Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Appendices/T

Imprimerie nationale (p. 778-784).

Appendice T.



FLEURY.

La fidèle bonne à qui Madame Roland adressa, le 8 octobre 1793, une lettre d’adieux si touchants (Correspondance, lettre 547) s’appelait Marie-Marguerite Fleury[1]. Elle était née à Amiens vers 1759.

Dans ses interrogatoires devant les juges du tribunal révolutionnaire, à la fin de 1793, elle déclara être depuis treize ans au service des Roland ; elle a donc dû y entrer à la fin de 1780 ou au commencement de 1781, et c’est bien d’elle que parle Roland, lorsque, le 6 février 1781 (ms. 6240, f. 84), rendant compte à sa femme de la façon dont il organise sa maison à Amiens, il dit : « … fille neuve… ».

Madame Roland arrive à Amiens à la fin de février et prend en outre une cuisinière ; le 25 juillet, elle écrit : « Mes filles vont leur train… La petite Marie [c’est Fleury], avec son air doucet, n’a pas grand jugement et ne vaut pas toujours mieux qu’une autre… ». Mais, dès sa lettre du 15 novembre suivant, elle ne la désigne plus que sous le nom de Marguerite. Le plus souvent encore, c’est « la bonne », ce qui signifie tout à la fois la femme de chambre de la mère et la bonne de l’enfant, la servante de confiance qui reste quand les autres passent. À certains endroits de la correspondance de 1781 et de 1782, on pourrait croire que les Roland eurent alors trois domestiques : la bonne, la cuisinière et une autre. Mais cette dernière n’est qu’une garde de couches, Marie-Jeanne, qui ne fut engagée que du 1er décembre 1781 au 20 janvier 1782. « Dans ma maison d’Amiens… une demi-heure chaque jour me suffisait pour tout maintenir dans l’ordre et pour diriger deux domestiques… » (Lettre à Bosc, 18 mai 1787.)

Lorsque Madame Roland se rendit à Paris de mars à mai 1784, c’est Marguerite Fleury, « la bonne », qui l’y accompagna, Roland et l’enfant restant à Amiens aux soins de la cuisinière Louison.

Fleury suit ses maîtres en Beaujolais, à Villefranche et au Clos. Lorsque Roland, en juin 1785, emmène sa femme et sa fille passer un mois à Lyon, dans son petit appartement de la place de la Charité, Fleury est du voyage. (Lettre à Bosc, 19 juin 1785.)

Quand les Roland reviennent à Paris, en février 1791, pour s’installer en hôtel meublé, ils laissent leur fille en pension à Villefranche, mais emmènent Fleury (lettre à Bosc, 10 février) ; elle rentre avec eux en Beaujolais en septembre, mais en repart de même en décembre. C’est sans doute alors que, devenue leur seule domestique, — car la suppression de l’emploi de Roland venait d’avoir lieu, — elle se mit à la cuisine ; c’est la qualité de « cuisinière » qu’elle se donne dans ses deux interrogatoires des 7 et 27 novembre 1793.

Comme on le voit, la vie de Marie-Marguerite Fleury se confond durant treize ans avec celle de ses maîtres, et il n’y aurait pas eu lieu de lui consacrer une notice spéciale si, quand le malheur s’abattit sur eux, l’humble fille ne se fût montrée vaillamment fidèle.

Elle est auprès de sa maîtresse dans cette nuit du 31 mai au 1er juin 1793, où les commissaires de la Commune viennent l’arrêter (Mém., I, 20) ; dès le lendemain, 2 juin, elle va la voir à l’Abbaye et veut s’y enfermer avec elle (ibid., 33) ; dès lors, elle va et vient sans cesse de l’Abbaye à la rue de La Harpe. Le 24 juin, quand on vient annoncer à Madame Roland qu’elle est libre, Fleury est précisément là : « Ma pauvre bonne, qui arrivait pour me voir, pleurait de joie en faisant mon paquet ». (Ibid., 206.) À Sainte-Pélagie, où Madame Roland, ressaisie de la manière qu’on sait, fut conduite le même jour, elle continue, sinon à la voir, — car la surveillance parait avoir été plus rigoureuse qu’à l’Abbaye, — du moins à correspondre avec elle, à se charger de ses commissions, pour Bosc, pour Mentelle, pour Agathe, à veiller sur la logis où on l’avait laissée (voir ci-dessus, p. 525 et 534). C’est « à la citoyenne bonne Fleury, rue de la Harpe, n° 51 » que la prisonnière adresse (Mém., I, 317), dans les premiers jours de novembre, le cahier qui porte pour titre : « Notes sur mon procès et l’interrogatoire qui l’a commencé », sans doute pour qu’il fût remis à Bosc ou à Mentelle.

