Lettres de Fadette/Quatrième série/09

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 26-28).

IX

Notre « chez nous »


L’âme humaine se révèle de bien des manières : le graphologue la cherche dans le tracé de l’écriture, le chiromancien dans les lignes de la main, les simples observateurs comme votre amie Fadette l’épient dans toutes ses manifestations.

Jamais ne sera satisfaite la curiosité qui nous pousse, moins à nous connaître qu’à connaître les autres ; est-ce besoin de nous retrouver en eux ; est-ce, au contraire pour nous reposer de nous-mêmes ? Il y a des deux peut-être. Toujours est-il que tout nous sert pour chercher ce mystère qui nous attire irrésistiblement : la voix, les gestes, l’expression de la physionomie nous font leurs révélations à haute voix pour ainsi dire, mais les choses dont nous nous entourons chuchotent à qui sait les entendre beaucoup de nos petits secrets. Pour moi la maison de chacun est un livre que je feuillette avec un intérêt extrême.

Notre maison, mais c’est comme le vêtement de notre vie puisque c’est elle qui nous protège des intempéries de la nuit, des indiscrétions du dehors.

Quand nous choisissons nos vêtements quel soin nous prenons pour adopter ceux qui conviennent à notre figure, à notre âge, à notre taille… pourquoi apporterions-nous moins de goût pour réunir dans notre maison ce qui s’harmonise mieux avec notre personnalité ?

Au fait, instinctivement, sans presque nous en douter, nous nous entourons de ce qui nous exprime, et voilà la raison des maisons banales des insignifiants et des maisons captivantes des personnels.

Ce n’est ni une question de richesse, ni une question de mode, c’est une question de goût et de convenance.

Nous devons paraître « chez nous » dans un cadre fait pour nous ; c’est à cette condition que la maison sera notre maison, là où nous avons nos habitudes, où notre âme vit et où on la trouve en abrégé.

On n’installe pas une maison en quinze jours… c’est petit à petit, sans hâte, en suivant son rêve, que l’on choisit ce que l’on aime, consultant ses préférences plutôt que la mode ; et chaque addition est une note discrète qui se joint à un ensemble si harmonieux, si homogène que tous les détails paraissent nécessaires.

Quand vous achetez un meuble, que votre imagination puisse le voir d’avance, exactement dans la pièce qu’il occupera et au milieu des meubles qui l’attendent. Que ce ne soit pas un intrus, un personnage qui gênera la petite société déjà réunie, soit en l’écrasant de sa richesse, soit par ses allures trop humbles.

Et quand cette harmonie préalable est atteinte, apportons tout notre art à ne pas encombrer d’objets inutiles, de bibelots sans valeur, les pièces où il ne faudrait voir que ce qui peut ajouter au plaisir des yeux et au confort de chacun.

Les salons ultra modernes de nos petites dames très élégantes peuvent bien être des modèles parfaits de la mode actuelle, mais ils ne seront que cela si elles n’aiment pas d’amour leur home et si elles n’y vivent pas. Le voilà le secret du charme subtil de certaines demeures : on y vit, on y a mis les sourires et les larmes de son passé, — il n’a pas besoin d’être très long pour contenir des regrets, — on y travaille, on y cause, on y reçoit ceux qu’on aime, et les objets qui les remplissent s’animent, vivent ensemble d’une vie qu’ils tirent de ceux qui les habitent, et quand vous y entrez ils vous font place, vous sourient et leur hospitalité vous est douce. Dans ces conditions, recevoir ses amis, c’est véritablement les admettre dans son intimité, puisque tout, isolément ou en chœur, leur parle de ce qui fait notre vie intérieure, la seule qui vaille.