Lettres de H. Taine sur la Révolution

Lettres de H. Taine sur la Révolution
Revue des Deux Mondes5e période, tome 38 (p. 768-794).
LETTRES DE H. TAINE
SUR
LA RÉVOLUTION


À Monsieur Francisque Sarcey.


Paris, 3 janvier 1876.
Mon cher Sarcey,

Je viens de voir un auditeur de tes conférences sur l’Ancien Régime[1]. Grand merci, quoique ce soit bien tard. Mais je n’étais pas sûr de pouvoir te dire merci. En 1855 ou 1856, quand j’eus publié mon livre sur les philosophes classiques et M. Cousin, notre pauvre Paradol me fit froide mine : il ne fallait pas dire du mal de gens qui étaient contre l’Empire et pour la liberté. J’appris ce jour-là que la politique ne tolère pas l’histoire indifférente et la critique libre. Je suis bien content que ce ne soit pas le cas aujourd’hui. Dis à About que je vais écrire la Révolution comme j’ai écrit l’Ancien Régime, en pur naturaliste, en dehors de toute intention ou arrière-pensée polémique. Au reste, tout le second volume est déjà contenu dans le premier et, quant au troisième, je me sens aussi dégagé que pour les autres…


À sa mère.


Menthon-Saint-Bernard, 14 mai 1876.

… Je suis heureux d’être à la campagne ; quand je ne trouve pas mon idée, je prends mon chapeau et vais me promener ; souvent alors, l’idée vient.

J’avance tous les jours un peu, quoique lentement ; la masse des préjugés est si forte ! La Révolution française, vue de près et dans les documens authentiques, est toute différente de ce qu’on imagine ; j’ai besoin de garder toutes les avenues, car elle est une religion, et l’on fondra sur moi-même comme sur un blasphémateur…


À Monsieur John Durand[2].


Menthon-Saint-Bernard, 8 octobre 1876.
Mon cher ami,

J’apprends avec plaisir que vous êtes arrivé en bonne santé et que tous les vôtres vont bien.

Ma fatigue de tête est à peu près passée, et depuis un mois j’ai recommencé à écrire ; mais j’ai trouvé de grandes difficultés auxquelles je ne m’attendais pas. Je suis à peine à moitié du deuxième livre. Il me faut exposer et juger l’œuvre de l’Assemblée Constituante, ce qui exige des recherches et des réflexions sur toutes sortes de points spéciaux, sur la nature de l’Etat, des Constitutions, de l’aristocratie, de la propriété, des corps ou personnes collectives, de l’Église catholique, de la décentralisation, et en général sur tout le droit civil et politique.

Je suis arrivé, si je ne me trompe, à dégager des principes ; mais je me trouve si loin des idées ordinaires, surtout des idées qui ont cours en France, que j’ai besoin de toute mon attention ; il faut être clair et prouver, et le travail d’élaboration est énorme. De plus, l’ouvrage s’allonge sous ma main ; j’ai bien peur d’avoir deux volumes sur la Révolution et de n’avoir pas fini avant un an au moins. Mais je serai suppléé cet hiver dans mon cours à l’Église des Beaux-Arts[3], et, « si la santé ne me manque pas, je ne lâcherai pas mon travail avant de l’avoir fini.


À Monsieur Émile Boutmy[4].


Menthon-Saint-Bernard, 31 octobre 1816.

Mon cher ami, j’espère que le bail[5] est signé et que vous n’avez pas à subir une prétention de la dernière heure.

J’apprends avec beaucoup de plaisir que la rentrée promet. Vous ne me dites pas si votre séjour à Lyon, vos entrevues avec de gros financiers vous ont laissé des espérances de fondations ou autres bienfaits.

Nous partirons d’ici vers le 9 novembre ; je suis rappelé à Paris par des affaires de famille. Tous les miens vont bien.

J’ai fini hier ce que je pouvais espérer d’achever avant de partir. Des deux parties de l’œuvre de la Constituante, la première, toute destructive, est rédigée ; j’écrirai la seconde, l’œuvre de construction, cet hiver, et, si je puis, le livre suivant sur les Effets de la Constitution, à savoir l’anarchie organisée permanente et croissante. Il me restera deux livres pour l’été prochain : les Nouveaux Pouvoirs, c’est-à-dire le petit groupe de fanatiques violens qui, dans chaque bourg, ville, et à Paris, prennent de force le pouvoir et l’exercent contre la loi ou en vertu de la loi ; ici, le mécanisme des élections et de l’administration est curieux ; vous verrez entre autres comment a été nommée la Législative, elle n’est qu’un club qu’a remplacé un autre club plus violent, la Convention, lequel a lui-même été dominé par un autre club plus violent, la Commune. En vertu du système inventé par la Constituante, il se fait une sélection de fous furieux et effrayés. Dernier livre : le Triomphe du Parti et de la Doctrine, à savoir les théories et la pratique de la Convention, à Paris et en province ; j’ai tous les documens, moins ce dernier ; j’irai aux Archives cet hiver pour étudier les missions révolutionnaires et thermidoriennes.

J’espère en être quitte des questions de droit ou théoriques ; il me semble que j’y ai vu clair ; il fallait les mettre au début, dans le passage de l’ancien régime au nouveau. Après cela, il ne s’agit plus d’équité ; la société démolie comme au Xe siècle se reconstitue comme elle peut, et à la fin militairement.

Je tiendrai grand compte de vos observations ; et j’espère que vous me rendrez le service de lire mes deux premiers livres vers février, quand je les aurai achevés et recopiés. Je me livre en ce moment à l’impression des faits ; il n’y a pas d’autre moyen d’écrire ; j’ai devant les yeux des hommes vivans et agissans, je parle comme si j’étais dans la mêlée. Mais je n’imprimerai pas avant de m’être ressaisi, et d’avoir vu l’ensemble avec votre aide. Présentement, je suis persuadé qu’il y avait deux routes également ou presque également ouvertes, et qu’on a pris la mauvaise. Quand je dis également ouvertes, je parle in abstracto ; étant données les circonstances, les passions et les idées, disette, misère du paysan, envie bourgeoise et française, règne du Contrat social, les lois de la Constituante et la culbute finale étaient inévitables. Mais ma discussion a justement pour objet de montrer que les passions et idées susdites étaient malsaines et fausses, et qu’avec plus de bon sens et de bonne volonté, il y avait de quoi mieux faire ; jamais nous ne retrouverons une aristocratie et un clergé aussi bien disposés, et nous pataugeons dans les fondrières de la mauvaise route où, par sottise et envie égalitaire, nos ancêtres nous ont fourvoyés. Sans hésiter, je définis le gouvernement de l’Assemblée Constituante le règne de l’imprévoyance, de la peur, des phrases et de la niaiserie.

Toujours sous correction et après examen, de concert avec vous. En tout cas, quelle que soit ma conviction, je l’écrirai sans marchander les paroles. Ne demandant rien à personne, je me donnerai le luxe de la parfaite sincérité.

À vous, et à bientôt, mon cher et vieil ami.


À Monsieur Emile Boutmy.


Menthon-Saint-Bernard, 22 mai 1877.
Mon cher ami,

Vous m’avez offert vos services pour combler mes lacunes. En voici une pour laquelle je vous demande votre assistance et celle de M. Leroy-Beaulieu.

Il s’agit des perceptions réellement effectuées par le Trésor pendant la Révolution. Je voudrais savoir ce qui a été perçu réellement, notamment de 1789 à 1793, tant des impôts anciens directs et indirects que des impôts nouveaux établis à partir de 1791.

