Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 63-64).
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LXXXI

À UNE DAME

Dimanche [29 décembre 1883].
Vous,

J’ai reçu vos lignes jésuitiques. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de canapé ? Que ne vous expliquez-vous clairement ? Qu’est-ce que c’est que ces réticences ?

Vous parlez de mes tendresses plus que fraternelles et moins qu’amoureuses avec… Avec qui ?

Qu’entendez-vous par Joseph ? Si j’avais su que, selon votre propre expression, vous jouiez le rôle ingrat de Madame Putiphar, il fallait le dire, oh !

Je ne suis pas un Joseph ! Je suis un artiste ! un poète français ! un troubadour ! À votre service comme tel.

Sachez aussi que je ne bois de la bière ni chez Kroll ni ailleurs. Que mes joues ne sont point luisantes ni gonflées, mais pâles et creuses, surtout la gauche (parce qu’on m’a de ce côté-là arraché deux dents). Et que je n’ai pas de gros yeux vicieux, — mais des yeux moyens et bleus, doux d’une douceur très douce.

Après ça, vous êtes une drôle de personne.

Pour parler d’autre chose, je ne sais ce qui a été traduit de Heyse dans la Revue des Deux Mondes. Je n’ai pas une collection de cette revue ici, tandis qu’Henry l’a sous la main dans la première bibliothèque venue, — pour le reste je vous répondrai demain, c’est aujourd’hui dimanche et mon libraire est fermé (geschlossen).

Je ne vous baise rien, ni le bout des doigts, ni autre chose et ne suis pas votre

Jules Laforgue.