Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 22

Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 77).

22. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE COULANGES.

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À Paris, mercredi 24 décembre 1670.

Vous savez présentement l’histoire romanesque de Mademoiselle et de M. de Lauzun. C’est le juste sujet d’une tragédie dans toutes les règles du théâtre ; nous en disposions les actes et les scènes l’autre jour ; nous prenions quatre jours au lieu de vingt-quatre heures, et c’était une pièce parfaite. Jamais il ne s’est vu de si grands changements en si peu de temps ; jamais vous n’avez vu une émotion si générale ; jamais vous n’avez ouï une si extraordinaire nouvelle. M. de Lauzun a joué son personnage en perfection ; il a soutenu ce malheur avec une fermeté, un courage, et pourtant une douleur mêlée d’un profond respect, qui l’ont fait admirer de tout le monde. Ce qu’il a perdu est sans prix ; mais les bonnes grâces du roi, qu’il a conservées, sont sans prix aussi, et sa fortune ne paraît pas déplorée. Mademoiselle a fort bien fait aussi ; elle a bien pleuré, elle a recommencé aujourd’hui à rendre ses devoirs au Louvre, dont elle avait reçu toutes les visites. Voilà qui est fini. Adieu.


23. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE COULANGES.

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À Paris, mercredi 31 décembre 1670.

J’ai reçu vos réponses à mes lettres. Je comprends l’étonnement où vous avez été de tout ce qui s’est passé depuis le 15 jusqu’au 20 de ce mois : le sujet le méritait bien. J’admire aussi votre bon esprit, et combien vous avez jugé droit, en croyant que cette grande machine ne pourrait pas aller depuis le lundi jusqu’au dimanche. La modestie m’empêche de vous louer à bride abattue là-dessus, parce que j’ai dit et pensé toutes les mêmes choses que vous. Je dis à ma fille le lundi : Jamais ceci n’ira à bon port jusqu’à dimanche ; et je voulus parier, quoique tout respirât la noce, qu’elle ne s’achèverait point. En effet, le jeudi le temps se brouilla, et la nuée creva