Le livre de M, de Parieu sur l’histoire des impôts<ref> F. Esquirou de Parieu, Traité des Impôts, 1re édition. Paris, 1862-1864.<ref>, sur la propriété et le revenu, donne-t-il ces renseignemens ?

Voici les documens que j’ai ou que j’ai eus in extenso.

1o Compte général des revenus et dépenses fixes (mai 1789).

2o Mémoire adressé à l’Assemblée nationale par M. Necker (21 juillet 1790).

3o Mémoires sur les finances présentés à l’Assemblée nationale par M. de Montesquiou le 9 septembre 1791.

4o Mémoire du ministre Clavières (5 octobre 1792).

5o Mémoire du ministre Clavières (1er  février 1793).

6o Rapport de Cambon (1er  février 1793).

Je ne parle pas de ceux qui suivent. Grâce à ces documens, je puis suivre à peu près sûrement l’état annuel ou semestriel ou même mensuel des perceptions directes ou indirectes. Surtout le no 3 (par M. de Montesquiou), très développé, donne l’état complet, d’après les comptes rendus de M. Necker (1er  mai 1789, 1er  mai 1790) et de M. Dufresne (huit derniers mois de 1790, et six premiers mois de 1791).

Mais justement dans ce rapport se trouve un nœud qu’ici, faute de documens supplémentaires, je ne puis couper. Dans ce rapport, qui est au tome IX de la réimpression du Moniteur (dernières pages), mais plus complet aux Archives et à la Bibliothèque nationale, on voit, page 822 (dernière ligne), que les recettes générales (taille, vingtièmes, capitations) qui au 1er  mai 1789 étaient estimées à 155 millions par an, n’ont rapporté du 1er  mai 1789 au 1er  mai 1790 que 27 millions, et pendant les huit derniers mois de 1790 absolument rien. Ce dernier point est absolument incroyable, d’autant plus que dans les comptes de M. Dufresne pour les six premiers mois de 1791, on trouve que les impositions directes et foncières arriérées de 1789 et 1790 ont rapporté pendant les six premiers mois environ 40 millions. De plus, par plusieurs décrets, l’Assemblée les avait maintenues expressément. Elles n’ont donc pu échapper pendant huit mois à la perception, et je n’en trouve aucune trace. M. de Parieu dans son livre, et M. Leroy-Beaulieu, si instruit, peuvent-ils m’éclaircir ce point ? Il m’est essentiel, car j’ai, par les documens manuscrits des Archives, les marques de la répugnance profonde du contribuable à payer, je sais que les impôts rentrent très peu (en moyenne, au lieu de 44 millions par mois, il en rentre 4), et le chiffre officiel des rentrées de l’impôt direct pour les huit derniers mois de 1790 serait le couronnement de mon édifice…


À Son Altesse Impériale le prince Louis Napoléon[6].


Menthon-Saint-Bernard, 16 octobre 1877.
Monseigneur,

Je serais heureux si mon étude sur les Origines de la France contemporaine méritait l’approbation que vous voulez bien lui donner. J’ai fait cette étude en simple historien : n’ayant jamais pris part aux luttes politiques, placé en dehors de tout parti, et sentant bien que mon éducation comme mes aptitudes me confinent pour toujours dans la vie de cabinet, j’ai tâché de rendre service, dans la mesure de mes forces, en disant aux Français ce qu’étaient leurs grands-pères. À mon sens, ils ont besoin de le savoir ; l’histoire de la Révolution, par exemple, est encore dans les Archives ; j’ose ajouter que l’histoire du Consulat et de l’Empire n’est guère mieux connue. On n’a pas compris le sens et la portée des trois ou quatre grandes institutions fondées au commencement du siècle. Université, Institut, Concordat, Code civil, Administration ; il a fallu que le cours des événemens en dévoilât les conséquences. La structure de la France est une anomalie dans l’Europe ; elle a manqué en 1789 la transformation qu’ont réussie les nations voisines ; il lui en est resté une sorte de luxation de la colonne vertébrale, et une telle lésion ne peut se guérir que très lentement, par une infinité de précautions.

Si je ne me trompe, quand un malade est dans cet état, la première condition pour qu’il guérisse, c’est qu’il sache sa maladie ; cette connaissance le rendra sage, lui ôtera l’envie de faire des mouvemens précipités, violens et faux. Depuis 1828, nos historiens, nos littérateurs, nos poètes, nos romanciers s’appliquent à lui persuader qu’il est très bien portant, mieux bâti que ses voisins, en état défaire les plus rudes exercices. Il n’est pas encore corrigé de cette erreur, mais il s’en corrige insensiblement, d’abord par les horribles maux qu’il éprouve, ensuite par le raisonnement sérieux et suivi. Les sciences historiques, morales, politiques, économiques sont, depuis la Révolution, arriérées chez nous et comme engourdies ; rien de semblable à l’élan, à l’organisation de la science allemande. Mais nous commençons à combler cette lacune. Je me permets de vous signaler deux institutions qui, dans cette province de la pensée humaine, nous préparent un état-major intellectuel. L’une est l’École des Hautes Études fondée par M. Duruy avant 1870 ; l’autre est l’École libre des Sciences politiques fondée en 1872 par l’initiative privée. Cette seconde École surtout fera ce qu’un homme isolé, un historien ne peut pas faire ; je vois en elle un centre où le politique véritable, l’homme d’action, trouvera un jour l’ensemble des renseignemens qui le conduiront à une connaissance approfondie, méthodique, progressive de tous les grands États et de tous les grands intérêts européens.

Mon livre n’est qu’un document parmi ceux qui sortiront de cette école, un mémoire à consulter par les hommes qui sont ou qui peuvent devenir des hommes d’État. J’ai rencontré souvent de pareils mémoires aux Archives : leur but était atteint quand ils étaient lus par les cinq ou six personnes qui pouvaient en faire usage. Je voudrais que cela m’arrivât, et puisque vous m’avez lu. Monseigneur, cela commence à m’arriver.

Daignez agréer, Monseigneur, les assurances de mon respect.


À Monsieur Ernest Havet[7].
Paris, 24 mars 1878.
Cher maître,

En vous envoyant ce livre[8], je savais bien qu’il vous choquerait ; et, si bienveillante, — trop bienveillante, — que soit votre lettre, je vois que vous avez fait un effort pour ne pas me montrer votre blessure. Pardonnez-moi mes duretés ; vous savez que j’ai écrit en conscience, après l’enquête la plus étendue et la plus minutieuse dont j’aie été capable. Avant d’écrire, j’inclinais à penser comme la majorité des Français ; seulement, mon opinion était une impression plus ou moins vague et non une foi. C’est l’étude des documens qui m’a fait iconoclaste. Le point essentiel de notre différend, ce sont les idées très différentes que nous nous faisons des principes de 1789. À mes yeux, ce sont ceux du Contrat social, par conséquent, ils sont faux et mal faisans, comme je l’avais montré dans l’Ancien Régime. Rien de plus beau que les formules Liberté, Égalité, ou, comme le dit Michelet en un seul mot : Justice. Le cœur de tout homme qui n’est pas un drôle ou un sot est pour elles. Mais en elles-mêmes, elles sont si vagues qu’on ne peut les accepter sans savoir au préalable le sens qu’on y attache. Or, appliquées à l’organisation sociale, ces formules, en 1789, signifiaient une conception courte, grossière et pernicieuse de l’Etat. C’est sur ce point que j’ai insisté d’autant plus que la conception dure encore, et que la structure de la France, telle qu’elle a été faite de 1800 à 1810 par le Consulat et l’Empire, n’a pas changé. Nous en souffrirons probablement encore pendant un siècle et peut-être davantage ; cette structure a fait de la France une puissance de second rang ; nous lui devons nos révolutions et nos dictatures ; je compare le mal à une attaque de syphilis ; mal guérie, palliée, l’altération intime subsiste toujours ; elle nous a donné 1848, avec le suffrage universel qui est un chancre toujours coulant, et les accidens tertiaires de 1870-1871 ; deux doigts du malade, l’Alsace et la Lorraine, sont tombés, et, si nous ne suivons pas le régime indispensable, il est à craindre que d’autres membres ne tombent encore.

