Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1782

Imprimerie nationale (p. NP-208).
ANNÉE 1782.



AVERTISSEMENT.

Au début de l’année 1782, Roland est encore à Paris, pendant que sa femme achève sa convalescence et parvient, à force de volonté, à redevenir la nourrice de sa fille.

Il dut rentrer à Amiens le 13 février, car la dernière lettre que Madame Roland lui adresse à Paris est du 9, et le même jour (ms. 6240, fol. 146) il annonce son retour pour le 13.

Tous les mois suivants se passent à Amiens ; c’est de là qu’il écrit à Bosc, le 20 mai (ms. 6240, fol. 97), et aux demoiselles Malortie, le 7 juillet (ms. 6241, fol. 236-237); il y est tout occupé de mettre la dernière main à l’Art du tourbier et de commencer la rédaction de son grand ouvrage, le Dictionnaire des Manufactures pour l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke.

Entre le 1er  et le 17 août, il retourne passer quelques jours à Paris.

En septembre, il se rend avec sa femme en Beaujolais, pour poursuivre (vainement, à ce qu’il semble) la cession du Clos, que son frère aîné, le chanoine Dominique, lui avait fait espérer. Mais ce voyage, dont nous ne trouvons qu’une trace (lettre du 12 septembre), dut être de courte durée, et l’année

se termina à Amiens sans autre incident.

32

À ROLAND, À PARIS[1].
[1er  janvier 1782], mardi après-midi, — d’Amiens.

Si jamais je pouvais te gronder, je te gronderais bien fort aujourd’hui, mon bon ami ; est-il donc possible et même raisonnable de t’inquiéter comme tu fais d’après les nouvelles que je te donne ? Tu me ferais, en vérité, regretter de te tout dire. Si je t’écrivais tout bonnement que ma convalescence va son train ; que le mieux, sans faire des progrès rapides, dans une saison qui s’y oppose, augmente cependant tous les jours, je te dirais la vérité et tu serais content. Mais tu veux des détails, je les ai promis, je les donne, et tu t’appesantis sur les maux passagers, inséparables de l’état qui devance un rétablissement parfait, sans égard à l’ensemble des résultats propres à nous consoler. On dirait que tu te plais à multiplier tes tourments. Sais-tu bien que tu me désolerais et que bientôt tes inquiétudes me feraient plus de mal que tout le reste. J’ai reçu hier ta lettre du 29 après l’expédition de la mienne par les bureaux ; le courrier arrive présentement fort tard ; il y avait à la Poste plus de vingt personnes qui attendaient la distribution des paquets lorsque j’y ai fait porter le mien à près de midi ; il ne faut plus compter pouvoir répondre par le même ordinaire. Ce matin m’est parvenue ta missive de dimanche au soir[2] ; je t’adresse celle-ci directement, ce qui n’empêchera pas que je t’envoie quelque chose par l’autre voie. Je suis pressée de t’apprendre que je me sens mieux encore, et de te savoir plus tranquille. Ma dernière médecine a dissipé ces faims dévorantes qui me rendaient cruel le besoin de manger ; j’ai de l’appétit sans douleur ni défaillance. Je reprends sommeil sans être aidée de l’opium ; voilà trois jours que je ne prends plus de bol ; deux nuits ont été passables, la dernière excellente ; je ressens un peu de colique pour aller à la garde-robe, mais je n’y ai été qu’une fois hier et aujourd’hui ; encore avais-je oublié le quinquina à souper. J’ai mangé du poulet ces deux jours à dîner et je m’en suis bien trouvée. Enfin j’ai sensiblement plus de force et tout me fait espérer que j’approche davantage à chaque instant d’une parfaite santé.

Mes plus vives douleurs actuellement sont celles de ma fille, elle fait des cris qui me déchirent ; son dévoiement continue ; je ne doute pas que ce soit le germe des dents qui la tourmentent déjà : si je ne reviens pas en état de lui donner le sein dans le fort de cette crise, il est à croire que je ne pourrai la conserver. Mme  Le Reboul[3] elle-même observe dans son ouvrage que la mauvaise disposition de l’estomac des enfants dans ce temps-là leur fait un absolu besoin du téton, faute duquel on en a vu beaucoup périr à cette époque.

Je viens d’écrire au médecin, il est indisposé, doit faire en sorte de venir demain et me fait dire en attendant qu’il ne faut pas m’effrayer et que je dois continuer pour la petite son régime ordinaire ; c’est bien le sentiment de Marie-Jeanne et des bonnes femmes qui ont toujours peur que ces petits êtres ne mangent point assez ; moi j’opinais à ménager les aliments en les donnant plus légers, et je ne juge rien de mieux pour un estomac dérangé par quelque cause que ce puisse être. On répond que les enfants ne sont pas dans le cas des adultes chez qui la dose des humeurs fait de la diète une nécessité ; qu’il faut aux premiers, pour supporter leur mal même, une force que l’on diminue en retranchant de la nourriture. Puis je veillerai à faire suivre, mes principes, et, quand je serai dans mon lit, on fera manger la petite, croyant nous rendre service à toutes les deux. Qui aura raison ? Je ne le sais guère : mais je vois évidemment que le sein de la mère trancherait promptement toutes les difficultés. Je suis vraiment affligée, je te le confesse avec cette effusion de tendresse qui adoucit tous les chagrins, Ne va pas augmenter les miens par tes craintes, tandis que la nature se prête assez bien à ma guérison. Ils veulent me persuader que mon lait reviendra ; sera-ce assez à temps ? ou croient-ils que l’espoir, même non fondé, me soit un remède nécessaire ?

J’ai commencé cette lettre pour te consoler par l’exposé fidèle du mieux que j’éprouve, et je m’abandonne à l’expression d’une inquiétude qui t’en fera prendre d’une autre espèce. Va, je serais bien embarrassée pour te voiler l’état de mon cœur ; puis-je te cacher ce qu’il ressent ! Ne t’arrête pas au mouvement douloureux qui m’agite, tu sais comme les affections se succèdent ; ma fille va peut-être s’endormir, et l’espoir et ma gaieté renaîtront avec sa tranquillité.

Adieu, cher et tendre ami, je t’écrirai ce soir et demain matin pour vendredi.


33

[À ROLAND, À PARIS[4].]
[1er janvier 1782. — d’Amiens.]

… eu la précaution d’accompagner leur argent d’un billet propre à prévenir cette idée. Ma coiffeuse est accourue en pleurs, comme une étourdie, sans avoir lu le billet, ni compté l’argent, me faisant mille excuses si quelquefois elle avait manqué d’exactitude et me priant de l’oublier ; je n’ai pu m’empècher de rire, elle en était plus déconcertée ; c’était une scène de comédie.

J’ai passé une journée excellente ; je suis si bien, que ma garde demande à retourner chez elle samedi ; elle me prie en même temps de lui permettre de venir sans intérêt coucher près de moi jusqu’à ton retour ; cette brave fille m’a touchée, elle est d’un cœur et d’un dévouement sans pareil, on ne paye point avec de l’argent des services comme les siens. Elle fait ma lessive avant de partir, des confitures de gelée de pommes pour remonter ma provision que nous avons entamée de bonne heure, mille autres petites choses utiles et agréables. Je l’aurai toujours sous ma main à volonté pour toutes les occasions possibles, elle s’y offre sincèrement même dans le cas où je me trouverais sans cuisinière, pour me servir en attendant. Celle que j’ai est propre, plus posée que la précédente, passablement entendue et assez douce ; mais ce n’est pas de la vieille roche, ce n’est point une Marie-Jeanne à laquelle on puisse tout confier ; il faut au contraire tout veiller et conduire, pour la bonne économie ; elle me paraît de bonne volonté, et je l’habitue à être tenue de court.

Je ne reviens pas de ce que tu me dis ; une lettre impertinente du Longponien[5] ! Je ne conçois pas cela, je n’y vois absolument rien.

As-tu ton livre enfin[6] ? Pour moi, je n’entends pas plus parler du relieur que des libraires ; quels pays et quels habitants ! Je ferais bien chorus : O quando ! … Tous tes gens sont ce que je les estime, bons à jeter aux chiens ; c’est une pitié que ces petits importants qui font mille questions dont ils n’attendent pas les réponses, et qui ne se soucient de rien moins que des choses qu’ils ont l’impertinence d’ordonner. Je t’accompagnerai loin d’eux, de grand cœur, pour aller cultiver notre champ.

Tu te couches bien tard, mon ami, tu te fatigues sans songer à moi à qui tu recommandes tant de ménagements ; nous aurons bien gagné à dorloter une moitié si l’autre s’oublie comme tu fais ! Prends garde à ne pas me chagriner et souviens-toi que cela ne peut manquer d’arriver si tu te tourmentes de quelque manière que ce soit.

Plus sage que toi, je vais me coucher à dix heures ; j’ai soupe avec des haricots verts de ma provision que j’ai voulu éprouver et qui sont aussi bons qu’ils peuvent l’être.

Je vais te faire à part une note de mes graines à acheter, laissant cette place, pour te dire demain un bonjour ; en attendant, bonsoir au camarade ; adieu, cher ami.

Le deux au matin. Jamais je n’ai fait une meilleure nuit que la précédente : j’ai dormi depuis onze heures jusqu’à six et demie, tout d’un somme ; encore ai-je été réveillée par les cris de ma petite, qui, de dessus le jardin où tu sais, a eu ce pouvoir, tandis que Marie-Jeanne, rentrée dans ma chambre, couchée près de moi, levée, sortie, avait fait tout cela sans m’interrompre.

Je ne suis pas émerveillée de ma cuisinière ; j’avais recommandé de la diligence aujourd’hui, on a tout laissé faire à Marie-Jeanne ; je crois que cette engeance me donnera enfin de l’aigreur.

Adieu, bon ami, sois en paix, sois content, fais tes affaires tranquillement ; tu me retrouveras bien portante, et t’aimant toujours plus que ma vie ; je t’embrasse de tout mon cœur.


34

[À ROLAND, À PARIS[7].]
Jeudi au soir, 3 janvier 1782. — [D’Amiens.]

Enfin, mon bon ami, nous allons bien et tu as causé[8], tout ira par merveilles. J’ai reçu hier ta lettre du 31, encore écrite à heure indue, et qui, par cette raison, me fournit de nouveau l’occasion de te gronder. Pourquoi te coucher si tard, après avoir tant couru le jour ? Ne pourrais-tu m’écrire avant souper et ménager ainsi tes instants pour ta personne, comme celle-ci pour moi ?

M. de Bray était présent à cette réception ; il me pria de ne pas différer ma lecture, que je fis alors très rapidement sans apercevoir ce qui le concernait. Il te dit mille choses et te prie de faire passer l’incluse à Longpont. Bienvenus soient chocolat, cacao et le reste dans son temps ; je ferai fête à toutes ces choses ; mais non à tes remèdes dont je n’ai plus que faire. Je savais l’un des deux depuis long-temps, sans y avoir pour cela mieux songé dans l’occasion ; Je suis au mieux, mon bon ami ; si tu t’avises encore de te tourmenter, je crois que je prendrai la poste à mon tour pour aller te prouver combien tu aurais tort. Ta mauvaise humeur contre mon petit médecin ne vient pas à propos ; imagine-toi qu’avant de lire tes doléances, j’avais passé une heure et demie avec ce docteur à causer très joliment sur son état et mille autres choses ; je venais de prendre une idée très avantageuse de sa bonne foi, de l’honnêteté de son âme, de la solidité de son jugement, comment pouvais-je trouver tes réclamations ? Il peut n’être pas bien savant, et j’avoue que la situation de sa femme est un terrible argument contre lui, mais il a un sens droit et, je crois, des vues désintéressées. Il convient que la médecine est fondée, en plus grande partie, sur des conjectures et que l’expectante est la seule qu’un homme droit et prudent doive pratiquer, que les drogues, ordinairement pernicieuses, ne doivent être administrées qu’avec la plus grande réserve ; que l’étude du tempérament et des fantaisies du malade, le régime et les avis propres à rétablir le calme dans l’esprit, sont les principaux objets et remèdes que le médecin ait à considérer et à employer, etc., etc. Que te dirai-je ? Il m’a paru aussi franc que raisonnable, ses raisonnements entraient dans mes principes ; je l’estime davantage et j’ai pris quelque degré de confiance depuis cet entretien. Nous avons parlé de la chimie tant cultivée aujourd’hui, et des gens à réputation dans ce genre…… Il me parait bien plus partisan de Stahl[9] que de M. Sage[10], à la différence de son ami L’Apostole, qui ne jure que par ce dernier ; j’ai appris qu’au sujet du cours d’expériences que L’Apostole se propose d’ouvrir à la fin de ce mois, M. de Bray lui avait dit qu’il avait un ami absent qui serait certainement charmé de suivre ces expériences, et qu’il désirerait pour cet ami que M. L’Apostole ne commençât pas avant son retour. J’ai trouvé cela un peu aventuré de la part de M. de Bray ; ce que pourtant je n’ai pas fait connaître au médecin, qui m’a dit tenir ce propos de L’Apostole ; j’ai paru seulement d’une parfaite ignorance sur cet article : ce qui était très vrai. M. Lanthenas n’ignore pas sans doute avec quelle adresse M. Sage profite de la découverte, faite par un chimiste allemand, d’un acide dans les végétaux dont les propriétés sont semblables à celles de son cher favori, l’acide phosphorique ? Il répète toutes les expériences du savant étranger, en fait de nouvelles sur les substances de tous les règnes, pour prouver sa grande thèse, l’universalité de cet acide, avec une ardeur incroyable. Mais ne me sied-il pas bien de mêler ma musique aux ergo de vos docteurs ? Passons donc à autre chose, ou plutôt revenons à ma santé, car je sens bien que tu n’es pas rassasié sur ce chapitre.

Eh bien, j’ai eu encore une nuit calme et délicieuse, un sommeil doux et restaurant ; quinquina, vin d’Espagne me font digérer parfaitement : je suis à la nourriture ordinaire, avec quelques précautions cependant. J’ai dîné avec des huîtres, de la soupe aux herbes et du mouton grillé, après avoir été cuit au pot ; modérément quant à la quantité, mais très bien au total. J’avais pris au déjeuner une bonne tasse de café, teinté de lait ; c’est le premier usage que je fasse de ce dernier et je m’en suis bien trouvée. Mon docteur me dit que le café est un amer qui me fera autant de bien que le quinquina, j’en suis très aise, je le prends avec volupté. Tu as grand’raison d’être indulgent sur l’article de la friandise, pour nous deux ta fille ; nous donnons, elle et moi, terriblement prise de ce côté-là.

Pauvre ami ! n’es-tu pas bien à plaindre d’avoir une femme qui, loin de devenir meilleure par les maladies, en acquiert de nouveaux défauts ?

Notre petite va mieux ; la crise diminue : elle a toujours le ventre relâché, mais moins de coliques, plus de sommeil et d’appétit.

J’aurais bien encore quelque chose à te dire, si ton inquiète tendresse, facile à s’alarmer, ne me faisait craindre de lui fournir des prétextes, tandis que tu devrais être tranquille ; mais je sais aussi quel crime tu me fais de la moindre réserve que ton agitation et le désir de te voir en paix me font avoir. Rappelle-toi donc que je mange, digère et dors bien, que je n’ai plus de coliques et que les forces reviennent ; qu’enfin je ne fais rien sans examen et sans conseil ; puis sache que, du premier jour de l’an, j’ai fait revenir la femme à tirer le lait. Elle vient le matin à dix heures et le soir à cinq et demie, moments où la digestion ne peut être interrompue par l’opération ; je déjeune à huit et je demeure au lit pour me faire tirer, afin de me reposer un peu après. Les deux premiers jours, nous n’avons obtenu que des gouttes d’une eau glaireuse et salée ; ce matin, cette eau était blanchâtre et plus douce ; le médecin et tous croient fermement que mon lait reviendra à mesure que je prendrai plus d’aliments et plus de forces. Je m’occupe à mettre de l’eau et du sel aujourd’hui sur les mamelons, que la cessation de donner à téter, jointe à la maladie, a rendus presque aussi tendres que dans les commencements. Celui qui était resté intact s’est déjà un peu écorché : me voilà aux soins d’une nouvelle accouchée, mais c’est une amusette s’ils ne sont pas inutiles. Sois en paix, nous allons doucement, avec prudence, et le moindre ralentissement dans le mieux nous ferait arrêter tout court. Au lieu de m’envoyer des recettes de lavements, tu ferais bien de m’en chercher pour favoriser le retour du lait. Ma garde et toutes les bonnes femmes m’ont prêché l’eau distillée de verveine ; mon médecin m’a assurée qu’elle ne me ferait pas de mal, sans m’en promettre beaucoup d’effet. Sa première affirmation m’a déterminée à en faire l’essai ; j’en bois avec mon vin ; c’est un assez mauvais ragoût. Que veux-tu ? Si la nature me refuse les privilèges qui appartiennent aux mères, il faut au moins que tout le tort soit de son côté.

Je suis plus contente de ma cuisinière ; elle a montré beaucoup d’ardeur à réparer la négligence de la veille ; on s’est entendu hier, et, après que j’ai été couchée, on a poussé le travail de la lessive, jusqu’à trois heures du matin ; de manière qu’on a pu profiter du vent d’aujourd’hui pour faire sécher beaucoup de choses.

J’ai rangé dans ton cabinet, visité la cave et le grenier ; j’ai serré dans la première du Rota[11] et du vin d’Espagne, j’ai trouvé certaine demi-bouteille, contenant une liqueur dont tu as oublié le nom, à demi vidée par la pourriture du bouchon ; j’en ai tiré ce qui restait dans deux fioles ; je croirais, à l’odeur et au goût, que c’est de l’eau-de-vie d’Andail[12] ; mais sa couleur est rougeâtre ; d’ailleurs sa qualité est altérée.

Je me suis interrompue ici pour me faire tirer ; le sein gauche particulièrement a fourni des gouttes de lait clair et faible, j’en ai fait sortir cinq ou six par le seul pressement de mes doigts ; toutes ces femmes ont parti d’un éclat de rire à l’exclamation enfantine de surprise et de plaisir qui m’est échappée lorsque je les ai vues sortir ; car j’avais et je témoignais toujours du doute de ce que ma téteuse me disait sentir dans sa bouche. J’ai de l’espérance qui contribuera encore à mon rétablissement par la gaieté qu’elle me donne.

J’ai envoyé un billet au relieur, je lui dis de m’apporter les exemplaires samedi en tel état qu’ils soient ; je trouverai à les faire brocher par un autre.

L’histoire de la bru[13] t’a donc amusé ? Tu aurais été indigné, comme moi, de l’histoire du lendemain. La petite fille est venue passer la matinée chez Mme  d’Eu où elle s’est répandue en invectives contre ces vieilles insolentes qui feraient bien de s’en aller à l’autre monde et à qui elle allait laver la tête.

J’ai dit à M. d’Eu et au Sigisbée (ils n’étaient pas ensemble), qui m’ont raconté l’aventure, que je voudrais pour tout au monde avoir été à la place de Mme  d’Eu ; que je ne concevais pas qu’on eût la mollesse d’écouter de pareilles impertinences sans faire rougir ceux qui avaient le front de les débiter à des gens honnêtes ; qu’il était vrai qu’on se liait les mains quand on voulait tout ménager, mais que c’était un esclavage volontaire et qu’au bout du compte on n’en était pas plus mal avec ces petites sottes, quand on les rangeait à leur devoir. J’étais vraiment agacée ; l’ami de V[in] m’a répondu tout bonnement : « Que voulez-vous ? Mme  d’Eu n’est pas de grande défense ; elle n’a ni bouche, ni éperons ». Je ne la juge pas, lui dis-je ; je sais seulement que Mme  de B[ray] ne m’en dirait sûrement pas autant qu’à elle, quoique je ne fasse pas grand bruit et que je veuille bien, assez souvent, garder le silence comme une jeune fille. Quant à la petite femme, je ne crois pas qu’elle me choisisse jamais pour sa confidente.

Le mari balbutiait comme tu sais ; c’était bien à lui que j’adressais l’épigramme des ménagements. Il me dit que sa femme avait donné à l’autre des raisons à sa portée, en lui remettant son propre intérêt devant les yeux. Il est bien question de raisonner avec des brutes qu’il faut mater ! Point, point d’énergie nulle part ; tous ces gens-là sont tiraillés par de petites considérations qui me les font toujours paraître plus petits ; je te jure que de tous nos habitants d’Amiens en bloc, étrangers et autres, je ne donnerais pas un iota.

La femme de chambre de Mme  de Chuignes est venue me présenter de sa part compliments et heureux souhaits, témoignant pour elle des craintes de s’exposer au froid et pensant qu’il pouvait me gêner de sortir. C’est fort bien penser, ai-je répondu ; je ne sors pas de ma chambre, et je redoute le froid plus que Mme  de Ch[uignes] ne peut le craindre. Du reste, beaucoup d’informations de toi, de nos santés ; beaucoup d’honnêtetés de part et d’autre. Je ne puis pas m’ôter de l’esprit que le dernier membre de la phrase de cette femme de chambre soit de son cru, tant il me semble mal digéré ; mais ce qu’il y a de sûr et ce que j’ai gardé in petto, c’est que de toutes les personnes que j’irai voir quand je sortirai, Mme  de Ch[uignes] sera une des dernières.

Le gros Pourceaugnac[14] suivant ton excellente dénomination, est venu hier, sachant bien que tu étais absent. « Monsieur y est-il ? » — Il est à Paris. — Madame y est ? — Oui », tout court, répond la fille novice, sans ajouter que je n’étais pas visible. — « Vous remettrez ces billets. » J’ai reçu deux Maugd [Maugendre], dont j’ai fait aussitôt de petites cartes pour ma lampe de nuit.

Je ne sais, mais je suis bien aise du répit que tu me donnes pour mes dépêches à Villefranche ; je ne sais écrire qu’à toi… Je mens ; j’ai fait ce matin une lettre pour Crespy. Mais, en somme, j’ai prodigieusement de paresse et je ne m’occupe qu’en vraie femme à ces petits tracas et bêtises de ménage, autour de mon enfant avec lequel je joue comme une autre enfant moi-même, ainsi que tu dis. Elle est encore éveillée actuellement, depuis deux heures d’après-midi, passant alternativement de mes genoux à ceux de sa bonne, mangeant ou buvant toujours, riant, pissant, etc., etc., et surtout s’amusant beaucoup à regarder le feu ou la lumière.

Nous faisons demain nos confitures et Marie-Jeanne m’apprend à faire de la tarte, chose qui ne me déplaît pas, car je suis fort ignare en pâtisserie et ma cuisinière, assez bonne d’ailleurs, n’y entend pas grand’chose. Je crois qu’à tout prendre, j’ai un bon sujet ; le tout est de la mettre dès le commencement sur le bon pied ; on peut la mener ; il faut conduire, mais elle est traitable.

Caron[15] n’a rien retranché du mémoire ; nos gens y ont leur sac, et tout bêtes qu’ils soient, ils se sentiront bien mordus.

Ayant à traiter des fils, cordages, tapis, etc., il faudra bien que tu dises un mot de l’emploi du sparte pour ce dernier objet et quelques autres ; il y en a maintenant à Paris, rue de Popincourt, faubourg Saint-Antoine, une manufacture dont le nommé Berthe[16] est entrepreneur ; on y emploie aussi de la filasse d’aloès, pour rideaux, glands et cordons de sonnettes ; du jonc, façon des Indes, en tapis, etc… Il me semble que tu pourrais chercher à visiter cette manufacture, s’il est possible d’y pénétrer.

Enfin, tes livres sont délivrés ; tu me parais avoir un grand débit d’un certain genre[17], sans compter Goldoni[18] ; à propos de celui-ci, j’ai songé que le frère[19], moins hardi que l’aîné, sans oser le demander, désirait peut-être que tu fisses la même faveur à son abbé Burgot, que je me souviens m’avoir été présenté comme un aide à réviser les épreuves, etc. La tournure de Morin[20] justifie mon idée sur son compte ; je me rappelle l’avoir jugé marchand dans l’âme ; c’est tout dire.

Adieu, jusqu’à demain matin que je te donnerai nouvelles de ma nuit ; j’ai beaucoup agi dans la journée ; je ne suis nullement fatiguée, je me sens renaître à la vie, malgré l’horrible temps qu’il fait. Jamais les vapeurs du lac Copaïs[21] ne furent plus tristes, et plus funestes aux esprits, que celles qui s’élèvent de nos marais tourbeux. Pays et gens, rien ne se dément.


Vendredi matin.

J’ai dormi, la tête à peine sur le chevet, où je l’ai posée à près d’onze heures, pour m’être amusée avec ma fille. Il court encore des rats par la maison. J’en ai été réveillée à quatre heures ; tu croirais qu’ils sont dans ma tête si je n’en avais pris un bien dodu. Passe encore, aux souris qui mangeaient nos confitures ; ces petites bêtes ont un air éveillé, propre et fripon qui ne me déplaît pas : mais les gros vilains rats me font peur ; ils peuvent faire beaucoup de dégât dans le linge s’ils en trouvent : je vais bien veiller à mon grenier.

À peine le jour a-t-il paru que j’ai regardé, pressé mes seins ; tous les deux ont donné des gouttes de lait que j’ai goûté ; il est encore léger, mais fort doux. Je viens de prendre mon café en l’honneur duquel je supprime la tasse de quinquina du matin. Je mangerai une soupe au lait avec des jaunes d’œufs ; j’ai grande hâte d’avoir mes graines ; je n’ai pu retrouver de lentilles, et j’ai besoin de farineux. Il faudra bien recommander à La France[22] qu’il prenne garde à ce qu’il n’y ait pas de pucerons ; on dit que tous les pois d’ici en sont infectés et que c’est très malsain.

Je n’ai pas mis les petites cuillers sur ma liste, bien persuadée que tu ne les oublierais pas.

Tu ne me dis pas un mot de ta santé, de l’Esculape, de ce qu’il te fait, de ce que tu en ressens ; ce silence me cause une impatience cruelle ; j’imagine à mon tour que tu n’as rien de bon à m’apprendre, ou que tu négliges des soins importants, autant que tu oublies de m’instruire de ce qui est à cet égard.

Je ne me familiarise pas avec l’idée du Longponien t’écrivant du ton que tu dis ; il faut qu’il y ait là-dessous quelque malentendu, cela me fâche vraiment. Il faut aussi que ce soit réel, pour t’empêcher d’aller le voir ; cette ombre de refroidissement m’afflige. Fondée sur quoi, à quel propos cette impertinence ? Je n’y vois goutte et n’y comprends pas davantage.

J’ai vu hier à la cave qu’il importait de faire tirer mon vin ; te tonneau est tout couvert de moisissure. Ma garde et mon médecin payés, j’aurai dépensé la moitié de mon mois ; deux cents bouteilles et deux cordes de bois à acheter avanceront bien l’autre moitié : resteront l’apothicaire et le ménage jusqu’en février. Dans le besoin ne pourrai-je pas demander trois ou quatre louis a Flesselles ?

Mme  Coquerel[23] a envoyé chercher son loyer ; j’ai reçu sa quittance.

Voilà bien des causeries de ménage ; on n’est pas mari pour rien.

Je suis fâchée que nous n’ayons pas de nouvelles de Messine ; les épreuves que l’on subit intéressent et attachent davantage à ceux qui en ont souffert de pareilles ou à peu près. Je suis en peine de ce brave M. Lallemant[24] qui te jugeait si bien et qui a essuyé tant de malheurs.

Adieu, bon ami, j’attends de tes nouvelles avec empressement et je t’embrasse de tout mon cœur.

Salut et amitiés au fidèle Achate.


35

[À ROLAND, À PARIS[25].]
À onze heure un quart [du matin]. Le 4 [janvier 1782, — d’Amiens].

Je reçois tes deux paquets du deux du courant ; le mien est fait et je mettrai ce mot dans le mémoire dont je t’envoie les deux exemplaires demandés[26].

J’ai lu les lettres du Longponien ; mon bon ami, tu as été un peu vif ; il y avait de l’amitié dans sa lettre, et seulement un peu de ce ton sermonneur dont il peut avoir pris l’habitude. Tu étais assurément dans une disposition triste quand tu as lu sa missive, et tu n’as pu réfléchir qu’il pouvait lui-même l’avoir faite dans un moment moins heureux que beaucoup d’autres. S’il avait eu la moindre envie de te tirer dessus, ta terrible réponse ne lui aurait pas fait écrire en second du ton qu’il a pris.

M. d’Huez t’a parlé en étourdi, comme il est, et je le reconnais bien là, voulant faire le plaisant et paraître un personnage[27]. Si tu voulais me faire un plaisir sensible, tu irais à Longpont ; si j’osais, je te dirais que je t’en prie : mais pourquoi ne l’oserais-je pas ? c’est suivre mon cœur, et je ne puis le trahir. Va voir ton frère, mon ami, reviens content ; c’est ce qui arrivera quand tu l’auras vu. Il a prêché, en écrivant, comme notre voyageur Chompré[28] vendait en dormant ; ne voilà-t-il pas un grand crime ? Au bout du compte, on voit que l’intérêt de l’attachement perce dans ses expressions. Je connais si bien la sensibilité de ton âme que je ne suis pas étonnée qu’elle s’irrite parfois d’une apparence désagréable ; ton frère te connaît aussi bien et ne fait sûrement que t’en chérir davantage ; va le voir, je t’en conjure ; c’est celui de tous avec lequel tu as eu le plus d’intimité ; je ne puis te dire ce que je souffrirais de voir le moindre nuage entre vous ; va lui porter pour moi le baiser de paix, et que la confiance, la joie, renaissent comme au temps jadis.

Je t’embrasse toi-même avec un attendrissement que je ne saurais exprimer. L’heure me presse : il est plus tard que je ne croyais.

36

[À ROLAND, À PARIS[29].]
6 janvier 1782, — d’Amiens.

J’ai reçu ce matin, mon bon ami, avec l’empressement et la sensibilité que tu me connais pour tout ce qui vient de toi, la lettre où sont renfermées tes consultations pour notre petite ; son état, heureusement, me permet de ne pas faire usage de toutes en ce moment, mais je les crois très utiles ; je les conserverai avec soin et je vais employer l’expédient que tu m’indiques pour lui faire prendre du lait. Je le trouve excellent : il m’arrive d’autant plus à propos, que j’étais toujours tourmentée par la crainte qu’elle n’avalât beaucoup de vents avec notre suçon de toile, meilleur pour elle cependant que la cuiller qu’elle rebute, et propre à lui conserver l’aptitude à prendre le sein. Aussi se jette-t-elle dessus celui-ci, lorsque je le lui présente ; mais elle y trouve à peine de quoi humecter le bout de sa langue, et je ne puis l’y laisser qu’un instant pour qu’elle ne s’impatiente ou ne se fatigue pas.

Son dévoiement va toujours en diminuant : voilà trois nuit qu’elle passe paisiblement, et ses excréments ne sont plus verts ; elle est enfin beaucoup mieux. Je crois effectivement que ce ne sont pas les dents qui lui ont causé ce mal-être, et j’imagine en avoir trouvé la cause : elle a pris au commencement de son sevrage de mauvais lait de vache ; l’horrible Joséphine, que je hais franchement, nous en imposait en disant quelle voyait traire de l’animal celui qu’elle apportait ; je te conterai cette fraude ; nous avons substitué un meilleur lait, qui sans doute aura fait révolution en chassant l’humeur produite par le précédent.