Aussi, comme elle est payée d’affection et de reconnaissance ! « Ma chère bonne, toi dont la fidélité, les services et l’attachement m’ont été chers depuis treize années, reçois mes embrassements et mes adieux, etc… » (Correspondance, 8 octobre 1793.) « J’invoque le zèle de ceux à qui je fus chère pour cette bonne dont la rare fidélité est le plus touchant modèle en ce genre ! etc… » (Mes dernières pensées, Mémoires, II, 261 ; écrit au même moment). « Ma fille devra procurer un sort à sa bonne… » (Ibid., 263.)

Le 7 novembre, Fleury, citée comme témoin contre sa maitresse[2], comparut devant le juge du tribunal révolutionnaire (Dobsent) et l’accusateur public (le substitut Lescot-Fleuriot). Elle n’avoua que ce qui ne pouvait se nier, étant su de tout le monde :

« …Qu’elle est attachée à Roland et à sa femme depuis treize ans en qualité de cuisinière ; que, pendant que Roland était ministre de l’Intérieur, elle était attachée à sa maison comme fille d’office et qu’en cette qualité elle ne peut avoir eu aucune connaissance particulière des liaisons plus ou moins intimes que Roland et sa femme peuvent avoir eues avec plusieurs membres de la Convention : quelle sait seulement, pour avoir ouï dire, que les députés qui ont subi leur jugement, ainsi que ceux qui sont en fuite, venaient habituellement chez lui. Est tout ce qu’elle a dit savoir. Lecture faite de sa déclaration, a persisté et a signé, etc… » (Arch. nat. W 294, dossier 227, cote 27 ; Mémoires, I, 419.)

Le lendemain, Madame Roland était condamnée, et exécutée dans l’après-midi. Le soir, Fleury, rentrant au logis de la rue de la Harpe, laisse éclater sa douleur dans la loge du concierge Lamarre ; il y avait là des voisines, la femme Dorigny, femme d’un cordonnier demeurant dans la maison ; Victoire, domestique chez le médecin Géraud[3] ; un autre locataire, etc… La femme Dorigny cherchant à la consoler en lui disant « qu’elle trouverait d’autres maîtres », la pauvre fille, exaspérée, répond : « On a fait bien des injustices, mais vous verrez dans six mois ! » Victoire reproduit le propos en l’aggravant ; Fleury aurait dit « que sa maîtresse avait été condamnée injustement et que l’on verrait sous six mois ». Elle s’était d’ailleurs retirée sans en dire davantage.

Par malheur pour Fleury, ces propos arrivèrent au citoyen Tisset.

François-Barnabé Tisset, demeurant rue de la Barillerie, n° 13, avait été un des agents de ce redoutable Comité de surveillance qui, institué le 14 août 1793 par la Commune du 10 août, porte la responsabilité de tant de méfaits. Chargé par lui, le 23, d’aller saisir les papiers, valeurs, numéraire, bijoux, etc., de Septeuil, trésorier de la liste civile de Louis XVI, il s’était fait délivrer, les 27 et 30 août, deux récépissés des paquets sous scellés qu’il avait remis au Comité. Mais, deux mois après, il dénonçait le Comité à Roland, pour avoir levé les scellés hors de sa présence :

« Le sieur Tisset a vu, vers le 24 ou 25 octobre, en présence du sieur Morisson, secrétaire de Septeuil, les objets contenus dans le carton du récépissé du 30 août, depuis la levée du scellé qui avait été faite sans lui ; cette levée s’est faite malgré l’apposition du cachet des citoyens Tisset et Delahaye [particulier chez lequel on avait saisi un des dépôts de Septeuil].