Pour que ce régime soit suivi prudemment et rigoureusement, il faut que le malade sache sa maladie ; cela lui ôtera l’envie des grandes secousses et des exercices violens.

Mon livre, si j’ai assez de force et de santé pour l’achever, sera une consultation de médecin. Avant que le malade accepte la consultation des médecins, il faut beaucoup de temps ; il y aura des imprudences et des rechutes ; au préalable, il faut que les médecins qui ne sont pas encore du même avis se mettent d’accord. Mais je crois qu’ils finiront par s’y mettre, et les raisons de mon espérance sont celles-ci : on peut considérer la Révolution française comme la première application des sciences morales aux affaires humaines ; ces sciences en 1789 étaient à peine ébauchées ; leur méthode était mauvaise, elles procédaient a priori ; leurs solutions étaient bornées, précipitées, fausses. Combinées avec le fâcheux état des affaires publiques, elles ont produit la catastrophe de 1789 et la très imparfaite réorganisation de 1800. Mais, après une longue interruption et un véritable avortement, voici que ces sciences recommencent à fleurir ; elles ont changé complètement de méthode ; leurs solutions seront toutes différentes, bien plus pratiques. La notion qu’elles donneront de l’État sera neuve.

Peu à peu, de l’Académie des Sciences morales jointe à l’Académie des Inscriptions, cette notion descendra dans les Universités, dans le public pensant, comme les notions de l’électricité, de la chaleur descendent de l’Académie des Sciences.

Insensiblement, l’opinion changera ; elle changera à propos de la Révolution française, de l’Empire, du suffrage universel direct, du rôle de l’aristocratie et des corps dans les sociétés humaines. Il est probable qu’au bout d’un siècle, une pareille opinion aura quelque influence sur les Chambres, sur le gouvernement. Voilà mon espérance : j’apporte un caillou dans une ornière ; mais dix mille charrettes de cailloux bien posés et bien tassés finissent par faire une route.

Encore une fois, excusez-moi de heurter un sentiment qui, dans un cœur comme le vôtre, est peut-être une religion. Mais avec des dieux différens, nous avons peut-être au fond tous les deux le même sentiment intime ; je résumerais nos différences en un mot : La reine légitime du monde et de l’avenir n’est pas ce qu’en 1789 on appelait la Raison, c’est ce qu’en 1878 on nomme la Science.

À vous de cœur.


À Monsieur Francis Charmes.


Paris, 27 avril 1878.
Mon cher Monsieur Charmes,

Vous êtes bien aimable et bien obligeant[9], et personne, depuis vingt-cinq ans que je suis au journal, n’a mieux pris le ton et l’esprit des Débats. De plus, personne n’a si bien pris la position moyenne, libérale et conservatrice. Vous êtes vraiment en ce moment-ci les vrais Débats, au point de vue littéraire. Avec une si parfaite tenue, vous ne pouvez manquer d’atteindre prochainement le but mérité de votre ambition très légitime, et je souhaite pour nous tous que vous deveniez un de nos députés.

Le justiciable fait toujours des chicanes au juge ; me permettez-vous celle-ci ? Jusqu’au milieu de juillet de 1789, mes sources sont les intendans et subdélégués, vu qu’ils ont presque seuls la correspondance. Mais à partir de là, mes sources sont surtout les comités élus, puis, à partir de décembre 1789, les autorités locales élues et de plus en plus démocratiques. Mes sources sont donc plus impartiales que vous ne le supposez.

Encore merci et tout à vous bien affectueusement.


À Monsieur Alexandre Dumas.


Menthon-Saint-Bernard, 21 mai 1878.
Mon cher ami,

Je suis dans les misères de la mise en train. Il s’agit de faire la psychologie du Jacobin : par quel mécanisme d’idées et de sentimens des gens qui étaient faits pour être des avocats de province, des employés à 3 000 francs, bref, des bourgeois paisibles et des fonctionnaires dociles, sont-ils devenus des terroristes convaincus ? J’ai un précieux Dictionnaire composé en 1805 ; on y trouve la condition actuelle de tous les conventionnels survivans ; ils sont employés aux vivres, juges civils ou criminels, inspecteurs des douanes, sans profits, etc.

J’ai pu voir, en étudiant les Puritains de 1649, l’aliénation mentale, mais accompagnée d’images et avec troubles de conscience. Ici, la folie est sèche, abstraite, scolastique ; on dirait de purs pédans infatués de théologie verbale. Les bêtes de proie qui se servent de ce jargon se comprennent sans difficulté, mais les Soubrany, les Romme, les Goujon, même les Lebas et les Grégoire sont les plus étonnans spécimens de délire lucide et de manie raisonnante. Je suis encore loin d’y voir clair.

En revanche, mon lac est bleu comme une pervenche ; les herbes des prairies sont hautes de deux pieds et les oiseaux chantent à plein gosier tout autour de moi. Vous êtes Parisien, je crois ; moi, je suis campagnard de cœur ; après un mois de séjour à Paris, je trouve qu’il y a trop de monde dans les rues et que les bâtisses font des horizons trop rectilignes.

À vous bien cordialement. Boissier m’écrit que Wallon lui a fait sa visite et se présente contre Renan au deuxième fauteuil.


À Monsieur Alexandre Dumas.


Menthon-Saint-Bernard, 23 mai 1878.
Mon cher ami,

… Je suis très content que vous lisiez mes deux derniers volumes, et je compte en causer avec vous. D’après ce que je sais et vois de vous, je me figure que vous êtes une des trois ou quatre personnes qui, même à un auteur, disent la vérité sans phrases.

Nous essayons en ce moment de faire en histoire quelque chose de semblable à ce que vous faites au théâtre, je veux dire de la psychologie appliquée. Cela est bien plus difficile que l’ancienne histoire, bien plus difficile à faire pour l’auteur et bien plus difficile à comprendre pour le public. Mais en somme, les mécanismes d’idées et de sentimens sont la vraie cause des actions humaines, les parades politiques sont tout à fait secondaires. Par exemple, en ce moment, si je puis construire, à ma satisfaction, l’état mental d’un Jacobin, tout mon volume est fait : mais c’est un travail diabolique.

Je vous serre la main et vous remercie encore.


À Monsieur Ernest Havet.


Menthon-Saint-Bernard, 18 novembre 1878.

Cher maître, je vous remercie de ce témoignage de sympathie[10] ; malgré nos dissentimens sur ce point, j’ose dire que vous m’aimez toujours, et même j’en suis sûr. D’ailleurs, sur cette question spéciale, nous sommes moins éloignés que nous n’en avons l’air.

