Lettres d’Helvétius/Lettre IV

Lettres d’Helvétius
Œuvres complètes d’HelvétiusP. Didottome 14 (p. 15-17).


LETTRE IV.

A HELVÉTIUS
voyageant en Allemagne.

Eh bien ! depuis que dans d’autres climats
Vous portez loin de nous vos pensers et vos pas,
Par-tout, Helvélius, vous aurez vu des hommes ;
Ceux de l’antiquité, ceux du siecle où nous sommes,
Diogene nouveau, vous les connoissez tous.
Il les estimoit peu : que nous en direz-vous ?
Le soleil en faisant sa ronde
Éclaire mille esprits divers.
L’un paroît en cet univers
Ne respirer que le malheur du monde ;
Un autre, presque aussi pervers,
Peu sensible au bonheur, peu touché des revers ;
Sur tout ce qui se passe en la machine ronde,
Insensible, muet, ne s’échauffant de rien,
Regarde du même œil elle mal et le bien ;

Tranquille également quand le tonnerre gronde,
Prêt à frapper la vertu sans soutien,
Et quand le doux espoir d’une moisson féconde
Charme dans ses travaux l’agreste citoyen.

Mais il est des cœurs nés sensibles,
Doués d’un naturel heureux,
Justes, éclairés, généreux,
Qu’un sage poursuivî par le sort rigoureux
N’éprouva jamais inflexibles.
En avez-vous beaucoup envisagé
De cet excellent caractere ?
Sans avoir beaucoup voyagé,
Je le crois rare sur la terre.

Peut-être je me trompe, et les charmants récits
Que vous vous apprêtez sans doute de nous faire
Sur les penchants des cœurs, les talents des esprits,
Et sur les mœurs des différents pays,
Nous assureront du contraire.
Avancez ce plaisir nouveau ;

Pour moi, j’en accepte l’augure,
Heureux de voir l’auteur de la peinture
Dans le modele du tableau.

Je suis, avec une extrême considération et le plus inviolable attachement, etc. etc.,

LEFEBVRE