Lettres de Fadette/Cinquième série/07

Imprimé au « Devoir » (Cinquième sériep. 20-23).

VII

Êtes-vous Riche ?


« Il est sûrement riche celui pour qui la vie est une perpétuelle découverte. »

Il dépend donc de nous d’être riches et je me demande pourquoi il y a tant d’âmes pauvres, mornes, qui ne se doutent pas qu’elles vivent au milieu de merveilles bien à elles, si seulement elles veulent les voir et s’en emparer. Car posséder, c’est connaître et comprendre : or, le monde tout entier s’offre à nous, et les choses et les âmes ; il ne tient qu’à nous d’être riches, et c’est ce que je disais à la femme indolente et triste qui se lamentait hier : « je m’ennuie partout ! tout m’est égal et une vie comme la mienne ne vaut pas la peine d’être vécue ! » Elle a bien raison, car c’est une vie gaspillée, mais sa vie monotone et inutile n’est pas la vie, et parce qu’elle ne fait rien de la sienne, il ne s’ensuit pas qu’elle ait raison de s’en plaindre.

Nous faisons chacun notre vie. La vie n’est pas un être arbitraire et dur qui nous domine, et les événements les plus tristes peuvent passer et nous laisser encore un grand amour de la vie.

Aimer la vie, c’est découvrir chaque jour quelque chose de nouveau à admirer et quelqu’un à aimer : c’est trouver l’âme des choses et le mystère des âmes. C’est donc renoncer à s’occuper uniquement de soi, de ses ennuis et de ses joies, pour regarder les autres et les aimer, c’est à-dire, les comprendre et les aider au besoin.

Les grands égoïstes, enfermés en eux-mêmes, n’aiment pas la vie et ne sentent que ses blessures : n’ayant jamais su entrer en communion avec les êtres et les choses, sans cesse ils sont isolés et se croient négligés et abandonnés.

C’est souvent après une épreuve que l’âme, s’ouvrant à une vie intérieure qu’elle ignorait, apprend à comprendre et à aimer la nature et les autres âmes.

Emprisonnée dans un bonheur exclusif et jaloux, elle avait joui de la beauté des choses sans les comprendre. Elle avait également profité de la bonté des cœurs sans s’arrêter à penser à leur valeur et à leur vie mystérieuse, tellement inconnues d’elle.

C’est dans sa propre transformation, opérée par la douleur, qu’elle a trouvé son âme à elle, que la vie a pris à ses yeux son véritable sens, qu’elle est devenue attentive et chercheuse de beauté.

Chercher la beauté, c’est y croire ; et y croire c’est la trouver partout où elle se cache ; c’est pourquoi il est vrai qu’« il est sûrement riche celui pour qui la vie est une perpétuelle découverte. »

Qu’ils sont à plaindre ceux qui ne sont frappés que par les côtés mesquins, vulgaires et tristes de tout ! Désabusés, ils ferment obstinément les yeux à la beauté faite pour eux, mais qu’ils doivent chercher et découvrir.

Nous qui savons voir et entendre dans ce monde si rempli de mystère, soyons secourables aux aveugles et aux sourds. Les pauvres gens, las et déçus, n’attendent peut-être que notre intervention amicale pour reprendre confiance ; leur amertume vient de l’abandon où ils se trouvent, ne leur tendrons-nous pas la main ? Il faut si peu d’intérêt sincère pour émouvoir une âme triste : si elle sent une sympathie inattendue, elle s’ouvre à l’espérance et c’est une vie nouvelle qui commence pour elle, une vie dans la lumière et qu’elle vous devra.

Ceux qui sont sans cesse à la recherche de toutes les parcelles de beauté sont riches, mais ils ont le devoir de partager leur fortune intérieure. Plus encore que l’aumône matérielle, l’aumône spirituelle est commandée, et en priver ceux qui en ont besoin, c’est presque les voler.