Lettres d’une Péruvienne/Avertissement

Lettre I  ►


AVERTISSEMENT.



Si la vérité, qui s’écarte du vraisemblable, perd ordinairement son crédit aux yeux de la raison, ce n’est pas sans retour ; mais pour peu qu’elle contrarie le préjugé, rarement elle trouve grace devant son Tribunal.

Que ne doit donc pas craindre l’Éditeur de cet Ouvrage, en présentant au Public les Lettres d’une jeune Péruvienne, dont le stile & les pensées ont si peu de rapport à l’idée médiocrement avantageuse qu’un injuste préjugé nous a fait prendre de sa nation.

Enrichis par les précieuses dépouilles du Perou, nous devrions au moins regarder les habitans de cette partie du monde, comme un peuple magnifique ; & le sentiment de respect ne s’éloigne gueres de l’idée & de la magnificence.

Mais toujours prévenus en notre faveur, nous n’accordons du mérite aux autres nations, non seulement qu’autant que leurs mœurs imitent les nôtres, mais qu’autant que leur langue se raproche de notre idiome. Comment peut-on être Persan.

Nous méprisons les Indiens ; à peine accordons-nous une ame pensante à ces peuples malheureux, cependant leur histoire est entre les mains de tout le monde ; nous y trouvons par tout des monumens de la sagacité de leur esprit, & de la solidité de leur philosophie.

L’apologiste de l’humanité & de la belle nature a tracé le crayon des mœurs Indiennes dans un Poëme dramatique, dont le sujet a partagé la gloire de l’éxécution.

Avec tant de lumieres répandues sur le caractere de ces peuples, il semble que l’on ne devroit pas craindre de voir passer pour une fiction des Lettres originales, qui ne font que déveloper ce que nous connoissons déjà de l’esprit vif & naturel des Indiens ; mais le préjugé a-t-il des yeux ? Rien ne rassure contre son jugement, & l’on se seroit bien gardé d’y soumettre cet Ouvrage, si son Empire étoit sans borne.

Il semble inutile d’avertir que les premieres Lettres de Zilia ont été traduites par elle-même : on devinera aisément, qu’étant composées dans une langue, & tracées d’une maniere qui nous sont également inconnues, le recueil n’en seroit pas parvenu jusqu’à nous, si la même main ne les eût écrites dans notre langue.

Nous devons cette traduction au loisir de Zilia dans sa retraite. La complaisance qu’elle a eu de les communiquer au Chevalier Déterville, & la permission qu’il obtint enfin de les garder, les a fait passer jusqu’à nous.

On connoîtra facilement aux fautes de Grammaire & aux négligences du stile, combien on a été scrupuleux de ne rien dérober à l’esprit d’ingénuité qui regne dans cet Ouvrage. On s’est contenté de suprimer (sur tout dans les premieres Lettres) un nombre de termes & de comparaisons Orientales, qui étoient échapées à Zilia, quoi qu’elle sçût parfaitement la Langue Françoise lorsqu’elle les traduisoit ; on n’en a laissé que ce qu’il en falloit pour faire sentir combien il étoit nécessaire d’en retrancher.

On a cru aussi pouvoir donner une tournure plus intelligible à de certains traits metaphisiques, qui auroient pû paroître obscurs, mais sans rien changer au fond de la pensée. C’est la seule part que l’on ait à ce singulier Ouvrage.

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