Nous avons joué ces derniers soirs en mettant ce pauvre enfant, débarrassé de ses langes, sur une couverture étendue par terre à quelque distance du feu ; je suis assise, comme présidente, sur un petit marche-pied ; les trois filles, à genoux autour de la couverture, regardent, jargonnent, badinent et sont aussi jeunes que la mère, qui fait l’enfant comme sa petite. Je me porte toujours mieux, et je te dis très vrai ; je dors cinq à six heures sans me réveiller, et, loin de me ressentir de la maladie, je suis plutôt déjà disposée au resserrement qu’à l’état contraire. Aussi j’aide encore l’estomac, pour ne pas faire de changement brusque, mais je diminue la fréquence et les doses du quinquina et du vin d’Espagne. Mon docteur ne revient pas ; j’attends sa première visite pour lui donner ses honoraires. Ma garde est allée chez elle de ce matin ; mais elle viendra coucher jusqu’à ton retour ; elle m’a priée de le souffrir, en ajoutant de ne pas la tourmenter pour rien accepter. Je l’ai payée hier au soir très grassement, mais, quoique je sois gênée dans ce moment, je ne me sentais pas capable de faire moins pour ses services. Elle a passé avec moi trente-six jours, que j’ai tous comptés à vingt sols ; et j’ai mis un petit écu en sus pour de petites choses que je te dirai ; encore lui ai-je donné le tout dans une bourse de filet vert, qui l’a singulièrement flattée, ainsi que ce que je lui ai dit ; il a fallu quelques efforts pour la déterminer à tout prendre.

Je n’hésiterais pas, moi, à la prendre elle-même, si elle était un peu moins âgée ; tout attachée qu’elle soit à son chez elle, je serais bien sûre de la décider : j’en juge par ce qui lui est échappé à deux fois différentes. Je crois bien aussi qu’elle a assez de sens, ou de finesse, pour réfléchir qu’il lui serait avantageux de se trouver avec d’honnêtes gens qui pourraient faire avoir soin d’elle sur ses derniers jours, pour quelques années de service qu’ils en auraient encore eues. Car c’est l’obligation qu’on s’imposerait en ôtant de son propre ménage une fille de sa trempe et de près de soixante ans : elle est sans infirmités, plus forte et plus habile au travail que mes deux jeunes filles ; combien cela durerait-il ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle nous est bien dévouée et que nous l’aurons à notre volonté, dans l’occasion.

Pour finir mes histoires de ménage, j’ajouterai que, par une suite de mon bonheur en cuisinière, ma nouvelle s’est blessée au talon par la chute d’une chaise ; j’avais compris d’abord qu’il n’en était résulté qu’une douleur, et je lui avais fait mettre de l’huile et du vin chauffés ensemble ; ce remède lui a bien fait, comme à toi l’eau de vie et sel, durant vingt-quatre heures, après lesquelles les douleurs sont devenues plus vives ; j’ai voulu voir le mal, j’ai aperçu un petit trou comme celui qui était à ta jambe, la dernière quinzaine de ton mal, et beaucoup d’inflammation autour ; j’ai fait laver soigneusement, puis j’ai appliqué un petit emplâtre de l’onguent qui t’a guéri. Ancelin ne s’y était pas assez bien pris pour toi pour que j’en attendisse mieux dans cette circonstance, et j’ai cru bien faire de m’y prendre ainsi. En cou-séquence de ce mal, on va clopinant, on ne se lève pas de bonne heure, on ne prend pas vite le train leste auquel je veux habituer, et je ne puis beaucoup dire. J’ai quelque peur que cette grande femelle n’ait un peu de cette espèce de lenteur assez ordinaire à celles de sa taille et de son encolure. Je ne saurais encore la bien juger.

Ma femme à tirer continue de venir deux fois le jour ; j’ai toujours du lait au bout des seins : il sort aisément, commence à prendre plus de couleur et de consistance sans être encore sucré, mais je ne le sens point encore monter, tant est petite la quantité que j’en fais. J’espère beaucoup néanmoins ; je n’éprouve pas de fatigue ; d’ailleurs je suis longtemps au lit et je m’en trouve bien, car le matin il y a toujours un peu de gonflement dans les mamelles, tandis que le soir elles n’ont souvent rien, surtout si j’ai un peu agi.

Je mange fort bien ; les trois petits pains, à peu près, disparaissent à nous deux ma fille, et je n’ai pas eu la moindre colique de toute cette semaine. Sois donc enfin, mon cher ami, tranquille et content ; fais en paix tes affaires, ne laisse rien en arrière ; ne reviens près de moi que pour goûter sans diversion les charmes de notre vie occupée. Si tu tardes un peu, peut-être me retrouveras-tu nourrice ; cette idée m’enchante, et je ne fais que me prêter à peine aux plaisirs qu’elle me promet. J’envoie aujourd’hui chez Bariri[30] pour avoir des bouteilles ; je vais employer celle semaine à faire nettoyer et ranger ma maison ; on ne conçoit pas quel désordre j’ai trouvé dans mes ustensiles de cuisine ; il y a de la casse, du dégât de toute espèce : j’en ai de l’indignation.

Tu auras trouvé joint au mémoire un billet que j’écrivis rapidement après la lecture superficielle des lettres du Longponien ; j’ai bien jugé depuis que tu n’avais pas besoin d’être engagé à aller le voir, et tu ne dois regarder mes prières à ce sujet que relativement à l’empressement que tu aurais à me venir trouver et qui pourrait t’empêcher de faire ce petit voyage.

Je t’expédie une pacotille de missives ; j’y joins des lettres que j’ai plus tôt fait de t’envoyer que de te dire que je les ai reçues ; tu trouveras aussi du d’Ornay.

J’aime bien M. de Mtgi[Montigny][31], au Musée, rongeant ses ongles derrière l’homme dont la présence devait lui rappeler la leçon ; tu feras bien d’aller le voir, et de lui parler comme tu te proposes ; mais je ne crois pas qu’il t’en fournisse l’occasion. Le petit M. de LLallemand [Lalande], avec son vilain masque, me parait devoir faire partout une singulière figure ; je ne connais pas le visage de son pendant, mais, à les prendre du côté scientifique, tu n’étais pas mal à la place du milieu. Que devient la triste [affaire] de l’Hoffm[ann], de Strasbourg[32] ? Je suis très aise de ta délivrance ; je crois pouvoir nommer ainsi la liberté de ton ouvrage ; Aristote a bien envie de s’accrocher à toi et, par-dessus tout, de paraître quelque chose. Quoi qu’il fasse cependant, je ne crois pas du tout qu’il ait la confiance de se dire son pittore anch’io ! Notre pauvre amie l’aînée[33] n’est pas en bon état ; je suis persuadée qu’elle a fait effort pour t’écrire ; sa main n’est pas aussi assurée que de coutume. Je lui adresse un mot ; ce n’est pas un plaisir seulement, mais encore une obligation que de prévenir ses amis en pareille circonstance.

Le pistolet est remis sur son arrêt ; j’ai vu ce matin M. Flesselles avant la réception de ta lettre ; je viens de faire un billet que je lui enverrai demain avec le velours.

L’ami De V[in] est venu passer dernièrement toute une soirée avec moi ; il était plus historien que politique, et je temps s’est passé agréablement. M. de By [de Bray] m’a donné la note que je t’envoie pour que tu lui achètes les ouvrages désignés ; je pense qu’il t’aurait consulté auparavant sur leur utilité, si tu eusses été présent pour lui répondre.

C’est fabbé Raynard qui lui a conseillé pour son fils ces lectures primitives, afin de le préparer à tirer quelque fruit du cours d’expériences chimiques auquel il va l’envoyer ; le professeur a surtout beaucoup vanté la Botanographie[34], ouvrage tout à fait nouveau, comme excellent pour donner les éléments de cette aimable science. Le jeune homme me paraît, comme de coutume, entreprendre à la fois beaucoup de choses dont il n’apprendra sans doute aucune. Il étudie l’arpentage, il dessine l’architecture sous les yeux et par les soins du balourd Sellier[35]. qui lui donne pour commencer de petits portiques à copier. La grosse bête ! Malheur à ses élèves ! Je ne sais si la maître de musique et de basse est aussi mauvais que celui de dessin. La sœur et son mari[36] sont venus tantôt en visite ; je ne les ai pas reçus. Les Chamont, de Bry [Bray][37] et autres arrivent à leur tour ; il pleut des cartes qui t’obligeront à visiter aussi.

La signora non è’ancora venuta da me ; ed ha fatto cosa piano più grande certo ch’ella non puo credere. Non sono sbigottita del a tu per tu che dici ; una volta aveva trovato la stessa cosa, e ben aveva sentito ch’io recava dell’ impaccio[38].

Adieu, mon bon ami, tu auras un mot demain matin ; je t’embrasse de tout mon cœur. Amitiés au compagnon.

Lundi, 7. — J’ai dormi à ravir, je me porte bien et je t’aime ; voilà tout ce que tu auras de moi aujourd’hui ; je range, mets des clous, fais écurer, etc. Écrit sur mes genoux au cabinet.


37

[À ROLAND, À PARIS[39].]
Le 8 janvier au soir [1782. — d’Amiens].

Je ne sais, mon bon ami, quand nous sortirons d’embarras ; ceux-ci se succèdent pour nous avec une constance opiniâtre. Ne va pas t’inquiéter de ma personne : je me porte toujours mieux et je puis dire fort bien ; mais, par une suite de mon bonheur en cuisinière, celle que j’ai a son talon si bien hypothéqué qu’il faut la tenir assise, avec la jambe sur une chaise. Tu sais mes raisons pour n’avoir pas envoyé chercher Ancelin et pour avoir préféré de me servir de l’onguent qui t’a guéri un mal semblable ; la suppuration s’est établie telle qu’elle fut à ta jambe ; les douleurs sont vives et la plaie n’ayant (et ne pouvant avoir encore) un air de guérison, la fille a désiré voir une dame de cette ville qu’on lui a vantée et dont on dit avoir vu des cures merveilleuses ; je ne m’y suis pas opposée ; cette dame lui a conseillé d’appliquer pour tout onguent une sorte d’emplâtre fait de pain bis, de petite bière et de suif de chandelle, bouillis ensemble et réduits en pâte. Nous lèverons ce soir le premier appareil. En attendant, il a fallu recourir à Marie-Jeanne pour les petites courses et la besogne du ménage, de manière qu’au lieu de retourner chez elle ce matin, elle est restée et va continuer jusqu’à ce que je puisse tirer meilleur parti de l’autre.

Je ne puis me défendre actuellement de répondre, avant tout, à l’observation qui fait l’objet principal de ta dernière lettre[40] ; j’en sens toute la force et l’importance, autant qu’il soit possible, puisque je vois s’écouler de mes mains ce que mille choses à avoir donnent le besoin de ménager. Mais, de ce que tu appelles mes générosités, je n’ai rien fait dont nous ne fussions convenus, à l’exception de mon nourrisson, qui ne fait même que remplacer Joséphine à laquelle j’aurais donné si elle était restée ; car la nouvelle arrivée n’a rien eu ; non plus que Saint-Pierre, qui est venu le 1er jour de l’an, la gueule enfarinée, et qui s’en est allé tout penaud, chose qui est merveilleusement dans son caractère et qui m’a un peu fait rire.

Au reste, si je te réponds, ce n’est pas pour me plaindre de ta réflexion : elle est trop raisonnable et trop fondée ; c’est seulement pour te dire aussi tout ce que je vois, et tout ce qui me vient. Qu’auras-tu pensé de ce que j’ai fait pour ma garde ? Tu me le diras, j’espère, et ton jugement me guidera pour une autre fois.

Je me suis donné beaucoup de mouvement, ces deux jours derniers, pour des soins de propreté que le malaise de Marianne dérange beaucoup, à mon grand déplaisir ; j’étais hier en vraie ménagère, lorsque M. d’Eu est venu me communiquer ta lettre et m’en remettre une sans adresse, qu’il jugeait être pour moi ; je lui dis que j’en avais reçu de toi et que celle en question regardait, sans doute, M. de Vins ; il insista pour que je l’ouvrisse, comme chose de convenance ; il ne fallut que la première ligne pour confirmer mon jugement. La véritable raison de son empressement à m’apporter le tout m’a semblé être la curiosité de savoir l’histoire de la perruque, dont il n’avait pas connaissance ; cette bagatelle, qui n’est vraiment lien que cela, n’a pas paru lui faire aucune impression, parce qu’il est habitué, je crois, à tolérer le ridicule cher Mme  Gigogne[41], ou qu’il se fait une loi de ne pas trop blâmer ce qui se passe dans ce tripot. À propos de cela, on dit cette charmante fort mal avec l’intendant, presque aussi mal qu’avec son mari ; ce n’est pas pour rire, comme tu vois ; Monseigneur l’a désobligée chez elle, devant quinze ou vingt Béotiens, par un silence méprisant, pour toute réponse aux plaintes qu’elle lui portait contre un de ses domestiques. On particularise encore d’autres bêtises, on pense qu’elle pourrait bien être renvoyée toute seule dans sa Bretagne ; cette affaire excite un coassement universel parmi toutes nos grenouilles.

Autre chose, qui fait autant de bruit par l’idée de celui que produira l’événement ; c’est une comédie intitulée : La Femme nouvelliste, dont l’auteur, certain M. Deville[42], jeune homme de notre marais, faisant métier de ne rien faire, a prétendu peindre et critiquer toutes nos belles et autres ; chacune aura son paquet ; sans doute, chacune croira reconnaître sa voisine dans le portrait qui peut-être aura été fait pour elle-même. Le principal personnage est une femme bel esprit débitant beaucoup de sottises. La première représentation est fixée au jeudi 17. Tous se récrient qu’il y aura du tumulte, par les huées, les sifflets qui ne peuvent manquer d’avoir lieu ; déjà on a arrêté qu’il y aurait au parterre deux sentinelles de plus que de coutume. On croit très fort, et toutes les femmes me paraissent devoir être ardentes à le répandre (j’entends celles qui ont peur), que cela ne vaudra rien ; que ledit sieur n’a jamais fait que de mauvais vers et de la prose qui n’est guère meilleure. On ajoute encore qu’il sera peut-être obligé de quitter la ville, et qu’aussi son paquet est déjà fait. Il faut qu’on prenne nos femmes pour des Bacchantes, et, si tout ce cancan n’est pas un tour d’adresse de l’auteur, je n’y vois que la bêtise de nos Béotiens de mettre tant d’importance à ce qu’ils assurent ne rien valoir.

Tu supposes à la visite du poétereau[43] des motifs singuliers ; je n’y vois trop rien. Sais-tu combien il est mal avec sa mère ? Elle ne peut le souffrir et ne sait même pas le cacher. Dernièrement, sortant de souper, je pense de chez M. Chamont, elle ne voulut jamais consentir que ce fils occupât une place vacante dans la voiture d’une femme qui la reconduisait et qui voulait se charger de toute la famille ; sa ridicule opposition a fait scène ; encore était-ce pour la première fois qu’elle lui avait permis de venir souper dans cette maison ou il avait été invité plusieurs [fois] avec elle et le Pourceaugnac. Celui-ci s’escrime comme les autres contre la pièce à jouer : « Une femme bel esprit ! disait-il hier. Il n’y a point de femme dans cette ville qui s’occupe de littérature ni de science ; ce portrait ne conviendra à personne. » C’est peut-être la première fois de sa vie qu’il se soit aussi peu éloigné de la vérité. On nomme trois femmes, cependant, qui se proposent d’aller au cours de chimie. L’Apostole disait, au rapport de M. de B[ray], de qui je le tiens, qu’il était fâché que la saison et ma santé favorisassent aussi peu mes sorties, qu’il aurait espéré que j’y aurais été et que quelques femmes auraient suivi mon exemple. J’ai écouté cela, comme le propos du médecin l’autre jour, sans rien dire à M. de B[ray] de ce qu’on lui avait prêté à ton sujet ; si l’on s’avisait de relever ces misères, on ferait des caquetages éternels. Je crois que le vrai, c’est que L’Apostole cherche à se procurer des souscripteurs et qu’il sème ça et là des compliments, comme des amorces pour avoir son monde. Sans le juger lui-même, j’estime pourtant qu’il ne juge pas bien des moyens, au moins à notre égard.

Je n’ai rien dit non plus à qui que ce soit de l’énigme du poète Maugendre, si joliment offerte ; on s’occupe de si peu dans ce stérile Amiens, que cette visite et cette galanterie auraient fait nouvelle ; mais apprends le triste sort de l’orange que j’avais acceptée ; c’était, je m’en souviens, la plus belle de ma cheminée où j’en avais mis quelques autres, et je m’en promettais un plaisir presque égal à celui que tu goûtas en mangeant de ce fruit à Malte. Vains projets ! J’étais encore couchée, le lendemain de cet heureux don, lorsqu’on fit entrer dans ma chambre deux petits garçons qui m’apportaient un ustensile de ménage dont je voulais savoir le prix ; pendant que je marchandais avec l’un, l’autre vise la belle pomme d’or et l’escamote, comme Jason fît autrefois la toison célèbre au Jardin des Hespérides. Tous mes dragons étaient là ; moi seule, je crus apercevoir dans mon miroir un mouvement de bras qui me donna des soupçons ; mais cet aperçu et l’idée qu’il fit naître s’éclipsa aussi rapidement que l’éclair. Mes drôles étaient à peine partis, que le retour de cette idée me surprit et me fit demander avec vivacité s il n’y avait eu rien à prendre sur la cheminée ; on dit que non ; mais, las ! à mon lever, je ne retrouvai plus la belle orange, et je fus tentée de faire tout au moins une élégie.

Les petits gaillards revinrent pour me rendre réponse sur un prix que j’avais offert ; je tançai le fripon d’importance ; c’est un véritable apprenti voleur : il avait du dépit sans honte et n’était fâché que d’être convaincu ; je lui ai fait son horoscope ; plaise au Ciel que ma prédiction soit menteuse ! Avoue qu’il y aurait là de quoi faire un poème tragi-comique, tout aussi plaisant que le Panier de cerises renversé et quelques autres de cette force : car, au bout du compte, mon orange était mangée et mon sermon ne m’a rien rendu.

Le chocolat et le reste n’est point arrivé ; M. de B[ray] a inutilement envoyé au bureau des voitures, au reçu de ta lettre ; ce sera pour la diligence de jeudi. Le brave homme a passé plus d’une heure avec moi aujourd’hui ; il va bientôt partir pour Péronne, puis Flesselles[44], etc… Je ne sais s’il mordra à l’entreprise de M. Flessl[Flesselles] ; il a essuyé plusieurs pertes depuis peu de temps ; diverses tentatives lui ont mal tourné ; il paraît craindre en ce moment de porter le malheur dans les choses où il s’intéresserait. C’est ainsi qu’il s’est exprimé en me racontant diverses choses, sans rien dire de l’entreprise en question, et même sans paraître l’avoir en vue : la conséquence que j’en tire est toute de moi.

Les Chaml [Chamont] père et fils, de B.-Ch. [de Bray-Chamont], etc., sont venus hier pour toi ; les femmes roulaient aujourd’hui ; j’étais dans un moment de tranquillité, je les ai reçues. La mère, ronde et pesante comme tu sais ; la fille, fraîche et parée par les grâces, avec tout le charme et toute l’élégance du goût. En vérité, on est heureux, à pareille visite, d’avoir été quatre mois dans sa chambre par une suite d’événements qui fournissent à la conversation. Tu juges que les questions relatives tombent à foison ; réponse pleine et satisfaisante. D’ailleurs ma fille, fort gaie en ce moment, tenait son coin dans le cercle ; on lui a fait mille compliments qui n’avaient pas le sens commun : elle est charmante ! quels beaux yeux ! elle ressemble à sa maman. Bien trouvé, par ma foi ! Je crois que la petite friponne, qui, dans le vrai, ne ressemble à rien et ne signifie pas davantage, sait connaître les jolies personnes : elle a fixé longtemps Mme  de B[ray], lui a souri plusieurs fois avec un air de surprise et de contentement que j’étudiais avidement. Beaucoup d’informations de ta santé ; mille honnêtetés de part et d’autre ; elles sont demeurées assez longtemps, peut-être pour gagner l’heure de spectacle où elles se sont fait conduire en me quittant.


Mercredi, 9, au matin.

J’ai dormi, mon bon ami, comme je faisais étant grosse ; sono pure un poco affatigata per aver troppo sognato a ti. J’ai encore la paresseuse habitude de déjeuner dans mon lit, d’où je ne sors qu’à plus de neuf heures. Mon estomac est parfaitement remis : je mange en nourrice ; mon lait devient sucré ; il est encore en bien petite quantité, cependant le pressentent de mes doigts le fait sortir en jets. D’après cela, mon médecin prétend que je dois renvoyer la tireuse et ne me servir que de mon enfant ; pourtant celui-ci s’impatiente de n’en pas trouver assez ; j’essayerai néanmoins. J’ai congédié mon docteur aujourd’hui, je ne l’avais pas revu depuis huit jours ; il ne paraît pas chercher à faire des visites inutiles. Sa femme n’accouche toujours point ; je lui ai dit à peu près ce que j’avais appris sur l’effet des lavements trop répétés avant l’accouchement ; il n’ignore pas ces principes, il a aussi les siens, et, après l’avoir écouté, j’aurais bien dit comme Henri IV des deux avocats.

On me racontait, l’autre jour, à l’occasion de ce médecin et de sa petite femme, qu’ils faisaient un des plus jolis ménages de cette ville ; il s’adonne singulièrement au traitement des pauvres et il a pris de l’inclination pour son épouse pour l’avoir fréquemment rencontrée, lorsqu’elle était demoiselle, chez les malheureux que chacun d’eux allait visiter par les mêmes motifs. L’origine de leur attachement m’a singulièrement touchée et m’intéresse à tous les deux. Dis à notre ami[45] que je le crois fait pour exercer la médecine aussi noblement et que je lui souhaite pareille rencontre dans le temps. Je ne sais, mais quand j’ai fait la découverte de quelques âmes de cette trempe, je me sens aussi aise que si j’eusse trouvé un trésor, et l’idée de leur existence me rafraîchit le sang.

J’ai voulu me servir de l’éponge, au goulot d’une bouteille, pour notre petite ; mais, habituée à presser fortement un suçon de toile, elle s’accommode difficilement de l’éponge, qui, cédant aisément, fournit alors trop de lait ; elle ne l’agrée que dans le cas où elle est demi-rassasiée ou un peu endormie et qu’elle suce mollement comme pour s’amuser. Je commence à croire à la nécessité de tenir un peu chaudement les nouveau-nés ; ma fille avait gagné des engelures aux mains, qui étaient toujours violettes, avec une peau luisante qui paraissait comme soulevée par l’abondance du sang circulant mal aux extrémités ; je les lui laisse cachées, quand elle dort, d’un linge légèrement jeté dessus comme une couverture. De même ai-je été obligée de faire un peu tiédir l’eau pour la laver dessous les aisselles où elle, paraît d’une sensibilité si grande que j’aurais craint de lui causer des contractions de nerfs si je me fusse opiniâtrée à l’eau froide, que je conserve toujours telle pour le derrière et les cuisses. La santé de ce cher petit gage s’améliore ; ses nuits sont bonnes ; son appétit est grand et tout va bien.

Je suis étonnée que tu ne m’aies rien dit des exemplaires du Mémoire sur les troupeaux, que tu as dû trouver au bureau avec mon paquet ; ils ont été expédiés ensemble ; j’avais joint un billet aux exemplaires ; ce que je dis, parce que je ne voudrais pas qu’il fût tombé en mains étrangères.

Je fais mettre aujourd’hui mon vin en bouteilles ; je te quitte parce qu’il se fait tard et qu’il faut saisir le moment de liberté pour envoyer à la poste. Le temps est toujours horrible.

Adieu, mon cher et bon ami ; sois tranquille, finis tes affaires en paix. Je t’embrasse de tout mon cœur.

38

[À ROLAND, À PARIS[46].]
Jeudi au soir, 10 janvier 1782, — [d’Amiens.]

Tu n’auras pas une longue épître aujourd’hui : je m’y prends tard, je suis un peu lasse, j’ai pour demain matin quelques projets d’arrangements ; somme totale, tu en auras moins à lire.

Il me semble qu’il y a longtemps que je n’ai reçu de tes nouvelles ; ce n’est pas que je calcule les jours ; lors même que je me dispose à t’érire, je ne me retrouve guère dans le compte des intervalles, et j’imagine toujours être en retard ; par une raison semblable, je pourrais estimer plus considérable qu’il n’est en effet le temps écoulé depuis ta dernière.

Ma santé va constamment mieux ; mes forces se réparent, et je ne doute pas que tu ne me retrouves dans le meilleur état. Je présente souvent ma fille au sein : elle ne s’y arrête longtemps, comme à l’éponge, que lorsqu’elle est rassasiée ; mon lait est consistant et sucré, mais encore en fort petite quantité ; je suis obligée de persister à me faire tirer par la femme pour l’entretenir, parce que l’enfant ne suce pas assez fortement ; néanmoins une augmentation graduelle, quoique très faible, me fait continuer d’espérer. Tous ces petits soins remplissent mon temps de manière que je ne fais rien autre ; je me flatte pourtant qu’à ton retour je pourrai reprendre avec toi nos occupations chéries. Notre petite repose fort bien, mange de même et souffre rarement ; je trouve qu’elle reprend un peu, sans avoir encore tout son embonpoint. Sa connaissance se développe ; je m’amuse beaucoup des témoignages qu’elle en donne, et nous jouons tous avec elle, y compris le chien de Marie-Jeanne, qui la fait rire en lui léchant les mains

Ma cuisinière estropiée n’est point guérie ; la plaie semble être mieux, mais je crois que cela sera long. Je lui ai dit aujourd’hui que si la cure de ce mal ne s’accélérait pas, je l’engagerais à passer quelques jours chez sa tante, femme de cette ville, chez qui elle est reçue quand elle se trouve sans maison, ou dans telle autre circonstance. Alors je verrai ce que j’aurai de mieux à faire ; dans le vrai, je n’ai pas de sujet pour la renvoyer, et il serait dur de le faire en pareil cas ; je n’en ai pas non plus pour me charger de la soigner, puisque son mal n’a pas commencé chez moi ; elle y est venue, croyant n’avoir qu’une meurtrissure légère qu’elle négligeait et dont elle ne parla pas. C’est une assez bonne fille, d’après le nombre infini de moindres, même à beaucoup et de différents degrés ; ce n’est pas non plus une perle ; un peu de réflexion et la suite des événements achèveront de me décider.

M. d’Eu m’a envoyé ce matin un morceau considérable et très beau de pétrification et de stalactites, venu des carrières d’Albert[47]. Il l’avait vu à la Douane et demandé comme pour lui : « Des gens de peine, me dit-il, me l’ont apporté en pompe ; je l’avais destiné pour votre cabinet du moment où il avait frappé mes yeux. » J’ai fort bien distingué le petit mot jeté pour tout faire valoir ; mais, quoi qu’il en soit, je n’ai pas jugé à propos de rien donner à Caron, qui me l’a apporté sur son épaule et qui vient d’avoir ses étrennes. L’ami de Vins m’a remis ce soir les 36tt de sa souscription pour l’Encyclopédie. On doit m’apporter demain les 1600tt de tes appointements ; les ordonnances pour choses semblables sont arrivées aujourd’hui de l’Intendance. J’ai renvoyé le velours à M. Flesselles.

Cacao et autre, rien n’est encore paru de l’expédition faite à M. de By [Bray] ; je ne sais ce que M. d’E[u] m’a dit des prospectus qu’il soupçonne égarés sur le propos d’un domestique envoyé chez lui ; tout cela s’éclaircira.

J’ai été, comme tu le présumes, longuement entretenue des nouvelles courantes, de la reprise de St -Eustache, etc. M. d’E[u] m’en avéit envoyé le bulletin ; l’ami de V[in] m’a gratifiée des détails avec l’heureuse facilité que tu lui connais, et tous ses talents enfin, perdus pour moi, indigne, qui pense toujours à autre chose quand on me parle de guerre, et qui ne me trouve là que pour dire oui ou non à tort et à travers.

Tu sais assurément le petit couplet de Monsieur ; Paris est le royaume de l’épigramme. J’ai trouvé à celle-là une tournure bonasse qui la rend plus piquante.

Si ce qu’on dit de Mme  de Chg [Chuignes] est vrai, jamais elle n’a rien fait avec plus d’imprudence que ses tentatives actuelles pour le mariage de sa fille. M. de Rumg. [Rumigny] va souper tous les soirs chez la mère ; la connaissance et l’inclination par conséquent vont leur train. Cependant le terrible article de l’intérêt n’est toujours point terminé. Au reste, c’est peut-être une finesse : peut-être Mme  de Chg. [Chuignes] imagine-t-elle que sa fille inspirera des sentiments assez puissants pour vaincre les obstacles que les prétentions de Mme  de Rumg. [Rumigny], dans le cas supposé, apporteraient à la conclusion. Grand bien fassent à tous ces gens leur richesse et leur sottise ! Je ne voudrais pas plus de l’une que de l’autre, au prix qu’elle leur coûte. Je n’ai point encore vu, cette année, Mme  d’E[u] ; son mari m’en faisait aujourd’hui presque des excuses, j’ignore pourquoi ; car, en vérité, je n’ai pas de prétentions à ses hommages. Journaux, etc., me sont envoyés avec une attention qui se soutient obligeamment dans toutes les occasions où la politesse peut s’exercer. Nous avons aujourd’hui parlé de ton voyage ; M. d’E[u] paraît frappé des incorrections que la négligence des réviseurs, ou leur maladresse à insérer des phrases, ont multipliées ; beaucoup de passages italiens lui semblent amenés à force par des tournures qui te sont étrangères, etc. Enfin le pauvre abbé Richard[48], qu’il trouve un bonhomme, est, je crois, un peu trop maltraité à ses yeux.

Tu en entendras bien d’autres, j’espère : journalistes, etc. Nous les écouterons d’une oreille pour profiter du bon, et nous rire du reste.


39

[À ROLAND, À PARIS[49].]
Vendredi, onze heures du matin [11 janvier 1782, — d’Amiens].

Je t’écris en l’air avec ma petite au sein qu’elle tient depuis plus d’une heure, sommeillant et suçant tour à tour ; je ne sens pas sortir de lait, mais il faut bien que l’enfant trouve quelque chose pour s’amuser si longtemps. En conséquence de ce raisonnement, je viens de renvoyer ma téteuse avec laquelle j’avais fait mon prix cette fois, ce dont je me suis bien trouvée ; elle est aussi contente, et moi, je le suis davantage.