Je n’ai pas d’opinion arrêtée sur le présent ; je cherche à m’en faire une ; mais probablement je n’en aurai jamais, parce que les documens, l’éducation, la préparation me manquent. J’entends une opinion scientifique ; pour ce qui est de mes impressions, j’en fais bon marché ; elles sont sans valeur comme celles de tout particulier et de tout public. Mon but est d’être collaborateur dans un système de recherches qui, dans un demi-siècle, permettra aux hommes de bonne volonté autre chose que des impressions sentimentales ou égoïstes sur les affaires publiques de leur temps. C’est dans ce but que nous avons fondé l’École des Sciences politiques. Visiblement une pareille méthode, qui est une sorte d’anatomie sociale, choquera dans ses premières comme dans ses dernières conclusions beaucoup de sentimens généreux et respectables. Mais les partisans de l’expérience sont trop libres d’esprit pour ne pas accorder à l’outil précieux dont ils connaissent les services la permission de travailler partout, même au plus vif dans leurs plus chères convictions.

Croyez-moi, cher maître, votre tout dévoué et affectueux serviteur et ami.


Au comte de Martel[11].


Menthon-Saint-Bernard, 6 août 1879.
Monsieur,

J’ai reçu presque en même temps que votre lettre le volume[12] que vous avez bien voulu m’envoyer et je vous remercie de l’honneur que vous me faites. J’ai depuis trois ans dans ma bibliothèque cette Étude sur Fouché[13] et le communisme en 1793, et l’un de mes plus vifs et de mes plus rares plaisirs est de lire les livres de première main. Les vôtres sortent directement des sources ; j’ai feuilleté aux Archives dans les missions révolutionnaires les cartons qui concernent le proconsulat de Fouché dans la Nièvre. Il y a deux ans, j’avais entre les mains les procès-verbaux des sections de Paris, le 9 thermidor. Vous voyez que nous avons travaillé tous deux sur les mêmes pièces, et je serai très heureux, notamment pour le 9 thermidor, de m’en référera vos textes si probans et à votre discussion si concluante ; je crois avec vous que Robespierre n’était qu’un sot, timide, effaré, haineux, à peine digne d’être un avocat de troisième ordre en province. C’est le caractère général des Terroristes, l’incapacité… Quant à la probité, j’ignorais le fait que vous citez de Panis[14] (p. 16). J’ai lu quelque part que Saint-Just avait volé des pièces d’argenterie ; je vous serais fort obligé si vous vouliez bien m’apprendre où je pourrai trouver la preuve de cette allégation (p. 360). Carra a eu deux ans de prison pour vol. C’est dommage que vous n’ayez pu reconstituer la jeunesse de Fouché ; je vous signale aussi celle de Danton, si peu connue, et toute sa vie privée et politique jusqu’au 10 août. En somme, ils sont presque tous du même acabit que les chefs de la Commune de 1871.

Une seule objection : était-il nécessaire d’introduire ici M. Thiers et le 18 mars ? C’est-à-dire un moment et un homme sur lesquels l’histoire ne peut encore prononcer, puisque l’enquête sérieuse n’est pas finie ? Nous autres amateurs de l’histoire documentée, prouvée, ne devons-nous point éviter avec un soin extrême l’accusation que les journaux nous jettent aux jambes, celle d’étudier le passé d’après un parti pris sur le présent ? Je vous soumets cette critique parce qu’on l’a dirigée contre mon propre livre.

Agréez, Monsieur, avec mes vifs remerciemens, les assurances de toute ma considération et de toutes mes sympathies.


À Monsieur Ernest Daudet.


Boringe, Menthon-Saint-Bernard, 9 mai 1881.
Monsieur et cher collègue,

Je vous suis très reconnaissant du cadeau que vous voulez bien me faire[15], et j’ai lu tout de suite votre livre que je connaissais en partie par la Revue des Deux Mondes. C’est une addition très précieuse à l’histoire de la Révolution. Beaucoup des documens dont vous vous êtes servi me sont passés sous les yeux, notamment les dossiers sur Arles, Nîmes, Uzès et la Lozère. Sur un seul point, j’oserais vous soumettre une différence d’appréciation. À mon sens, si l’on excepte Froment de Nîmes, les conspirations royalistes ne commencent qu’à la fin de 1791. Pour Arles, par exemple, les documens les plus authentiques, les lettres des trois commissaires médiateurs envoyés par l’Assemblée et le Roi, montrent que les Chiffonistes ou anti-jacobins étaient des Feuillans, des constitutionnels, et non des contre-révolutionnaires ; c’était aussi le cas pour la majorité des nobles de province et des bourgeois aisés, d’octobre 1791 à mars et juin 1792. Claude Allier (p. 127) s’est fait illusion, et a prêté aux autres ses propres sentimens. — Au reste, vous ne contresignez pas ses affirmations.

Je serais très heureux si vos impressions confirmaient les miennes, et si le jugement que je porte sur le caractère, les dispositions, l’attitude des différentes classes de 1789 à 1793 pouvait s’appuyer sur vos recherches. Très peu de personnes ont pris la peine d’étudier les documens authentiques et manuscrits. Vous êtes un des rares explorateurs.

Agréez, etc.


À Monsieur Gaston Paris.


Menthon-Saint-Bernard, 17 mai 1881.
Mon cher Paris,

En partant avec la publication de mon volume[16], j’ai évité beaucoup de paroles vaines et de politesses officielles ; mais je me suis privé de beaucoup d’impressions vraies et de critiques sincères que j’aurais pu provoquer ou surprendre. Vous qui êtes franc et qui épargnez à vos amis les louanges convenues, voulez-vous me dire en toute liberté ce que vous pensez du livre, et ce qu’on en dit autour de vous ? Soyez aussi discret qu’il vous plaira sur les noms ; vous savez pourtant que la contradiction à bout portant m’est agréable, et que l’opinion de Monod, de Sorel, de Fustel de Coulanges, de Lavisse et autres hommes compétens, quelle qu’elle soit, sera bien accueillie de moi. Autre raison, je commence le dernier volume de la Révolution ; voici quinze jours que j’en combine le plan et que je dégage l’idée dominante. Ainsi la critique du volume qui vient de paraître me serait utile en ce moment.

J’appelle votre attention sur trois points :

1o Est-ce assez neuf ?

2o Est-ce assez prouvé ?

3o Est-ce assez littéraire ?

Pour vous montrer combien ma question est sincère, je vais vous dire ma propre impression.

À la deuxième question je réponds oui ; c’est à cela que je me suis surtout appliqué.

Sur la première, je suis tout à fait dans le doute, ayant passé trop de temps avec les personnages et les événemens, étant trop familiarisé avec eux, ayant trop perdu de vue la légende acceptée et l’opinion régnante.

Pour la troisième, je réponds non ; je l’ai trop subordonnée à la deuxième, je me suis tenu trop près des textes, je n’ai pas osé donner le coup de pouce nécessaire ; peut-être n’aurais-je pas eu le talent de le donner ; mais j’ai pu vérifier, pièces en main, que plusieurs des plus beaux morceaux de Michelet (par exemple, Marat rapporté en triomphe à la Convention après son acquittement, avril 1793) sont des œuvres d’imagination, des broderies admirables tissées sur un canevas historique maigre et sec. Le grand malheur de l’homme qui ne veut pas dépasser les textes, c’est l’obligation de n’être pas littéraire ; il ne peint pas ; sauf lorsqu’il rencontre un témoin de talent ou un enregistreur minutieux, il n’a pas des détails appropriés et suffisans, il ne peut pas faire vivant, il est réduit comme je l’ai été à la déduction, à l’exposition, aux procédés classiques ordinaires.

Sur ces points-là et sur tous les autres, tout ce que vous me direz sera bienvenu.

