Lettres de Fadette/Troisième série/02

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 3-5).

ii

Si chacun se mêlait de ses affaires !


J’ai demandé à une femme : « Quel est votre idéal d’un bon mari ? »

« Qu’il soit intelligent et bon, qu’il m’aime et qu’il se mêle de ses affaires ! »

J’ai posé la même question à un homme : « Qu’elle soit fine et douce, qu’elle m’aime et qu’elle ne fasse pas trop de questions ! »

Voilà donc que les deux réclament la liberté de se retourner sans être appelés à expliquer pourquoi.

Ils ont cent fois raison, et j’admets, avec l’une, qu’un mari tatillon est insupportable, et avec l’autre, qu’une femme questionneuse est bien gênante !

Mais l’avantage du mari, c’est qu’il ne répond que ce qui lui convient à sa femme questionneuse, tandis que vis-à-vis un homme qui se mêle de ce qui ne le regarde pas dans la maison, la femme est sans défense.

C’est quelquefois laid une femme curieuse… mais il y a la manière, vous savez ! Et maintes affaires inextricables s’arrangent quand elle y fourre son petit nez et qu’elle est fine et délicate, et le mari n’a qu’à s’applaudir alors de la curiosité de sa femme qu’il a commencé par redouter. Mais l’intervention des hommes dans la conduite de la maison est toujours gauche et indiscrète, et j’aimerais à leur dire ce que je pense d’eux avec preuves à l’appui. Mais c’est difficile de les atteindre et de les connaître, car, ces monstres sont souvent attentifs et gracieux avec les autres femmes et réservent leurs talents de détectives grincheux pour l’embêtement de leurs pauvres petites femmes qui ne peuvent échapper à leurs enquêtes tyranniques.

Écoutez donc, cher monsieur ! Votre femme va-t-elle au bureau voir comment vous y conduisez vos affaires ? Si vous la laissiez gouverner sa maison à sa guise ! Elle s’y entend et alors c’est inutile d’intervenir. Ou elle manque d’expérience, mais en avez-vous plus qu’elle ? Vos critiques risquent de tomber à faux, vos conseils d’être ridicules, et laissez-moi vous le dire en confidence, ils ne sont jamais suivis !

Si votre femme est toute… neuve, laissez-la doucement s’habituer à sa tâche nouvelle et soyez bon prince, en songeant qu’on vous aime tant et qu’on est assez jeune pour être excusable d’un peu de gaucherie.

Vous avez aimé votre fiancée pour ses grâces de fleur, ne vous attendez pas que, du jour au lendemain, elle se transforme en légume qui court d’instinct se jeter dans le pot au feu !

Donc, que chacun se mêle de ses affaires, ce qui n’exclut ni la confiance, ni les bonnes petites confidences, ni la direction du plus sage, ni les conseils délicats de la meilleure ; mais que chacun laisse à l’autre un peu de latitude dans sa sphère propre et cette liberté précieuse qui est un trésor que personne ne consent à perdre sans se sentir bien malheureux !