyage. Sans doute, le bruit même le plus en faveur dans une grande ville n’est jamais si parfaitement général qu’on n’y trouve quelques personnes impartiales dans le cercle desquelles on pourrait se consoler de l’erreur des autres ; mais lorsque celles-ci mêmes jugent indispensable de répondre, il faut bien le faire sous peine de blâme.


374

[À BOSC, À PARIS[136].]
15 août 1790, — [du Clos].

Je croyais si bien recevoir des nouvelles par le courrier d’hier, que j’ai renvoyé à la ville une seconde fois, imaginant qu’on avait négligé de bien s’informer à la poste ; mais il est très vrai que personne du triumvirat ne nous a écrit. Que faites-vous, mes amis ? Oh ! je n’en doute pas, vous vous occupez de vos devoirs de citoyens, et les circonstances critiques les multiplient.

J’ai vu avec peine que l’esprit public parait s affaiblir même dans la capitale ; j’en juge par tout ce qui se passe à l’Assemblée, qui serait plus conséquente avec elle-même, plus ferme avec les ministres, si l’opinion générale était saine et puissante, comme elle l’est toujours quand la justice et l’universalité la caractérisent. J’en juge par l’indifférence, la négligence qui se manifestent dans vos élections : comment Paris n’a-t-il fourni que six mille votants pour la nomination du procureur de la commune ? Tant qu’on n’attachera pas plus d’intêrêt, qu’on ne mettra pas plus de vigilance au choix des hommes en place, quelles que soient ces places, la chose publique ne saurait bien aller. La paix de l’empereur avec la Porte, son alliance avec l’Angleterre, la Hollande et la Prusse, l’admission de ces trois dernières puissances en qualité de médiatrices entre lui empereur et les États belgiques, me paraissent présager l’asservissement de ceux-ci, et par suite les maux qu’on nous prépare. L’arrangement fait entre l’Angleterre et l’Espagne pourrait bien n’être encore qu’un effet de la coalition de tous ces potentats pour se réunir à notre ministère contre la nation. On fait toujours défiler des troupes vers Lyon ; elles ne se rendent point encore dans cette ville pour y établir la perception des droits, comme il semblerait instant de le faire, mais on les fait doucement promener et cantonner dans les environs. Je crois qu’on nous environne de pièges, et qu’il faudrait des insurrections dans les États voisins pur assurer le succès de notre Révolution.

On avait débité que les sections de Paris avaient nommé des commissaires pour rédiger un manifeste à toutes les puissances de l’Europe, par lequel on leur annoncerait les intentions pacifiques des Français qui ne veulent travailler qu’à se régénérer, leur résolution généreuse de tout sacrifier à leur défense contre quiconque voudrait entreprendre de les troubler, et, en conséquence, la contribution de chaque section de la capitale pour entretenir quatre cents hommes prêts à se porter partout où il serait nécessaire pour repousser les ennemis. Cette idée n’est-elle qu’un beau rêve, ou si vous travaillez réellement à la mettre à exécution ? Elle m’a singulièrement touchée, et je regarderais son effet comme infiniment nécessaire dans l’état où nous nous trouvons.

Je ne sais si celle d’un camp d’observation à faire en Dauphiné est demeurée en projet ? Bon Dieu ! que nous sommes faibles pour la liberté, et que peu de gens me paraissent sentir son prix !

Nos voyageurs songent-ils à leur départ ? Sont-ils enfin partis, ou ont-ils pris jour pour se mettre enfin en route ? Vous, le centre de la correspondance amicale et le point de ralliement des relations dont vous êtes un des objets chéris, ne nous laissez pas entièrement jeûner de vos nouvelles à tous ; recevez, partagez les tendres affections qui nous rapprochent et nous transportent au milieu de vous.

375

À M. H. BANCAL, [À PARIS[137].]
Le 18 août 1790, — [du Clos].

J’ai reçu hier votre excellente lettre du 11. Vous en aurez eu plusieurs des miennes depuis cette date ; je veux vous faire un mot pour le courrier de demain, et je prends pour cela un instant à la volée. Nous prêtons notre cheval, je désirerais éviter à nos gens d’aller à la ville à pied, et, comme ils ne feraient le voyage que pour porter cette lettre, je vais la donner à quelqu’un qui part pour Lyon ; elle vous parviendra tout aussitôt.

Vos détails viennent à l’appui de mes craintes ; vous faites des rapprochements de circonstances qui s’étaient également présentés à mon esprit et qui me paraissent bien plus justes depuis que vous les avez envisagés sous le même jour.

Que faire ? Lutter avec courage et constance.

C’était un phénomène sans exemple que la régénération d’un empire faite paisiblement ; c’est probablement une chimère. L’adversité est l’école des nations comme celle de lghomme, et je crois bien qu’il faut être épuré par elle pour valoir quelque chose.

En nous faisant naître à l’époque de la liberté naissante, le sort nous a placés comme les enfants perdus de l’armée qui doit combattre pour elle et la faire triompher ; c’est à nous de bien faire notre tâche et de préparer ainsi le bonheur de générations suivantes.

Au reste, on trouve le sien propre dans un aussi glorieux ouvrage. Combattre pour combattre, n’est-il pas plus doux de le faire pour la félicité de toute une nation que pour la sienne particulière ? Et qu’est-ce autre chose que la vie du sage dans l’état social qu’un combat perpétuel contre les préjugés et les passions ?

Je ne m’attendais pas que vous auriez fait faire autant de chemin à ma relation[138], et il me semble que beaucoup de ses parties n’étaient faites que pour l’amitié.

En nous nommant, vous avez suivi le penchant d’un cœur affectueux qui se plaît à s’entretenir des objets qu’il distingue. C’est justice à faire à mon ami que de le peindre ce qu’il est : homme juste et bon citoyen ; quant à moi personnellement, je ne désire ni ne crains d’être connue de qui que ce soit, et je crois qu’il est assez indifférent pour la chose publique que je le sois ou que je ne le sois pas.

Je voudrais bien pouvoir estimer le général[139] sans mélange d’aucune crainte ; mais sa doctrine sur le veto absolu revient souvent à ma mémoire d’une manière désagréable, et je n’arrange pas la doctrine qu’il dit professer sur la liberté de la presse avec sa proclamation contre elle.

Je ne sais rien de Lyon, sinon qu’on ne peut trouver à y acheter de poudre à tirer ; notre garde nationale rustique a voulu, mais en vain, y faire sa provision ; il est défendu de rien délivrer de ce genre. Je ne pense pas qu’on ait encore rien tenté pour le rétablissement des barrières, car il m’en serait revenu quelque chose.

Je suis enchantée de la réponse de Camus le juste[140] au charlatan Necker ; on ne peut rien de plus fort dans les choses et de plus modéré dans le mode : c’est bien le ton de la raison, de la vérité, sûre de sa propre prépondérance et n’empruntant rien de l’art ni de la passion. C’est ainsi que des législateurs devraient toujours discuter.

Sans doute, il y a conjuration contre les puînés ; c’étaient aussi des opprimés, et on redoute leurs plaintes. Mais faites-en donc finir ce M. Alquier, il n’est pas permis de tenir si longtemps de braves gens sur le qui-vive[141].

Je n’aime point qu’on se batte comme des preux qui n’avaient que cela à faire en courant le monde, et je suis fâchée que Barnave ait eu cette folie ; c’est oublier ce qu’il doit à ses commettants et à lui-même[142]. Cependant, si Cazalès partait de cette affaire, je j’aimerais mieux chez Pluton qu’ailleurs. Tous ces gens qui s’évadent comme le jeune Mirabeau et Montlosier[143] ne s’en vont ainsi que pour rentrer lors de l’invasion, si elle a lieu. Je crois bien qu’il est temps de polir ses armes et de se tenir tout prêts.

Le manifeste dont je parlais à Bosc dans ma dernière n’est-il qu’un rêve ? il faudrait pousser à le faire réaliser ; son effet serait admirable.

J’aime ces mouchoirs imprimés en Déclaration des droits ; c’est une heureuse idée qui peut beaucoup contribuer à propager la bonne doctrine. On aura beau faire, on répandra du sang, mais on ne rétablira pas la tyrannie ; son trône de fer ébranlé dans toute l’Europe, et les efforts des potentats ne feront qu’en accélérer la ruine. Qu’il tombe ! Lors même que nous devrions rester sous ses débris, une génération nouvelle s’élèvera pour jouir de la liberté que nous lui aurons assurée et pour bénir nos efforts.

Adieu, cher et digne ami ; j’attends toujours l’heureuse nouvelle du voyage.


376

À LANTHENAS, [À PARIS[144].]
18 août 1790, — [du Clos].

J’ai écrit à M. Pigott, à Lyon et à Genève, je lui ai tracé votre marche, déduit vos raisons, et j’ai ajouté tout ce que j’ai cru capable de lui faire plaisir ainsi qu’à vous. Je l’ai prié de m’indiquer le lieu actuel de sa résidence, en observant que, dès votre arrivée, vous auriez soin de le prévenir et que je m’empresserais d’y joindre mes invitations à choisir notre solitude pour le lieu de vos conférences, etc.

De cette manière, vous êtes en règle à son égard ; nous l’aurons quand nous voudrons, et nous mettrons le temps à tout, comme il convient à chacun.

Votre adresse[145] est bien longue en chemin ; je crois maintenant que c’est contre votre voyage qu’il y a conjuration ; exorcisez-moi tous ces diablotins qui viennent à la traverse, et arrivez donc.

Nous sommes grillés jusqu’à la moelle : la chaleur a desséché le peu de terre végétale qui couvre nos carrières ou nos rochers, l’herbe n’est plus que de la paille brisée, la fleur périt avant d’éclore, les légumes ne sauraient fournir de substance ; tout meurt ou languit. Déjà les feuilles tombent comme en automne, et l’horizon brûlé ne réfléchit qu’une vapeur ardente qui consomme ou anéantit.

Nous aspirons après l’aura fresca, comme le cerf altéré après l’eau des fontaines… Mais je m’amuse à vous peindre nos misères, tandis que vous avez mieux à faire qu’à m’écouter. J’ai envie de ne plus vous écrire, pour vous faire dépêcher de venir.

Adieu, mille fois adieu, pourvu que vous nous disiez bientôt bonjour.


377

À BANCAL, À PARIS[146].
20 août l’an 2 de la liberté, — [du Clos].

À Dieu ne plaise, mon digne ami, que j’aie jamais rien à vous prescrire ! Ce serait supposer que votre volonté aurait besoin du concours d’un autre pour se déterminer à ce que vous devez faire, et certainement je ne vous crois pas homme à avoir ce besoin-là. Mais ce qu’on doit préférer de faire n’est pas toujours évident, et, dans les circonstances difficiles où se trouve la patrie, toutes les démarches des bons citoyens sont trop importantes pour n’être pas pesées avec la dernière rigueur ; voilà pourquoi j’ai eu des craintes et j’ai eu le courage de vous les faire connaître. Mon mari m’a fait la guerre de mes observations ; il prétendait quelles vous montraient moins d’empressement à vous voir, et je crois qu’il me trouvait en cela inconséquente ou moins franche qu’à l’ordinaire. Je me suis persuadée que vous ne vous y tromperiez pas, et vous m’avez justifiée.

Je ne balancerai pas toutes vos raisons, car je le ferais difficilement avec impartialité ; mais j’avoue que votre qualité d’électeur et le rapprochement de ce que vous appelez votre habitation politique m’ont fait un extrême plaisir, et je m’attache à cette considération qui s’accorde si bien avec nos souhaits.


Aussi, tandis qu’en parlant de rester où vous êtes si la patrie l’exige, vous fixez le jour de votre départ, de même après vous avoir dit de ne pas venir si vous ne le devez point, je ne cesse de m’informer du moment où vous vous mettrez en route. Cela prouve que nous avons autant d’envie de vous recevoir que vous en avez d’arriver, à moins que de sévères obligations n’y mettent empêchement, ce qui est bien. Et ce qui est mieux, c’est que je pense avec vous que rien ne s’y oppose.

Arrivez donc ! Celui qui, après les trois premières années de son séjour dans la capitale, désirait si vivement de la quitter pour se renfermer dans la solitude, avait dès lors l’âme et les mœurs qui doivent lui mériter des amis dévoués et invariables. J’espère que vous les avez trouvés, et si leur tendre attachement peut influer sur votre destinée, elle deviendra ce qu’elle doit être. Nous nous entretiendrons d’elle, ce sera le plus cher objet de nos conférences.

Si vous aviez cru au projet de nos amis, je veux dire à son exécution facile, j’aurais cessé de le regarder comme une chimère et j’en aurais été bien aise, car, sans doute, l’effet en serait salutaire. Mais n’entamons pas des chapitres que nous pourrons traiter à loisir ; il me semble que je deviens avare en vous écrivant et que l’idée de causer bientôt à l’aise m’ôte la faculté d exercer ma plume.

Avant-hier mercredi, ou mardi soir, on a exécuté à Lyon deux hommes du peuple convaincus d’avoir agi dans l’insurrection ; vers le même temps, il est entré dans cette ville le régiment de Lamark et un régiment suisse. C’est à l’époque de la pendaison et à celle de l’arrivée de ces troupes qu’on a dû substituer le drapeau blanc à celui qui annonce la guerre et le sang. Je trouve dans ces rapprochements contrastants quelque chose d’atroce qui me fait horreur. On ne parle toujours point du rétablissement des barrières, et la ville est tellement approvisionnée de bois et de vin que de longtemps il n’y aura de droits à percevoir sur ces objets, les deux plus considérables pour l’imposition. Le régiment de Monsieur, qu’on dit être généralement, pour les soldats du moins, dans des dispositions patriotiques, n’est point à Lyon, mais dans les environs ; il en doit être de même de plusieurs autres qu’on attend et dont on porte le nombre très haut. Cet appareil de force en impose à un peuple ignorant et avili ; partie de la garde nationale s’en réjouit, parce qu’elle y voit un soulagement dans le service qu’elle faisait lâchement et avec inexactitude.

Il y avait eu quelques sourdes rumeurs sur la réclamation à faire contre le désarmement d’un quartier ; elles se sont assoupies ; il en a été de même des plaintes de quelques particuliers durant l’absence desquels, le jour du désarmement, on avait fait enfoncer les portes par des sapeurs, pour visiter s’il n’y avait pas d’armes chez eux et enlever celles qui pouvaient s’y trouver.

Toute cette conduite despote et avilissante du corps municipal est très raisonnée ; je ne fais pas le moindre doute que le maire[147] ne soit un traître fieffé ; plein des préjugés du vieux régime, de la morgue des robins, de l’insolence des gens du roi, dévot jésuitique, pleureur et tartuffe, il n’est bon qu’à favoriser une contre-révolution. Blot ne saurait donner à Brissot que de timides conseils sur son journal pour les articles de Lyon, parce qu’à Lyon Blot est connu pour son correspondant, son ami, qu’on lui attribue en conséquence ce que Brissot publie sur cette ville, et qu’il craint de se compromettre, surtout dans cette circonstance où il est l’homme, l’agent, l’organe, le député de la municipalité.

Je vois que vos louables efforts pour la réunion des patriotes ne seront pas aisément suivis de succès, cette manie de tout conduire, cette haute opinion de soi-même qui déshonore le talent et le font échouer, lesquelles paraissent entacher l’abbé F. [Fauchet][148] et d’autres, sont des restes malheureux de l’antque esclavage. Quand on ne s’est pas habitué à identifier son intérêt et sa gloire avec le bien et la splendeur du général, on va toujours petitement, se recherchant soi-même et perdant de vue le but auquel on devrait tendre.

On trouve bien des Cicérons qui sauveraient la République pour s’en vanter, on ne voit guère de Catons qui la sauvassent pour elle-même. Vous seriez de ce nombre si vous étiez parmi les représentants, et je voudrais vous y voir ; ce ne serait peut-être pas une chimère pour une prochaine législature, mais le pas qui reste à faire d’ici là est terriblement glissant, et je ne vois pas trop clair dans les événements. Nous en calculerons les données quand vous serez venu.

La douce amitié, l’entière confiance vous attendent avec empressement.

Faites en sorte de m’avertir du jour de votre arrivée à Villefranche.

378

[À BOSC, À PARIS[149].]
23 août 1790, — [du Clos].

Nous avons reçu les assignats, valeur de 1,000 livres ; ils se vendent encore 3 p. <smal>0/0 à Villefranche, non compris la perte des intérêts, et c’est pis à Lyon. Mais, comme ils sont petits, nous trouverons à nous en défaire en les donnant en payement.

Je n’écris plus à nos amis, je crois qu’ils seront partis quand la présente vous parviendra, car, d’après ce que nous nous sommes mandé, ils doivent s’embarquer le 26 an plus tard, et nous les attendons[150]. Je recevrais cependant avec bien du plaisir la confirmation de ce départ, et j’espère que le courrier d’aujourd’hui nous en apprendra quelque chose.

Nous avons découvert des traces du 'curculio dans notre enclos même ; il s’agit d’en guetter et d’en attraper la nuit ; vous en aurez, ou il y aurait bien du malheur. Bomare le sot a pourtant parlé assez pertinemment de cet insecte.

Vous nous apprenez une excellente chose en nous assurant qu’il y a encore à Paris une grande énergie, mais j’ai peur que vous en jugiez ainsi d’après vous-même. S’il est vrai qu’elle soit générale, comment ne forcez-vous pas l’Assemblée de mettre l’ordre dans les finances ? Nous croupissons dans leur abîme, et la Constitution finira par s’y engloutir. Pourquoi n’obtenez-vous pas qu’elle déclare constitutionnellement la liberté indéfinie de la presse[151] ? Tant que vous n’aurez pas gagné ces deux points, je dirai qu’on s’amuse à la bagatelle et que vous perdez votre vigueur en bons propos sans effet. Cependant chaque jour la corruption gagne, et l’Assemblée s’affaiblit ; il serait temps de songer à une autre législature, si ces grands articles étaient arrêtés. Il faut que le parti ministériel ait de l’ascendant pour avoir porté la mâchoire despotique de Dupont à la présidence[152]. Réunissez bien vos forces, car les provinces sont terriblement lâches ; le peuple est ignorant au dernier degré, et les gens aisés sont ambitieux ou fripons.

On a rétabli les barrières à Lyon, le 21 courant ; on ma assuré que le drapeau blanc n’avait été arboré le 19 qu’à la demande du commandant des troupes de ligne, qui n’avait pas voulu arriver comme ennemi et tant que le signal de la loi martiale annonçait la rigueur.

S’il était possible que nos voyageurs ne fussent pas encore partis, déterminez-les à donner enfin le coup de fouet, car je ne veux pas passer dimanche prochain, si ce n’est samedi, sans les avoir embrassés.

Adieu, salut et amitié comme toujours et pour la vie.


379

[À BOSC, À PARIS[153].]
7 septembre 1790, [du Clos].

Vous[154] avez, Monsieur le grondeur, à vous justifier auprès de vos amis, qui n’ont pas perdu un moment à vous donner de leurs nouvelles. Ouant à votre prise à partie avec Madame la ménagère, je me garde d’en parler et je vous remets aux prises.

Lanthenas est à Lyon avec Pigott : je ne sais ce qu’ils y brassent ; pas grand’chose, je pense. L’un a besoin de se fixer et cherche de bonne foi : l’autre vit au jour le jour ; grand faiseur de projets, qui a peu de stabilité dans les résolutions. Bancal a un sens droit ; il raisonne son affaire et il n’y voit pas clair encore. Je pense, comme lui, que la chose vaut d’être regardée de très près. Nous allâmes hier ensemble aux mines de Chessy[155] ; nous errons de temps en temps dans les bois d’Alix ; nous devions aller aujourd’hui à Villefranche ; mais enfin les Nymphes ou Orion arrosent la gueule brûlante du Lion, et nous sommes au terme de la sécheresse qui nous a désolés ; il pleut, et, au lieu d’aller chercher de vos nouvelles, nous y envoyons.

Vous[156] me devez une amende honorable ; j’espère que vous l’aurez faite de votre propre mouvement, lorsque vous aurez vu combien vos jugements étaient téméraires, et je l’attends aujourd’hui. Cette considération m’empêche de vous relever aussi vigoureusement que je pourrais le faire, et je m’en tiendrai seulement à deux observations : la première, que les yeux d’une femme de trente-six ans rappellent à l’amitié et ne font jamais oublier les amis ; la deuxième, que ceux que vous accusez n’ont jamais toléré de torts volontaires et ne sauraient en excuser de tels ; d’où il suit que vous avez manqué de justesse et d’équité. Je ne crains point les dénonciateurs, je puis les défier, et je crois que vous rempliriez fort mal leur rôle à mon égard. Croyez-moi, tenez-vous dans la classe de mes amis ; vous ne sauriez en sortir sans grimacer et faire un personnage forcé ; la preuve en est dans vos expressions mêmes, que je retournerais contre vous avec avantage si j’étais en train de vous peloler.

Vous ferez fort bien de nous dire un mot de la chose publique, car, depuis que nos amis sont ici, nous savons mieux ce que chantent les oiseaux de nos bois que ce qui se décide par vos législateurs.

Je suis fâchée que le griboury[157] ne vous soit pas agréable, et je tâcherai de vous envoyer une autre année des tant aimables curculio.

Je cours beaucoup, je travaille peu ; cette allure ne va pas mal à ma santé, comme à mon secret penchant pour la paresse.

Je ne suis pas merveilleusement instruite de ce qui se passe à Lyon ; il parait seulement que la municipalité y fait force sottises, à l’occasion du pain, sur la fabrication duquel elle rend des ordonnances qui se contredisent et dont elle laisse l’exécution au hasard ou à la friponnerie des boulangers. Le peuple est mécontent du régisseur allemand de Lamarck. On disait que le commandant des troupes de ligne, M. de La Chapelle, devait être aussi nommé commandant de la garde nationale, dont on voulait faire une refonte pour en exclure ce qu’on appelle la canaille. Vous sentez ce que cela signifie.

Je pense qu’une petite manœuvre des aristocrates tend encore à faire avoir à des militaires employés dans l’armée le commandement des gardes nationales en divers départements. Faites tenir les yeux ouverts sur cette marche.

Adieu, soutenez le patriotisme parisien, car le provincial est bien languissant.


380

[À BOSC, À PARIS[158].]
Lundi 27 septembre 1790, — du Clos.

Nous n’avons reçu que par le courrier de samedi votre lettre du 20, parce qu’elle est arrivée à Lyon après notre départ de cette ville[159]. Nous jeûnions de vos nouvelles depuis assez longtemps, et nous les avons accueillies avec empressement ; mais vos observations sur la chose publique nous affligent d’autant plus qu’elles s’accordent parfaitement avec tout ce que nous apprenons d’ailleurs. Ce n’est pas cependant par les papiers publics que vous pensez devoir nous instruire ; aucun ne donne l’idée du mauvais état des affaires, et cela même y met le comble. C’est le moment où les écrivains patriotes devraient dénoncer nommément les membres corrompus qui, par leur hypocrisie, leurs manœuvre, trahissent le vœu, compromettent les intérêts de leurs commettants. Ils devraient publier hautement ce que vous nous dites du général. Que fait-on de la liberté de la presse, si l’on n’emploie les remèdes qu’elle offre contre les maux qui nous menacent ? Brissot paraît dormir[160] ; Loustallot[161] est mort, et nous avons pleuré sa perte avec amertume ; Desmoulins aurait sujet de reprendre sa charge de procureur général de la lanterne. Mais où est donc l’énergie du peuple ? Necker[162] est parti sans éclairer l’abîme des finances, et l’on ne se hâte pas de parcourir le dédale qu’il vient d’abandonner ? Pourquoi ne réclamez-vous pas contre la lâcheté de ce comité vendu qui ose défendre les dettes d’Artois… L’orage gronde, les fripons se décèlent, le mauvais parti triomphe et l’on oublie que l’insurrection est le plus sacré des devoirs lorsque le salut de la patrie est en danger ! Ô Parisiens ! que vous ressemblez encore à ce peuple volage qui n’eut que de l’effervescence, qu’on appelait faussement l’enthousiasme ! Lyon est asservi ; les Allemands et les Suisses y règnent par leurs baïonnettes au service d’une municipalité traîtresse, qui s’entend avec les ministres et les mauvais citoyens. Bientôt il n’y aura plus qu’à pleurer sur la liberté, si l’on ne meurt point pour elle. On n’ose plus parler, dites-vous, soit ; c’est tonner qu’il faut faire.