Nous avons ici un ciel admirable et la plus belle verdure du monde. Je flâne un peu ; notre solitude est complète, et nos santés sont bonnes. Tâchez de venir nous voir, si vous n’êtes pas trop pris par votre famille ; vous savez que vous êtes de la maison.

Amitiés de tous et tout à vous.


À Monsieur Gaston Paris.


Menthon-Saint-Bernard, 22 mai 1881.
Mon cher Paris,

Merci et grand merci de votre lettre[17] que je reçois par le même courrier. Je pense comme vous sur la monotonie[18] ; ma seule réponse est que, dans une matière si controversée, j’avais besoin de trop prouver ; en outre, il fallait, je crois, non seulement montrer la racine et le fruit, mais faire assister à la croissance de l’arbre ; chaque chapitre ajoute un décimètre à la tige.

Mon objection contre moi-même subsiste toujours ; évidemment il ne faut pas donner le coup de pouce imaginatif comme Michelet ; mais, avec un vrai talent, on pouvait s’en tirer, ce que je n’ai pas su faire ; par exemple, Macaulay a pu être critique exact et artiste complet (le siège de Londonderry, l’état de l’Irlande en 1690, le portrait de Guillaume III).

Si vous étiez ici, nous aurions à causer pendant des heures ; ce que vous dites sur l’inexactitude de Michelet, sur la faiblesse de sa critique, sur l’insuffisance de son érudition, est très vrai. Il a lu très peu et très mal le manuscrit (par exemple, les 82 gentilshommes de Caen, le 10 août, etc.).

Pardon de cette lettre à bâtons rompus ; je vous serre la main bien amicalement.

Tout à vous.


À Monsieur Georges Saint-René Taillandier[19].


Boringe, Menthon-Saint-Bernard, 20 juillet 1881.
Monsieur,

Je vous suis très reconnaissant de l’article que vous venez de publier dans le Parlement ; c’est la première fois, je crois, que mes idées politiques sont rattachées à mes idées philosophiques, et rien ne m’est plus précieux que de voir constater ma bonne foi. J’ai pu me tromper, mais j’ai fait de mon mieux pour voir clair et pour voir juste ; j’ose assurer que la tâche est difficile. En politique, nous vivons dans un milieu d’idées toutes faites ; et il est aussi périlleux que désagréable de combattre des opinions dans lesquelles tout le public a été élevé et nourri ; j’avais moi-même ces opinions au début de mes recherches, et ce n’est pas sans effort ni sans chagrin que j’ai dû les quitter.

Permettez-moi de vous indiquer la réponse que je ferais aux objections qui terminent votre article. Vous justifiez la Révolution en disant qu’elle s’est maintenue en France et propagée en Europe. Il faut s’entendre sur ce mot Révolution. Si vous désignez par là l’abolition de l’ancien régime (royauté arbitraire, féodalité) rien de plus juste ; non seulement en France, mais en Italie, dans la plus grande partie de l’Allemagne et en Espagne, la vieille machine était pourrie et n’était bonne qu’à jeter bas.

Mais on pouvait faire l’opération de deux manières, à la façon anglaise et allemande d’après les principes de Locke et de Stein, ou à la façon française d’après les principes de Rousseau. L’histoire contemporaine montre la supériorité de la première méthode. En France, où la seconde a prévalu, non seulement on a dû traverser les massacres de la Révolution et les boucheries de l’Empire ; mais les deux conséquences fatales du principe de Rousseau ont subsisté et continuent à se développer.

Sous le nom de souveraineté du peuple, nous avons eu les insurrections, révolutions, coups d’Etat que vous savez, et probablement nous en aurons encore d’autres. Sous le nom de souveraineté du peuple, nous avons la centralisation excessive, l’ingérence de l’État dans la vie privée, la bureaucratie universelle avec toutes ses conséquences. Centralisation et suffrage universel, ces deux traits de la France contemporaine lui font une organisation imparfaite, à la fois apoplectique et anémique ; à mon sens, la constitution de l’Angleterre, celle de l’Allemagne, de la Belgique, de la Hollande et même de l’Italie valent mieux, et voilà comment l’histoire effective vient confirmer le jugement que l’analyse psychologique portait sur la théorie politique de Rousseau, de la Constituante et des Jacobins.

Je suis très loin de revendiquer seulement « le droit de l’hérédité » et de nier « le droit de la vocation. » Vous trouverez dans Darwin et dans Prosper Lucas les raisons physiologiques et psychologiques très fortes qui nous obligent à donner du jeu aux vocations ; dans les races les plus stables et les plus uniformes, il se produit des combinaisons exceptionnelles, des individus singuliers et, selon le mot de Darwin, « des variétés individuelles. » C’est pour ces gens-là que Napoléon a si bien dit : « La carrière est ouverte aux talens. » Le vrai principe politique est qu’il faut utiliser toutes les forces, celle de l’hérédité et celle de l’individualité.

Agréez, monsieur, avec mes remerciemens, l’assurance de toutes mes sympathies et de toute ma considération.


À Monsieur Georges Saint-René Taillandier.


Boringe, Menthon-Saint-Bernard, 6 août 1881.
Monsieur,

Sur la première question[20], je suis tout à fait d’accord avec vous. Il est certain que l’idée de l’État, telle qu’elle est formulée dans le Contrat social, n’a été adoptée par les hommes de 89 et de 93 que parce qu’elle était conforme à beaucoup de leurs instincts secrets.

Notre société contemporaine a des racines historiques et psychologiques. Les premières sont visibles dès Philippe le Bel ; les secondes apparaissent dès les premières œuvres de la littérature française avant Joinville. Je tâcherai de montrer cela dans mon dernier volume.

Sur la seconde question[21], je ne diffère de vous qu’en partie. Certainement nul historien ou psychologue ne peut se flatter d’épuiser le total infini des idées, sentimens, passions, circonstances et conditions qui composent la vie d’une nation donnée à une époque donnée. Mais, dans les choses morales comme dans les choses physiques, il y a des valeurs de différens ordres ; certains caractères ont une valeur supérieure et décisive, parce qu’ils entraînent après eux et forcément une masse énorme d’autres caractères ; je les appelle générateurs ; vous les trouverez dans l’histoire humaine comme dans l’histoire naturelle.

Mon ambition est de saisir ceux de la France contemporaine ; j’ai tâché de les dégager dans l’Ancien Régime, je tâche de les suivre dans la Révolution, et je tâcherai de les mettre en lumière dans le Régime nouveau, en tenant compte des grandes influences qui viennent se surajouter à eux pour retarder ou accélérer leur effet. Ces influences, par exemple, sont après 1815 les applications des sciences physiques, le discrédit de l’esprit classique en littérature, la rénovation de toutes les sciences morales par la méthode expérimentale, l’exemple et l’ascendant des États réformés sur un autre type que le Contrat social, etc. En histoire, comme dans toute autre science, il me semble qu’il faut dégager, définir, mesurer autant que possible les grandes forces agissantes et permanentes, puis ajouter l’étude des données plus ou moins accidentelles et perturbatrices. Par ce procédé seulement, on pourra déterminer l’effet total et final, et prévoir jusqu’à un certain point les grandes lignes de l’avenir. Sans doute, il y a des chances d’omission et de fausse mesure ; mais dans un demi-siècle, les historiens instruits par les faits pourront rectifier nos erreurs et suppléer à nos omissions. Vous autres, jeunes gens, vous ferez ce travail. Laissez-moi vous dire que là est notre meilleure espérance.

L’histoire commence à peine à devenir une science ; nous n’en posons que les premières bases, c’est aux hommes de votre âge à construire le bâtiment.