Santé, plaisirs, tout renaît, mon bon ami ; je n’avais encore dit à personne, de celles qui me venaient voir, que j’espérais être encore nourrice. On n’eût pas manqué de l’écrire que je me mettais des folies dans la tête et que je retomberais malade si tu n’arrivais y mettre ordre. Hier au soir seulement, j’ai désabusé M. de V[in] qui me faisait son compliment de condoléance sur le fâcheux dont il serait que je n’eusse plus de lait à donner au temps de la dentition. Sans doute, cela fait déjà nouvelle chez Mme  d’E[u] et peut-être autre part. Quoi qu’il en soit, je n’attends plus que l’abondance pour supprimer l’eau d’orge et le lait de vache.

Marie-Jeanne me traite en nourrice ; elle m’apporte à mon réveil une soupe en bouillie qui n’est autre qu’une panade à laquelle on ajoute du lait ; une heure après mon lever, je déjeune avec cacao au lait ou café ; à midi, soupe grasse ; à cinq heures, soupe en bouillie ; au souper, riz au lait ou légumes, etc. Aux repas de midi et du soir, deux verres de petite bière ; plus de quinquina, fort rarement et très peu de vin d’Espagne ; des nuits excellentes ; une visite chaque matin seulement à la garde-robe ; plus de douleurs aucune et bien-être sensible. Que veux-tu de mieux ? Je voudrais que tu m’instruisisses aussi exactement de l’état de ta santé, dont tu ne dis mot, ce qui me fâche beaucoup. Tu trouveras ma lettre bien mal disposée ; je comptais l’envelopper dans cette feuille et la donner à M. d’Eu[50], qui veut t’écrire et qui aurait fait le paquet ; mais, à ce moment, on m’apporte une missive de je ne sais qui pour t’expédier ; j’envoie chez M. d’Eu lui demander la sienne pour l’y joindre ; s’il n’est pas diligent, je la laisserai de côte.

Je ne sais comment me remuer : je suis sur un petit tabouret au coin de la cheminée du cabinet, un bras sous ma petite qui dort profondément en gardant le sein bien serré ; je tiens du bout des doigts une brochure qui me sert de table et qui n’est pas si grande que mon papier ; j’ai les fesses et les reins qui me font mal, mais je suis bien contente.

Le Crespysois m’a écrit avant d’avoir reçu ma lettre et, sans doute, le jour même qu’elle lui sera parvenue ; il me témoignait toute son impatience d’avoir de mes nouvelles par moi-même ; mille amitiés, etc.

M. Duperron est venu deux fois cette année : le 1er jour de l’an et le dimanche suivant ; comme il m’ennuie beaucoup, je n’ai pas été visible. Il aura su peut-être du poétereau que je l’avais été pour celui-ci ; je m’en bats l’œil, comme tu peux croire ; ce qu’il y a de vrai, c’est que, sans la singularité et la rareté de cette dernière visite, j’en aurais été autant ennuyée que de celle de l’autre.

Je reçois tes deux lettres du 7 et du 8[51] ; tu me grondes assez de ce que tu appelles mes gronderies ; mais je ne te répondrai pas, attendu que mes excuses sont faites il y a longtemps dans une lettre suivante où, sans doute, tu les auras remarquées en réfléchissant à l’impression que m’avait faite la lecture superficielle et rapide des lettres en question.

Je pourrais seulement aujourd’hui te répéter, sur tes observations contre mon lait, tout ce que tu me dis de mes sermons ; je crois cependant n’avoir rien à ajouter à ce que j’ai exposé plus haut.

Laisse dire tous ces gens qui ne comptent pour rien sur la nature qu’ils n’ont jamais eu le courage de suivre avec constance : je serai nourrice en dépit d’eux. N’a-t-on pas vu des exemples surprenants du temps considérable que les femmes, une fois mères, conservent ou recouvrent du lait ?

Je n’ai pas encore lu la lettre de Villefranche ; M. d’E[u] n’envoie pas la sienne, je vais fermer mon paquet. Adieu, mon bon ami, je t’embrasse de tout mon cœur.


40

À ROLAND, À PARIS[52].
Samedi, 12 janvier [1782], à 9 heures du soir. — d’Amiens.

Tout le jour s’est passé avec le projet de t’écrire, sans pouvoir l’exécuter ; je m’étais presque engagée avec M. de B[ray] à t’avertir aujourd’hui, par voie directe, que rien n’est encore arrivé de ton paquet annoncé[53]. M. de B[ray] présume que peut-être tu auras chargé de l’expédition le libraire même, et que celui-ci l’aura négligée ; dans ce cas, il te prie de le faire diligenter. Moi, j’imagine que tu n’as pas fait l’envoi dans le temps où tu paraissais annoncer que tu le ferais, ou bien que l’on joue ici quelque tour à M. de B[ray] pour se venger d’une petite vilenie que je vais te raconter[54]. Il est reçu, comme tu sais, de donner cinq sols au commissionnaire du bureau des voitures qui vient apporter chez vous le paquet qui vous est adressé, que le ballot soit considérable ou non. C’est un monopole, dit-on ; d’accord : mais il est toléré ; si l’on veut s’y soustraire, on est mal servi ; c’est l’histoire de notre ami, ou du moins de sa femme, à laquelle il renvoie la balle. Mme  de B[ray], prétend-il, faisant venir fréquemment mille choses de Paris, s’est ennuyée de payer toujours cinq sols pour des misères dont le port n’était parfois que de quinze ; elle s’est nettement expliquée, et s’est conduite en conséquence. Mais, par une conséquence non moins rigoureuse, à la première occasion, les affaires qui concernaient M. de B[ray] sont demeurées cinq ou six jours dans le bureau, et cela tomba précisément sur un envoi d’importance qu’il attendait impatiemment. Il fut voir M. Berny[55], se plaignit, reçut des promesses de mieux faire à l’avenir, etc. Quoi qu’il en soit, je vois qu’il n’est pas sans redouter encore quelque vengeance ; sans doute, il n’a pas la conscience bien nette sur les moyens qu’il aurait dû prendre pour l’éviter ; c’est pour éclaircir ce point qu’il voudrait savoir précisément le jour où tu as fait l’expédition proposée.

J’ai envoyé hier par les bureaux un vrai chiffon de lettre bien griffonnée, grâce a ta fille qui ne me laissait pas de repos ; c’était encore pis aujourd’hui, que j’ai permis de sortir à sa pauvre petite bonne. fort affligée de la mort d’une sienne grand’mère, et tourmentée par l’injustice d’une tante intéressée. Je m’intéresse à sa peine, c’est un bon sujet qui s’attache à notre enfant, et dont je nuis fort contente. J’ai fait partir tantôt mon estropiée, pour aller chez sa parente guérir son talon, qui la tiendra longtemps, à mon avis, à cause de sa manière de se conduire, jointe d’ailleurs a la rigueur de la saison. Je n’ai point donné à cette fille son compte en forme ; ç’aurait été la contrister dans un mauvais moment ; mais j’employerai son absence à chercher un sujet qui me convienne encore mieux qu’elle ; j’ai reconnu de l’indolence, de l’abandon, de la lâcheté, qui ne me promettraient pas un service satisfaisant. Marie-Jeanne est toujours des nôtres ; je crois qu’elle me gâte un peu, et me fera trouver les autres domestiques bien maussades en comparaison.

M. d’E[u] est venu hier me voir sans façon, col caro Cicisbeo qui m’apportait 1200tt ; il est revenu ce soir me faire voir une toilette brillante qu’il allait promener en visites. Il était dit que M. d’E[u] m’enverrait les autres 400tt ce matin ; elles viendront sans doute, quoiqu’un peu plus tard. Je lui ai écrit un billet, à l’occasion de la botanique[56], pour lui mettre l’épée dans les reins ; je l’enverrai demain à son lever, retard que j’ai apporté parce que je devais le voir précédemment, suivant ce que m’avait dit Mme  d’E[u].

Dimanche matin. — Je me suis interrompue ici encore pour la petite, qui est d’une impatience et d’une gourmandise au delà de toute expression. Elle a bonne envie de vivre et autant d’empressement à prendre le sein, que j’en ai à le lui donner ; le lait n’est pourtant pas encore dans toute son abondance : il y viendra, j’y compte fort, et nous nous portons à merveille.

Je voudrais bien avoir ton avis positif sur une chose qui me donne toujours quelque incertitude : je t’ai dit ce que je pensais de Marie--Jeanne, et je persiste à croire que nous l’aurions si nous voulions ; je t’ai aussi fait part des raisons qui me font balancer. Cependant je ne puis lui supposer l’idée de son propre avantage pour ses derniers jours ; elle n’ignore pas que nous ne sommes point de ce pays et que nous n’avons pas le projet d’y rester des siècles ; je sais aussi qu’elle a placé à l’hôpital d’Amiens une femme pour s’y assurer un lit, une retraite commode au cas d’infirmités. Elle a, dans sa maison, quelque petite disgrâce de voisinage et de parenté qui contribuerait à la lui faire quitter ; elle m’entretient assez souvent de l’attachement qu’elle a conçu pour nous, même de l’ennui qu’elle éprouvera de ne plus me servir, pour que je puisse regarder cela comme des atteintes qui m’embarrassent un peu, parce que je ne suis pas décidée. Ordre, économie, expérience, dévouement aux intérêts de ses maîtres, intelligence, elle a tout, pour bien conduire notre petit ménage, avec beaucoup de repos d’esprit et d’avantages pour nous ; sans doute, elle aurait aussi quelquefois de l’humeur, de l’attachement à ses petites idées, et sa grande dévotion à ménager, etc. Que penses-tu ? voilà ce que je voudrais savoir.

J’ai été aujourd’hui à la messe pour l’édification de mon prochain ; j’ai reçu Mlle  Cannet, qui m’a pris beaucoup de temps, et je finis à la hâte, à cause de l’heure.

Je t’envoie des cheveux de ta fille ; je te dirai un autre jour pourquoi cette petite folie.

Je n’expédie rien aujourd’hui par les bureaux ; tu as reçu sans doute toutes mes lettres pour ça et là. Adieu, bonjour, je t’embrasse mille fois ; midi sonne.

41

[À ROLAND, À PARIS[57].]
Lundi, 14 janvier 1782, — [ d’Amiens]

Nous nous portons toujours très bien, mon bon ami ; c’est ce que je m’empresse de te répéter avant tout ; je vois combien tu as besoin que je te réitère cette assurance ; et, quoi qu’on puisse dire de ton incrédulité, je m’en prends bien plus à ta tendresse.

Mon lait revient sensiblement, la petite prend déjà un tiers de moins par jour de sa boisson factice ; j’ai le meilleur appétit et presque toutes mes forces. En récompense, il ne me reste guère de temps ; l’enfant, qui commence à dormir fort peu dans le jour, se plaît beaucoup à la douce chaleur du sein, et voudrait toujours y rester ; heureuse dans ce moment-ci qu’il veuille tirer longtemps, parce que cela favorise le retour désiré. J’attends pour régler son appétit que j’aie l’abondance nécessaire pour le satisfaire promptement. Je ne puis plus faire des lettres que par morceaux, et vraisemblablement tu n’en auras pas désormais d’aussi longues que les précédentes. Soumise à ma condition, je tiens la case propre et j’ai soin de l’enfant, consentant à ne rien faire autre jusqu’à nouvel ordre.

M. d’E[u] n’a pas encore répondu au billet par lequel je le prie de me rendre le cahier, pour que j’y fasse moi-même ce qu’il me sera possible, présumant bien que ses occupations ne lui laissent pas de moments pour cet objet, etc. L’ami De V[in] est passé ce soir ; je ne l’ai pas reçu : j’étais embarrassée, fatiguée ; je ne voulais ni de lui, ni de personne ; habitué à avoir ses entrées franches, il a paru un peu étonné du compliment ; mais il est de bonne affaire, et ceci ne m’inquiète pas. Le chocolat est enfin arrivé avec le cacao, le Novitius[58] et le traité D.L.G.[59] que j’ai lu tout de suite en grande partie ; j’aurai des Questions de docteur à te faire, quand tu viendras.

M. de B[ray] m’a fait part de ta lettre ; il m’a aussi chargée de te dire de ne point acheter cette Botanographie, parce qu’il a occasion de se la procurer, de Lille même, à meilleur compte ; compliments, amitiés, remerciements du reste.

En nettoyant aujourd’hui l’écurie, Marie-J[eanne] a aperçu quelque jour au mur mitoyen du cloître de Saint-Denis[60] ; j’en fais prévenir Mme  Coquerel en la priant de faire visiter au plus tôt, avant que j’occupe cette partie par le bois que j’y ferai mettre incessamment. J’ai trouvé de petits déficits à la cave ; deux bouteilles de l’ancien vin étaient cassées et vidées depuis longtemps, ce que j’ai reconnu en examinant le tas qui reste. Autres dégâts : des rats pris au cabinet de toilette, et qui m’avaient mangé un sac et des pelotes dont je n’ai vu les débris que cette après-midi en remuant toutes mes affaires ; si cette gent s’adonnait au logis, il faudrait peut-être un chat, triste expédient que je n’emploierai qu’en dernier ressort.

Je suis fort impatiente de recevoir ton avis sur Marie-J[eanne], J’aurais grande envie de la garder.

Je termine ici cette vraie dépêche, du moins pour ce soir ; il est bientôt dix heures ; je vais au lit. Je ne sais si je pourrai t’en dire plus long demain matin ; c’est au moins fort douteux ; ce qui ne l’est pas, c’est que je t’aime de tout mon cœur. Bonsoir, tendre ami, amitiés au compagnon.


Mardi 15, au matin.

J’ai reçu à mon réveil le Traité des tourbes et la Petite Botanique refondue, mise en règle, suivant les classes de Linné ; fort bien, à ce qu’il m’a paru. Je dis que je te l’envoie ; ainsi tu te tiendras pour averti sur cet article. Si je pensais qu’il fût utile de faire encore vérifier, etc., je te l’expédierais effectivement ; dans ce cas, tu me le diras, si tu le penses toi-même ; mais je ne le présume pas.

M. d’E[u] m’écrit qu’il était venu m’assurer qu’il allait se mettre aussitôt à la besogne, et qu’il avait inutilement sonné ; ce qui peut fort bien avoir été ; nous tracassions toutes ou nous étions autour de l’enfant.

Les prospectus sont reçus ; ce qu’on t’a mandé du contraire est l’effet d’un quiproquo ; c’est ce que je suis priée de te dire, en te faisant mille compliments.

Les redoutes[61] vont ici leur train ; on a envoyé dernièrement une députation à Mme  de Ch[uignes] pour la prier de venir ouvrir le bal ; mais la mère, qui veut l’accompagner, avait éternué dix fois et craignait l’air ; néant à la requête pour ce jour-là. C’est après-demain le grand jour de la comédie nouvelle[62] ; les demoiselles Cnt [Cannet] sont abonnées pour 15 sous chaque représentation, en y allant tour à tour avec Mme  de Riencourt[63] ; abonnement fait, me disait l’aînée, pour passer leurs soirées un peu moins tristement qu’au jeu. Cette pauvre aînée se porte toujours assez mal ; je croîs fort aux longues dissertations du frère[64] : c’est la maladie de la famille.

Ta fille a fait sa nuit d’une pièce et elle a fort bien déjeuné avec moi ; mes seins étaient gonflés, un peu durs et assez bien remplis de lait : tout ira merveilleusement, pourvu que tu ne te tourmentes pas comme tu fais toujours. Je suis moi-même mécontente de ton Esculape, puisqu’il ne te satisfait pas ; je le suis encore de ton laconisme impatientant sur cet article. As-tu été purgé ? Que te fait-on ? Que sens-tu ? Comment va ta santé enfin ? On dirait que je ne dois pas m’en inquiéter, à voir comme tu traites ce chapitre ; j’ai bonne envie de gronder à ce sujet, pour remplir ma vocation dans toutes les circonstances.

Il fait froid ici et maussade ; je rapproche la petite de moi et je lui fais, d’aujourd’hui, habiter le cabinet de toilette ; c’est un changement qu’il faudrait un peu plus tard, car le sieur Choquet[65] travaillera sans doute dans l’autre chambre, à ton retour.

Cependant je ne m’interromps pas encore la nuit ; par ménagement d’abord, puis aussi par défaut d’abondance, et l’enfant n’étant pas dans ma chambre, je ne suis point réveillée quand il faut le changer, etc.

J’ai eu quelques craintes, sur l’expression de M. Tolz. [Tolozan] des lettres pour d’autres que toi[66], qu’il n’eût retenu mon paquet de missives ; mais, par réflexion, je juge que celui-là n’était pas encore arrivé alors.

On nous dit, dans nos marais, que la reine est déjà grosse. Peste ! ces gens-là y vont en princes ! On fait chanter au frère : Vous m’entendez bien, assez méchamment. On écrit ici de Versailles Mme  d’Artois condamnée et perdue ; les papiers publics disent le contraire ; tout est comédie comme les fêtes que l’on doit donner[67]. Pour nous, gens graves, nous nous moquons bien des autres, mais nous n’aimons pas pour rire.

Adieu, mon cher maître.

42
[À ROLAND, À PARIS[68].]
[15 janvier 1782. — d’Amiens.]

Je reçois ta lettre du 13 avec une autre pour M. Duperron, que j’ai étourdiment décachetée, ce dont je lui ferai excuses honnêtes. Tu me donnes plus de détails, dont je te remercie, sur ta santé que je vois bien n’être pas telle que je la désire. Le maudit Esculape me paraît bien ce que tu dis[69], et je commence fort à redouter son dernier secret de s’éclairer par des essais.

Je réussis mieux que tu n’espères pour ma nourriture et je compte que tu me trouveras en plein exercice à ton retour.

D’après tes observations mêmes, je crois bon de t’envoyer le travail de M. d’E[u] ; il a été fait avec beaucoup de célérité ; tu jugeras de l’excellence.

Je n’ai pas lu la pacotille de Rouen ; l’heure s’avance et j’envoie à la poste dans les moments où mes filles sont libres. Réponds-moi pour Marie-J[eanne] ; elle me tente singulièrement. J’ai aperçu du Baillière que je vais lire avec curiosité.

Ménage-toi fais pour le mieux à cet égard et songe que mon rétablissement ne peut être parfait sans ta bonne santé. Je t’embrasse de tout mon cœur.

43

[À ROLAND. À PARIS[70].]
Mercredi, 16 janvier 1782, — [d’Amiens.]

Tu es bien difficile à convaincre, mon bon ami ; il est pourtant vrai que j’ai un appétit soutenu, un sommeil calme et profond dont je ne pourrais jouir au même degré si je ne nourrissais pas. Le retour de mon lait est si constant que, depuis huit à neuf heures du matin jusqu’à neuf ou dix du soir, ma fille ne prend rien autre que mon sein. Immédiatement avant et après cet intervalle, elle mange une soupe ; elle prend de l’eau d’orge et du lait dans les douze autres heures que j’emploie à dormir ; ce qu’elle fait aussi en partie, plus ou moins, suivant sa disposition. Il est vrai aussi qu’à l’exception des moments des repas dont je fais même quelques-uns avec l’enfant sur l’un de mes bras, il me laisse peu de repos, tant son appétit et son avidité sont extrêmes. Sans doute, il n’en sera pas toujours ainsi ; dans tous les cas, je remplirai ma vocation. Je suis rentrée dans une carrière laborieuse ; je savais d’avance qu’elle était telle, puisque j’en avais déjà parcouru la partie la plus difficile ; mais lorsque mes tentatives n’auraient pas été, comme elles sont, couronnées par le succès, elles n’auraient pas été non plus moins nécessaires à ma tranquillité. Si j’avais négligé de solliciter la nature après ma maladie, je me serais toujours dit que je n’avais pas fait pour notre enfant tout ce qu’il m’avait été possible de faire. Ses plus légères souffrances auraient éveillé chez moi ce remords, et, s’il lui fût arrivé quelque accident grave, j’aurais été inconsolable le reste de ma vie. Voilà ce qui m’a déterminée, quoique je fusse débarrassée de mon lait peut-être mieux que je ne pourrai l’être lorsqu’il faudra cesser de nourrir, et qu’il m’eût été doux de reprendre, sans distractions fatigantes, les occupations que nos goûts communs me rendent agréables et chères. Je prévois bien que, s’il me survient la moindre indisposition, par telle cause que ce soit, on ne manquera pas de l’attribuer aux efforts que j’ai faits, pour redevenir nourrice ; appuyée sur mes motifs, je supporterais sans peine le blâme qu’on me rejetterait, et, si je pouvais en redouter quelque chose, ce serait l’impression qu’il te ferait si tu demeurais dans l’opinion où je te vois présentement ; tu te ferais un sujet de regrets de n’avoir pas été présent pour arrêter mes résolutions, et je souffrirais doublement de ton chagrin et de son principe. Mais pourquoi prévoir des épreuves auxquelles j’ai droit de ne pas m’attendre ? À cet instant que je t’écris d’une main avancée sur ma table, je tiens de l’autre ma petite qui se retire du sein pour me sourire. Je ne sais si nous conserverons cet enfant ; j’ignore ce qu’il sera, s’il nous reste ; mais, du moins, sa mémoire ou sa présence ne me rappellera pas d’avoir manqué envers lui à rien de ce dont la nature me fait un devoir ; ce sentiment adoucirait, ce me semble, la douleur de sa perte ou de ses sottises. Quant à celles-ci, je n’ai pas moins la confiance de les prévenir par ma propre exactitude à remplir mes obligations maternelles ; je jouis de l’espoir qu’un enfant né de toi, dans mon sein, ne nous fera jamais regretter de l’avoir mis au monde.

J’ai lu avec empressement et relu avec réflexion la lettre de M. Baillière[71] ; elle me parait extrêmement polie, agréable et légère, j’ajouterais volontiers amicale ; mais il en dît trop et trop peu. Je veux dire que, pour exprimer tant d’admiration, car c’est son terme, il ne la motive pas assez, suivant mon goût. Je voudrais d’autres éloges que ceux du style, du cœur et des principes d’un auteur, à l’occasion d’un ouvrage où l’on peut remarquer variété de connaissances, finesse ou nouveauté dans les vues, sagacité dans les observations, justesse et goût dans les critiques, etc. ;. car, si tout cela n’était pas dans les lettres, il faudrait qu’il y fût pour que M. B[aillière] pût en marquer tant de satisfaction et même en avoir réellement : ou bien il serait plus superficiel que je ne l’estime être. Au reste, sa lettre et ses louanges peuvent être le résultat sincère de la première impression qu’aura faite sur un homme aussi paresseux que spirituel la lecture rapide d’un ouvrage où l’éparpillement des matières ne laisse pas apercevoir d’abord toutes les causes par lesquelles on est intéressé.

Je m’arrête à ce sentiment ; il faut bien s’arrêter à quelque chose, à l’égard de ceux sur le compte desquels on aime à savoir à quoi s’en tenir.

Il sera plus difficile, ou plutôt plus aisé, de juger l’entortillage que j’attends de M. de Crne [Couronne]. Ce seront des phrases vraiment immortelles, dont on ne trouve pas la fin et qui se perdent admirablement dans le vague. Pour Aristote, je le tiens bien jugé par M. B[aillière] et par les amies ; il a autant l’air d’un jaloux à la piste, dans les choses qu’il te relève, que M. B[aiïlière] paraît flatteur dans les bagatelles qu’il se borne à critiquer. L’application de : Aimez-vous la muscade ? etc., m’a paru plaisante ; ce sera l’idée ou, du moins, le sentiment de tout lecteur, et je parierais bien que M. de Sr-Vctr [Victor][72] n’a fait l’éloge sans goût des citations italiennes, indistinctement, que par rapport au Cousin qui aura dit son mot. À tout prendre, rien n’est si vrai que ce que nous avons déjà trop senti, que ce cher Avocat du roi, avec sa bonne volonté et tout son travail, t’a impitoyablement gâté. Avis, comme tu dis fort bien, pour une autre édition ; en attendant, amusons-nous des dictons.

Je n’en apprends plus guère de nos Palus-Méotides, car il n’est plus fête, et chacun se tient dans sa bourbe ; il s’ensuit que je ne saurais te mander actuellement des nouvelles que le lundi ; ce jour passé, je n’en apprends plus, et j’oublie celles recueillies le dimanche.

Le fils Price est venu plusieurs fois en informations de santé, etc. ; ennuyée de son baragouinage, je viens d’avertir que dorénavant on lui donnât de mes nouvelles en bas, sans le faire monter.

Fabrique et commerce vont ici toujours très bien ; il est prodigieux combien prennent les sagatis[73], et combien l’Espagne, surtout, en tire de noirs-et-blancs, bruns-et-blancs ; on les emploie dans ce pays en robe de moines, avec lesquelles bien des personnes veulent encore être enterrées, pour le bien de nos fabricants. M. Fless[elles] me disait qu’il avait reçu de l’Espagne une demande qu’il ne pouvait satisfaire, tant il est chargé d’autres parts, dont la valeur se monte à 80 mille livres ; il l’a remise à une maison de cette a ville. Une seule de Beauvais s’est engagée avec lui pour dix-sept cents pièces de sagati, d’ici au mois de mars. Enfin ces apprêts anglais vont, vont, par merveille.

Le prieur de Montdidier[74] sort d’ici, où il est venu s’assurer en personne du rétablissement de ma santé, dont il avait déjà fait informer, il y a quelque temps, pour tranquilliser notre cher Crespysois. Je lui ai dit que celui-ci devait être actuellement hors de toute inquiétude, parce que je lui avais écrit dans les premiers jours de l’année.

J’ai manqué faire le meilleur quiproquo qu’il soit possible d’imaginer. À cette figure bénédictine, je me suis rappelé aussitôt le certain Dom… qui nous fit banqueroute à un dîner préparé pour lui ; je me préparais à lui laver joliment la tête, lorsque je me suis aperçu de l’erreur et que j’ai reconnu le seigneur de la maison, faisant l’agréable, comme tu sais, ayant du monde, de l’importance tant soit peu, et même aussi de l’esprit, sans être un aigle à beaucoup près. Ma petite était sur mes genoux, qu’elle ne quitte guère ; elle a senti assurément l’analogie avec la parenté ; elle a fixé la Ste -Effigie, souri, jargonné fort plaisamment ; l’enfant de Benoît en aurait pris sans doute encore meilleure idée de sa propre excellence, si le mien avait eu un peu plus de connaissance.

Le froid qui s’était annoncé a déjà disparu ; le temps est affreux et triste à l’excès.

Je relis la Gerusaleme liberata en donnant à téter à ma fille ; le format de cet ouvrage m’en permet la lecture en m’occupant de l’autre fonction ; je voulais feuilleter le Journal économique, pour notre objet : mais il faut les deux mains ; je ne les ai pas souvent libres à la fois. Je ne suis qu’au deuxième volume ; il y aura beaucoup de choses à consulter dans cette collection, autant que j’en puis juger par ce que j’ai déjà vu.

Grande et fameuse redoute aujourd’hui. Mme  de Chg [Chuignes], empaquetée de chiffons, entourée de boules d’eau chaude, doit y avoir conduit l’objet de ses complaisances. J’ai enfin envoyé chez elle hier lui faire des compliments, honnêtetés, et m’acquitter de ceux que notre Longponien m’avait chargée de lui présenter.

J’ai été toute étonnée, en ouvrant le Tasse à l’aventure, de ne pas bien comprendre les vers ; j’imaginais déjà avec chagrin avoir oublié l’aimable italien ; mais j’ai reconnu que je lisais quelques chants imprimés à la suite du poème et ajoutés par un Camillo dont le style me parait difficile et rude ; celui du Tasse, en comparaison, est aisé comme Guarini. Il faut convenir cependant que j’étais tombée sur un passage inférieur à tout le reste, qu’avec plus d’attention je n’ai pas trouvé sans agréments ; d’ailleurs, la nouveauté des faits que je ne me rappelais pas avoir lus dans le Tasse me faisait croire encore que je lisais mal. Je suis revenue avec plaisir sur presque tout l’ouvrage : j’ai goûté de nouveau les parties qui m’avaient le plus frappée autrefois, et que j’avais copiées. Je sens que nous nous amuserons beaucoup un jour, lorsque, libre d’un travail tel que celui que ta vas suivre, nous n’aurons plus qu’à nourrir nos goûts par les diverses ressources de la littérature[75]. En attendant, l’activité sera bien tenue en haleine, et nous aurons des jours aussi agréables qu’occupés, pourvu que nous nous portions bien.

J’ai joué de la guitare avant-hier ; j’ai remarqué que les accords ne paraissaient affecter la petite que comme un bruit auquel elle était très promptement assez accoutumée pour n’y plus faire attention ; mais une succession de sons très doux semblait un peu l’attacher, et, plus que tout cela, le chant modéré de la voix.


Jeudi matin.

Hier au soir, à neuf heures, M. de B[ray] m’a envoyé la Botanographie de Lestiboudois, en me faisant dire qu’il l’aurait apportée lui-même, si le temps eût été un peu moins mauvais ; c’est sans doute par attention, pour me la faire voir comme un ouvrage nouveau sur un objet dont il sait que je m’amuse ; peut-être aussi pour me demander comment je le trouve ; car tu sais qu’il prend langue de tout le monde ; il avait envie que je demandasse l’exemplaire de l’abbé Reynard, il y a quelques jours, pour que je visse ce que c’était. Je n’ai fait encore que jeter un coup d’œil, et, si j’osais juger d’après, je dirais que les Éléments de botanique à l’usage de l’École vétérinaire[76] me paraissent préférables pour un commençant qui n’a aucune idée de la science dont il s’agit de lui inspirer le goût. Lestiboudois a suivi le système du chevalier de La Marck[77], qui me semble défectueux. L’ordre de ses classes n’est pas conforme à la marche naturelle qui va du simple au composé ; il commence par les fleurs flosculeuses, puis les radiées, les ombellifères, etc… les plus difficiles de toutes à connaître, même dans sa méthode. Les descriptions de Lestiboudois sont sèches, maigres, ennuyeuses ; d’ailleurs, cet ouvrage ne donne aucune notion des systèmes de Tournefort et de Linné que l’on suit, soit l’un ou l’autre, dans les démonstrations ; je sais bien que ces systèmes ne sont pas la science, mais, comme c’est par eux qu’on enseigne celle-ci, un étudiant qui suivra les cours sans jamais avoir vu que son Lestiboudois ne saura comment se retrouver. Quelle différence de tout ces précepteurs au simple et sublime Jean-Jacques ! Sans adopter nul système, il fait suivre la nature et met à portée de choisir ensuite avec profit celui qui plaira davantage. Les idées qu’il donne sont distinctes, agréables ; il fait aimer la science ; c’est déjà l’avoir enseignée à moitié.

Je parie que le fils de M. de B[ray] lira tout au plus une vingtaine de pages qui présentent l’explication des parties des plantes, et que l’on trouve partout ailleurs ; il fera l’entendu près des femmes et des ignorants en parlant de corolle, d’étamines, de pétioles, de bractées, etc. ; il dormira sur le reste du livre, si même il s’avise de le feuilleter jusqu’au bout, et finira par ne rien apprendre de cela comme d’autre chose. Il faut avouer que, s’il y a des sujets qui ne savent jamais rien, c’est qu’aussi bien souvent on s’y prend mal pour leur montrer quelque chose.

