Lettres de Fadette/Première série/63
LXII
Simple réponse
« Veuillez me dire, madame Fadette, quelle femme, selon vous, convient au savant, à l’artiste, à l’écrivain, et plus simplement à tout homme instruit ? »
Ceci est le résumé d’une très jolie lettre d’un lecteur-ami inconnu qui me fait l’honneur de me demander mon opinion.
Tout d’abord, mettons de côté la femme savante, la femme supérieure, celle qui serait capable de partager les travaux de son mari, et susceptible, par conséquent, de nuire à son prestige. Il ne doit pas risquer d’avoir une Rivale à son foyer. Colette Yver, dans « Les dames du Palais », analyse très finement ce sentiment de jalousie d’abord inconscient, qui grandit, se développe et domine, enfin, au point de séparer le mari de la femme, le premier étant jaloux des succès d’avocat de la seconde. Dans notre pays, une rivalité de cette nature ne saurait se produire, — et pour cause, — mais n’y a-t-il pas des artistes, peintres ou musiciens, n’y a-t-il pas des professeurs, qui veulent être les seuls flambeaux qui brillent au foyer ? c’est de l’égoïsme masculin, c’est un sentiment mesquin, c’est tout ce que vous voulez, mais puisque ça existe, il faut en tenir compte et vous défier, Ô hommes supérieurs, des femmes supérieures !
Devrez-vous, alors, vous contenter d’une bonne ménagère ? L’exemple de quelques illustres parmi vous semble vous le conseiller… mais leur expérience vaut d’être étudiée avant que vous vous décidiez à vous choisir une femme dont le plus grand talent soit de surveiller le rôti et de repriser les chaussettes.
Une bonne servante est fort utile… dans la cuisine ! Mais l’homme supérieur ne vivant pas seulement de soupe, je doute fort qu’il se contente longtemps du bonheur qu’il trouvera dans un intérieur où il ne saura à qui parler sa langue.
Et que je dise en passant comme je les plains, celles que leurs grands hommes appellent des « bonnes femmes ! » D’ailleurs, je suis tentée de plaindre aussi les grands hommes eux-mêmes s’ils souffrent de leur choix étrange… et de les mépriser s’ils sont heureux de ce qu’ils reçoivent et de ce qu’ils donnent.
Mon humble opinion, c’est que l’homme d’étude doit choisir pour compagne une femme assez sage pour diriger sa maison, assez sérieuse pour bien élever ses enfants, assez intelligente et instruite pour s’intéresser à ses travaux et à ce qui se passe dans le monde de l’esprit, assez fine et charmante pour savoir le reposer de ses fatigues en embellissant sa vie.
Quand l’homme supérieur aura découvert cette perle, qu’il s’en fasse aimer et après l’avoir épousée qu’il « continue » à s’en faire aimer… c’est ce que peu d’hommes savent réaliser. Ils s’imaginent, quand ils sont mariés, avoir conquis pour toujours l’amour dévoué d’une femme trop heureuse de leur sacrifier ses goûts, ses petits habitudes, sa chère indépendance… et ils laissent nonchalamment s’éteindre le grand amour qu’il eût fallu au contraire alimenter pour qu’il communiquât à leur femme, la force d’être la femme idéale qu’ils ont rêvée.
Messieurs, la cause de l’échec des bonnes volontés féminines est souvent votre étrange prétention d’être aimés même si vous êtes indifférents, exigeants, et désagréables.
Trop d’hommes croient avoir rempli tous leurs devoirs, quand ils ont assuré l’existence de leur femme et satisfait sa vanité : ils ne s’occupent ni de son esprit ni de son cœur ; absorbés par leurs affaires, ils oublient de l’y associer, et ils ne songent pas que son esprit et son cœur vont manquer de santé et de force, qu’ils deviennent, par le fait même, ouverts à toutes les tentations, et Dieu sait que les tentations et les tentateurs se trouvent toujours sur la route d’une jeune femme qui commence à moins aimer un mari qui la traite en quantité négligeable !
Ils ne connaissent ni l’un ni l’autre l’intimité réconfortante qui met tout en commun, les peines et les joies : leurs vies parallèles ne se fondent pas, et leur commune sécurité, faite de fatuité, d’insouciance et d’indifférence n’est trop souvent qu’une illusion. Quand elle se dissipe, l’un ou l’autre ou l’un et l’autre cherchent loin du foyer le bonheur qu’ils n’y trouvèrent pas : c’est l’histoire de tant de drames intimes, et l’expérience des victimes ne semble pas servir de leçon à ceux qui les suivent.
Les hommes supérieurs ont encore plus que les autres, l’illusion que leur femme n’aurait jamais le mauvais goût de leur préférer un homme… ordinaire. Ils oublient qu’une femme a surtout besoin d’être aimée et que l’amour comme le feu a besoin d’être surveillé et attisé pour durer.