« Le citoyen Tisset observe que, sans lui, ont été également levés les scellés des effets du récépissé du 27 août, quoiqu’il y eût son cachet et celui du citoyen Puteau, domestique de Septeuil.

« Le citoyen Tisset ne sait pas si ces effets ont été conservés ou non[4]. »

Cette déclaration, produite par Roland à l’Assemblée avec toutes les pièces accompagnant son célèbre rapport du 29 octobre 1792, où il dénonçait les malversations du Comité de surveillance, était singulièrement compromettante pour les terroristes. Tisset comprit sans doute, un an après, qu’il avait à se la faire pardonner[5].

Il était alors « employé au Comité de surveillance du département de Paris ». Dès le 10 novembre 1793, deux jours après le cri de douleur échappé à la pauvre Fleury, il adressa à Fouquier-Tinville une longue dénonciation contre les serviteurs de Roland, le domestique Louis Lecocq [au service de Roland depuis août 1792] et la cuisinière Fleury, pour avoir tenu « des propos les plus anti-civiques » ; il indiqua les témoins à citer.

Le 12 novembre, ces témoins sont interrogés par un des juges du tribunal révolutionnaire, Subleyras.

Le 15, Tisset écrit au citoyen Fouquet de Thainville, pour lui demander si les témoins qu’il avait désignés « ont satisfait à la vérité ».

Le 19, un mandat d’arrêt est décerné contre Lecocq et Fleury. La pauvre fille, obligée de gagner sa vie et n’ayant pas à s’occuper pour le moment d’Eudora Roland, que Bosc et Creuzé-Latouche avaient placée en lieu sûr, était entrée depuis cinq ou six jours au service de Jean Lacoste, juge de paix de la section de la Montagne [Butte-des-Moulins], rue des Moulins, n° 32.

La 27 elle est interrogée par le juge Charles Harny. Ses réponses attestent autant de fermeté que de prudence ; elle s’efface le plus qu’elle peut, mais en ayant grand soin de ne charger personne :

« …À elle demandé où elle logeait pendant la détention de la femme Roland et l’évasion de son mari,

« À répondu qu’elle est toujours restée dans leur maison.

« À elle demandé si elle n’a pas vu, depuis leur évasion et arrestation, prendre de emporter des papiers et autres choses,

« À répondu que non.

« À elle demandé s’il est à sa connaissance qu’il soit arrivé des paquets à l’adresse de Roland, ministre, depuis que ce dernier n’était plus en place ou était évadé,

« À répondu que non.

« À elle demandé si elle a connaissance qu’il soit venu plusieurs personnes à la maison demander ses maîtres depuis leur absence,

« À répondu que non ; que d’ailleurs, n’ayant plus rien à faire, elle ne restait pas toujours dans cette maison, et que d’ailleurs elle n’était gardienne de rien.

« À elle demandé s’il était à sa connaissance que Lecocq ait déchiré une affiche et quelle était cette affiche [celle de la Constitution de 1793, d’après l’accusation],

« A répondu qu’elle ne l’a point vu, mais quelle l’a su, que cette affiche était de Gorsas et que Lecocq l’avait déchirée par un mouvement d’indignation contre cet homme, mort alors sous le glaive de la loi [7 octobre].

« À elle demandé si, vers l’époque du 31 mai, la femme Roland ce l’a pas chargée de porter quelques paquets ou papiers quelque part, et où ?

« A répondu que non, qu’elle n’avait jamais été chargée que de sa cuisine et n’était nullement dans la confidence de sa maîtresse.

« À elle demandé si elle n’a pas dit, le jour de la mort de la femme Roland, « qu’elle avait été condamnée injustement, mais que l’on verrait ».