Ce sera l’histoire des enfants de tous les pères qui, tels que ce bon M. de B[ray][78], trop occupés d’amasser beaucoup de bien à leur progéniture, ne se mettent pas en état de lui donner rien autre. Avec ses fiefs et ses revenus, le jeune de B[ray] ira à la chasse, gourmander les paysans, fera maussadement l’homme d’importance et mourra d’ennui toute sa vie, sans rien produire qu’une race de sots inutiles comme lui. Si j’étais atteinte de l’envie d’être riche, tous ces gens-là m’en guériraient par la peur de leur ressembler.

Tu as reçu, avec mes lettres pour Villefranche, celles pour Longpont, Rouen, Vincennes, etc. Ton silence sur elles a renouvelé mes craintes des tours de M. Tolz. [Tolozan]. Le chocolat que tu m’as envoyé est excellent, j’en ai pris avec sensualité.

J’attends de tes nouvelles comme mon plus grand régal ; adieu, mon bon ami, salut et joie, ainsi qu’au fidèle Achate.


44

[À ROLAND, À PARIS[79].]
Vendredi au soir, 18 janvier 1781, — [d’Amiens.]

Je présumais ton avis, mon bon ami, et j’agissais déjà en conséquence, poussée par de nouvelles réflexions qui s’accordent avec les tiennes. Je ne prévois pas tout, mais du moins je commence à me douter de cela même, et c’est déjà quelque chose[80]. J’ai fait venir une fille dont on m’a dit du bien ; elle est de cette ville, appartient à une honnête famille dans son genre ; elle sert depuis dix ans et en a environ trente ; demain elle viendra savoir ma résolution, car elle avait accepté mes conditions, mais je ne l’avais pas arrêtée. Son extérieur ne me plaît pas extrêmement, je crois que je deviens difficile, et pourtant l’indice ne me paraît point suffisant pour me faire rejeter le sujet d’après ce que j’en apprends. Que sera-ce ? Le temps me rapprendra ; j’ai perdu aussi la foi sur cet article, et il me faut l’évidence.

Nos santés sont bonnes : mère et fille mangent comme des affamées de huit jours ; la petite ne quitte presque pas mon sein ; je ne pourrais croire à son appétit si je n’en avais un pareil, et je traiterais de caprice les cris d’un besoin inconcevable par sa continuité pour ceux qui ne le ressentent pas. Je n’ai pour t’écrire que le temps où je fais donner de la soupe à l’enfant. Je ne m’interromps pas encore la nuit ; on me conseille de ne point habituer ma fille, au contraire, parce qu’avec son avidité elle ne me laisserait guère de repos : les circonstances me détermineront.

Ancelin est fort étonné de me savoir nourrice ; tous ces gens qui m’ont crue morte en sont également stupéfaits.

J’ai vu tantôt les deux voisins ensemble, au retour de leur promenade : ils ont été hier, avec tout Amiens, à la fameuse comédie (la Femme nouvelliste)[81] ; l’assemblée était brillante au possible, toutes les places occupées. Quant à la pièce, c’est du médiocre à tout égard, et du plus médiocre. Un mari faible, une méchante femme, un amoureux garçon ne cherchant que la dot, un nouvelliste piqueur d’assiettes, etc. Ces portraits-là ont des originaux partout et je n’y vois pas grand’merveille.

On débite pour certain le départ prochain de Dame Gigogne ; cela fit le plus grand bruit à la redoute où l’on s’en est fort entretenu ; elle ira en Bretagne, et par des ordres tels, dit-on, qu’au cas de refus de sa part, la lettre de cachet est prête.

Je ne sais ce qu’on bredouille encore de la vieille histoire de La Courte[82] ; mais je crois que M. d’E[u] veut s’amuser à te raconter ces folies, et je les lui abandonne.

M. de B[ray] est venu me voir, causant, demandant de la botanique, sans me dire si l’ouvrage qu’il m’avait envoyé était acquis ou emprunté par lui ; je ne le lui ai pas demandé ; j’ai répondu bonnement à ses questions que ce n’était pas à moi qu’il fallait s’adresser pour savoir ce qu’il convenait de faire, et qu’à titre d’avis je n’avais rien à dire ; qu’en aveu de ce qu’il me semblait, je dirais que, pour moi, si j’avais à commencer, je préférerais quelque chose de plus simple.

Je lui ai parlé de l’abrégé incomplet des Éléments par Rousseau[83], qu’il possédait sans le savoir, comme tant d’autres choses dans sa bibliothèque, et je l’ai engagé à les faire lire avant tout, ajoutant que s’ils n’inspiraient pas le goût de la chose, il serait inutile de passer, à d’autres ouvrages. Ce brave homme doit partir incessamment pour Péronne ; je le crois même actuellement parti.

Je puis donc espérer de t’embrasser bientôt ? J’aurais bien plus de plaisir aussi a te voir où tu dis[84], qu’à te savoir où tu es. Ces froids me sont sensibles autant qu’à toi ; ma délicatesse sur cet article est un fruit de mes derniers maux, que j’espère ne devoir pas être permanents.

Il faut bien faire, comme tu l’exprimes, pour nos projets peu secondés ; nous en avons pour tous les cas : ainsi nous ne demeurerons pas au dépourvu, ainsi que tant de gens qui sont tout sots pour une entreprise manquée. Tu as bien du mal à te rencontrer avec ce Longponien ; vous parcourez chacun de si vastes orbites, que les points de contact, d’insertion, se trouvent à des distances prodigieuses.

Que deviennent les cousines d’Épiney[85] ? Dis-leur pour moi mille choses obligeantes. Je ne t’entends plus rien dire de Mlle  de la Blz. [Belouze]. Elle est sans doute ou malade, ou affairée, comme de coutume. Et Notre-Dame du Palais-Royal[86] ? As-tu encore troublé un tête--à-tête ? Et tes gens de l’Académie, du Musée, du tripot[87] ? … Nous aurons bonne revue a faire des acteurs et des scènes que tu auras examinés.

Je t’envoie encore une lettre pour l’oncle de Vincennes, et voici entre nous le pourquoi. Tu auras aperçu que j’avais mis dans celle que je t’ai déjà fait passer une touche de plaisanterie ; l’oncle l’a fort bien prise, en bonhomme qui sent n’être que cela et qui soutient mal le personnage d’oncle. Il me semble que je dois, pour ainsi dire, le remettre à sa place par une lettre qui marque des égards. J’éprouve une sorte de malaise quand je vois à d’autres une contenance embarrassée ; j’ai autant de plaisir à témoigner de la considération à un bonhomme qui ne s’en fait point accroire, qu’à me moquer d’un important qui ferait l’entendu.

L’autre lettre est pour une demoiselle dont tu m’en as fait passer une avant ma maladie ; je la voyais avec plaisir sous mon toit de neige[88] ; son âme douce ; éprouvée par le malheur, d’une dévotion singulièrement tendre, me la rendait intéressante.


Samedi matin.

Je te dis bonjour dans mon lit, colla bambina nel mio grembo ; elle nous a fait toutes enrager cette nuit ; elle repoussait le suçon de sa bonne, et n’a point eu de paix que je ne lui eusse donné mon sein. Quand je dis enragées, ce n’est pas trop correct, car j’ai bien du plaisir à voir son empressement ; au reste, l’humeur qu’elle y mêlait tenait à une petite circonstance qu’on peut éviter, et nous n’aurons pas toutes les nuits pareille fête.

Je n’ai point de cuisinière ; celle présentée l’autre jour est venue dire que la course à faire pour aller à la fontaine St -Pierre était un obstacle qui l’effrayait ; elle en avait témoigné de la répugnance à la première annonce, quoiqu’elle acceptât, et je lui avais dit de faire ses réflexions, parce que je ne voulais pas qu’on remplit ses devoirs de mauvaise grâce. Elle ne me plaisait guère, et je n’y ai nul regret ; mais il n’est guère amusant non plus d’avoir à chercher de cette engeance : c’est un mal nécessaire.


45

[À ROLAND, À PARIS[89].]
Dimanche au soir, 20 janvier 1782, — [d’Amiens. ]

J’ai le cœur encore tout gros d’un méchant raisonnement que tu m’as fait ; je devrais dire d’une injure. Je palpitais de surprise et d’inquiétude en lisant ce que tu m’écris dans la petite feuille, après la citation de Crespy ; je suis venue à la lettre du frère, j’y ai vu l’extrait informe d’une, écrite par moi il y a bientôt trois semaines, dans le moment où l’état critique de ma fille m’agitait le plus et où je t’en entretenais avec bien plus de détails et de tristesse que je ne marquais au Crespysois ; et c’est d’après ce qu’il te rapporte aujourd’hui de mon style d’alors, que tu argues pour justifier une nouvelle méfiance et m’annoncer que désormais tu ne me croiras guère. Tiens, j’ai fait un mouvement pour jeter sa lettre au feu ; puis j’ai vu que c’était toi qui avais tort, et j’ai pleuré ; comme une sotte, il est vrai, car enfin c’est une erreur de calcul, et tu me jugerais mieux sans doute si tu n’avais pas mal compté. Avec tout cela, je ne puis relire tes lignes d’un œil sec, par l’idée qu’elles me donnent que tu conserves le germe d’un chagrin mal fondé.

Puisque j’en suis aux doléances, il faut épuiser le chapitre. Sempre qualche nuovo tormento ; c’est l’histoire de chaque jour. Ma fille se porte bien, mais elle a, par le malheur des circonstances, contracté des habitudes qu’il ne faut pas lui laisser et qui ne sont point aisées à détruire, parce qu’elle est très vive et s’irrite extrêmement de la contrariété. Criant souvent depuis qu’elle avait perdu mon sein, la bonne ne pouvait l’endormir qu’en lui donnant à manger dans son berceau ; en conséquence, l’enfant ne sait plus s’y tenir que par ce moyen. Il s’endort bien au sein, soit sur mes genoux ou même au berceau où je l’allaite quelquefois, mais, dès que ses petites mains ne sentent plus la mamelle qu’elles embrassent, il s’éveille et crie jusqu’à ce qu’on la lui rende. Avec ce train, je n’ai pas une minute, à moins que je ne le fasse amuser par sa bonne, en lui parlant ou le promenant. Dans les premiers jours que j’ai recommencé sa nourriture, il fallait bien le garder longtemps, parce qu’il tirait peu à la fois ; présentement, qu’il se rassasie assez promptement, je voudrais qu’il pût dormir autrement que sur mes genoux. Je l’ai couché hier, à plusieurs fois que j’ai vu le sommeil s’emparer de lui ; à chaque fois, il a pleuré dès que je me suis éloignée ou que d’autres ne sont pas venus le distraire.

J’ai commencé l’épreuve de la correction : je l’ai laissé crier, quand j’ai été certaine qu’il n’avait pas de vrais besoins ; sa violence lui a fait trouver des forces pour crier, de manière à faire redouter qu’il en souffrît beaucoup. J’ai persisté, ne voulant pas céder à ses cris de despotisme ; je me cachais derrière mon paravent en marchant et rongeant mes ongles, réfléchissant sur la nécessité de prévenir des défauts dont, par une nécessité plus fâcheuse, on se trouve avoir donné les principes. La bonne, dans un coin, n’osant souffler, me regardait à la dérobée pour voir si je lui dirais d’aller à l’enfant ; elle retenait des pleurs qui lui échappaient par grosses gouttes. Je souffrais bien plus que le jour où je suis accouchée ; j’attendais impatiemment une occasion d’apaiser la petite sans lui laisser sentir qu’on lui cédât : c’est ce qui arriva quand elle se fut salie ; mais sa voix était enrouée, son visage enflammé, ses yeux battus et elle était comme dans un mouvement fébrile. Nous avons passé la plus triste soirée ; chacune s’est couchée dans un morne silence. J’en suis à chercher les moyens d’éviter le mal moral, sans nuire au physique, et je n’y suis pas peu embarrassée. Je préférerais perdre ma fille, à lui laisser prendre un empire qui ferait son malheur, et j’ai assez de courage pour ne pas hésiter dans l’alternative ; mais je suis mére aussi, et ces épreuves, légères en apparence, ne me sont pas peu pénibles.

Je n’ai même pas en vue de cuisinière pour le présent, ce qui me fâche assez ; on ne manque point de sujets tels à peu près que ceux dont je me suis défaite ; j’en voudrais de plus sûrs.

J’ai répondu aux derniers compliments de Me Jn [Marie-Jeanne] (en ménageant son amour-propre) que j’appréciais ses services et que je les préférais à ceux de toute autre, mais que les commissions et le surplus d’ouvrage à faire, dans ma maison, qu’elle n’avait pas actuellement, demandaient quelqu’un plus en état d’en supporter la fatigue. J’ai même profité d’un rhume qu’elle a pris pour la presser de me trouver une bonne fille, afin que je la laissasse se reposer ; j’ai peu de personnes, et même point, à qui en demander. Otez trois ou quatre hommes et Mme  d’E[u], je ne vois âme qui vive à parler de telle acquisition dont je ne dis trop rien aux autres peu faites pour me la faciliter. J’aurais voulu ce nouveau meuble tout habitué pour ton retour ; cela devient douteux. Tempo et pazienza : je prendrai de l’un et de l’autre puisqu’il le faut, et nous verrons, pour cette misère comme pour autre chose.

Je me suis soulagée par la confession de tous mes petite maux ; je n’en sentirai plus aucun quand je te reverrai, puisque je les oublie en ne faisant que te les écrire.

Parlons donc du Musée, qui me paraît, à bien des égards, l’abrégé de Paris, soit dans la diversité de ceux qui le composent, soit dans l’esprit qui y règne, soit dans la vie qu’on y fait et la bigarrure qui résulte de tout cela ; tu m’en fais un tableau singulier et piquant, qui m’amuse autant que les modèles t’ont diverti. Il me semble, au bout du compte, que tous ces établissements sont inventés et courus par des gens qui se battent les flancs pour varier leurs plaisirs et se sauver de l’ennui. Mais tu vas dire encore que je fais de « la raison ou de l’esprit à perte d’haleine » : ne semblerait-il pas aussi, à t’entendre, que je prodigue le bien d’autrui ? En vérité, mon cher maître, vous êtes un terrible censeur. Quoi qu’il en soit, prenez courage, car je ne rabattrai pas un iota avec vous de tout ce qui me passe par la tête. Par exemple, je t’avouerai franchement que tes saints du lendemain, avec toute leur raison, me déplairaient bien plus, à moi qui fais de cette drogue, que tes diables de la veille au soir parmi lesquels je ne figurerais point ; encore font-ils un peu rire, ou prêtent-ils à l’observation. C’est le privilège des fous : mais les sots ne font qu’ennuyer. Pourtant, lorsque ceux-ci sont en nombre, leur cohorte a quelque chose d’original ; j’attends une bonne relation de l’assemblée des Quatre Cents dans la prison de Saint-Denis[90].

Tu ne me dis rien du docteur fistulisé, que cet adjectif, qui m’est nouveau pour lui. Où est-il ? Par qui en entends-tu parler ? N’a-t-il pas fait de démarches pour te voir, lui qui avait tant de choses à te dire ? de ces choses, comme celles d’Aristote, que tu renverrais par-dessus l’épaule.

Le Grec manqué[91] ira sans doute voir le Sorbonnien ; au reste, il n’a plus les mêmes raisons de le rechercher, ainsi qu’il en avait lors du mariage projeté. Ce seigneur Aristote ne marche pas sans avoir ses petites vues. Vous aurez ensemble de plaisantes conférences.

Je plains de tout mon cœur nos bonnes petites cousines[92] ; elles auraient grand besoin, pour ne pas s’ennuyer à Paris, de la ressource que Mme  de Chg. [Chuignes] avait su s’y faire, et qu’elle méritait moins que nos aimables novices : de quelques connaissances sûres et complaisantes dont l’équipage fût à leur service. Autrement je les vois condamnées à garder la chambre, les mains croisées, avec leur petite robe blanche et leur joli voile.

À propos de Mme  de Chg. [Chuignes], on débite à mi-voix qu’à force de remèdes sa tête s’est affectée : la bonne mère de B[ray][93] disait gravement à la petite Durx. [Durieux] qui s’en moquait : « Ma fille, elle est plus à plaindre qu’à blâmer, vous ne devez pas en rire. » Le fait est que Mme  de Chg. [Chuignes] n’est folle que de sa charmante, comme elle l’a toujours été ; mais que l’espoir de la marier suivant son ambition la rend d’une gaîté et d’une jactance dont on s’ennuie, et dont on devrait bien voir la cause, quoiqu’elle s’efforce de la taire. La petite personne est toujours la déesse de nos redoutes et la folie du jour ; tous les jeunes gens la fêtent : c’est devenu la mode, ou le ton ; tous disent qu’elle n’est qu’une coquette ; tous, après l’avoir accablée de jolis riens et de sottises galantes, s’en vont disant qu’elle se met et danse comme une fille. Tel que soit le triomphe, la jeune élégante en jouit pleinement ; elle ne paraît jamais à la redoute que très tard, de manière que son arrivée fait éclat ; tous les papillons voltigent aussitôt de son côté ; le concours est universel et l’abandon des autres prétendantes aussi complet qu’il soit possible ; la toilette toujours brillante de cette dernière arrivée se soutient mieux, précisément par cette raison ; elle l’emporte ainsi par la fraîcheur autant que par la recherche.

Une voiture arrête… On est longtemps à annoncer… Bon ! c’est Mme  de Chg. [Chuignes], la petite personne et la vieille tante[94].

Elles sont parties ; j’ai eu bonne envie de rire en déposant ma plume quand elles sont entrées ; n’est-ce pas dommage qu’elles n’aient point vu ce que j’écrivais ? Visite de petite demi-heure, longue exposition des maux, grande information de santé, beaucoup de choses pour toi, des questions sur les nouvelles de Mlle  de la Belz. [Belouze], etc. Mme  de Chg. [Chuignes] me parait bien guérie ; elle dit n’avoir plus de douleurs ; son visage est bon ; elle ne ressent que des accès d’une sorte de faiblesse et d’accablement, fruits des remèdes, qui annoncent le besoin de restaurants. Sa fille est toujours maigre et pâle à l’excès, avec un air fané que la toilette n’efface pas ; assurément il lui faut un mari, sous peine de paraître souffrir de la privation. On a dit, comme tu peux croire, beaucoup de choses honnêtes : on a observé qu’on ne faisait pas de visites et qu’on allait voir seulement une ou deux personnes telles que Mme  d’E[u] et moi ; mais, comme Mme  de Chg. [Chuignes] n’est pas très fine dans les affaires où elle n’a point d’intérêt, elle s’est vendue à demi, et je soupçonne sa visite une simple réminiscence due au hasard. Elle venait de chez Mme  d’E[u], qu’elle croyait disposée à venir souper chez les grands parents ; et Mme  d’E[u] n’y va pas aujourd’hui ; donc, etc. Tu sens parfaitement que cela ne m’a pas été raconté ; je l’ai attrapé à travers les branches et à la volée. C’est toujours bon à saisir pour apprécier les gens ; on rend ce qu’on doit en apparence, et l’on ne se charge pas d’obligations pour le reste qui se réduit à rien, ou peu de chose.

Je m’étonne davantage que tu aies lu les marches[95] en question que de la perte de l’esprit de celui qui les a tracées ; car il ne doit pas être difficile de perdre le peu de facultés qu’il faut pour cela ; mais il ne me paraît point aisé que tu aies trouvé le temps de lire pareille production. Il faut être à Paris pour avoir ce courage.

Tu ne dis mot de M. Demachy[96] ; ne l’as-tu pas vu ? C’est peut-être ton confrère : que sait-on ! Le caprice des rois a fait des choses plus étonnantes et moins justes.

Je ne me rappelais pas bien que le premier entortillage de M. de Cne [Couronne] avait été précisément à l’occasion de l’ouvrage ; tu m’en fais souvenir, et je crois aussi qu’il s’en tiendra là.

J’ai vu Dolin, qui désirerait fort que ses appointements fussent déterminés ; M. du Castel[97] lui a demandé ses comptes, suivant l’usage.

M. Duperron est venu tantôt ; je me suis faite invisible à raison (tacite, bien entendu) de l’ennui qu’il me cause.

La signora d’E[u] était hier d’une gaîté rare et aimable ; elle a passé une heure ici, avec le fidèle ; on a parlé de romans ; elle est moins novice sur l’article que sur beaucoup d’autres sujets. M. de V[in] disait que, s’il était Mme  de Chg. [Chuignes], il ne laisserait pas Clarice entre les mains de sa fille, dont la tête légère ne manquera pas de choisir Miss Howe pour modèle. À ce propos, et par un autre raisonnement qui ne vaut pas d’être détaillé, il observait généralement que tout lecteur ne s’avisait pas de se comparer au héros d’un roman, mais qu’il s’appliquait volontiers un des seconds personnages, selon son caractère. Je me suis mordu les lèvres pour ne pas répondre ce que d’autres jugeraient être une impertinence ; mais je me suis dit que je ne lui ressemblais guère et que j’avais sans doute une furieuse dose de présomption. Je t’avoue, à toi, qu’en lisant un roman ou un drame, je n’ai jamais été éprise du second rôle ; je n’ai pas lu le récit d’un seul acte de courage ou de vertu que je n’aie osé me croire capable d’imiter cet acte dans l’occasion, et, à part les agréments, les talents, etc., imaginés et réunis pour la perfection de Clarice et de Julie, j’ai cru les valoir par mon cœur et que j’aurais été leur amie si je les avais connues, leur existence étant supposée. Est-ce que tu ne t’es pas mis aussi à la place de Grandisson ?

Je ne sais si c’est effervescence d’imagination, mais, en étudiant l’histoire, je n’ai point eu pour les beaux traits et les grandes actions cette admiration pure et froide que je vois à mille gens, qui n’est que contemplative et que je ne conçois que par celle qui m’est inspirée par les grands effets de la nature. L’exposé du bien fait par mes semblables m’a touchée, m’a pénétrée d’attendrissement et de plaisir ; il me rendait meilleure à mes yeux, parce qu’il éveillait en moi la confiance d’en faire autant et le regret de n’être pas dans la même situation que ceux qui l’avaient opéré.

Plus je vois et j’écoute, mieux je sens que j’ai peu de choses à dire en société ; mes opinions ou mes sentiments paraîtraient ridicules, outrés ; je doute moi-même quelquefois de la justesse des premières et je fais mes comparaisons en secret. Crois-tu cependant que je me trompasse en appréciant quelqu’un d’après un jugement semblable à celui en question ? Assurément, ou je te connais peu, ou, quand tu as lu la Nouvelle Héloïse, tu t’es supposé, suivant les temps, Saint-Preux on Wolmar ; mais il faut convenir que l’ami de V[in] est un vrai M. D’Orbe.

En parlant de cet ami, j’ai su de lui que son vieil oncle se mariait mardi ; le pauvre garçon en a le cœur gros pour sa sœur ; on voyait qu’il était affecté, qu’il avait besoin d’en parler. J’aurais voulu que ce n’eût pas été en présence de Mme  d’E[u]. Elle ne sait pas mettre ses amis à l’aise par le témoignage d’un intérêt qui favorise l’épanchement ; elle est froide et légère. Je la trouve repoussante par cela même, et je ne comprends pas qu’on puisse avoir avec elle des relations intimes ; sans doute, l’habitude tient quelquefois lieu du sentiment. Comment vient-elle sans lui ? Voilà pour moi le mystère. Tu sais l’histoire du mariage ; c’est une vieille fille riche qui veut mourir marquise ; et lui, assez riche pour n’avoir pas besoin de la fortune d’autrui, faisant cela par faiblesse pour sa famille, que la vieille avantage. En vérité, il est bien étrange de voir marier des soixante et je ne sais combien d’années, de part et d’autre ! Le neveu a appris le jour de la célébration par M. Cornet[98], qui a fait de cela nouvelle dans la ville, en le débitant comme une bizarrerie, mais sans égards pour M. de V[in]. C’est un certain M. Martin[99], M. Marin (l’un ou l’autre), beau-frère dudit Cornet, qui s’est mêlé de ce mariage. Opère maravigliosa !… Si je ne me sentais émue pour le neveu et sa sœur, cette folie m’en ferait dire. Tu en imagines déjà ; revenons au grave.

Le musée dont tu me parles n’a-t-il pas fait tomber celui de M. de la Blch. [Blancherie][100] ? Tu ne préviens pas mes craintes là-dessus ; c’est d’une grande cruauté.

Je n’ai rien entendu dire de Mme  du Maug.[101] depuis le temps que tu sais ; rien dans ma maladie, rien depuis ; il y a quelque cause à ce grand silence. Croit-elle que j’aie pu lui faire des visites et que je l’aie négligée ? Est-elle aussi malade ? Il faut l’un ou l’autre. Si tu voyais beaucoup Notre-Dame du Palais-Royal[101], tu pourrais savoir cela sans le demander. Au reste, je ne m’en soucie guère : soit ce qui pourra.

Tu prends donc des drogues de l’Esculape, et M. Lanthenas[102] avec toi ? Il m’écrit que vous faites deux déjeuner dont le premier n’est pas plaisant. J’en fais deux aussi, mais également bons, et je m’en vais prendre mon cinquième repas ; il est huit heures. Adieu, mon bon ami ; je t’embrasse bien tendrement.

Tu recevras ces jours-ci pour Mlle  Cannet[103] une petite boîte ; tu es prié de donner au porteur quelque argent qu’il te demandera.

Lundi matin. — J’écris un mot au compagnon, et je te dirai, pour nouvelle, que ma petite se tient fort sagement dans son berceau, soit effet de la correction, soit meilleure disposition. Je ne le déciderai pas. Quant à moi, j’ai du lait tant et si bien, qu’il a coulé tout seul a mon réveil et qu’il me faudra en donner la nuit pour n’en être pas incommodée.

Je me sens bien ; il fait beau, le temps est doux ; j’ai vu par la fenêtre de mon cabinet de toilette que diverses plantes[104] commençaient à pousser ; le règne de la botanique va revenir, je l’entrevois avec plaisir.

Tu ne m’as rien dit de la réception du travail de M. d’E[u]. Je ne sais quel jour je te l’ai envoyé ; j’oublie continuellement le dernier où je t’ai écrit : toujours il me parait loin.

Adieu, cher et bon ami.


46

[À ROLAND, À PARIS[105].]
Vendredi, 25 janvier 1782, — [d’Amiens.]

Dans une chambre enfumée comme la tanière d’un renard, l’œil gaillard et les dents aiguisées, je vous salue, mon cher maître ; n’ayez pas de crainte cependant, vous n’êtes rien moins qu’une poule, et je n’en veux pas même à celle-ci. Qu’êtes-vous donc devenu au milieu du fracas de Paris ? J’entends moins parler de vous que du Grand-Turc dont la gazette me dit parfois quelque chose. En vérité, mon bon ami, je m’ennuie fort de ton silence ; si j’étais d’un peu mauvaise humeur, je gronderais jusqu’au bout de mon papier, et encore par delà. Les fusées volantes ont-elles tombé dans St -Denis ? Ç’aurait été un peu loin. Mais, plaisanterie à part, tout ce tapage de la capitale me donne parfois du souci. N’ai-je pas l’air d’une bonne provinciale qui n’a jamais quitté les rues désertes de sa ville et les lourdauds qui les fréquentent à pas comptés ? La jolie chose qu’un air de province, comme celui de la Béotie surtout ! Combien on peut l’acquérir aisément ! Il n’en est pas ainsi des grimaces parisiennes ; il faut un cours pour apprendre à les imiter agréablement. À propos de cours et de science, il faut que je propose à vous autres chimistes l’explication d’un fait arrivé ce matin dans ma cuisine. On a fait, par inadvertance, du cacao sur du marc de café ; puis, ayant tiré au clair cette liqueur composée, on l’a mêlée avec le lait. Tout allait bien jusque-là ; mais comme je n’étais pas encore disposée à déjeuner, il a fallu rapprocher du feu le cacao mixte ; une demi-heure après, le déjeuner a tourné, à l’étonnement des faiseuses et à mon grand déplaisir ; piquée de cette nouvelle, j’ai voulu voir ce qui en était ; l’odeur et l’inspection des objets m’ont fait deviner le mystère. La partie du lait réduite en fromage s’était emparée du cacao et en avait pris la couleur rougeâtre ; l’autre partie liquide avait l’odeur et toute la couleur du café au lait, dont la nuance serait seulement affaiblie par la limpidité d’une liqueur bien plus légère que le lait. De là, messieurs, dissertez sur la nature du cacao et du café, leur analogie avec le lait, leurs qualités, etc., etc. En attendant que vous me fassiez part de vos savants résultats, je veillerai à ce qu’il ne se fasse plus de semblables expériences à mes dépens.

J’en étais là de cette folle lettre, quand je reçois la tienne des mardi et mercredi[106]. Je déchirerais cette première demi-feuille, si elle n’était pour toi un témoignage de ma bonne santé et d’une disposition plus gaie que celle où me voici. Tu es malade, mon ami, tu souffres et je ne suis pas près de toi pour adoucir ton malaise, te soigner et calmer mes tourments ! Juge de mon inquiétude ; je sais combien ces mauvais rhumes t’incommodent, combien peu tu te ménages, combien ce défaut de ménagement peut faire de mal ; toutes ces idées me remplissent d’amertume. La vie que tu mènes, le temps affreux que nous avons, tout me fait désirer plus vivement que jamais ton retour à la maison.

Je vais t’expédier celle-ci en droiture contre ma première intention, pour solliciter plus promptement de tes nouvelles.

Marie-Jeanne est retournée chez elle hier ; elle n’a accepté que la valeur des gages que je donne à une cuisinière pour les 17 jours qu’elle est demeurée de nouveau avec moi. Ma nouvelle fille me semble mieux que ce que j’ai encore eu. Je n’ai pas le courage d’en dire plus long, ni de répondre à tes observations[107] ; tu peux penser qu’aucune d’elles ne m’est indifférente et que je veillerai toujours à ce que tu sois satisfait dans tout ce qui dépendra de moi. Adieu, mon ami, que je sache vite et souvent comment tu te portes. Je t’embrasse, le cœur serré.


47

[À ROLAND, À PARIS[108].]
Dimanche, 27 janvier 1782, — [d’Amiens.]

Je ne t’écris que pour demain, mon bon ami ; j’espère recevoir de tes nouvelles par le courrier prochain, et je les attends avec la plus vive impatience. Je suis tourmentée de ton indisposition, elle me préoccupe plus que je ne saurais dire. Je n’aurai de repos qu’à ton retour.

Depuis que tu m’as annoncé que je te verrais avant la Chandeleur, j’imagine toujours que ta première lettre m’indiquera le jour de ton départ ; je m’en flatte encore pour celle que j’attends demain.

Ma santé se soutient très bien ; mais ton malaise efface ma gaieté ; j’ai besoin que tu sois content et bien portant, pour jouir moi-même sans altération de biens semblables ; autrement l’appétit est inégal et le lait va en proportion.

