Lettres de Fadette/Deuxième série/49

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 126-129).

XLVIX

Noël


Et Noël est arrivé ! Le Noël joyeux des enfants qui illumine les sapins verts et les alourdi de jouets ; le Noël touchant, qui couche dans les crèches des églises, le doux Enfant-Dieu ; le Noël grisant des fiancés qui se sont embrassés sous le gui et qui attendent, impatients, l’éveil de l’année nouvelle qui les unira…

La joie de ces enfants et de ces amoureux est la seule joie sans ombre des Noëls de cette année ! Ils sont adorablement égoïstes et on leur pardonne ce bonheur fugitif qui leur fait oublier la guerre dévorante qui désole le monde !

Nous qui ne sommes ni des enfants, ni des fiancés, nous pensons constamment aux Noëls de là-bas qui seront vécus dans le feu et dans le sang !

Ô les pauvres petits, partis si bravement et qui ne reviendront pas ! C’est leur dernier Noël, et s’ils ne le savent pas, n’ont-ils pas près d’eux, les frôlant sans cesse, la mort qui les guette, qui les marque, et qui, en les attendant, prend leurs camarades et leurs amis ?

Ô les Noëls d’hôpital ! Ces blessés, ces mutilés, ces mourants, dans les lits blancs alignés si près les uns des autres. Leurs plaintes se confondent dans leurs rêves de fièvre, et la même vision de Noël les hante peut-être…

De très loin leur arrivent les carillons d’antan, et leurs yeux extasiés aperçoivent la maman, blanche et douce, qui les attend dans la salle du réveillon…

Ô les agonies de Noël sur les champs glacés, les enterrements hâtifs dans les trous béants, les combats furieux où les soldats emportés, montés jusqu’à la furie, tuent… tuent sans arrêter, des jeunes gens de leur âge, des pères, des hommes comme eux, que des femmes aiment et pleureront de toutes les larmes de leur cœur.

Ô les Noëls de tous les êtres qui tremblent pour leurs aimés, et qui les donnent vingt fois par jour à la Patrie, en ajoutant, avec l’angoisse de Jésus au jardin des Oliviers : « Mais, si c’est possible, mon Dieu, éloignez de moi cette douleur ! »

Ô les Noëls des pauvres gens qui n’ont plus un toit sur leur tête et qui errent sur les routes, ignorant où ils sont et où ils vont ! Dans leur cœur brisé, entendent-ils l’écho des doux Noëls, vécus hier encore, dans leur pays maintenant dévasté, ou bien, ont-ils oublié Noël dans leur détresse affolée ?

Mes amis, ce n’est pas assez de gémir sur le sort de ces malheureux, mais de toutes nos énergies et de toutes nos ressources, il faut les secourir ! Les œuvres organisées sont nombreuses ; il faut, sans tarder, joindre notre humble effort à l’élan des âmes généreuses qui marchent en avant, organisant les secours et les coordonnent.

La Croix-Rouge, l’Aide à la France, l’oeuvre de secours pour les Belges, etc., autant de manières de faire notre part, de témoigner notre pitié efficacement.

Faisons de ce Noël un jour très beau, marqué du désir profond de donner, sans compter, notre travail, notre argent, notre cœur enfin, notre cœur français à nos frères de France qui font l’admiration du monde entier et dont nous sommes fiers, nous qui pleurions ici quand on les dénigrait autrefois.

C’est bien de les admirer, et on ne peut faire autrement que de les aimer ; mais, je vous en prie, ne nous faisons pas trop prier pour les secourir !