Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis, 1640-1670

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Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis, édition Monmerqué
Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 345-564).

LETTRES
DE
MADAME DE SÉVIGNÉ,
DE SA FAMILLE ET DE SES AMIS.


I. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[1]

JE vous dis encore une fois que nous ne nous entendons point, et vous êtes bien heureux d’être éloquent, car sans cela tout ce que vous m’avez mandé ne vaudroit guère. Quoique cela soit merveilleusement bien arrangé, je n’en suis pourtant pas effrayée, et je sens ma conscience si nette de ce que vous me dites, que je ne perds pas espérance de vous faire connoître sa pureté. C’est pourtant une chose impossible, si vous ne m’accordez une visite d’une demi-heure ; et je ne comprends pas par quel motif vous me la refusez si opiniâtrement. Je vous conjure encore une fois de venir ici, et puisque vous ne voulez pas que ce soit aujourd’hui, je vous supplie que ce soit demain. Si vous n’y venez pas, peut-être ne me fermerez-vous pas votre porte, et je vous poursuivrai de si près que vous serez contraint d’avouer que vous avez un peu de tort. Vous me voulez cependant faire passer pour ridicule, en me disant que vous n’êtes brouillé avec moi qu’à cause que vous êtes fâché de mon départ. Si cela étoit ainsi, je mériterois les Petites-Maisons et non pas votre haine ; mais il y a toute différence, et j’ai seulement peine à comprendre que, quand on aime une personne et qu’on la regrette, il faille, à cause de cela, lui faire froid au dernier point, les dernières fois que l’on la voit. Cela est une façon d’agir tout extraordinaire[2], et comme je n’y étois pas accoutumée, vous devez excuser ma surprise. Cependant je vous conjure de croire qu’il n’y a pas un de ces anciens et nouveaux amis dont vous me parlez, que j’estime ni que j’aime tant que vous. C’est pourquoi, devant que de vous perdre, donnez-moi la consolation de vous mettre dans votre tort, et de dire que c’est vous qui ne m’aimez plus.

Chantal.

2. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

C’est vous qui m’avez appris à parler de votre amitié comme d’une pauvre défunte, car pour moi, je ne m’en serois jamais avisée, en vous aimant comme je fais. Prenez-vous-en donc à vous de cette vilaine parole qui vous a déplu, et croyez que je ne puis avoir plus de joie que de savoir que vous conservez pour moi l’amitié que vous m’avez promise, et qu’elle est ressuscitée glorieusement. Adieu.

Marie Chantal.
Jeudi.

3. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[3]

Il y a trois semaines que je vous écrivis et vous envoyai trois ou quatre lettres de recommandation pour l’affaire de M.  Levasseur. J’adressai le paquet droit chez vous, et comme je n’en ai point eu de réponse, j’en suis en peine et meurs de peur qu’il n’ait été perdu. Vous pouvez m’ôter d’inquiétude avec deux mots de votre main. Vous n’en aurez pas davantage pour aujourd’hui ; croyez seulement que je suis toujours la plus fidèle de vos servantes,

M. de Rabutin Chantal.

La suscription de ce billet est : À Monsieur, Monsieur Ménage.


1646

4. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN ET DE LENET[4] À MONSIEUR ET MADAME DE SÉVIGNÉ[5]

Au mois de mars 1646, étant à Paris, et me trouvant sur le point d’en partir pour venir chez moi me préparer à la campagne prochaine, Lenet, procureur général au parlement de Bourgogne, et fort de mes amis alors, vint souper avec moi pour me dire adieu ; et ne sachant à quoi passer le reste de la soirée, nous écrivîmes cette lettre en vers au marquis de Sévigné et à sa femme, qui étoient en Bretagne dans leur maison des Rochers[6].

À Paris, mars 1646.

Salut à vous, gens de campagne,
À vous, immeubles de Bretagne,
Attachés à votre maison
Au delà de toute raison :
Salut à tous deux, quoique indignes
De nos saluts et de ces lignes ;
Mais un vieux reste d’amitié
Nous fait avoir de vous pitié,
Voyant le plus beau de votre âge
Se passer en votre village,
Et que vous perdez aux Rochers
Des moments à tous autres chers.
Peut-être que vos cœurs tranquilles,
Censurant l’embarras des villes,
Goûtent aux champs en liberté
Le repos et l’oisiveté.

Peut-être aussi que le ménage
Que vous faites dans le village[7]
Fait aller votre revenu
Où jamais il ne fût venu :
Ce sont raisons fort pertinentes,
D’être aux champs pour doubler ses rentes,
D’entendre là parler de soi,
Conjointement avec le Roi,
Soit aux jours, ou bien à l`église,
Où le prêtre dit à sa guise :
« Nous prierons tous notre grand Dieu
Pour le Roi, et Monsieur du lieu ;
Nous prierons aussi pour Madame,
Qu`elle accouche sans sage-femme ;
Prions pour les nobles enfants
Qu’ils auront d’ici à cent ans.
Si quelqu’un veut prendre la ferme,
Monseigneur dit qu’elle est à terme,
Et que l’on s`assemble à midi.
Or disons tous De profundi
Pour tous mes seigneurs ses ancêtres, »
Quoiqu’ils soient en enfer peut-être.
Certes ce sont là des honneurs
Que l’on ne reçoit point ailleurs :
Sans compter l’octroi de la fête,
De lever tant sur chaque bête,
De donner des permissions,
D’être chef aux processions,
De commander que l’on s’amasse
Ou pour la pêche, ou pour la chasse ;
Rouer de coups qui ne fait pas
Corvée de charrue ou de bras ;

Donner à filer la poupée[8],
Où Madame n’est point trompée ;
Car on rend ribaine-ribon,
Plus qu’elle ne donne, dit-on.
L’ordre vouloit ribon-ribaine[9],
Mais d’ordre se rit notre veine ;
Et pour rimer à ce dit-on,
Elle renverse le dicton[10]


*5 — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ[11].

À la fin de cette campagne, je l’écrivis à la marquise de Sévigné, moitié vers et moitié prose.
Du camp de Hondscotte, ce 21e octobre 1646.

À vous qui aimez les détails, Madame, je m’en vais 1646 vous en faire un de notre campagne, c’est proprement à dire un éloge de Monsieur le Duc[12].

    Il fit d’abord le siége de Courtrai ;
    Il y signala sa prudence ;
    Sans elle (pour dire le vrai)
    Nous fussions retournés en France.
    Quoique tout cède à son grand cœur,
    Que rien n’égale sa valeur,
Peut-être en a-t-on vu jadis d’aussi brillante ;
    Mais il est encore inouï
    Qu’à l’âge où la bile régente,
On ait été jamais aussi prudent que lui.

Il est certain, ma chère cousine, qu’on n’a jamais vu tant de conduite avec tant de jeunesse.

    Après cette expédition,
    Nous marchâmes à la Bruyère,
    Pour y faire la jonction
    De ces gros avaleurs de bière.
  Un prisonnier nous dit d’un cœur sincère
Que l’Archiduc la veille opinoit au combat
    (Car c’est en ces grands coups d’Etat

Que le conseil d Espagne hasarde) ;
Mais qu’ayant su de grand matin
Que le Duc avoit l’avant-garde,
Il avoit changé de dessein.

Nous avions donné rendez-vous aux Hollandois au canal de Bruges, pour leur prêter six mille hommes, afin qu’ils en fissent une diversion considérable. Les ennemis, qui en voyoient la conséquence, s’étoient postés à l’entrée de la plaine, pour s’opposer à notre jonction ; mais la nouvelle qu’ils eurent que Monsieur le Duc avoit l’avant-garde, les obligea de se retirer sous les murailles de Bruges.

De la plaine marchant[13] et les jours et les nuits,
    Et par une chaleur mortelle,
      Un de mes meilleurs amis[14]
      M’engagea dans sa querelle.
    Quoique rien ne fût plus léger
  Que le sujet qui nous put obliger
    De faire voir notre courage,
    Mon ami deux fois se battit.
    La première j’eus l’avantage ;
Mais comme seul à seul il revint au conflit,
  Il fut tué, dont ce fut grand dommage.

Pour vous expliquer ceci un peu plus clairement, Madame, je vous dirai que le chevalier d’Isigny et moi nous eûmes querelle contre des officiers d’infanterie pour un verre d’eau. On l’appela, je le servis, et je désarmai mon homme. Le sien n’étant pas content, le refit appeler le lendemain, seul à seul, et le tua. 1646

À Bergues-Saint-Vinox on fit ces deux combats ;
      On en fit mêmes encor d’autres,
      Que je ne vous conterai pas,
      Comme moins sanglants que les nôtres ;
Mais enfin Saint-Vinox privé de tout secours
      Ne dura pas plus de deux jours ;
Et de là, de Mardick nous fîmes l’entreprise.
    Si Je voulois vous faire le portrait
Des hasards que courut le rince avant la prise,
        Je n’aurois jamais fait.
      Ce fut là que pour mon bonheur
      L’ennemi rasant la tranchée,
      Devant ce prince j’eus l’honneur
      De tirer une fois l’épée.
      Ce fut en cette occasion
      Qu’il fit lui-même une action
      Digne d’éternelle mémoire,
      Et que m’ayant d’honneur comblé,
      Il se déchargea de la gloire
      Dont il se trouvoit accablé.

Je ne vous saurois dire ma chère cousine, combien Monsieur le Duc prôna le peu que je fis en cette sortie ; mais ce qui la rendit plus considérable, ce furent les choses qu’il y fit, et la mort ou les blessures des gens de qualité qui s’y trouvèrent[15], et tout cela me fit honneur parce que je commandois en cette occasion.

Mardick enfin s’étant rendu,
Gastons[16] se retira rempli de renommée,

Mais il n’emporta pas ni toute la vertu,
      Ni tout le bonheur de l’armée.
      Le prince, malgré ce départ,
    En eut encore une assez bonne part ;
      Car, sans laisser reprendre haleine
      Aux ennemis qu’il insulta,
      A la barbe de Caracène[17]
      Il prit Furne et l’accommoda.

Pendant qu’il fortifioit cette place, il prit ses mesures avec la cour et avec les Hollandois, pour faire le siège de Dunkerque.

      La Rochelle des Pays-Bas,
      Cette inexorable pucelle
      Eut pour mon prince des appas
      Qui le firent amoureux d’elle.
      Cet amant par mille travaux
      Ota l’accès à ses rivaux
      Tant sur la terre que sur l’onde,
      Et pressa la place si fort
      Qu’il fit douter à tout le monde
    S’il n’iroit point de Dunkerque à Nieuports[18].

Il est vrai que ce siège alla fort vite, et que sans le mauvais temps nous aurions pu entreprendre encore quelque chose de considérable.

      Sans les eaux, le froid et le vent,
      Seules ressources de l’Espagne,
      Mon prince eût poussé plus avant,
      Ces merveilles de sa campagne.
Et moi, je finirois mes récits de combats
      Et l’éloge de Son Altesse,
      En vous parlant de ma tendresse,
      Si je n’étois un peu trop las.


1646

*6. — DE L’ABBÉ DE MONTREUIL
À MADAME DE SÉVIGNÉ[19].

Comme votre mérite ne sauroit demeurer longtemps en un lieu sans éclat, il court un bruit que vous êtes à Paris. Je ne le saurois croire ; c’est une des choses du monde que je souhaite le plus, et ces choses-là n’arrivent point. J’envoie pourtant au hasard savoir s’il est vrai, afin qu’en ce cas je ne sois plus malade. Ce ne sera pas le premier miracle que vous aurez fait : dans votre illustre race, on les sait faire de mère en fils. Vous savez que Mme  de Chantal y étoit fort sujette ; et tous les honnêtes gens qui vous voient et qui vous entendent demeurent d’accord que Monsieur son fils, qui étoit votre père, a fait un grand miracle. Je vous supplie donc, si vous êtes de retour, de ne vous point faire celer, afin que tantôt j’aie le plaisir de me porter bien et l’honneur de vous voir : c’est une grâce que je crois mériter autant qu’autrefois, puisque je suis aussi étourdi, aussi fou, et disant les choses tout aussi mal à propos que jamais. Je ne songe pas qu’encore que je ne sois point changé, vous pourriez bien être changée, et au lieu de la lettre monosyllabe que je reçus de vous l’an passé, dans laquelle il y avoit Oui, m’en envoyer une de même longueur, où il y auroit Non. Mais Dieu sur tout : c’est une sentence que je viens de trouver dans mon almanach, en regardant quel jour nous avons du mois ; c’est le dix-neuvième. Je suis, avec tout le sérieux et tout le respect dont je suis capable (le premier n’est pas grand, l’autre si),

Votre très-humble serviteur.

J’ai oublié à mettre des Madame dans ma lettre ; et à présent que vous êtes lieutenante de Roi de Fougères[20], c’est une grande faute. Tenez donc, en voilà trois : distribuez-les aux endroits qui vous sembleront en avoir plus de besoin : Madame, Madame, Madame.


1648

7. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

L’année d’après, marchant en Catalogne avec la compagnie de chevau-légers d’ordonnance du prince de Condé, dont j’étois capitaine-lieutenant, je reçus à Valence cette lettre de la marquise de Sévigné.

Des Rochers, le 15e mars [1648].

Je vous trouve un plaisant mignon de ne m’avoir pas écrit depuis deux mois. Avez-vous oublié qui je suis, et le rang que je tiens dans la famille ? Ah ! vraiment petit cadet, je vous en ferai bien ressouvenir : si vous me fâchez, je vous réduirai au lambel[21]. Vous savez que je suis sur la fin d’une grossesse, et je ne trouve en vous non plus d’inquiétude de ma santé que si j’étois encore fille. Eh bien, je vous apprends, quand vous en devriez enrager, que je suis accouchée d’un garçon, à qui je vais faire sucer la haine contre vous avec le lait, et que j’en ferai encore bien d’autres, seulement pour vous faire des ennemis. Vous n’avez pas eu l’esprit d’en faire autant, le beau faiseur de filles[22].