J’ai quelque souci de ma petite ; voici ce qui me le donne : elle prend le sein avec avidité, se gorge autant qu’il est possible, puis elle vomit ; non comme dans les premiers temps, sans efforts, ni apparence de souffrance ; mais elle crie, s’agite, porte ses doigts dans sa bouche comme pour en tirer ce qui la gêne ; son haleine exhale une odeur aigre et forte, moins ressemblante au lait aigri qu’à l’odeur d’un adulte qui aurait de l’indigestion ; l’agitation, les petits cris, tout le manège continue jusqu’à ce que, ayant bien rendu, elle crie plus fort en cherchant de nouveau à téter ; la scène recommence ainsi, tant que le sommeil la prenne au sein et ne soit pas interrompu par le transport de l’enfant au berceau : ce qui arrive volontiers la nuit et le matin ; mais l’après-midi et le soir, il dort peu ou point, et ne fait que prendre, crier et vomir. J’ai voulu éviter de lui donner le sein aussi souvent qu’il, parait le demander, croyant qu’il en prenait trop ; c’est bien pis. Dès que son désir se manifeste, il entre dans un état violent et terrible si l’on tarde à le satisfaire. Il n’y a plus de lait étranger ni d’eau d’orge ; seulement une soupe tous les soirs avant de le coucher. Habitant ma chambre continuellement, j’y garde l’enfant pour ne pas multiplier les feux. J’espère, au reste, qu’à mesure qu’il se fortifiera, le temps de son repos deviendra plus long ; il y a déjà des différences du commencement, et j’ai gagné les matinées.

Je suis fort contente de la bonne ; sa douceur et son assiduité se soutiennent également ; elle s’attache et parait agir avec un vrai zêle. J’ai pour cuisinière une fille propre, honnête, entendue, qui, je crois, aime un peu ses aises ; elle est de grand appétit et vaut deux Marguerite pour la consommation. J’ai su de M. Devins une petite histoire que son séjour à Paris m’avait fait soupçonner ; cette fille a servi chez l’abbé de Modène, puis chez M. Froment[109] qui en était très content et où l’ami Devs [Devins] l’a vue ; elle en est sortie pour y être devenue trop puissante et elle a été déposer son paquet à la capitale. C’est d’ailleurs un bon sujet, et les circonstances de l’aventure donnent à croire que ce n’est point affaire de libertinage ; elle a conservé un air de décence qui plaît et qui la fait supposer honnête.

On a passé hier sous la porte un avertissement de payer les vingtièmes ; je pense que c’est l’affaire des propriétaires ; cependant je n’en suis pas assurée, et je doute si je dois envoyer cet imprimé à Mme Coquerel. Je le demanderai à M. d’Eu au premier moment.

On t’a envoyé de l’Intendance l’arrêt du Conseil pour le droit de marque[110], avec une lettre que je te fais passer et où le mot subdéléguation m’a fait rire, en me retraçant l’exactitude littérale des copistes.

J’ai vu aujourd’hui M. Duperron, pour lequel je n’avais pas été visible plusieurs fois de suite, et que j’ai reçu pour éviter l’affectation de le renvoyer toujours.

Adieu pour ce soir, cher et bon ami ; je t’embrasse de tout mon cœur.


Lundi, à onze heures.

Le facteur m’apporte un paquet qui vient du bureau de M. de Montaran ; il contient plusieurs exemplaires de l’arrêt ci-dessus mentionné et une lettre d’envoi renfermant l’invitation à le faire connaître dans ton département. Je crois inutile de te les envoyer, puisque c’est ici qu’ils doivent être employés ; tu me diras ce qu’il en faut faire, si je puis en faire quelque chose.

Je suis extrêmement en peine de n’avoir point de tes nouvelles ; j’en éprouve un serrement, un malaise que je ne puis t’exprimer ; hâte-toi de me tranquilliser pour notre bien commun.

Adieu, mon ami.

48

[À ROLAND, À PARIS[111].]
Lundi, 28 janvier 1782, au soir, — [d’Amiens.]

Ta lettre de jeudi[112], mon bon ami, m’est bien arrivée aujourd’hui, mais à plus d’une heure, apportée par le facteur en titre, qui, pour bonne raison, venait s’informer si tu étais de retour. J’avais le plus grand besoin de tes nouvelles et je suis un peu tranquillisée. J’avoue que je juge de ta disposition autant par le ton de tes lettres que par ce que tu m’en dis ; d’après cela, ta précédente m’avait jetée dans une agitation très pénible que la dernière adoucit un peu. Presque au même instant, M. Flesselles m’a envoyé, pour en prendre lecture, celle que tu lui avais adressée. Pour le coup ! si le projet qui la termine doit me faire juger de ta santé, je n’ai qu’à me réjouir bien sincèrement ; car le mois de mai n’est pas trop loin, et, pour se promettre d’être un vaillant champion dans ce temps-là, il faut déjà se sentir ferme sur ses ergots. Cependant, point d’appétit ni de sommeil ne fait pas un état merveilleux, et je ne suis pas plus contente que de raison. Aie un peu soin de toi. Que prends-tu ? comment te gouvernes-tu ? tu n’en dis rien, et je n’en ai guère bonne opinion.

Sur ce que tu dis de l’affaire en question et des nouvelles tentatives, je présumerais qu’il s’agit de quelque maîtresse du secrétaire d’État de qui les choses dépendent[113] ; car, à la cour et au palais, il me semble qu’il n’y a moyen de réussir que par les p… et l’argent. Si ce n’est pas cette voie, je dis avec toi que je n’y compte point, et c’est à quoi je m’en tiens ; tu as beau m’annoncer une démarche étrange, je ne puis la supposer auprès de certaines gens[114].

J’ai reçu les compliments de condoléance de ma cousine[115] sur mes maux passés et mon chagrin de ne pouvoir plus nourrir ; tu lui diras, si tu la vois, que son compliment m’a fait d’autant plus de plaisir qu’il n’est plus de saison, et que je crois qu’elle en sera bien aise ; du reste, amitiés, etc.

Les affaires du tripot ressemblent au bal de l’Hôtel de Ville[116] : c’est une réunion de sottises faites par une canaille plus ou moins distinguée. C’est la même répétition en Béotie ; et comme tu dis, on en est à chercher les épithètes ; je ne me charge, en vérité, pas de les trouver : il faudrait les créer et se souiller à pareil ouvrage.

Mme  de Chg. [Chuignes] m’a envoyé demander ton adresse, par son nigaud de laquais, plus nigaud cent fois que les sot qu’elle paraît chercher a plaisir pour son service ; j’ai répondu par un billet honnête, mais à la troisième personne. J’ai : 1° offert mon entremise ; 2° donné le couvert de M. Tlz. [Tolozan] ; 3° ton adresse directe, au cas de petites choses à te remettre à Paris.

Je te dirai que ma petite m’inquiète par ses vomissements, et ses aigreurs ; dans les instants de liberté qu’elle me laisse, je vais feuilletant l’Encyclopédie et autres, aux mots enfant, nourrice, maladie des premièrs, etc. Je t’assure que les savantes dissertations et les beaux préceptes paraissent bien bêtes ou bien insuffisants quand il s’agit d’en faire l’application. Tous ces gens-là me guériront bien de raisonner, car je vois que les plus habiles n’ont pas le sens commun quand on les rapproche des faits. Mon enfant crie, souffre et s’agite parce qu’il semble avoir trop pris ; il rend avec douleur, et cela n’est pas fini qu’il cherche à reprendre et irait aux convulsions, si l’on s’obstinait à lui refuser comme j’ai voulu le tenter. Je désire le régler, mais je demande qu’on m’apprenne comment il faut s’y prendre ; si les marques du besoin sont équivoques chez l’enfant, s’il a un appétit immodéré qu’il faille refréner, quelle proportion doit-on garder ? Qu’est-ce qui saura déterminer précisément la dose nécessaire à cet enfant, dose qui doit varier avec les tempéraments ? D’après l’étude que je fais des crises de ma petite, de son avidité, etc., j’ai eu le soupçon qu’elle avait peut-être déjà des vers : soupçon que je n’aurais pas si elle n’eût encore pris que mon sein. Cette idée me tourmente et j’envoie chercher pour demain M. d’Hervillez ; quoique j’attende fort peu de sa science, et bien moins de son expérience (ce qui est beaucoup dire), je causerai avec lui ; mon idée n’est peut-être pas si impertinente qu’elle peut paraître, et il est sans doute quelques vermifuges propres a communiquer à mon lait leur qualité, et que je pourrais prendre sans m’incommoder.

Je suis persuadée que tous les traitements dont un enfant à la mamelle peut avoir besoin doivent être faits à la nourrice ; aussi je m’observe sur le manger ; comme je suis d’un grand appétit, je prends garde à ne pas aller trop loin et à retenir l’imagination si elle venait à la place du besoin, dans la crainte de communiquer cette disposition ou ce défaut à l’enfant. En vérité, en y regardant de près, une nourriture est un cours de morale, et je crois que plusieurs femmes font bien de ne s’en pas mêler.

Si tu trouves quelque docteur qui ait suivi les enfants, étudié ce qui leur convient, tâche d’en tirer quelques lumières pour moi : je me sens ignare, et je pense qu’il faut bien plus d’attentions et de soins d’une certaine espèce, pour les gouverner convenablement, qu’on n’a coutume de le croire. Bonsoir, mon ami, je vais souper ; huit heures sonnent.

Mardi 29, à dix heures et demie.

Je sors de mon lit ; je n’ai fait ma nuit qu’au matin ; l’enfant a crié jusqu’à deux heures, je lui avais donné le sein à onze. Il est demeuré éveillé, inquiet ; à minuit et demi, il a fallu lui donner un peu de panade très légère ; cet aliment l’a rendu tranquille pour une demi-heure, puis les cris ont recommencé jusqu’à deux heures qu’enfin le sommeil est venu. Réveillé entre quatre et cinq, il a vidé, pris le sein durant plus d’une heure ; après quoi, nous avons bien reposé tous deux jusqu’à neuf et demi. J’ai donné le sein de nouveau, mangé ma soupe, et je me lève enfin pour continuer ma petite vie. La bonne a été longtemps sur pied ; j’ai été obligée de la prendre dans ma chambre où je la fais coucher sur les sangles du petit lit, mais avec son matelas ; les tiens étant ôtés et remis pour le jour seulement.

J’attends le docteur, peu docte, dans la journée ; nous verrons.

Je reçois ta lettre du dimanche[117] en réponse à mes inquiétudes ; tu vois que je ne suis pas servie plus lestement que toi et que la poste nous fait également attendre. Tu traites ta santé fort légèrement et tu en parles de même, ce que je ne trouve pas si plaisant. Quant à moi, plaisante tant que tu voudras, rappelle toujours, s’il te plaît, la vieille querelle de ne pas t’avoir dit assez tôt ma maladie, trouve mes raisons mauvaises, j’avoue que tu en as de bonnes pour tout cela ; mais aie soin de toi et songe à mes inquiétudes, assez-seulement pour ne pas les justifier.

Je croyais bien t’avoir dit que le relieur m’avait apporté au jour par moi fixé les 22 exemplaires[118] en question ; que je n’avais pas été contente de les trouver sans garde, que je l’avais témoigné ; qu’il avait fait le raisonneur comme si je n’eusse pas dû savoir ce qui était, disait-il, de son état, etc. ; qu’en somme, je ne l’avais pas payé, afin que tu puisses au moins lui dire toi-même ce que tu penserais de sa besogne. Ce seigneur paraissait peu satisfait du billet pressant que je lui avais envoyé, en conséquence duquel, cependant, il rapportait l’ouvrage. Ceci s’est passé vers les Rois ; depuis ce temps, j’ai rangé, serré les livres dans une petite armoire du cabinet ; ils y dorment en attendant que tu les appelles à la lumière.

Je vois avec chagrin, mais sans étonnement, les désagréments que jetteront dans ton travail l’insolence et la friponnerie des libraires ; en les traitant comme tu fais, on les met bien à leur taux, main il est fort maussade d’être en correspondance avec ces gens-la. Je vois que, dans cette capitale, où l’on est toujours attiré par la variété, la singularité des scènes, on prend toujours aussi de nouvelles raisons de s’en éloigner par les vices de ceux qui l’habitent.

Je ne puis dire combien, pour la santé, pour la paix et tout te reste, j’envisage le Clos avec complaisance et voudrais sauter à pieds joints les quatre ans à passer[119] pour atteindre ce but.

Je vois que tout ce qui tient aux imprimeurs, etc., en partage l’esprit tracassier ; les histoires de Dieppe[120] ne prennent pas une tournure heureuse, et cet aperçu me peine ; j’aime à croire qu’il y a plus de maladresse que de toute autre chose ; mais toujours, les résultats sont-ils plus que désagréables.


Après-dîner.

M. d’Hervillez est venu ; je lui ai exposé l’état des choses et tout ce que j’avais observé ; il a prévenu mes idées et m’a assuré que l’enfant avait des vers ; je lui ai dit que je l’avais soupçonné et que c’était en conséquence de ce soupçon que je l’avais fait prier de passer. Il parait plus commun que je ne le pensais que les enfants encore à la mamelle aient déjà des vers ; on en a trouvé même dans l’estomac de quelques enfante mort-nés.

Le médecin ne m’a pas conseillé de rien prendre : il prétend que les vermifuges qui pourraient communiquer leur vertu a mon lait seraient les amers, les échauffants à très forte dose, ce qui me serait nuisible ; qu’en petite quantité, ou de moindre action, ils ne seraient pas efficaces pour l’enfant ; qu’il fallait donner à celui-ci la décoction de coraline ou mousse de Corse, la valeur de deux gros dans une tasse d’eau, pour être prise par petites cuillerées ou mêlée dans la soupe, dans les vingt-quatre heures, en sucrant cette décoction pour la rendre agréable à l’enfant. Ou assure que ce remède, excellent contre les vers, n’a aucun inconvénient des autres ; c’est un mucilagineux qui n’échauffe point et dont l’usage ne saurait faire de mal. J’ai déjà commencé d’en faire prendre à ma petite qui fronce le sourcil, grimace et avale toujours ; je commence avant de présenter le sein, j’interromps pour réitérer, puis je rends le sein qui fait oublier aussitôt la saveur désagréable de cette drogue. Elle vient de s’endormir à ce petit jeu, et je t’écris près de son berceau. On remarque que les enfants qui ont des vers ont la pupille extrêmement dilatée.

Mme d’Hervillez est enfin accouchée, après un travail de quarante-huit heures ; son enfant est mort ; elle n’est sauvée qu’à grand’peine. Chacun a ses misères ; le sort est commun, les lots seuls diffèrent un peu.

À propos de filles et de la difficulté de s’accommoder avec cette espèce, je t’apprendrai que j’en ai une excellente ; propre, vigilante, toute à son affaire et l’entendant fort bien ; néanmoins docile et ne faisant rien sans ordre ; rien n’est gâché ni perdu ; tout se fait très bien, mais elle mange comme un diable. Imagine-toi qu’entre trois femmes, il se consomme chaque jour un peu moins de trois livres de viande, dont je ne mange jamais le soir, et dont la petite Marguerite ne consomme guère que le quart, et tout au plus. Encore notre grosse cuisinière fait-elle si bonne brèche à dîner, que leur souper est très court et qu’il se réduirait à zéro si l’impayable mangeuse ne paraissait se contenir un peu pour en laisser. J’ai cru devoir lui observer que je voyais beaucoup augmenter la consommation depuis son arrivé ; que je ne voulais pas lui faire un reproche de son apétit, parce que j’espérais qu’elle n’était pas de ces gens à manger plus de bonne chère que de pain, parce qu’ils vivent aux dépens d’autrui. Elle a fort bien répondu qu’elle croyait ne pas mériter ce reproche, et qu’elle espérait aussi que je m’en persuaderais ; du reste, elle convient ingénument qu’elle mange beaucoup. Que faire ? ce n’est pas un crime ; mais la bourse en pâtit, et c’est quelque chose. La grande indolente que j’ai eue quelques jours mangeait aussi fort bien, mais elle baisserait pavillon devant celle-ci. Il suit de tout cela que j’ai un bon mais cher domestique. C’est une diablerie !

Je ne puis avoir le mémoire de L’Aposlole, ni le compte de Mme Turbet[121] ; ces gens-là me laissent à garder un argent dont je voudrais être débarrassée puisqu’il ne m’appartient plus.

Tu me donnes la commission de faire accommoder le jardin ; on dit qu’il faut aussi tailler la vigne, etc. Je ne veux pas me servir de ce vieux petit bonhomme qui ne finit rien ; je ne sais à qui m’adresser ; j’ai demandé à M. Flesselles de m’envoyer un bon manœuvre-jardinier qui employât bien son temps.

J’ai fait remettre à Mme Coquerel l’avertissement pour les vingtièmes, sur la confirmation qui m’a été faite par M. Flessolles de mon opinion, qu’ils regardaient les propriétaires.

M. de Bry [Bray] étant à Péronne, je n’ai pas envoyé chez lui la note des livres.

Il fait toujours un horrible temps ; la neige a paru aujourd’hui ; je ne mets le nez à l’air que le dimanche. Pour l’édification du prochain et le salut de mon âme, je vais à l’église du Collège[122] me geler les pieds, qui sont d’une extrême sensibilité au froid et à la dureté du pavé. On meurt ici comme les mouches ; je ne vais pas deux fois à ma toilette, que je ne voie faire une fosse ou la meubler[123] ; partout ce sont des mottes de terre nouvellement remuées qui disent : Il gît ici. J’en ai eu le cœur tout serré hier, que je m’étais avancée à la fenêtre pour reconnaître des herbes qui croissent tout près d’elle, sur le mur du cimetière. — J’oubliais de te dire que j’ai beaucoup questionné le médecin sur les moyens de faire ce qu’on appelle régler un enfant, qu’il m’a répondu n’en pas connaître et qu’il haussait les épaules chaque fois qu’il entendait une femme se féliciter d’avoir réduit son enfant à se passer du sein durant tant d’heures ; qu’en ne donnant que son lait, on n’avait pas à craindre de surcharge, que d’ailleurs on ne pouvait juger du besoin que par les…[124]


49

[À ROLAND, À PARIS[125].]
Jeudi au soir, 31 janvier 1782, — [d’Amiens.]

Tes deux lettres, mon bon ami, du samedi et du lundi[126] sont arrivées ensemble hier après l’expédition de mon paquet ; je ne sais par quelle aventure elles ont fait le voyage de compagnie ; toujours est-il que la journée d’une telle réception est pour moi du nombre des heureuses. Je te sais bien bon gré de me donner de tes nouvelles fréquemment ; je ne te demande pas des épîtres, tout agréables qu’elles me soient ; je n’ignore point combien le temps se dépense rapidement où tu es, j’aime mieux encore que tu te reposes que de m’entretenir ; un mot de toi me suffit.

Ta santé est mauvaise, cela est clair, et me tourmente horriblement ; ce rhume qui ne te cause pas de douleur, dis-tu, mais qui t’ôte appétit, sommeil et le reste, que la fièvre accompagne, etc., demande assurément plus de soins de ta personne que tu n’en prends. J’ai grande hâte que tu sois de retour, et je t’avoue que la considération qui te retient[127] ne me satisfait pas : je ne sache rien à mettre en balance avec ta santé ; je n’aurai pas de repos que je ne puisse y donner l’œil et les soins de l’amitié.

La petite nous occupe beaucoup ; elle avait été hier bien portante, éveillée et gaie, la plus grande partie du jour ; dix heures du soir n’étaient pas sonnées que les grimaces, les cris ont commencé ; la bonne est demeurée levée jusqu’à quatre heures du matin, employée à me la donner au sein, à la mettre au berceau, l’ôter, la remettre et la promener successivement. Je n’ai pas remarqué de vers dans ses excréments ; le médecin m’a prévenu qu’ils n’y seraient pas apparents si la drogue les tuait dans l’estomac, parce qu’alors, détruits en grande partie, ils n’offrent plus que des filaments glaireux qu’on ne peut guère distinguer des autres humeurs.

La journée présente est très bonne ; elle prend beaucoup à la fois et repose bien et longtemps dans les intervalles.

J’ai vu les deux voisins[128], au retour de leur promenade ; le botaniste ou plutôt l’amateur m’a apporté des Leucoium vernum, des Crocus, etc. Ils étaient sans nouvelles, j’étais un peu assoupie, nous avions tous l’air de vrais provinciaux qui ne savent que dire. L’ami Devs [Devins] doit m’envoyer pour toi une missive ; M. de B[ray] doit en faire autant ; nouvellement arrivé de Péronne, il est venu tout au soir causer Maugend[re], etc… ; c’est une pitié que tout ce que disent et font le Pourceaugnac et sa moitié.

J’ai ouï dire que le cacao, très bon pour en user passagèrement, laissait à la longue des humeurs dans l’estomac et qu’il fallait s’en défier. Je ne sais si c’est fondé ; mais vois et consulte.

Vendredi, 1er février.

Nous avons eu une meilleure nuit que la précédente… J’allais continuer : je reçois deux lettres, la tienne du trente, et une de M. Despréaux qui m’annonce qu’aujourd’hui il me parviendra un ballot de ses exemplaires[129] ; j’en suis un peu étonnée d’après ce que tu m’as mandé lui avoir écrit. Sa lettre d’avis est datée du 29 janvier. Que faire ? Il faut bien prendre les choses ; ce n’est pas à moi de les renvoyer ; mais elles m’ont bien l’air de nous demeurer en garde. Il y a 27 exemplaires des volumes 5, 6 et 7 : les deux de surplus sont pour notre frère de Villefr[anche] et pour l’Académie[130] ; on nous prie de compléter les nôtres et ceux des Bénédictins[131] ; amitiés, etc. Rien de ton mécontentement ; c’est à moi que la lettre est adressée. L’abbé Burgol y joint un mot d’honnêteté ; on te suppose de retour, peut-être, et l’on me charge pour toi de ce que tu peux penser.

Je ne me plains pas, mon bon ami, ton exactitude ne m’en donne pas lieu ; je suis occupée et affligée de ton malaise : c’est inévitable, ne t’en tourmente point ; ma santé se soutient. Quant à ma petite, elle est, à tout prendre, mieux depuis qu’elle reprend mon sein ; l’instant du changement l’a remuée, je m’y attendais. Elle n’est point encore aussi grasse qu’elle l’a été, elle est seulement beaucoup plus ferme qu’elle n’était devenue.

L’accroissement en grandeur est peu sensible ; on dit qu’il est très lent dans ces premiers temps : ainsi soit-il. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ses pieds me semblent énormes par proportion ; ils ont trois pouces, elle n’en a pas encore vingt-quatre ; il s’en manque les trois quarts du dernier pouce. Elle commence à se soutenir un peu sur ses pieds quand on la soulève par les bras, essai que je ne répète guère, parce qu’il aurait des inconvénients ; elle soulève sa tête et un peu ses épaules quand elle veut être levée du berceau. Si je la compare au nourrisson que j’ai eu, c’est une mauviette ; mais on peut être forte sans être si grosse, et je la crois passable pour ses quatre mois. Elle me connaît bien à présent, me cherche ; me sourit et paye ainsi mes soins. Ses derniers accidents me paraissent passagers ; je la juge à présent peu inquiétante et j’ai de l’espérance.


50

[À ROLAND, À PARIS[132]]
Samedi 2 février 1782, — [d’Amiens.]

Je n’ai rien de nouveau à t’apprendre, mon bon ami, mais j’ai du plaisir à m’entretenir avec toi ; et, comme tu ne le trouves pas mauvais, c’est assez pour me justifier de cet emploi de mon temps. Je suis pourtant sortie aujourd’hui hors du petit cercle qui me renferme habituellement : j’ai été d’une part jusqu’au Mail[133], sans y pénétrer cependant ; et de l’autre, chez Mme  d’Eu, le tout après la messe[134] ; mais à deux fois, parce que je puis revenue voir si l’enfant ne criait pas. L’air était assez doux, je me trouve bien de l’avoir un peu respiré. Tu penses bien qu’une excursion de cette espèce n’offre pas beaucoup de choses à recueillir, aussi ne me proposais-je d’autre but qu’un peu plus d’exercice que de coutume.

Je sais que Mme  Dumgn [Dumaugin] n’est pas malade ; il est douteux que j’aille la voir encore, quoiqu’elle soit pourtant, après Mme  d’Eu, la première que je visiterai, à raison du voisinage ; je garde les autres pour Pâques : je n’oserais quitter la petite pour plus d’une heure. Elle prend souvent, vomit encore, mais un peu moins ; j’ai suspendu la drogue parce que j’ai craint qu’elle contribuât à la relâcher ; les nuits sont passables, et nous nous en trouvons mieux toutes les trois.

On fête le Carnaval comme il est d’usage, c’est-à-dire qu’on mange à force : digère qui le peut. Chacun se plaint de fatigues des soupers, etc., el tous se gorgent comme des Béotiens. À certain déjeûner-dinant, donné cette semaine pour acquitter un pari sur la couleur des yeux de Mme  de By-Chml [Bray-Chamont], le Pourceauguac s’en est donné comme il sait faire quand il prend ; il a été après à la redoute avec la compagnie, et ses propos y ont fait connaître à ceux auxquels il les a tenus qu’il n’était pas à jeun. Dame Gigogne, qui a perdu tête, non d’ivresse, mais par le dépit, faisait de son côté des confessions édifiantes à quiconque voulait les entendre. Nos voisins étaient de la partie ; Mme  de B. de Fl. [de Bray de Flesselles] n’en avait pas voulu être, et cela pour n’avoir pas été invitée avant Mme  d’E[u], qu’elle boude à cette cause. C’est un tas de bêtises qu’on ne saurait imaginer et qui font soulever le cœur, je devrais dire les épaules. Mais il faut bien que je t’apprenne l’annonce fastueuse faite dans les affiches du zèle de l’Intendant pour la perfection des Arts et Manufactures, en conséquence duquel il vient d’envoyer à la Chambre de commerce plusieurs exemplaires du plan d’un nouveau métier « de l’invention de M. Rivey de Lyon[135] », plan qui simplifie beaucoup la fabrication de toutes les espèces d’étoffes brochées, de même que celles des belles nappes façon de Venise, des galons, rubans, etc. ; il réunit l’avantage essentiel de supprimer les tireurs de corde aux étoffes brochées et façonnées. La Chambre de commerce donnera connaissance du plan à tous ceux qu’il pourra intéresser et qui n’auront qu’à s’adresser au secrétaire Durand-Caron », etc.[136]. Voilà une notice importante à toi, docteur dans le genre, dont tu feras ce que tu voudras. Si je vois M. FlessIls [Flesselles], je lui demanderai ce qu’il pense de la chose et de l’étalage qu’on en fait. J’ai trouvé dans les mêmes affiches un éloge bien long et bien bête de l’établissement du Bureau des pauvres[137] ; on y dit que c’est faire schisme et troubler l’ordre public que ne pas suivre cette distribution d’aumônes et refuser d’y contribuer. Mais, en vérité, il faudrait bien du loisir pour noter toutes les impertinences que j’entrevois de mon coin ; que serait-ce si je voyais toute la scène ! Mlle  de Chg. [de Chuignes] n’est plus autant fêtée aux redoutes ; une concurrente paraît l’emporter, ou du moins les choses se partagent de manière qu’il n’y a plus de distinctions pour la première ; le transit gloria mundi lui serait bien aussi applicable qu’au Saint-Père. La jeune Dailly[138] fait de son mieux et ne réussit pas ; on en veut tant à la mère, qu’on n’est pas disposé à juger favorablement ses enfants ; sa fille, dit-on, n’a ni grâces ni oreilles ; tu vois de là-bas si le butor de frère en a davantage.

Le mariage de la cousine est à peu près fondu ; Mme  de Chg. [Chuignes] ne s’expliquant pas bien net, Mme  de Rumy [Rumigny] a rappelé son fils. On met un autre prétendant sur les rangs ; je présume que c’est trop solide pour les brillantes prétentions de Mme  de Chg. [Chuignes].

J’ai entrevu ce matin l’ami de V[in] chez M. d’E[u] ; il ne m’a point parlé de sa lettre pour toi ; je n’ai pas voulu le rendre honteux de sa paresse en lui rappelant ses projets.

M. Flesslles [Flesselles] m’avait écrit qu’il m’enverrait un homme pour le jardin ; personne n’est venu ; je verrai lundi à m’assurer de quelqu’un. Le temps de tailler la vigne s’avance beaucoup, et je ne veux pas négliger notre raisin, ne fut-ce que pour les moineaux !

Dolin est venu savoir des nouvelles de ta santé et de ton retour ; j’ai annoncé celui-ci pour la première huitaine.

Ménage ta santé, mon bon ami, c’est ma plus ardente prière ; songe à moi, à nous ; l’une t’aime comme tu sais, je n’élève l’autre que pour qu’elle en fasse autant, et l’espérance qu’elle remplira cette destination est un des plus grands motifs de mon attachement pour ce petit être.

Je t’embrasse et te quitte pour l’allaiter ; à huit heures du soir.


Dimanche matin.

Je t’envoie une lettre pour la petite poste : c’est la réponse à une épître toute révérencieuse de nouvel an que j’ai reçue de M. de Châlons.

Je vais sortir encore per l’edificazione delle sante anime ; l’aria non è cosi buona a respîrar oggi ; fa un poco di neve : retornero prestissitamente. Addio, caro amico, dolce sposo, idol mio ; addio ; bacio ti, ti, tuto mio bene.


51

À ROLAND, À PARIS[139].
4 janvier (février) 1782, après-midi, — [d’Amiens.]

Je suis trop occupée, je devrais dire affectée, des différentes choses que tu me mandes dans la lettre que je reçois[140], pour ne pas soulager mon cœur en m’entretenant aussitôt avec toi. Que d’autres rient de mes craintes, je n’y vois rien que de très conséquent avec l’égoïsme général et l’indifférence de chacun pour tout ce qui n’est pas soi. On s’embarrasse bien qu’un honnête homme, un citoyen utile, soit exposé aux outrages d’un impertinent coquin ! Se tire d’affaire qui peut. S’il arrive quelque événement, on en fait nouvelle pour deux jours, on dit froidement ce qu’on en pense, et tout est bientôt enseveli, dans un éternel silence. L’administration même, qui devrait désirer la conservation des sujets précieux, n’y met pas plus d’intérêt ni de soins, parce qu’elle n’est qu’un nom désignant les opérations de quelques gens en place, plus intrigants, à coup sûr aussi égoïstes, et peut-êre plus fripons que tous les autres. Mais, avant de parler de Hlk. [Holker] et des idées qu’il me suggère, je voulais répondre à l’observation qui commence ta lettre[141] ; tu la fais avec une gravité qui donnerait à penser que tu n’as pas pris ma demande pour une plaisanterie ; tu n’as donc pas vu le sourire qui l’accompagnait ? Crois-tu que je te fisse tranquillement l’invitation modeste de m’aimer un peu, si je n’avais la confiance d’être aimée beaucoup ! Confiance ! Tu m’as fourni bien d’autres motifs que ceux de la confiance, et il n’est rien dans le monde à quoi je croie aussi fermement qu’à ta tendresse. Mais tu n’es pas dupe de mon agacerie, et, avec mon sérieux, j’aurais l’air de l’être du tien.

La rencontre dont tu me parles, les voyages qui vont suivre, le retour prochain du fils[142], rien de tout cela ne me fait rire comme les spectateurs en question. Je sais que ta marche est tracée pour les diverses circonstances ; mais, toute sage qu’elle puisse être, elle ne saurait prévenir les embûches d’un méchant ou les hasards d’une action. Consolante perspective !