Réunissez-vous avec ce qui punt exister d’honnêtes gens, plaignez-vous, raisonnez, criez, tirez le peuple de sa léthargie, découvrez les dangers qui vont l’accabler, et rendez le courage à ce petit nombre de sages députés qui reprendraient bientôt l’ascendant si la voix publique s’élevait pour les soutenir.

Je ne saurais vous entretenir de notre vie et de nos courses champêtres : la République n’est point heureuse ni assurée, notre félicité en est troublée ; nos amis[163] apostolisent avec un zèle qui serait suivi de succès s’ils pouvaient l’exercer dans le même lieu durant quelque temps.

381

À BANCAL, À CLERMONT[164].
8 octobre 1790, — [du Clos]

Je n’ai eu qu’une rapide communication de votre lettre que notre ami absent m’a fait passer, avec recommandation de la lui renvoyer aussitôt, parce qu’il veut y répondre lui-même.

Je prends la plume sans savoir ce que pourra devenir ce que je vais tracer, comme sans juger ce que je vais écrire. Mon esprit est occupé de mille idées, que je trouverais sans doute plus faciles à exprimer si elles étaient accompagnées de sentiments moins tumultueux. Pourquoi mes yeux sont-ils obscurcis de larmes qui s’en échappent sans cesse et les remplissent toujours ?

Ma volonté est droite, mon cœur est pur, et je ne suis pas tranquille !

Elle fera le plus grand charme de notre vie, et nous ne seront pas inutile à nos semblables, c’est vous qui le dites de l’affection qui nous lie, et ce texte consolant ne m’a point encore rendu la paix !… C’est que je ne suis point assurée de votre bonheur et que je ne me pardonnerais jamais de l’avoir troublé. C’est que j’ai cru vous voir l’attacher, du moins en partie, à des moyens que je crois faux, à une espérance que je dois interdire. Ah ! sans doute, l’Affection qui rapproche et confond des âmes franches et sensibles, également enthousiastes du bien, inspirées par les mêmes penchants, doit charmer leur existence et lui donner un nouveau prix ; sans doute, les vertus qu’une telle affection peut développer ou nourrir doivent tourner au profit de la société, comme à la gloire de ceux qu’elle anime ; telles sont les bases de ma confiance et le rocher auquel je me retrouve attachée, même dans les plus fortes agitations de la tempête.

Mais qui put prévoir l’effet d’agitations violentes ou trop fréquemment renouvelées ? Et ne seraient-elles pas redoutables quand elles n’en auraient d’autre que cette langueur qui leur succède, qui altère passagèrement l’être moral et ne le laisse plus au niveau de sa situation ? Je m’abuse ; vous n’éprouvez point cette indigne alternative ; vous pouvez être quelquefois attristé, mais vous ne sauriez jamais être faible, et il n’y a que la faiblesse qui conduise à l’abattement ou puisse amener les fâcheux excès. L’impétuosité naturelle à votre sexe, l’activité d’une ardente imagination ne produisent que de légères erreurs, semblables à celles d’un songe fugitif, lorsqu’un sentiment profond alimente le cœur et purifie dans son feu sacré ces vaines illusions. L’idée de votre force me rend toute la mienne ; je saurai goûter la félicité que le ciel m’a départie, en songeant qu’il n’a point permis que j’aie troublé la vôtre et qu’il m’a même accordé quelques moyens de l’accroître. Que de bénédictions ne lui devrai-je pas ?… Comme cette douce espérance embellit mon horizon ! C’est le rayon bienfaisant qui fait sourire la terre et rend au ciel sa sérénité ! Entretenez-moi, ou plutôt instruisez-nous toujours de votre marche, de vos projets, de ce que vous savez de la chose publique, de ce que vous vous proposez pour elle. Au sein de votre famille, vous y êtes sûrement accueilli avec tendresse et vous vous y sentez avec joie ; joie douce et pure, qu’il est donné à si peu de personnes de goûter ! J’aime à me représenter votre vieil et respectable père, ravi de vous embrasser, et à vous voir dans ses bras, savourant ces saintes affections que nos mœurs corrompues ont rendues si rares. Hélas ! vous vous éloignerez bientôt… Mais vous vous rendrez au centre où la patrie semble appeler actuellement ceux qui peuvent la bien servir, parce qu’elle a besoin de les y rassembler ; si la distance devient alors plus grande entre nos habitations, du moins les communications seront aussi promptes.

D’où vient que cette feuille que j’écris ne put-elle vous être envoyée sans mystère ? Pourquoi ne peut-on laisser voir à tous les yeux ce que l’on oserait offrir à la divinité même ?

Assurément, je puis appeler le ciel et je le prends à témoin de mes vœux, de mes desseins ; je trouve de la douceur à penser qu’il me voit, m’entend et me juge ; qu’est-ce donc que ces contradictions sociales, ces préjugés humains, au milieu desquels il est si difficile de conduire son propre cœur, si le courage des sacrifices et la constance des caractères ne s’unissent à la pureté d’intention comme au dédain des vaines formules, pour conserver le fil des devoirs ?

Quand est-ce que nous vous reverrons ? question que je me fais souvent et que je n’ose, résoudre. Mais, pourquoi chercher à pénétrer l’avenir que la nature a voulu nous cacher ? Laissons-le donc sous le voile imposant dont elle le couvre, puisqu’il ne nous est pas donné de le pénétrer ; nous n’avons sur lui qu’une sorte d’influence, elle est grande sans doute, c’est de préparer son bonheur par le sage emploi du présent. Cette seule considération me paraît devoir faire la tranquillité des gens de bien dans toutes les situations imaginables ; ils n’ont point à s’inquiéter d’un temps pour lequel ils s’assurent des témoignages qui feront leur consolation. Ainsi les plus chers amis supportent l’absence par le charme d’en consacrer les instants à des vertus dont ils se doivent compte. Quels devoirs cette aimable obligation ne rendrait-elle pas délicieux ! A-t-on à se plaindre, à gémir de quoi que ce soit au monde avec un cœur fait pour apprécier cet avantage ! Et dois-je avoir, pour vous qui le sentez si bien, des alarmes et des craintes ? Non, elles vous seraient injurieuses ; pardonnez celles qui m’ont émue à cette tendre inquiétude trop voisine de la faiblesse d’un sexe chez qui le courage même n’a pas toujours l’accent de la fermeté.

Vous m’avez parlé d’un ami dont vous faisiez le plus grand cas et auquel vous étiez particulièrement attaché ; j’ai rapporté cette idée à M. Garan[165], soit que vous me l’ayez nommé, ou que je l’aie jugé par induction, je ne m’en souviens pas bien ; mais j’ai appris dernièrement, par conversation, que Lths. [Lanthenas] allant voir M.G… avant son départ, et M. G… lui témoignant du regret de l’avoir peu vu dans les derniers instants de son séjour, ce même M.G… avait ajouté, comme par une plainte tendre et dans l’effusion momentanée de son cœur, que vous-même sembliez l’avoir négligé à votre dernier voyage. Je ne sais, mais cela m’a affligée comme si c’eût été ma faute et que j’eusse à m’en accuser ; je me suis proposé de vous le faire savoir à la première occasion où j’en aurais la liberté.

Je ne vous dis rien des affaires, c’est un chapitre que je réserve pour la correspondance commune ; nos deux amis sont dans la grande ville, et je suis plongée dans le tracas des vendanges. Les beaux jours que nous avons passés ici n’ont pas été suivis d’autres qui leur ressemblent ; le soir même de votre départ, le temps a changé, et, par une singularité très remarquable dans cette saison, il ne s’est point écoulé vingt-quatre heures dans toute la semaine où le tonnerre ne se soit fait entendre.

Il vient encore de gronder ; j’aime assez la teinte qu’il prête à nos campagnes, elle est auguste et sombre, mais elle serait terrible, qu’elle ne m’en inspirerait pas plus d’effroi. Les phénomènes de la nature, qui font pâlir le vulgaire et présentent même à l’œil du philosophe un aspect imposant, n’offrent à l’être sensible, préoccupé de grands intérêts, que des scènes relatives et toujours inférieures à celles dont son propre cœur est le théâtre.

Adieu, mon ami ; il est presque cruel de vous entretenir lorsque vous ne pouvez me répondre ; mais, s’il y a quelque rigueur à user de cet imparfait avantage, vous me passerez bien celle-là.


Villefranche, 7 octobre au soir 1790[166].

J’arrive de la campagne, notre bon ami, pour passer demain à Lyon et assister, le 9, à l’assemblée des électeurs pour la nomination des juges. J’ai trouvé en arrivant : 1° votre lettre qui m’a fait le plus grand plaisir ; 2° une lettre pour vous, d’une petite écriture, adressée chez moi et contresignée Assemblée nationale[167] ; J’ai effacé mon adresse et j’ai mis Clermont-Ferrand. Si on ne vous la remettait pas en même temps que celle-ci, demandez-le à la poste ; 3° quatre ou cinq feuilles de Brissot, le Courrier de Lyon, trois ou quatre autres lettres ; mais, pressé par l’heure et le renvoi de mon cheval, j’ai expédié le tout à nos amis à la campagne ; je n’ai fait que parcourir les écritures, et je n’ai rien lu des nouvelles imprimées. J’ai mandé au docteur, qui doit me joindre demain à Montfort[168] pour venir avec moi à Lyon, de lire pour m’en faire le rapport. Je resterait à Lyon le moins qu’il me sera possible. Nos vendanges ont été trop humidement entamées pour pouvoir les continuer ; mais, quelque temps qu’il fasse, il faudra bien les reprendre et continuer la besogne ; pour cela et le reste, j’ai grande hâte d’être de retour. M. Pigott doit bientôt revenir à Lyon ; il bat les buissons en attendant.

Lanthenas reviendra avec moi jusqu’à ce que le vent ait dirigé sa plume. Qu’avez-vous donc de mieux à faire qu’à venir nous joindre ? S’il est vrai que les bois d’Alix invitent autant à la rêverie et que cette manière d’être ait quelque charme pour vous, que ne venez-vous en jouir ? Noùs mettons nos goûts en commun et nous en multiplierons la jouissance d’autant qu’ils seront plus nombreux et plus rapprochés. Vous avez vu notre manière franche et ronde ; ce n’est point à mon âge qu’on change, quand on n’a jamais varié. Nous causons tous les jours de notre raprochement, et certes ! les biens du clergé de Villefranche en offrent un bon moyen : il y en a bien pour 200 ou 300 mille livres ; et quant aux logements, ce serait encore chose sur laquelle il n’y aurait point à désespérer. Sur tout cela, nous faisons peut-être des châteaux en Espagne, mais une agréable perspective de jouissances. Nous prêchons le patriotisme, nous élevons l’âme ; le docteur fait son métier ; ma femme est l’apothicaire du canton ; vous et moi nous arrangerons les affaires. Nous tous nous exhortons à la paix, à l’union, à la concorde, mais tout cela, quoique en commun, avec toute l’indépendance individuelle imaginable, bien persuadés qu’il faut être libre pour prêcher la liberté et que ce n’est point être libre que de prendre un engagement dont on ne puisse revenir quand bon semble. Ainsi donc, nous nous rapprochons le plus possible, nous nous voyons de même et nous sommes isolés et solitaires quand il nous plaît. Que si notre principe est de faire du bien à tout le monde, d’aider chacun de tout notre pouvoir, à plus forte raison nous ferons-nous réciproquement tout celui que nous imaginerons, surtout que le corps et l’âme, l’esprit et le cœur trouvent leur bien-être partout. Je vous ferais des volumes de vous répéter ce que nous avons dit ; je ferais la bibliothèque d’Alexandrie de vous dire ce que nous pensons et voudrions opérer.

J’ai vu votre sellier ; j’avais envie de le chapitrer, je commençais déjà, mais il m’a parlé en bon homme, en brave homme ; il est entré dans quelques détails… « Eh bien ! lui ai-je dit, en lui offrant les 12 livres, serez-vous content ? » Il m’a fait un petit compliment et nous nous sommes quittés fort bons amis. Il a quitancé le mémoire.

Vous nous aviez promis des nouvelles, nous les attendons avec empressement, surtout des vôtres. Je porte mes lettres à Lyon pour les y mettre à la poste.

Je vous salue, mon très cher, et vous embrasse de tout mon cœur.


J.-M. Roland.


382

[À BOSC, À PARIS[169].]
9 octobre 1790, — [du Clos].

Je vous prie d’expédier la ci-jointe à M. Deu[170], pour lequel vous ajouterez de ma part mille et mille amitiés. Le tracas des vendanges au milieu desquelles je suis toute seule ne m’a laissé que le temps de faire une réponse due depuis longtemps. Mon bon ami est à Lyon, à faire des juges ; Lanthenas est allé lui tenir compagnie et apostoliser de son mieux dans cette triste ville ; l’ami Bancal est rendu parmi les électeurs dont il fait partie.

Je suis demeurée avec mon poussin[171] et nos gens, mes pommes et nos raisins. Nous n’entendons que tonnerres depuis huit jours, et je ne vois rien de si pressé que de recueillir les fruits de l’année.

Adieu, je vous embrasse comme aux champs, mais réveillez les Parisiens et l’Assemblée ; faites décréter que les huit cents millions d’assignats ne pourront être employés qu’en acquit de la dette, bien justifiée, et ne les laissez pas manger par un courant qui vous épuise et un Dufresne[172] et des ministres qui nous grugent à qui mieux mieux. Si l’on n’est plus sévère sur les finances, il faudra s’égorger ou retomber

dans les fers, ce qui est encore pis.

383

[À ROLAND, À LYON[173].]
Le soir du samedi 9 octobre 1790, — [du Clos].

Il faut bien que je t’écrive aujourd’hui pour le courrier de demain si je veux te donner de mes nouvelles, car dans l’idée de la courte durée de ton séjour je ne t’écrirai pas mercredi. J’ai reçu ton petit mot du soir de ton départ le lendemain à quatre heures après-midi. L’habitude que j’ai, mon cher maître, de trouver vos décisions meilleures que les miennes me fit regretter d’abord ce que j’avais fait ; mais je réfléchis aussitôt que si vous aviez eu sujet, en écoutant la pluie, de recommander jeudi soir de ne point continuer les vendanges, je n’avais pas moins eu raison, en voyant le beau soleil du vendredi, de mettre en train nos gens. Effectivement, Antoine[174] a continué et fini ; j’appris avec dépit que Civelle[175] avait renvoyé ses gens qu’il avait précédemment avertis et qui s’étaient présentés ; je le fis mettre en quête pour les ravoir, ils n’ont pu venir qu’aujourd’hui ; ils ont fait, dans cette journée, d’excellent ouvrage et continueront demain. Ainsi de Bertier[176]. Ces deux jours ont été admirables : j’ai pensé que, la lune ayant ainsi renouvelé, son troisième jour pourrait amener la pluie et qu’il fallait expédier. J’ai peur de m’être trompée de vingt-quatre heures et d’avoir demain le temps que je ne craignais que pour lundi ; le vent vient de retourner au sud, il éclaire et tonne ; s’il pleuvait ce dimanche, ce serait doublement fâcheux, car cela aurait l’air d’une punition du ciel et mettrait de l’eau dans nos cuves ; cependant l’orage semble s’éloigner. Ces foudres me font redouter la grêle ; je ne vois rien de si pressé que de récolter. Les noix sont abattues, les poires cueillies, les soleils et une partie des pommes le sont également. Tout va et bon train ; ça ira, ça ira, comme à la Fédération.

Tu as grand tort de t’ennuyer à faire des juges en ville : jamais notre jardin ne fut si frais et si riche, la campagne est charmante. On a fini le travail des gouttières de l’eau des serres. Quant à la lapinière, nous avons mieux à songer pour le présent, il faut prendre patience. Demain, après la messe, nous tirons la première cuvée d’Antoine. Le vin est cher et sera bon.

J’ai vu le vicaire[177]. Je l’ai lutiné sur la Déclaration des droits ; il s’est excusé sur son curé. Je lui ai dit qu’ils étaient tous prêtres par un coin, qu’ils manquaient de franchise et ne secondaient pas de leurs forces une constitution par laquelle ils craignent de perdre de leur vieil ascendant. Beaucoup de mauvaises phrases et pas une bonne raison, voilà ce que j’en ai tiré en lui débitant de bonnes vérités.

Ta fille te répond ; elle s’arrange fort bien des tracas champêtres qui ne ressemblent point à un travail suivi et dont elle ne prend que pour se divertir. La pluie m’a trop fait perdre l’idée de mes raisins au four ; ils sont excellents au goût, mais durs et secs comme des pruneaux.

J’écris à Mme  de Gomiecourt[178], par d’Antic. Je ne dors point à l’ouvrage et ne m’en trouve pas plus mal. Cependant je me sens la tentation de reprendre le lait et de boire de l’eau, et je crois que ce désir tient à un besoin que la rougeur de mon visage décèle. Mille amitiés au fidèle Achate. Je t’embrasse de tout mon cœur.


384

[À BANCAL, À CLERMONT[179].]
13 octobre 1790, — du Clos Laplatière.

J’ai reçu hier, bon et digne ami, votre lettre du 5 expédiée par Paris ; vous aurez eu maintenant de nos nouvelles, et par l’ami Lanthenas qui vous a écrit d’ici, et par mon bon ami qui a dû répondre de Lyon à votre première. Je prends votre seconde pour moi et je vous renvoie la balle ; peut-être nos voyageurs arriveront-ils avant que j’aie terminé mon expédition, car ils ne m’ont point donné signe de vie depuis leur départ, et j’en augure un très prochain retour.

Je suis pourtant un peu scandalisée de ce parfait silence, j’ai peine à y croire ; j’ai fait renverser les poche du commissionnaire, en songeant à la trouvaille faite la veille, au fond d’une besace qui va souvent à la ville, d’une lettre de Champagneux datée du mois de septembre ; mes recherches ont été vaines et je suis dans l’attente.

J’imagine que nos patriotes apostolisent de leur mieux ; je ne sais s’ils feront beaucoup de fruits. Je suis tout occupée de ramasser ceux de l’année : ces soins économiques ne me déplaisent pas, ils sont vraiment dans notre destination naturelle, et, malgré ce qu’il y a de pénible dans ces tracas champêtres, j’échangerais bien contre eux toute la science des hommes et toutes les écritoires des savants. La récolte ne sera pas fort abondante, mais elle aura un bon prix. Si vous voyiez comme nos pauvres vignerons, qui ont été courbés toute l’année sur leur pioche, paraissent satisfaits de recueillir cette modique subsistance achetée par tant de sueur, vous en seriez attendri. Quand verrons-nous les gouvernements tellement organisés que le sort de l’homme rustique soit accompagné de toute la félicité que lui méritent ses travaux et sa simplicité ! Il me semble que les législateurs ne se reportent pas assez souvent dans les campagnes ; embarrassés dans le mécanisme de l’administration, obsédés d’une foule de choses et de gens subsidiaires, ils perdent trop aisément de vue la base de l’édifice et la sévère économie qui peut seule l’assurer.

Le nouveau code militaire[180] me parait donner un terrible ascendant au pouvoir exécutif déjà gorgé de tant de millions ; avec de l’or à répandre et tant de grades à donner, tant de valets ou d’assassins à stipendier, qu’elles affreuses modifications ne pourra-t-il apporter à la plus belle constitution du monde ?

Vous avez bien jugé notre pauvre v. [vicaire] et son goût dominant ; nous avons découvert qu’il n’avait point donné au maître d’école la Déclaration des droits que j’avais copié pour lui êre remise ; nous avons muni celui-ci de deux exemplaires imprimés avec le commentaire, et j’ai fait la guerre à l’autre ; mais je n’ai obtenu que de pauvres raisons en réponse des bonnes vérités que je lui ai dites et qu’il lui a fallu rembourser malgré la dignité du sacerdoce[181].

Après huit jours de tonnerre, le froid est venu nous saisir, déjà il me raidit tellement les doigts, que j’ai quelque peine à conduire ma plume. Dans cette brusque alternative, comment aurez-vous trouvé de beaux jours pour la tournée que vous préméditiez ? J’imagine que Lanthenas aurait saisi le moment de vous accompagner à Montpeyrou[182] s’il se fût trouvé ici à la réception de l’avis et de l’invitation que vous nous communiquez ; mais je ne sais trop quelle sera sa marche ultérieure.

Il y a ici une lettre de Brissot pour lui ; je n’ai rien tenté de lui faire passer à Lyon, parce qu’il doit revenir avec notre ami et que j’ignore leur moment. Si vous étiez actuellement près de moi, ce ne serait pas au volant ou à la promenade que je vous ferais accorder vos loisirs ; mais, en vous faisant partager la surveillance de la récolte, de la cave et de mille préparations champêtres, je vous ferais faire le noviciat de votre vie future. Puissiez-vous découvrir une retraite charmante où vous établissiez en paix votre tabernacle, près des amis qu’il serait si doux de réunir, et non loin de ceux qui, déjà fixé, voudraient du moins pouvoir aisément être visités et vous aller voir eux-mêmes.

Nous avons reçu dernièrement une petite mauvaise brochure de vieille date, en réponse à notre adresse, Aux amis de la vérité, dont elle est une grossière critique, assaisonnée de mensonges impudents, de sottises de différents genres, le tout anonyme, comme de raison, ou pseudonyme, pour mieux dire, car il y a un nom fabriqué en l’air[183]. C’est une de ces productions calomnieuses qu’on n’a pas même de mérite à dédaigner, quoiqu’elles puissent abuser peut-être quelques sots comme il y en a tant. Brissot parait avoir profité de ce que vous lui avez marqué de l’engourdissement de Lyon ; il a fait un article où il le relève, en donnant un coup de Jarnac à Imbert[184].

Depuis que vous nous avez quittés, j’ai pris pour lecture le procès-verbal des Électeurs de 89[185] ; j’aime à me retracer ces grandes scènes, ces moments sublimes et solennels où tout un peuple indigné brise ses fers et reprend ses droits ; j’aime à voir, dans les noms de ceux qui se sont généreusement dévoués à cette terrible époque, le nom d’un ami qui nous est devenu si cher : c’est ajouter au grand intérêt d’une superbe histoire l’intérêt touchant d’un sentiment particulier ; c’est réunir au patriotisme qui généralise, élève les affections, le charme de l’amitié qui les embellit toutes et les perfectionne encore.

C’est ainsi que vous nous préparerez, dans les lectures du temps, si la seconde législature vous emploie, le dédommagement à la distance où il vous tiendrait de nous. Le voyage d’Angleterre[186] me semble très bien vu dans ces circonstances, surtout avec des oreilles assez exercées à la langue du pays pour bien entendre les discussions du Parlement. J’ai vu quelque part que l’Opéra de Londres a donné dernièrement une représentation de la Fédération française au Champ-de-Mars : c’étaient des bravos sans fin et un enthousiasme inexprimable dans les spectateurs ; des députés d’une Société de Bretagne à celle de la Révolution de Londres[187] ; étaient présents et furent accueillis, fêtés en frères, en hommes libres, par des hommes qui se connaissent en liberté.

Je l’avais bien prévu, mes amis arrivent ; les juges de Lyon ne sont pas merveilleux, et il me semble qu’on croit avoir moins gagné à les faire qu’à les ôter de la municipalité dont on a pris le maire et le procureur de la commune[188]. Vous aurez, je crois, quelques plaintes à adresser à Lamétrie[189] qui a montré votre lettre à un député de Lyon, lequel vous a dénoncé à la société des Amis de la Constitution de cette ville ; mais c’est à Lanthenas, qui s’est trouvé présent et qui a fait sentir la justesse de vos observations, à vous raconter l’aventure. Je lui remets la plume après vous avoir réitéré le tendre attachement de vos bons amis.


13 octobre 1790.

Nous[190] arrivons, mon cher ami, et je me hâte de profiter du premier courrier pour vous communiquer quelque chose de notre séjour à Lyon. Une des choses qui peut vous faire le plus de plaisir, c’est d’apprendre que le mémoire du quartier de Pierre-Seize est imprimé. On l’avait adressé seulement à M. Blot ; mais, comme la chose publique ne doit pas tenir à un seul homme, et moins encore l’affaire dont il s’agit, à celui-là, nous en avons fait adresser plus directement à l’Assemblée nationale et aux députés patriotes. Nous en avons nous-même adressé à divers membres, aux journalistes et à la société des Amis de la liberté de la presse, avec les recommandations que je vous laisse à imaginer. Nous avons pressé le mieux qu’il nous a été possible, pour que l’occasion de cette affaire soit saisie pour attirer l’attention la plus sérieuse des patriotes sur la ville de Lyon, faire sortir les troupes qui y sont et les renvoyer aux frontières. Puissent nos peines fructifier, c’est la seule récompense que je désire !

