Lettres de Fadette/Première série/09

Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 17-20).

VIII

Charité


Et voici que Décembre nous arrive ce matin poudré de frimas, tout blanc sous ses dentelles de givre : le ciel est d’un bleu très doux et le soleil brille clair ; dans l’air pur, le son des cloches jette une musique joyeuse qui chante l’approche de Noël, les fêtes d’hiver, les promenades en raquettes, les courses en patins, les glissades en skis… toute la vie animée et joyeuse des gens dits heureux de ce monde qui changent de plaisirs avec les saisons, mais ne cessent pas de s’amuser.

Nous qui avons réfléchi et qui savons que sous ses premiers sourires, Décembre cache des menaces, n’oublions pas les pauvres qui voient s’avancer vers eux la souffrance impitoyable que ramène chaque hiver dans le pauvre logis mal chauffé.

Que ceux d’entre vous qui gémissent d’une solitude « confortable », où à défaut d’amis, ils sont entourés des bonnes choses familières qui racontent les bonheurs d’hier et dessinent les rêves de demain, essaient de se représenter la détresse des abandons pauvres, quand la misère cruelle est la seule compagne, qu’hier était désolé et que demain fait peur !

Mes amies, vous commencez bientôt vos préparatifs de fête : votre liste d’étrennes à distribuer s’allonge chaque année, et votre bon cœur s’inquiète de trouver votre bourse bien légère pour satisfaire votre générosité : il faudra calculer, combiner, être tentée par ce qui plairait davantage et y renoncer, faute d’argent… et alors, défiez-vous des regrets stériles, de l’envie, de l’amertume des âmes vulgaires. Pour vous préserver de leur ressembler, pensez aux pauvres femmes qui n’ont même pas le nécessaire ! Vous regrettez de ne pouvoir acheter ces jouets dispendieux pour vos enfants ? Combien de malheureuses se demandent avec angoisse si demain elles auront du pain à donner aux leurs ?

Ne soyez pas tristes, ce serait être ingrates, car vous êtes les privilégiées ! Si cela vous fait mal de regarder au-dessus de vous, regardez au-dessous, et au lieu de vous plaindre de la modestie de votre condition, considérez comme un devoir impérieux de faire la part de vos sœurs pauvres, et faites-la avant de commencer les fameuses emplettes… vous savez bien qu’il vous manque toujours de l’argent pour les derniers achats !

Si toutes les jeunes mères qui préparent un berceau nouveau pensaient quelquefois à d’autres mères aussi jeunes, aussi délicates, aussi tendres qu’elles, qui n’ont ni berceau, ni layette, et qui pleurent d’angoisse en songeant au pauvre petit qui sera reçu dans le dénuement et que tout leur amour n’empêchera pas d’être misérable !

Mesdames, penser à la souffrance, n’est-ce pas avoir en même temps le désir de la soulager ? Dire aux mères heureuses, qu’il y a des mères désespérées, n’est-ce pas supplier les premières de venir au secours des autres ? Vous le voulez bien, n’est-ce pas : nous commencerons par faire la part des pauvres ? De se pencher avec pitié sur leurs misères nous rendra plus satisfaites de notre sort, plus raisonnables, capables de jouir simplement et de tout cœur des jolis plaisirs que nous préparons pour ceux que nous aimons. Si, pour les leur procurer, il fallait nous priver un peu, tant mieux ! Nos cadeaux auront plus de prix et notre bonheur en sera doublé.