Je sais encore qu’un rhume n’empêche pas de se faire satisfaction ; qu’un homme du caractère de Hlk. [Holker], et qui s’annonce comme il fait, a l’air d’avoir quelque peur et de chercher à concilier l’apparence d’un brave avec sa sûreté : mais, par cela même, je ne serais point étonnée qu’il te provoquât, en s’aidant d’un second caché, pour s’assurer à la fois son salut et sa vengeance. Je n’aurais pas aisément formé ce soupçon il y a quelques années ; mais, depuis que je vois sur le trottoir tant de gueux qui devraient être au gibet, je juge que les expédients qui me paraissaient des atrocités peuvent être au nombre de leurs gentillesses.

Il te sera facile, d’après ces réflexions, de déterminer si je suis gaie et tranquille ; il est vrai que ma disposition ne fait rien aux choses : aussi je n’en dirai pas davantage. Je suis persuadée n’avoir point à redouter tout ce que la prudence, et plus encore mon souvenir, pourront te faire éviter. J’abhorre du plus profond de mon âme un État et des mœurs où l’homme vertueux peut être entraîné à se mesurer avec l’être vil, souvent indigne de sa colère. L’affreux gouvernement que celui qui laisse en balance des choses aussi inégales ! M. Lanthenas[143] est tout justifié a mes yeux de fuir en Pensylvanie. Je voudrais être avec toi dans les déserts.

Va ! tu as bien raison de ne pas croire avoir fait un riche présent en donnant le jour à un nouvel être ; j’ai déjà eu cette idée : je la trouve accablante ; elle empoisonne les plus doux sentiments. Elle est sans doute une espèce de consolation dans la perte supposée, mais elle est amère ; c’est l’indignation ou la pitié qui remplace les regrets.

Je n’accorde pas bien les projets d’une retraite plus prochaine avec l’entreprise que tu suis toujours ; il est vrai que tu peux travailler à cent lieues de la capitale comme tu ferais à vingt-huit ; mais ce reste de relation avec les gens du Nord me déplaît infiniment. Je voudrais pour tout au monde que cette Encyclopédie, dont l’intérêt des libraires et autres ne fera, au bout du compte, qu’une rapsodie, se refondit. sans toi ; j’en suis à désirer que tu puisses retirer tes engagements[144] ; jamais tu ne manqueras de travail et de moyens de te rendre utile. Ceci me rappelle ce que me disait hier l’abbé Raynard. Il est venu passer une heure, témoignant n’avoir osé venir plus tôt dans la crainte d’importuner, et ne s’étant encore présenté que pour s’informer de ma situation. Il est persuadé que les auteurs, tels que M. de Lalande et d’autres en différents genres qui ont déjà travaillé, qui jouissent d’une certaine réputation, feront leur besogne grosso modo, s’embarrasseront fort peu de la perfection de l’Encyclopédie, gardant leurs nouvelles idées ou connaissances pour accroître leurs premiers traités, et préférant ainsi isoler leurs ouvrages et leurs noms à les confondre dans une collection avec ceux d’un grand nombre. Quelques autres réflexions, qui ne sont pas dépourvues de sens, concourent à lui faire présumer que l’Eneyclopédie, prise en total, ne sera encore que très imparfaite, et qu’il y aura peu de souscripteurs pour cette totalité ; chacun de ceux qui s’intéressent particulièrement à l’objet d’un des dictionnaires se flattant de l’avoir séparément un peu plus tard, etc.

Mais, pour revenir à nos moutons, je suis très aise de te voir résolu à les envoyer paître ; je t’avoue que je ne puis m’empêcher d’unir l’idée de ta santé, de ta conservation à celle de ta retraite ; vois présentement dans toute son étendue le désir que j’en ai. J’attends impatiemment et ton retour et la communication de tes projets, et leur exécution.

Il parait qu’on nous désire fort au cours de L’Apostole, qui n’ouvrira qu’au Carême ; l’abbé R[eynard] m’en a parlé ouvertement, je lui ai répondu de même, et pour ton compte et pour le mien ; mais, comme les gens fort préoccupés de leurs idées ne donnent qu’une attention médiocre à celles des autres, il ne m’a paru qu’à demi dissuadé, revenant continuellement à son sujet, parlant chimie et d’ouvrages dans ce genre, me demandant si j’avais tels et tels, si je désirerais tel autre, etc., enfin montrant toute l’ardeur possible de faire des prosélytes et croyant gagner beaucoup s’il nous obtenait ; sachant cependant que tu n’as pas besoin d’écouter nos professeurs pour apprendre, mais se flattant que tu m’y amènerais pour nous amuser, et comptant sur mon exemple pour entraîner des femmes, etc… J’ai rétorqué tous ces arguments avec une politesse qu’il aura trouvée froide et dont son zèle n’aura pas été édifié ; il y met véritablement celui de la science. Je croîs, entre nous, que L’Apt. [L’Apostole] y met un peu celui de l’argent. Cependant il se borne à deux louis.

Le bon M. de B[ray] est venu plus tard que l’abbé (qu’il me paraît voir assez souvent). Autre matière sur le tapis. On débite que dame Gigogne ne fait que précéder son mari, qui doit aussi décamper. J’ai vu au matin M. Fss. [Flesselles], fort étonné que le jardinier qu’il devait me procurer ne se fût pas encore présenté, m’assurant que je l’aurais incessamment ; je ne l’ai point encore vu.

Je ne fais que de recevoir le ballot de Dieppe, annoncé pour le 1er du mois. Comme tu n’as peut-être pas autre chose de pressé à mander dans ce pays, j’en écrirai demain la réception.

Tu m’annonçais vendredi que peut-être tu m’écrirais avant que je reçusse la lettre de ce jour-là ; ce « peut-être » doit suffire pour me préserver d’inquiétude de n’en avoir pas eu d’autre. Cependant… tu m’entends. Mais n’es-tu pas content de moi ? Je me raisonne de mon mieux pour me tenir en paix. Je cherché à m’occuper et à causer d’autres choses que de celles qui me reviennent comme de mauvaises pensées. Néanmoins je t’adresserai cette épître directement, et je l’aurais expédiée aujourd’hui s’il m’avait été possible. M. Fless[elles] m’a conté de petites histoires dont nous causerons sur le compte de M. Dup. [Duperron] ; elles ne font que prouver l’étourderie et le peu de tact que tu lui connais déjà. Adieu, mon cher et bon ami ; songe que mon bonheur et ma vie ne sont attachés qu’à toi.

52

[À ROLAND, À PARIS[145]]
Mercredi au soir, 6 février 1782, — [d’Amiens.]

Passé midi et loin par delà, j’ai reçu ton petit mot accompagnant la lettre de M. Lanthenas[146]. J’avais besoin de ces nouvelles pour faire évanouir mes chimères, que je qualifiais ainsi sans pouvoir me soustraire à leur influence. J’en était au point où s’est peint Rousseau enfant, cherchant à s’assurer, succombant malgré lui à la frayeur que lui causait l’obscurité et n’étant rappelé à son courage que par les ris qu’il entendît fort à propos. M. Lanthenas me suppose un peu dans la crainte, il en plaisante et prêtend être, en toute occasion, le digne frère d’une femme qui a su prendre le pistolet contre un rat. Ce qui me réjouit par-dessus tout, c’est de voir ton rhume s’apaiser et te laisser du repos, car, au bout du compte, je ne crois pas que ton rétablissement soit l’époque d’une action dont l’idée m’a cruellement poursuivie.

Je ne puis t’exprimer combien mon cœur s’est serré lorsque j’ai lu, dans ta précédente, l’histoire de la rencontre[147] et les propos ; quoique je trouvasse dans ceux-ci des motifs de n’en pas redouter les suites, un sentiment plus fort que toutes les raisons imaginables me tenait en alarme. Je me disais tout ce que tu pourras m’opposer pour me convaincre de folie, et je ne me rassurais pas.

Je ne suis plus grosse, mais je suis toujours femme : n’est-ce pas assez pour trembler à l’apparence du danger de ce qu’on aime ? Enfin tu en riras encore une Fois, et moi aussi, quand je te tiendrai ; avant cela, ce ne sera que du bout des lèvres. Ce vilain à grosse mâchoire me pèse sur les épaules. M. Lanthenas dit que ses passions sont trop empâtées dans l’or pour qu’on puisse en attendre rien de violent ; je le crois, mais je serais plus aise que toute sa personne le fût dans la vase du Styx. Dieu l’y conduise : Amen. Voilà un souhait fort édifiant ! diras-tu. Mais toi et d’autres n’auraient pas bonne grâce de le trouver mauvais, attendu que le saint roi David a fait des imprécations bien plus terribles contre ses ennemis, et qu’il ne serait pas catholique d’exiger que je valusse mieux qu’un roi-prophète. D’après celle belle et bonne défense, j’irai mon train dans la haine que j’ai vouée au personnage, mais, du reste, je promets de ne pas abuser de l’exemple.

Je te demanderais volontiers que tu m’écrivisses dorénavant aussi brièvement que dimanche, pourvu que ce soit par la même raison : lève-toi tard ; sacrifie à la paresse, c’est une divinité douce qui vaut cent fois mieux que les Grâces tant vantées par Platon ; il est bon de quitter parfois l’autel de ces fringantes, pour se restaurer paisiblement sous les ailes de l’autre déité. Tu me retrouveras conformément à cette doctrine, faisant du lait, dormant beaucoup, ne travaillant guère.

Notre petite se porte assez bien, sinon qu’elle dort moins et qu’elle a, par ci, par là, des petits boutons les jours où je m’avise d’échauffer mon lait par des terreurs paniques. Elle commence à ne plus se soucier de la petite soupe qu’on lui donne le soir ; elle ne veut que le sein, le veut souvent et le tient longtemps : c’est un vrai passe-temps que cette marmotte.

M. de B[roy] m’a dit qu’il y avait dans la note une petite erreur d’addition au désavantage du libraire ; il me parait qu’il attendra le reste pour finir avec toi. M. d’Efu] n’a point encore remis les 400 livres ; il m’en parlait dernièrement, comme par ressouvenir et se promettant de ne plus tarder. Mais tous les Béotiens et le reste sont dans la mangeaille jusqu’au cou. M. de V[in] s’était, je crois, chargé de te demander des graines pour Jourdain[148] ; n’est-ce pas bien choisir son commissionnaire ? Si le bonhomme attend après l’entremise de M. de V[in], il peut remettre ses espérances au printemps de 83. Je ne sais trop ce que j’ai ouï dire de Murey[149], il me semble qu’il restera sur les crochets du seigneur Price.

M. Flesselles avait vu de très près le sr Dup. [Duperron] aux troisièmes loges, familièrement et moins décemment qu’il ne convient en public, avec certaines femmes, les mêmes du Jardin du Roi. S’étant trouvé avec lui, peu après, dans une maison particulière, il raconta, comme par conversation, que tel jour au spectacle il y avait un jeune homme qui ne se conduisait pas honnêtement, que c’était aux troisièmes, à telle loge, et qu’il avait été remarqué et blâmé de beaucoup de personnes. Le héros de la pièce, se sentant bien, devint rouge et décontenancé au possible ; aussitôt M. Fless[elles] de lui dire ; « Quoi donc, M. Dup. [Duperron], auriez-vous remarqué cela ? — Non, Monsieur, dit l’autre, fort embarrassé. Puis ensuite, prenant notre jeune tête sans témoins, M. Fless[elles] lui fît sa leçon avec le sans-gène que tu lui connais ; il avait outré les choses dans son récit, pour mieux pincer son homme en lui donnant à croire que beaucoup de monde l’avait vu. Je n’ai pas eu de visite de M. Dp. [Duperron] depuis ce temps-là ; j’imagine bien que, sachant que M. Fless[elles] vient à la maison, il a peut-être quelque appréhension que son historiette n’y soit connue. Pauvre espèce ! N’a-t-il pas été, d’un air leste, demander à M. Fless[elles] comment se faisaient ses apprêts, avec un ton de légèreté comme ne sentant point qu’il dût y avoir quelque réserve, ou croyant mériter qu’on n’en eut pas avec lui. L’autre de répondre sec qu’il ne lui dirait pas. C’est bien tailJé pour les gens de là-haut ; ne valant guère mieux les uns que les autres, ils seront plus d’accord. Laisse-moi tout ce tripot ; allons au Clos cultiver des carottes et faire les vendanges ; nous formerons là une petite Sophie, si elle nous reste, et nous respirerons un air pur.

Je t’embrasse de tout mon cœur.


53

À ROLAND, À PARIS[150].
Jeudi au soir, 7 février 1782, — [d’Amiens].

Tu as bien raison, toi-même, mon bon ami, de me faire apercevoir de mes omissions ; j’avais l’idée vague d’avoir écrit en dernier lieu à Mlle  de la B. [Bcloiize]. Je ne me souvenais plus que c’était précisément à la veille de ma maladie. Je t’envoie une petite missive qui, sans doute, d’après ce que tu me dis, te parviendra encore à temps. J’en ai d’autres en route, je t’ai écrit presque tous ces jours-ci ; et, si tu n’as pas été au bureau, tu en trouveras plusieurs samedi. Je ne t’en adresserai plus aucune, ni par cette voie, ni directement, sauf l’extraordinaire de quelque circonstance, et j’attendrai maintenant à te faire mes contes que tu puisses les entendre de tes oreilles. Cependant il y a encore loin d’ici là ; car ton départ du mardi ne doit me donner le plaisir de t’embrasser que le lendemain au soir. Je pourrais bien m’ennuyer d’être cinq jours sans te rien dire ; en t’écrivant après-demain, tu prendrais encore ma lettre au bureau, dans tes courses, le lundi ou le mardi, ou tu la laisserais : ainsi je ne réponds de rien.

Tu fais sagement de laisser des affaires qui ne veulent point aller ; il est bon d’apprécier assez celles en question, pour s’en procurer l’objet s’il est possible, et s’en passer sans regret s’il en est autrement. J’ai dèjà souvent dit à moi-même que si celle-là ne réussissait pas, de même que si la place à Paris n’arrivait point, il n’y aurait rien d’étonnant ni de bien fâcheux ; dans un siècle où les intrigante seuls peuvent se pousser, l’homme vertueux a fait assez pour sa propre gloire quand il a mérité de monter plus haut qu’il n’est placé : tant pis pour l’État qui ne sait pas l’employer, mais le bonheur du sage n’est pas dépendant des caprices d’une mauvaise administration. Cet exemple à laisser vaut bien autant, pour des enfants, qu’un titre ou des privilèges. Adieu, mon bon ami ; j’envisage avec joie le moment de ton retour ; j’ai hâte d’y être arrivée pour t’embrasser de tout mon cœur.


54

[À ROLAND, À PARIS[151].]
9 février 1782. — d’Amiens.

Puisque tu vas quitter Paris, mon bon ami, et que tu y laisses nos bonnes petites cousines[152] si fort ennuyées, j’ai pensé qu’il ne serait pas mal de leur témoigner mon intérêt et ma sensibilité ; j’ai eu d’autant plus de facilité à suivre cette idée, que je la dois aux dispositions de mon cœur pour ces aimables filles. Cette marque d’amitié les touchera, j’en suis sûre, et mon babil les désennuyera pour un petit moment. Je pourrai leur envoyer parfois quelques épîtres dans l’espace de temps qu’elles vont être près de nous ; la voie des bureaux, par notre correspondant M. Lanthenas, pourra être employée pour elles, ainsi que pour d’autres. Voilà les motifs de la lettre que tu trouves ci-jointe et mes projets à cette occasion.

Parlons présentement de mes terreurs paniques auxquelles tu répondais par la lettre que j’ai reçue hier. Tu auras aussi vu par quelques-unes de mes précédentes que j’étais déjà redevenue un peu raisonnable ; ainsi n’en parlons plus, si ce n’est pour rire, puisque tu me promets qu’il n’y a pas de quoi pour rien de plus. J’attends tes histoires de Musées et autres ; tu fais bien d’en apporter ; je n’en fournirai pas de mon côté ; je n’en ai guère au coin de mon feu, et je te conte, à mesure mes faits et gestes. J’ajouterai, pour en compléter le récit, qu’hier à 4 heures, après avoir donné le sein à ma fille depuis le dîner, j’ai été voir Notre-Dame Dumaug. [Dumaugin]. Je l’ai trouvée avec ce ton de politesse et de bonne compagnie qui lui est naturel, se plaignant d’un rhume qu’elle dit avoir depuis trois semaines et qui la retient auprès de sa cheminée ; je sais pourtant qu’elle a été chee Mme Cannet il n’y a pas quinze jours ; mais, dans les circonstances, son exagération était une honnêteté. Elle m’a montré beaucoup de… je ne sais quoi dire, car intérêt, sensibilité et le reste ne sont pas des mots grandement faits pour elle ; bref, elle a prétendu avoir pris beaucoup de part à mes maux et s’être fait informer de ma situation par ses gens. Je lui ai répondu comme il convenait, et nous nous sommes débité des choses obligeantes, sans être, je crois, la dupe l’une de l’autre, et le sentant fort bien réciproquement. J’avais passé chez Mme d’Eu dont le mari m’était venu voir et m’avait appris qu’elle avait dégringolé avant-hier le fatal escalier, aussi lestement que nous l’avions fait cet été[153], mais encore à meilleur marché : elle en a été quitte pour quelques bosses à la tête, sans douleur, et pour une saignée de précaution.

Le sgr. de V[in] m’a donné la main jusque chez Mme Dumg. [Dumaugin], me racontant ce qu’il t’avait mandé, disant qu’il t’écrirait encore pour avoir une réponse, puis des contes, etc., me disant au bout de tout que c’était lui qui me devait 400tt, que M. d’E[u] l’en avait fait souvenir et qu’il les enverrait. J’ai été une heure dehors ; je suis rentrée avec un empressement et un plaisir singuliers, pour revoir mon petit poussin qui s’était amusé à rejeter mon lait et qui me reprit le sein aussitôt. Mme Dumgn. [Dumaugin], apprenant que j’étais redevenue nourrice, ne m’a pas édifiée par ce qu’elle m’a dit à ce sujet. Elle trouve que c’est bien beau ; elle marque l’admiration d’une femme qui ne trouverait pas dans son cœur des raisons d’en faire autant et l’étonnement d’une ignorance que je ne lui aurais pas supposée sur l’article : je crois qu’elle aura trouvé mes réponses originales.

Je me suis rencontrée chez Mme  d’Eu avec les Dlles Durieux[154], qui m’ont parlé de ma santé avec un air de connaissance qui me surprit ; car je ne les remettais pas et je ne savais qui elles étaient, quoiqu’elles fussent arrivées après moi : je ne les avais pas entendu annoncer. Tout ce monde-là est béotique comme le reste.

J’ai recommencé la mousse de Corse pour ma petite, à raison des mêmes indispositions ; cependant elles sont moins fréquentes et, au milieu de tout cela, l’enfaut profite. Je n’ai pas revu mon docteur, et je crois n’en avoir guère besoin.

Je demande, toujours inutilement, mon mémoire à L’Apostole ; on s’informe si tu es de retour. Ces gens-là t’ont furieusement à cœur et voudraient bien te tenir.

Bonjour, mon ami ; il fait un brouillard épais, aigre et très froid ; c’est vraiment une vapeur des Palus-Méotides. Tu dois souffrir de ce froid ; je t’attends au coin de ton feu où j’ai tant de plaisir à te voir.

Ta petite fille, pour la première fois depuis ma maladie, a dormi sept heures de suite pour sa nuit, à compter de onze heures du soir. Mais, comme tout se balance, je souffrais de mon lait à ne pouvoir plus dormir et j’attendais impatiemment son réveil. Elle se joue présentement sur des couvertures devant le feu ; ses mouvements ne sont pas encore grand’chose ; enfin nous allons bien. Adieu ; je t’embrasse de tout mon cœur en attendant que je le fasse réellement. Amitiés au compagnon.


55

À SOPHIE CANNET, À AMIENS[155].
[Juillet 1782], — d’Amiens.

Je te remercie, ma bonne amie, du petit point et des autres, sans te renvoyer encore ton canevas, parce que, voulant faire dessiner ces points, Je

! trouve plus commode de les montrer exécutés que de les recommencer à cette intention. J’ai cru sans inconvénient de garder quelques jours de plus la pièce instructive.

Mais parlons un peu de la pièce de M. Brayer[156], car il faut justice en tout : on doit la rendre aux Béotiens comme à tout autre, sans considération particulière ni préjugé d’aucune espèce. Déterminé par ton invitation, et favorablement prévenu par elle, le Grec[157] s’en est allé jeudi à la comédie, en aussi bonne disposition que s’il eût été voir de l’Aristophane ou du Ménandre. On lui donna d’abord du Molière, et cela ne l’éloignait pas trop de ces fameux comiques, sans valoir beaucoup mieux, quant aux mœurs, que certains ouvrages de celui qui osait jouer Socrate. Vint humblement en scène le compatriote de Pindare[158], mais non tout à fait son émule ; il s’était mis en quatre (actes) pour faire de son mieux sans doute, et, si l’on doit louer l’envie de bien faire, il aura part aux éloges qu’on devrait au même titre à tant de gens qui vous impatientent en croyant vous amuser.

Richard, son héros, est celui de la comédie : personnage amphibie, maître de musique et laquais à la fois, à cause apparemment que les Béotiens croient les talents à gages. Richard devient amoureux de son écolière et de sa maîtresse : car Sara est l’une et l’autre, et c’est un coup de génie que de présenter les gens sous plusieurs rapports en même temps. Une femme de chambre jalouse instruit le père, qui vient interrompre la leçon en menaçant de coups de bâton le serviteur maître. C’en est assez pour un acte. Le second, qui arrive sans qu’on sache pourquoi, transporte les spectateurs noblement au cabaret. Un officier s’y trouve ; Sara, qu’une tante avait ravie au courroux de son père, y arrive ; l’officier cause précisément de Richard qu’il cherche. Sara s’évanouit ; if lui donna de l’eau de la reine de Hongrie ; puis cette jeune personne remonte en voiture avec sa conductrice. Il faut bien que Richard paraisse à son tour à la taverne ; l’officier le questionne et le reconnaît. On entend un coup de fusil, le brave militaire court au bruit ; il revient avec un milord qu’il a sauvé des mains des voleurs, et qui lui offre une bourse pour reconnaître son service : manière fort noble de remercier un galant homme de lui avoir sauvé la vie ! C’est ainsi assurément que feraient des marchands habitués à tout payer avec l’argent, et ne connaissant rien autre à échanger. Cela est excellent et bien choisi pour Amiens ! Mais voici bien d’autres affaires. Cet officier est une femme, qui raconte sans façon qu’ayant fait jadis un enfant avec un homme qu’elle a épousé depuis, elle s’en est allée courir la prétentaine, abandonnant son fils, qui s’est fait laquais, et qu’elle vient de retrouver dans la personne de Richard. Mais ce pauvre garçon est malheureux parce qu’il aime Sara. Le milord, se trouvant tort à propos le frère de cette femme déguisée et l’ami du père de Sara, s’intéresse comme de raison à son neveu ; c’est pourquoi l’auteur fait rassembler nos personnages dans ce même lieu. On instruit et apaise le frère ; on appelle Sara et on lui propose le neveu de milord pour mari ; elle n’en veut que quelques années après ; mais, voyant que c’est Richard, elle consent subito. Le père fait tout bonnement des excuses à son gendre futur d’avoir voulu le bâtonner. L’oncle fait une dot à Richard, tout s’arrange, et chacun s’en va content. Les spectateurs en font-ils de même ? diras-tu. Je ne sais, car chacun a son goût ; mais Thalès, après avoir vu ce morceau, disait comme Alceste :


J’en pourrais, par malheur, faire d’aussi méchants ;
Mais je me garderais de les montrer aux gens.


Et puis, allez dire qu’aux bords du lac Copaïs on n’a pas d’esprit ! Si fait, ma foi, car en acceptant que ce soit une traduction, c’est faire choix de ce qui convient le mieux au pays pour lequel on travaille. Cela s’appelle fouiller courageusement dans la poussière pour y déterrer de quoi alimenter le goût de ses concitoyens ; et, par une application naturelle et fort modeste, l’habile commis pourrait dire comme le législateur athénien : « Je ne donne pas les meilleurs ouvrages possibles, mais ceux qui sont bons pour les Amienois. » Vivat ! Et moi je dirai avec Auguste, prêt à finir la comédie de la vie : « Battez des mains, et applaudissez tous avec joie ! »

Au bout de ces contes, j’irai demain déjeuner avec toi ; je prendrai du café, j’en fais usage depuis deux jours pour restaurer mon pauvre estomac, qui fait des façons pour digérer. Ma petite prépare non pas une comédie, mais quelques dents. Thalès salue et remercie les amies. Je les embrasse de tout mon cœur.

56

[À ROLAND, À PARIS[159].]
Jeudi matin [8 août 1782, — d’Amiens.]

Je reçois, mon bon ami, par le soin de M. d’Antic[160], des nouvelles de ton arrivée[161], et, quoique mon intention ait été d’abord de lui témoigner seulement combien j’y étais sensible, j’ai cru cependant pouvoir par la même voie te faire passer la présente qui m’arrive de Villefranche où tu dois écrire. Elle était accompagnée d’une missive pour Despréaux, de l’avocat Dessertines[162], qui disserte de la chronologie grecque en ex-jésuite. (Ne va pas dire cela au chanoine de ma part, car il est question du Déluge et de Moïse, etc., choses et gens avec lesquels je ne veux pas me brouiller aux yeux de bien d’autres.)

Je t’attendrai pour expédier cette lettre où l’on demande des conseils à l’historien dieppois, ou je te la ferai passer, comme tu voudras ; je ne comptais pas t’écrire aujourd’hui, mais j’attendais la tienne pour y répondre. J’ai passé hier tout mon temps à raisonner une demoiselle[163] pour lui prouver qu’il était plus glorieux et plus agréable d’être digne épouse et mère de famille respectable, même en ayant a parcourir dans ce genre une carrière laborieuse, que de rester fille ennuyée, et par ma foi, je crois que nous en viendrons à bout.

L’histoire du secrétaire est une petite comédie dont je te régalerai la première fois[164].

Limosin[165] ne vient pas, j’endève ; mais je t’aime comme tu sais[166].

57

[À ROLAND, À CRESPY[167].]
[Vendredi 16 août et samedi 17 août 1782, — d’Amiens.]

… et je ne sais plus par quelle voie leur écrire. Tu as fait merveilleusement près de mon bon oncle, je suis sûre que ton invitation lui aura fait grand plaisir, et elle m’en fait aussi. Ce Longponien viendra-t-il enfin ? Il n’en finit point : ce sont toujours promesses et rien au bout.

Ton secrétaire a mis bas le collet noir, il a rangé ses cheveux en queue : ce n’est plus le petit abbé, c’est M. Delabarre ; un peu bossu, ou bancroche, je ne sais lequel des deux ; mais au moyen d’une table plus basse que je lui ai achetée, il n’a plus besoin d’un gros Xénophon pour se rehausser sur sa chaise.

Je voulais qu’il vînt le dimanche ; mais sa mère, chez laquelle il demeure, trouve que cela dérange pour les offices : « Elle tient beaucoup à cela, dit-il sans gêne, et je ne veux pas la chagriner. » En conséquence, il vient les autres jours un peu plus matin qu’il ne faisait d’abord.

M. d’Antic m’écrit, le cœur tout gros de votre départ ; il a si bien l’air de t’aimer, que je l’aime aussi par suite. Mais je ne puis, moi, cueillir de Morsus ranæ ; il faudra bien que vous preniez la peine de le chercher ; quant au soin de le dessécher, je m’en charge.

J’ai dîné et soupé chez Mme  d’Eu le même jour, mais en revenant au logis dans l’intervalle, et dispensée de faire compagnie, ne paraissant qu’aux heures des repas. M. Case[168] était au dîner ; quoi qu’en disent quelques-unes de nos grimaudes à qui c’est la faute apparemment s’il n’est pas bien avec elles, je le trouve honnête et joli garçon ; propos décents et de bon sens, ton de bonne compagnie ; il est bien. Il m’a parlé de toi et témoigné beaucoup de désir de te rencontrer dans ta tournée ; il partait pour Boulogne et Calais : ce n’était pas le chemin.

M. Cucu[169] part mardi pour le Plessier, il venait voir si tu serais de la partie ; je t’ai dit en tournée ; il espère que tu y passeras ; et, dans le vrai, tu pourrais faire là une pause. Dans tous les cas, tu te souviens qu’il y a une voiture qui part tous les mardis de Montdidier pour ici.

En continuant ma lettre, ce samedi matin 17, j’en reçois une, par les bureaux de M. de Monteran, du banneret Osterwald[170], qu’il t’adresse à l’hôtel de Lyon, mais sous couvert. Il accuse la réception du paquet ou étaient : tes notes manuscrites sur tes Arts, ton mémoire sur les moutons, une lettre du 7 décembre 1780 (chose que je ne comprends pas) et les brochures à la Holker[171]. À l’égard du Tourbier, il sera sous presse dès qu’ils auront le manuscrit ; ils en tireront 50 exemp. gratis pro labore, « par rapport à celui de vos Arts qui a donne lieu à quelque diatribe avec le corps scientifique, dès que nous aurons, etc. ». Voilà ses expressions, après avoir dit qu’il accepte sans hésiter ta proposition ; mais ne se réserve-t-il pas in mente d’imprimer ou non la petite diatribe ? La tournure de ce renard est un peu amphibologique. Il va écrire à leur commissionnaire de Versailles, qui a l’expédition et dont la négligence en cause le retard pour nous. Leur graveur est Sellier[172], rue St -Jacques, près l’église St -Étienne-des-Grès ; il désirerait que tu visses avec lui s’il serait possible de réduire les trois planches à deux.

Je reçois aussi une lettre d’un Vilin[173], fabricant de gaze à Paris, qui désirerait s’établir à Amiens et qui t’en dit bien long à ce sujet. Moi, je vais terminer court, car ma petite a faim et je veux envoyer à la poste.

Bonjour, mon bon ami, ti bacio di qua, di la ; amicitia al fedele ; addio, caro, carrisimo sposo.

58

[À BOSC, À PARIS[174].]
23 août 1782, — d’Amiens.

j’ai, notre ami[175], reçu une lettre de M. Gosse[176], qui, je crois, vous sera intéressante à lire. Je vous l’envoie[177]. Vous y verrez la manière dont les \ FRENCH REVOLUTION RESEARCH COLLECTION LES ARCHIVES DE LA REVOLUTION FRANÇAISE \

PERGAMON PRESS Headingfon Hill H»M, Oxford OX3 OBW, UK _ : 14 ■généraux des troupes combinées de la France, de la Savoie et de Berne en ont agi lorsqu’ils ont pris possession de Genève.