Ma dernière vous accompagnait la réponse de Lamétrie. Je vous ai dit combien j’avais été douloureusement affecté de n’y trouver que des nouvelles de gazette[191] et pas un mot de l’usage qu’il avait fait de votre lettre pour le bien de la chose publique. Je fus bien étonné avant-hier, à la société des Amis de la constitution de Lyon, de reconnaître, dans la plainte qu’y fit le président (il semblait au nom des députés de Lyon) que des membres de cette société les avaient grièvement inculpés d’impatriotisme, que c’était votre lettre qui donnait lieu à cette plainte qui d’abord fut accueillie favorablement. Le président profita de ces premiers mouvements pour proposer d’entendre la lecture de la lettre qu’on lui avait écrite. Il y était dit, après les premières plaintes, qu’un M. Desissarts, se disant avoir vu beaucoup de membres de la société, etc., en passant par Lyon, avait écrit à un membre de l’Assemblée nationale une lettre qu’ils avaient sous les yeux, remplie de patriotisme, mais dont ils ne pouvaient que se plaindre infiniment ; que, dans un paragraphe de cette lettre, les députés de Lyon y étaient injustement outragés ; et le paragraphe suivait. C’était celui que vous commenciez en disant qu’il n’y avait rien à espérer des députés de Lyon à qui il ne tenait pas que leur patrie fût entièrement asservie, puisqu’ils n’avaient pas rougi de faire voter des remerciements à une municipalité qui avait trois fois usurpé le pouvoir législatif. Les excuses suivaient ; on prétendait que, quand les éloges avaient été votés, la municipalité ne s’était pas encore rendue coupable et qu’ensuite, s’ils n’avaient fait entendre aucune réclamation sur les choses qui se passaient à Lyon, ce dont on gémissait, c’est que des membres du corps législatif ne doivent réclamer sur rien, quand les citoyens ne se plaignent pas. J’ai senti que tout cela et le discours du président tendait à faire voter quelque lettre de flagornerie, j’en étais indigné ; et quoique d’abord, comme je vous l’ai dit, on parait disposé à en entendre sans aucune peine la proposition, j’ai ramené les esprits à considérer les évènements où l’on trouve à inculper les députés de Lyon sous leur vrai point de vue. J’ai ensuite démontré que ces députés se défendaient par un fait et un principe également faux. Toute l’assemblée s’est déclarée pour mon avis, et je dois au président, qui est un sincère patriote, qu’il n’a pas insisté sur ce que l’amitié paraissait lui avoir fait dire. Après la séance, il m’a dit cependant que, des quatre députés, il était convaincu du patriotisme de Perisse et de Milanois, députés de Lyon[192]. On a arrêté seulement que l’on correspondrait avec les députés de Lyon toutes les fois qu’il arriverait dans cette ville des évènements remarquables et qu’on s’adresserait à eux pour les pétitions que cette société se propose enfin de faire ou de provoquer pour rétablir le patriotisme dans leur malheureuse ville.

C’est un sujet sur lequel je me suis permis encore de parler, et j’ai été vivement applaudi par les patriotes chauds que cela m’a fait connaître. J’ai fait voir l’utilité qu’il y aurait à établir une communication fraternelle et suivie entre eux et les sociétés qui se forment, il parait, avec assez d’activité dans les sections.

J’ai encore échauffé les esprits sur les trois objets de notre adresse à l’Assemblée nationale ; on a mis à l’ordre du jour, pour la séance prochaine, de s’en occuper ; les membres ont été invités à en prendre lecture et à lire mon ouvrage, pour déterminer ce que la société fera pour appuyer les mêmes points près de l’Assemblée nationale.

Voilà, mon cher ami, à peu près où nous avons laissé la ville de Lyon. Si M. Pigott y arrive bientôt, comme je l’espère, je pourrais encore y aller faire une mission. Je vous confirme ce que je vous ai dit que vous devriez faire faire à votre société des Amis de la constitution de Clermont pour notre adresse. Si elle écrivait en ce moment à celle de Lyon une lettre bien animée, cela viendrait bien à propos.

J’ai reçu enfin des lettres de M. Viaud[193] et de l’abbé d’Anjou[194]. Le premier est resté à Paris un mois de plus, parce qu’il a vu que, malgré ce que l’abbé Cournan[195] avait promis, s’il partait, tout était dissous. Il a soutenu par sa constance et son zèle les faibles commencements de notre entreprise, et il me donne quelques espérances d’un nouveau choix d’un président, qui sera probablement M. Pestel[196], dont la constance s’est maintenue, et d’un changement de local pour les séances, qui se tiendront aux Augustins. J’espère que, dans votre voyage de Paris, ce sera bien la chose que vous vous empresserez de suivre et d’encourager avec le plus d’ardeur. Faites, en attendant, chez vous ce que vous pourrez pour y concourir.

Je suis très sensible au regret que vous me témoignez que je ne sois pas avec vous. J’aurais certainement eu beaucoup de plaisir à faire la connaissance de votre famille. Cela se pourra peut-être mieux dans une autre occasion. En attendant, si vous lui parlez de moi, veuillez bien lui témoigner tout mon empressement pour les personnes qui vous sont chères.

Je viens de recevoir sur une lettre de notre ami Brissot qui réponds à trois des miennes. Il a quelque crainte sur les environs d’une ville aussi aristocrate que celle de Lyon, parce que, dit-il, le genre de son existence la rendra nécessairement telle longtemps ; il est empressé de connaître ce que vous pourrez lui dire d’ultérieur de Montpeyrou. Si M. Pigott arrive, comme je l’attends, il sera sans doute empressé de faire des offres sur quelque chose. Faudra-t-il que je le presse sur Saviny#1 ? C’est encore, de ce que j’ai vu, le lieu qui me semble le plus digne et le plus convenable. Brissot s’excuse, ensuite sur l’article Monarque qui nous avions blâmé#2. Il promet d’expliquer mieux son idée qui est, à peu près, que nous ne saurions de longtemps nous passer de lois fortement coervitives. — J’ai rempli tant que j’ai pu le papier : il ne peut suppléer nos conversations. Faites-le servir, cependant, le plus que vous pourrez à nous entretenir. Salut.

Avant de fermer ce que nous vous adressons aujourd’hui, mon cher ami, je reçois votre lettre du 9, et j’ajoute encore une feuille pour y répondre. Vous me dites que votre société des Amis de la constitution avait reçu notre adresse de Paris. L’a-t-elle reçue avec la lettre circulaire que vous vous rappelez sans doute et que nous avons fait imprimer pour en accompagner l’envoi ? Est-ce ensuite par la voie du club des Amis de la constitution de Paris que le paquet lui est parvenu ? Je voudrais que vous vous donnassiez la peine d’éclaircir ces faits, et voici pourquoi. L’on m’écrit que de 156 clubs affiliés pour lesquels notre société des Am. de l’un et de l’ég. d.l.f. [ Amis de l’union et l’égalité de la famille ] avait remis des exemplaires de l’adresse et de la lettre circulaire, deux seulement ont accusé réception, celui de Toulouse et celui de Versailles, et les expéditions ont dû être faites fin août.

La société des Amis de la constitution de Lyon n’a point reçu son paquet, et je crains que les cadets n’aient eu quelques ennemis secrets qui aient détourné la plus grande partie de nos expéditions. L’abbé d’Anjou ne comprend rien à la torpeur générale dans une cause aussi intéressante pour tant de milliers d’individus et si importante pour assurer notre[197] liberté. Il a eu des doutes, comme moi, de trahison : mais il n’en a pas davantage de preuves.

J’écrirai à D.[198] de vous faire passer quelques exemplaires de notre adresse. Je ne vous fais pas passer la dernière de Brissot, pour ne pas grossir le paquet. Il mérite bien, comme vous dites, qu’on lui pardonne son laconisme. Je sais cependant bien qu’il serait désirable qu’il s’entendît davantage sur sa manière de juger l’établissement que nous désirons former : je ne sais point s’il a quelque capital dont il puisse actuellement disposer, et la séparation de tous intérêts, comme vous le proposiez dans votre plan, me semblait peut-être ne pas être entièrement convenable par rapport à lui. Je suis bien de votre avis sur ce que vous dites des habitations, et je crois qu’il me serait très facile de m’accommoder de ce que vous trouvez qui devrait suffire, si j’étais surtout animé par l’exemple que je recevrais ou celui que j’aurais à donner. Quant aux missions, je pense aussi qu’on les ferait beaucoup mieux si l’on était deux. On se soutient mutuellement, et alors les préjugés qu’il faut vaincre coûteraient beaucoup moins à mépriser pour ceux qui y auraient quelque peine.

Nous sommes revenus de Lyon avec M. R[oland] presque entièrement à pied. Nous avons catéchisé beaucoup en route, et ce mode de voyage, si bon dans tous les temps, nous a paru surtout admirable, plein de jouissances, sous le régime de la liberté.

Je vous embrasse, mon cher ami, de nouveau. Je laisse le reste de cette feuille à nos amis qui auront quelque chose aussi à vous dire.

Quelque chose[199] ! je le crois : n’en a-t-on pas toujours beaucoup à dire à ses amis, sans avoir toujours le loisir de l’exprimer ? Assurément, nous ne pouvions nous méprendre sur votre sensibilité, sa manifestation ne saurait consister dans les paroles au moment d’un départ si précipité : mais nos âmes sont faites pour s’entendre, puisqu’elles ont su s’apprécier. Vous nous décrivez votre excursion sur le Puy de Dôme d’une manière bien attachante ; elle est une nouvelle preuve que le temps comme la distance se mesure moins par l’étendue ou la durée que par la nature des objets ou la force des affections qui en remplissent l’espace.

J’espère que votre comparaison mélancolique n’aura pas toute la justesse qu’elle paraît renfermer, et que, en dépit de tant d’obstacles, notre liberté sera triomphante sans toutes ces horreurs de trahison, de misère, de découragement et de mort dont la force des orages vous présentait l’emblème. On ne peut les braver plus courageusement que vous avez fait, et quand on affronte ainsi la tempête, on mérite de la vaincre, on doit la voir cesser. L’élévation de votre superbe montagne est l’image de celle où se portent enfin les grandes âmes au milieu des agitations politiques et du bouleversement des passions. Adieu, notre sincère affection vous accompagnera partout. J’écris à Bosc de vous envoyer la lettre de Dubois de Crencé[200]. Nous vous embrassons.


385

[À BOSC, À PARIS[201].]
13 octobre 1790, — du Clos.

Le seul mot que vous avez joint à votre dernière expédition m’afflige et m’inquiète : je vois que votre situation est changée, ou que votre sort futur ne vous présente plus la même perspective[202]. Expliquez-vous un peu davantage avec de bons amis ; ce n’est pas à demi qu’on désire savoir ce qui intéresse ceux à qui l’on est attaché ; je veux connaître ce que nous avons à partager de vos peines comme de votre satisfaction.

Mon bon ami est à Lyon avec Lanthenas ; plusieurs lettres pour celui-ci les attendent ; ils ne m’ont point donné de leurs nouvelles, comme j’avais imaginé, ce qui me fait croire à leur prochain retour.

Je suis fort occupée de nos vendanges, trop pour entreprendre avec vous une longue causerie ; d’ailleurs, je ne vois pas assez clair dans vos dispositions pour juger si elle tomberait bien à propos, et vous me paraissez n’avoir pas vous-même de temps de reste.

N’oubliez pas la bonne amitié, toujours douce à goûter au milieu des traverses de la vie, donnez-nous de vos nouvelles ; je vous embrasse de tout mon cœur.

Nos amis viennent d’arriver ; ils s’empressent de faire pour Brissot une expédition que celui-ci réclame, que je joins ici avec prière de la lui faire passer aussitôt.

On a fait à Lyon des juges assez médiocres, mais on a ôté de la municipalité le maire et le procureur de la commune qui n’y faisaient pas bien et qu’on imagine être mieux placés à l’ordre judiciaire.

Pour moi, j’estime que des hommes peu amis de la Constitution ne devraient être employés nulle part ; il est vrai qu’à Lyon il est fort difficile d’en trouver d autres que de ceux-là.

Envoyez à notre ami Bancal un exemplaire de la Lettre de Dubois-Crancé à ses commettants.


386

[À BANCAL, À CLERMONT[203].]
Le 26 octobre 90, — du Clos Laplatière.

Je me fais une fête de vous écrire, bon ami, et le plaisir de vous donner quelques instants me fait prendre la plume avec un empressement singulier. Ce n’est pas que j’aie à vous rendre, en échange de vos intéressantes descriptions, de vos charmants voyages, des nouvelles piquantes ou des récits attachants. Vous connaissez notre ermitage et nos habitudes journalières ; la vie des solitaires ressemble aux champs qu’ils habitent, les premières dispositions de la nature y demeurent toujours les mêmes, les nuances seules varient comme les saisons et présentent tour à tour un aspect riant ou mélancolique.

Tandis que vous promenez vos regards sur les scènes opposées de vos magnifiques campagnes et du monde tumultueux, que vous nourrissez votre sensibilité des affections vives, des vérités tranchantes (?) que ce contraste fait naître ou ressortir, nous tournons constamment dans le cercle modeste que vous avez parcouru avec nous durant quelques moments et où nous retrouvons toujours les sentiments qui nous ont liés pour jamais.

Vous aurez reçu deux fois de nos lettres depuis la vôtre du 16 ; vos détails sur Beauregard[204] et Montpeyroux ont fait écrire Lanthenas à Brissot et à M. Pigott… Ce dernier vient d’arriver à Lyon et peut-être se déterminera-t-il à aller visiter ces objets. Il parait résulter de leur comparaison que les Beauregard offriraient plus d’avantages que Montpeyroux ; j’avoue que si votre société ne peut trouver à se fixer dans le département du Rhône-et-Loire, je l’aimerais mieux dans celui du Puy-de-Dôme que partout ailleurs.

Mon bon ami n’entend pas volontiers ce parti moyen ; il vous regarde tous comme perdus pour nous si vous n’êtes pas nos près voisins ; je ne sais si c’est de ma part confiance ou modération, mais je confesse que je ne vois pas les choses ainsi, et j’imagine que des citoyens missionnaires, comme je vous envisage, ne craindraient pas deux journées de chemin pour venir nous visiter. J’ai même besoin de me persuader cela, car je ne vois que de bien faibles apparences pour votre établissement plus rapproché ; je considère l’Auvergne comme un lieu où vous devez tenir, et j’aime à penser que son département tient à celui que nous habitons.

Nous vous avons fait part de la nouvelle conspiration[205] au centre de laquelle nous nous trouvions placés quant au local ; elle a eu quelque effet sur Lyon, et voici comment. La première découverte des enrôlements s’est faite à Valence : les districts de cette petite ville se sont assemblés et, après s’être procuré des renseignements certains, ils ont écrit à la garde nationale de Lyon. Cette lettre ostensible a été imprimée et répandue avec profusion, les Amis de la Constitution l’ont adressée à toutes les gardes nationales et toutes les municipalités qu’ils ont imaginé devoir préférablement instruire, et c’est sur cette annonce que Mâcon, avec quelque aide de son voisinage, a fait investir le château de Bussy et saisir le ci-devant comte. Paris n’est encore pour rien là dedans. Les Lyonnais et leur garde, qui semblaient paralysés ensemble, se sont éveillés à la fois ; ils se sont assemblés légalement ; ils ont fait convoquer leurs assemblées primaires et ils travaillent à nommer un commandant-général, des aides-majors, etc… L’aristocratie, qui d’abord osait débiter que la lettre de Valence était une invention de M. Roland et d’un autre patriote pour soulever le peuple, a pris la mine allongée ; mais les marchands font enregistrer tous leurs commis jusqu’au dernier, pour en faire des citoyens actifs qui influent sur les élections. Cette ruse est jugée ; il faut espérer qu’on se tiendra en garde contre ses effets et qu’on prendra des mesures pour les prévenir. En attendant, la municipalité, toujours corrompue, a fait arrêter le récit exagéré, il est vrai, de la conspiration, et emprisonner des colporteurs qui le débitaient ; du moins en est-elle accusée dans le peuple et peut-on la présumer coupable de ce nouveau délit contre la liberté de la presse. Il est impossible que la révolution ne s’achève pas ; les atteintes que ses ennemis cherchent à lui porter ne servent qu’à l’assurer.

Vous aurez vu avec douleur le peu de vigilance des patriotes de l’Assemblée pour soutenir la motion contre les ministres ; mais, d’autre part, leur dépit d’avoir été joués paraît avoir rappelé leur vigueur. Il n’y a que ces maudits comptes qu’on ne peut obtenir. Il me semble qu’il faudrait faire une adresse bien frappée, où l’on ferait sentir que le salut de l’empire, le succès de la Constitution et la confiance publique sont attachés au bon ordre des finances, à la responsabilité déterminée des ministres, où l’on réclamât avec la plus grande vigueur et l’énergie la plus imposante l’établissement de l’un et de l’autre. Une telle adresse, adoptée par une société des Amis de la Constitution, envoyée à toutes et présentée en leur nom à l’Assemblée nationale pourrait produire un grand effet.

Malgré les vœux des méchants, le ciel favorise la France, et le meilleur temps a présidé aux semailles, de manière qu’on peut encore espérer une bonne récolte pour l’année prochaine. Mais tout annonce l’approche de la saison rigoureuse. Les vignes commencent à se dépouiller, la tête jaunissante des bois d’Alix montre les livrées de l’automne, les brouillards s’élèvent de nos vallons silencieux, et des pluies fréquentes nous obligent de garder la maison. Nous avons repris le travail, et je n’attends qu’un jour favorable pour aller remettre Eudora au milieu des jeunes compagnes dont l’exemple lui est utile[206].

Nous tournons quelquefois les yeux vers les montagnes qui vous séparent de nous ; pour des amis éloignés, ce sont les Montagnes bleues du sauvage Américain… Si la distance doit se mesurer par le temps nécessaire pour recevoir réciproquement de ses nouvelles, vous ne serez pas plus éloigné à Paris. Nos amis prêchent ici, comme vous faites sur les chemins, [et votre apostolat vaut bien à mes yeux celui des disciples de Jésus. Partout le peuple est plus près de la vérité que ne le sont les prêtres qui prétendaient l’enseigner : Lanthenas en a fait dernièrement l’épreuve avec le petit vicaire, comme vous avec les moines, et vous avez tous deux également perdu votre temps. Réservez-le pour meilleur usage[207]].

Adieu ; si le courrier de jeudi n’apportait pas une de vos lettres, je m’en étonnerais et ne me défendrais pas de quelque inquiétude. Je cède la plume à votre compagnon pour terminer cette lettre, quoique le bel esprit Pope ait prétendu qu’une lettre double, ou faite à deux, devait être sotte, puisqu’elle était mariée ; cette épigramme était plus digne du célibataire que de l’auteur rival d’Homère. Nous vous embrassons toto corde.

J’ai lu[208], mon cher ami, avec plaisir les détails que vous nous avez donnés sur Montpeyroux et Beauregard. Je les avais déjà communiqués à M. Pigott, mais ma lettre ne l’a point trouvé à Genève. Il vient de m’écrire de Lyon. Je lui propose aujourd’hui, s’il a deux chevaux, comme il l’avait dit, de venir me prendre et d’aller visiter les lieux que vous nous avez décrits. Il serait alors bien désirable que nous vous trouvassions encore à Clermont. Je vous communiquerai la réponse de M. Pigott, sitôt que je l’aurai. Je le presserai de se hâter, pour ne pas vous faire languir. Je conçois combien les voyages que vous projetez ont d’attrait ! Mais ne pensez-vous pas que votre éloignement pourra nuire à nos projets dont les faibles commencements ont besoin du concours de ceux qui sont le plus libres et qui peuvent le plus pour les perfectionner ? Il parait que M. Pigott a vu plusieurs endroits dont il se réserve de me parler. Mais il me semble qu’il me sera facile de le déterminer pour l’Auvergne.

J’ai envoyé dernièrement à Brissot un article pour son journal, que j’ai intitulé ainsi : Quand le peuple est mûr pour la liberté, une nation est toujours digne d’être libre, et j’y ai prouvé que le peuple français est mûr pour la liberté[209]. Je verrais avec plaisir qu’il l’employât. Il y aurait quelque générosité, puisqu’il relève les idées dangereuses d’une de ses feuilles que nous avons tant blâmées. Le temps est entièrement à la pluie : j’aurais autrement été faire un tour à Lyon dans ces circonstances. J’attendrai la réponse de M. Pigott et je vous la communiquerai sans délai. Ménagez-vous, n’oubliez pas ce que je vous ai dit pour les cadets, parlez-m’en et croyez-moi toujours votre ami.


Lanthenas.

387

[À BANCAL, À PARIS#1.]
Le 28 octobre 1790, — [du Clos].

Il faut bien, mon ami, que je fasse avec vous une petite causerie a parte, car il n’arrive plus souvent que je sois chargée de vous répondre. Cependant deux de mes épîtres vous ont été adressées à Clermont, d’où elles vous parviendront sans doute avec le temps. Je présumais qu’il était survenu quelque chose dans votre marche, ou que vous en aviez pris une nouvelle ; j’avais compté huit grands jours sans rien recevoir de vous, et je n’ai pas même imaginé de chercher que cela pût être naturel autrement.

Vous voilà donc à cent lieues de nous ! Mais il est telle séparation à laquelle la distance ajoute peu ; quand l’une est absolue, l’autre est presque nulle. Pour des amis qui ne peuvent se parler, qu’importe quelques points de l’espace ? Il n’y a d’étendue que là où ils se retrouvent.

Les grands intérêts de la chose publique offrent à votre activité d’excellents aliments et de dignes sujets. Il est grandement besoin, ce me semble, que les patriotes entretiennent le feu sacré ; les ministres luttent toujours contre la Révolution, l’Assemblée n’ordonne point les finances ; on ne voit pas de comptes, les dépenses courent, le peuple demeure chargé, et il n’est point assez éclairé pour juger tout ce dont il faut payer la liberté ; l’aristocratie voudrait le dépiter et perpétue, pour y parvenir, les désordres du trésor public. Je ne suis pas en peine de tout ce que le civisme pourra vous inspirer pour électriser les âmes, propager la saine doctrine, former l’opinion générale et déterminer par elle tout ce que sollicitent le bien de nos frères et le salut de la patrie ; j’aime à vous voir au lieu où vous pouvez le plus utilement influer.

Votre voyage d’Angleterre ne me paraît plus assuré, car, s’il y avait quelque apparence de guerre, ce ne serait pas le cas de vous déplacer, pour double raison : nos législateurs auraient alors plus de besoin que jamais que les bons citoyens se ralliassent autour d’eux, et les passages ne seraient point aussi libres ou pourraient bientôt cesser de le devenir. Puisse le ciel détourner de nous ces querelles étrangères, invoquées par les ennemis de la Constitution, dans [210] l’espoir de la renverser ! Puissé-je voir s’assurer dans mon pays un gouvernement sage, qui, rappelant les hommes à la justice, à la bonté, les rende au bonheur que la nature leur avait destiné ! Que ceux que j’aime savourent la félicité qu’ils auront concouru à établir, et je ne désirerai plus rien pour la mienne : j’oublierai les maux particuliers que l’ancien ordre des choses ou le malheur des circonstances pourrait me laisser à sentir.

Je vais demain à la petite ville conduire ma chère E. [Eudora] ; cette nouvelle séparation me retrace amèrement toutes les raisons qui m’ont une fois obligée à la faire, et mon cœur se déchire. Faut-il si bien connaître les charmes et les devoirs de la maternité pour être privée de sa plus douce tâche ! Qu’est-ce que le soin d’allaiter son enfant, en comparaison de celui de former son cœur ? Le premier me fut si cher, que je l’achèterais de tout mon être et que je l’aurais payé de ma vie ; pourquoi ne m’est-il pas donné de me livrer à l’autre ? Il est trop vrai que, dans toutes les situations de la vie civile comme dans la grande société, même le bien apparent qui contrarie la nature est une source d’abus ou de douleurs. Les hommes ne sont pas nés pour être écrivains, mais citoyens et pères de famille avant tout ; les femmes ne sont pas faites pour partager toutes les occupations des premiers ; elles se doivent entièrement aux vertus, aux sollicitudes domestiques, et elles ne sauraient en être détournées sans intéresser et altérer leur bonheur. Heureuses celles dont les devoirs ne sont point contradictoires et qui ne sont pas forcées de choisir entre les sacrifices de quelques-uns d’eux ! Pour adoucir le chagrin que ranime le sujet de mon voyage, je ferai servir celui-ci à des emplettes où vous êtes pour quelque chose, puisqu’il est question de vêtir des orphelins auxquels vous avez destiné des soulagements ; je dois confesser que la volupté de faire le bien au nom de ceux que l’on chérit mérite des compensations qu’on ne peut trouver trop grandes, et puisque le destin balance aux humains le plaisir et la peine, quiconque sait aimer et peut être utile ne peut plus avoir à se plaindre.

