Lettres (Spinoza)/XXXVII. Spinoza à ****

Traduction par Émile Saisset.
Œuvres de Spinoza, tome 3CharpentierIII (p. 450-451).

Lettre XXXVII

(Réponse à la précédente).


À MONSIEUR **** 1,

B. DE SPINOZA.



MONSIEUR,


Vous me demandez si du seul concept de l’étendue la variété des choses se peut déduire a priori. Non, certes, et je crois avoir déjà prouvé clairement que cela est impossible. C’est même pour cette raison que j ’ai reproché à Descartes d’avoir défini la matière par l’étendue. Selon moi, il la faut expliquer par un attribut qui exprime une essence éternelle et infinie. Au surplus, j’espère avoir quelque jour l’occasion, si Dieu me prête vie, de traiter à fond avec vous cette matière, sur laquelle je n’ai pu rien mettre en ordre jusqu’à ce moment.

Vous dites que l’on ne peut déduire de la définition d’une chose considérée en soi qu’une seule propriété. C’est, en effet, je crois, ce qui arrive, quand on a affaire à des objets très-simples ou à des êtres de raison, comme sont les figures de géométrie ; mais dans la réalité il en est tout autrement. Ainsi, de cela seul que je définis Dieu : l’être dont l’essence implique l’existence, je puis déduire plusieurs de ses propriétés ; par exemple, qu’il est unique, immuable, infini, etc. Il me serait facile de vous citer plusieurs cas semblables, ce qui est présentement superflu. Je termine en vous priant de me faire savoir si le Traité de M. Huet (contre le Traité théologico-politique), dont vous m’avez parlé précédemment, a paru à l’heure qu’il est. Pourriez-vous m’en envoyer un exemplaire ? - Encore une question : savez-vous quelque chose des récentes découvertes dont on parle sur la réfraction ? Adieu, Monsieur, aimez-moi toujours .…


La Haye, 15 juillet 1676.