Je ne sais vous en jugerez comme moi ; mais je trouve que ces pauvres Genevois se sont conduits on ne saurait plus mal : on dirait une troupe d’aveugles, livrée de son plein gré à quelques traîtres qui les ont vendus, et dont les manœuvres étaient assez évidentes. L impatience m’en a pris je ne sais combien de fois en la lisant, et le sang me bout dans les veines. Je plains du plus profond de mon âme ceux qui n’ont pas su distinguer le meilleur parti, malgré leurs excellentes intentions, ou plutôt qui n’avaient pas assez d’influence pour le faire prendre ; mais il me paraît clair que Genève, en général, n’était plus digne de la liberté ; on ne voit pas la moitié de l’énergie qu’il aurait fallu pour défendre un bien si cher ou mourir sous ses ruines. Je n’en ai que plus de haine pour les oppresseurs dont le voisinage avait corrompu cette république avant qu’ils vinssent la détruire.

Gosse me dit que l’ami que je lui ai connu a Paris est du parti aristocrate, et qu’il n’a pas voulu le voir depuis là perte de la liberté, crainte de quelques désagréments dans les dispositions différentes où ils sont l’un et l’autre. J’aurais parié cela ; c’est un M. Coladon[178], que j’appelais Céladon, qui n’est qu’un joli garçon dont la tournure mielleuse sentait l’esclave de plus d’une lieue, et dont j’aurais donné cent pour un boiteux de la trempe de Gosse.

Vertu, liberté, n’ont plus d’asile que dans le cœur d’un petit nombre d’honnêtes gens ; foin du reste et de tous les trônes du monde ! Je le dirais à la barbe des souverains : on en rirait de la part d’une femme ; mais par ma foi, si j’eusse été à Genève, je serais morte avant de les en voir rire.


50

[À ROLAND, À AMIENS[179].]
12 septembre 1782, — [du Clos.]

Eh, mon ami ! si je me laissais aussi entraîner au premier sentiment que me fait éprouver ta lettre, il ne me resterait donc plus qu’à gémir pour nous deux ? Que la sensibilité ne m’ait pas permis tous les calculs, je le veux ; de quoi donc est-il question ? D’examiner en quoi et de combien il nous faudrait être aidés. N’est-ce pas à toi, qui as lumières, expérience et sang-froid, à faire cela tranquillement sans jeter le manche après la cognée ! ’

Depuis que nous sommes a la maison[180], que tu vois de plus près la gestion de ton frère, que tu en apprécies les vices, tu souhaites d’arrêter ou de corriger ceux-ci ; tu as senti que c’était impossible à faire avec lui, et toi-même as dit le tout ou rien. Que les choses restent telles qu’elles ont été jusqu’à présent, ton frère continuant de mener les affaires comme il le croit bon, entreprenant ce que tu juges inutile ou onéreux, faisant ce que tu te proposes de détruire et ne tirant point parti de ce qui t’offrirait des ressources ; tu trouves dans cette série de contradictions un sujet de peine, de regrets et d’alarmes, car le principe des jouissances actuelles et futures s’altère ainsi d’autant, et tout s’empire nécessairement. Nous avons cru, et nous l’envisagions avec peine, que ton frère n’était pas d’humeur à se départir jamais du gouvernement ; il arrive tout le contraire, et, à nous qui lui disions l’année passée : « Laissez-nous faire, et nous vous offrirons encore vingt-cinq louis », il dit aujourd’hui : * Prenez tout et suffisez aux frais ». Il faut bien que son argument ait quelque apparence de raison ou que le nôtre en ait une de fanfaronnade.

S’il est vrai que ce bien doive coûter plus qu’il ne peut rendre, nous n’avions donc pas à en désirer la gestion ; s’il est vrai qu’une autre administration le rende plus avantageux, n’est-ce pas à nous d’y travailler lorsqu’on nous l’abandonne ? D’après tout ce que je t’ai entendu dire à toi-même des bonifications à opérer et dont tu t’occuperais si tu étais le maître, n’ai-je pas dû me réjouir de voir que tu le devenais dans l’âge où tu as la faculté d’appliquer tes théories ? Que ferais-tu si ton frère et ta mère n’existaient plus ? Tu me diras qu’il y aurait quelques frais de moins ; j’en conviens, mais ne faut-il pas payer de quelque chose une jouissance anticipée ? D’ailleurs, les mille écus de revenu que garde ton frère serviront bien plus sûrement à éteindre ses dettes, et ainsi le bien se trouvera libéré d’une part, en bon état de l’autre, à l’époque de sa mort, ou autrement tu te trouverais chargé de tous côtés d’une manière qui me semble effrayante à imaginer, si l’on rassemble tout ce que doit produire et sa façon de gérer et celle que tu voudrais y substituer alors, et tout ce qui se serait accumulé jusque-là. Sans doute, les premières années d’administration seront toujours dispendieuses ; le seront-elles moins dans dix ans, Lorsque ton frère ne sera plus et que l’intérêt de ses erreurs en aura quadruplé les effets ? Et toi, auras-tu la même vigueur, la même activité, les mêmes goûts, les mêmes facultés ? Pour moi, dans aucun cas, a présent comme alors, que puis-je, si tu ne m’éclaires et ne me conduis ? Je n’entends rien à la campagne, à l’agriculture ; je puis tout devenir sous toi, et, après quelques années de ta direction, je me trouverai en état de te soulager lorsque l’âge ou les indispositions te demanderont plus de repos et moins de sollicitudes. Qu’apprendrais-je sous ton frère ? pas même ce qu’il sait. Que peux-tu m’enseigner si tu n’agis ? Enfin, est-ce ou n’est-ce pas un bien que tu deviennes maître de corriger le mal et de faire le mieux ? S’il faut moins de domestiques à la campagne, ne peux-tu pas les diminuer ? Si ton frère n’existait point, ne prendrais-tu pas un cheval, et, si tu n’en veux point aujourd’hui, ne seras-tu pas libre de t’en défaire ? Lors même que nous vivrions ici une bonne partie de l’année, n’aurions-nous pas toujours, étant dans le cas d’aller à Lyon, un domestique mâle avec notre bonne et la cuisinière ? Le surplus du ménage consiste donc réellement dans ton frère, ta mère et sa servante ; leur ménage n’est pas considérable aujourd’hui quand ils sont seuls, et nous ne cesserons pas de maintenir les choses sur ce pied. Crois-tu ton frère si répréhensible d’avoir imaginé que tu payerais volontiers cet excédent pour l’avancement de la jouissance du reste, surtout lorsque, les revenus qu’il se réserve sont destinés à éteindre, ses dettes ? Enfin, si tu vois que cela demande encore une compensation, n’est-ce pas une chose, à examiner tranquillement, pour s’en expliquer de même, s’entendre ainsi, combiner ses affaires et veiller à la prospérité commune ? Quand tu me dis : fais, et je ne m’en mêlerai non plus que pour diminuer tes fatigues, c’est un mot qui peut échapper à ta sensibilité, peiner la mienne, et, si je m’en tenais là, nous demeurerions affectés tous les deux sans rien faire qui vaille. Il s’agit de raisonner ensemble et non de se tourmenter, lorsque l’état des choses présente au contraire plus de facilités de chercher le bien.

Tu vois, mon ami, que j’y ai réfléchi plus que tu ne penses. Que veux-tu donc ? pourrais-je te demander. Parle, dis-le moi, et je tâcherai, entre vous deux, de concourir à la satisfaction de tous, à la paix, au bonheur de la famille et de l’enfant. Ton frère n’y met pas l’adresse que tu lui supposes ; mets-y de la froideur et juge le tout et moi-même. Si tu étais supprimé, nous passerions ici une grande partie de l’année ; ne serait-ce donc pas un plus grand bien d’y être le principe de l’ordre que les témoins de ce que tu appelles des sottises ?


60

À ROLAND, À AMIENS[181].
Du Plessier-Rosainvillers, — 6 novembre [1782], au soir.

Voilà le premier beau jour depuis que je suis ici[182] ; mais l’espérance de recevoir de tes nouvelles l’embellissait plus que le soleil, et il eût fini bien tristement si mon attente n’eût pas été remplie. J’ai trouvé ta lettre au coin du bois où nous avons rencontré le domestique arrivant de Montdidier ; la douceur de l’air nous avait engagés à la promenade, elle a été agréable. J’ai vu et foulé la pelouse tant vantée et qui mérite bien de l’être, mais je n’ai osé y faire marcher la petite ; nous l’avons tous portée tour à tour, sans excepter Monsieur de Crécy[183], qui croyait déjà tenir une petite nièce. Elle est bien portante et gaie, les accidents ont disparu. Ma santé est bonne aussi : tu crois bien que les soins et les attentions de toute espèce sont prodigués à ton épouse, et tu ne saurais te tromper en cela. Toi, mon ami, tu es seul, tu travailles : et cette image me préoccuperait jusqu’à m’attrister beaucoup, si tu ne devais bientôt revenir me trouver.

Je ne m’attendais pas non plus au silence du voisin, et, comme toi, je n’y trouve par réflexion rien d’étonnant ; mais je serai longtemps avant que les expériences de cette nature ne me paraissent nouvelles au premier abord. Le, compte des vingt-deux au logis fait le mien, au moyen des deux que j’ai retrouvés ici, parce qu’il ne m’en faut de cette espèce que trois douzaines et demie : ainsi la paix soit faite, mais veillons toujours, car j’apprends d’autre part qu’il est bon de ne pas s’endormir.

J’attendais des nouvelles de la famille, je suis véritablement en peine et les idées qui me surviennent à ce sujet m’ont plus d’une fois serré le cœur et baigné les yeux. Ma dernière nuit a été triste ; j’ai, pour la première fois de ma vie, rêvé les yeux ouverts et debout sur mes deux pieds ; j’ai vu du feu au milieu de la chambre, je me suis levée ; j’ai vu un chien, j’ai allumé une chandelle, j’ai appelé ; et de tout cela il n’était rien, que mes actions et mes idées ; mais j’étais, à part moi, si stupéfaite d’avoir été abusée, que j’ai douté qu’il y eût du phosphore dans la chambre : mais il n’en était rien non plus. Il n’aurait tenu qu’à moi de faire croire à Mlle  Senart, ou plutôt il ne tient pas à elle que je croie à la visite d’un revenant ; elle m’a dit bien gravement qu’il fallait prier pour les morts, en me demandant la date du décès de mon beau-frère[184] ; en vérité, c’est un mélange bizarre de grotesque et de pitoyable que ces misères de l’humanité.

Ce pauvre ami Lant[henas] m’afflige ; je lui écrirai, si j’en trouve l’instant, et j’insérerai ma lettre dans la présente afin que tu la lui expédies si tu lui écris sous peu, comme je le pense. On m’a parlé de lui aujourd’hui à table avec plaisir et intérêt. La nouvelle de Seguin[185] me regarde, je le connaissais, ou du moins sa femme, pour l’avoir vue à Vincenness, et c’est probablement du chanoine que le tient M. Lant[henas].

Tu as fait au mieux pour Suzon et le reste ; j’en suis tout à fait aise. Il paraît cependant que l’amie n’est contente qu’à demi ; mais ce n’est pas en faisant ce qu’on appelle des affaires, qu’on peut se promettre un bonheur sans nuages.

Je n’ai presque pas travaillé hier ; nous avons couvert des confitures et fait de ces misères de femmes dans lesquelles on n’est pas fâché de se rendre utile. J’ai mieux fait ce matin : mais, au bout du compte, je n’ai pas plus de dix pages d’expédiées. Je vois plus de choses que je n’imaginais pouvoir en remarquer ; mais, de bonne foi, il faut passer sur beaucoup, parce qu’il n’y aurait rien moins qu’à refondre.

Je vais écrire un mot au Crespyssois ; on le lui remettra demain à Montdidier, je l’engagerai à venir me faire une visite.

Je suis bien aise de la réponse de M. Néret et de la petite correspondance qui en résulte ; la première pièce n’est pas une perle jetée à des pourceaux.

La bonne est raccommodée, les choses se font bien et mieux, grâce à-toi. Mon bon ami, ce n’est pas la première fois et les occasions s’en renouvelleront encore où tes avis m’éclaireront et serviront à notre commun bonheur. Bonjour, tendre ami ; tu ne me dis point si tu avanceras ton retour ; on voudrait t’envoyer la voiture au-devant ; je le désire bien aussi, car je crains la fatigue et le mauvais temps. Adieu ; aimons-nous, comme tu dis, et vogue la galère !

Tu devines tout ce dont on me charge pour toi.


Le 7 au matin.

Je joins une épître que je viens de faire pour le malade ; je l’ai consolé et j’ai babillé tant que j’ai pu. Bonjour, cher ami, reviens, que je t’embrasse, que nous nous réunissions et que dans les douceurs de l’intimé (siec) nous laissions couler les événements. Ta petite ne veut plus me quitter, elle vient devant la table où j’écris, elle s’y appuie avec ses petites mains et s’élève pour me voir sur le bout de ses pieds.

  1. Ms. 6238. fol. 172-173. — L’indication d’Amiens est donnée par le timbre de la poste.
  2. Voir cette lettre, date du dimanche 30 décembre à 11 heures et demi du soir, et pleine de tendres inquiétudes, au ms. 6240, fol. 117-118. La lettre du 19 manque.
  3. Mme  Anel Le Rebours, auteur d’un Avis aux mères qui veulent nourrir leurs enfants, Utrecht, 1767, in-12.
  4. Ms. 5238, fol. 155 — Le commencement manque. — En rapprochant le P.-S. « du 2 au matin » et les lettres de Roland des 30 et 31 décembre 1781 (ms. 6240, folios 117-120) et du 2 janvier 1782 (ms. 6240, fol. 123-123), on voit que cette lettre a été commencée le 1er janvier 1782, après l’envoi de la précédente.
  5. Roland avait écrit, dans sa lettre du 30 décembre. : J’ai reçu du Longponien la lettre la plus impertinente qu’il soit possible d’imaginer ; je lui ai répondu sur le champ et sur le ton que tu peux penser ; tu verras l’une et l’autre, mais je n’irai pas [ à Longpont  ]…
  6. Les Lettres d’Italie
  7. Ms. 6238, fol. 174-178.
  8. C’est-à-dire, tu t’es expliqué avec tes parents de Villefranche (probablement au sujet de la cession du Clos. — Voir lettre de Roland à sa femme du 31 décembre 1781, ms. 6240, fol. 119)
  9. Stahl (1660-1734), célèbre par sa théorie du Phlogistique. Son traité Fundamenta chimia dogmatica et experimentalis avait été traduit, Paris, 1767, 6 vol. in-12, par Demachy, l’ami de Roland.
  10. Sage (1740-1824), membre de l’Académie des Sciences (1770), était alors professeur de métallurgie et de minéralogie docimastique à l’Hôtel des Monnaies (Alm. royal de 1783, p. 338).
  11. Rota, près Cadix.
  12. Hendaye.
  13. Nous ne sommes pas parvenu à démêler avec certitude qui est cette bru, qui, quelques lignes plus loin, est appelée Mme  de B. Il semble que ce soit une jeune dame de Bray, de la famille d’Alexandre-Nicolas de Bray.
  14. Il ressort de ce passage que « le gros Pourceaugnac » est M. Maugendre, dont nous avons déjà parlé. — Voir lettre des 26 décembre 1781 et 31 janvier 1782.
  15. Caron. — Sans doute J.-B. Caron fils imprimeur du Roi à Amiens (Alm. du Picardie, 1781).
  16. M. Gavoti de Berthe, « à qui la France doit le bel établissement de sparterie du faubourg Saint-Antoine, à Paris… » (Dict. des Manufactures, II, 265). — Cf. ibid, p. 177, une lettre de M. de Berthe à Roland, datée de Paris, 17 janvier 1783, sur l’aloès. — Il fit faillite en avril 1784 (voir lettre du 30 avril 1784, notes).
  17. Roland dans sa lettre du 31 déc., disait : « Mes livres sont enfin délivrés de ce soir ; j’en ai mis sur-le-champ à brocher, et mercredi j’en distribuerai quelques-uns ; j’ai fait mon calcul qui se monte à 80 prodeo ; j’irai voir les académiciens dès que j’aurai des brochures… »
  18. Allusion aux citations italiennes dont Michel Cousin avait farci les lettres, pendant qu’il en surveillait l’impression.
  19. Le frère, c’est Cousin-Despréaux ; l’ainé, c’est Michel Cousin.
  20. Morin, libraire à Paris, rue Saint-Jacques (Alm. de Paris, 1785, p. 128)
  21. Nous avons déjà dit que, pour Roland, Amiens c’était « la Béotie », de même que la Normandie était « la Grèce ». De là, dans la Correspondance, de nombreuses allusions que nous ne nous arrèterons plus à relever.
  22. Nous n’avons pas trouvé, à l’Almanach de Paris que nous avons consulté (Lesclapart, 1785), le nom de ce marchand.
  23. Marie-Anne-Ursule de la Haye, veuve de Pierre-Charles Coquerel, propriétaire de la maison de la rue du Collège où habitait Roland. — Voir Appendice E.
  24. M. Lallement, vice-consul à Messine (Alm. royal de 1783, p. 262). Roland s’était lié avec lui dans son voyage d’Italie. Voir Lettres d’Italie, t. III, p. 306-317, et t. IV, p. 3, où il représente M. Lallement auprès duquel il était resté un mois, comme « un homme de mérite, dont j’ai tiré beaucoup d’instruction. »
  25. Ms. 6238, fol. 182-183.
  26. Roland avait écrit, le 2 janvier : « Expédie-moi deux exemplaire du Mémoire sur les moutons ». C’était son « Mémoire sur l’éducation des troupeaux et la culture des laines », qu’il avait fait paraître dans le Journal de Physique en juillet et août 1779. — Voir Appendice G.
  27. Il semble bien, par ce passage et par d’autre qu’on trouvera plus loin, que ce M. d’Huez avait des rapports avec Longpont et Pierre Roland. Faut-il songer à M. d’Huez, sculpteur, ancien professeur à l’Académie royale de peinture et de sculpture (Alm. royal de 1783, p. 517) ? Il était du même âge que le prieur de Longpont. Lanthenas écrivait, en P.-S. à la lettre de Roland du 23 décembre 1781 : « J’ai été voir ce matin M. et Mme d’Huez, que je n’avais pas visités depuis leur retour ; ils m’ont fait voir des pièces anatomiques qu’ils ont récemment achetées… »
  28. Nous ne sommes pas en mesure d’éclaircir cette allusion.
  29. Ms. 6238, fol. 184-186.
  30. Bariri. — Nous ne savons rien de ce marchand.
  31. M. Mignot de Montigny (1714-1782) membre de l’Académie des sciences. Il avait encouragé les premiers travaux de Roland : « M. de Montigny … qui avait fait le rapport de plusieurs de mes Mémoires… » (Mém. des services de Roland, 1781, ms. 6243, fol. 31-43). Mais il y avait eu ensuite, en 1780, beaucoup de refroidissement, à propos des démêlés de Roland avec Holker (voir Appendice G). — Roland avait écrit à sa femme, le 2 janvier 1782 (ms. 6240, fol. 122) : « Je viens du Musée … je me suis trouvé entre M. Macquer et M. de Lalande ; puis est venu M. de Montigny, qui s’est teny longtemps debout derrière moi, qui, m’étant accroché à M. Hoffmann que j’ai rencontré, causais avec lui sans faire attention, ou tout comme. Enfin j’au fixé l’homme, je lui ai souhaité le bonjour ; je lui ai parlé de mon voyage, je le lui ai offert ; je l’ai forcé d’accepter ma chaise ; il a voulu ensuite que fussions assis tour à tour ; j’ai toujours insisté. Tu penses bien qu’il n’a été question de rien relativement à l’affaire ; j’irai le voir, bien plus résolu de lui répondre tout net sur l’article, s’il m’en parle. » Voir au ms. 6240, fol. 97, une lettre de Roland à Bosc, du 20 mai 1782, sur la mort de M. de Montigny. L’Éloge de Mignot de Montigny se trouve au tome II, p.580-598, des Œuvres de Condorcet, édition O’Connor. Son oncle paternel avait épousé une sœur de Voltaire.
  32. François-Ignace-Joseph Hoffmann, frès aîné du Stattmeister de Haguenau dont nous avons parlé (Lettre 12), surnommé le bailli (il avait acheté le baillage de Benfeld) et établi à Strasbourg où il faisait, lui aussi, un grand commerce de garance, avait suspendu ses paiements en septembre 1781 et se trouvait en liquidation. (Notes de M. L’abbé Hanauer.)
  33. L’aînée des demoiselles Malortie.
  34. La Botanographie belgique de Fr.-J. Lestiboudois, 1781, 1 vol. in-8o.
  35. Jacques Sellier (1724-1808), d’abord ouvrier, soldat, magister, puis architecte-ingénieur de la municipalité d’Amiens, créateur et directeur de l’École des Arts de cette ville, membre de son Académie, etc. ‑ Voir sur lui un article intéressant de la Biographie des hommes célèbre de la Somme; cf. Inventaire des Archives de la Somme, passim, et surtout série C, 1547. ‑ Alm. de Picardie de 1782, p. 46, 89, 90.
  36. Durieux et sa femme, fille de M. de Bray. — Voir lettre du 21 mai 1781.
  37. Les Chamont étaient une famille considérable d’Amiens, alliée aux de Bray. Nous trouvons, à l’Alm. de Picardie de 1781 ; « Juridiction consulaire : consuls, MM. « Debray-Chamont » (p. 37) ; « directeur des vingtièmes, M. Chamont fils » (ibid). — « Sociétés de musique, MM. Chamont » (ibid, p. 48). — Almanach de Picardie de 1784 : « Chambre de Commerce, … syndics, MM. de Bray-Chamont » (p. 49).
  38. Nous ne savons de quelle dame il est question.
  39. Ms. 6238, fol. 187-190.
  40. Roland avait écrit, le 5 janvier 1782 (ms. 6240, fol. 126), à propos des petits cadeaux à Marie-Jeanne (lettre 36) : « Il me parait que tu fais de générosités sans peut-être beaucoup d’égards à nos moyens. Je crois, mon amie, qu’il serait plus prudent de ne pas se mettre dans le cas de ne pas faire le nécessaire que de faire le superflu. »
  41. Mme  Maugendre.
  42. M. Deville. — Probablement Jean-Baptiste-Louis Deville, né à Amiens le 20 août 1752, président-trésorier de France à Amiens (1785-1790), mort en 1834. Il fit jouer à Paris, en 1782, au théâtre de Nicolet, Pierre Bagnolet et Claude Bagnolet son fils, comédie en un acte et en prose (Biographie Rabbe). Il était fils de M. Deville, procureur du Roi honoraire à la maîtrise particulière des Eaux et Forêts d’Amiens (Alm. de Picardie, 1782, p. 81 ; 1784, p. 50). Cf. Biographie des hommes célèbres de la Somme. ; — A. de Louvencourt, Les trésoriers de France de la généralité d’Amiens.
  43. Il semble ressortir de ce passage que « le poétereau », plusieurs fois mentionné dans les lettres de Madame Roland et de son mari, était un fils de M. Maugendre. — Voir d’ailleurs la page suivante.
  44. Flesselles, gros village de Picardie, à 14 kilomètres d’Amiens. On a vu que M. de Bray en était seigneur.
  45. Lanthenas.
  46. Ms. 9533, fol. 81-82.
  47. Joanne (Dict. de la France) signale à Albert, chef-lieu de canton à 29 kilomètres d’Amiens. « une ancienne carrière de pétrifications, longue de 345 mètrees, dont la voûte se compose de diverses plantes marécageuses converties en pierres ».
  48. Description historique et critique de l’Italie, Dijon, 1766, 6 vol. in-12, par l’abbé Jérôme Richard (Quérard, France littér).
  49. Ms. 6238, fol. 191.
  50. On voit que Madame Roland utilisait aussi M. d’Eu pour la franchise postale.
  51. La lettre de Roland du 7 janvier est au ms. 6240, fol. 127-128. En voici quelques lignes : … « J’ai été chez M. de Montigny ; je lui ai fait une offrande ; nous avons causé. Il m’a beaucoup remercié de ma galanterie : il n’a pas été question de Holker… » — « Le compagnon [lanthenas] est dans les cadavres jusqu’au cou ; son humeur n’en est pas égayée ; je crois qu’il remontera difficilement les dégoûts de cet état… » Celle du 8 janvier est au ms. 9532, fol. 148-149. Roland se raille des exhortations que sa femme lui a faites de pardonner à son frère de Longpont : « Dernièrement Madame grondait, aujourd’hui Madame prêche. Elle fait sont métier, dit M. Lanthenas. Il faut que ce soit chose bien douce de prêcher… » Puis il annonce que la paix est faite, et il fait passer une lettre arrivée de Villefranche.
  52. Ms. 6238, fol. 135-136. Le manuscrit donne 1781, mais c’est sûrement 1782, car : 1o  en janvier 1781, Madame Roland était à Rouen ; 2o  Eudora, dont il est question, n’est née qu’en octobre 1781 ; 3o  c’est en 1782 que le 12 janvier tombe un samedi. M. Faugère, qui a cité deux lignes de cette lettre (Mém., II, 105), l’a mise en 1781. La lettre est timbré d’Amiens.
  53. L’envoi à Amiens d’un paquet des Lettres d’Italie.
  54. Inventaire de la Somme, C. 432 : « … diverses plaintes faites contre le sieur Deberny, directeur de Messageries, à Amiens, qui, outre le port des paquets, exige un droit de cinq sols par paquet pour les porter à domicile, etc… »
  55. M. de Berny, « directeur des nouvelles diligences et du roulage » (Alm. de Picardie, 1782 ; p. 93 et 98). Il était fermier de ce service ; de là l’avanie dont on se plaint.
  56. Travail que préparait M. d’Eu. Roland écrit à sa femme, le 13 janvier (ms. 6240, fol. 129) : « Presse M. d’Eu pour l’histoire de petite botanique aquatique amiènoise ; qu’il la nourrisse… » Nous ne croyons pas que l’ouvrage ait paru.
  57. Ms. 6238, fol. 192-193.
  58. Novitius, nom d’ouvrage ou d’acteur, que nous ignorons.
  59. « De la garance » ?
  60. Voir, sur la maison de Roland à Amiens, l’Appendice E.
  61. On sait quelle vogue eurent ces bals publics à la fin du XVIIIe siècle et même dans les première années du xixe
  62. La comédie de Deville. — Voir plus haut, lettre du 8 janvier 1782.
  63. Almanach de Picardie, 1782, p. 84 : « M. Sachy de Riencourt, receveur général des fermes pour le tabac, à Amiens ». Cf. Alm. royal de 1783, p. 572.
  64. Sélincourt. Roland disait, dans sa lettre du 8 janvier : « Le frère de tes amies vient de me faire une première et assez longue visite où, comme tu peux croire, nous avons beaucoup disserté ».
  65. Choquet, inconnu.
  66. Roland écrivait, le 7 janvier, que l’Intendant Tolozan grondait au sujet des lettres expédiées sous son couvert.
  67. Les fêtes que la ville de Paris préparait pour la naissance du dauphin Louis-Joseph-Xavier-François, né le 22 octobre 1781. Roland, dans une lettre du 22 janvier (ms. 6240, fol. 132-133), décrit ainsi la fête : « … lundi, me disposant à aller prendre part aux badauderies, bien résolu de m’en tenir à une courte portion et de rentrer de bonne heure, arriva le Longponien. — Allons, allons, j’arrive dans le moment, je repars demain de bonne heure, il faut employer le temps et voir tout ce qu’il est possible de voir. — Nous partons ; la Reine arrive à la cathédrale, nous la voyons passer, puis repasser dans la rue Saint-jacques, etc… ; puis le feu, qui, par parenthèse, fut manqué et remarqué ; puis les illuminations de la Grève ; celles des places Vendôme, Louis XV, des Palais-Royal, Bourbon, etc… Enfin tout Paris, à travers la populace et les carrosses, dans la boue et la bagarre. Le Roi et la Reine étant partis sur les huit heures, toutes les sentinelles se sont repliées, les Gardes française et suisses sont retournées à leurs casernes, et le peuple a été livré à sa sagesse, sinon à sa folie. Beaucoup de vols ; on ne parle guère des morts ni des blessés dont nous aurions pu faire partie sans miracle, ayant été bien des fois le jouet des flots, entre les chevaux, les voitures et les bornes. De femmes s’y trouvaient aussi ; Dieu sait comme elles s’en tiraient ! Bref nous nous sommes perdus. M. Lanthenas du moins, car les deux frères s’accrochèrent. Rentré à dix heures, crotté un peu plus haut que l’échine, je n’eus que la force de me coucher… » Cg. Mémoires secrets, 21-22 et 24 janvier 1782.
  68. Ms. 9533, fol. 83. — La date de cette lettre est déterminée par celle qui précède et dont elle est comme la suite.
  69. « Mon Esculape est un âne », disait Roland dans une lettre du 13 janvier.
  70. Ms. 6238, fol. 194-197.
  71. Au sujet des Lettres d’Italie.
  72. M. Robert de Saint-Victor, Président en la Chambre des comptes de Normandie, membre de l’Académie de Rouen (Alm. de Normandie, 1788). À la vente d’autographes du 21 janvier 1856 (Laverdet, expert) à figuré une lettre de lui à Bosc (Rouen, an ix), où il dit avoir été commensal (?) de Roland au temps où celui-ci habitait Rouen.
  73. Sorte de lainage qu’on fabriquait alors à Amiens. — Voir Dict. des Manuf., I, 268.
  74. Il y avait à Montdidier un couvent de Bénédictins (Clunistes réformés), avec lequel les Roland, à cause du prieur de Crespy et du curé de Longpont, avaient quelques rapports. Roland va répondre à sa femme, le 19 janvier (ms. 6240, fol. 131) : « Tu as vu un fort joli monsieur dans la personne de M. le prieur de Montdidier… — Voir plus loin lettres du 17 janvier 1783 et suivantes.
  75. Madame Roland écrira à Varenne de Fenille, le 21 mars 1789 : « … Et comme il [mon mari] fait des Arts par-dessus toute chose, je ne sais, je ne vois, n’entends plus que des Arts depuis quelques années ; si ce n’est que, par récréation, et toujours de compagnie, nous faisons, à la dérobée, de petites échapées dans ce beau domaine de la littérature, où j’espère bien retourner un jour oublier tous les Arts du monde … »
  76. Éléments de botanique à l’usage de l’École royale vétérinaire, qu’avaient publié à Lyon, en 1766 (2 vol. in-8o), Marc-Antoine-Louis Claret de la Tourrette et Rosier, et dont le savant Gilibert donna en 1787 une troisième édition, augmentée et refondue (3 vol. in-8o), en supprimant le sous-titre.
  77. Le grand naturaliste Lamarck (1744-1829) n’était encore connu que comme botaniste. Créateur de la méthode dichotomique, il avait publié en 1778 sa Flore française, qui le fit entrer l’année suivante à l’Académie de Sciences. Il travaillait alors pour l’Encyclopédie méthodique, où il donna son Dictionnaire botanique en 15 volumes in-4o. Ce n’est que plus tard qu’il renouvela la Zoologie.
  78. Le bon M. de Bray collectionnait les places. — Voir Inventaire de la Somme, C. 9. fol. 82, année 1779 : « Lettre de M. de Bray de Flesselles à l’Intendant, demandant les places de M. Duchaussoy, au cas où celui-ci viendrait à mourir. »
  79. Ms. 6238, fol. 198-199.
  80. Roland avait écrit à sa femme, le 15 janvier (ms. 6240, fol. 130) : « Je te conseille, et d’une manière très positive, de ne point prendre ta garde comme cuisinière… Ajoute, à ce que tu dis, la dépense : une femme accoutumée à faire ses volontés, à prendre son café, à vivre à sa manière, etc. »
  81. Voir lettre des 8 et 14 janvier 1782.
  82. La Courte. — Nous ne savons de quoi il est question.
  83. Musset-Pathay, dans son Histoire de la vie et des ouvrages de J.-J. Rousseau, mentionne (II, 473) six fragments ou lettres sur la botanique. Mais aucun ne porte le titre d’Éléments.
  84. Roland disait, dans sa lettre du 15 janvier : « Ces nouveaux froids me pénètrent, et j’aimerais mieux être dans mon cabinet et dans mon lit que dans les rues de Paris et sous mon toit de neige. »
  85. Parentes de province, venues à Paris pour suivre un procès ; elles étaient religieuses, probablement à Chatillon-les-Dombes (Voir Alm. de Lyon, 1784, 42-43). Roland écrivait, le 13 janvier (ms. 6240, fol. 129) : « Les cousines d’Épinay sont ici, pour suivre leur procès ; je ne les ai encore vues qu’une fois. Elles ont beaucoup de lettres de recommandation, mais elles n’en ont encore rendu aucune… » Puis, le 55 janvier : « Visite chez Mme  d’Épinay… » Puis, le 6 février : « J’ai couru toute la matinée pour les petites cousines, qui toujours me demandent beaucoup de test nouvelles, qui s’ennuient et qui s’ennuieront bien davantage… » ‑ Voir plus loin ce qu’écrit à leur sujet Madame Roland, lettre des 20 janvier, 9 février et 23 août 1782.
  86. Il semble que la personne désignée ainsi soit une fille de Mme  Dumangin, mariée à Jean-Charles Mollière de la Bouttaye, vérificateur des aides de Paris (Invent. des Arch. d’Amiens, AA. 32, fol. 231). L’hôtel des Domaines du Roi, où le vérificateur des aides devait avoir son bureau, se trouvait précisément derrière le Palais-Royal, rue Neuve-des-Petits--Champs Neuve-des-Petits--Champs ; — et Roland écrira, le 28 janvier : … « Je vais derrière le Palais-Royal, où tu sais… »
  87. L’Académie des Sciences ; — le Musée, de Pilâtre de Rosier ; — le tripot, l’hôtel du Contrôle général.
  88. À la Congrégation, rue Neuve-Saint-Marcel.
  89. Ms. 6238, fol. 200-204.
  90. Cette « assemblée des Quatre Cents dans la prison de Saint-Denis » est probablement quelque chapitre extraordinaire des Bénédictins, ordonné par le Roi pour mettre fin aux dissensions de l’ordre. — Voir la correspondance de 1783, passim, et les Mém. secrets de cette année-là, juillet, septembre, octobre et novembre.