J’ai saisi avec attendrissement ce que vous nous avez dit, et de votre excellent père, et de votre digne ami G[arran] ; j’ai compris ce que vous vouliez me répondre ; j’ai tout entendu. Il est impossible, mon ami, que nous cessions jamais de nous entendre ; l’imagination s’égare, la raison se trompe, et la philosophie même s’abuse ou nous abuse quelquefois, mois un cœur droit ramène toujours à la vérité, c’est sa tendance inévitable. J’arrête ici pour ajouter demain quelque chose avant d’envoyer à la poste ; il est minuit, je suis dans ce cabinet… où je ne pourrai bientôt plus faire des lectures solitaires comme il m’arrive si souvent avant de me livrer au repos, car on me fait déloger pour cet hiver ; je vais occuper une chambre de passage, nouvellement distribuée et assez triste ; mais enfin, partout où l’on est avec soi-même, on appelle les objets dont on se plaît à s’occuper.

Je suis obsédée, je n’ai que le moment de cacheter et d’expédier avant l’heure du courrier ; adieu, mille fois ; ou plutôt, jamais adieu.


Le jeudi au soir 28 octobre 90.

Nous restons ébahis, notre cher ami, en recevant votre lettre de Paris. Nous vous croyons encore à conventualiser, à monacaliser, par monts et par vaux ; et il est certainement parti d’ici deux ou trois lettres à votre adresse à Clermont, qui n’y seront arrivés que depuis votre départ. Elles contiennent les histoires de notre petit théâtre, lesquelles, néanmoins, ne tendaient à rien moins qu’à faire danser le grand branle à toute la nation.

On voit très bien ceux qui proposent de faire armer les campagnes ; c’est véritablement sur elles qu’il faut compter, car elles ont l’amour de la chose dans le cœur ; mais il faut les instruire, les endoctriner au moral et au physique. Ils ont les bons principes ; ils ne manquent ni de bon sens, ne de courage ; mais il n’y a pas d’entente ; ils ne savent comment s’y prendre pour s’ordonner.

M. Pigott est à Lyon ; l’ami Lanthenas lui a écrit pour l’engager à venir le prendre, et aller ensemble vous trouver en Auvergne. Ne voilà-t-il pas que vous en êtes à cent lieues. Vous devriez vous occuper, et ce serait merveille, de faire entendre par quelqu’un de fort discret et de très adroit, à la ci-devant dame de cette paroisse[211], que son mari n’y serait plus vu de bon œil, et qu’ils feraient bien de se défaire de ces biens pour en acheter des nationaux auprès de Paris, etc… Ladite dame a mandé dernièrement qu’elle se proposait d’acheter une petite campagne aux environs de Paris, pour y aller passer la belle saison ; elle ne dit pas qu’elle veut vendre ; il ne faudrait pas non plus lui proposer d’acheter, mais lui faire entendre, etc. Nous avons fait de singuliers projets sur ces arrangements ; et je crois, par ma foi, que pour vous, pour lui, pour eux, pour nous, on ne saurait rien faire de mieux. Sa demeure est rue Neuve-des-Capucins, chaussée d’Antin. Nous avons déjà songé à un excellent agent ; nous lui avons écrit en Vivarais ; mais il ne peut aller à Paris avant le printemps, et il faut y être. On ne peut traiter une affaire aussi délicate qu’avec beaucoup de précautions, et en présence.

On remue déjà diablement à Lyon pour les élections de la Saint-Martin[212] : on me mande qu’on parle de moi, et qu’à mon nom les aristocrates sont, comme on dit, des possédés sur qui l’on jette de l’eau bénite. Nous rions de la sottise ; cependant je suis très décidé à ne pas démarrer d’ici avant que les élections ne soient terminées. J’ai bien fait mon calcul, et je ne me soucie de rien : je n’en serai que plus ardent à prêcher sur les toits de la bonne doctrine. On parle beaucoup du fameux Imbert pour la place de maire ; mais je crois assez le connaître pour penser qu’il ne voudrait être nommé que pour être lavé et qu’il refuserait. Quoi qu’il en soit, je vois tant de gens intéressés à avoir là un aristocrate, que je désespère que cette municipalité soit jamais patriote.

Brissot n’a rien dis de ma motion[213], ni de ce qui s’en est suivi. Il a beau dire, je crois que, sur cet article, il est fort modifié par Blot, lequel me semble perdre son temps et devoir être un peu embarrassé de son retour.

Il a plu considérablement pendant cinq ou six jours ; c’est toujours le vent du midi, et il fait doux comme vers la fin de mai : la campagne est charmante.

Nous vous embrasserons de cœur et d’âme.


388

À M. H. BANCAL, [À PARIS[214].]
1er novembre 1790, — [du Clos].

En arrivant hier de la ville, où j’avais été conduire notre petite et ramasser les nouvelles, tandis que nos amis étaient ici à philosopher et jouer au volant, nous avons lu des papiers et décidé qu’il fallait écrire à Brissot.

J’ai pensé que vous seriez sans regret le porteur de cette épître, et je vous la fais passer pour lui être remise avec le n° 51 du Courrier de Lyon.

J’ai trouvé Villefranche garni de soldats ; le régiment de Guyenne y est en garnison : on paraît en être généralement content ; il me semble aussi résulter des divers témoignages que, là comme ailleurs, les soldats aiment la Révolution et les officiers l’ancien régime. N’a-t-il pas décidé que ce ne serait que dans les villes de guerre que le commandant des troupes de ligne donnerait le mot de l’ordre, et que partout-ailleurs ce serait celui de la garde nationale ? Ce point est contesté.

Les juges de Villefranche sont nommés : le digne M. Pezant, dont vous nous avez ouï parler, est président du tribunal ; Chasset[215], député, en est membre : les autres choix paraissent aussi assez sages ; ceux des juges de paix présentent partout beaucoup de difficultés.

Vous aurez reçu quelques-unes de nos précédentes qui vous tenaient au courant de nos entours. Nous demeurerons paisiblement ici jusqu’à Noël, et nous laisserons les Lyonnais ordonner leur municipalité, dans laquelle le parti aristocrate redoute terriblement de voir entrer des patriotes. [En attendant, notre curé campagnard nous débite force fagots, dont heureusement ses paroissiens se moquent[216]], et nous répandons des exemplaires de la Déclaration des droits, que l’on commence à lire. Dans mon court séjour à la ville, j’ai eu occasion de rabattre le pédantisme d’un procureur syndic[217] qui oubliait déjà que les administrateurs d’aujourd’hui ne sont que les commettants de leurs concitoyens, envers lesquels ils auraient très mauvaise grâce de faire les importants en traitant de leurs propres affaires ; j’ai diverti nos amis de ma correspondance avec ce personnage.

Je pense que le courrier d’aujourd’hui nous apportera de vos nouvelles. L’ami Lanthenas attend de celles de M. Pigott. J’ai laissé tous les poètes italiens pour le Tacite de Davansati[218] ; il n’est pas permis, dans un temps de révolution, de tourner ses études d’agrément sur des objets éloignés de la chose publique ou étrangers aux sentiments qu’elle exige. Si je puis cet hiver donner quelques moments a l’anglais, ce sera pour lire l’histoire de Mme  Macauley[219]. Je ne quitterai les historiens que pour la morale de Rousseau qui convient si parfaitement au civisme, qui est si bonne au solitaire et aux âmes sensibles.

Les trois amis embrassent leur quatrième.

Que devient le sage Garran ?


389

À M. H. BANCAL, [PARIS[220].]
5 novembre 1790, — du Clos Laplatière.

Je ne sais comme vont les courriers, mais vous auriez dû recevoir trois lettres de nous au lieu d’une renvoyée par Clermont, et les vôtres nous paraissent séparées par de biens longs intervalles. Il est vrai que les solitaires mesurent le temps d’une autre manière qu’on ne peut le faire dans les villes et surtout à Paris ; je crois cependant qu’en cela, comme en tant d’autres chose nous ne différons pas beaucoup. Mon bon ami vous a copié, ci-joint, une lettre que nous avons reçue en même temps que votre dernière et dont les observations lui ont paru mériter quelque attention ; elle est d’un homme versé dans les affaires ; il voit peut-être en noir, mais bien des gens peuvent voir ainsi, et dès lors leur sentiment doit être compté pour quelque chose dans l’ordre public. Nous livrons ces réflexions à votre patriotisme pour en user comme il vous paraîtra sage et en aiguiser l’activité, la vigilance de nos meilleurs députés. On n’aperçoit pas parmi eux de tête financière, dans la grande et bonne acception du mot ; ces comptes tant désirés ne se publient toujours point, et personne n’insiste sur cet article avec la vigueur et la suite nécessaires. Enfin l’économie, ce puissant, cet unique moyen de soutenir l’état ébranlé, n’est pas l’objet des opérations et de la prévoyance de notre Assemblée. Échauffez les esprits sur ce point, et faites envisager que, dans les espérances qui se sont répandues parmi le peuple, l’augmentation des impôts, sans l’assurance d’un régime sévère et de l’extinction de la dette, serait capable de produire des effets funestes à la Révolution.

Vous nous avez mandé des choses consolantes sur la force du parti patriotique, l’état de splendeur des Jacobins et la désertion du Club de 89 ; vous ne sauriez imaginer combien ces bonnes nouvelles nous restaurent et nous font de bien.

Lanthenas est encore avec nous ; il ne vous écrit point aujourd’hui, il est de mauvaise humeur contre Paris et les journalistes. Tournon[221], qui se plaint de n’avoir pas de correspondant à Lyon, a reçu de lui plusieurs lettres sur cette ville et il n’a seulement pas donné signe de vie ; on ignorerait que les objets lui fussent parvenus, si Pethion[222], sous le couvert duquel ils étaient adressés, n’eût trouvé, tout député qu’il soit, le temps de répondre et d’instruire de leur destination.

Lanthenas a aussi écrit plusieurs fois à Blot en lui envoyant divers articles dont aucun n’a encore paru. Ce n’est que d’hier qu’il a eu des nouvelles de M. Pigott, franc original, qui ne répond seulement pas à tous les détails qui lui avaient été communiqués sur l’Auvergne et les Beauregard, et la proposition d’aller les visiter. Il mande qu’il a vu plusieurs biens ecclésiastiques dont aucun ne l’a satisfait, et qu’il croit qu’il vaudrait mieux chercher une propriété de particulier ; puis il engage Lanthenas à venir le trouver à Lyon pour y servir le patriotisme dans la société des Amis de la Constitution. En vérité, je ne pense pas qu’avec cet inconstant pythagoricien vous fassiez jamais rien, à moins qu’on ne trouve un objet qui, le séduisant d abord, l’entraîne sur-le-champ : s’il n’est ainsi pris subito, il cherchera toute sa vie et ne bâtira que des projets.

Voici le temps des élections à Lyon, on y parle beaucoup de notre ami ; adversaires et autres en font grand bruit, par des motifs très différents. Lanthenas met une sorte de délicatesse à s’y montrer dans cette circonstance pour ne pas donner prétexte à des suppositions de recherches ou de cabales. Notre ami lui a proposé d’aller visiter un prieuré près de Villefranche[223] et quelques domaines nationaux ; les choses en sont là, et je ne vois pas encore que les éléments de votre société soient crochus comme ceux des tourbillons de Descartes, de manière qu’ils peuvent s’agiter longtemps avant de se réunir et de former un monde.

Je n’aime pas que vous vous plongiez dans la mélancolie, c’est une mauvaise disposition pour le voyage de Londres dont le climat vous en inspirera bien assez dans cette saison. Vous trouverez cette grande ville toute enveloppée de brouillards et de fumées ; ce n’est pas le temps des beaux gazons et de la parure de ces jardins charmants où l’on peut se livrer à la douce rêverie ou s’élever aux méditations sublimes. Le Parlement et les spectacles, la politique et les mœurs, voilà les objets sévères que vous pourrez observer et suivre, sans les distractions aimables que l’observation d’une nature nouvelle et touchante vous aurait fournies dans une saison plus heureuse. Emportez donc avec vous un peu del brio francese ; ce n’est pas une exhortation qu’on eût eu à faire autrefois aux hommes de notre nation, toujours bien prémunis contre les influences du spleen ; mais-avant même notre Révolution vous étiez trop différent d’eux pour n’être pas digne des Anglais ; il suffit, pour la gloire, d’être devenu plus libre qu’eux, et il ne faut pas, pour le bonheur, renchérir sur leur mélancolie. Au reste, j’imagine que vous aurez des lettres qui vous mettront à même de voir la société ; ce n’est pas un article à négliger, et il doit vous procurer des plaisirs. Lorsque je suis allée dans ce pays, nous n’avons eu que le temps de visiter le matériel et de considérer les surfaces. J’ai plutôt appliqué alors les idées que j’avais du gouvernement et des hommes, que je n’en ai beaucoup acquis. Avec plus de loisir, vous devez mieux faire que nous, et j’espère que votre voyage, par les communications que vous voudrez bien nous faire, complétera le nôtre. Faites-moi connaître les Anglaises, dont, je n’ai vu que l’extérieur aimable et décent, qui promet un cœur sensible auquel elles ont la réputation de joindre un jugement exquis et un esprit cultivé. Lanthenas parlait l’autre jour d’Anglaises qu’il a vues à Paris, que vous et M. Garran devez connaître et qui pourront peut-être vous procurer des relations agréables[224]. Si vous vous arrêtez à Amiens, que nous avons habité, vous pourriez y voir de nos amis qui le sont aussi devenus de Bosc[225]. On m’avertit qu’il est 11 heures, qu’il faut partir pour mettre cette lettre à la poste, et je la termine par les embrassements de la bonne amitié qui vous est vouée à jamais parmi nous.


Copie d’une lettre écrité de Paris le samedi 30 octobre 1790.

Hier matin, M. de Montesquiou fit au nom du comité d’aliénation et des finances un rapport sur l’emploi des nouveaux assignats à la liquidation de la dette courante. Suivant le projet des comités, 200 millions seront prélevés sur les 800 pour pourvoir aux besoins courants de l’État. Le surplus sera employé à l’acquittement de la dette exigible.

Observations. 400 millions de biens nationaux et du clergé sont mangés ; les 200 qu’on demande le seront à la fin de février au plus tard. Voilà un cinquième de cet avoir de dissipé sans payer une obole. S’il survient le moindre évènement extraordinaire, comme guerre de terre ou de mer, et même si l’Assemblée s’amuse à baguenauder comme elle fait, si le royaume continue à perdre dans son commerce 50 à 60 millions par balance soldés en argent, si l’impôt est refusé, retardé, modifié, comme il y a toute apparence, si enfin les colonies nous échappent et ne nous envoient pas directement leurs denrées, si la misère continue de régner dans les villes par défaut de consommation, et dans les campagnes par défaut de bras et de bestiaux, tout est perdu, la banqueroute la plus affreuse est assurée.

Je vois dans l’assemblée beaucoup d’esprit partiel, et pas un caractère d’ensemble. M. de Montesquiou, depuis qu’il calcule, s’est toujours trompé. M. Necker, au lieu de l’aider, s’est tenu orgueilleusement dans son coin et l’a sans cesse harcelé par de nouvelles demandes. Peu à peu, il a retiré ses fonds, dégagé sa maison de banque, et il n’a tenu qu’à lui d’y joindre la valeur de ses bâtiments. Il a pris le parti le plus sûr : j’en aurais fait autant. Mais, auparavant, j’aurais exposé les dangers futurs par les passés, et je me serais amplement justifié par là. Quoi qu’il en soit, l’imposition commence à paraître et à être distribuée à Paris. Le mumure est général. Le marchand détailleur est quadruplé. Ce n’est pas du bonheur. La récolte annuelle du vin a été estimée à 400 millions, puisque le comité a estimé à la vingt-cinquième partie ce droit, et que de là il devait en revenir au trésor public 16 millions. Cette motion a été ajournée à huitaine.

Calculez et distrayez ces dépenses ; plus, les pensions du clergé, les risques de l’impôt, les dépenses de l’armée de terre et de mer, la position des colonies, la liste civile, les évènements imprévus, la guerre peut-être, la perte, je le répète, de la balance du commerce : concluez et tremblez. Quant à moi qui n’ai que mes sentiments intérieurs et mon expérience, je vous avoue que je n’ai jamais vu le danger plus près, le gouffre plus effrayant, et la nation plus proche de sa ruine totale. J’en ai été agité toute la nuit… Dieu veuille que M. Necker ne finisse pas par avoir raison.


N.B. Un ami, imposé l’anné dernière à 
 42 livres,
l’a été celle-ci à 
 180          

P.S. Que deviendront les boutiques si chères du Palais-Royal ? etc. ; quatre pages d’etcetera.

Cette lettre est destiné pour H. Bancal, un de nos amis, qui, avec un billet de moi, vous ira voir demain soir. Veuillez la lui remettre[226].

Je vous embrasse tous.


Louis Bosc.
8 novembre 1790.

390

[À ROLAND, AU CLOS[227].]
[Vendredi, 19 novembre 1790, — de Villefranche.]

Je n’irai pas te rejoindre aujourd’hui, j’ai encore ici de petites affaires ; puis j’ai eu cette nuit une cruelle indigestion qui m’a coupé bras et jambes ; elle m’a d’autant plus fatiguée que je me suis trouvée dans cette situation où l’on est plus sensible et plus faible.

Je partirai demain à moins que quelques reliquats m’obligent de différer jusqu’au dimanche ; alors je ferais partir la bonne la première et elle retournerait dès demain.

Je t’envoie des lettres qui sont venues par le district, hier jeudi, sept heures du soir. Je ne ferai donc pas de malle ici, je n’y ai que ton manteau à prendre ; mais j’aurais bien voulu en avoir une au Clos pour y mettre tout ce que j’aurai à emporter de là. Le boucher ira demain ou dimanche prendre le veau ; il est de garde aujourd’hui.

J’envoie manne, savon et le reste ; j’embrasse le docteur[228], parce qu’il a bien soin des bonnes gens ; d’ailleurs, il faut bien que je descende avec lui de mon piédestal, puisque me voilà dans mon lit ; il pourrait, à son tour, prendre ses lunettes et m’envoyer la fièvre. Attendez-moi, marauds que vous êtes ; vous n’avez pas longtemps à passer sans le lutin et j’irai vous apprendre à planter sans moi.

J’écris un mot à Bosc pour avoir raison de sa taciturnité.

Adieu, mon ami ; je t’embrasse de tout mon cœur. Vingt-quatre heures de chaleur et de repos et je reprends mon calédis[229].

On dit les nominations suspendues à Lyon[230].

391

[À ROLAND, AU CLOS[231].]
Samedi 30 novembre 1790, — [de Villefranche].

Je ne pars pas aujourd’hui, mais très sûrement je m’en irai demain, et il n’est pas nécessaire que tu viennes. Je retarde encore par prudence, plus que par besoin du moment ; j’envoie la bonne toute mal en train et criant les fesses ; mais c’est un paquet d’expédié, nous n’avons pas le temps d’y regarder de si près.

Je n’ai que de la faiblesse, et de tout ceci il n’y a autre chose à conclure sinon que le cheval, qui m’est fort agréable et salutaire dans un temps choisi, doit m’être interdit dans les huit ou dix jours qui précèdent l’époque des règles, parce que alors il hâte leur retour et les rend trop abondantes, ce qui m’excède et m’épuise. Il s’est joint à cela cette fois-ci un débordement d’humeurs par haut et par bas, qui m’a atterrée pour un moment. Je compte être libre demain, et voilà pourquoi je remets à partir.

Je n’ai reçu qu’un courrier de Lyon ; j’envoie chercher celui de Paris ; j’expédierai tes lettres.

La manne était achetée, les gens l’ont oubliée.

Le docteur trouvera ci-joint quelques effets qui lui appartiennent.

Motus du frère[232] ; peut-être m’attend-il ; Dieu le bénisse et nous aussi.

Je t’embrasse et aussi le docteur.

Ci-joint des lettres qui te feront plaisir ; j’ai une rescription sur la poste à Villefranche.

392

[À BANCAL, À LONDRES[233].]
30 novembre 1790, — du Clos Laplatière.

Nous attendions de vos nouvelles avec impatience ; les premières de Londres nous sont parvenues depuis cinq à six jours, et vous jugez comme elles ont été accueillies. J’ai tardé de vous répondre, non, pour avoir plus de choses à vous dire, l’amitié ne reste jamais court, mais pour en avoir de meilleures à vous apprendre. Je n’étais pas remise de je ne sais quelle crise ou révolution qui m’avait atterrée, lorsque mon ami est tombé malade. Les premiers symptômes me firent craindre de voir renouveler l’affreux état de l’année précédente, mais ce n’était qu’une fièvre d’éruption ; un érésipèle s’est déclaré à la jambe et tous les autres accidents ont disparu. Il est dans les remèdes que nécessite cette circonstance et sera libre, à ce que j’espère, vers la fin de cette semaine. Ses maux m’ont fait oublier les miens, l’inquiétude m’a rendu mon activité ; nous sommes tous mieux : c’est ce que je voulais pouvoir vous mander.

J’aurais beaucoup à ajouter sur ce qui nous est personnel ; j’y viendrai bientôt, car je n’ai pas l’espérance de vous apprendre du nouveau sur les affaires publiques dont j’aimerais à vous entretenir. Vous savez que le ministère est enfin changé : le brave Duport, patriote et plébéien, est passé à la place du garde des sceaux[234] ; Duportail donne des espérances, il est à la guerre[235] ; Fleurieux[236] est éclairé sans être ami de la Révolution, mais il marchera avec les choses dès quelles paraissent les plus fortes. Le duel de Lameth et de Castries[237] a commencé une sorte de révolution qui doit s’achever par un décret contre ce barbare et féodal usage. Il y avait eu partie faite pour engager les patriotes à se couper la gorge ; plusieurs d’entre eux furent insultés par des ferrailleurs dans le même temps qu’un Chovigny[238] provoquait Lameth à se battre ; celui-ci refusa deux jours, mais Castries s’étant prévalu de ce noble refus pour le plaisanter et le pousser à bout, il eut la faiblesse de céder ; il fut blessé. Le peuple irrité dévasta l’hôtel de Castries ; en exécutant cette vengeance, il développa ce mélange de colère et de modération, de violence et de désintéressement qui fait rugir ses ennemis et que ses partisans mêmes n’admirent peut-être pas assez. Les meubles, les glaces, les effets les plus précieux étaient mis en pièces et jetés par les fenêtres, et des hommes couverts de haillons déchiraient à pleines mains des assignats en s’écriant : « Autant de gagné pour la nation ! » On déchirait de superbes tableaux, et un portrait du Roi, fêté et respecté, fut élevé en place apparente, exposé à la vénération de tous. Ces terribles exécuteurs se faisaient fouiller en sortant, pour prouver qu’ils n’emportaient rien ; ils arrêtèrent eux-mêmes quelques voleurs qu’ils trouvèrent saisissant de l’argenterie.

Racontez ces faits à ces braves Bretons, qui étaient dans le temps de Tacite donati all’ubidire, ma non all’esser schiavi, et dont l’âme fière doit se plaire à reconnaître la vigueur et la générosité de leurs voisins trop longtemps ennemis. Les sections de Paris ont député vers Lameth pour lui reprocher sa complaisance et lui remontrer ses devoirs ; des sociétés d’Amis de la Constitution ont fait des adresses à l’Assemblée nationale pour obtenir un décret contre les duels.

La pétition d’Avignon, qui s’offrait à la France, n’a pas été accueillie avec la franchise des vrais principes et la loyauté qui convient à des hommes libres : on n’a fait qu’un tour de passe-passe, on a ajourné la question et chargé le pouvoir exécutif d’envoyer des troupes pour protéger la tranquillité des Avignonnais[239]. Le tribunal de cassation est à peu près organisé ; les objets secondaires vont leur train, mais l’on manque toujours de sévérité dans les finances, et l’on ne donne point à tous les comptes et dépenses cette parfaite publicité qui en facilite la discussion par les premiers intéressés.