Mais c’est assez vous cacher ma tendresse, mon cher cousin ; le naturel l’emporte sur la politique. J’avois envie de vous gronder de votre paresse depuis le commencement de ma lettre jusques à la fin ; mais je me fais trop de violence, et il en faut revenir à vous dire que M. de Sévigné et moi vous aimons fort, et que nous parlons souvent du plaisir qu’il y a d’être avec vous[23].



1648

8. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ[24]

Je fis aussitôt cette réponse à cette lettre.

Ce 12e avril [1648].

Pour répondre à votre lettre du 15e de mars, je vous dirai, Madame, que je m’aperçois que vous prenez une certaine habitude de me gourmander, qui a plus l’air de maîtresse que d’amie. Prenez garde à quoi vous vous engagez ; car enfin, quand je me serai une fois bien résolu à souffrir, je voudrai avoir les douceurs des amants, aussi bien que les rudesses. Je sais que vous êtes chef des armes, et que je dois du respect à cette qualité ; mais vous abusez un peu trop de mes soumissions. Il est vrai que vous êtes aussi prompte à vous apaiser qu’à vous mettre en colère, et que si vos lettres commencent par : Je vous trouve un plaisant mignon, elles finissent par : Nous vous aimons fort, M. de Sévigné et moi.

Au reste, ma belle cousine, je ne vous régale point sur la fécondité dont vous me menacez ; car, depuis la loi de grâce, on n’en a pas plus d’estime pour une femme, et quelques modernes même, fondés en expérience, en ont moins fait de cas. Tenez-vous-en donc, si vous m’en croyez, au garçon que vous venez de faire ; c’est une action bien louable, je vous avoue que je n’ai pas eu l’esprit d’en faire autant : aussi envié-je ce bonheur à M. de Sévigné plus que chose du monde.

J’ai fort souhaité que vous vinssiez tous deux à Paris quand j’y étois ; mais maintenant je serois bien fâché que vous y allassiez, c’est-à-dire que vous eussiez des plaisirs sans moi. Vous n’en avez déjà que trop en Bretagne.

Je m’accommode fort de M. de Launay Lyais[25] ; il recevra de moi toutes les assistances et tous les bons offices que je puis rendre auprès de Monsieur le Prince à un de mes amis ; il est honnête homme, et ma chère cousine me l’a recommandé : je vous laisse à penser si je le servirai.


9. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MONSIEUR
ET MADAME DE SÉVIGNÉ.

À la fin de 1648, étant allé avec Sévigné et sa femme à l’abbaye de Ferrières (près de Montargis, en Gâtinais) voir l’évêque de Chalon, notre oncle[26], je les y laissai, après y avoir été cinq ou six jours avec eux, et je m’en allai à Paris pour terminer une affaire que j’y avois. Deux jours après que j’y fus arrivé, je leur écrivis cette lettre.

À Paris, ce 15e novembre 1648.

J’ai voulu d’abord écrire à chacun de vous en particulier ; mais la réflexion de la peine m’en a rebuté ; de faire aussi des baisemains à l’un dans la lettre de l’autre, j’ai appréhendé que l’apostille ne l’offensât ; de sorte que j’ai pris le parti de vous écrire à tous deux, l’un portant l’autre.

La plus sûre nouvelle que j’aie à vous apprendre, c’est que je me suis fort ennuyé depuis que je ne vous ai vus. Il faut dire la vérité, je ne le prévoyois pas quand je sortis d’auprès de vous. Au contraire, allant voir cette petite brune pour qui vous m’avez vu le cœur un peu tendre, je croyois que je ne songerois plus que vous fussiez au monde. Cependant je m’étois trompé ; la petite brune m’avoit, ce qu’on appelle, sauté aux yeux, je ne lui avois dit que deux mots. C’est une beauté surprenante, de qui la conversation guérit : on peut dire que pour l’aimer, il ne la faut voir qu’un moment ; car si on la voit davantage, on ne l’aime plus. Voilà où j’en suis :

Ainsi c’est vous aujourd’hui
Qui causez tout mon ennui.

Au reste, mes chers, je vous demande des nouvelles de la santé de notre oncle : je vous prie de l’entretenir toujours de propos joyeux ; faites-le rire à gorge déployée quand même il en devroit tousser un peu. Dites-lui de ma part qu’il se conserve plus qu’il ne fait, et que s’il ne se veut aimer pour lui, il s’aime pour moi, qui l’aime plus que moi-même. Je n’en dirai pas davantage : aussi bien suis-je persuadé que cela ne serviroit de rien, et que vous êtes des fripons qui vous donnerez bien de garde de faire valoir mon bon naturel. De l’humeur dont je vous connois, vous enrageriez qu’on m’aimât autant ou plus que vous.

Si vous ne revenez bientôt, je m’en irai vous retrouver : aussi bien mes affaires ne s’achèveront-elles qu’après les Rois ; mais ne pensez pas de revenir l’un sans l’autre, car autrement je ne serois pas homme à me payer de raison.

Depuis que je vous ai quittés, je ne mange presque plus. Vous qui présumez de votre mérite, vous ne manquerez pas de croire que le regret de votre absence me donne ce dégoût ; mais point du tout : ce sont les soupes de maître Crochet[27] qui me donnent du dégoût pour toutes les autres.


1649

10. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

En 1649, le Roi ayant bloqué Paris, je me trouvai avec la compagnie de chevau-légers du prince de Condé dans le quartier de Saint-Denis, d’où j’écrivis cette lettre à la marquise de Sévigné, qui étoit à Paris, parce que son mari étoit dans le parti des rebelles.

À Saint-Denis, le 5e février 1649[28].

J’ai longtemps balancé à vous écrire, ne sachant si vous étiez devenue mon ennemie, ou si vous étiez toujours ma bonne cousine, et si je vous devois envoyer un laquais, ou un trompette. Enfin me ressouvenant de vous avoir ouï blâmer la brutalité d’Horace, pour avoir dit à son beau-frère qu’il ne le connoissoit plus depuis la guerre déclarée entre leurs républiques[29], j’ai cru que l’intérêt de votre parti ne vous empêcheroit pas de lire mes lettres, et pour moi, hors le service du Roi mon maître, je suis votre très-humble serviteur.

Ne croyez pas, ma chère cousine, que ce soit ici la fin de ma lettre ; je vous veux dire encore deux mots de notre guerre.

Je trouve qu’il fait bien froid pour faire garde. Il est vrai que le bois ne nous coûte rien ici, et que nous y faisons grande chère à bon marché. Avec tout cela je m`y ennuie fort, et sans l’espérance de vous faire quelque plaisir au sac de Paris, et que vous ne passerez que par mes mains, je ne pense pas que je ne désertasse ; mais cette vue me fait prendre patience.

J’envoie ce laquais pour me rapporter de vos nouvelles, et pour me faire venir mes chevaux de carrosse, sous le nom de notre oncle le grand prieur[30]. Adieu, ma chère cousine.


11. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Les gens du maréchal de la Mothe Houdancourt ayant pris mes chevaux à mon cocher comme il me les amenoit, j’écrivis cette lettre à la marquise de Sévigné.

À Saint-Denis, ce 5e mars 1649[31].

C’est à ce coup que je vous traite en ennemie, en vous écrivant par mon trompette. La vérité est que je l’envoie au maréchal de la Mothe[32] pour le prier de me renvoyer les chevaux de carrosse du grand prieur de France, notre oncle, que ses domestiques ont pris comme on me les amenoit. Je ne vous prie pas de vous y employer, car c’est votre affaire comme la mienne ; mais nous jugerons par le succès de votre entremise quelle considération on a pour vous dans votre parti : c’est proprement à dire que nous aurons bonne opinion de vos généraux, s’ils font le cas qu’ils doivent de vos recommandations.

J’arrive présentement de notre expédition de Brie-Comte-Robert[33], las comme un chien : il y a huit jours que je ne me suis dépouillé. Nous sommes vos maîtres, mais il faut avouer que ce n’est pas sans peine. La guerre de Paris commence fort à m’ennuyer. Si vous ne mourez promptement de faim, nous mourrons bientôt de fatigue. Rendez-vous ou nous nous allons rendre. Pour moi, avec tous mes autres maux, j’ai encore une extrême impatience de vous voir. Si le cardinal Mazarin avoit à Paris, une cousine faite comme vous, je me trompe fort, ou la paix se feroit à quelque prix que ce fût. Tant y a que je la ferois, moi, car sur ma foi je vous aime fort. Adieu.


12. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Les ennemis étoient trop bien informés que les chevaux de carrosse que je répétois sous le nom du grand prieur de France n’étoient pas à lui, de sorte que Mme  de Sévigné n’ayant pu les ravoir, je lui écrivis cette lettre le lendemain.

À Saint-Denis, ce 6e mars 1649·

Tant pis pour ceux qui vous ont refusé, ma belle cousine. Je ne sais pas si cela leur fera grand profit ; mais je sais bien que cela ne leur fait pas grand honneur. Pour moi, je suis tout consolé de la perte de mes chevaux par les marques d’amitié que j’ai reçues de vous en cette rencontre. Pour M.  de la Mothe, maréchal de la Ligue[34], s’il a jamais besoin de moi, il trouvera un chevalier peu courtois.

Mais parlons un peu de la paix : qu’en croit-on à Paris ? L’on en a ici Fort méchante opinion : cela est étrange, que les deux partis la souhaitent et qu’on n’en puisse venir à bout[35].

Vous m’appelez insolent de vous avoir mande que nous avions pris Brie : est-ce qu’on dit à Paris que cela n’est pas vrai ? Si nous en avions levé le siège, nous aurions été bien inquiets ; car pour vos généraux, ils ont eu toute la patience imaginable, et toute la tranquillité : nous aurions tort de nous en plaindre.

Voulez-vous que je vous parle franchement, ma belle cousine ? Comme il n’y a point de péril pour nous à courre avec vos gens, il n’y a point aussi d’honneur à gagner : ils ne disputent pas assez la partie ; nous n’y avons point de plaisir ; qu’ils se rendent, ou qu’ils se battent bien. Il n’y a, je crois, jamais eu que cette guerre où la fortune n’ait point eu de part : quand nous pouvons tant faire que de vous trouver, c’est un coup sûr à nous que de vous battre, et le nombre ni l’avantage du lieu ne peuvent pas seulement faire balancer la victoire.

Ah ! que vous m’allez haïr, ma belle cousine ! Toutes les fleurettes du monde ne pourront pas vous apaiser.


1649

13. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À LENET[36].

(Paris) ce 14e mars.
Monsieur,

C’est pour vous remettre bien avec moi qu’après m’avoir refusé du blé en général[37], vous m’envoyez des douceurs en particulier. Pour vous dire la vérité, ce n’est pas sans raison que vous vous servez de cette finesse pour me l’apaiser ; car le bruit qui couroit ici, que vous passiez la main habilement par-dessus le boisseau pour empêcher que la mesure ne fût comble, m’avoit donné une telle rage contre vous, que je ne mettois guère de différence de votre cruauté à celle d’un Polonois ; mais aujourd’hui, par votre soin, vous m’avez absolument gagnée, et mes sentiments sont tellement changés, que la plus grande joie que j’espère de la paix, sera votre retour, et le plaisir de vous entretenir, et tourner en ridicule ce qui le mérite de part et d’autre.

Si M.  de S.[38] étoit ici, il vous rendroit grâce, comme moi, des offres que vous lui faites, mais notre ami Bussy vous pourra dire où il est depuis deux mois. Contentez-vous donc de mes seules reconnoissances, et de la protestation que je vous fais de vous honorer plus que tous les hommes du monde. Il est impossible d’avoir eu l’honneur de vous voir sans avoir pour vous une estime tout[39] extraordinaire, et puisque souvent nous avons pensé crever de rire ensemble, faites vos conclusions, et jugez vous-même que je suis avec passion,

Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissante servante,
M. d. R. C.

Suscription : À Monsieur, Monsieur Lené, conseiller d’État. À Corbeil.


14. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À LENET.

(Paris) ce 20e mars à minuit.
Monsieur,

Vous faites des triolets[40] comme celui même qui les a inventés. Quand le siège n’auroit servi qu’à vous donner cette science, vous devez vous en souvenir toute votre vie. Je vous en dirois davantage, si je n’étois prête d’aller aux Quinze-Vingts[41], et qu’une saignée m’empêche de vous faire réponse en triolets. Excusez donc une pauvre estropiée qui est avec passion,

Monsieur,
Votre très-humble servante,
M. de Rabutin Chantal.

La suscription de cette lettre et de la suivante est :

À Monsieur, Monsieur Lené, conseiller d’Etat.


1649

* 15. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À LENET.

Monsieur,

Vous me permettrez de souhaiter la paix[42], car je trouve avec votre permission qu’une heure de conversation vaut mieux que cinquante lettres. Quand vous serez ici et que j’aurai l’honneur de vous voir, je vous ferai demeurer d’accord que la guerre est une fort sotte chose. J’en souhaite la fin avec passion et la continuation de vos bonnes grâces, dont je fais une estime tout extraordinaire, et suis avec vérité,

Monsieur,
Votre très-humble et obéissante servante,
M. de Rabutin Chantal.
(Paris) ce 25e mars.

1650

* 16. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ[43].

(Paris, vers le milieu de 1650.)

Je n’avois pas tort hier, Madame, de me défier de votre imprudence ; vous avez dit à votre mari ce que je vous dis : vous voyez bien que ce n’est pas pour mes intérêts que je vous fais ce reproche, car tout ce qui m’en peut arriver est de perdre son amitié ; et pour vous, Madame, il y a bien plus à craindre. J’ai pourtant été assez heureux pour le désabuser ; au reste, Madame, il est tellement persuadé qu’on ne peut être honnête homme sans être toujours amoureux, que je désespère de vous voir jamais contente si vous n’apprenez qu’à être aimée de lui ; mais que cela ne vous alarme pas, Madame : comme j’ai commencé de vous servir, je ne vous abandonnerai pas en l’état où vous êtes. Vous savez que la jalousie a quelquefois plus de vertu pour retenir un cœur que les charmes et que le mérite ; je vous conseille d’en donner a votre mari, ma belle cousine, et pour cela je m’offre à vous si vous le faites revenir par là. Je vous aime assez pour recommencer mon premier personnage de votre agent auprès de lui et me faire sacrifier encore pour vous rendre heureuse, et s’il faut qu’il vous échappe, aimez-moi ma cousine, et je vous aiderai à vous venger de lui en vous aimant toute ma vie.


17. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

L’hiver de 1649, les princes de Condé, de Conti et de Longueville ayant été arrêtés par ordre du Roi et menés au bois de Vincennes, leurs partisans prirent les armes. L’engagement où j’étois alors dans la recherche de Mlle  de Bouville (il l’épousa en mai 1650) m’empêcha heureusement de me trouver dans Bellegarde, qui ne fit pas d’honneur à ceux qui défendirent cette place. Mais quinze jours après que je fus marié, nous nous en allâmes, Tavannes, Chastelux et moi, nous jeter dans Montrond[44], d’où j’écrivis, un mois après, cette lettre à la marquise de Sévigné.

Au camp de Montrond, ce 2e juillet 1650.

Je me suis enfin déclaré : je vous l’avois bien dit, ma belle cousine ce n’a as été sans de grandes répugnances ; car je sers contre mon Roi un prince qui ne n’aime pas. Il est vrai que l’état ou il est me fait pitié ; je le servirai donc pendant sa prison comme s’il m’aimoit, et s’il en sort jamais, je lui remettrai sa lieutenance, et je le quitterai aussitôt.

Que dites-vous de ces sentiments-là, Madame ? Ne les trouvez-vous pas grands et nobles ?

Au reste, écrivons-nous souvent ; le Cardinal n’en saura rien ; et au pis aller, si on vous envoie une lettre de cachet, il est beau à une femme de vingt ans d’être mêlée dans les affaires d’État. La célèbre Mme  de Chevreuse n’a pas commencé de meilleure heure. Pour moi, je vous l’avoue, ma belle cousine, j’aimerois assez à vous faire faire un crime, de quelque nature qu’il fût.

Quand je songe que nous étions déjà l’annèe passée dans des partis différents, et que nous y sommes encore aujourd’hui, quoique nous en ayons changé, je crois que nous jouons aux barres. Cependant votre parti est toujours le meilleur ; car vous ne sortez point de Paris, et moi je vais de Saint-Denis à Montrond, et j’ai peur qu’à la fin je n’aille de Montrond au diable.

Pour nouvelles, je vous dirai que je viens de défaire le régiment de Saint-Aignan[45]. Si le mestre de camp y avoit été en personne, je n’en aurois pas eu si bon marché. Le sieur de Launay Lyaiss[46] vous dira la vie que nous faisons. C’est un garçon qui a du mérite, et que par cette considération je servirai volontiers ; mais la plus forte sera parce que vous l’aimez, et que je croirai vous faire plaisir.


1650

*18. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[47].

Si vous n’aviez point voulu me conter cette vilaine affaire de Mme de Bretigny, vous auriez pu à bon marché, c’est-à-dire avec trente larmes, vous faire passer auprès de moi pour l’homme du monde le plus passionné ; mais trop parler nuit, quelquefois, et vous m’avez mise au point qu’il n’y a plus qu’une léthargie de deux heures ou une mort comme celle d’un certain Tiridate[48] que je connois, qui me puisse persuader que vous êtes touché de mon départ. Voilà ce que c’est que de conter de petites historiettes mal à propos. Il faut pourtant que je vous avertisse que vous avez du temps pour songer à ce que vous voulez faire pour me témoigner votre désespoir ; car depuis que je ne vous ai vu, on ne m’a rien dit sur ce chapitre-là. On a vu deux fois la Chimène à gogo, et je ne sais si c’est pour cela que l’on me fait fort froid ; mais j’ai remarqué une furieuse glace depuis deux jours, et je crois même que c’est parce qu’on ne me parle point, qu’on ne me dit rien de fâcheux.

J’avois hier dessein de vous aller voir, mais je n’eus ni carrosse ni chevaux, et n’en ai point encore aujourd’hui, tellement que je suis à mes amies. Si j’étois tout de même à mes amis, vous y auriez bonne part. Je vis hier le président Charton[49] qui parle, ce me semble, avec plus d’emphase que jamais. Ne venez point ici que vous n’ayez de mes nouvelles : ce sera bientôt, je vous en réponds.



1651

* 19. — DE SCARRON À MADAME DE SÉVIGNÉ.[50]

Madame,

J’ai vécu de régime le mieux que j’ai pu, pour obéir au commandement que vous m’aviez fait, de ne mourir point que vous ne m’eussiez vu ; mais, Madame, avec tout mon régime, je me sens tous les jours mourir d’impatience de vous voir. Si vous eussiez mieux mesuré vos forces et les miennes, cela ne seroit pas arrivé. Vous autres dames de prodigieux mérite, vous vous imaginez qu’il n’y a qu’à commander : nous autres malades, nous ne disposons pas ainsi de notre vie. Contentez-vous de faire mourir ceux qui vous voient plus tôt qu’ils ne veulent, sans vouloir faire vivre ceux qui ne vous voient point aussi longtemps que vous le voulez ; et ne vous prenez qu’à vous-même de ce que je ne puis obéir au premier commandement que vous m’avez jamais fait, puisque vous avez hâté ma mort, et qu’il y a grande apparence que pour vous plaire j’aurois de bon cœur vécu cent ans aussi bien qu’un autre. Mais ne pourriez-vous pas changer le genre de mort ? Je ne vous en serois pas peu obligé. Toutes ces morts d’impatience et d’amour ne sont plus à mon usage, encore moins à mon gré ; et si j’ai pleuré cent fois pour des personnes qui en sont mortes, encore que je ne les connusse point, songez à ce que je ferai pour moi-même, qui faisois état de mourir de ma belle mort ! Mais on ne peut éviter sa destinée, et de près et de loin vous m’auriez toujours fait mourir : ce qui me console, c’est que si je vous avois vue, j’en serois mort bien plus cruellement. On dit que vous êtes une dangereuse dame, et que ceux qui ne vous regardent pas assez sobrement en sont bien malades, et ne la font guère longue. Je me tiens donc à la mort qu’il vous a plu me donner, et je vous la pardonne de bon cœur. Adieu, Madame ; je meurs votre très-humble serviteur, et je prie Dieu que les divertissements que vous aurez en Bretagne ne soient point troublés par le remords d’avoir fait mourir un homme qui ne vous avoit jamais rien fait ;

Et du moins souviens-toi, cruelle,
Si je meurs sans te voir,
Que ce n’est pas ma faute.

La rime n’est pas trop bonne ; mais à l’heure de la mort on songe à bien mourir plutôt qu’à bien rimer.



20. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[51].

Je suis agréablement surprise de votre souvenir, Monsieur ; il y a longtemps que vous aviez retranché les démonstrations de l’amitié que je suis persuadée que vous avez toujours pour moi. Je vous rends mille grâces, Monsieur, de vouloir bien les remettre à leur place, et de me témoigner l’intérêt que vous prenez à mon retour et à ma santé. Mon grand voyage, dans une si rude saison, ne m’a point du tout fatiguée, et ma santé est d’une perfection que je souhaiterois à la vôtre. J’irai vous en rendre compte, Monsieur, et vous assurer qu’il y a des sortes d’amitiés que l’absence et le temps ne finissent jamais.

La M. de Sévigné.

* 21. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[52].

Aux Rochers, ce 19e août.

Je suis bien obligée au plus paresseux de tous les hommes de m’écrire avec tant de bonté et de soin. Il y a eu un désordre à notre poste de Vitré, qui certainement est cause que je n’ai pas reçu vos dernières lettres, car je n’ai eu que celle d’Angers ; mais dans la pensée que ce n’est pas votre faute, je ne fais simplement que me plaindre de l’infidélité de nos courriers et me loue si fort de votre tendresse et de votre amitié, que je veux prendre à tâche désormais d’en dire autant de bien que j’en ai dit de mal. Pour moi, j’ai bien de l’avantage sur vous ; car j’ai toujours continué à vous aimer, quoi que vous en ayez voulu dire, et vous ne me faites cette querelle d’Allemand que pour vous donner tout entier à Mlle de la Vergne[53]. Mais enfin, quoiqu’elle soit mille fois plus aimable que moi, vous avez eu honte de votre injustice, et votre conscience vous a donné de si grands remords, que vous avez été contraint de vous partager plus également que vous n’aviez fait d’abord. Je loue Dieu de ce bon sentiment et vous promets de m’accorder si bien avec cette aimable rivale, que vous n’entendrez aucune plainte ni d’elle ni de moi, étant résolue en mon particulier d’être toute ma vie la plus véritable amie que vous ayez. Il ne tiendra qu’à vous désormais d’être bizarre et inégal, car je me sens résolue à vous mettre toujours dans votre tort, par une patience admirable. Faites, je vous supplie, que je n’en aie pas besoin, et continuez-moi toujours votre amitié, dont vous savez bien que je fais un cas tout particulier.

Je vous supplie de remercier pour moi Monsieur votre frère, le lieutenant particulier d’Angers : je lui ai depuis des obligations toutes particulières, par la peine qu’il a prise d’une chose dont je l’avois prié. Il s’en est acquitté avec tant de civilité, que je serai bien aise qu’il sache encore par vous que je n’en perdrai jamais le souvenir ni le désir de lui rendre service.

Je vous rends mille grâces de toutes vos nouvelles. J’ai été fort surprise de la mort de Mme l’abbesse du Pont.

Je suis ici fort embarrassée de la maladie de Mme la comtesse de Montrevel, qui lui prit le lendemain qu’elle y arriva ; c’est aujourd’hui le septième de son mal, qui est une fièvre.


1653

* 22. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME LA MARQUISE D’UXELLES[54].

Io sono sdegnata contra di VS. Illma per aver presa una medicina senza dirmi chio andassi ad aiutarla da far loperatione. Non mi credo ch’ il remedio habbia potuto operare sensa il conforto della sua sorella. Bisogna che noi ci vediamo, per trattar la pace insieme. Fra tanto dirò a VS. Illma ch’ andai hier sera al ballo. Lampegiavano miravigliosamente i begli occhi della presidente[55] di cosi legiadra statura. Non sò da dovero se tutti gli strali aventati da lei, fussero indirizzati nel bersaglio ; sò pure ella non havere havuto pensiero di scoccar a voto. Sono stata visitata dal signor conte di Bussy, il quale spera che VS. Illma andra in un piciol festino che si fara nel Tempio[56] fra pochi giorni. La prego humilmente di farmi intendere la sua volonta sopra questo, massimamente sopra l’amore intenso con cui la sconiuro d’honorarmi, et di tacere il contentuto nel billetto[57].


* 23. — DE L’ABBÉ DE MONTREUIL
À MADAME DE SÉVIGNÉ[58].

Qui le croiroit ? par cette chaleur il n’y a que des tuiles entre le soleil et moi. Je ne serai pas si mal dans votre salle, et puis j’ai ouï dire que les plus honnêtes gens ne font que se morfondre auprès de vous. Je vous supplie donc très-humblement, quand votre demoiselle vous dira tout à cette heure : « C’est un tel qui demande s’il sera le bienvenu, » de répondre oui. Aussi bien quand vous auriez dit non, je ne sais si je ne passerois point outre. Je brûle de chaud, et d’envie de vous voir. Songez donc à ce que vous ferez, et n’allez pas me réduire au point de vous désobéir. J’en serois fâché, car je suis avec un profond respect,

Madame, votre, etc.

1654

24. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Depuis l’année 1650 jusques en 1654, je ne trouve point de commerce de lettres entre la marquise de Sévigné et moi, et même depuis que nous avons recommencé à nous écrire, j’en ai perdu quelques unes des siennes que je payerois de bon cœur au poids de l’or à qui me les rapporteroit. Comme j’allois en Catalogne avec le prince de Conti, à la campagne de 1654, il séjourna deux jours à Montpellier. Pendant ce séjour j’écrivis cette lettre à la marquise de Sévigné.

À Montpellier, ce 16e juin 1654.

J’ai bien appris de vos nouvelles, Madame. Ne vous souvenez-vous point de la conversation que vous eûtes chez Mme  de Montausier[59], avec M.  le prince de Conti[60], l’hiver dernier ? Il m’a conté qu’il vous avoit dit 1654 quelques douceurs, qu’il vous avoit trouvée fort à son gré, et qu’il vous le diroit plus fortement cet hiver. Tenez-vous bien, ma belle cousine : telle dame qui n’est pas intéressée, est quelquefois ambitieuse, et qui peut résister aux finances du Rois[61], ne résiste pas toujours aux cousins de Sa Majesté. De la manière que le prince m’a parlé de son dessein, je vois bien que je suis désigné confident. Je crois que vous ne vous y opposerez pas, sachant, comme vous faites, avec combien de capacité je me suis acquitté de cet emploi en d’autres rencontres[62]. Pour moi, j’en suis ravi, dans l’espérance de la succession, vous m’entendez bien, ma belle cousine. Si après tout ce que la fortune vous veut mettre en main, je ne fais pas la mienne, ce ne sera que votre faute ; mais vous en aurez soin assurément ; car enfin il faut bien que vous me serviez à quelque chose.

Je crois que vous serez un peu embarrassée dans le choix d’un de ces rivaux ; et il me semble déjà vous entendre dire :


Des deux côtés j’ai beaucoup de chagrin ;
      Ô Dieu, l’étrange peine !
Dois-je chasser l’ami de mon cousin ?
Dois-je chasser le cousin de la Reine[63] ?


Peut-être craindrez-vous de vous attacher au service des princes, et que mon exemple vous en rebutera. Peut-être la taille de l’un[64] ne vous plaira-t-elle pas ; 1654 peut-être aussi la figure de l’autre. Mandez-moi des nouvelles de celui-ci, et les progrès qu’il a faits depuis mon départ : à combien d’acquits-patents[65] il a mis votre liberté.

