Lettres (Spinoza)/XIV. Spinoza à Simon de Vries

Traduction par Émile Saisset.
Œuvres de Spinoza, tome 3CharpentierIII (p. 381-382).

LETTRE XIV.

À MONSIEUR SIMON DE VRIES,

B. DE SPINOZA.



MON CHER AMI,


Vous me demandez si nous avons besoin de l’expérience pour être assurés que la définition d’un attribut est vraie. Je réponds que l’expérience n’est requise que pour les choses dont la définition n’emporte pas l’existence, par exemple, pour les modes, l’existence d’un mode ne résultant jamais de sa seule définition ; mais l’expérience est inutile pour les êtres en qui l’existence ne diffère pas de l’essence et dont la définition par conséquent implique l’existence réelle. L’expérience n’a rien à voir ici ; elle ne nous donne pas les essences des choses ; le plus qu’elle puisse faire, c’est de déterminer notre âme à penser exclusivement à telle ou telle essence déterminée. Or l’existence des attributs ne différant pas de leur essence, il s’ensuit qu’aucune expérience n’est capable d’y atteindre.

Vous me demandez ensuite si les êtres et leurs affections sont aussi des vérités éternelles. — Oui sans doute. — Mais pourquoi, direz-vous, ne pas les appeler vérités éternelles ? — Pour les distinguer, comme c’est l’usage universel, de ces principes qui n’ont point de rapport aux êtres ni à leurs affections, celui-ci, par exemple : Rien ne vient de rien. Ces propositions et autres semblables se nomment proprement, je le répète, vérités éternelles ; par où l’on entend qu’elles n’ont point d’autre siège que l’âme.