Bissot vient de donner une excellente lettre à Barnave dont il révèle toutes les faiblesses, et dont il relève tous les torts dans sa conduite politique et ses divers rapports à l’Assembléé[240]. C’est un bon ouvrage qui doit être utile dans les circonstances et qui ferait estimer et chérir son auteur s’il n’était déjà connu et apprécié par les gens de bien.

Je reviens a nous. Notre mère a terminé sa carrière dans sa 92e année[241]. Cette époque pouvait devenir celle d’une réunion absolue de ceux de ses enfants qui lui survivent ; le sentiment et les convenances le demandaient également. Notre ami, oubliant tout ce qu’un aîné avait pu lui faire éprouver dans nos usages et nos préjugés despotiques, ne lui a manifesté que des dispositions fraternelles ; je me suis chargée de leur expression et, tout en jugeant ce que tant d’opposition de principes, de goûts et d’humeur apporterait de difficultés dans la vie commune, je ne me suis attachée qu’à ce qui pouvait la rendre douce, et j’ai senti du plaisir à me dévouer pour ma part au charme de cette réunion. Il ne m’est pas arrivé comme à Salomon qui, ne demandant que la sagesse, eut encore mille biens avec elle ; mais l’intention nous a été sans doute imputée à mérite, et, décidée au sacrifice, j’ai été dispensée de l’épreuve. Quoique ce soit un malheur de ne pas trouver dans les siens une juste correspondance, ce peut être un bien sous quelques rapports, et il vaut mieux ne pas vivre toujours rapprochés quand il n’existe point de conformités morales entre les êtres.

Durant ces petites scènes domestiques, les affaires de Lyon prenaient une nouvelle tournure ; cinq des anciens municipaux, demeurés par la voie du sort, ayant donné leur démission, les premiers notables passent à leur place : notre ami est du nombre[242]. Cependant mille difficultés, inventées à plaisir pour diminuer le nombre des votants ou naissantes des passions diverses, retardent beaucoup les élections ; nous avons arrêté d’attendre qu’elles fussent achevées pour nous rendre à Lyon où notre ami ira remplir ses fonctions, disposé comme tout bon citoyen, qui doit pouvoir dire aujourd’hui avec César, mais pour une meilleure cause :


Quoi qu’il puisse arriver, mon cœur n’a rien à craindre ;
Je vaincrai sans orgueil, ou mourrai sans me plaindre.


Arrêtés à cette idée, nous avons cependant éprouvé quelque indécision en apprenant que le rapport sur les manufactures était prêt ; que la suppression des inspecteurs entre dans le projet, qui conserve seulement les chambres de commerce, et forme en outre un collège de commerce, partie instructif, partie administratif, qui correspondra avec les chambres de commerce. On ne parle point de retraites aux supprimés. Peut-être y aurait-il quelque raison à faire le voyage de Paris dès que le rapport paraîtra, si tant est que l’Assemblée le mette à la discussion, et d’y faire les observations utiles à la chose commune, avec les réflexions qu’inspire la justice particulière pour de vieux serviteurs dans cette partie. D’un autre côté, la sagesse semble demander qu’aussitôt la décision de l’événement, nous nous confinions bonnement dans notre ermitage, qui doit alors devenir notre grande affaire et notre unique séjour. Préparés pour tous les cas imaginables, nous n’aurons jamais d’efforts à faire pour prendre notre parti ; il n’est question que de combiner les possibles avec ce que la chose publique peut réclamer.

Nous venons d’apprendre, dans le moment, le choix des municipaux élus dernièrement ; ce sont tous patriotes connus. Il est évident que le peuple a toute l’influence et qu’il en use admirablement ; on parle de Vitet pour maire, de l’ami pour procureur de la commune ; si cela arrive, il y aura trop de bien à faire et trop beau jeu à l’entreprendre pour ne pas soumettre à l’avantage de l’opérer toute autre considération[243]. Alors nous habiterons encore Lyon pour deux ans et nous ne l’abandonnerons qu’après son entière régénération. Tel est l’état de nos alentours ; c’est assez vous en entretenir, mais ces détails étaient bien dus au patriotisme et à l’amitié.

Vous avez fait un charmant voyage avec votre aimable compagnie et vous commencez sans doute à connaître quelques sociétés ; j’imagine que vous n’échapperez pas le lord Stanhope[244] non plus que tous les Amis de la Révolution. Je lisais hier le bon Granville Sharp[245], qui fait des phrases si longues et si chrétiennes ; c’est un écrivain vénérable qui me semble dire en mauvais style les meilleures choses du monde et qui, à la différence du commun des auteurs, doit valoir encore mieux que ses livres. M. Lanthenas prétend qu’il y a à Londres plus de gens religieux que partout ailleurs en Europe ; moi, je crois qu’il y a plus que toute autre part des esprits indépendants qui rejettent toute croyance, et je pense que nous avons raison tous deux ; c’est à vous de résoudre ce problème.

Notre ancien voisin, M. Deu, avec qui nous avons fait autrefois tant de courses botaniques, n’a pas dû vous paraître au niveau de la Révolution ; gentilhomme et financier, père de famille comptant sur sa place pour sa fortune, il n’a pu, avec une bonne judiciaire, échapper absolument à l’influence des préjugés et de l’intérêt[246].

Vous voilà établi dans un quartier duquel nous n’étions pas fort loin, car nous habitions Creven street in the Strand ; le parc et tout ce qui y fait suite vous offriraient de charmantes promenades dans une autre saison.

Adieu ; j’imagine bien que c’est par surabondance et non par opinion de sa nécessité que vous nous avec fait l’exhortation qui termine votre dernière. Nous vous écrivons avec plaisir et nous n’avons nulle peine à vous aimer : mais cela ne serait-il pas bon à rétorquer, à vous, voyageur au milieu d’un monde nouveau et enchanté ?




le rossignol et la fauvette[247].

Privée dès son jeune âge, une fauvette vivait en paix sans rien regretter. Bon maître, agréable volière suffisaient à ses besoins ou servaient à contenir ses vœux.

Un brillant rossignolet, volant, chantant, çà et là, conduit par le hasard, vint un jour près de sa cage. Beaux yeux, bec mignon, gentil corsage, mais surtout jolie voix et accents des plus tendres attirent, charment tout à tour la prisonnière et le passant. — Quand on sent qu’on se ressemble, on ne tarde pas de s’aimer : c’est ce que firent nos oiseaux. Quelle sera leur destinée ? — La fauvette, constante en sa captivité, d’une aile caressante et de son doux ramage doit récompenser les soins du maître qui la chérit ; tandis qu’appelé par la gloire, le rossignol ira dans les bois célébrer le printemps, la liberté, l’amour. — « Vole, poursuis ta carrière, dit la fauvette attendrie ; sois l’honneur de nos forêts, enseigne leurs hôtes sauvages ; en chantant le bonheur, tu le feras goûter ; sensible à tes succès, je jouirai de tes triomphes. »

Grandes promesses, charmant parlage signalèrent leurs adieux ; le rossignol part à tire d’aile. Bientôt pays nouveau, bocages délicieux, oiseaux d’étranges plumages attirent et fixent ses regards : on est curieux chez les moineaux, tout comme parmi les humains : on veut voir, et le temps passe, et l’appétit vient en mangeant.


Adieu, fauvette, dans sa cage
La pauvrette a beau compter les moments,
Ils vont vite pour qui voyage !


Afflictis lentæ, celeres gaudentibus horæ

C’est la morale de la fable.

On trouve encore dans les mêmes auteur le Passage du Rossignol, touchante et mélancolique élégie qui retrace l’analogie de la manière de sentir avec l’habitude de la manière d’être, l’affaiblissement ou la variété inévitable des sentiments dans une vie tumultueuse et agitée, la profondeur et souvent l’infortune des affections nourries dans la retraite et le silence.




Nos précédentes[248], mon cher ami, qui vous ont manqué à Paris, vous seront sans doute exactement parvenues à Londres. L’une d’elle vous a porté ma lettre pour M. Baumgartner[249], dont vous aurez probablement été content. Nos amis vous ont raconté tout ce qu’il y a de plus intéressant dans les affaires publiques et même les leurs particulières, depuis que vous avez quitté Paris. L’objet seul de l’inégalité des partages a été oublié. M. Merlin[250], député des pays de droit écrit et membre du comité de féodalité, s’empressait de faire un rapport au nom de ce comité auquel notre adresse avait été renvoyée. Il ne considérait que les pays de coutume. MM. Mirabeau et Chapelain[251] ont demandé que ce rapport fût renvoyé au comité de constitution pour y joindre celui qu’il est nécessaire de faire a l’Assemblée nationale des effets des testaments et autres actes qui donnent lieu dans les pays de droit écrit à une inégalité entre les enfants, laquelle a partout et constamment lieu. J’en augure qu’on est bien plus disposé que vous ne nous l’écriviez à suivre toute la rigueur des principes dans le décret qui surviendra. J’ai envoyé à Pétion quelques matériaux pour son discours. Je n’ai eu aucune nouvelle de notre Société : sans doute vous l’avez trouvée dissoute : mais pourquoi ne m’en avez-vous rien écrit ?

On vous parle de lord Stanhope et de sa Société ; c’est certainement, pour un Français, les hommes les plus intéressants à cultiver. Mais une liaison que l’ami Brissot n’aura pas manqué de vous mettre à même de faire, c’est celle de M. Williams[252] qui enseigne publiquement le divorce. Il faudrait faire quelque grande confédération pour travailler, dans quelques années, en même temps en Angleterre et en France, à nous débarrasser absolument des prêtres. Sans cette révolution, la société ne fera point les progrès qui lui sont, avec elle, maintenant faciles. Brissot me presse de retourner à Paris cet hiver, pour défendre les noirs. Je ne tarderai pas à passer au Puy, et je verrai après de régler ma marche. L’indisposition de nos amis et l’indécision des affaires de Lyon m’ont engagé à retarder mon départ.

Je vous embrasse, mon cher, du meilleur cœur.


393

[À BOSC, À PARIS[253].]
8 (octobre) décembre 1790, — [du Clos].

Nous avons reçu la pacotille anglaise[254] pour notre docteur, plus docteur que jamais dans ce pays dont il guérit tous les malades, prêchant et appliquant les mains, à la manière du Christ, mais s’embarrassant moins que lui de faire payer le tribut à César.

Effectivement, nos représentants prennent assez le soin d’assurer ou d’augmenter l’impôt, beaucoup plus que de nous éclairer sur l’emploi des fonds. Aussi, toute Parisienne que je sois, je dirai que vous n’êtes que des Myrmidons tant que vous ne vous ferez pas mieux instruire de la partie des finances et de leur sage administration. Voyez les ménagères, connaissant le faible et le fort des maisons comme des empires, et, dès qu’on ne veille pas à la marmite, toute la philosophie du monde ne saurait empêcher une déconfiture.

Ci-joint des dépêches auxquelles vous voudrez bien faire suivre leur destination. J’imagine que vous avez reçu la nôtre pour Londres, dont on n’entend pas parler souvent.

Notre ami est encore pris par la jambe, mais je pense que sous huit jours nous irons à Lyon, où les officiers municipaux sont très bien choisis. Je n’entends plus parler de la suite des élections pour le maire, etc., etc. ; nous irons voir ce que cela signifie. Quant à ma santé, je n’en parle que lorsqu’elle est a quia ; autrement, c’est l’affaire de mon courage, et je n’en dis mot.

Adieu, soyez toujours notre bon ami.


394

[À BOSC, À PARIS[255].]
20 décembre 1790, — [du Clos].

Je vous fais passer une pacotille pour M. Deu à qui je vous prie de l’expédier.

Vous savez que notre ami est à Lyon à remplir ses fonctions, tandis que Lanthenas y apostolise ; vous savez à quelle boucherie les bons citoyens ont échappé[256].

Il y avait eu des machinations combinées jusque dans les moindres détails ; car nous avons été huit jours sans rien recevoir de Lyon, pas même les papiers périodiques qui doivent nous en parvenir, et, si la conspiration avait réussi, on aurait pu venir chercher ici l’un des proscrits avant que nous eussions soupçonné l’infernale intrigue.

Les dénonciations et les découvertes se multiplient chaque jour ; Perpignan et Aix ont eu du sang répandu.

Tandis que notre ami attendait ici le moment où la nouvelle municipalté entrerait en exercice, afin de ne commencer qu’avec elle, on conjecturait sur son absence et déjà quelques-uns le mettaient avec les complices.

Ma santé ne [m’a] pas encore permis de le suivre ; j’avais d’ailleurs travaux à finir et affaires à ordonner, car probablement je quitte cette paisible retraite pour quelque temps, sauf les petits voyages que j’y pourrai faire lorsque l’exercice du cheval ne me sera pas interdit. Je vais, ces fêtes, embrasser ma pauvre Eudora et me rendre enfin à Lyon.

Peut-être y aurez-vous écrit ; car il me semble que nous n’avons pas eu de vos nouvelles depuis longtemps, quoique vous nous en eussiez annoncé du voyageur.


395

[À BOSC, À PARIS[257].]
20 décembre 1790, — [du Clos].

Faites donc décréter le mode de responsabilité des ministres ; faites donc brider votre pouvoir exécutif ; faites donc organiser les gardes nationales. Cent mille Autrichiens s’assemblent sur vos frontières ; les Belges sont vaincus ; notre argent s’en va, sans qu’on regarde comment ; on paye les princes et les fugitifs qui font, avec nos deniers, fabriquer des armes pour nous subjuguer… Tudieu ! tout Parisiens que vous êtes, vous n’y voyez pas plus loin que votre nez, ou vous manquez de vigueur pour faire marcher votre Assemblée ! Ce ne sont pas nos représentants qui ont fait la Révolution : à part une quinzaine, le reste est au-dessous d’elle ; c’est l’opinion publique, c’est le peuple qui va toujours bien quand cette opinion le dirige avec justesse ; c’est à Paris qu’est le siège de cette opinion : achevez donc votre ouvrage ou attendez-vous de l’arroser de votre sang.

Adieu, citoyenne et amie, à la vie et à la mort.


396

À. M. H. BANCAL, À LONDRES[258].
30 décembre 1790, — de Lyon.

En arrivant ici avant-hier, j’ai trouvé votre lettre du 14 qui venait d’y parvenir, et j’ai regardé comme une bonne fortune la réunion de vos nouvelles au plaisir de rejoindre nos amis qui m’avaient quittée depuis quinze jours. Affaires et santé s’étaient opposées à ce que je les suivisse, et j’avais subi mon sort sans murmure, parce qu’ils n’avaient plus à courir de dangers, quoiqu’il y eût encore beaucoup à faire pour assurer la tranquillité.

Il me paraît que, jusqu’à présent, nous avons aussi mal calculé les uns que les autres l’effet de la distance et la durée des intervalles de notre communication, Vous étiez solitaire et triste, tandis que nous étions retirés et inquiets ; vous nous paraissiez bien silencieux et, quant à moi, j’avoue franchement que j’en ai attribué la cause aux distractions du voyage ; mais, par cela même, je me serais bien gardée de vous en faire un reproche. Mon amitié ne sut jamais descendre à la plainte ; elle ne craint pas de confesser ma propre injustice ; je ne connais que cette manière d’en réparer le tort. Je vois que le voyage de nos lettres emporte environ douze jours ; ajoutez à cela le retard involontaire que les circonstances peuvent apporter à la réponse ; un mois est presque écoulé avant que l’on puisse toucher l’intérêt de sa mise. Jugez maintenant combien, dans un mois, à la campagne, on doit penser de choses, malgré toutes celles que l’on fait, et voyez si vos inquiétudes peuvent être comparées à nos conjectures sur le compte d’un voyageur jeté dans un monde où la nouveauté, l’importance où l’intérêt et toujours la variété des objets sollicitent son attention, occupent son esprit et appellent son cœur.

Enfin vous atteignez votre but : vous observez un peuple intéressant, vous augmentez vos connaissances, et vous n’oubliez pas vos amis ; je vous passe de devenir savant à cette condition. Vous nous mandez des choses infiniment intéressantes sur le gouvernement anglais ; j’imagine que Brissot en fera quelque usage[259], sans quoi je chercherais à le faire publier dans quelques feuilles. Il nous est utile d’exciter les bons esprits à faire des comparaisons de la constitution d’Angleterre avec celle que nous devons avoir, à reconnaître les inconvénients que nous devons éviter, et les avantages dont nous pouvons nous prévaloir. Les partisans de l’ancien régime décriaient, sous son règne, le gouvernement anglais ; ils le préconisent aujourd’hui, et ce tardif éloge en est la plus franche satire pour les amis de la liberté. Nous aspirons avec raison à être mieux que nos voisins, que nous eussions été, ci-devant, trop heureux d’imiter. Je conçois de quel œil un citoyen français peut les considérer maintenant : nous sommes à ce moment de ferveur, d’enthousiasme et d’exaltation qui produit les grands mouvements, fait éclore les plus belles vérités, inspire les plus nobles sentiments et excite ces actions généreuses faites pour servir d’exemple à la postérité. Les Anglais, déjà loin de cette crise heureuse, sont tombés dans l’apathie d’une sécurité trompeuse, et les intérêts du commerce, les préjugés du luxe ont hâté les progrès de cette incurie où tombe un peuple tranquille qu’endorment à plaisir les intrigues du ministère et la perfidie des ambitieux. Assurément, tant que les Anglais ne réclameront pas contre les vices de leur représentation et la tyrannie de l’acte du Test, ils s’affaisseront toujours davantage sous les chaînes que multiplient la prérogative royale et les prétentions des grands.

Vous devriez bien nous envoyer un extrait abrégé, mais une vraie quintessence, des réfutations de l’ouvrage de Burke, ainsi que la notice des divers auteurs qui l’ont combattu[260]. Ce serait très précieux dans ce moment où nous sommes inondés de critiques de notre Révolution. Calonne[261], avec ses raisonnements spécieux, sa mauvaise foi, son faux clinquant ; Burke, avec ses sophismes et sa politique des cours ; Mounier, dans une nouvelle diatribe[262] dont nous n’avons encore que l’énoncé, parce qu’elle ne fait que de paraître dans la capitale ; Tollendal[263], par un petit pamphlet où il a répandu de la chaleur et de l’énergie, tous ces gens et leurs écrits font un grand tort à la bonne cause. Ils flattent les passions des mécontents, ils séduisent les hommes légers, ils ébranlent les esprits faibles. Ôtez tous ces êtres de la société, comptez la classe ignorante qu’ils influencent à leur manière, et voyez le peu qui reste de bons esprits, de personnes éclairées pour résister au torrent et prêcher la vérité ! il est évident qu’on avait ménagé l’apparition de ces ouvrages pour le moment où devaient éclater de toutes parts les conjurations tendant an renversement de la Révolution. Les conspirateurs sont déjoués, il est vrai ; mais le poison de leurs maximes circule dans l’État, et les fautes de nos législateurs en facilitent les progrès. Je ne parle pas de l’arbitraire des impositions, qui révolte généralement, et d’une foule de détails répréhensibles ; mais la partie de la finance, ce principe moteur de la grande machine, est toujours traitée ou négligée avec une ignorance et une lâcheté intolérables ; l’aveuglement ou la partialité se décèlent à chaque pas ; d’un côté, l’on entasse les impôts avec une insouciance qui ne paraissait propre qu’au despotisme ; de l’autre, on prodigue les millions comme s’ils ne coûtaient rien au peuple qui les fournit. On vient encore d’en assigner aux princes, comme si nous étions obligés de les entretenir dans le faste asiatique. Ajoutez que l’Assemblée conserve sa sotte manie de travailler en marqueterie, qu’elle saute perpétuellement d’un objet à l’autre, et quelle laisse en arrière, sans qu’on sache pourquoi, des choses de la première importance, telles, par exemple, que l’organisation de la garde nationale, etc., tandis qu’elle s’amuse à changer le nom de la maréchaussée en conservant ce corps dont on aurait pu se passer. Tout va bien, dit-on, c’est-à-dire que le peuple animé sent le besoin de conserver la nouvelle Constitution : mais le fait est que cette Constitution n’est point achevée, que l’Assemblée se gâte et mollit de jour en jour, et que nous serons perdus si l’opinion publique ne la force pas de se hâter et de céder la place à une nouvelle législature.

Vous avez appris nos troubles ; la fermentation est plutôt suspendue qu’éteinte, mais nous avons autant à espérer de l’impéritie et de la division de nos ennemis que de notre courage et de notre intelligence : les princes ne sont que des étourdis et les mécontents des furieux, sans quoi l’étendard de la guerre civile serait levé par tout le royaume. Je dois à votre province de dire que, si elle a été l’un des foyers de conspiration, elle a aussi fait preuve de dévouement pour notre salut ; un député de votre Société de Clermont[264] est venu porter à la nôtre le témoignage du zèle fraternel avec lequel huit cents gardes nationales étaient prêtes à partir pour voler sous nos murs ; ainsi l’alliance particulière du Puy-de-Dôme avec nous a été bien confirmée de la manière la plus touchante.

Nos prisonniers conspirateurs[265] sont encore à Pierre-Seize, malgré le décret de leur translation que le pouvoir exécutif ne se presse pas d’exécuter ; cette lenteur a quelque chose de suspect, et notre ami doit opiner à cette heure pour qu’il en soit écrit à l’Assemblée nationale[266]. Les affaires particulières de cette ville surchargent ses officiers ; notre ami est à la tête du comité des finances et aux trousses d’un impertinent trésorier[267] qui demande six mois pour rendre ses comptes. Il n’a pas un moment à lui, je ne le vois qu’aux heures des repas, et j’aperçois, non sans quelque regret, que tout le bien qu’il pourrait faire est quelquefois entravé par une foule de détails qui absorbent le temps et les facultés. Le brave Vitet est maire[268] ; on a cru devoir porter à la place de procureur de la commune le substitut[269], qui en faisait les fonctions depuis quelque temps et pour qui c’eût été une sorte d’injure que de ne pas l’y élever ; mais ces petites considérations tiennent à l’ancien esprit ou à la faiblesse, et elle ne font faire que des sottises. On a un homme honnête et patriote, je crois, mais causeur, peu actif et sans caractère. Du reste, la machine est bien organisée : il y a parfaite unité d’intention, sinon égales lumières dans tous.

Lanthenas commence d’être jalousé à la Société des Amis de la Constitution ; il est trop fort pour ceux qui la composent, marchands pour la plupart, peu éclairés ou embarrassés du vieil homme. Aussi trouve-t-il beaucoup plus de facilité à faire germer les bonnes idées dans les Sociétés des sections ; là tout est peuple, et le sentiment de l’égalité y développe une singulière aptitude à saisir les vrais principes ; mais il y a terriblement à faire pour les y faire tous connaître et apprendre à les appliquer. Les journées se passent à rédiger ou imaginer des motions, adresses, pétitions, pamphlet, lettres, instructions ; commenter les nouvelles, recueillir les avis, veiller, agir ou penser. Si cette activité, dirigée pour le bien public et consacrée à la patrie, élève et remplit l’âme, il faut avouer pourtant qu’elle n’a pas toutes les douceurs de cette vie rurale et paisible où l’on recueille à chaque instant le fruit de ses travaux et les bénédictions du bien qu’on fait ou qu’on a tenté ; mais c’est par l’une sans doute qu’il faut mériter de jouir de l’autre ; faisons donc partout le bien propre à chaque lieu, afin de n’encourir jamais la peine d’être réduit à l’inutilité.

Nous avons fait ici connaissance avec M. Servan[270], que vous aurez vu à Paris : c’est un digne homme et un bon citoyen qui a d’excellentes idées ; il va partir pour Marseille où il commande je ne sais quel fort.

Nous avons aussi été, en 84, chez ces MM. Shalmers de Creven Street ; ils sont, je crois, bien bons quant à l’objet pour lequel vous leur avez été adressé ; mais il m’a semblé, dans le temps, que ce n’étaient que de vrais marchands. Vous aurez reçu la lettre de Lanthenas pour M. Baumgartner. Adieu.

Nous apprenons que les courriers des fugitifs sont plus frésuents et plus alertes que jamais dans la Bresse et la Bourgogne ; on répand qu’il y a eu des mouvements à Besançon. Notre ami, faisant aujourd’hui l’inventaire des papiers d’un de nos conspirateurs, a trouve une liste qu’on avait déjà annoncée, et qui semble être celle de leurs affidés dans les différentes classes. On y voit qu’il y a bien des loups sous la peau de brebis, et que tel qui joue le patriotisme travaillait à la contre-révolution. Tous ces gens-là font sotte figure malgré leur masque ; j’espère qu’ils n’auront jamais beau jeu ; ainsi soyez tranquille. Vous en serez quitte pour que nous vous disions un jour, comme Henri IV à Grillon : « Pends-toi, brave citoyen : nous avons remporté la victoire et tu n’y étais pas » ; mais il vous restera toujours bien à faire pour le salut de la patrie.

