Lettres de Fadette/Quatrième série/43

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 120-124).

XLIII

Vieilles lettres


Figurez-vous une longue malle étroite et basse, couverte de peau de bête non épilée mais bien usée : elle a de vieilles ferrures solides et une clef énorme qui fait rêver de trésors difficiles à garder.

Et ce sont des trésors, en effet, ces vieilles lettres jaunies dont un grand nombre sont centenaires. Et il y en a de ces lettres, le vieux coffre en est rempli. ! Lettres d’amis, de parents, voire même de bons serviteurs qui écrivent à la maîtresse au cours d’une absence. Ces dernières ne sont pas les moins curieuses : écrites d’après le son, les mots s’enfilent les uns aux autres ; il faut lire vite, vite : si on arrête pour respirer, c’est fini, on ne s’y retrouve plus, on a perdu la centaine.

Il y a d’amusantes lettres de vieilles demoiselles dont la mission semble être de tenir la famille au courant des nouvelles, et les familles sont grandes, les naissances nombreuses, les mariages aussi, et les plumes s’affilent et écrivent en grande écriture difficile à lire, parce que les s imitent les f, que c’est du vieux français, et qu’on a tant à dire qu’il faut bien se hâter afin de ne pas manquer l’occasion.

Ah ! les occasions, on les guette, allez, en 1804, lisez : « J’attends de vos nouvelles par les sauvages qui vous auront vue, ma toute belle, ce qui va nie donner la tentation de les embrasser. » C’est un cousin galant à sa cousine Cléophée.

Voyez-vous, par tout le pays, les gens à l’affût d’une chance pour faire partir leurs lettres, et parce que l’humanité est illogique, on en écrivait bien plus alors que maintenant. De longues lettres sur papier de format immense et d’une épaisseur à l’avenant. On laissait e n blanc la quatrième page et elle formait enveloppe que l’on fermait avec de la cire ou des pains à cacheter. Comme on prodiguait la cire, il y a dans les lettres de grands trous qui nous obligent à reconstituer cinq ou six mots, et c’est amusant comme tout de compléter les phrases de ses aïeux. Les formules de politesse sont cérémonieuses ; nos ancêtres seraient bien scandalisés de notre désinvolture et de nos saluts brefs.

J’ai vu une amusante collection de lettres de collégiens de 1804 à 1812 : ils écrivaient du collège de Québec où on leur permettait d’écrire une fois par mois. Les « culottes » et les « capots » occupent un espace considérable et prennent une grande importance dans ces lettres. Rien de plus comique que les détails de toilette donnés par ces enfants qui passaient toute l’année très loin de leurs parents et qui attendaient les occasions parfois longues à venir pour recevoir des objets indispensables. Pauvres petits ! Ils s’ennuyaient, et ils n’étaient pas toujours consolés doucement. Certaines lettres m’ont frappée par leur ton sévère. C’est une mère qui écrit à son enfant qui se désolait : elle l’appelle généralement « mon fils », rarement « mon enfant », et c’est le bout de sa tendresse. L’écolier vient d’avoir onze ans, elle le lui rappelle pour lui recommander de bien travailler, « parce que le temps perdu ne se rattrappe pas », — « je vous enjoins de cesser ces jérémiades inutiles qui sont une perte de temps et de papier. »

Pas un mot doux, pas une consolation, pas un encouragement maternel, c’est ce qu’on peut imaginer de plus froid, de plus sec et de plus austère. Quand elle ne gronde pas, elle tutoie son fils, c’est sa caresse.

Je serais curieuse de savoir ce que fut plus tard ce parent si durement traité : je m’en informerai sûrement avant de recommander la méthode de sa terrible mère. Des lettres de jeunes filles m’ont paru, délicieuses : sœurs, cousines, amies qui correspondent régulièrement. Il y a là une fraîcheur d’impressions, une activité gaie, et des boutades spirituelles bien françaises. Quelques confidences apportent la note sentimentale et sérieuse. On ne savait pas flirter en 1804, à Montréal et à Québec, et encore moins à la campagne d’où les parentes répondent si poliment aux lettres de la ville. Voici un extrait d’une lettre datée du 27 mai 1812, de Montréal. Une jeune femme écrit à une de ses amies, mariée depuis peu et qui habite un village où son mari est médecin.

« Monsieur Le Saulnier a prêché, le jour de l’Ascension, à la paroisse, et pendant le sermon, il y eut une terrible alarme ; quelque chose ayant craqué dans l’église, on crut que le jubé s’effondroit, on cria et cela fit sortir le monde avec une grande précipitation. Les uns croyoient que c’était le jugement dernier, d’autres que les ennemis prenoient la ville, on pensait que la terre tremblait et on criait au feu… et imaginez, que pendant qu’on sortait en foule, avec beaucoup de presse et de grands cris, un bataillon passa, la baïonnette au bout du fusil, allant à l’exercice ; quelqu’un courut dire aux religieuses de fermer les portes, que l’on massacrait les prêtres et le peuple. Les pensionnaires et les sœurs se sauvèrent par le chemin secret dans le plus grand désarroi, et tout cela pour rien. Monsieur Voux et monsieur Le Saulnier faisoient leurs efforts pour arrêter la panique, c’étoit inutile. À la fin, les esprits se remirent un peu, et une partie des gens revinrent à l’église, les autres se sauvèrent chez eux gardant leur épouvante.

Plusieurs ont été froissés dans la foule, pour moi, je n’y étais pas et j’en remercie Dieu.

Je voudrais écrire à Mademoiselle Angèle, mais cela ne se peut faute de tems. Vous qui en avez beaucoup, faites-moi, je vous prie, le détail de vos plaisirs champêtres. Enfin, je vous embrasse tout autant que mes bras peuvent s’étendre. Je suis obligée de finir, car tout me presse. »

Et voici, pour terminer, une finale de lettre, de la même à la même. « Votre jolie lettre n’a fait qu’augmenter mes désirs à en être exigeante, impatiente et insassiable, ainsi, ma reine, voyez ce que vous avez à faire ! Mais je ne vais pas jusqu’au murmure, vous m’en feriez ressentir toute la peine que vous en prendriez. J’espère avoir une part dans vos prières, sachant que vous connaissez la plus haute vertu. » N’est-ce pas exquis, et ne vous ai-je pas régalés avec ces vieux échos d’autrefois ?