    Quant au docteur « fistulisé » dont il va être parlé, nous n’avons pu éclaircir l’allusion.

  91. Le Grec manqué, c’est ici Aristote, autrement dit Michel Cousin ; le Sorbonnien, c’est l’abbé Deshoussayes. — Voir lettre du 23 novembre 1781.
  92. Mlles  d’Épiney.
  93. La bonne mère de Bray, c’est Marie-Antoinette Decourt, mariée en 1724 à François-Alexandre de Bray, mère de l’avocat du Roi Alexandre-Nicolas de Bray, et par conséquent grand’mère de la petite Mme  Durieux.
  94. C’est-à-dire Mme  de Chuignes, sa fille, et la grand’tante Madeleine Decourt.
  95. Nous ne savons ce que cela signifie.
  96. Roland écrira, quelques jours après (lettre des 27 janvier, ms. 6240, fol. 149-150, et 28 janvier, ibid., fol. 137), qu’il est allé dîner chez M. Demachy, qui lui a fait amitié. On voit que M. Demachy était associé de l’Académie de Berlin et que Madame Roland espérait toujours dans le succès de l’épître rédigée par elle pour le roi de Prusse, à l’effet d’obtenir ce titre pour son mari. — Voir plus haut, lettre du 18 novembre 1781.
  97. Ducastel de Bavelincourt, subdélégué d’Amiens de 1751 à 1782. (Inventaire de la Somme, t. II, Introd., p. xxiii ; Alm. de Picardie de 1782, p. 35.)
  98. Nous trouvons, à l’Almanach de Picardie de 1782, deux Cornet, l’un chanoine (p. 19), l’autre maître en chirurgie (p. 91), probablement le même que le capitaine de la milice bourgeoise (p. 34).
  99. Ce Martin, distinct du Martin que nous verrons associé de Flesselles, nous est inconnu.
  100. Ce nouveau Musée, c’est celui que venait de fonder Pilâtre de Rosier. — Mammès-Claude Pahin de Lablancherie (1752-1811) avait été le premier amoureux de Marie Phlipon. — Voir sur lui les Mémoires, II, 143-144, 152 et suiv. 221-225, et les Lettre Cannet, édit. Dauban, presque à toutes les pages. Ce littérateur médiocre, mais remuant, ayant les qualités d’un agent d’affaires, tenta à Paris, dans les années qui précédèrent la Révolution, vingt entreprises de publicité : « Bureau général de correspondance pour les sciences et les arts », « Musée », etc., qui tombèrent les uns après les autres. Voir Mémoires secrets, du 8 mai 1780 au 2 mars 1785. Voir aussi la suite de cette correspondance, ainsi que notre étude sur « Marie Phlipon et Roland » (Révol. française, mai 1896). — Roland, dans ses voyages à Paris, allait de temps en temps aux séances du Musée de Lablancherie, et en donnait des nouvelles à sa femme, en la plaisantant sur « son ancien amoureux ».
  101. a et b Ceci confirme notre conjecture que Mme  Dumaugin est la mère de « Notre-Dame du Palais-Royal ». — Voir lettre précédente du 18 janvier.
  102. Lanthenas, qui était avec Rolan à l’hôtel de Lyon, faisant ses études de médecine, avait écrit à Madame Roland, le 19 janvier (ms. 6241, fol. 258-259) : « Nous déjeunons, votre ami et moi, depuis quelques jours deux fois, la première collation n’est pas très ragoûtante ; nous la prenons le plus matin que nous pouvons. »
  103. Sophie. — Voir la réponse maussade de Roland du 26 janvier 1782 (ms. 6240, fol. 136).
  104. Dans le cimetière Saint-Denis. — Voir Appendice E.
  105. Ms. 6238, fol. 205-206.
  106. Voir au ms. 6240, fol. 132-134, lettres de Roland des 22 et 23 janvier 1782.
  107. Roland grondait, dans sa lettre du 22 janvier, au sujet d’Agathe, qui lui avait envoyé, pour sa femme « une boîte de sucreries et de pelotes. « … On ne reçoit les présents de ceux qui sont moins aisés que nous, que quand on peut donner le quadruple sans gêne… »
  108. Ms. 6238, fol. 207-208.
  109. Louis-Firmin Froment, président-trésorier de France en la généralité d’Amiens (1767-1790). — Voir Alm. de Picardie de 1783, p. 43. — Cf. A. Louvencourt, Les présidents-Trésoriers de France de la généralité d’Amiens, 1896.
  110. Probablement l’arrêt du Conseil du Roi du 22 décembre 1781, ordonnant « la perception d’un sou pour chaque empreinte, marque ou plomb, qui sera appliquée sur les coupons d’étoffes ou de toiles qui seront présentés dans les bureaux de visite à ce préposés » et dont la Chambre de commerce d’Amiens accusa réception à l’Intendance la 31 janvier 1782 (Invent. de la Somme, C. 361).
  111. Ms. 6238, fol. 209-212.
  112. Lettre de Roland du 24 janvier 1782 (ms. 6240, fol. 135).
  113. Roland disait, dans sa lettre du 24 : « J’ai fait une démarche qui te paraîtra étrange ; j’ai rendez-vous en conséquence demain, à 9 heures du matin, puis nous allon, allons… Le tout pour l’affaire en question [probablement les lettres de noblesse], qui pourrait réussir par là si elle y prend bien. Mais je n’y compte point ; ce n’est que pour n’avoir rien à me reprocher. » Ses lettres suivantes n’expliquent pas en quoi consistait la démarche.
  114. Roland répond, le 1er février (ms. 6240, fol. 138-139) : « Il n’y a point de maîtresse sur le tapis pour l’affaire en question ; ce serait bien sans doute la marche, je m’en servirais comme d’une autre, mais je ne la connais pas. »
  115. Mlle  Desportes.
  116. Le bal donné par l’Hôtel de Ville de Paris pour fêter la naissance du Dauphin, Louis-Joseph-Xavier-François, né le 22 octobre 1781. Roland, dans sa lettre du 24, disait  : « Le bal de l’Hôtel de Ville fit cohue ; les perruquiers avaient des billets à discrétion ; ceux qui n’ont pas trouvé à les placer à leur gré, ce qui s’entend, se sont habillés ou déshabillés, et on été faire partie de la bonne ou mauvaise compagnie… » — Cf. Mémoires secrets, 24 janvier 1782.
  117. Ms. 6240, fol. 149-150, lettre datée du dimanche 27, à 10 heures du matin. Une note au crayon dir « octobre 1782 » ; le 27 octobre était en effet un dimanche ; mais la simple lecture de cette lettre de Roland prouve qu’elle est du dimanche 27 janvier 1782.
  118. Des Lettres d’Italie
  119. C’est au commencement de 1755 que Roland avait eu une « Commission d’élève-inspecteur avec de appointements » (mx. 6243, Mémoires des services, fol. 31-43). C’est donc 1785 qu’il devait avoir les trente années réglementaires pour obtenir une pension de retraite.
  120. Roland, dans sa lettre du 27 janvier, se plaignait amèrement des frères Cousin, qu’il accusait du peu de succès des Lettres d’Italie : « … Je suis las d’avoir fait des ingrats. J’ai travaillé pour lui [Despréaux], tu ne te persuaderas jamais avec quelle ardeur. Il m’ont tout fait payer le double… »
  121. Inventaire de la Somme, C. 598, 599 : « Turbet, marchand de bois ».
  122. Plus voisine de son logis que la pariosse Saint-Michel.
  123. Nous avons déjà dit que par les fenêtres de derrière de sa maison (voir lettre 45), Madame Roland avait vue sur le cimetière du cloître Saint-Denis.
  124. La suite manque.
  125. Ms. 6238, fol. 213-214.
  126. Lettres de Roland des 26 et 28 janvier 1782 (ms. 6240, fol. 136-137).
  127. Roland écrivait dans sa lettre du 26 qu’il avait « vu bien des gens », sans en être « avancé d’un pas », et il ajoutait : « La personne qui semblait au moins devoir mettre sur la voie, le l’indiquer, a tant affaire jusqu’à la Chandeleur, le 2 février, qu’elle m’a fait remettre à ce temps, après ce temps, pour lui parler, elle ne sait encore de quoi. Tout combiné, j’attendrais ce moment… »
  128. M. d’Eu et M. de Vin.
  129. Des volumes de l’Histoire de la Grèce. Desprèaux aurait voulu que Roland en plaçât à Amiens, et celui-ci ne s’en souciait pas.
  130. L’Académie de Villefranche, dont Cousin-Despréaux était associé depui 1779, en même temps que Roland.
  131. Des deux frère de Roland, le prieur de Crespy et le curé de Longpont.
  132. Ms. 6238, fol. 215-216.
  133. Le Mail d’Amiens, aujourd’hui le « boulevard du Mail », était à deux pas de la rue du Collège, où demeuraient les Roland.
  134. La messe de la Chandeleur, fête des relevailles, 2 février.
  135. Lire Rivey. — Voir Dict. des Manuf., I, 41 : « On doit encore aux Anglais l’invention des tricots à fleurs ou mouches ; et le sieur Rivey fur le premier qui les imita en France, mais par des moyens si compliqués, si dispendieux, qu’il n’y a jamais eu que lui qui s’en soit servi. En 1775 ou 1776, après plusieurs années de travaux infructueux, le sieur Rivey se présenta à l’Administration, à l’Académie des sciences de Paris et à celle de Lyon. Il y eut des commissaires nommés, des rapports faits ; rien ne put prolonger la courte durée de la vogue de cet objet ; il n’en est plus question. » Cf. Tourneux, II, 7623, « Rapport des commissaires nommés par le district de Saint-Joseph pour examiner les nouvelles mécaniques faites au métier d’étoffes de soie par M. Rivey, citoyen du district (15 et 31 mars 1790) » ; et Tuetey, III, 5584 : « Hommage à l’Assemblée nationale, par Claude Rivey, artiste mécanicien, rue Richer, de la gravure d’une nouvelle machine de son invention, propre à frabriquer des étoffes de soie et autres étoffes façonnées, 21 mai 1791 » ; P.V.C., t. XVIII, 4 août 1793 ; « Rivey, section et faubourg Montmartre, rue Richer, n° 894, offre le dessin d’une machine pour la fabrication des étoffes. Mention honorable et renvoi aux comités du Commerce et d’Istruction publique. » — Les auteurs de Lyonnais dignes de mémoire. l’appellent « Rivet », et disent qu’il mourut le 28 janvier 1803. « L’habit offert au Premier Consul, par le commerce de la ville de Lyon en novembre 1801, avait été brodé sur ses dessins. »
  136. Alm. de Picardie de 1782, p. 80 : « Chambre de commerce, M. Durand-Caron secrétaire. »
  137. Voir, sur le Bureau général des pauvres et les Burean de charité d’Amiens, l’Alm. de Picardie, 1781, p. 6, et 1782, p. 22.
  138. Inventaire de la Somme, B. 282, assignations données en 1789, pour l’élection aux États généraux, à diver membres de la famille Le Boucher d’Ailly.
  139. Ms. 6238, fol. 179-181. — Madame Roland a écrit janvier, mais c’est indubitablement février qu’il faut lire. — La lettre porte le timbre de la poste d’Amiens.
  140. La lettre de Roland est du 1er février 1782 (ms. 6240, fol. 138). Il s’y montre absolument découragé et parle de prendre prochainement sa retraite.
  141. La lettre de Roland débutait ainsi : « Je lis : aime-moi un peu. C’est être, mon amie, fort modérée : je n’ai pas le bonheur de jouir de ce calme. Je ne te ferai jamais pareille demande. Beaucoup ou rien ne sont pas égaux, mais je les préfère… »

    Il continuait en racontant longuement une querelle qu’il venait d’avoir avec Holker, rencontré dans les bureaux du Contrôle général. — Voir Appendice G.

  142. Holker fils, adjoint à Holker père, à Rouen, pour l’inspection générale des manufactures étrangères. — Une lettre postérieure de Madame Roland, du 20 mars 1784, nous apprend qu’il était en même temps consul', mais sans nous dire où.
  143. Lanthenas avait depuis longtemps des relations en Amérique. — Voir une lettre de lui à Roland, du 16 septembre 1777, ms. 6241, fol. 255-257, et Appendice L.
  144. Les engagements avec Panckoucke.
  145. Ms. 6232, fol. 217-218.
  146. Lanthenas avait écrit à Madame Roland, le 3 février (ms. 6241, fol. 260-261), pour la rassurer sur ses craintes au sujet de Holker.
  147. Avec Holker.
  148. Ce « bonhomme » est peut-être Jourdain de Thieulloy, ecuyer, ancien maire d’Amiens. (Almanach de Picardie, 1782, p. 46), ou bien encore Jourdain de l’Éloge, « syndic de la Chambre de Commerce » (ibid, p. 80).
  149. Lire Murry. — Voir Inventaire de la Somme, C. 359, toute une série de pièces de 1781 se rapportant à la demande adressée au Gouvernement par le sieur Thomas Murry, à l’effet d’être autorisé à établir près d’Amiens une manufacture de couperose avec des moyens très économiques, 19 février 1781. — « Rapport de MM. Lamortière et Turmine, teinturiers, de l’épreuve qu’ils ont faite des matières fabriquées par le sieur Murry, 24 juin ; — rapport et examen chimique de la couperose, de l’huile de vitriol et des eaux-fortes de M. Murry, par MM. D’Hervillez, docteur en médecine, et Lapostolle, apothicaire, 9 août, etc. » On voit ici que c’est Price qui avait fait venir Murry.
  150. Ms. 9533, fol. 84.
  151. Ms. 6238, fol. 219-220.
  152. Les cousines d’Épinay.
  153. Voir sur cet accident, survenu pendant la grossesse de Madame Roland, une lettre à elle adressée par M. Justamont, le 20 août 1781 (ms. 6241, fol. 282).
  154. Les demoiselles Durieux, de la famille du gendre de M. de Bray.
  155. Dauban, ii, 438. — Cet éditeur place cette lettre en 1781, ce qui est impossible, car il y est question d’Eudora, « qui prépare quelques dents ». — Cf. au ms. 6241, fol. 236-237, une lettre de Roland à Mlle Malortie, du 7 juillet 1782, où il dit : « La petite a fait deux dents… ».
  156. Nous n’avons pu trouver aucune indication sur M. Brayer.
  157. « Le Grec » et, un peu plus loin, « Thalès » désignent Roland. C’était son nom parmi ses amis de Rouen (voir lettre 11). Dans sa correspondance avec son frère le prieur de Cluny, pendant son voyage d’Italie, ils s’appellent l’un Thalès, l’autre Bias.
  158. C’est-à-dire le Béotien ou l’Amiénois.
  159. Ms. 6238, fol. 223-224. — Cette date est déterminée par celle de la lettre du chanoine Dominique que nous donnons ci-dessous en note, datée de Villefranche, « dernier de juillet ». Or les lettres mettaient au moins trois jours pour aller de Villefranche à Paris, et un jour pour aller de Paris à Amiens. Madame Roland a donc dû recevoir cette lettre du chanoine après le dimanche 4 août, et, comme elle date du jeudi, cela tombe au 8.
  160. Louis Bosc, ke jeune ami des Roland, s’appelait Bosc d’Antic, et, dans l’usage de l’époque, d’Antic. À partir de la Révolution, il ne porta plus que le nom de Bosc, sous lequel nous le désignerons toujours dans nos notes, pour éviter toute confusion.

    C’est la première fois qu’il apparaîr dans cette correspondance, où il va tenir une si grande place. — Voir sur lui Appendice K.

  161. On voit que Roland venait d’arriver à Paris. La lettre suivante nous montrera qu’il y demeura environ quinze jours.
  162. Jacques-André Chatelain Dessertines, avocat du Roi à la sénéchaussée de Villefranche. — Voir Appendice M.
  163. Sophie Cannet, qui se décida, à l’automne de 1782, à épouser Pierre Dragon de Gomiecourt, seigneur d’Étouvy, près d’Amiens, capitaine aux grenadiers de France, beaucoup plus âgé qu’elle, et qui la laissa veuve en 1788 avec deux enfants. (Voir Aug. Breuil. Introduction aux Lettres aux demoiselles Cannet, 1841 ; — Inventaire de la Somme, B. 168 et 275.)
  164. Voir la lettre suivante.
  165. Nom inconnu. Voir lettre du 24 août 1783.
  166. Ce billet est écrit sur la quatrième page d’une lettre du chanoine Dominique, adressée à Madame Roland, très affectueuse, et dont voici, quelques passages, intéressant le Beaujolais :

    Villefranche, ce dr juillet 1782.

    «… J’envoie à mon frère une lettre de M. Dessertines, notre avocat du Roi, pour le sr Cousin-Despréaux sur son Histoire de la Grèce ; il mettra l’adresse et l’enverra à Dieppe. Comme membre, il convient qu’il prenne part à toutes les relations académiques.


    « Je ne puis rien vous dire de ce pays, parce que rien n’y est agréable. Des banqueroutes immenses culbutent les princiales maisons de cette ville et les forcent à vendre pour un million d’immeubles, sans que le quart de leurs créanciers puisse être satisfait.

    « Les premières récoltes ont toutes manqué ; les secondes, sans espérance. Les chaleurs excessives depuis deux mois consécutifs dessèchent et la sève des arbres et la moëlle de nos os ; la grêle nous a fait des ravages incroyables et les maladies inséparables des circonstances commencent à régner violemment. Mon frère [Laurent Roland] a la fièvre depuis trois semaines. Je la crois cependant sur la fin [il mourut le 14 septembre suivant], et il est temps, car le squelette ne pourrait être plus sec. Ma mère est la mieux portante : en vérité, sa santé cause de la jalousie aux jeunes et fait envie aux vieillards.

    « Mme  Galois me charge de vous dire bien des choses… »

    Mme  Galois, dont il sera encore parlé dans une lettre du 16 mars 1785, était une parente des Roland, habitant Villefranche.

  167. Ms. 6238, fol. 244. — La date est dans le corps de la lettre. Le commencement manque. — Roland venait de quitter Paris, accompagné de Lanthenas, pour rentrer à Amiens, mais en s’arrêtant chez son frère, à Crespy, et en faisant ensuite une tournée.
  168. Probablement le chevalier de Caze, maître des Requêtes. — Voir lettre du 20 novembre 1781.
  169. Voir, à l’Inventaire de la Somme, C. 245, d’abondant détails sur un M. Cucu, fabricant à Amiens, qui, en 1764 et 1765, avait pris une part active à une sorte d’émeute industrielle. — Nous trouvons d’autre part (Inventaire d’Amiens, AA, 30, fol. 178, ann. 1785, et Inventaire de la Somme, C. 669, ann. 1781-1789) un « M. Cucu, préposé au recouvrement de la taxe de l’illumination ». Peut-être est-ce le même personnage. En tout cas, il semble bien que ce soit du fabricant que parle ici Madame Roland, puisqu’elle annonce son départ pour Le Plessier. Le Plessier-Rozainvillers est un gros village de Picardie, où MM. Senart avaient fondé en 1745 une très importante fabrique de bas (voir Dict. des Manufactures, I, 16-17, 40° ; — cf. un article de l’Alm. de Picardie de 1782, p. 62-63, article qui est de Roland lui-même).
  170. Le banneret Osterwald. — Sur cet imprimeur de Neufchâtel, voir les Mémoires e" Brissot, éd. Montrol, t. II, p. 139. Son gende, Bertrand (de Toulouse), avait entrepris une nouvelle édition des Arts et manufactures de l’Académie des sciences. — C’était en quelque sorte une contrefaçon, avec le consentement des auteurs. Voir ms. 6243, fol. 126, lettre de Roland à M. Morand, du 20 février 1782, où il rend compte de sa correspondance avec Osterwald. Celui-ci y parle « des tomes XVI, XVII, XVIII de notre collection in-4o ». Il parle aussi de « l’horrible persécution » que M. Moutard, libraire de l’Académie des Sciences, invoquant les droits de cette compagnie, faisait essuyer à l’édition de Neufchâtel.

    Vour aussi ms. 6241, fol. 130, lettre de Roland, du 6 septembre 1781, au banneret Osterwald, où il prie celui-ci de l’appuyer pour l’Académie de Berlin.

  171. Cette brochure contre Holker avait pour titre : Lettres imprimées à Rouen, en octobre 1781 (elle se composait de six lettre, dont quatre de Roland, juillet 1781, au sujet du velours-coton) ; in-12, 22 pages.
  172. Sellier. — Ce nom ne se trouve pas à l’Almanach de Paris de 1785.
  173. Voir sur ce Vilin une lettre très intéressante de l’architecte Sellier (Invent. de la Somme, C. 1610) : « Le sieur Vilin a été marchand fabricant à Paris ; il y a perfectionné les gazes, marly, etc., où il excelle. Il y est bien connu de la chambre de Commerce et de la Correspondance, des Musées, des Intendants du commerce, où il a déposé grand nombre d’échantillons d’étoffes fleuries de sa composition et de son exécution. Il est enfin, retourné dans sa patrie, Amiens, où il vient de donner lieu à de nouvelles espèces d’étoffes fleuries… », etc. — Roland, de son côté, écrit, dans le Dictionn. des Manufact., I, 40o : « Nous devons à M. Vilin, fabricant de gaze à Paris, et à M. Rivoire, fabricant dans le même genre à Lyon, les éclaircissements qui nous ont mis dans le cas de décrire cette partie et celles des crếpes et marli… »
  174. Bosc, iv, 49 ; Dauban, 487.
  175. Voici la première lettre de Madame Roland à Bosc que nous ayons. — Il y a, au ms. 6240, fol. 97, une lettre un peu antérieure de Roland à Bosc, 20 mai 1782.
  176. Henri-Albert Gosse, né à Genève le 28 mai 1753, d’une famille de protestants français émigrés. D’abord employé dans la librairie de son père et de son oncle, il alla continuer ses études à Paris, et c’est là qu’il dut nouer avec Roland, puis avec sa femme, une amitié qu’atteste toute la Correspondance. Son savoir et ses recherches lui obtinrent de bonne heure de flatteuses distinctions : en 1781, au Collège de pharmacie de Paris, la médaille d’or fondée par le lieutenant de police Lenoir (Biogr. Michaud) ; en 1783 (Mém. secrets. 30 avril), un prix de l’Académie des Sciences, sur un sujet proposé par elle (« Moyens de préserver les ouvriers doreurs des maladies de leur profession » ) ; en 1785 (Mém. secrets, 11 novembre), un autres prix de la même Compagnie (« Nature et causes des maladies des ouvriers employés dans la fabrique des chapeaux, et moyens de les prévenir de ces maladies »). Il fut nommé correspondant de l’Académie des sciences le 29 août 1789, puis à la création de l’Institut en 1795, placé dans la section de physique générale comme correspondant. Après avoir eu à Genève, sous le Directoire et le Consulat, un rôle politique assez important, il y mourut le 1{{er]] février 1816.

    On voit, par la présente lettre, qu’en août 1783 il était rentré de Paris à Genève, et appartenait au parti des patriotes, qui succomba sous l’intervention des troupes française, sardes et bernoises. On voit aussi combien était déjà étroite sa liaison avec les Roland. — Trois ans après, il ira les voir à Villefranche (voir la lettre du 11 avril 1786 et les suivantes). Roland le cite avec reconnaissance parmi ceux qui lui ont fourni des renseignements pour ses travaux : « M. Gosse, de Genève, le bon et savant Henri-Albert Gosse… » (Dict. des Manuf., t. III, Disc. prélim., p. cxv). Il fut un des amis particuliers auxquels Madame Roland écrivit pour annoncer l’entrée de son mari au ministère (lettre du 27 mars 1792). En octobre 1793, Madame Roland, prisonnière, écrit dans ses Mémoires (II. 251) : « L’honnête et savant Gosse de Génève gémit sûrement de la persécution que nous essuyons… » — Une tradition, recueillie par la Biographie Michaud (l’article est de M. A. Moquin-Tandon, allié à la famille de Gosse), et que nous a confirmée le petit-fils de Gosse, veut qu’il ait fait en 1793 le voyage de Paris pour tâcher de sauver Madame Roland. Cf. Pap. Rol., ms. 9533, fol. 146-147.

  177. À peine Madame Roland avait-elle envoyé cette lettre de Gosse, qu’elle en reçut une seconde, et elle l’envoya à Bosc le même jour (23 août 1782), avec un billet ainsi conçu (ms. 6244, fol. 297-298) :

    Le 23 août 1782.

    «Je reçois, avec la vôtre du 22, un seconde de M. Gosse. C’est une vraie relation, qui me paraît intéressante. Comme je ne veux pas l’envoyer, crainte qu’elle ne s’égare en route, et que pourtant je suis bien aise de vous la communiquer, je ne sais rien de mieux que de la copier en quelques traits de plume, tout courant. [Je vous dirai auparavant que les cousines sont Mmes  d’Épinay, qui demeurent rue du Figuier, hôtel de Sens, près du pont Saint-Paul. Vous m’obligeriez de leur faire parvenir cette lettre sans délai. Ce sont de jeunes religieuses que la perte d’un procès pour lequel elles avaient fait le voyage a déjà peut-être fait quitter Paris.]* » — Suit cette seconde lettre de Gosse, qui est une relation de l’entrée de troupes coalisées de Berne, de la France et de la Savoie dans Genève, relation fort curieuse, mais que nous ne reproduisons pas ici, cette guerre de Genève étant hors de notre sujet.

    *. Les lignes entre crochets sont bâtonnées dans le manuscrit.

  178. Nous ne trouvons, ni dans la Correspondance que nous publions, ni dans la correspondance antérieure (Lettres Cannet, Recueil Join-Lambert), aucune mention de M. Coladon.
  179. Ms. 6238, fol. 225-226.
  180. Il ressort nettement de la teneur de cette lettre que Madame Roland l’écrit du Clos, à son mari, à Villefranche. Ils firent donc, en septembre 1782 — probablement avec leur enfant — le voyage du Beaujolais, où l’enfant était fort désiré. Madame Roland, renvoyant à son mari une lettre du chanoine Dominique, le 28 décembre 1871, disait :« Tu aurais vu en premier lieu [si tu l’avais décachetée] qu’il me sait très bon gré de l’avoir fait oncle ; que notre maman grille de voir sa petite-fille et me fait recommander de la lui mener dès qu’elle sera transportable, etc… ». Et Roland de répondre le 31 décembre (ms. 6240, fol. 119-120) : « Laisse ta bonne maman se préocuper de l’idée de voir sa petite progéniture ; il y a loin d’ici ; et il ne faut pas un bien long intervalle pour lui laisser peu d’espoir… »

    Malgré le peu d’empressement que montre ici Roland, le voyage de Beaujolais eut lieu néanmoins, alors qu’Eudora n’avait que onze mois. Roland et sa femme allaient voir si le chanoine et sa mère étaient disposés à tenir les promesses qu’ils avaient faites quand ils espéraient que l’enfant serait un garçon, c’est-à-dire à céder la propriété ou du moins la jouissance et l’administration du Clos.

  181. Ms. 9533, fol. 85-86. — Le Plessier-Rosainvillers, village à 13 kilomètres de Montdidier.

    La lettre ne peut être que de 1782 ou 1783. L’allusion à la débâcle de Seguin, le caissier du duc d’Orléans, montre qu’elle est sûrement de 1782 (voir Mém. secrets, 31 octobre 1782).

  182. Nous avons déjà dit (lettre 57, notes) que les frères Sénart, qui habitaient Paris, rue Quincampoix (Alm. de Paris, 1785, p. 20), avaient au Plessier-Rozainvillers une grande manufacture de bas et, comme on le voit par cette lettre, une belle résidence. Dès 1779, Roland écrivait, dans son Art du fabricant d’étoffes en laines (in-fol.) : « La fabrique de bas du Plessier, dans le Santerre, dirigée par MM. Sénart, qui se sont maintenus de père en fils dans leur état, avec une fortune très honnête, sans ambition, avec des mœurs patriarcales, et faisant beaucoup de bien sans la moindre ostentation… »
  183. Personnage inconnu.
  184. Laurent Roland, mort le 17 septembre 1782.
  185. Madame Roland, dans ses Mémoires (ii, 231), décrivant la société avec laquelle elle se rencontrait à Vincennes, lorsqu’elle allait y faire des séjours chez son oncle parle en effet des « folies de Seguin, caissier du duc d’Orléans, dont on célébrait la fête (de Seguin) par des illuminations, et fit banqueroute peu après »