Vous[271] aurez reçu, mon cher ami, la lettre que je vous ai écrite il y a dix jours environ, où je vous donnais quelques détails sur la découverte de la contre-révolution. Les Allemands sont partis d’ici. Les soldats, étaient furieux contre leurs officiers. Ils juraient, dit-on, de s’en venger. La Chapelle[272] a aussi son congé avec injonction de se retirer ou il voudrait, ce qui équivaut, il semble, à une disgrâce. Il est arrivé un autre commandant qui le remplace, officier de fortune, mais royaliste en diable, ce qui fait qu’on l’observera. — Let you say to us something about your progresses in the english tongue ; farewell.

  1. Ms. 9533, fol. 153, copie. — Ce n’est évidemment qu’un fragment. Nous ignorons où M. Faugère, dont les papiers ont constitué les ms. 9532-9534, se l’était procuré ; car nous voyons, par ces mêmes papiers (ms. 9533, fol. 146-150), que ses négociations de 1865-1865 pour obtenir des descendants de Gosse la communication des lettres de Madame Roland avaient totalement échoué.
  2. Fragment cité par Sainte-Beuve, Introduction, etc., p. xxv.
  3. Lettre publiée par M. de Montrol dans son édition des Mémoires de Brissot (1830-1832, t. II, p. 420-421). Sainte-Beuve en a cité quelque chose dans son Introduction aux Lettres à Bancal, p. xxvi, et a donné la date précise, 11 février. — Les lignes en italique et entre crochets, qui relient les deux fragments de la lettre, sont de M. de Montrol.
  4. Voir sur Bergrasse et ses deux frères, Dominique et Alexandre, négociants à Lyon, quai du pont Saint-Clair, un note de la lettre du 20 octobre 1789. Brissot avait été fort lié avec lui en 1787, ainsi qu’il le raconte dans ses Mémoires (II, p. 415-422).
  5. Louis XVI était allé, le 4 février 1790, à l’Assemblée nationale, et, dans un discours composé par Necker, avait solennellement adhéré à la Constitution.
  6. Voir sur Blot, ami d’enfance de Brissot, alors contrôleur général de la marque d’or et d’argent à Lyon, secrétaire général de la Société philanthropique, et un des initiateurs de la Révolution à Lyon, notre Appendice P. Il marchait alors avec Roland. Mais ils ne tardèrent pas à se brouiller. (Voir lettres de juillet et août 1790).
  7. Examen du voyage du marquis de Chastellux dans l’Amérique septentrionale, 1 vol. in-8o, 1786 (par Brissot).
  8. Lettre provenant des papiers de Barrière, qui la tenait de Bosc ; citée par fragments par Mlle  Cl. Bader dans le Correspondant du 25 juin 1892. — L’autographe (2 pages et demie in-8o) a figuré sous le n° 37597 du Bulletin à prix marqués de la maison Ét. Charavay.
  9. La Société d’agriculture de la généralité de Paris, fondée en 1761, était devenue, par un règlement du 30 mai 1788, la Société royale d’agriculture, « centre commun et lieu de correspondance des différentes sociétés d’agriculture du royaume ». (Alm. royal de 1789, p. 530).
  10. Les élections comunnales de Lyon, faites en vertu de la loi du 14 décembre 1789, commencèrent le 22 février 1790 et se prolongèrent plusieurs semaines ; la municipalité ne fut installée que le 12 avril. Roland ne fut élu que parmi les notables (Wahl, p. 539). Il espérait mieux sans doute, et le Patriote français (25 février 1790, voir Appendice P) l’avait désigné pour une « place distinguée ».
  11. Cette étrangère n’était autre que Théroigne de Méricourt (ou plus exactement Terwagne de Marcourt), chez qui se tenait, à l’hôtel de Grenoble, rue du Bouloi, le club de Amis de la Loi, qu’elle avait fondé avec Romme, et dont elle était « archiviste ». Le club s’ouvrit en janvier 1790, Bosc y était assidu. (Variétés révolutionnaires, 3e série, par M. Marcellin Pellet, p. 86-89.) Ce premier club des Amis de la Loi ne tarda pas à se dissoudre (ibid), et par conséquent semble distinct de la Société des Amis de la Loi, établie aux Thétins en 1791, dont parle M. Tourneux, II, p. 10084 et suiv.
  12. Début d’une lettre à Lanthenas, cité par Saint-Beuve, Introduction aux Lettres à Bancal, p. xxxii
  13. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  14. Il s’agit d’un Essai sur la culture du noyer et la fabrication de l’huile de noix, que Roland avait envoyé à Bosc pour être inséré dans le Journal de physique. (Voir coll. Morrison, lettre de Roland à Bosc du 25 janvier 1790, et autre lettre sans date où il ajoute : « J’ai été beaucoup employé ces jours passés par la Société philanthropique : assemblées, comités, rédaction d’adresses au Roi, à la Reine, aux concitoyens, etc. », sans doute à la suite de la séance de l’Assemblée du 4 février, où Louis XVI avait adhéré à la Constitution.)
  15. Warville, c’est-à-dire Brissot. — On venait de publier sous le nom des « volontaires de Lyon », c’est-à-dire de la jeunesse aristocratique qui formait un corps spécial de la garde nationale, une lettre de violentes et basses injures contre Brissot, et celui-ci y avait répondu avec beaucoup de dignité dans le Patriote français du 15 mars.
  16. Ms. 6245, fol. 4-5. C‘est un post-scriptum ajouté par Mme  Roland à une lettre de son mari à Bosc, relative à l’impression du tome III du Dictionnaire des manufactures ; mais on n’y trouve rien à quoi on puisse rattacher ce post-scriptum, qui répond évidemment à une lettre de Bosc invitant ses amis au voyage de Paris.
  17. Ms. 9533, fol. 243-244, autographe, qui a souvent passé dans les ventes.
  18. Des collèges électoraux qui devaient, à raison de 1 électeur par 100 citoyens actifs, nommer les autorités départementales, à savoir : le conseil général et le procureur général syndic. Dans le département de Rhône-et-Loire, les assemblées primaires de canton, chargées de désigner les électeurs, se réunirent le 20 mai. L’assemblée des électeurs se tint à Lyon du 7 au 15 juin (Wahl, 168-169).
  19. Jean-Philibert de La Chapelle, chanoine et baron de Saint-Just, demeure rue du Plat, avait été un des représentants du clergé à l’Assemblée provinciale instituée en 1787 et membre de la Commission intermédiaire. En cette qualité, puis comme électeur de Lyon en 1789, il avait adhéré aux débuts de la Révolution. Mais, dès 1790, il s’était prononcé pour la résistance. — Voir Alm. de Lyon de 1789, p. 20, 305, 312, et Wahl, p. 32, 101, 318.
  20. L’abbé de Vitry, membre de nombreuses sociétés savantes, secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture de Lyon, dont Roland faisait partie. — Voir lettre du 5 décembre 1786.
  21. En septembre-octobre 1789.
  22. Bosc, IV, 134 ; Dauban, II, 578 ; — ms. 6239, fol. 289-290.
  23. Roland écrivait de Lyon à Bosc, le 31 mars 1790 (coll. Morrison) : « Nous partons décidément samedi prochain [3 avril] pour Villefranche, où nous resterons jusqu’au lundi lendemain de la Quasimodo [13 avril], jour où j’ai rendez-vous à la campagne, pour n’en pas démarrer, j’espère, de trois mois au moins, puis, si ce n’est pour quelques jours, de tout l’été et plus grande partie de l’automne. »

    On voit par là et par un détail de cette lettre du 17 mai que le premier séjour de Madame Roland au Clos, en 1790, alla du 12 avril au 28 mai.

  24. Décret du 3-9 mai 1790 sur le mode et le taux du rachat des droits féodaux rachetables.
  25. Le camp formé sous Lyon, aux Brotteaux, pour y célébrer, le 30 mai 1790, la fête de la Fédération. — Voir dans Champagneux, Disc. prélimin., p. xxiii-xxv, le récit ému de cette fête patriotique, à laquelle se rendirent 60,000 hommes des gardes nationales de la région, et dont Madame Roland publia la relation dans le Courrier de Lyon du 1er juin. Camille Desmoulins la reproduisit (Révolution de France et de Brabant, n° 30).
  26. Ms. 6239, fol. 291. — La lettre est sans date au ms., mais elle y est placée après celle du 17 mai 1790.
  27. Sic. — Daubenton avait alors 76 ans.
  28. Ms. 6239, fol. 292 ; sans date, mais antérieure à la Fédération lyonnaise, qui eut lieu le 30 mai, et écrite du Clos, que les Roland ne quittèrent que le 28, pour se rendre à cette fête.
  29. Bosc attendait (voir lettre du 17 mai) une caisse de Turin contenant des plantes et des insectes.
  30. Ce qui suit est de Roland. Il s’agit évidemment du Discours préliminaire qu’on trouve en tête du tome III du Dictionnaire des manufacturesn que Roland préparait alors. Il avait dû envoyer son manuscrit à Bosc, pour lui demander ses observations.
  31. Collection Alfred Morrison. — Dans un coin, à gauche, il y a : « D’At » [d’Antic].
  32. Le décret du 22-27 mai 1790, établissant que la guerre ne pourrait être décidée que par l’Assemblée, sur la proposition du Roi.
  33. On discutait alors, à l’Assemblée, la constitution civile du clergé, qui ne fut votée que le 12 juillet 1790.
  34. L. aut., 8 pages in-4o, n° 166 de la vente du 13 juillet 1878, Ét. Charavay, expert, — (nous empruntons l’analyse à ce catalogue) ; — vendue de nouveau, n° 135, le 2 décembre 1889, Ét. Charavay. Il ressort de la lettre suivante que celle-ci est adressée à Lanthenas.
  35. Ici apparaît pour première fois un des plus fidèles amis des Roland, Luc-Antoine Donin de Rosières de Champagneux, né à Bourgoin le 24 juin 1744, mort à Jallieu (près Bourgoin) le 7 août 1807. Sa vie a été mêlée si intimement à la leur, que nous avons cru nécessaire de lui consacrer une notice (Appendice N). Disons seulement ici que Champagneux, avocat à Lyon, lié avec les Roland dès 1785, avait fondé le 1er septembre 1789, pour soutenir la Révolution, le Courrier de Lyon, et allait entrer, en 1791, dans la Commune de Lyon, dont il fut un des membres les plus laborieux et les plus énergiques, jusqu’au jour où Roland, devenu ministre, l’appela comme chef de division au Ministère de l’intérieur.
  36. Ms. 9533, fol. 246-248, autogr. — Dans un coin de la lettre, au haut, à gauche, il y a : « M. Lth. ».
  37. Probablement l’« Avis de l’un des membres du Conseil général de la Commune de Lyon, donné en la séance du 19 juin 1790 (au sujet des finances et des dettes de la ville de Lyon : payer ou faire banqueroute : voilà tout ce qu’on nour présente en ce moment. Or payer vous est impossible et faire banqueroute serait infâme. Ms. autographe de Roland non signé, in-4o, 4 pages ». (Catalogue du fonds Coste, de la Bibl. de Lyon n° 7878.)
  38. Blot venait de partir pour aller, ainsi que nous l’avons dit, demander au Gouvernement, de la part de la ville de Lyon, de nationaliser la dette municipale, qui était de plus de 30 millions.
  39. Voir là-dessus Wahl, 154.
  40. L’Ami du peuple, de Marat, paraissait depuis le 16 septembre 1789.
  41. Lettres à Bancal, p. 3. — ms. 9534, fol. 8-9. — Bancal des Issarts (voir sur lui Appendice Q) était à ce moment-là à Clermont-Ferrand, ou il venait d’échouer comme candidat au poste de procureur général-syndic du département (16 juin).
  42. On verra plus loin qu’il s’agissait d’acheter en commun un domaine sur les biens du clergé dont le décret du 20 mars 1790 avait ordonné la vente, par l’intermédiaire des départements et des communes, jusqu’à concurrence de 400 millions. Le décret décidant l’aliénation totale ne fut rendu que trois jours après cette lettre (25 juin). Lanthenas cherchait l’emploi de sa légitime ; les Roland avaient à placer une somme assez importante, qui devait provenir du produit du Dictionnaire des manufactures ; Bancal qui était aisé, avait peut-être aussi à employer le prix de sa charge, vendue en 1788.
  43. Bancal, qui projetait dès lors d’aller voir les Roland pour l’association dont nous venons de parler, était retenu à Clermont par les élections pour l’administration départementale.
  44. Les élections pour le Conseil général du département de Rhône-et-Loire avaient eu lieu du 7 au 15 juin. Parmi les élus, figuraient quelques amis de Roland, dont le vieil avocat Pezant, de Villefranche ; mais « mes électeurs avaient tenu compte des aptitudes administratives et de la notoriété locale ; il est difficile de reconnaître à l’élection, considérée dans son ensemble, une couleur politique déterminée… » (Wahl, 169)
  45. Les élections pour le district se firent du 22 au 28 ; elle furent plus favorables, dans l’ensemble, au parti de Roland ; Frossard, Blot, le médecin Vitet furent parmi les élus. (ibid).
  46. Les Intendants avaient été supprimés par la loi du 22 décembre 1789. Mais leurs bureaux continuaient à fonctionner jusqu’à l’organisation des administrations départementales.
  47. Le Courrier de Lyon, que dirigeait Champagneux.
  48. Ms. 9533, fol 249-250, copie « d’après l’original », dit une note marginale de M. Faugère. Dans un coin, à gauche, il y a : « M. Lt. » ; dans l’autre coin : « Reçu la souscription de 300tt ». — L’autographe a été dans le fonds Coste, de la Bibl. de Lyon, au catalogue duquel il figure sous le no 17642, « lettre de Madame Roland, sans suscription, au sujet des affaires publiques. Invitation de venir au Clos, Lyon, 23 janv. [lire juin] 1790, aut. non sig. in-12, 4 pages ».
  49. Les électeurs de Rhône-et-Loire, après avoir terminé le 15 juin leurs opérations par le Conseil général du département, siégeaient encore (jusqu’au 18) pour choisir les conseils généraux des districts.
  50. On voit par ce passage, rapproché d’un autre mot de la lettre 345, où Camille Desmoulins est nommé pour la première fois, que Lanthenas était en relations avec lui et que, par cet intermédiaire, les Roland lui avaient fait insérer dans son journal un article sur les affaires de Lyon. Nous ne reviendrons pas là-dessus
  51. Ms. 9533, fol. 99-100, « copié sur l’original », dit une note marginale de M. Faugère. (Dans un coin, au haut, à gauche, il y a : « M. Lths. ». — L’autographe a fait partie du 'fonds Coste, au catalogue duquel il est mentionné sous le n° 6017, 3 pages in-12. Il a passé depuis dans plusieurs ventes.
  52. Collection Alfred Morrison.
  53. Décret du 19 juin 1790, concernant les dépenses de l’administration des Postes. Rigoley d’Ogny était encore Intendant de ce service, et Bosc en était secrétaire.
  54. Voir lettre 341. La fête avait eu lieu le 20 juin, anniversaire du serment du Jeu de paume, et s’était terminée par un dîner au Ranelagh du Bois de Boulogne, dont Lanthenas rendit compte dans le Patriote du 23 juin, en attaquant au passage le luxe que déployait le Club de 1789.
  55. C’est sans doute alors qu’il s’établit des liens d’amitié entre Paoli et les Roland. – Voir au ms. 6243, fol. 179, une lettre de Roland à Paoli, du 4 mars 1793.
  56. L.a. sign., 4 p. in-4o ; n° 406 de la vente du 16 avril 1846, Charon, expert. Vendue de nouveau à Londres le 3 juin 1867, et achetée 125 francs par le duc d’Aumale. (Voir Papiers Roland, ms. 9533, fol. 251-254.) Nous donnons l’extrait publié par le catalogue anglais.
  57. Nous savons déjà que le décret ordonnant l’aliénation totale des biens du clergé est du 25 juin 1790.
  58. L.s, 3 p. in-4o, n° 311 de la vente du 14 mai 1845, Charou, expert. Nous donnons l’analyse et l’extrait du catalogue.
  59. L.a., 5 pages et demi in-4o, n° 167 de la vente du 13 juillet 1878, Ét. Charavay, expert.

    Ni extraits ni analyse dans le catalogue, qui dit simplement : « Très curieuse épître ; détails intimes ».

  60. Lettres à Bancal, p. 355 et 356. — L’autographe du premier de ces deux billets est aux Papiers Roland, ms. 9534, fol. 10-1. — Ni l’un ni l’autre de ces deux billets n’est daté. Mais, sur l’autographe du premier, il y a : « Monsieur Bancal Desissart, hôtel du Parc ». Ils semblent bien se rattacher tous deux au premier séjour que Bancal fit à Lyon, lorsqu’il se rencontra pour la première fois avec les Roland, au commencement de juillet 1790, et à la suite duquel il les accompagna au Clos le 7 juillet, pour prendre le lendemain la route de Paris, où il devait assister, comme délégué du Puy-de-Dôme, à la grande Fédération du 14.
  61. Lettre à Bancal, p. 6 ; — ms. 9534, fol. 12-13. — On datait, à ce moment-là, de la prise de la Bastille. Cette lettre est donc du 18 juillet 1790. — Bancal a inscrit, en marge : « Rép. le 23 juillet 1790 ; partie seulement le 26 ».
  62. Bancal avait été, en 1789, un des Électeurs de Paris et avait joué un rôle important dans les journées qui précédèrent et suivirent le 14 juillet. Délégué par le district de Clermont à la Fédération de 1790, il avait dû sans doute à son titre d’ancien Électeur une place d’honneur à la cérémonie.
  63. Elle écrivait à Roland, le 23 avril 1779 (Join-Lambert, XIV) :

    « La variété des scènes que l’histoire ancienne me présentait arrêtait mon attention, et le récit d’une belle action me transportait jusqu’au délire ; combien de fois je pleurai, dépitée de n’être pas née Spartiate ou Romaine ! »

  64. C’est le 8 juillet que la municipalité avait décidé l’abolition des octrois. Roland avait quitté Lyon la veille, pour ne pas assister à la séance, dirent ses ennemis. Nous avons vu qu’il avait conduit Bancal au Clos.
  65. Voir Dict. des manuf., t. II, Supplément, p. 35 et suiv. art. Bonneterie, écrit en 1786 et 1787 et mis à l’impression en 1788. — Voir aussi la brochure de Roland, Municipalité de Lyon ; aperçu des travaux à entreprendre, Lyon (janvier) 1790.
  66. Pope, Ép. d’Héloïse à Abélard, v. 2-3,
  67. Fragment de lettre cité par M. Faugère dans son édition des Mémoires', t. II, p.52-53. — M. Faugère doit se tromper en croyant la lettre datée de Lyon. Mme  Roland paraît n’avoir pas quitté le Clos du 7 juillet au 3 août.

    Cette lettre doit être la même que celle que signale le n° 16122 du Catalogue du fonds Coste à la Bibl. municipale de Lyon et dont il donne l’extrait suivant : « Les affaires de Lyon sont dans un terrible chaos. Le peuple n’y est point si violent qu’on le dit, mais la municipalité y fait des inconséquences sans nombre. J’en donne les détails à l’ami Bancal. Vous savez qu’on a arrêté un autre personnage qui est à Pierre-Seize, puis un courrier qui se rendait à Turin… Tous vos ministre sont des fripons, mais le premier me semble le pire de tous… » (20 juillet 1790, aut. sign., in-8o, 4 p.)

  68. Sa grand’tante, Marie-Louise Besnard, dont la fête était le 15 août.
  69. Ces derniers mots font allusion à sa retraite à la Congrégation, de novembre 1779 à janvier 1780.
  70. Lettres à Bancal, p. 11 ; — ms. 9534, fol. 14-16. — Bancal a écrit, en marge : « Rép. le mercredi 28 ».
  71. Cette expression, qui va revenir souvent, désigne Bancal, Bosc et Lanthenas.
  72. Voir, sur toute cette affaire des octrois de Lyon, le livre fort étudié de M. Wahl et notre Appendice O : « Lyon de 1790 à 1791 », où nous avons résumé l’essentiel. — La municipalité avait voté, le 10 juilllet, l’abolition des octrois, Roland et ses amis, et même Blot, voulaient les remplacer par un taxe progressive sur les loyers ou par une autre imposition directe.
  73. Millanois, Périsse du Luc, Couderc et Goudard, députés de Lyon à l’Assemblée nationale.
  74. Décret du 17 juillet, confirmant le décret du 13 et y ajoutant des dispositions plus rigoureuses.
  75. Goudard, frère du député de ce nom.
  76. « Les fermiers Damoignac et consorts » (Wahl, p. 205 ; cf. p. 19).
  77. Voir note 4 de la lettre du 18 juillet 1790.
  78. Trouard de Riolles, maire royal de Pont-a-Mousson avant 1789, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, avait été arrêté à Bourgoin le 8 juillet 1790. « C’était, dit M. Wahl (p. 175), un émissaire de cette sorte d’agence royaliste dont Mirabeau avait la direction. » Les papiers trouvés sur lui ne laissaient aucun doute sur sa mission contre-révolutionnaire. Il fut conduit à Lyon et enfermé au château de Pierre-Seize, puis transféré à Paris, où il resta détenu à l’Abbaye jusqu’à son acquittement par la Haute-Cour d’Orléans (13 août 1791). — Voir Tuetey, I, 1446-1474.
  79. La suppression des inspecteurs des manufactures, qui ne fut définitivement décrétée que le 27 septembre 1791, aux derniers jours de la Constituante.
  80. Ms. 6241, fol. 10-13, copie. — Cette copie, ainsi que la ligne qui précède, est de la main de Roland. Mais la lettre est écrite au nom de Madame Roland et est certainement d’elle. Elle est signée R. b. P. (Roland née Phlipon).
  81. L’article du Patriote dont Madame Roland entreprend ici la réfutation est du 19 juillet. Il était probablement de Blot, le notable de Lyon dont nous avons déjà parlé, qui avait été envoyé à Paris par la municipalité peut de temps auparavant (comme Roland lui-même y sera envoyé l’année suivante), pour obtenir que la dette communale de Lyon fût nationalisée. – Blot était l’ami d’enfance de Brissot, et Madame Roland redoutait son influence. On a vue que depuis quelque temps Roland et lui, d’abor unis et alliés, se séparaient profondément.
  82. Il y a ici une légère erreur dans la copie. Le second décret est du 17.
  83. Voir la note 4 de la lettre du 18 juillet précédent.
  84. Brissot, embarassé entre Blot et les Roland, n’inséra rien de cette lettre, mais en tint compte, car le Patriote s’abstint dès lors de prendre parti sur les troubles de Lyon, et même d’en parler, malgré la sanglante émeute des 25-26 juillet. Ce n’est que le 13 août qu’il en dit quelques mots, pour annoncer que la tranquillité était rétablie, et le 26 qu’il revint sur la question, pour se prononcer définitivement dans le sens de Roland, c’est-à-dire en abandonnant celui de Blot.
  85. Ms. 6241, fol. 8-9. — C’est le post-scriptum d’une lettre de Roland à Bosc — Roland se plaignait, comme sa femme, que Brissot eût mal compris l’affaire des octrois de Lyon : « …C’est Blot qui l’a entraîné… ». Il le priait d’en parler à Lanthenas et à Brissot.
  86. C’est la lettre précédente.
  87. Lettres à Bancal, p. 17; — ms. 9534, fol. 17-18. — En marge : « Rép. le 30 ».
  88. Nous la donnons ci-après. Nous ne savons quel est le député qui l’écrivit. Peut-être Populus, député du Tiers-État de Bourg-en-Bresse. Roland avait d’anciennes relations avec les patriotes de Bourg, et on verra, par la lettre du 6 février 1791, qu’il correspondait avec Populus en même temps qu’avec Brissot.
  89. C’est la lettre à Brissot, du 23 juillet.
  90. Blot
  91. C’est la lettre écrite par Roland à Champagneux et datée du 25 juillet 1790. On la trouvera ci-après.
  92. L’original de cette lettre a.s. 4 pages in-4o, vendu 131 francs, le 10 mars 1847, J. Charavay, expert [n° 420], a fait partie du fonds Coste de la Bibl. municipalle de Lyon, et se trouve aujourd’hui classé sous le n° 1758 des manuscrits, mais est en réalité relié (!) dans l’exemplaire du tome III, p. 485, de l’Histoire monumentale de Lyon, de Montfalcon.