« A répondu qu’ayant demeuré treize ans chez la femme Roland, il était naturel qu’elle fût affligée de sa mort ; qu’elle a pu dire en pleurant, en présence des citoyennes Lamarre et Dorigny, demeurantes dans la maison, que si on avait fait périr la femme Roland justement ou injustement, elle, répondante, devait être payée justement ; qu’il lui était dû, comme elle l’a ci-devant déclaré, « mille livres, dont elle a billet », et qu’elle a craint de perdre le fruit de treize ans de travail, d’économie et de bonne conduite ; que, dans cette position, elle avait peu la tête à elle et ne peut guère répondre de ce qu’elle a dit alors. »

M. Wallon (Trib. rév., IV, 76) trouve que c’est là une « piteuse raison ». S’il eût cité tout l’interrogatoire, il eût rendu plus de justice à la pauvre créature qui, dans sa détresse, ne laisse pas échapper un mot qui désavoue ses maîtres ou compromette leurs amis. Nous admettons d’ailleurs avec lui, — et un témoignage de Champagneux, qu’on lira plus loin, confirme cette manière de voir, — que l’attitude volontairement effacée de la servante picarde ait contribué à la sauver.

Le juge lui donna pour défenseur d’office le citoyen Guyot. C’était déjà lui qui, le 8 novembre, avait été « nommé d’office, par le tribunal, conseil et défenseur officieux » de Madame Roland[6], — après avoir été aussi celui de Charlotte Corday.

Lecocq, interrogé le même jour par le juge Harny, prit également Guyot pour défenseur.

Le 3 décembre, Fleury écrit de la Conciergerie pour demander qu’on hâte son procès :


Citoyen magistrat.

La citoyenne Marie-Marguerite Fleury, ci-devant cuisinière de l’ex-ministre Roland, native d’Amiens en Picardie, ayant été interrogée le 7 frimaire, vieux style 28 [27] novembre dernier,

À l’honneur de vous représenter que ses intérêts souffrent beaucoup de sa détention, ayant à se faire payer d’une partie de ses gages et d’argent déboursé sur la succession Roland, et, de plus, procéder aux moyens d’obtenir ses hardes et linges qui sont sous les scellés apposés sur les effets dudit Roland à plus de cent lieues d’ici [au Clos].

En conséquence, elle vous prie de lui faire la grâce d’accélérer son jugement. Sa reconnaissance égalera son respect.

Salut et fraternité.
La citoyenne Fleury,

À la Conciergerie, l’an IIe, etc.


Son impatience ne fut pas satisfaite ; elle attendit six mois. L’acte d’accusation qui l’envoie devant le tribunal révolutionnaire, avec Lecocq et trois autres prévenus dont l’affaire n’avait aucune connexité avec la leur, est du 6 prairial an ii (25 mai 1794). L’acte rappelle les propos incriminés et ajoute, comme attendu, « qu’elle était très attachée à la femme de ce traître [Roland] ».

C’est le 19 prairial-7 juin 1794, trois jours avant la terrible loi de Robespierre, que Lecocq et Fleury, avec cinq autres inculpés, comparurent devant le Tribunal. Dobsent présidait, assisté de Bravet et de Foucault. Parmi les témoins, l’ignoble Tisset et la femme Dorigny déposèrent sur les deux domestiques de Roland. Lecocq fut condamné à mort, Fleury acquittée.

Champagneux (t. I, Disc. prélim., p. lxxvii) dit à ce sujet, dans son style à effet : « Fleury ne put réussir à se faire condamner ; la douleur de la perte de sa maîtresse avait tellement affaissé ses sens, qu’on la crut en démence lorsqu’elle passa devant le Tribunal révolutionnaire ; elle fut acquittée et renvoyée comme folle… ».

La remarque de Champagneux, acceptable pour l’interrogatoire du 27 novembre 1793, ne l’est guère pour l’audience du 7 juin 1794. En six mois, Fleury avait eu le temps de se ressaisir. Ce qui nous parait plus vraisemblable, c’est que quelqu’un (le juge de paix Lacoste ? le défenseur Guyot ?) dut s’intéresser à elle. Sa lettre du 3 décembre, à l’accusateur public, n’est pas du style d’une servante. Ce qui nous le fait croire encore, c’est que nous trouvons Fleury au nombre des prévenus acquittés auxquels des indemnités furent accordées par décrets de la Convention : « À la citoyenne Marie-Marguerite Fleury, de Paris (sic), une indemnité de huit cents livres pour huit mois de détention[7] ». Elle put, du moins, en sortant de prison, se dire qu’elle n’avait acheté son salut par aucune défaillance.

