Lettres de Fadette/Troisième série/15

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 39-42).

XV

Le Pin parlant

Le jour de « ma » lettre n’est pas toujours un jour de fête, mes amis !

Quand j’ai quelque chose à vous dire, ça va tout seul, mais ce matin après avoir écrit : « Lettre de Fadette », rien ne venait. Ma feuille se couvrit peu à peu de petits personnages en goguette, d’oiseaux fantastiques, de fleurs échevelées, de zigzags mystérieux… plus je crayonnais, plus insaisissables se faisaient les idées.

Je pense qu’il faisait trop beau ! Les vagues jaseuses riaient sous les caresses du soleil, les arbres se saluaient en se murmurant des choses réjouissantes et toutes ces voix de dehors me disaient : « Es-tu bête ! Plante donc là ta plume ! »

Je fus lâche devant la tentation, et je la plantai là, ma plume ! Et sans remords, avec un cœur léger comme l’air ambiant, je partis pour le chemin vert… Ah ! si vous le connaissiez, le chemin vert, vous comprendriez qu’on abandonne pour lui une pièce aux quatre murs tapissés de brun !

Je marchais sur la mousse, en cueillant d’étranges petites orchidées semblables à des clochettes tourmentées enfilées dans du velours vert, des jacinthes bleues, des ancolies toutes frémissantes sur leurs longues tiges, et des petites primevères et des herbes folles, et des fougères frêles pas encore toutes déroulées… Je marchais dans le vent parfumé et dans le bon soleil, et au bout de mon chemin, devinez ce que je trouvai ? Je vous le donne en mille !

Ma lettre, mes amis ! ou, plus exactement, le sujet de ma lettre, qui, au rebours de toute morale bien faite, m’attendait pour me récompenser de ma belle flânerie et de ma grande paresse !

Et elle n’est pas banale, « mon sujet », avec ses yeux clairs, son nez retroussé, ses cheveux fous autour d’un teint et d’un sourire ! Un sourire qui fait de la lumière.

Je la surpris se regardant dans un miroir grand comme la main, suspendu par une ficelle au mur crépi d’une cuisine où j’étais entrée par la porte grande ouverte.

Elle rougit en me reconnaissant, toute confuse d’avoir été prise à se contempler. — Non, madame, plus un œuf à la maison. Le père les a tous portés à la ville dré le matin.

Rien à faire, alors ; je me lève pour partir. Elle me suit, donne un tour de clef à sa porte, et me confie qu’elle fera un bout de chemin avec moi, car elle s’en va à une source qu’elle nomme « La ressource du Pin Parlant ».

Et vous comprenez que je questionne, ravie de ce nom qui rappelle le beau temps des fées. Il paraît que ce Pin merveilleux va révéler à Marie les intentions de son amoureux, car on a un amoureux quoiqu’on ait tout juste dix-huit ans ! Et cet amoureux ne parle pas beaucoup, et Marie voudrait bien savoir ce qu’en pense le Pin Parlant, et alors, elle va le lui demander.

N’allez pas croire que je vous invente une histoire. Non, c’est arrivé, et ce matin même.

Marie veut donc savoir si elle épousera le beau Louison et quand ? Et elle croit fermement avoir une réponse à la source.

Et voilà comment elle s’y prendra pour se faire faire ces grandes prédictions. Elle attachera, avec un cordon rose qu’elle me montra, un paquet d’aiguilles de pin : elle les placera sur les pierres de la source, et elle s’éloignera discrètement pendant une heure, et sans regarder ce qui se passe à la « ressource ». À son retour, la position des aiguilles dégringolées la renseignera sur le secret de son avenir.

J’ai connu des jeunes filles, en ville, qui consultaient de vilaines diseuses de bonne aventure, j’aime bien mieux les fillettes qui font causer le Pin Parlant, et je n’ai aucune défiance contre les esprits qui jonglent avec des aiguilles de pin.

Je revins emportant avec moi la vision de ce cœur ingénu et pur, qui raconte tout haut ses rêves et se trouve jolie dans un miroir de dix sous. Et cette primitive évoqua le souvenir d’une Fadette très, très lointaine qui, elle aussi, était confiante et crédule, avec tant de tendresse au cœur qu’elle adorait même les roses, et tant de bonheur qu’elle en avait des ailes, et de tels désespoirs qu’elle se prenait pour une héroïne des contes qu’elle aimait tant.

Quand on veut du vrai bon, sans ombres, sans regrets, on écarte tous les autres souvenirs, et ceux de l’enfance se détachent radieux comme des soleils, doux comme des caresses maternelles, avec le commencement de profondeur et de mystère d’une âme qui prend conscience d’elle-même ?