Lettres (Spinoza)/VI. Spinoza à Oldenburg

Traduction par Émile Saisset.
Œuvres de Spinoza, tome 3CharpentierIII (p. 363-364).

LETTRE VI[1].

À MONSIEUR HENRI OLDENBOURG,
B. DE SPINOZA


Au moment où j’ai reçu votre lettre du 22 juillet, je suis parti pour Amsterdam avec le dessein de faire imprimer l’ouvrage dont je vous ai parlé[2]. Tandis que j’étais occupé de cette pensée, un bruit se répandait de tous côtés que j’avais sous presse un ouvrage sur Dieu où je m’efforçais de montrer qu’il n’y a point de Dieu, et ce bruit était accueilli de plusieurs personnes. De là certains théologiens (auteurs peut-être de cette rumeur) ont pris occasion de se plaindre de moi devant le prince et les magistrats. Ajoutez que d’imbéciles cartésiens, qu’on croit m’être favorables, afin d’écarter ce soupçon de leurs personnes, se sont mis à déclarer partout qu’ils détestaient mes écrits, et ils continuent à parler de cette sorte. Ayant appris toutes ces choses de personnes dignes de foi, qui m’assuraient en outre que les théologiens étaient occupés à me tendre partout des embûches, je résolus de différer la publication que je préparais, jusqu’à ce que je visse comment la chose tournerait. Je me proposais de vous dire alors le parti auquel je me serais arrêté ; mais l’affaire semble se gâter tous les jours davantage, et je suis incertain sur ce que je dois faire[3]. Cependant je n’ai point voulu retarder plus longtemps ma réponse à votre lettre, et je commencerai par vous faire de grands remerciements pour l’avertissement amical que vous me donnez, bien que je désire sur ce point une plus ample explication, afin de savoir quels sont ces principes qui vous paraissent renverser la pratique de la vertu religieuse ; car tout ce qui s’accorde avec la raison, je le crois parfaitement utile à la pratique de la vertu. Ensuite je voudrais, si cela ne doit pas vous être désagréable, que vous eussiez le soin de m’indiquer les endroits du Traité théologico-politique qui ont excité les scrupules de gens instruits ; car je désire ajouter quelques notes à ce traité, afin de l’éclaircir, et de détruire, s’il est possible, les préventions qu’on pourrait avoir à son sujet[4]. Adieu.




  1. C’est la XIXe des Opp. posth.
  2. L'Éthique. — Voyez notre Notice bibliographique. — Comp. de Murr Adnotat. ad Tract. theol.-polit., p. 20.
  3. On sait que Spinoza finit par se décider à ne pas publier l’Ethica, qui ne parut qu’après sa mort. — Voyez notre Notice bibliographique.
  4. Ces notes ont été publiées pour la première fois dans leur intégrité par Théop. de Murr. Voyez notre Notice bibliographique.