Lettres de Fadette/Deuxième série/28

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 71-74).

XXVIII

La mauvaise humeur


Nous étions une quinzaine à la gare du village : une jonchée de confetti s’étalait aux pieds de la petite mariée comme un tapis de fleurs d’amandier. Elle était rose, émue et charmante ; lui avait à la fois l’air glorieux et ennuyé du vainqueur qui trouve qu’il y a tout de même trop de monde pour contempler sa gloire.

Et ils sont partis… ce petit voyage, symbole du long voyage de la Vie qu’ils entreprennent ensemble, a été commencé dans le bonheur du rêve réalisé, dans l’espoir et l’amour de deux jeunes cœurs qui sont sûrs de l’avenir.

Nous sommes revenus silencieux, vaguement tristes. L’angoisse au cœur, la mère s’est dit : « Sera-t-elle heureuse ? » Les petites amies : « S’occupera-t-elle encore de nous ? » Les jeunes gens : « Encore un de casé !… Sera-t-il mieux que nous ? »

C’est le temps qui répondra à tous, et le temps commence à parler quelquefois dès les premiers mois ; si le petit ménage ne roule pas au commencement sur une belle route égale, il y a des risques que le chemin devienne de plus en plus raboteux, et le Bonheur qu’ils ont atteint est un bien fragile trésor : s’il est trop secoué, manié avec brusquerie, promené par trop de cahots, il peut se fêler… gare ! il ne résiste pas longtemps, après la première fêlure. Au risque de m’attirer les critiques des lectrices émancipées qui n’admettent pas qu’il y ait une hiérarchie dans la famille et que le père en soit le chef, je parlerai aux jeunes femmes de l’un des obstacles de la route conjugale qu’elles peuvent aplanir : Cet obstacle, c’est la mauvaise humeur. Laquelle ? La leur et celle de leur mari.

Qu’est-ce au juste que la mauvaise humeur ? Presque toujours, c’est le mécontentement de soi dont on accable ceux qui sont à sa portée. Comme ce que l’on dit et ce que l’on fait, sous l’empire de la mauvaise humeur, n’est pas pour nous rendre fiers, plus on manifeste son humeur plus elle revient détestable et agressive, et si la mauvaise humeur de l’« autre » répond à l’appel, on en arrive vite à l’exaspération.

Je ne ferai pas ici d’insipides comparaisons entre les femmes et les hommes : les deux sont sujets à la maladie, mais je ne cesse de m’étonner que la finesse des femmes ne les avertisse pas de la gaucherie d’augmenter le mal, — quand c’est leur mari qui est « pris », — soit en prenant des airs de victimes, soit en relevant la balle au bond pour la lancer à toute force, au risque de tout casser.

Il y a un troisième procédé à employer. C’est le moins compliqué, mais non le plus facile : c’est de se taire tout simplement.

Car une femme a bien des manières de se taire, et mon « tout simplement » qui n’a l’air de rien, est précisément la nuance du silence à observer vis-à-vis une mauvaise humeur. Le silence d’une femme peut être conciliant, aimable, résigné, douloureux, indigné, révolté, méprisant, insolent… oui ! Et il y a des etc. ! Vous concevez, alors, qu’il y a un choix à faire, et que le « tout simplement » est le silence bon enfant et paisible, qui sait, que la bourrasque passée, le soleil reparaîtra, et qui endure la mauvaise humeur comme on endure la pluie, sans se croire pour cela une victime de l’homme ! Ce silence fait éviter les discussions, et il faut écarter les discussions dans la vie de famille ! Elles ne servent ni à éclairer les questions, ni à améliorer les gens : elles énervent et aigrissent : elles posent en adversaires deux amis qui sont presque forcés de s’égratigner et qui en conservent les marques.

J’aurais bien à dire encore, mais il fait grand soleil et j’ai à promener ma bonne humeur.