    Le catalogue J. Charavay la croit adressée à Lanthenas ; disons plutôt à Lanthenas et à Bosc.

  93. Aux amis de la vérité, 28 juillet 1790, in-8o, 7 pages.

    Voir le Patriote français du 26 août, qui en publie de longs extraits, en prenant cette fois, très vivement le parti de Roland. — Cf. Appendice P.

  94. Patriote français du 24 décembre 1790 : « …MM. Blot et Perez, députés extraordinaires de Lyon à Paris… ». Mais il n’y avait aucun notable de Lyon répondant à ce dernier nom. Brissot aurait-il voulu dire Perret ?… Mais Perret, alors notable, puis peu après officier municipal, était du parti de Roland, et d’ailleurs nous ne trouvons pas trace qu’il ait eu une mission de la Commune de Lyon.
  95. Lettres à Bancal, p. 24 ; — ms. 9534, fol. 21-24.
  96. La Société ou club de 1789, fondée par Sieyès en janvier 1790, et à laquelle Bancal s’était fait affilier, contenait des éléments modérés et d’autres plus avancés. Il semble que les premiers l’aient emporté, mais cela même hâta la dissolution de la société. — Voir sur elle notre article de la Révolution française, septembre 1900, et Beaulieu, II, 250, ainsi que les Révolutions de France et de Brabant, n° 36 et passim.
  97. Le comte d’Artois, réfugié à Turin, correspondait avec Paris pour faire évader Louis XVI, qui se serait rendu à Lyon, où une armée sarde de 25,000 hommes serait venue l’assister. Le capitaine de Bonne-Savardin, agent de cette correspondance, avait été arrêté au Pont-de-Beauvoisin, à son retour de Turin, le 1er mai 1790, porteur de papier compromettants, conduit à Lyon, enfermé à Pierre-Seize, d’où on le transféra à Paris dans la prison de l’Abbaye. Il s’en évada le 13 juillet, fut repris à Châlons-sur-Marne le 28, et ramené d’abord à l’Abbaye, puis au Châtelet ; puis, après plus d’une année de détention, acquitté par la Haute-Cour d’Orléans (septembre 1791). — Voir Tuetey, I, 1384-1445 ; Tourneux, p. 1221 et suiv.
  98. Collection Alfred Morrison, 2 folios. Dans un coin, à gauche, il y a : « M. Bosc ».
  99. C’est la brochure Aux amis de la vérité — Voir lettre 366.
  100. Le frère, ici, désigne non pas Lanthenas, mais le frère de Bosc, Joseph d’Antic.
  101. Lettres à Bancal, p. 32 ; — ms. 9534, fol. 25-29. En marge : « Rép. mercredi 11 ». Madame Roland a écrit « 3 août ». Mais le 3 août 1790 tombe un mardi. D’autre part, comme on voit par sa lettre qu’elle est du mercredi, nous avons rétabli la date du 4.
  102. Dervieu du Villars, baron de Varay, seigneur de Saint-Jean-le-Vieux et Jujurieux en Bugey. (Voir Wahl, p. 196, et Almanach de Lyon de 1789.) — Il ne mourut qu’en 1837. (Catalogue des Lyonnais dignes de mémoire.)
  103. Nous n’avons pu trouver quel était ce jeune médecin.
  104. Il y avait eu à Nîmes, les 13-15 juin précédents, une sanglante émeute suscitée par le parti royaliste et catholique, qui était maître de la municipalité, et qu’avaient exaspéré d’abord l’élection de Rabaut-Saint-Étienne comme président de l’Assemblée, puis les décrets de mars et d’avril, relatifs aux biens du clergé. (Voir dans le Révolution française de 1898 les articles très documentés qu’a publiés M. Armand Lods sur Rabaut de Saint-Étienne et sa correspondance.)
  105. Les décrets des 13 et 17 juillet.
  106. L’éditeur de 1835 dit en cet endroit : « Cette lettre se trouve interrompue ici… ». Il se trompe, et, sans s’en douter, il donne lui-même, trente-deux pages plus loin, la suite de la lettre (p. 69-75), sous la rubrique de « Lundy, 26 », comme s’il s’agissait d’une lettre distincte. Mais l’examen des autographes (ms. 9504, fol. 25-29) prouve son erreur. Le folio 26 se termine par : « leur perception », et le folio 27 commence par : « je viens au lundi 26 ». D’ailleurs, à défaut des autographes, le seul rapprochement des deux fragments séparés arbitrairement par l’éditeur de 1835 suffirait à prouver leur continuité.
  107. Écully, gros Bourg à 5 kilomètres de Lyon.
  108. Neuville-sur-Saône, appelé alors Neuville-l’Archevêque, à 12 kilomètres de Lyon.
  109. J.F. Verne, « procureur aux cours et juridictions de Lyon, rue Saint-Jean » (Almanach de Lyon de 1789). Cf. Wahl, 177, 181.
  110. Lettre à Bancal, p. 37 ; — ms. 9534, fol. 30-32.

    En marge, de la main de Bancal : « Rép. le lundi 16 ».

  111. Champagneux demeurait place de la Baleine.
  112. Dans la séance de l’Assemblée nationale du 31 juillet, Malouet avait dénoncé « une feuille intitulée : C’en est fait de nous, par M. Marat, et le dernier numéro des Révolutions de France et de Brabant, par Camille Desmoulins », et l’Assemblée avait ordonné au procureur du Roi au Châtelet « de poursuivre, comme criminels de lèse-nation, tous auteurs, imprimeurs et colporteurs d’écrits excitant les peuples, à l’insurection, etc… ». Voir Révolutions de France et de Brabant, n° 37 et 38.
  113. Le projet, déjà mentionné, d’acheter en commun des biens nationaux.
  114. Lettres à Bancal, p. 43 ; — ms. 9534, fol. 33-35. La lettre, portant le timbre de la poste de Villefranche, est adressée « à Monsieur Henry Bancal, chez M. Bro, notaire, rue du Petit-Bourbon, à Paris ». Il y a en marge : « Rép. le 16 ».
  115. Voir sur André Thouin, le célèbre jardinier en chef du Jardin des Plantes, la note du 26 janvier 1785. Sa maison était un rendez-vous de patriotes, disciples de Rousseau.
  116. On trouvera dans les Révolutions de Paris (n° 56, p. 174) cette proclamation de Lafayette à la garde nationale, du 31 juillet, faisant appel « à sa vigilance et à son patriotisme pour déjouer les tentatives des malintentionnés ». C’était le 2 août que Paris devait réélire son maire (Bailly dur réélu). – Le nom de Lafayette a été biffé sur l’autographe, sans doute par Bancal lui-même dans sa vieillesse. Nous le rétablissons d’après l’imprimé de 1835.
  117. Ms. 6241, fol. 231-232.
  118. Bailly venait d’être réélu maire de Paris (2 août) par 12,000 voix sur 14,000 votants, et Brissot, dans le Patriote du 5, avait fait sur ce choix de fortes réserves que Camille Desmoulins avait reproduites (n° 36).
  119. Lettres à Bancal, p. 49 ; — ms. 9534, fol. 36-38. — Il y a en marge : « Rép. le mercredi 18 ». Les deux voyageurs » sont Bancal et Lanthenas.
  120. Le Châtelet avait ouvert une interminable procédure (Tuetey, I, 1011-1039) contre les meurtres commis à Versailles dans la matinée du 6 octobre 1789, et semblait vouloir y impliquer les instigateurs de la prise d’armes du 5. Il venait précisément, les 5 et 6 août, de décréter de prise de corps, pour ce fait, dis-huit personnes, dont Théroigne de Méricourt, Louise-Reine Audu, et d’impliquer dans les poursuites le duc d’Orléans et Mirabeau. (Voir Patriote du 9 août.).
  121. Les troupe autrichiennes marchaient sur la Belgique révoltée et Bouillé, qui commandait la frontière du Nord, avait prescrit de leur livrer passage, sur l’ordre, disait-on, du ministre de la guerre. (Voir Révolutions de Paris, n° 56, p. 198.)

    L’Assemblée s’en était émue dans sa séance du 27 juillet.

  122. Voir les notes sur Trouard de Riolles et Bonne-Savardin. (Lettres des 21 et 31 juillet 1790.)
  123. La brochure de Roland, Aux amis de la vérité, citée plus haut (Voir lettre 366). Elle est du 28 juillet.
  124. Voir Patriote français du 14 août, « Abolition des privilèges des aînés, article de Lanthenas.
  125. Pétition du Conseil général de la commune de Paris, demandant à l’Assemblée nationale d’enlever au Châtelet la connaissance des faits se rapportant aux journées d’octobre 1789 et l’inculpant du crime de lèse-nation (V. Révolutions de Paris, no 57).
  126. Le Club de 1789, partagé en deux courants contraires, allait de dissoudre (V. Tourneux, 9997 : « Projet de paix entre le Club de 1789 et la Société des Amis de la Constitution, par un membre de l’Assemblée nationale, Impr. du Patriote français, s.d. in-8o, 7 pages. »). Il paraît cependant avoir subsisté jusqu’eu commencement de 1791.
  127. Le nom de Lafayette est biffé sur l’autographe. Nous le rétablissons d’après l’imprimé de 1835.
  128. C’est l’étrange affaire D’Hozier et Patit-Jean, deux illuminés auxquels la Vierge avait révélé les moyens de sauver le Roi. Brissot avait fait un rapport là-dessus, le 29 juillet, au Comité des recherches de l’Assemblé nationale et de la municipalité de Paris. — Voir le Patriote français du 6 août 1790 Tuetey, I, 1745-1747.
  129. L’Anglais Robert Piggot, que désignait déjà probablement, sans le nommer, la lettre du 25 août 1789, était un de ces quakers qui eurent une si grande influence sur Brissot, Lanthenas, Bancal, etc… et par suite, à un certain moment, sur la Révolution française. Dans leur radicalisme biblique, ils réclamaient non seulement l’affranchissement des noirs, mais encore l’émancipation de tous les peuples, la république universelle. Granville-Sharp, Clarkson, Williams et Paine sont les figures les plus connues de ce groupe ; il semble que Pigott en soit une des plus originales. Brissot l’avait connu et fréquenté à Londres en 1783 (Mém. II, 233). C’est sur la présentation de Brissot (ibid, III, 88) que furent reçus, à la Société des Amis des noirs de Paris, en 1788, Lanthenas, Crèvecœur et Pigott [remarquons la réunion de ces trois noms]. Dès le commencement de 790 nous voyons Pigott travailler à nos libertés : « Liberté de la presse, très respectueuse adresse à l’Assemblé nationale de France, présentée par Robert Pigott, écuyer anglais. L’impression de cette adresse a été ordonné par l’Assemblée nationale » (Patriote français du 10 février 1790 et Supplément). Les lettres qui suivent nous le montrent occupé d’une affaire d’un tout autre genre, l’achat de biens nationaux. Nous le retrouvons en 1792 nous faisons une autre sorte de prédication : « Discours prononcé dans la Société des Amis de Dijon, par R. Pigott. Anglais, citoyen français, contre le grand usage du pain » (Patriote du 4 avril 1792). Un médecin de Dijon, Masuyer, parle dans le même sens, et la Société de Dijon, avec eux recommande la soupe militaire du maréchal Vauban, qu’ils appellent « brouet national ». — Nous ne saurions dire, d’ailleurs, de quel droit Pigott se disait « citoyen français ». Son nom ne figure pas sur la liste des étrangers auxquels la Convention, le 26 août 1792, sur le rapport de Guadet, décerna ce titre (Patriote du 27 août) ; en tout cas, la décision aurait été antérieure.

    Nous perdons ensuite la trace du Pigott. Son nom se retrouve seulement en 1794 sur la « Liste des Anglais, Espagnols et autres étrangers en guerre avec la France ou service de ses ennemis, qui possèdent des biens en France, indiqués par l’article 2 de la loi du 9 ventôse… » Nous y lisons : « Pigott (Robert), Anglais, domicile à Paris ». (Date où la liste a été dressée par le district, 5 nivôse an ii, 25 décembre 1793.) Il mourut à Toulouse, le 7 juillet 1794 (Arch. munic. de Toulouse, registre de l’état civil). Pigott était « pythagoricien », c’est-à-dire ennemi de l’usage des viandes (Mém. de Brissot, II, 233).

    C’est à lui qu’en février 1792 (Voir Patriote français du 6 février) Brissot avait emprunté le panégyrique du bonnet rouge (Robiquet, p. 472).

  130. Elle s’adresse ici spécialement à Lanthenas.
  131. Voir Mémoires, II, 114-118 et Lettres Cannet, 3 juin 1775.
  132. Les Roland avaient gardé des relations à Amiens, d’abord avec M. d’Eu, qui continuait à collaborer au Dictionnaire des manufactures, mais surtout avec Flesselles et Delamorlière. C’est de ce dernier qu’il est question ici. (Voir App. I.)
  133. Nous avons déjà vu (lettre du 12 mai 1786) comment les Roland faisaient les deux lieues qui séparaient le Clos de Villefranche.

    Une lettre de Roland à Bosc, du 18 septembre [1786], nous décrit une de leurs chevauchées :

    « … La mère et la fille, liées ensemble sur un âne, ont failli se casser le cou et se noyer ensemble. La bête a échappé, l’enfant s’est effrayé, il a tout entraîné et tout a versé dans la rivière, sur le bord de laquelle cheminait la caravane. J’étais à cheval derrière ; je n’ai fait qu’un saut ; mais le temps à soulever, à désunir d’un ruban de soie noué et mouillé, puis à tirer l’enfant se croyant perdu et criant à tue-tête ; la mère, le poignet foulé, le corps meurtri et mouillé ; gros cailloux au fond et environ un pied d’eau ; on est accouru ; de bonnes gens on fourni de quoi changer l’enfant ; j’ai affublé la mère de ma redingote ; nous n’étions qu’à moitié chemin, nous avons gagné le gîte ; grand feu, changé, couché, etc… Reste quelques douleurs et de la brisure ; mais, à cela près, bon pour une et passons outre… »

  134. Nous ne savons ce que cela signifie. Peut-être faudrait-il lire Lafage et admettre alors que Bancal et Lanthenas connaissaient à Paris un frère de l’agronome Lafage (Voir sur celui-ci la lettre du 31 janvier 1785), lequel (l’agronome) serait venu au Clos. On ne peut songer, vraiment, au journaliste royaliste Lapie de Lafage, dont parlent Hatin (Bibliogr., p. 203) et Charavay (Catal. de 1862, p. 110).
  135. Voir sur Pezant, la lettre du 9 avril 1786, note.
  136. Lettre publiée en 1820 par Barrière (I, 345), qui devait la tenir de Bosc. — Dauban, II, 579.
  137. Lettres à Bancal, p. 58 ; — ms. 9534, fol. 39-40. En marge : « Rép. le 28 ».
  138. Probablement la longue lettre du 4 août, que Bancal aurait communiquée à diverses personnes. Il semble d’ailleurs que l’article du Patriote du 13 août : « Lyon. Le drapeau rouge est toujours déployé, etc., » en soit comme un résumé.
  139. Lafayette.
  140. Dans la séance de l’Assemblée du 25 juillet, Camus avait vivement attaqué la gestion de Necker ; celui-ci présenta à l’Assemblée un mémoire justificatif le 1er août ; mais Camus riposta plus énergiquement encore. (Voir Révol. de Paris, n° 57, p. 229.)
  141. Alquier (Charles-Jean-Marie), constituant et convetionnel (1752-1826). — Il avait été élu secrétaire de L’Assemblée le 31 juillet 1790, et Madame Roland s’impatiente de ce qu’il n’ait pas mis à l’ordre du jour de l’Assemblée l’adresse de Lanthenas contre le droit d’aînesse. (Voir Append. L.)
  142. Le duel de Barnave et de Cazalès est du 11 août 1790.
  143. C’est le 27 août seulement que le vicomte de Mirabeau envoya sa démission à L’Assemblée. — Pour Montlosier, son émigration n’était encore qu’une fausse nouvelle. Il n’émigra qu’en 1791.
  144. Lettres à Bancal, p. 62 ; — ms. 6534, fol. 41.
  145. L’Adresse à l’Assemblé nationale, rédigée par Lanthenas, pour l’abolition du privilège des aînés. Lanthenas avait fondé, pour soutenir ce principe de droit nouveau, une société des Amis de l’union et de l’égalité dans les familles (Voir Patriote de 14 et 20 juillet et du 14 août 1790.)
  146. Lettres à Bancal, p. 64 ; — ms. 9534, fol. 42-44. La lettre porte le timbre de la poste de Villefranche, et la même adresse que la lettre 371.
  147. Palerne de Savy (1733-1835?), premier maire de Lyon, du 12 août 1790 au 6 décembre, jour où il démissionna ; remplacé par Louis Vitet, le 23 décembre.
  148. L’abbé Claude Fauchet (1744-1793), dont le rôle dans la Révolution est trop connu pour que nous ayons à le rappeler ici. — À ce moment-là, associé à Bonneville, il avait transformé une loge maçonnique en un club, appelé le Cercle social, et avait fondé, pour servir d’organe à ce club, un journal, La Bouche de Fer (Hatin, p. 163 ; Tourneux, p. 10425 et suiv.). Voir sur lui les lettres de 1791.
  149. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  150. Ils arrivèrent au Clos le 30.
  151. L’article XI de la déclaration de droits proclamait la liberté de la presse, sauf dans des cas déterminés par la loi ». Cette loi n’était pas encore faite. Lanthenas et ses amis demandaient la liberté indéfinie. Il n’y eut pas de loi avant celle du 27-28 germinal an iv, 16-17 avril 1796 (Tourneux, II, Notice prél.)
  152. Dupont de Nemours avait été élu président de l’Assemblée le 16 août. Roland, qui le connaissait de longue date, puisque Dupont était inspecteur général des manufactures, ne l’aimait point, bien que leurs doctrines économiques fussent à peu près les mêmes, car tous deux appartenaient à l’école de Turgot. Ses lettres inédites (Papiers Roland et collection Morrison) sont pleines d’appréciations amères sur Dupon. — Voir, sur lui lettre du 20 mars 1784.
  153. Collection Alfred Morrison, 2 folios
  154. Les deux premiers paragraphe sont de Roland.
  155. Chessy sur l’Azergues, à 6 kilomètres au sud du Clos, avait des mines de cuivre célèbres, déjà exloitées au temps de Jacques Cœur ; on en extrait aujourd’hui de la pyrite.
  156. Ici, Madame Roland prend la plume.
  157. Voir la lettre du 18 juin 1788, où il est déjà question du gribouri, petit coléoptère qui désolait alors les vignobles du Beaujolais.
  158. Bosc, IV, 36 ; Dauban, II, 581.
  159. C’est le 30 août que Bancal et Lanthenas étaient arrivés au Clos. Bancal y resta une quinzaine. — Roland écrit à Bosc, de Lyon, le mercredi 15 septembre (coll. Morrison) : « Nous arrivâmes hier en cette ville, où nos amis nous rejoindront aujourd’hui ; nous y achèverons la semaine et en partirons dès le commencement de la suivante… », c’est-à-dire dès le 19 ou le 20. — pour retourner au Clos, où Bancal fit un nouveau séjour.
  160. Il y a, à la collection Morrison, une lettre de Roland, sans date, mais de la seconde quinzaine de septembre 1790, puisqu’il y est question de la mort de Loustalot, pleine de récriminations injustes contre Brissot. Le passage a été fortement raturé par Bosc, mais on parvient cependant à le lire.
  161. Loustalot, l’honnête et courageux journaliste qui avait succédé à Tournon comme rédacteur des Révolutions de Paris de Prudhomme, etait mort la 11 septembre 1790.
  162. Necker avait donné sa démission le 4 septembre et s’était retiré à Genève.
  163. Bancal et Lanthenas. — Ce dernier écrivait à Bosc, le 25 septembre (indédit, coll. Morrison) : « J’ai fait un voyage à pied, de Lyon à la Chartreuse de Sainte-Croix, entre Rive-de-Gier, près Saint-Chamond et Condieu. J’ai traversé des montagnes intéressantes et j’ai tout le long de ma route, catéchisé les paysans. J’ai vu exercer la garde nationale d’un village appelé Longes, à une lieue de cette chartreuse, et j’ai appris avec satisfaction que la municipalité de ce village venait de dépenser 1,500tt pour armer ses citoyens. Je n’ai cessé d’inviter partout à en faire de même, et j’ose croire que ma mission patriotique ne sera pas sans fruit. »
  164. Lettres à Bancal, p. 79 ; — ms. 9534, fol. 48-50, — La lettre porte le timbre de la poste de Villefranche et a pour adresse : « À Monsieur Henry Bancal, ci-devant Des Issarts, à Clermont-Ferrand. » Un lettre de Roland à Bancal, que nous donnons ci-après en note, parce qu'elle a été publiée par l’éditeur de 1835, nous apprend que Roland venant de quitter le Clos pour se rendre à Lyon, où était Lanthenas, et que Bancal était reparti pour Clermont, où l’appelait l’élection des juges. — Une lettre inédite de Lanthenas à Bosc (coll. Morrison), du 4 octobre, dit : « Bancal est parti pour Clermont il y a deux jours «.
  165. Garran de Coulon (1749-1816), qui fut député à la Législative, à la Convention, aux Cinq-Cents, puis sénateur. Contemporain de Bancal, il avait dû se lier avec lui a l’Université d’Orléans, où ils suivaient ensemble les cours de Pothier. Il fut, comme lui, un des Électeurs de Paris qui gouvernèrent la ville au 14 juillet 1789. — Nous le verrons aussi très lié avec Bosc, avant et après la Révolution.
  166. De Roland à Bancal. — Lettres à Bancal, p. 75 ; — ms. 9534, fol. 46-47. Écriture de Roland. L’adresse porte : « À Monsieur Henry Bancal, électeur du département du Puy-de-Dôme, à Clermont-Ferrand, en Auvergne.
  167. Cette lettre était député La Métherie. Nous l’avons retrouvée dans la collection de M. Picot, conseiller à la cour d’appel de Riom, marié à une petite fille de Bancal. Elle roule sur les affaires du jour.
  168. Il s’agit évidemment d’une localité toute voisine de Villefranche, puisque Lanthenas était au Clos. Nous présumons que c’était le nom de l’établissement des Braun, à Béligny.
  169. Collection Alfred Morrison, 1 folio.
  170. Madame Roland, qui avait toujours écrit d’Eu, met Deu à cause du décret du 19 juin 1790. — Malgré une divergence d’opinions politiques de plus en plus marquée, les Roland restaient en rapports affectueux avec leur ami d’Amiens, qui continuait à apporter ses contributions au Dictionnaire et qui entretenait avec Bosc une correspondance suivie.

    M. Beljame a de lui un grand nombre de ces lettres, allant de 1785 à 1789, et où se mêlent, aux questions de botanique, des nouvelles intéressantes d’Amiens.

  171. Sa fille. — Voir la lettre du 15 novembre 1781, note.
  172. Bertrand Dufresne (1736-1801), depuis membre des Cinq-Cents. Il avait été nommé par Necker, en 1788, directeur du trésor. Après la retraite de Necker (4 septembre 1790), il avait gardé ses fonctions.
  173. Ms. 6239, fol. 221.
  174. Antoine Bardin, un des cinq vignerons du clos, des 18-22 août 1793. Archives du Rhône, Q, séquestre du district de Villefranche). — Un de ses descendants était encore régisseur du Clos en 1879.
  175. Claude Sivelle, autre vigneron (Archives du Rhône, ibid.).
  176. Jean Brossette-Berthier (ibid.).
  177. Le vicaire s’appelait Morin, et le curé, Lambert (Alm. de Lyon).
  178. Sophie Cannet.
  179. Lettres à Bancal, p. 85 ; — ms. 9534, fol. 51-55. En marge : « Rép. le dimanche 31 octobre ».
  180. Le décret sur la discipline militaire, voté par l’Assemblée dans ses séances des 14, 15 et 18 septembre 1790.
  181. Ces deux derniers mots ont été biffés sur l’autographe.
  182. Montpeyroux, abbaye commendataire de Cisterciens, en Auvergne, de 3,000 livres de revenu (France ecclés. de 1786, p. 333), dont Lanthenas, Brissot et les Roland projetaient l’acquisition avec Bancal.
  183. Lettre à M. Roland, ci-devant de La Platière, sur mon opuscule intitulé : Aux amis de la vérité, par Hilarion Simplice Véro, Lyon, 10 août 1790, in-8o, 8 pages (Bibl. de Lyon, fons Coste, n° 16947).
  184. C’est l’article du Patriote Français du 6 octobre 1790 : « Lyon. — Des voyageurs instruits [lire Bancal et Lanthenas], qui ont fait quelque séjour dans cette ville, nous marquent que l’aristocratie y a jeté le masque… Elle ne met plus de bornes à ses espérances criminelles ; elle y est encore entretenue par un homme dévoué au ministère, intrigant profond, par un sieur Imbert, déjà dénoncé dans ces feuilles, etc. »

    L’Éditeur de 1835 a imprimé Joubert. C’est une faute évidente de lecture. L’adversaire dont parle Madame Roland et que dénonce Brissot est l’ancien échevin de Lyon, Imbert-Colomès (voir lettre du 27 octobre 1789), qui fut en effet, en 1790, le vrai chef du parti royaliste dans cette ville.