Que devint-elle dans les derniers mois de 1794 ? Ses maîtres étaient morts, leurs amis proscrits et dispersés ; mais il restait Eudora Roland ; la fidèle bonne et l’enfant qu’elle avait élevée se rejoignirent bientôt. Bosc s’occupait à ce moment-là de se faire conférer la tutelle légale d’Eudora, pour la remettre ensuite en possession de son héritage. Une lettre à lui adressée par la jeune fille, le 9 janvier 1795[8], montre les deux femmes déjà réunies : « Dans sa détresse, dit l’analyse du catalogue, elle lui demande des conseils et s’inquiète surtout pour sa servante qui n’a rien et qui a été pleine de dévouement ».

À partir du printemps de 1795, Eudora Roland est pleinement sous la tutelle de Bosc, et Fleury reste auprès d’elle ; elle les accompagne en Beaujolais, à Villefranche et au Clos, où l’orpheline va se faire remettre en possession de ses héritages (juillet-octobre 1795). Puis lorsque Bosc, à la fin de novembre, envoie sa pupille à Rouen, Fleury la suit également. On voit, par la correspondance échangée entre Champagneux et Bosc, en juillet 1796, que la servante fidèle avait pris sur la jeune fille un empire qui ne leur plaisait guère. Champagneux, prenant possession de la tutelle, écrit à Bosc, déjà sur la route de l’exil (lettre du 27 juillet, coll. Beljame) : « Eudora m’ayant écrit il y a quelques jours, mon bon ami, qu’elle se proposait d’aller faire les vendanges à Theizé [c’est-à-dire au Clos] avec sa bonne et la citoyenne Malortie, je lui répondis que je n’approuvais pas ce voyage, à cause de la dépense. Quant à la bonne, je marquai qu’il conviendrait qu’elle se rendit sur-le-champ au Clos, que ses soins y seraient très utiles ». Bosc, de son côté, répond à Champagneux, de Bordeaux (9 août), en parlant d’un des prétendants qui lui disputent le cœur de sa pupille[9] : « C’était probablement le protégé de la bonne, qui va vous haïr pour votre refus »… Et un peu plus loin : « Dites-moi donc si la bonne a consenti à aller au Clos ? »…

On voit que les deux tuteurs comptaient plus sur la fidélité et la probité de Fleury, puisqu’ils voulaient l’envoyer surveiller le domaine du Clos, que sur la sûreté de ses conseils à sa jeune maîtresse.

En décembre 1796, Eudora Roland épousait un des fils de Champagneux et allait s’établir au Clos, où Fleury continua à vivre auprès d’elle : « Aujourd’hui, écrivait Champagneux en juillet 1799 (Disc, prél., p. lxxviii), elle est auprès de la fille de la citoyenne Roland. Le temps n’a apaisé la douleur ni de l’une ni de l’autre… ».

M. Faugère dit aussi (Mém. II, 263, note 2) : « La bonne Fleury a passé le reste de sa vie entourée d’égards et de soins, et elle est morte au Clos, où des étrangers, émus par le souvenir que Madame Roland lui a consacré, sont venus plus d’une fois la visiter ».

Cela n’est pas tout à fait exact, nons dit une petite-fille d’Eudora Roland. Marie-Marguerite Fleury a, en effet, à partir de 1796, passé au Clos presque tout le reste de sa vie, honorée par ses maitres, respectée et un peu redoutée des enfants à cause de son humeur, que l’âge n’adoucissait pas, et c’est alors que M. Faugère a dû l’y voir. Mais vers la fin, quand elle fut devenue trop peu maniable, on la décida, non sans quelque peine, à se laisser placer comme pensionnaire dans un couvent, séjour quelle goûta peu (comme une fiUe du XVIIIe siècle), mais auquel elle finit par se faire. Elle y mourut, fort âgée, à une date que nous ne pouvons préciser.