La fortune vous fait de belles avances, ma chère cousine ; n’en soyez point ingrate. Je vous vois entêtée de la vertu, comme si c’étoit une chose solide, et vous méprisez le bien, comme si vous ne pouviez jamais en manquer. Ne savez-vous pas ce que disoit le vieux Senneterre[66], homme d’une grande expérience, et du meilleur sens du monde, que les gens d’honneur n’avoient point de chausses ? Nous vous verrons un jour regretter le temps que vous aurez perdu ; nous vous verrons repentir d’avoir mal employé votre jeunesse, et d’avoir voulu avec tant de peines acquérir et conserver une réputation qu’un médisant vous peut ôter, et qui dépend plus du hasard que de votre conduite.

Je joignis M.  le prince de Conti à Auxerre ; il ne passa point à Chaseu[67], parce qu’il apprit qu’il se détourneroit de six lieues, de sorte que mes préparatifs furent perdus. Je ne l’ai point quitté depuis, et je suis avec lui aussi bien qu’on y peut être. Nous nous allons réjouir ici deux jours dans le jeu, les promenades, et la bonne chère, en attendant que les troupes soient assemblées pour entrer en Catalogne. Je vous réponds, ma belle cousine, que vous entendrez parler de moi cette campagne.

Adieu, ma belle cousine, songez quelquefois à moi, et que vous n’avez ni parent ni ami qui vous aime tant que je fais. Je voudrois… non, je n’achèverai pas, de peur de vous déplaire, mais vous pouvez bien savoir ce que je voudrois.


25. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

La réponse que me fit la marquise de Sévigné à la lettre du 16e juin a été perdue. On en connoîtra bien le dommage par la lettre que je lui écrivis six semaines après.

À Figuières, le 30e juillet 1654.

Mon Dieu, que vous avez d’esprit, ma cousine, que vous écrivez bien, que vous êtes aimable ! Il faut avouer qu’étant aussi prude que vous l’êtes, vous m’avez grande obligation que je ne vous aime pas plus que je fais. Ma foi, j’ai bien de la peine à me retenir. Tantôt je condamne votre insensibilité, tantôt je l’excuse. Mais je vous excuse toujours : j’ai tant de raisons de ne vous pas déplaire en cette rencontre ; mais j’en ai de si fortes de vous désobéir. Quoi ! vous me flattez, ma cousine, vous me dites des douceurs, et vous ne voulez pas que j’aie les dernières tendresses pour vous ! Eh bien, je ne les aurai pas : il faut bien vouloir ce que vous voulez, et vous aimer à votre mode ; mais vous répondrez un jour devant Dieu de la violence que je me fais, et des maux qui s’en ensuivront.

Au reste, Madame, vous me mandez qu’après que vous êtes demeurée d’accord avec Chapelain[68] que j’étois un honnête homme, et que vous l’avez remercié du bien qu’il disoit de moi, je ne puis plus vous dire que vous êtes du parti du dernier venu. Je ne vois pas que cela vous justifie beaucoup : vous m’entendez louer, et vous en faites de même. Que sais-je, s’il vous avoit dit : « C’est un galant homme que M.  de Bussy : il ne peut pas manquer de faire quelque chose ; il est à craindre seulement qu’il ne s’attache un peu trop à ses plaisirs quand il est à la cour ; » que sais-je, dis-je, si vous n’auriez pas cru qu’il eût eu raison, et si dans votre cœur au moins vous n’auriez pas condamné ma conduite ; car enfin je vous ai vue dans des alarmes mal fondées après de semblables conversations. C’est une marque que les bonnes impressions que vous avez de moi ne sont pas encore bien fortes. Bien m’en prend que vous voyez souvent de mes amis ; sans cela Mlle  de Biais[69] m’auroit bientôt ruiné dans votre esprit. Je ne vous traiterois pas de même si l’occasion s’en présentoit ; je ne rejetterois pas seulement une grosse médisance qu’on me feroit de vous, mais encore la plus légère, précédée de vos louanges. Adieu, ma belle cousine, donnez-moi de vos nouvelles.


1654

26. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Au camp de Vergès[70], le 17e août 1654.

Vous me mandez si souvent que vous me regretteriez beaucoup si j’étois mort, et je trouve si beau d’être fort regretté de vous, que cela me feroit souhaiter d’être en cet état, sans quelques petites raisons qui m’en empêchent, outre que ne vous ayant jamais surprise en mensonge, j’aime autant vous croire en cette rencontre que d’y aller voir ; et puis il y a grande apparence qu’une personne qui a la larme à l’œil en parlant seulement de la perte d’un de ses bons amis, le pleureroit fort si elle l’avoit effectivement perdu. Je crois donc, ma belle cousine, que vous m’aimez, et je vous assure que je suis pour vous comme vous êtes pour moi, c’est-à-dire content au dernier point de vous et de votre amitié. Ce n’est pas que je demeure d’accord avec vous que votre lettre, toute franche et toute signée, comme vous dites, fasse honte à tous les poulets : ces deux choses n’ont rien de commun entre elles. Il vous doit suffire que l’on approuve votre manière d’écrire à vos bons amis, sans vouloir médire des poulets, qui ne vous ont jamais rien dit. Vous êtes une ingrate, Madame, de les traiter mal, après qu’ils ont eu tant de respect pour vous. Pour moi, je vous l’avoue, je suis dans l’intérêt des poulets, non pas contre vos lettres ; mais je ne vois pas qu’il faille prendre parti entre eux : ce sont deux beautés différentes. Vos lettres ont leurs grâces, et les poulets les leurs ; mais, pour vous parler franchement, si l’on pouvoit avoir de vos poulets, on ne feroit pas tant de cas de vos lettres. 1654

Il est vrai que vous êtes étrangement révoltée contre les coquettes. Je ne sais pas si cela vous durera jusques à cinquante ans. À tout hasard, je me tiendrai en haleine de beaux sentiments, pour les pousser avec vous, si entre ci et ce temps-là vous veniez à vous humaniser ; et en attendant je n’aurai pour vous que la plus belle amitié du monde, puisque vous ne voulez autre chose.

Je suis bien aise que vous soyez satisfaite du surintendant[71], c’est une marque qu’il se met à la raison, et qu’il ne prend plus tant les choses à cœur qu’il faisoit. Quand vous ne voulez pas ce qu’on veut, Madame, il faut bien vouloir ce que vous voulez ; on est encore trop heureux de demeurer de vos amis. Il n’y a guère que vous dans le royaume qui puisse réduire ses amants à se contenter de l’amitié ; nous n’en voyons point qui d’amant éconduit ne devienne ennemi ; et je suis persuadé qu’il faut qu’une femme ait un mérite extraordinaire, pour faire en sorte que le dépit d’un amant maltraité ne le porte pas à rompre avec éclat.

J’admire la constance de M.  d’Elbeuf[72] pour Mme  de Nesle[73]. Ne voit-il pas ses dents, et, qui pis est, ne les 1654 sent-il point ? J’ai toujours bien cru que l’amour aveugloit, mais je ne savois pas encore qu’il enrhumât. Que sert à Mme  d’Elbeuf[74] d’être revenue si belle de Bourbon, si elle ne peut étaler ses charmes dans le monde, et s’il faut qu’elle s’aille enfermer dans Montreuil ? En vérité, c’est une tyrannie effroyable que celle qu’elle souffre ; et je crois qu’après cela on la devroit excuser si elle se vengeoit de son tyran. Il est vrai que je pense qu’elle s’est vengée, il y a longtemps, du mal qu’il lui devoit faire. Comme c’est une femme de grande prévoyance, elle a bien jugé qu’il lui donneroit sujet de plainte quelque jour. Elle n’a pas attendu qu’il primât, et entre nous, je crois que M.  d’Elbeuf est sur la défensive.

Nous avons ici Vardes[75], un de ses amants, qui m’a dit qu’il étoit de vos amis, et qu’il vouloit vous écrire. Je sais par M.  le prince de Conti qu’il a dessein d’être amoureux cet hiver de Mme  de Roquelaure ; et sur cela, Madame, ne plaignez-vous pas les pauvres femmes, qui bien souvent donnent une véritable passion pour un amour de dessein, c’est-à-dire de bon argent pour de la fausse monnoie[76] ? Je crois que Vardes aura de la peine 1654 à cette conquête, non pas tant par la force de la place que par les soins et la vigilance du gouverneur. Au reste, il me fait des avances d’amitié extraordinaires, et si grandes, qu’il m’a obligé, contre la résolution que j’avois faite, de lui promettre amitié. La réputation qu’il a d’être infidèle me faisoit peur ; mais il est des amis de toutes sortes. Si j’ai un secret, celui-là ne le saura pas, et particulièrement si c’est un dessein pour ma fortune à quoi il puisse prétendre : Guarda la gamba[77]. Voilà qui est de mon cru, Madame. Corbinelli[78] est à dix lieues d’ici. Il faut avouer que j’ai un beau naturel de savoir cela sans jamais avoir eu de maître[79].

Vous ne me mandez rien de la marquise d’Uxelles[80]. Cependant elle est de vos bonnes amies, et assez des miennes. Est-ce qu’elle n’est plus à Paris, ou que vous ne m’en voulez pas parler, de peur d’être obligée de me mander ce qu’elle fait ? Écrivez-le-moi, je vous prie, car enfin je l’estime fort et je serai bien aise de faire quelque que chose pour elle. Si elle peut une fois sortir de 1654 condition, je lui en offrirai : j’ai ouï dire que c`est une personne de service[81].

Je suis ravi d’être bien avec Messieurs vos oncles[82]. Jalousie à part, ce sont d’honnêtes gens, mais il n’y a personne de parfait dans le monde ; s’ils n’étoit jaloux, ils seroient peut-être quelque chose de pis. Avec tout cela je ne les crains pas trop, et en voulez-vous savoir la raison, Madame ? c`est que je vous crains beaucoup, et que vous êtes cent fois plus jalouse de vous-même qu’eux.

Toujours quelques douceurs, Madame ; je ne m’en saurois tenir ; mais il n`y a pas de danger, à cette heure que Mme  de la Trousse[83] voit mes lettres.

J’oubliois de vous dire que j’écris à M.  de Coulanges sur la mort de Madame sa femme[84]. Mme  de Bussy me mande que je lui ai bien de l’obligation de ce qu’il a fait pour moi à la chambre des comptes. Ce qui redouble le déplaisir que j’ai de la perte qu’il a faite, c’est que j’appréhende qu’il n’aille devenir mon quatrième rival[85] ; car il y avoit assez de disposition du vivant de sa femme, mais sa considération le retenoit toujours.

Adieu, ma belle cousine, c’est assez badiner pour cette fois. Voici le sérieux de ma lettre : je vous aime de tout mon cœur.

À MADAME DE LA TROUSSE.

Je vous suis extrêmement obligé, Madame, de l’avis que vous m’avez donné. Croyant que notre belle marquise eût lu mes lettres toute seule, je lui aurois peut-être écrit des choses que je ne voudrois pas que d’autres qu’elle vissent, et Dieu sait quelle vie vous m’auriez faite à mon retour, et quelle honte vous et moi en aurions eue. Votre prudence a détourné ce malheur, en m’apprenant que vous lisez tout ce que je lui écris, et a mis les choses en état que je vous donnerai toujours du plaisir, et jamais de chagrin ; mais, Madame, en vous rassurant sur les lettres trop tendres, j’ai honte d’en écrire de si folles, sachant que vous les devez lire, vous qui êtes si sage, et devant qui les précieuses[86] ne font que blanchir. Il n’importe, votre vertu n’est point farouche, et jamais personne n’a mieux accordé Dieu et le monde que vous.


27. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

(Aux Rochers) ce 1er d’octobre.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez envoyée de M.  le 1654 Coadjuteur[87], et ne doute pas qu’elle ne fasse un très-grand effet. Je l’envoyai dès hier à Nantes, à M.  le maréchal de la Meilleraye[88], et je ne vous puis dire à quel point je vous suis obligée de la diligence avec laquelle vous m’avez rendu ce bon office. En cela j’ai bien reconnu votre manière ordinaire, et en vérité je vous en remercie d’aussi bon cœur, que de bon cœur vous avez pris cette peine. Je crois que vous en serez content. Je n’écris point à M.  le Coadjuteur pour lui en faire un compliment ; je crois qu’il suffira que vous lui en fassiez un pour moi. Je vous conjure de n’y pas manquer, et de me mander si le vôtre suffira.

Mais voici qui est admirable de vous voir si bien avec toute ma famille. Il y a six mois que cela n’étoit pas du tout si bien[89]. Je trouve que les changements si prompts ressemblent fort à ceux de la cour ; je vous dirai pourtant qu’à mon avis cette bonne intelligence ici durera davantage ; et pour moi, j’en ai une si grande joie, que je ne puis vous la dire au point qu’elle est. Mais, bon Dieu ! 1654 où avez-vous été pêcher ce M. le grand prieur[90], que M. de Sévigné appeloit toujours mon oncle le Pirate ? Il s’étoit mis dans la fantaisie que c’étoit sa bête de ressemblance, et je trouve qu’il avoit assez de raison. Mais dites-moi donc ce que vous pouvez avoir à faire ensemble, aussi bien qu’avec le comte de Bussy. J’ai une curiosité étrange que vous me contiez cette affaire, comme vous me l’avez promis. Mais en voici bien une autre : c’est que notre abbé[91], qui entend dire de tous côtés que l’on vous aime, se va mettre dans la tête de vous aimer aussi, tellement qu’il m’a déjà priée de vous en jeter quelques paroles par-ci par-là. Je lui ai promis de faire mes efforts, et s’il est vrai que vous aimiez ceux que j’aime, et à qui j’ai d’extrêmes obligations, je n’aurai pas beaucoup de peine à obtenir cette grâce de vous. Je vous donne le temps d’y penser, et en attendant je vous assure que vous devez être aussi content de moi, que ce jour que je vous écrivis une lettre de dix mille écus[92].

Marie de Rabutin Chantal.