Croyez-moi, je vous prie, votre très obligé et très dévoué serviteur.


À Monsieur Armand Lods[22].


Menthon-Saint-Bernard, 4 décembre 1881.
Monsieur,

Je vous suis très obligé de vos renseignemens et de vos offres, mais je me ferais quelque scrupule de vous donner la peine de transcrire une délibération entière comme celle de la Commune d’Héricourt. Cependant, si vous avez la bonté de m’en communiquer un abrégé, je tâcherai de l’insérer dans une nouvelle édition.

Je connaissais le fait pour Belfort ; Sauzay (Histoire de la pénétration révolutionnaire dans le Doubs, III, 191) mentionne l’expédition commandée par le cafetier Marion ; mais il ne parle pas d’Héricourt.

Ce n’est pas moi qui traiterai de la guerre, des finances et de l’Église ; j’ai assez à faire avec l’histoire des pouvoirs publics. Mon dernier volume ne traitera que du gouvernement révolutionnaire, et c’est déjà beaucoup pour mes forces qui sont petites.

Je vous félicite de pouvoir étudier une histoire locale en détail et sur pièces authentiques. Il n’y a rien de plus utile et de plus probant. Si vous avez des détails et des chiffres sur les élections (nombre des inscrits, nombre des votans, nombre des électeurs formant la majorité, qualité des élus, liberté de voter ou violences exercées sur les votes), vous avez en main les pièces décisives : le fait le plus significatif de toute cette époque est le petit nombre et la basse qualité du parti régnant, et là-dessus toutes vos communications me seraient précieuses. Les renseignemens donnés par A. Babeau (Troyes) et par Sauzay sont frappans, et j’en ai trouvé d’autres non moins étranges sur Belfort.

Agréez, monsieur, l’assurance de mes sentimens les plus dévoués et les plus distingués.


À Monsieur A. Leroy-Beaulieu.


Paris, 2 janvier 1882.
Monsieur et cher collègue,

Recevez mes vifs remerciemens pour votre article[23] d’hier. Par le temps qui court, un livre d’histoire philosophique n’est guère jugé qu’au point de vue des partis, et je me félicite deux fois de l’avoir été par l’auteur de la Russie Contemporaine.

Vous avez très bien vu que chez moi l’historien tient au psychologue. À mon sens, la psychologie doit jouer dans toutes les sciences morales le même rôle que la mécanique dans toutes les sciences physiques. Elle est la science abstraite et centrale dont les autres ne sont que les applications ; ce qui ne veut pas dire que les autres doivent être faites déductivement, à la façon du XVIIIe siècle.

Je vous remercie particulièrement de ce que vous avez dit page 148. Mon Lut n’est pas l’histoire narrative, mais l’exposé des forces qui produisent les événemens. Ces forces sont les divers groupes sociaux, avec leurs besoins, leurs passions, leurs idées, etc. Partant, ce que je dois présenter ce ne sont pas toujours les personnages ou événemens connus et célèbres, ce sont les faits généraux, les situations et sentimens des groupes, et pour cela les individus moyens, les scènes locales, les spécimens significatifs sont mes documens principaux.

Sur un point (fin de 153 et 154), je vous demande la permission de ne pas accepter votre critique. Je n’ai jamais imaginé que, de la noblesse française de 1789, la Constituante eût pu ou dû faire une aristocratie à l’anglaise. Je pense seulement, après avoir lu les vingt volumes des procès-verbaux des assemblées provinciales, que, dans l’aristocratie provinciale d’alors (noblesse, clergé, parlementaire, haute bourgeoisie), il y avait des élémens précieux pour faire une classe gouvernante, des administrateurs sans traitement, des conseillers locaux du pouvoir central, et même des représentans de la province auprès du pouvoir central. Je n’ai pas précisé au-delà ; à distance, cela est trop facile ou trop difficile.

Si j’avais le plaisir de vous rencontrer (un très grand plaisir), je tâcherais d’obtenir de vous une définition de ces fameux principes de 89 si vagues. Comme toutes les abstractions de ce genre, ils ont le sens qu’on veut leur donner ; mais, si l’on cherche le sens exact dans lequel ils ont été pris par leurs promulgateurs, on trouve qu’ils se ramènent tous au dogme de la souveraineté du peuple entendu au sens de Rousseau, c’est-à-dire à la doctrine la plus anarchique et la plus despotique, d’une part au droit d’insurrection de l’individu contre l’Etat le mieux gouverné et le plus légitime, d’autre part au droit d’ingérence de l’Etat dans les portions les plus intimes de la vie privée. C’est l’inverse des idées de Locke, si sages. Nous sommes infectés jusqu’aux moelles de ce vieux poison ; chez nous, tout manque, le respect de l’Etat et le respect de l’individu ; nous sommes tour à tour ou à la fois socialistes et révolutionnaires ; sauf un petit groupe, aussi petit que celui de Mounier et Malouet, il n’y a point de libéraux en France : rappelez-vous ce terrible mot de Mallet du Pan : « La liberté, chose à jamais inintelligible aux Français. »

Encore une fois merci, et croyez à mes sentimens les plus distingués, les plus sympathiques et les plus dévoués.


Au comte de Martel.


Menthon-Saint Bernard, 16 novembre 1882,
Cher monsieur,

Je vous suis très obligé de la note sur Danton que vous voulez bien m’envoyer. M. de Sybel a déjà marqué quelque chose de ses velléités pacifiques et diplomatiques. Sur son courage physique, je ne sais rien de précis, je vois seulement qu’il est bien mort. À mon sens, c’est surtout par dégoût qu’après septembre 1793 il a lâché le gouvernail ; il fallait être aussi raide et aussi borné que Robespierre pour se décider à pousser jusqu’au bout dans le système de la guillotine.

Je vous félicite d’avoir presque fini vos deux volumes ; les rectifications à faire à M. Thiers sont très nombreuses ; je viens de relire les volumes de Lanfrey qui en apportent déjà beaucoup.

Pour moi, la santé m’a manqué cette année ; depuis plusieurs mois, j’ai dû cesser de travailler et je reviendrai à Paris avec très peu de besogne faite.

Agréez, cher monsieur, l’assurance de mes sentimens les plus distingués et les plus dévoués.


À Émile Templier[24].


Menthon-Saint-Bernard, 8 novembre 1881.
Mon cher monsieur,

Je vous suis très obligé de vos observations, et j’en profite sur un point, pour préciser et ne pas laisser au lecteur la possibilité d’une fausse interprétation. Après la phrase[25] « Ils ont été proclamés à cette date, » j’ajoute « auparavant ils avaient été formulés par Jean-Jacques Rousseau : droits de l’homme, souveraineté du peuple, contrat social, on les connaît. Une fois adoptés, ils ont d’eux-mêmes déroulé leurs conséquences pratiques, » etc.

Grâce à cette addition, personne ne pourra trouver de désaccord entre la préface et les volumes antérieurs ; car cette liaison des principes de Rousseau et des actes de la Révolution française est marquée expressément en vingt endroits, notamment dans l’Ancien Régime, livre III, chapitre IV tout entier, dans la Révolution, tome I, livre II, tout entier, dans la Révolution tome II, livre I, chapitre I tout entier et dans la Révolution, livre II, chapitres II et III tout entiers. La nouveauté et l’intérêt de l’ouvrage consistent même, ce me semble, en cela, c’est-à-dire, dans la liaison que j’établis entre la théorie et les événemens.

