Lettres d'Hippolyte Valmore à Gustave Revilliod conservées aux Archives d'État de Genève (1859-1873)/10


Archives privées 18.8.1865/86

Bien cher Monsieur et ami,

Si j’avais vingt ans de moins je serais bien jaloux de tous ceux qui ont le bonheur d’entrer dans votre famille, et ce n’est pas orgueil seulement, bien que l’orgueil le plus intraitable y trouvât son compte. Il me semblerait entrer dans un monde nouveau, tout d’amitié, de sécurité, de poésie réalisée. Je fais donc bien des compliments à M. de Lorial à qui son mérite comme son age ont pu ouvrir l’accès de ce paradis.

Comme fils, comme frère, comme ami, le sort m’a gâté, et bien peu ont été partagés aussi favorablement. Mais à mesure que les années s’ajoutent aux années révolues, je me sens jeter des yeux de regrets et d’envie sur certains heureux, heureux comme j’aurais voulu l’être. Cela ne m’a pas été donné, et le plus sage est de se tourner vers les horizons plus doux et plus calmes du pays d’amitié.

Toutes ces fêtes dont vous me parlez, ces sites que vous me vantez je les vois, j’y assiste d’ici, mais jamais sans vous : c’est vous qui réchauffez à mes yeux la froide Suisse ; pardon, la Suisse majestueuse mais dont je n’ai pas entendu parler pour la première fois par une bouche aussi sympathique que la vôtre. Je verrais peut-être la Hongrie, tout seul, l’Italie, encore. Mais ces grands monts si écrasants ! C’est appuyé de cœur sur une cœur aussi sûr, aussi noble et tendre que le vôtre, que je consentirai à les gravir. Pardonnez-moi, si je blasphème ; celui qui a fait la Suisse me laisse bien vivre après ce que je viens d’écrire.

Vous, Monsieur, qui êtes libre, quand userez-vous de ce privilège pour venir à Paris : votre lettre ne dit rien là dessus ; mon père et moi vous appelons pourtant. Nous, nous partons probablement le 20 Août jusqu’au 20 Septembre, chez M. Langlais, ce n’est pas encore là la route de Genève.

S’il vous plaît, mes vaux les plus vifs, mes hommages les plus respectueux aux pieds de Madame votre mère. À vous, cher ami ma sincère affection et ma reconnaissance respectueuse.

Hippolyte Valmore

Les petits contes, tous ceux qu’elle a écrits, vont paraître chez Garnier, en deux volumes, avec caricatures (on appelle cela illustrations ! des clichés pris partout, n’importe comment.) C’est égal ; tout ce qui est conte, est en un seul recueil ; et ne peut plus se disperser et se perdre. Il y en aura naturellement un exemplaire qui vous sera adressé dès l'apparition ; mais comment ? par Cherbuliez ? la poste ? Ou faut-il attendre votre séjour tant désiré à Paris ?