Un compliment à M. Girault[93] ; je n’ai point reçu son livre. Mandez-moi si c’est tout de bon que M. de Luynes[94] soit mort, car je ne le saurois encore croire.


1655

28. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

La campagne de 1655, j’allai servir en Flandre, et étant parti de Paris pour l’armée sans avoir été dire adieu à ma chère cousine, je lui en demandai pardon par une lettre que je lui écrivis de Landrecy aussitôt que nous y fûmes arrivés. Je ne rapporte point ici cette lettre, car je n’en ai pas retrouvé la copie ; mais la marquise la reçut. Cependant je lui écrivis celle-ci quelque temps après.

Au camp devant Landrecy, le 3e juillet 1655[95].

D’où vient que je ne reçois point de vos lettres, Madame ? Est-ce que vous me croyez encore en Catalogne cette campagne, ou que vous me grondez d’être parti sans vous dire adieu ? Pour le premier je vous ai promis de venir en Flandre, et pour l’autre je vous ai dit de si bonnes raisons[96] que vous seriez de fort méchante humeur si vous n’en étiez satisfaite.

Mandez-moi, je vous prie, des nouvelles de l’amour 1655 du surintendant pour vous, vous n’obligerez pas un ingrat : je vais vous dire a la pareille des nouvelles du mien pour ma Chimène[97]. Il me semble que je vous fais un honnête parti quand je vous offre de vous dire un secret pour des bagatelles.

Vous saurez donc que la veille de mon départ de Paris fut employée aux adieux, aux protestations de s’aimer toute sa vie, et à toutes les marques les plus tendres que deux personnes qui s’aiment fort se euvent donner de leur amour.


Ici je te permets, trop fidèle mémoire,
De cacher à mes sens le comble de ma gloire[98].


On se promit de s’écrire souvent, et le malheur des lettres douces qui tombent tous les jours entre les mains du tiers et du quart ne nous faisant point de peur, on résolut de s’écrire sans chiffre toutes les choses par leur nom. On demanda seulement que les lettres fussent brûlées aussitôt qu’elles auroient été lues. Après cela l’on recommença de se prouver par bons effets qu’on s’aimoit éperdument. Ensuite, l’amour étant un vrai recommenceur, l’on se redit les mêmes choses qu’auparavant en d’autres termes, et quelques-unes en mêmes mots. On y ajouta seulement des assurances de ne jamais rien croire au désavantage de chacun. Quelques larmes suivirent ces assurances ; elles furent encore mêlées d’un moment de plaisir, et puis on ne fit autre chose que pleurer en se quittant.

Voilà, Madame, mon histoire amoureuse. Je pense que celle du surintendant n’est ni si gaie, ni si lamentable ; mais quelle qu’elle soit, je vous supplie de me la dire. Adieu, ma belle cousine.


29. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Deux jours après que j’eus écrit cette lettre, je reçus celle-ci de la marquise, qui étoit la réponse à l’adieu que je lui avois fait en arrivant à Landrecy.

À Livry, ce 26e juin, 1655[99].

Je me doutois bien que tôt ou tard vous me diriez adieu, et que si ce n’étoit chez moi, ce seroit du camp devant Landrecy. Comme je ne suis pas une femme de cérémonie, je me contente de celui-ci, et je n’ai pas songé à me fâcher que vous eussiez manqué à l’autre. Je m’étois déjà dit vos raisons, avant que vous me les eussiez écrites, et je suis trop raisonnable pour trouver étrange que la veille d’un départ on couche chez des baigneurs[100]. Je suis d’une grande commodité pour la liberté publique, et pourvu que les bains ne soient pas chez moi, je suis contente, et mon zèle ne me porte pas à trouver mauvais qu’il y en ait dans la ville.

Depuis que vous êtes parti, je n’ai bougé de ce beau désert ici, où, pour vous parler franchement, je ne m’afflige point trop de vous voir à l’armée. Je serois une indigne cousine d’un si brave cousin, si j’étois fâchée de vous voir cette campagne à la tête du plus beau corps qui soit en France, et dans un poste aussi glorieux que celui que vous tenez[101]. Je crois que vous condamneriez des sentiments moins nobles que ceux-là. Je laisse aux baigneurs d’en avoir de plus tendres et de plus foibles. Chacun aime à sa mode. Pour moi, je fais profession d’être brave, aussi bien que vous : voilà les sentiments dont je veux faire parade. Il se trouverait peut-être quelques dames qui trouveroient ceci un peu romain,

Et rendroient grâce aux dieux de n’être pas Romaines,
Pour conserver encor quelque chose d’humain[102].

Mais sur cela j’ai à leur répondre que je ne suis pas aussi tout à fait inhumaine, et qu’avec toute ma bravoure je ne laisse pas de souhaiter avec autant de passion qu’elles que votre retour soit heureux. Je crois, mon cher cousin, que vous n’en doutez pas, et que je ne demande à Dieu de tout mon cœur qu’il vous conserve. Voilà l’adieu que je vous eusse fait, et que je vous prie de recevoir d’ici, comme j’ai reçu le vôtre de Landrecy.


1655

30. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Quinze jours après que j’eus reçu cette lettre, je reçus encore celle-ci de la marquise, qui me l’écrivit transportée de joie des heureux succès de mes gardes de Landrecy, que le maréchal de Turenne avoit fort louées à la cour.

À Paris, ce 14e juillet 1655.

Voulez-vous toujours faire honte à vos parents ? Ne vous lasserez-vous jamais de faire parler de vous toutes les campagnes ? Pensez-vous que nous soyons bien aises d’entendre dire que M. de Turenne mande à la cour que vous n’avez rien fait qui vaille à Landrecy ? En vérité, c’est avec un grand chagrin que nous entendons dire ces choses-là, et vous comprenez bien de quelle sorte je m’intéresse aux affronts que vous faites à notre maison.

Mais je ne sais, mon cousin, pourquoi je m’amuse à faire la plaisante, car je n’en ai pas le loisir, et si peu que j’ai à vous dire, je le devrois dire sérieusement. Je vous dis donc que je suis ravie du bonheur que vous avez eu à tout ce que vous avez entrepris.

Je vous ai écrit une grande lettre de Livry, que je crains bien que vous n’ayez pas reçue ; j’aurois du chagrin qu’elle fût perdue, car elle me paroissoit assez badine.

Je me trouvai hier chez Mme de Montglas[103], qui avoit reçu une de vos lettres, et Mme de Gouville[104] une autre. Je croyois en trouver une chez moi ; mais je fus trompée dans mon attente, et je jugeai que vous n’aviez pas voulu confondre tant de rares merveilles. J’en suis bien aise, et je prétends avoir un de ces jours ma voiture[105] à part. Adieu, mon cousin ; le gazetier parle de vous légèrement[106] : bien des gens en ont été scandalisés, et moi plus que les autres ; car je prends plus d’intérêt que les autres à tout ce qui vous touche. Ce n’est pas que je ne vous conseille de quitter Renaudot[107] de ses éloges, pourvu que M. de Turenne et M. le Cardinal soient toujours bien informés de vos actions.


31. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 19e juillet 1655.

Voici la troisième fois que je vous écris depuis que vous êtes parti ; c’est assez pour vous faire voir que je n’ai rien sur le cœur contre vous. Je reçus l’adieu que vous me faisiez de Landrecy, pendant que j’étois à Livry, 1655et je vous fis réponse en même temps. Je vois bien que vous ne l’avez pas reçue, et j’en suis fort fâchée ; car, outre qu’elle étoit assez honnêtement tendre, c’est qu’elle étoit assez jolie, au moins à ce qu’il me sembloit ; et comme elle vous étoit destinée, je suis en colère qu’un autre en ait eu le plaisir. Depuis cela je vous ai encore écrit par un laquais que vous aviez envoyé ici, lequel étoit chargé de plusieurs lettres pour de belles dames[108]. Je ne m’amusai pas à vous chicaner sur ce qu’il n’y en avoit point pour moi aussi, et je vous fis une petite lettre en galopant, qui vous faisoit connoître, quoique assez mal arrangée, la sensible joie que j’ai eue du bonheur que vous eûtes à vos gardes de Landrecy, dont la nouvelle nous est venue ici le plus agréablement du monde, par des gens de la cour qui nous ont dit que M. le Cardinal avoit dit beaucoup de bien de vous devant le Roi, qui en avoit dit lui-même, et ensuite toute la cour, qui avoit fort loué cette dernière action. Vous pouvez croire que ma joie n’a pas été médiocre d’entendre dire tout haut cela de vous. Mais pour en revenir à mon conte, ce fut sur cela que je vous écrivis ma seconde lettre, et cinq ou six jours après j’ai reçu celle où je vois que vous vous plaignez de moi. Cependant, mon pauvre cousin, vous voyez bien que vous n’en avez aucun sujet, et là-dessus on peut tirer une belle moralité : c’est qu’il ne faut jamais condamner personne sans l’entendre. Voilà ce que j’avois à vous dire pour ma justification. Quelque autre peut-être auroit pu réduire les mêmes choses en moins de paroles ; mais il faut que vous supportiez mes défauts : chacun a son style ; le mien, comme vous voyez, n’est pas laconique. 1655 Je ne crois pas avoir jamais rien lu de plus agréable que la relation que vous me faites de votre adieu à votre maîtresse. Ce que vous dites que l’amour est un vrai recommenceur est tellement joli, et tellement vrai, que je suis étonnée que l’ayant pensé mille fois, je n’aie jamais eu l’esprit de le dire. Je me suis même quelquefois aperçue que l’amitié se vouloit mêler en cela de contrefaire l’amour, et qu’en sa manière elle étoit aussi une vraie recommenceuse. Cependant, quoiqu’il n’y ait rien de plus galant que ce que vous me dites sur votre affaire, je ne me sens point tentée de vous faire une pareille confidence sur ce qui se passe entre le surintendant et moi, et je serois au désespoir de vous pouvoir mander quelque chose d’approchant. J’ai toujours avec lui les mêmes précautions, et les mêmes craintes, de sorte que cela retarde notablement les progrès qu’il voudroit faire. Je crois qu’il se lassera enfin de recommencer toujours inutilement la même chose. Je ne l’ai vu que deux fois depuis six semaines, à cause d’un voyage que j’ai fait[109]. Voilà ce que je vous en puis dire, et ce qui en est. Usez aussi bien de mon secret que j’userai du votre : vous avez autant d’intérêt que moi à le cacher.

Je ne vous dis rien de l’aventure de Bartet[110] ; je crois qu’on vous l’aura mandée, et qu’elle vous aura diverti ; pour moi, je l’ai trouvée bien imaginée. Il y a une dame qu’on accuse d’avoir été les premiers jours dans les maisons demander si c’étoit un affront que cela, parce qu’elle avoit ouï dire à l’intéressé que ce n’étoit qu’une bagatelle. On dit que présentement il commence à sentir son mal, et à trouver qu’il eût été mieux qu’il n’eût pas été tondu.

Adieu, mon pauvre cousin : ce n’est point ici une belle lettre, ni une réponse digne de la vôtre ; mais on n’est pas toujours en belle humeur. Il y a huit jours que je suis malade, cela fait tort à ma vivacité. Aimez-moi toujours bien ; car pour moi, je fais mon devoir sur votre sujet, et je vous souhaite un heureux retour.


1655

32. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Je vous rends grâces de votre Malherbe[111] ; j’en ferai mon profit admirablement, et veux parer mon esprit de toutes sortes de belles choses, afin qu’il ne vous ennuie pas d’y demeurer. Celui qui me vint voir hier[112] se contenteroit d’être placé plus bas, c’est-à-dire au cœur ; mais il est persuadé que ce n’est pas une chose facile. C’est pourquoi, quelque envie qu’il ait de se mettre à la mode, je vois bien que nous en demeurerons à l’estime et au respect. Je lui suis très-obligée de la chaleur qu’il me témoigna pour nos intérêts : il me promit de faire des merveilles, et moi je vous conjure de vous guérir, et d’être persuadé que je vous aime et vous estime d’une façon tout extraordinaire. Dites toujours du bien de moi, cela me fait un honneur étrange.


1655

33. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Bavay[113], ce 13e août 1655.

J’ai reçu vos trois lettres, Madame : celle du 26e juin de Livry, et celles du 14e et du 19e juillet de Parie[114]. Celle de Livry est effectivement fort plaisante ; mais, comme vous dites, elle n’est pas la plus tendre du monde. Vous me parlez de désespoir et de larmes, tout exprès, à ce qui semble, pour me dire que ce n’est pas pour moi. Je sais bien que je n’y dois pas prétendre, mais vous n’avez que faire de m’exagérer si fort vos foiblesses pour un autre, et votre fermeté pour moi. Quand on aime bien les gens qui vont à l’armée, on a plus de crainte pour le danger de leurs personnes que de joie dans l’espérance de l’honneur qu`ils vont acquérir. Je jurerois qu’il y a des mouvements de dépit dans ce que vous m’écrivez. Sur la fin pourtant, vous vous radoucissez un peu, et craignant que ce que vous me mandez sur mon départ ne sente la rudesse de Rome naissante, vous vous radoucissez sur mon retours[115].

Pour votre lettre du 14e juillet, il n’y a rien de plus obligeant ni de plus flatteur que ce que vous me dites sur mes gardes de Landrecy. J’ai ri en lisant vos contrevérités, et la honte que vous me mandez avoir eue des mauvaises actions que j’ai faites.

Pour votre troisième lettre du 19e juillet, je vous dirai que, pour n’être pas d’un style laconique, elle ne laisse pas d’être fort agréable. Je serois bien fâché qu’elle fût plus courte, et vous avez tort de dire que vous écririez mieux si vous n’étiez malade. Vous vous portez mieux que vous ne pensez, ma chère cousine, et moi je suis à vous mille fois plus que je ne vous le saurois dire.

Je vous écris fort à la hâte, parce qu’il y a une heure que l’armée est en marche. Je ne vous écris pas en galopant, comme vous me mandiez l’autre jour que vous faisiez ; mais je vais galoper dans un moment pour vous avoir écrit.


34. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Il se passa près de deux mois sans que j’écrivisse à la marquise, parce que nous fûmes dans de continuelles marches. Elle m’écrivit pourtant une lettre, que je n’ai point retrouvée, mais l’on le verra par la lettre suivante.

Au camp d’Angres[116], ce 7e octobre 1655.

Je suis fort aise, Madame, que vous m’assuriez que M.  le surintendant souhaite de trouver que j’ai raison dans l’affaire qu’on m’a voulu faire avec lui. Cela ne laisse pas de me surprendre, et je trouve fort extraordinaire qu’il aime mieux avoir sujet de se plaindre de Mme  Martel que de moi. Je vous assure aussi, ma belle cousine, que je lui en ai bien plus d’obligation, et qu’il n’y a guère de gens au monde contre qui je ne me déclarasse quand il s’agira de ses intérêts. Pour vous qui m’empêchez de perdre un si bon ami[117], vous pouvez juger si je vous aime.

J’ai reçu de grands remerciements de la comtesse de Fiesque[118] sur l’affaire dont vous dites qu’on a tant chuchoté à Saint-Fargeau. Ce n’est ; pas qu’elle ne désavoue la lettre, mais elle me rend grâces de l’avoir supprimée, disant que si elle avoit été vue, il auroit été bien malaisé de désabuser le public, à moins que de faire des manifestes qui, bien loin de justifier, éternisent la médisance.

M.  le Cardinal a été une seconde fois à l’armée, pour voir Condé et Saint-Ghislain, et pour laisser ces places en état de ne rien craindre cet hiver, et de se passer de nous jusqu’au printemps. Son Eminence m’a fort bien traité, et m’a fait donner mille écus pour achever ma campagne.

Il y a deux ou trois jours que M.  de Turenne et moi parlant de quelque chose, je vins à vous nommer. Il me demanda si je vous voyois ; je lui répondis qu’étant cousins germains[119] vous et moi, et de même maison, je ne voyois pas une femme plus souvent que vous. Il me dit qu’il vous connoissoit, et qu’il avoit été vingt fois à votre 1655 porte sans vous rencontrer ; qu’il vous estimoit fort, et qu’une marque de cela étoit qu’il ne voyoit aucune femmes[120]. Je lui dis que vous m’aviez parlé de lui, que vous aviez su l’honneur qu’il vous avoit fait, et que vous m’aviez témoigné lui en être très-obligée.

Et à ce propos, Madame, il faut que je vous dise que je ne pense pas qu’il y ait au monde une personne plus généralement estimée que vous. Vous êtes les délices du genre humain : l’antiquité vous auroit dressé des autels, et vous auriez assurément été déesse de quelque chose. Dans notre siècle, ou l’on n’est pas si prodigue d’encens, et surtout pour le mérite vivant, on se contente de dire qu’il n’y a point de femme à votre âge plus aimable ni plus vertueuse que vous. Je connois des princes du sang, des princes étrangers, des grands seigneurs façon de princes, des grands capitaines, des ministres d’État, des gentilshommes, des magistrats, et des philosophes, qui fileroient pour vous si vous les laissiez faire. En pouvez-vous souhaiter davantage ? À moins que d’en vouloir à la liberté des cloîtres, vous ne sauriez aller plus loin[121].

J’oubliois de vous dire qu’il y a deux mois qu’Humières[122] disant à Nogent[123] quelque chose qui lui déplut, celui-ci donna du bout de ses gants sur le chapeau de l’autre. M.  le Cardinal étoit alors à l’armée ; il défendit a Humières, de la part du Roi, d’en avoir aucun ressentiment ; mais la Châtre[124], son beau-frère, fit appeler Nogent par un gentilhomme de ses parents appelé Sainte-Fère, lieutenant d’Humières. Nogent ne voulut point se battre, et dit depuis qu’il n’avoit tenu qu’à Sainte-Fère qu’il n’eût satisfait la Châtre. Il y a huit jours que Sainte-Fère lui faisant un éclaircissement là-dessus, Nogent le traita de petit mignon, ne lui voulant donner satisfaction aucune. Sainte-Fère, qui tenoit un fouet de postillon à la main, lui en donna quelques coups. Nogent dit n’avoir point été frappé, et qu’Humières l’a voulu faire assassiner. Humières dit qu’il n’a aucune part à cela, que véritablement, s’il avoit cru être offensé, il auroit fait donner cent coups de bâton à Nogent par un de ses domestiques, et il dit même qu’il veut bien que Nogent croie que c’est lui qui lui a fait faire cette insulte.


35. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

La campagne de 1655 étant finie, je vins attendre à Noyon les ordres du quartier d’hiver, et en les attendant, j’écrivis cette lettre à la marquise.

À Noyon, ce 7e novembre 1655.

J’attends ici la venue du Messie, Madame, c’est-à-dire les ordres du quartier d’hiver, avec une grande patience. Je ne m’ennuie pas trop, vu la saison (cela soit dit sans vous offenser, ma chère cousine ; car il me semble que je dois m’ennuyer partout où vous n’êtes pas). Je me lève tard, je me couche de bonne heure ; je vais, je viens, j’entre en colère, j’en sors, je prie Dieu, je le jure, et comme cela les journées d’hiver ne durent rien.

Aussitôt que j’aurai mon congé, j’irai à Compiègne faire ma cour[125] ; et si je dois servir cet hiver sur la frontière, comme je l’ai demandé, je serai bien pressé si je ne vais pas vous dire adieu. En tout cas je vous écrirai, ma belle cousine, et partout je vous aimerai de tout mon cœur.

Mille amitiés, s’il vous plaît, à tous mes rivaux, fussent-ils quatre fois autant qu’ils ne sont.


36. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Quelques jours après que j’eus écrit cette lettre, je reçus mon congé de la cour, et étant allé à Compiègne trouver le Roi, j’y reçus cette lettre de la marquise.

À Paris, ce 25e novembre 1655.

Vous faites bien l’entendu, Monsieur le Comte. Sous ombre que vous écrivez comme un petit Cicéron, vous croyez qu’il vous est permis de vous moquer des gens. À la vérité, l’endroit que vous avez remarqué m’a fait rire de tout mon cœur ; mais je suis étonnée qu’il n’y eût que 1655 cet endroit-là de ridicule ; car de la manière dont je vous écrivis, c’est un miracle que vous ayez pu comprendre ce que je vous voulois dire, et je vois bien qu’en effet vous avez de l’esprit, ou que ma lettre est meilleure que je ne pensois : quoi qu’il en soit, je suis fort aise que vous ayez profité de l’avis que je vous donnois.

On m’a dit que vous sollicitiez de demeurer sur la frontière cet hiver. Comme vous savez, mon pauvre cousin, que je vous aime un peu rustaudement, je voudrois qu’on vous l’accordât ; car on dit qu’il n’y a rien qui avance tant les gens, et vous ne doutez pas de la passion que j’ai pour votre fortune. Mais[126], quoi qu’il puisse arriver, je serai contente. Si vous demeurez sur la frontière, l’amitié solide y trouvera son compte, et si vous revenez, l’amitié tendre sera satisfaite.

On dit que Mme  de Châtillon[127] est chez l’abbé Foucquet[128], cela paroît fort plaisant à tout le monde[129].

Mme  de Roquelaure[130] est revenue tellement belle, qu’elle défit hier le Louvre à plate couture : ce qui donne une si terrible jalousie aux belles qui y sont, que par dépit on a résolu qu’elle ne sera point des après-soupers, qui sont gais et galants, comme vous savez.

Mme de Fiennes[131] voulut l’y faire demeurer hier ; mais on comprit par la réponse de la Reine qu’elle pouvoit s’en retourner[132].

Le prince d’Harcourt[133] et la Feuillade[134] eurent querelle avant-hier chez Jeannin[135]. Le prince disant que le chevalier de Gramont[136] avoit l’autre jour ses poches pleines d’argent, il en prit à témoin la Feuillade, qui dit que cela n’étoit point, et qu’il n’avoit pas un sou. « Je vous dis que si. — Je vous dis que non.. — Taisez-vous, la Feuillade. — Je n’en ferai rien. » Là-dessus le prince lui jeta une assiette à la tête, l’autre lui jeta un couteau ; ni l’un ni l’autre ne porta. On se met entre-deux, on les fait embrasser ; le soir ils se parlent au Louvre, comme si de rien n’étoit. Si vous avez jamais vu le procédé des académistes[137] qui ont campos, vous trouverez que cette querelle y ressemble fort.

Adieu, mon cher cousin, mandez-moi s’il est vrai que vous vouliez passer l’hiver sur la frontière, et croyez surtout que je suis la plus fidèle amie que vous ayez au monde[138].


1656

37. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Vendredi 23e juin[139].

Votre souvenir m’a donné une joie sensible, et m’a réveillé tout l’agrément de notre ancienne amitié. Vos vers m’ont fait souvenir de ma jeunesse, et je voudrois bien savoir pourquoi le souvenir de la perte d’un bien aussi irréparable ne donne point de tristesse. Au lieu du plaisir que j’ai senti, il me semble qu’on devroit pleurer ; mais sans examiner d’où peut venir ce sentiment, je veux m’attacher à celui que me donne la reconnoissance que j’ai de votre présent. Vous ne pouvez douter qu’il ne me soit agréable, puisque mon amour-propre y trouve si bien son compte, et que j’y suis célébrée par le plus bel esprit de mon temps. Il faudroit pour l’honneur de vos vers que j’eusse mieux mérité tout celui que vous me faites. Telle que j’ai été, et telle que je suis, je n’oublierai jamais votre véritable et solide amitié, et je serai toute ma vie la plus reconnoissante comme la plus ancienne de vos très-humbles servantes.

La M. de Sévigné.

1656

38. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[140].

Si Montreuil[141] n’étoit point douze fois plus étourdi qu’un hanneton, vous verriez bien que je ne vous ai fait aucune malice ; car il se chargea de vous faire savoir que je ne pouvois vous aller prendre, et me le promit si sérieusement, que croyant ce qu’il me disoit qu’il n’étoit plus si fou qu’il avoit été, je m’en fiai à lui, et c’est la faute que je fis. Outre cela, le temps épouvantable qu’il fit vous devoit assez dire que je n’irois point au Cours[142]. Tout cela vous fait voir que je n’ai aucun tort : c’est pourquoi je vous conseille, puisque vous êtes revenu de Pontoise, de n’y point retourner pour vous pendre ; cela n’en vaut pas la peine, et vous y serez toujours reçu quand vous voudrez bien, mon cher. Croyez que je ne suis point irrégulière pour vous, et que je vous aime très-fort.


1656

39. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le Tellier me manda qu’il feroit souvenir M.  le Cardinal de moi pour servir sur la frontière cet hiver. Cependant je n’en ouïs plus parler, et je l’allai passer à Paris.

La campagne de 1656 ayant commencé par le siège de Valenciennes, j’écrivis à la marquise cette lettre.

Au camp devant Valenciennes, ce 9e juillet 1656.

Il y a six jours que je suis ici, Madame ; vous avez pu voir une lettre que j’écrivois à notre ami Corbinelli du jour que j’arrivai. Les choses sont quasi en même état ; nous n’avons guère avancé depuis. Vous aurez déjà pu savoir la mort de trois capitaines aux gardes, et de quantité d’officiers que vous ne connoissez pas ; la blessure du chevalier de Créquy[143] à la tête, et du marquis de Sillery[144] à la mâchoire, du marquis de Lauresse au bras, et de Molondin[145] à la jambe.

La nuit du 7 au 8, les ennemis vinrent sur les onze heures à nos lignes, d’abord du côté des Lorrains, et peu de temps après au quartier de Picardie, et cela pour reconnoître notre contenance, et pour nous fatiguer par de petites alarmes, car il ne parut point d’infanterie. Le matin du 8e, il sortit trois escadrons de la ville sur le quartier des Lorrains, et comme tout le monde y courut, un cavalier des nôtres se détacha, et tira de quatre pas son mousqueton à la Feuillade, et puis lui demanda : « Qui 1656 vive ? » La Feuillade répondit : « Vive la Feuillade ! » parce qu’il n’étoit pas mort. Si vous me demandez pourquoi ce cavalier lui en vouloit, je vous répondrai que je n’en sais point d’autre raison, si ce n’est qu’il falloit que ce jour-là la Feuillade ressemblât à un Espagnol.

La même nuit du 7e au 8, la contrescarpe fut prise, qui coûta beaucoup de braves gens au régiment de Turenne.

Voici une des plus grandes entreprises que nous ayons faites depuis la guerre : nous attaquons la plus grande ville[146] des Pays-Bas, où sont les magasins d’Espagne ; il y a quinze ou seize cents hommes de guerre dedans, et plus de dix mille bourgeois portant les armes, qui servent comme des troupes réglées. Nous avons à la portée du fauconneau de nos lignes une armée ennemie de vingt mille hommes, dans laquelle est le prince de Condé, qui observe tous nos mouvements et qui nous tient dans une contrainte épouvantable[147]. Cependant l’ordre est si bon parmi nous, et nos troupes me paroissent si bien intentionnées, que j’attends un bon succès de notre entreprise. Je ne doute pas que les ennemis ne fassent une attaque aux lignes : si c’est de notre côté, ils seront repoussés ; je ne vous dis pas cela comme un fanfaron et sans connoissance de cause.

Par le premier ordinaire je vous manderai ce qui sera arrivé ; je sais quel plaisir c’est que de recevoir des nouvelles d’importance, et véritables comme celles-ci.

J’oubliois de vous dire que j’ai vu M.  de la Trousse[148], qui se porte fort bien, aux enseignes qu’il me demanda un jugement pour un cavalier qu’il répétoit, et que je le condamnai.

L’affaire du régiment de Saint-Abre est échouée pour la Châtre et pour Biscarat[149], et M.  le Cardinal ne la veut faire pour personne, à ce qu’il dit. Adieu, ma belle cousine[150].



40. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

La nuit du 15e au 16e juillet, les ennemis ayant attaqué les lignes du maréchal de la Ferté, battirent son armée, et le prirent prisonnier sans que nous le pussions secourir, parce que les écluses de Bouchain ayant été levées, notre digue sur l’Escaut fut inondée, et nous n’y pûmes passer. Nous nous retirâmes donc au Quesnoy, d’où j’écrivis cette lettre le 20e juillet à la marquise.

Au camp du Quesnoy, le 20e juillet 1656.

Je vous aurois plus tôt tirée de peine, Madame, si j’avois eu plus tôt le loisir et la commodité de vous apprendre de mes nouvelles ; mais depuis notre retraite de Valenciennes jusques à présent, j’ai presque toujours été à cheval ou sur la paillasse, et je n’ai point su qu’il partît de courrier de l’armée qu’aujourd’hui.

Vous saurez donc, Madame, que le 16e de ce mois, à deux heures du matin les lignes du maréchal de la Ferté 1656 furent attaquées par l’armée des ennemis, et forcées sans résistance, hormis du côté des gardes francoises et de la marine, qui en firent beaucoup ; mais ils furent pris par derrière. Nous ne pûmes secourir cette armée, parce que, du côté que les ennemis firent le plus grand effort, il n’y avoit qu’une digue fort étroite et longue de huit cents pas, sur l’Escaut et les prairies, que ceux de Bouchain avoient inondée, par laquelle digne nous pouvions nous communiquer ; et cette inondation fit aussi que fort peu de gens se purent sauver. Le maréchal de la Ferté[151] fut pris ; le comte d’Estrées[152], le comte de Grand-Pré et Gadagne[153], lieutenants généraux, pris ; Moret, Riberpré, le marquis de Renel[154], Vervins, Thianges, la Trousse, Pradel, Poillac, la Luserne, et plus de quatre cents officiers, cavalerie ou infanterie, pris ; le marquis d’Estrées[155], volontaire, tué ; la Roque Saint-Chamarant, mestre de camp de cavalerie, pris ; Belsunce[156], mestre de camp d’infanterie, tué ; et bien d’autres que nous ne savons pas encore.

Le marquis d’Uxelles[157] se sauva par la digue, Bellefonds[158] à nage. Le débris de cette armée, qui pouvoit être de deux mille hommes, cavalerie ou infanterie, se retira à Condé. Notre armée marcha au Quesnoy sans ordre de bataille ; nous y trouvâmes deux mille hommes qui venoient de France pour nous joindre.

Le lendemain 17e, ayant fait revue, nous trouvâmes huit mille hommes de pied, et huit mille chevaux dans l’armée de Turenne ; cinq cents chevaux, et trois cents hommes de pied dans celle de la Ferté.

Le mardi 18e, les ennemis se vinrent poster à notre vue de l’autre côté du Quesnoy, un petit ruisseau entre-deux. Leur dessein étoit, à ce que nous croyons, d’assiéger le Quesnoy si nous en eussions déjà été éloignés, ou de nous attaquer si nous eussions fait devant eux une méchante démarche ; mais malheureusement pour eux, ils nous ont trouvés bien postés, fiers, et témoignant ne respirer que la vengeance de la défaite de nos camarades.

Ce matin ils ont décampé de devant nous, et nous ont laissés douter deux heures durant s’ils ne vouloient point nous donner bataille ; mais enfin ils ont repris le chemin de Valenciennes, et nous croyons qu’ils vont faire le siége de Condé, que nous aurons bien de la peine de secourir. Voilà notre aventure, Madame, que vous ne pouvez apprendre d’ailleurs plus véritablement.

Le 17e, j’envoyai mon trompette savoir ce qu’étoit devenu la Trousse. Il revint le lendemain sans avoir pu parler à lui, mais ayant appris qu’il se portoit fort bien.

J’oubliois de vous dire que toute l’armée de la Ferté a perdu son bagage, hormis Bellefonds, qui a sauvé sa vaisselle d’argent.


* 41. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.[159]

Aux Rochers, ce 12e septembre.

Je vous suis bien obligée de votre agréable et ponctuelle réponse. Il me semble qu’à un paresseux comme vous cela veut dire quelque chose ; mais moi que voulez-vous que je vous réponde sur la question que vous me faites, touchant les madrigaux ? Ne savez-vous pas bien que je suis une écolière qui n’entends rien à la beauté des vers italiens ? Ne pouvant donc parler que de la pensée de l’un et de l’autre, je vous dirai que celle du Guarini, quoique fort semblable à celle du Tasse, me plaît davantage, sans que je puisse quasi dire pourquoi. Pour celui de M.  du Raincy[160], que j’entends un peu mieux, je le trouve admirable, et ne crois pas qu’on en puisse faire un plus beau sur ce sujet. Je l’ai su par cœur la seconde fois que je l’ai lu : c’est signe qu’il m’étoit bien demeuré dans la tête. Mais vous saurez que la petite canzonnetta me paroît la plus jolie du monde. Je tâche de l’ajuster sur quelqu’un de tous les airs que j’ai jamais sus, et n’y trouvant pas bien mes mesures, je pense que j’entreprendrai d’y en faire un tout neuf, tant j’ai d’envie de la chanter.

J’ai lu avec beaucoup de plaisir la onzième lettre des jansénistes[161]. Il me semble qu’elle est fort belle. Mandez-moi si ce n’est pas votre sentiment. Je vous remercie de tout mon cœur du soin que vous avez eu de me l’envoyer avec tant d’agréables choses. Cela divertit extrêmement en tous lieux, mais particulièrement à la campagne. Songez donc que vous ferez une charité toutes les fois que vous en userez ainsi, et que vous obligerez une personne qui vous aime et vous estime beaucoup plus que vous ne pensez.

M. de Rabutin.

Mme  de la Troche[162] est ici qui vous baise les mains. Mes oncles et mes enfants en font de même. Mandez-moi bien quelle réception vous aura faite[163] cette belle reine de Suède[164].


1656

* 42. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À S. A. R. MADEMOISELLE.

Aux Rochers, ce 30e octobre 1656.

Ô belle et charmante princesse
Vos adorables qualités,
Et plus encor vos extrêmes bontés
Font qu’à vous on pense sans cesse,
Que toujours l’on voudroit se trouver près de vous,
Que l’on voudroit toujours embrasser vos genoux.

C’est donc avec justice, Mademoiselle, que Votre Altesse Royale fut persuadée que j’aurois bien voulu être du nombre de celles, à Chilly, à Saint-Cloud et dans les autres lieux, qui se trouvèrent sur son passage, en allant à Forges[165]… Le mien sans doute eût été des plus zélés[166], mais ma joie eût été parfaite si j’eusse été assez heureuse pour me trouver à point :

Car vous, grandes Divinités,
Vous vous rendez plus familières
À nous autres humbles bergères,
Dans les lieux du monde écartés,
Parmi les bois et les fougères,
Que vous ne faites pas dans les grandes cités.

C’est sans doute où vous m’eussiez fait l’honneur de me dire vos sentiments de cette reine du Nord, dont vous témoignez être si satisfaite[167]. J’ai reçu vingt-cinq ou trente lettres qui m’ont dit vingt-cinq ou trente fois la même chose : la belle réception qu’on lui a faite et celle qu’elle a faite aux autres.

Pour moi, Mademoiselle, je ne vous manderai point de nouvelles de ce pays dont vous puissiez être importunée de redites ; car je m’assure que je suis la seule qui vous puisse apprendre la cavalcade qu’ont faite à Nantes quelques dames du quartier Saint-Paul, en habit d’Amazones. Mme de Creil étoit la principale, et M. de Brégis[168] conduisoit cette belle troupe.

Tout ce qu’on voit dans les romans
De pompeux et de magnifique,
Tout ce que le moderne, aussi bien que l’antique,
À jamais inventé pour les habillements,
N’approche point des ornements
Dont cette troupe est parée,
Et je suis bien assurée
Qu’autrefois Thalestris,
Quand elle vint trouver, de lointaine contrée,
L’illustre conquérant dont son cœur fut épris[169],
N’étoit point si divine
Que de Creil, la divine,
Auprès du comte de Brégis.

Elles étoient parties en cet équipage des Sables d’Olonne, pour rendre visite à Mme la maréchale de la Meilleraye[170], qu’elles ne trouvèrent point ; mais leur peine ne fut pas tout à fait perdue, car elles furent régalées de force cris de carême-prenant, après quoi elles s’en retournèrent fort satisfaites.

Je m’assure aussi que vous n’aurez jamais ouï parler de la cane de Montfort, laquelle tous les ans, au jour Saint-Nicolas, sort d’un étang avec ses canetons, passe au travers de la foule du peuple, en canetant, vient à l’église et y laisse de ses petits en offrande.

Cette cane jadis fut une damoiselle
Qui n’alloit point à la procession,
Qui jamais à ce saint ne porta de chandelle ;
Tous ses enfants, aussi bien qu’elle,
N’avoient pour lui nulle dévotion,
Et ce fut par punition
Qu’ils furent tous changés en canetons et canes,
Pour servir d’exemple aux profanes[171] ;

Et si[172], Mademoiselle, afin que vous le sachiez, ce n’est pas un conte de ma mère l’oie,

Mais de la cane de Montfort,
Qui, ma foi, lui ressemble fort.

Vous voyez, Mademoiselle, que je vous ai donné parole[173] ; ces nouvelles assurément n’auront point leurs pareilles. Mais parlant plus sérieusement, trouvez bon qu’avec tout le monde je souhaite avec passion le retour de Votre Altesse Royale à Paris, et que je l’assure que je suis plus que jamais sa très-humble et très-obéissante servante,

Marie de Rabutin Chantal[174].

1657

43. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ[175].

Au camp de Blécy[176], ce 4e août 1657.

Votre lettre est fort agréable, ma belle cousine ; elle m’a fort réjoui. Qu’on est heureux d’avoir une bonne amie qui ait autant d’esprit que vous ! Je ne vois rien de si juste que ce que vous écrivez, et l’on ne peut pas vous dire : « Ce mot-là seroit plus à propos que celui que vous avez mis. » Quelque complaisance que je vous doive, 1657 Madame, vous savez bien que je vous parle assez franchement pour ne vous pas dire ceci si je ne le croyois, et vous ne doutez pas que je ne m’y connoisse un peu, puisque j’ose bien juger des ouvrages de Chapelain[177], et que je censure quelquefois assez justement ses pensées et ses paroles.

Je vous envoie la copie de la lettre que j’ai écrite à la marquise d’Uxelles. Elle me mande que si j’aime les grands yeux et les dents blanches, elle aime de son côté les gens tendres et les amoureux transis, et que ne me trouvant pas comme cela, je me tienne pour éconduit. Elle revient après, et sur ce que je lui mande, comme vous verrez, que je la quitterai si elle me rebute, et qu’à moins que de se déguiser en maréchale pour me surprendre, elle ne m’y rattrapera plus, elle me répond que je ne me désespère point, et me promet de se donner à moi quand elle sera parvenue à la dignité pour laquelle, à ce qu’elle dit, on la mange jusqu’aux os[178] ; que mon poulet ne pouvoit lui être rendu plus à propos[179], et que n’ayant pas un denier, elle étoit dans la plus méchante humeur du monde.

J’écris à Corbinelli de vous dire ce qui s’est passé entre M.  de Turenne et moi depuis que je suis à l’armée, et qu’enfin nous avons fait une réconciliation qui me paroît sincère ; je ne sais si cette paix durera[180].

J’ai gagné huit cents louis d’or depuis quatre ou cinq jours. Si je n’en gagne pas davantage, c’est que l’on appréhende ma fortune : je ne trouve plus de gens qui veuillent jouer contre moi.

Voulez-vous savoir la vie que nous faisons, Madame ? Je m’en vais vous la dire. Quand l’armée marche, nous travaillons comme des chiens ; quand elle séjourne, il n’y a pas de fainéantise égale à la nôtre. Nous poussons toujours les affaires aux extrémités. On ne ferme pas l’œil trois ou quatre jours durant, ou bien on est trois ou quatre jours sans sortir du lit ; on fait bonne chère, ou l’on meurt de faim.

Les ennemis sont campés entre Béthune et la Bassée, attendant tranquillement la prise de Montmédy, qu’ils n’ont pas jugé d’assez grande conséquence pour hasarder un combat en voulant le secourir. Adieu, ma belle cousine.


44. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Vous me dites des choses si obligeantes de l’estime que vous avez donnée de moi à M.  Servien[181], qu’encore que de moi j’y aie peu contribué, et que je craigne même de la détruire si j’ai jamais l’honneur de le voir, je ne laisse pourtant pas d’en sentir une certaine gloire, que toute autre personne ne m’auroit pu donner ; et je ne sais si je ne serois point obligée, pour reconnoître en quelque façon les civilités que vous me faites de sa part, de m’informer plus soigneusement de sa santé, ayant appris qu’il étoit malade. En attendant que vous m’en ayez dit votre avis, j’espère que puisque vous avez été si ponctuel à me mander ses sentiments, vous le serez de même à lui en témoigner ma reconnoissance, et que vous voudrez bien l’assurer pour moi que je suis sa très-obéissante servante.

M. de Rabutin Chantal.

Suscription : Pour monsieur Ménage.



45. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Votre billet est le plus joli du monde, c’est ainsi que je vous conseille de les faire. Je suis ravie que mes petits yeux aient fait de si illustres conquêtes, et je me trouverois bien honorée s’ils portoient le désordre jusque dans le conseil d’en haut, mais je crains que l’histoire ne soit telle qu’à demi. En tout cas, je me contente de l’estime, et vous conjure de me la conserver, puisque c’est vous qui me l’avez acquise[182]. Pour M.  de Noirmoutier[183], j’en prendrai le soin ; car il prend le chemin de venir céans, et c’est là que je l’attends pour lui gagner le cœur. Après tout, vous avez la gloire que j’ai été plus friande du vôtre que de tous les autres ; mais quelque honte qu’il y ait pour moi au temps que j’ai employé à l’acquérir, j’en suis toute consolée quand je songe à ce qu’il vaut.