  1. Voir, Archives nat., W 294, dossier 227, cote 27, procès de Madame Roland, interrogatoire des témoins du 17 brumaire an ii-7 novembre 1793 : « est comparue Marie-Catherine Fleury… ». Mais le greffier a mal entendu ou a eu une distraction de plume. Lorsque Fleury comparaît pour son compte, vingt jours après (7 frimaire-27 novembre), l’interrogatoire (Arch. nat., W 381, dossier 878) donne bien son vrai nom « Marie-Marguerite ».

    Champagneux, en publiant l’interrogatoire du 7 novembre (III, 409), et Faugère, en le donnant (I, 419) d’après Champagneux, ont reproduit l’erreur du premier greffier. Cela peut surprendre chez Champagneux, auprès duquel, après la Terreur, la pauvre servante avait vécu, mais tient sans doute à ce que, dans la maison Roland-Champagneux, la bonne, depuis longtemps, n'était désignée que sous son nom de « Fleury ».

  2. Le registre des dénonciations du Comité révolutionnaire de la section du Panthéon avait reçu le 1er juin, celle « d’un citoyen » invitant le Comité de salut public à faire interroger divers témoins pour établir que Roland et ses amis avaient projeté de se partager la France : « …6° Faire interroger de même la bonne de la demoiselle Roland, s’il n’est pas vrai, à sa connaissance, que, dans la distribution des gouvernements de la République, Roland devait avoir la qualité de roi, et si cette fille ne regardait mademoiselle Roland comme la fille du roi » (Archives nationales, W 294, dossier 227, cote 24.)
  3. C’est chez ce médecin que Dulaure, décrété d’accusation le 3 octobre, mais fugitif, alla chercher asile pour la première nuit. (Mém. de Dulaure, éd. de 1862, p. 299.) Dans le dossier des Archives, il est désigné sous le nom de Giroux. Mais Dulaure l’appelle Géraud, et c’était bien son vrai nom (Alm. nat. de 1793, p. 301).
  4. Papiers Roland, ms. 6243, fol. 200-202, contenant copie certifiée des deux récépissé délivrés à Tisset les 27 et 30 août, et de la déclaration ci-dessus. Cf. Tourneux, 6218.
  5. Le 15 octobre 1793, il comparut comme témoin à charge dans le procès de Marie-Antoinette. (Moniteur du 21 octobre ; Nouvelles politiques du 24 ; Révolution de Paris, n° 218, etc. Cf. Wallon, Trib. rév., t. I, p. 334, et Campardon, t. I, p. 133.) M. Campardon fait remarquer que, bien qu’il soit qualifié aux débats de « marchand », il était en réalité un espion de police ; ajoutons un libelliste. Il avait commencé ce métier en 1790, contre Lafayette (Tuetey, t. I, p. 155). En 1793, il entreprit une odieuse publication périodique : « Compte rendu aux sans-culottes de la République française, par très haute, très puissante et très expéditive Dame Guillotine, etc. » (voir le titre complet dans le livre de M. Campardon). Elle n’eut, d’ailleurs, que deux numéros. On trouvera, dans la France littéraire, de Quérard, la liste des autres libelles de Tisset. Il mourut en 1814, à 55 ans.
  6. Au dossier de Madame Roland, il y a « Guillot » ; à celui de Fleury, « Guyot ». Nous croyons bien qu’il s’agit du même « homme de loi », et nous nous demandons si ce ne serait pas Guyot-Desherbiers, avocat à Paris depuis 1783, qui fut oncle d’Alfred de Musset.
  7. Catalogue Charavay de 1862, p. 193 : « Huit décrets de la Convention, allant du 2 prairial an ii (21 mai 1794) au 24 messidor an ii (12 juillet 1794), accordant des indemnités à des citoyens pauvres, etc. »
  8. N° 395 du catalogue de la collection E. Michelot, vendue les 7 et 8 mai 1880 ; Eug. Charavay, expert. La lettre est datée du « 20 nivôse 1795 », lisez 20 nivôse an iii (9 janvier 1795).
  9. Ms. 6241, fol. 309-301.