  185. Le « procès-verbal des séances et délibérations de l’assemblée générale des électeurs de Paris, etc. », rédigé par Bailly et Duveyrier, venait de paraître, 3 volumes in-12.
  186. Bancal, comme on va le voir, se préparait à aller faire un séjour en Angleterre, auprès de ses amis les quakers révolutionnaires, pour lesquels il était d’ailleurs muni de lettres de recommandation de Brissot.
  187. Voir sur cette Société de la Révolution, qui s’était fondée à Londres, Tourneux, 9038 ; et, sur les rapports de Bancal avec elle, Mège, p. 32.
  188. Voir Wahl, 287-289. — Palerne de Savy, maire, Dupuis, procureur de la commune, avaient été élus parmi les six juges du tribunal de district.
  189. Antoine de La Métherie-Sorbier (1750-1804) était député de Mâcon à la Constituante. Son frère aîne, Jean-Claude de La Métherie, géologue et minéralogiste (1743-1817), dirigeait depuis 1785 le Journal de physique et était fort lié avec Bosc. C’est du député que parle ici Madame Roland. — Lanthenas écrivait à Bosc, le 25 septembre 1790 (coll. Morrison) : « Nous [Bancal et lui] avons écrit à Lamétrie, le député, une très longue lettre sur Lyon. Tâchez de le voir et pressez les journalistes de tourner en profitant des lumières importantes que nous avons recueillies… »
  190. Lanthenas prend la plume.
  191. Vour la lettre 381, note.
  192. Périsse du Luc (1738-18…). — Les auteurs du Catalogue des Lyonnais dignes de mémoire disent qu’il mourut « victime de la Terreur après le siège de Lyon ». Or, d’après le Dictionnaire des Parlementaires, il fut nommé, le 21 germinal au viii, conseiller de préfecture du Rhône.

    Millanois (Jean-Jacques) était, avant la révolution, ancien premier avocat du Roi en la sénéchaussée, membre de l’Académie de Lyon (1777). À la fin de son mandat de Constituant il rentra à Lyon, y resta un des chefs du parti modéré et y fut guillotiné le 5 décembre 1793.

  193. Voir le Patriote français du 14 juillet 1790. On y annonce qu’une réunion se tiendra chez M. Viaud, avocat, rue Haute-feuille, 22, à laquelle sont conviés « les puînés et les fils de famille des pays de droit écrit ». — Ibid, 20 juillet : « La Société des Amis de l’union et de l’égalité dans les familles, dont la première assemblée s’est formée le 16 courant chez Viaud, avocat, s’est ajournée à mercredi 21, dans la salle particulière au Lycée, au couvent des Cordeliers, faubourg Saint-Germain. On y fera une seconde lecture de l’adresse à l’Assemblée nationale, proposée par F. Lanthenas… ». — Viaud faisait partie de la Société des Jacobins (Aulard, Jacobins, t. I, p. lxxxvi). C’est probablement le même personnage que Viaud de Belair (Pierre-Jacques-Calixte), 1759-1827, qui fut en 1793 et 1794 procureur-syndic, puis agent national du district de Châteauneuf (Maine-et-Loire, et qui, après la Révolution, revint s’établir à Paris où il devint « un pilier d’Athénée ». — Voir sur lui Célestin Port. Dict. historique de Maine-et-Loire, et Catalogue Charavay de 1862, p. 219.
  194. Lanthenas écrivait à Bancal, le 16 juin 1790 (ms. 9534, fol. 231-232) : « Un certain abbé Danjou des Molières est ici extrêmement chaud pour les cadets. Je le vois, et nous voulons suivre cette affaire. Le personnage s’appelait, en réalité, Danjou de Cypierre (Jean-Pierre-André), né le 6 mars 1735 à la Tour-D’Aygues (Vaucluse), mort à Paris en 1818. Il appartenait à la congrégation de l’Oratoire. Après avoir fait campagne avec Lanthenas pour « les cadets », il ouvrit, en décembre 1790, des « Assemblées » pour l’instruction civique du peuple », rue Mondétour (Tuetey, t. III, 588) : prit plusieurs fois la parole aux jacobins en 1791 (Aulard, ibid, t. II, p. 219 ; t. III, p. 556, 561), fur membre de la commune révolutionnaire du 10 août, puis commissaire du pouvoir exécutif, puis administrateur de la commune de Paris en 1793 (Aulard, ibid, t. I, p. xliv ; Almanach nat. de 1793, p. 358, 389, 394). Nous le retrouverons plus tard parmi les orateurs des théophilanthropes (Catal. Charavay de 1862, p. 134).

    Voir encore sur lui Beaulieu, t. IV, p. 114, et les Nouvelles politiques des 24 août et 2 octobre 1793.

  195. L’abbé Antoine de Cournand (1747-1814), professeur de littérature française au Collège de France. « Il avait donné dans la Révolution à plein collier, dir la Biographie Rabbe, au point d’y prendre femme et d’y laisser le froc. » — Il faisait partie de la société des jacobins (Aulard, t. I, p. xliii). Il fut membre de la commission administrative qui remplaça le Directoire du département de Paris en septembre 1792.
  196. Pestel, — probablement un compatriote de Bancal, car c’est un nom de Clermont.
  197. Il s’agit de Savigny, grosse abbaye de Bénédictions, à quatre lieues au sud du Clos (aujourd’hui du canton de l’Arbresle), dont, ainsi qu’on le verra plus loin, Roland proposait l’acquisition. L’article du Patriote du 24 septembre 1790, où Brissot disait : « Je hais la royauté… j’adore le gouvernement républicain, mais je ne crois pas les Français encore dignes de ce saint régime… »
  198. D’Antic. — Lanthenas ne s’est pas encore habitué à dire « Bosc ».
  199. Madame Roland reprend la plume.
  200. Il s’agit de la « Lettre de Dubois-Crancé à ses commettants ou compte rendu des travaux, des dangers et des obstacles de l’Assemblée nationale, depuis l’ouverture des États généraux, du 27 avril 1789 au 1er août 1790 ». Paris, Baudoin, 1790, in-8o.
  201. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  202. Le décret du 9 juillet-8 août 1790 avait supprimé « les dépenses relatives aux employés et bureaux de l’Intendance des postes », et Bosc avait dû sans doute échanger son emploi de secrétaire de l’Intendance pour un poste inférieur dans la même administration, jusqu’au jour où, en 1792, il en redevint un des chefs.
  203. Lettres à Bancal, p. 100 ; — ms. 9534, fol. 56-57.
  204. Il y a plusieurs Beauregard en Auvergne. Nous croyons qu’il s’agit ici du château de Beauregard-l’Évêque (canton de Vertaison, à 20 kilomètres de Clermont), ancienne maison de plaisance des évêques de Clermont, que Massillon affectionnait.
  205. Voir sur cette affaire de Mignot de Bussy, qui causa beaucoup d’émotion à Lyon et dans la région, le Patriote français du 26 octobre, — et Wahl, 235-236, Mignot de Bussy, arrêté à Villié en Beaujolais le 17 octobre comme soupçonné de conspiration pour enlever le roi, fut conduit à Paris, enfermé à l’Abbaye et mis en liberté par un décret de l’Assemblée du 8 janvier 1791. (Tuetey, I, 1493 et suiv.)
  206. Eudora Rolan, après avoir été en pension à Lyon chez Frossard, en 1789, avait été confié, en 1790, au couvent de la Visitation Sainte-Marie, à Villefranche.
  207. Les lignes que nous plaçons ici entre crochets ont été biffées sur l’autographe, probablement par Bancal après son retour aux idées religieuses.
  208. Ce qui suit est de Lanthenas.
  209. Nous ne voyons pas que Brissot, très hospitalier d’ailleurs pour la prose de Lanthenas, ait inséré cet article.
  210. Lettres à Bancal, p. 107 ; — ms. 9534, fol. 58-59. — En marge : « Rép. le 5 novembre »
  211. Ceci doit désigner Mme  de Nervo. — Nous avons vu (note de la lettre du 18 septembre 1787) que M. de Nervo était « seigneur de Theizé ». D’autre part, une lettre inédite de Roland à Bosc (coll. Morrison) nous le montre, au 4 octobre 1791, négociant encore avec M. de Nervo… « Étant prêts à placer ailleurs, nous préférerions acquérir de lui, près de nous, etc… » On y voit que l’ancien seigneur de Théizé habitait alors tantôt à Paris, tantôt « sa nouvelle maison de campagne, à Marly ».
  212. Les élections qui devaient renouveler la moitié des officiers municipaux et de notables.

    Roland, qui n’était que notable, fur élu officier municipal. Il avait espéré mieux, la place de procureur de la commune. (Wahl, p. 286-287.)

  213. Probablement la motion que Roland avait faite, le 17 septembre, au conseil général de la commune de Lyon, pour demander le renvoi des régiments étrangers qui occupaient la ville depuis les troubles de 25-26 juillet. — et la publicité des séances. — Wahl, p. 209.
  214. Lettres à Bancal, p. 114 ; — ms. 9534, fol. 62.
  215. l’éditeur de 1835 a imprimé Chaslet, — Charles-Antoine Chasset (1745-1824), constituant et conventionnel, plus tard membre des Cinq-Cents, puis des Anciens, puis sénateur et comte de l’Empire.

    Né à Villefranche, avocat à la Sénéchaussée, membre de l’Académie de Villefranche (1779), échevin en 1784, nommé maire le 28 mars 1788 sur la désignation du duc d’Orléans, qui était seigneur-apanagiste du Beaujolais (Registres municipaux de Villefranche), il fut d’abord l’homme de ce prince ; c’est ainsi que nous le trouvons en 1789 secrétaire de la Maison philanthropique que le duc avait fondée à Villefranche. — Le rôle de ce savant et laborieux légiste fur considérable à la Constituante. À la Convention, il vota avec les Girondins, et, après l’attentat du 2 juin 1793, quitta Paris le 6 juillet, pour aller soulever Lyon contre la Convention  ; mais, en voyant les royalistes prendre la direction de l’insurrection lyonnaise, il sortit de la ville dans la du 23 au 24 juillet pour se retirer en Suisse. — Dès le 11 juillet, sur la motion de Couthon, il avait été décrété d’arrestation, et il fut du nombre des vingt députés mis hors la loi, comme traîtres à la patrie, par le décret du 28 juillet. Sa destinée a côtoyé celle des Roland. Mais il semble qu’il n’y ait jamais eu liaison.

  216. La phrase que nous mettons entre crochets a été biffée dans l’autographe ; les mots curé et paroissiens ont été particulièrement raturés, sans doute par Bancal.
  217. L’abbé Varenard, chantre du chapitre de Beaujeu, membre associé de l’Académie de Villefranche (1779), procureur-syndic de l’Assemblée de département en 1788, s’était engagé dans la Révolution et fut nommé en 1790 procureur-syndic du district de Villefranche. Ennemi des Roland il est fort maltraité dans une lettre de Roland à Champagneux du 6 juillet 1791, publié par M. Faugère (I, 355). — Compromis dans l’insurrection lyonnaise de 1793, décrété d’arrestation par la Convention le 12 avril (P.V.C. 12 et 16 août), il fut guillotiné à Lyon.
  218. Bernard Davanzati Bostichi (1529-1606), littérateur florentin. Une nouvelle édition de sa traduction de Tacite venait de paraître (1790, 3 vol. in-4o).
  219. Catherine Sawbridge, mistress Macauley (1733-1791), avait publié une Histoire d’Angleterre depuis l’avènement de Jacques Ier jusqu’à l’élévation de la maison de Hanovre, 8 vol. in-8o, 1763-1783, et une Histoire d’Angleterre depuis la Révolution jusqu’au temps présent, 1778, in-4o. — Brissot, qui l’avait connu à Londres (voir ses Mémoires, II, 228-234), professait pour elle une vive admiration. Il semble que l’ouvrage dont parle ici Madame Roland soit un abrégé des précédents. Le Patriote français du 11 octobre 1791 annonce une « Histoire d’Angleterre depuis l’avènement de Jacques Ier jusqu’à la Révolution (de 1688), par Catherine Macauley Graham, traduite en français par Mirabeau, 2 vol. in-8o ». Madame Roland reviendra souvent à cette lecture, d’une inspiration toute républicaine.
  220. Lettres à Bancal, p. 117 ; — ms. 9534, fol. 63-64.
  221. Sur Tournon, rédacteur (avant Loustalot) des quinze premiers numéros des Révolutions de Paris que l’éditeur Prudhomme avait commencé à publier le 17 juillet 1789, et sur les diverses feuilles que Tournon, après sa séparation d’avec Prudhomme, fonda successivement (Révolutions de Paris, Révolutions de Paris et de l’Europe, Révolutions de l’Europe, etc… ), voir Hatin Bibliographie, p. 147-150 ; Tuetey, Tourneux, passim.

    Il semble que Tournon, à la date où écrit Madame Roland, eût été éliminé de son dernier journal par les Robert et cherchât à créer une nouvelle feuille.

    Antoine Tournon était lyonnais. Il faisait partie du Club des Jacobins et demeurait rue Guénégaud, n° 32. Il travailla ensuite en 1791, au Mercure universel, où il faisait « l’article de la Convention, sans aucune réflexion ». Emprisonné sous la Terreur, il fut impliqué dans la conspiration des prisons ou du Luxembourg, et fut guillotiné dans la troisième fournée, le 22 messidor an ii, 10 juillet 1794 (Wallon, Trib. rév., p. 441, 448).

  222. C’est la première fois que Petion apparaît dans la correspondance. Sa liaison avec son compatriote Brissot explique ses relations avec Lanthenas.
  223. Roland et Lanthenas allèrent en effet, trois jours après, visiter le prieuré de Montroman, sur la commune de Dénicé, près Villefranche. Il y a là-dessus, au ms. 9534, fol. 238-241, une longue et intéressante lettre de Lanthenas à Bancal, du 9 novembre. Nous avons déjà dit qu’aucun de ces projets n’aboutit.
  224. Probablement Miss Helena Williams, dont nous verrons bientôt que Bancal fut épris. Elle avait fait, avec sa mère et sa sœur, un premier séjour en France cette année-là, s’y était liée avec Brissot et ses amis, et était retournée depuis peu en Angleterre, pour revenir en France en 1792.
  225. M. et Mme  d’Eu et M. de Vin.
  226. Ces lignes, de l’écriture de Bosc, ont été évidemment ajoutées par lui pour un de ses collègues au bureau des postes.
  227. Ms. 6239, fol. 222-223. — En comparant cette lettre avec les deux qui suivent du 20 novembre à Roland et du 30 novembre à Bancal, et avec Wahl, p. 286, on voit qu’elle est indubitablement du vendredi 19 novembre 1790. D’ailleurs, sa place au manuscrit est en rapport avec cette date.
  228. Lanthenas.
  229. Nous ne pouvons expliquer cette expression.
  230. Les élections municipales. – Voir lettre 387. Les électeurs avaient été convoqués pour le 6 ; mais un incident les avait fait renvoyer au 18.
  231. Ms. 6239, fol. 224.
  232. Le chanoine Dominique. — On voit que les relations étaient alors tendues à ce point, que Madame Roland, arrivant à Villefranche, s’établissait au second étage de la maison familiale, au-dessus du chanoine qui occupait le premier, sans qu’on communiquât. Mais on se rapprocha en 1791.
  233. Lettres à Bancal, p. 125. ; ms. 9534, fol. 65-66. — En marge : « Rép. le 14 décembre ».
  234. Duport-Dutertre (1754-1793) avait remplacé, le 21 novembre 1790, au ministère de la justice, l’archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé ; démissionnaire le 22 mars 1792, guillotiné le 28 novembre 1793.
  235. Duportail, ministre de la guerre depuis le 16 novembre 1790, à la place de La Tour du Pin ; démissionnaire le 5 décembre 1791.
  236. Le comte Charles-Pierre Claret de Fleurieu (1738-1810), ministre de la marine le 24 octobre 1790, jusqu’au 16 mai 1791, puis membre des Anciens, conseiller d’État, sénateur, etc. – Il était de Lyon, et frère de Claret de Fleurieu de La Tourrette (1729-1793), secrétaire perpétuel de l’Académie de Lyon, avec lequel Roland était en excellentes relations.
  237. Le duel de Ch. de Lameth avec le maréchal de Castries est du 12 novembre 1790.
  238. « Lors des élections par les États généraux, Charles Lameth eut une altercation avec un officier, nommé Blot de Chauvigny, auquel il faisait obsever qu’il n’avait pas l’âge requis pour l’élection. Lameth avait oublié cette affaire, lorsque, environ deux ans après cet officier s’avisa de lui en demander raison… Lameth répondit au provocateur : « Vous avez attendu vingt-deux mois, vous attendrez bien encore la fin de la législature… » Mém. de Brissot, III, 179.) Cet incident n’en fut pas moins le point de départ du duel de Lameth et de Castries. — Voir au Mémoires de Brissot, ibid, 181, une note curieuse de l’éditeur sur le rôle de Chauvigny en 1814, à la fois proviseur impérial du lyccée de Dijon et agent secret de Louis XVIII.
  239. Décret du 20 novembre 1790. — Avignon ne fut réuni à la France que le 14 septembre 1791.
  240. « Lettre à Barnave sur les rapports concernant les colonies », 1 volume in-8o, 16 pages. — Voir Mém. de Brissot, III, 149.
  241. La mère de Roland, Thérèse Bessye de Montazan. – Voir Appendice C.
  242. V. lettre du 28 octobre 1790, note 3.
  243. Roland ne fut pas élu. C’est Bret qui fut choisi, avec Lémontey (le futur député à la Législative) pour substitut.
  244. Lord Stanhope (1753-1816) qui, quoique beau-frère de Pitt, était un partisan de la France et de la Révolution. — Voir sur la Société des Amis de la Révolution à Londres, la lettre du 13 octobre 1790. — Cf. Beaulieu, II, 263.
  245. Sur Granville Sharp, voir les Mémoires de Brissot, II, passim.
  246. Les lettres de M. d’Eu à Bosc, que possède M. Alexandre Beljame, et dont vingt et une, vraiment intéressantes, sont de l’année 1789, confirment cette appréciation. M. Deu parle en royaliste modéré, sensé, mais en royaliste.
  247. « Cette fable, dit l’éditeur de 1835, était jointe à la lettre qui précède et paraissait en faire partie ; nous nous sommes fait un scrupule de la reproduire. » Nous faisons de même. — Elle est aux Papiers Roland, ms. 9534, fol. 68.
  248. Ce qui suit est de Lanthenas.
  249. Baumgartner, inconnu.
  250. Merlin de Douai.
  251. Chapelain, inconnu. — il faut sans doute lire Le Chapelier, un des membres les plus connus de la Constituante.
  252. David Williams (1738-1816), le célèbre publiciste anglais, que Brissot avait connu à Londres dès 1783, qui vint en France, en 1792, collaborer à l’œuvre de Roland et de ses amis, et qui reçut, le 25 août 1792, le titre de citoyens français.
  253. Cette lettre a été publiée pour la première fois en 1820 par Barrière (I, 350), qui devait la tenir de Bosc. Il l’a datée du 8 octobre 1790. Mais il faut lire décembre. Les élections municipales de Lyon, auxquelles la lettre fait allusion, n’eurent lieu qu’en novembre et décembre 1790, et l’élection du maire n’eut lieu que les 16 et 17 décembre (Wahl, 286-287). — Remarquer aussi les allusions à Bancal, qui n’était pas encore parti pour Londres en octobre, ce qui prouve bien que la lettre n’est pas de ce mois-là.
  254. Des brochures anglaises pour Lanthenas.
  255. Collection Alfred Morrison, 1 folio.
  256. La conspiration de Guillin de Pougelon, découverte le 10 décembre 1790, projet de prise d’armes royaliste pour s’emparer de Lyon et en faire le centre d’une insurrection générale (Wahl, 254-285).
  257. Bosc, IV, 137 ; Dauban, II, 583. — Il semble que cette lettre soit un fragment détaché de la précédente.

    Vers le même moment, Madame Roland écrivait à Brissot : « Des comptes et de la raison ! il n’y a que cela pour ordonner les affaires et pour rendre les peuples heureux. » (Fragment de décembre 1790, cité par Sainte-Beuve dans son Introduction aux Lettres à Bancal, p. xxxi.

  258. Lettres à Bancal, p. 136 ; — ms. 9534, fol. 69-70 bis. L’adresse porte : « Chez Mrs Margrave, n° 40, Bury Street, Saint-James. » Et Bosc a ajouté en marge : « Je vous embrasse ; je vous écrirai la semaine prochaine, dans une lettre de Garran. »
  259. Bancal venait de devancer ce conseil. — Voir Patriote français du 26 décembre 1790 : « Extrait de la lettre d’un voyageur français en Angleterre ».
  260. Burke venait de lancer se Réflexions sur la Révolution de France, un des livres qui firent le plus de mal à notre Révolution, surtout en tournant contre elle l’opinion anglaise, qui lui avait été plutôt favorable jusque-là. — L’article de Bancal, du 26 décembre, était précisément une protestation contre le livre de Burke.
  261. Calonne avait publié : De l’état de la France, présent et avenir, in-8o, Londres, octobre 1790, 1 volume in-8o. — Observations sur les finances, Londres, in-4o, 1790.
  262. Mounier, alors en Suisse, avait publié : Appel au tribunal de l’opinion publique du rapport de M. Chabroud et du Décret rendu par l’Assemblée nationale le 2 octobre 1790, Genève, 1790. — C’était une protestation contre le décret qui refusait d’autoriser les poursuites demandées par Le Châtelet de Paris contre Mirabeau et le duc d’Orléans, au sujet des journées d’octobre 1789.
  263. Quintus Capitolinus aux Romains, extrait du 3e livre de Tite-Live [Genève, novembre], 1790, in-8o .
  264. Patriote français du 25 décembre 1790 : « Lyon, 20 décembre. Hier furent admins dans l’assemblée [des Amis de la Constitution, de Lyon] deux membres, l’un de la Société des Amis de la Constitution de Clermont-Ferrand, l’autre de celle d’Issoire… Ils venaient nous offrir leur vie, leurs fortunes et leur sang, pour nous préserver du malheur d’une contre-révolution, etc… »
  265. Guillin de Pougelon et ses complices, d’Escars et Terrasse, d’abord incarcérés à Pierre-Seize, furent transférés à Paris, à l’Abbaye, par un décret de l’Assemblée du 18 décembre, mais ne partirent que dans les premiers jours de janvier 1791 (Tuetey, I, 1513 et suiv.). — L’amnistie du 15 septembre 1791, qui accompagna la promulgation de la Constitution, leur rendit la liberté.
  266. Le transfert des prisonniers avait été retardé par prudence. On craignait qu’ils ne fussent enlevés en route (Wahl, 284).
  267. Alexis-Antoine Regny, « trésorier et receveur général des deniers communs, dons et octrois de la ville et communauté de Lyon, écuyer ». (Alm. de Lyon, de 1789.) — La nouvelle organisation municipale supprimait son emploi. Mais il fallait qu’il rendît ses comptes.
  268. Vitet avait été installé le 23 décembre.
  269. Bret.
  270. Joseph Servan de Gerbey (1741-1808), qui fut ministre de la guerre du 9 mai au 12 juin, puis du 10 août au 3 octobre 1792. — On verra plus loin, surtout dans les lettres de 1792, l’étroite amitié qui se forma entre les Roland et lui.
  271. Ce qui est de Lanthenas.
  272. C’était le général qui commandait les troupes envoyées à Lyon après l’émeute du juillet 1790 (voir lettre 379). — On le soupçconnait de complicité avec les conspirateurs, et l’Assemblée, dans son décret du 18 décembre sur la translation à Paris des prisonniers, avait réclamé son éloignement.