Pour l’autre observation[26], je vais attendre un jour ou deux ; je demande à l’imprimerie une deuxième épreuve. Mais en vérité, je suis un peu surpris de l’apparence de légèreté faisant contraste avec un sujet si austère. Quand on est arrivé au bout de l’indignation, il ne reste plus que l’ironie froide ; je croyais que tel était le ton de cette préface. Probablement, j’ai été trop anglaisé par le commerce de Swift, Sydney Smith, Thackeray, ce qui est un tort, quand on s’adresse à des Français. Des Anglais, des Américains, sur qui j’en ai fait l’expérience, ont trouvé que ce morceau était le plus triste et le plus amer du volume. Mon but était de laisser, comme résumé final et total, dans l’esprit du lecteur, une phrase unique, abréviative (culte du crocodile), assez exacte et assez féconde pour que tous les faits et toutes les idées du volume puissent lui revenir spontanément, par cela seul que tout bas il la prononcerait.

Donnez-moi vos autres observations, si vous en avez sur le volume lui-même, et votre impression. Je n’ai aucunement, surtout en pareil sujet, la vanité littéraire, et je vous serai reconnaissant.

Je compte être à Paris pour le 15 novembre.

Bien à vous.


À Monsieur Jules Sauzay[27].


Menthon-Saint-Bernard, 25 juin 1883.

C’est moi, monsieur, qui suis votre obligé ; la preuve en est dans le grand nombre des faits et textes que je vous ai empruntés. Quant aux références précises que vous voulez bien m’offrir, je n’en avais pas besoin ; votre ouvrage abonde en marques intrinsèques de sincérité historique et de conscience scrupuleuse. D’ailleurs, par d’autres documens, j’avais trouvé aux Archives la confirmation de tout ce que vous dites, notamment les rapports de l’intendant et des commandans militaires en 1789, et, plus tard, de l’an III à l’an VIII, une série de rapports des administrations locales, des commissaires cantonaux. Je me rappelle entre autres cette phrase d’un commissaire en l’an VI ou VII : « Les gens de ce pays consentiraient à payer le double d’impôts, pourvu qu’on leur laissât leur culte et les prêtres qu’ils préfèrent. »

Plus j’étudie en histoire, plus j’attribue de prix aux textes de première main, abondans, caractéristiques et bien classés. À cet égard, votre grand ouvrage est un monument, et certainement tous les historiens futurs de la période révolutionnaire devront y puiser.

J’essaie de faire dans un cinquième volume ce que vous me demandez[28]. Mais je ne suis pas sûr de pouvoir le bien faire. Il faudrait être plus instruit, plus compétent, avoir touché de près, par la pratique, par l’exercice de fonctions administratives, les hommes et les choses. J’essaie depuis plusieurs années de me mettre au courant. D’autre part, ma santé faiblit, et l’entreprise est bien vaste, la tâche bien lourde pour un homme de mon âge. Enfin, à quoi bon ? Supposez que je puisse indiquer le remède, ou plutôt le régime salutaire, le malade refusera de s’y soumettre, il se croit médecin, il a son dogme en fait d’hygiène, les principes de 1789 et 1792. Le socialisme égalitaire est maintenant entré dans son sang comme l’alcool dans les veines d’un alcoolique ou la morphine dans les veines d’un morphinomane. Vous-même, vous aviez montré avant 1871 que l’esprit antichrétien avait été mortel à la première République ; cette leçon, si bien donnée par vous, si fortement appuyée par des exemples si nombreux et si décisifs, a-t-elle persuadé quelqu’un dans le parti démocratique ?

Nos livres servent à l’histoire, à la science ; mais notre influence sur la pratique est infiniment petite. Nous sommes payés par le plaisir d’avoir cherché la vérité pour elle-même, de l’avoir dite nettement, avec preuves à l’appui, sans arrière-pensée. Nous sommes payés aussi par l’estime des hommes honorables et compétens qui peuvent vérifier directement nos assertions. C’est vous dire, monsieur, combien votre appréciation m’est précieuse.


À Son Altesse Impériale la Princesse Mathilde[29].
Paris, 23, rue Cassette, 19 février 1887.
Princesse,

Je suis très affligé de vous avoir choquée. Daignez relire mon portrait de Mme Lætitia ; je croyais n’y avoir mis qu’une impression de haute estime et même d’admiration. Daignez aussi remarquer quels sont mes auteurs ; ce ne sont pas des « pamphlétaires ; » c’est Napoléon lui-même ; tous les mots cités dans le texte et dans la note sont de lui : Stanislas Girardin n’est mentionné que pour indiquer un développement, une conversation écrite à l’instant même, et dans laquelle, si vous vous y reportez, vous verrez bien l’âme primitive, naïve, toute maternelle. — « Trop parcimonieuse, etc., » est de Napoléon ; cela n’empêche pas la générosité qui en cas de nécessité sacrifie tout, donne tout ; j’ai dit cela expressément et sur l’autorité de Napoléon lui-même. J’ai beau réfléchir, je ne vois qu’un mot qui puisse vous heurter ; c’est le moi propreté ; je vais le vérifier dans les sources, et l’ôter, s’il y a conteste : mais, en vérité, pour l’époque indiquée, c’est-à-dire en Corse et en France avant 1796, parmi tant de misères de la vie errante, une femme demi-italienne, demi-paysanne, chargée d’enfans, ruinée, ménage son linge et n’a pas le temps de soigner ses mains. J’ai vu ces mœurs et ces habitudes chez de vieilles dames que j’ai connues dans mon enfance ; l’une d’elles était un vrai chef de famille, une âme commandante et digne de commander ; dans sa petite ville on l’appelait « le Colonel. » Mais elle se souvenait toujours du temps où le savon avait manqué et où il fallait porter la même chemise toute une semaine.

Je regrette d’autant plus de vous avoir choquée, que probablement, dans mon second article, je vais vous choquer davantage. Le jour où je vous ai demandé si vous ne vous opposiez pas à la publication de mon étude, je vous ai résumé en deux mots mes conclusions sur l’Empereur : le plus grand génie des temps modernes, un égoïsme égal à son génie. Je voudrais que la première partie que vous venez de lire me servît d’excuse auprès de vous pour la seconde. Si je ne me trompe, l’immensité de ce génie n’avait pas été jusqu’ici mesurée avec tant d’exactitude, par des traits aussi précis, au moyen de vérifications aussi positives ; ce ne sont pas des phrases que j’ai faites ; je n’ai pas accumulé les adjectifs lyriques ; j’ai montré « les trois allas internes » toujours ouverts et tenus à jour dans cet esprit extraordinaire, et la faculté de combinaison plus extraordinaire encore, l’inépuisable et grandiose imagination constructive qui fait de lui un frère posthume de Dante et de Michel-Ange. Pardonnez-moi, si vous pouvez, la seconde partie en faveur de la première. Il est dur parfois d’écrire l’histoire en historien critique et sincère ; j’ai blessé à fond les royalistes en trouvant le chiffre de l’impôt direct sous l’ancien Régime, les 81 pour 100 du revenu net extorqués au paysan par les taxes royales, seigneuriales, ecclésiastiques. J’ai blessé plus à fond les républicains et toutes ces puissances actuellement régnantes, en montrant ce qu’a été véritablement la Révolution, c’est-à-dire d’abord une Jacquerie rurale, puis une dictature de la canaille urbaine. Je vais blesser les partisans de l’Empire, et les admirateurs de la France administrative, centralisée, manœuvrée tout entière de haut en bas, telle qu’elle existe encore aujourd’hui. Tant pis pour moi, j’y étais résigné d’avance.

Mais je ne me résignerais pas à perdre une amitié comme la vôtre ; je l’ai éprouvée depuis vingt ans si constante et si loyale que je suis sûr de ma gratitude personnelle ; tout ce que je vous demande, c’est d’y croire, quoi qu’il advienne, et d’agréer une fois, et pour toujours, mon attachement et mon respect.


H. TAINE.
  1. Il s’agit probablement de conférences faites à la salle des Capucines où à cette époque, chaque jeudi, Sarcey parlait des livres nouvellement parus.
  2. M. John Durand, né aux États-Unis, d’une famille de réfugiés de la Révocation de l’Édit de Nantes, a traduit en anglais une grande partie des œuvres de M. Taine, notamment les Origines de la France contemporaine. Il a été pendant vingt-cinq ans l’un des fidèles amis de M. Taine.
  3. Par M. Georges Berger.
  4. Émile Boutmy, membre de l’Institut, fondateur de l’Église libre des Sciences politiques, né en 1836, mort à Paris en 1906. M. Boutmy fut pendant plus de quarante ans le plus intime ami de M. Taine.
  5. Relatif à l’installation de l’Église libre des Sciences politiques dans le local du 15 de la rue des Saints-Pères.
  6. Le Prince Impérial avait écrit la lettre suivante à M. Taine, après la lecture de l’Ancien Régime :
    « Camden Place, Chislehurst, le 8 octobre 1877.
    « Monsieur,
    « Tous ceux qui sont désireux de s’éclairer sur la situation de notre pays et de rechercher les causes de l’instabilité de notre état social, vous doivent de la reconnaissance pour votre ouvrage sur les Origines de la Finance moderne. On ne peut exposer d’une manière plus séduisante le résultat de plusieurs années de recherches laborieuses et de méditations profondes. J’ai tenu à m’acquitter personnellement de ma dette de gratitude en vous écrivant ces lignes. Non seulement votre livre est venu répondre à un besoin de mon esprit, mais il m’a donné une véritable satisfaction de cœur. Éloigné de mon pays, j’y vis du moins par la pensée, et grâce à vous, Monsieur, j’ai pu passer de longues heures en France. — Croyez, je vous prie, à mes meilleurs sentimens.
    NAPOLÉON. »
  7. Des fragmens de cette lettre ont été publiés par M. Gabriel Monod dans son volume intitulé : les Maîtres de l’Histoire : Renan, Taine, Michelet.
  8. La Révolution, tome I.
  9. Débats du 27 avril 1878, article de M. Francis Charmes sur la Révolution (recueilli dans Études historiques et diplomatiques, Paris, 1893).
  10. Félicitations à propos de l’élection académique.
  11. Le comte A. de Martel, ancien préfet, auteur de divers ouvrages sur l’histoire de la Révolution.
  12. Types révolutionnaires, 2e partie, Le 9 Thermidor. Paris, 1879,
  13. Paris, 1873.
  14. « … Panis avait de tristes antécédens : en 1774, il avait été chassé, pour vol, du Trésor, dont son oncle était sous-caissier, F. 7, 4434. »
  15. Envoi de l’Histoire des Conspirations royalistes du Midi sous la Révolution. Paris, 1881.
  16. La Révolution, tome II, la Conquête Jacobine.
  17. Réponse à l’envoi de la Conquête Jacobine, et à la lettre précédente.
  18. Gaston Paris à H. Taine, 21 mai 1881 : « … Ce que je critiquerais seulement, dans ce volume (la Conquête Jacobine), c’est la surabondance des faits, un peu les mêmes partout. Au fond, voilà le sentiment : les faits sont importans, nombreux, précis. Ils sont aux Archives, etc., y a-t-il besoin d’être Taine pour les réunir ? Ce travail aurait dû être fait par un travailleur d’un moins grand talent, après quoi Taine l’aurait résumé et en aurait tiré les conclusions. — Peut-être un résumé plus rapide aurait-il aussi bien prouvé, et auriez-vous pu rejeter en note ou dans un appendice une indication très sommaire des sources si richement utilisées. Le volume me paraît un peu long ; voilà, en toute vérité, ma seule critique ! »
  19. M. Saint-René Taillandier, aujourd’hui ministre de France à Lisbonne, est devenu par son mariage en 1888 le neveu de M. Taine.
  20. La permanence, sous l’ancien régime comme sous la Révolution, des traditions politiques françaises, centralisation administrative, omnipotence de l’État, etc.
  21. Le déterminisme.
  22. M. Armand Lods, publiciste, né à Héricourt (Haute-Saône), en 1854.
  23. L’article de M. Leroy-Beaulieu : Un Philosophe historien, M. Taine, publié dans la Revue des Deux Mondes du 1er  janvier 1882, a été reproduit dans le volume intitulé ; la Révolution et le Libéralisme (Hachette et Cie).
  24. Émile-François Templier, gendre de M. Louis Hachette, et associé de la maison (1821-1891).
  25. Cf. Le Gouvernement Révolutionnaire, préface, p. II.
  26. Ceci répond probablement à des critiques adressées par l’éditeur à l’auteur au sujet de la préface du Gouvernement révolutionnaire.
  27. Auteur de l’Histoire de la Persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, 10 vol., Besançon, 1867-1873. — Cette lettre a été citée par M. Félicien Pascal dans un article de la Revue Bleue du 18 juin 1904 intitulé : l’Authenticité de Taine.
  28. « Après avoir diagnostiqué le mal, achevez l’œuvre du médecin en indiquant le remède avec l’autorité qui vous appartient. Aidez à guérir notre grand et cher malade. Il me paraît avoir besoin de changer de constitution intime bien plus que de constitution politique… » (Jules Sauzay à H. Taine, 21 juin 1885.)
  29. La princesse Mathilde-Lætitia-Wilhelmine Bonaparte, fille du roi .Jérôme, née en 1820, décédée le 8 janvier 1904. La princesse Mathilde avait écrit à M. H. Taine la lettre suivante, à la date du 17 février 1887, au surlendemain de la publication du premier article sur Napoléon Bonaparte dans la Revue des Deux Mondes du 15 février :
    « Monsieur, j’ai lu, dans votre article intitulé Napoléon Bonaparte, que ma grand’mère était parcimonieuse, et quelle était sans souci de la propreté. Permettez-moi de relever cette double erreur.
    « Elle était généreuse. Ses enfans l’ont trouvée pour leur venir en aide au jour du malheur. Les événemens ont assez prouvé qu’elle avait eu raison.
    « Quant à sa tenue, bien que très simple, elle était extrêmement soignée. Aveugle, ses petites mains blanches filaient pour occuper ses heures et pour la laisser s’absorber dans ses souvenirs.
    « Elle ne vivait que dans le passé. Il n’y a plus aujourd’hui que mon frère et moi qui l’ayons connue.
    « Je puis affirmer que vous avez été induit en erreur et que seuls les pamphlétaires que vous citez ont pu la calomnier ainsi.
    « Elle n’a jamais fait parler d’elle, s’est effacée jusqu’à l’oubli ; mais cela n’a pas suffi pour garantir sa mémoire.
    « Son titre de gloire était d’être la mère de l’Empereur Napoléon Ier qu’elle aimait avec culte et admiration. C’est là aussi son crime.
    « Pourquoi faut-il que la haine puisse aujourd’hui défigurer ainsi une si grande mémoire que celle de l’Empereur et chercher à atteindre le fils jusque dans sa mère ?
    « Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de tous mes sentimens distingués.
    « Mathilde. »