* 46. DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Vous demandez congé de si bonne grâce qu’il est difficile de vous le refuser. Il y a bien de la différence de cette fois-ci, à l’autre dont vous parlez, et de cette lettre à l’autre dont vous parlez encore. J’ai fait mon possible pour y pouvoir revenir, mais il m’a été impossible, et je ne sais comme elle m’étoit échappée. Le principal est que le fonds y est toujours, et que ce qui me la fit écrire n’est en rien diminué. Je vous ordonne de le croire, et de vous occuper un peu pendant votre voyage à songer et à dire du bien de moi. J’en ferai de même ici, et vous attendrai le lendemain de votre retour à dîner ici. Adieu, l’ami de tous les amis le meilleur.

Suscription : À l’ami Ménage.

* 47. — DE COSTAR À MADAME DE SÉVIGNÉ[184].

Madame,

Je vous avoue que j’ai grand tort, et que vous avez raison de me vouloir du mal. Il y a quelques mois que Mme la marquise de Lavardin[185] me confia une belle lettre de la reine Christine, où Sa Majesté témoignoit qu’elle étoit éblouie comme les autres des lumières de votre esprit, et enchantée des charmes secrets qui sont en votre aimable personne. Je fus tellement touché de voir la princesse du monde la plus éclairée rendre de si glorieux témoignages de votre rare mérite, que, ne pouvant retenir ma joie au fond de mon cœur, j’en fis part à une de mes amies qui vous adore, Madame, mais qui est aussi foible que je le suis, et qui ne put s’empêcher de succomber à la même tentation que je n’avois pas eu le courage de repousser. Ainsi, Madame, la gloire de votre nom a volé plus loin que vous ne vouliez, et fait à cette heure dans l’Anjou, et peut-être même dans la Bretagne, un bruit qui vous importune[186]. En ce cas-là, cette humilité dont vous êtes si jalouse, et que vous voulez conserver au milieu d’une infinitè de qualités éclatantes qui ont bien de la peine à compatir avec elle, aura sans doute beaucoup à souffrir. Je suis cause de tout ce désordre par l’indiscrétion de mon zèle ; et ce qui m’afflige davantage en cela, c’est que le repentir de ma faute ne m’aidera pas à la réparer. Il m’est venu en pensée de vous faire demander ma grâce par Mme la comtesse de la Fayette[187] ; et je l’aurois fait, si je ne me fusse avisé que de ne m’adresser pas tout droit à vous, c’étoit vous ravir la gloire de faire une action de miséricorde. Je me promets, Madame, que je l’obtiendrai de votre bonté, et que vous ne serez pas si cruelle que de la refuser à mes très-humbles supplications. Autrement, j’ose vous déclarer que dans le désespoir où vous me mettrez, je pourrai bien me mutiner, et perdre une partie du respect que je vous dois. Votre modestie n’auroit point de plus dangereux ennemi que moi. D’abord j’apprendrois dans les provinces, ce qui n’est bien su que de la cour, que vous êtes la véritable princesse Clarinte de l’incomparable M.  de Scudéry ; et puis je remplirois de vos louanges un second volume de lettres que je donnerai au public sur la fin de cette campagne ; et enfin je célébrerois si hautement vos vertus, qu’on connoîtroit par toute la France que je serois votre admirateur passionné, quoique n’eusse point sujet d’être,

Madame,
Votre très-humble, etc.,

48. — DE COSTAR À MADAME DE SÉVIGNÉ[188].

Madame,

Que j’aimerai toute ma vie mon sac de poil d’ours, de vous avoir rendu tant de bons services durant la gelée ! 1659 Mais, d’autre côté, j’appréhende dorénavant de le respecter un peu plus qu’il ne me seroit commode, et de n’avoir pas le cœur de mettre les pieds dedans, tant que je m’imaginerai d’y apercevoir les traces des vôtres, si bien faits, si adroits et si savants. Je pense, Madame, que tout ce que je pourrai obtenir sur moi, ce sera d’en faire faire des manchons, et encore je doute fort que j’ose y mettre les mains quand elles seront crasseuses, et que la goutte m’empêchera d’y passer l’éponge. Quoi qu’il en soit, Madame, quand mon sac me seroit devenu absolument inutile, et ne me tiendroit plus lieu que d’un ornement superflu, tant que je me souviendrai de l’aimable cause de ce changement, je n’aurai garde d’avoir regret à une perte si légère.

Je vous remercie très-humblement de vos quatre excellents portraits. Si vous étiez aussi régulière dans vos promesses de compliments, que vous l’êtes dans toutes les autres, je serois assuré que vous me feriez l’honneur de m’aimer un peu, et que vous m’estimeriez infiniment, et qu’ainsi ma fortune seroit faite, au moins en partie, car elle ne le pourroit être entièrement si vous ne retranchiez quelque chose de l’infinité de votre estime, pour en allonger votre affection, et pour la faire d’une raisonnable grandeur. Mais, Madame, il me sera plus aisé de modérer mon ambition, qu’il ne sera de la satisfaire, et dans la foiblesse où vous m’avez vu, il y aura de la prudence de choisir le plus aisé. La peinture de Mlle  de Valois est la plus jolie du monde et la plus galante, et celle d’Iris n’a point reçu de louanges qu’elle ne mérite. Je croirois bien avec vous, Madame, qu’elle a été faite à plaisir ; mais je ne dirai pas comme vous : Car quel moyen d’être si parfaite[189] ? Ce car-là n’est bon que pour ceux qui ne vous virent jamais, qui ne vous ont point ouïe parler, et qui n’ont pas compris la beauté de votre esprit, sa grâce, ses charmes, sa solidité, sa douceur, et mille autres qualités qui se trouvent en vous, et qui ne se trouvent qu’en vous si bien assorties. Je sais, Madame, que vous avez sur les yeux un certain bandeau de modestie qui les empêche de voir en vous les choses comme elles y sont, et j’en suis fâché, car vous n’en êtes que plus humble, et vous en seriez plus heureuse. Souffrez, Madame, que je vous plaigne de la perte que vous y faites, et que n’ayant remarqué en vous que cela seul qui soit digne de faire pitié, je ne perde pas cette occasion de vous témoigner par ma compassion, combien je suis sensible à tout ce qui vous regarde, et par conséquent combien je suis aussi,

Madame,
Votre très-humble, etc.

J’oubliois à vous dire, Madame, que l’inconnu ne vous connoît pas assez. Je ne suis pas trop mal satisfait de ce qu’il dit de votre visage et de votre taille ; mais, bon Dieu ! s’il étoit entré bien avant dans votre âme, il y auroit bien découvert d’autres trésors que ceux dont il parle.


1661

* 49. — DE CHAPELAIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Paris, ce 3e Octobre[190] 1661.

Qu’est-ce donc que cela, ma très-chère ? N’étoit-ce pas assez de ruiner l’État et de rendre le Roi odieux à ses peuples par les charges énormes dont ils étoient accablés, et de tourner toutes ses finances en dépenses impudentes et en acquisitions insolentes qui ne regardoient ni son honneur ni son service, et au contraire qui alloient à se fortifier contre lui, et à lui débaucher ses sujets et ses domestiques ? Falloit-il encore, pour surcroît de dérèglement et de crime, s’ériger un trophée des faveurs ou véritables ou apparentes de la pudeur de tant de femmes de qualité, et tenir un registre honteux de la communication qu’il avoit avec elles, afin que le naufrage de sa fortune emportât avec lui leur réputation[191] ? Est-ce, je ne dis pas être honnête homme, comme ses flatteurs, les Scarron, les Pellisson, les Sapho[192], et toute la canaille intéressée, l’ont tant prôné, mais homme seulement, de ceux qui ont seulement la moindre lumière et qui ne tout pas profession de brutalité ? Je ne me remets point de cette lâcheté si scandaleuse, et je n’en serois guère moins irrité contre ce misérable quand vous ne vous trouveriez point sur ses papiers. Car, comme je l’apprends des mieux informés, vos billets, tout civils qu’ils soient, ne donnent aucun juste sujet de les interpréter à votre désavantage, et ne parlent que de la reconnoissance que vous avez du bien qu’il a procuré à Monsieur votre cousin[193]. J’en avois même juré avant que l’on me l’eût assuré, et pour imprimer fortement l’opinion de votre pureté, qui vous est tant due, j’ai battu la campagne contre mon ordinaire, et au milieu de mes pertes et de mes morts, j’ai couru tous les réduits où l’on a créance en mes paroles, pour y soutenir votre justice et pour éclaircir tout le monde peu charitable de l’occasion si louable qui vous a quelquefois obligée à lui écrire des billets. Je m’y suis signalé, n’en doutez point et en suis toujours sorti à ma gloire et à la vôtre par la force de la vérité et par la vigueur de mes paroles. Ne m’en sachez pas pourtant qu’un gré médiocre. Je n’y ai pas trouvé de résistance et m’a toujours semblé qu’avec moins de chaleur même, j’aurois obtenu ce que je désirois de ceux qui m’écoutoient. Je n’ai pas été le seul à vous rendre ce devoir. Vous n’avez point d’amis qui n’aient combattu pour votre cause, et vous en pouvez vivre et dormir en repos. Je n’ai pas voulu être le premier à vous en parler, et j’ai mieux aimé vous servir que de vous en donner la nouvelle[194].


1661

* 50. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Ce 9e octobre.

J’ai bien de la joie de recevoir de vos lettres, mais je voudrois bien que ce fût pour un sujet moins triste que celui qui vous oblige de me les écrire. Je vous avoue que je suis fort en peine de la santé de notre chère amie[195], et qu’après tant d’autres maux, je ne comprends pas qu’elle ait la force de supporter celui qu’elle a présentement.

Vous me faites espérer pourtant qu’elle en sortira bientôt, et je le crois ; car sans cette espérance (quoi que vous disiez de mon amitié), je vous assure que je ne serois pas consolable. Je vous remercie, mon cher Monsieur, de toutes vos nouvelles ; il y en a deux ou trois dans votre lettre que je ne savois point. Pour celles de M.  Foucquet, je n’entends parler d’autre chose. Je pense que vous savez bien le déplaisir que j’ai eu d’avoir été trouvée dans le nombre de celles qui lui ont écrit. Il est vrai que ce n’étoit ni la galanterie, ni l’intérêt qui m’avoient obligée d’avoir un commerce avec lui : l’on voit clairement que ce n’étoit que pour les affaires[196] de M.  de la Trousse[197] ; mais cela n’empêche pas que je n’aie été fort touchée de voir qu’il les avoit mises dans la cassette de ses poulets, et de me voir nommée parmi celles qui n’ont pas eu des sentiments si purs que moi. Dans cette occasion, j’ai besoin que mes amis instruisent ceux qui ne le sont pas : je vous crois assez généreux pour vouloir bien en dire ce que Mme  de la Fayette vous en apprendra, et j’ai reçu tant d’autres marques de votre amitié que je ne fais nulle façon de vous conjurer de me donner encore celle-ci.

M. de Rabutin Chantal.

Les oncles et ma fille[198] vous font mille civilités : recevez-les, s’il vous plaît.


51. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE[199].

(Aux Rochers) ce 11e octobre.

Il n’y a rien de plus vrai que l’amitié se réchauffe quand on est dans les mêmes intérêts ; vous m’avez écrit si obligeamment là-dessus, que je ne puis y répondre plus juste qu’en vous assurant que j’ai les mêmes sentiments pour vous, que vous avez pour moi, et qu’en un mot, je vous honore, et vous estime d’une façon toute particulière. Mais que dites-vous de tout ce qu’on a trouvé dans ces cassettes[200] ? Eussiez-vous jamais cru que mes pauvres lettres, pleines du mariage de M.  de la Trousse[201] et de toutes les affaires de sa maison, se trouvassent placées si mystérieusement ? Je vous avoue que quelque gloire que je puisse tirer, par ceux qui me feront justice, de n’avoir jamais eu avec lui d’autre commerce que celui-là, je ne laisse pas d’être sensiblement touchée de me voir obligée à me justifier, et peut-être fort inutilement à l’égard de mille personnes, qui ne comprendront jamais cette vérité. Je pense que vous comprenez bien aisément la douleur que cela fait à un cœur comme le mien. Je vous conjure de dire sur cela ce que vous en savez ; je ne puis avoir assez d’amis en cette occasion. J’attends avec impatience Monsieur votre frère[202], pour me consoler un peu avec lui de cette bizarre aventure : cependant je ne laisse pas de souhaiter de tout mon cœur du soulagement aux malheureux, et je vous demande toujours, Monsieur, la continuation de l’honneur de votre amitié.

M. de Rabutin Chantal.

1661

52. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Ce 22e octobre.

Je me doutois quasi bien que vous auriez prévenu ma prière, et qu’il ne falloit rien dire à un ami aussi généreux que vous[203]. Je suis au désespoir qu’au lieu de vous écrire comme je fis, je ne vous envoyai point tout d’un train une lettre de remerciement ; vous la méritiez dès lors, et je suis honteuse d’avoir tant perdu de temps devant que de vous la faire. Je m’en acquitte présentement, et vous supplie de croire que j’ai toute la reconnoissance que je dois de toutes vos bontés. Je vous demande un compliment à Mlle de Scudéry sur le même sujet[204]. Je crois que vous n’aurez pas manqué de faire ceux dont je vous chargeois dans ma dernière. Vous m’avez fait un extrême plaisir de me mander le détail de la grande nouvelle dont il est présentement question[205] ; il n’en falloit pas une moindre pour faire oublier celles que l’on découvroit tous les jours dans les cassettes de M.  le surintendant. Je voudrois de tout mon cœur que cela le fît oublier tout à fait lui-même. Je suis avec sincérité votre très-humble servante,

M. de Rabutin Chantal.

Suscription : Pour M. Ménage.


53. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Je suis fort aise que la reine de Suède ait fait de si bons présents à Mlle  de Scudéry. Je vous prie de lui dire la joie que j’en ai, et si vous pouvez faire savoir à M.  Pellisson[206] la part que je prends à son malheur vous me ferez un extrême plaisir. Rien ne peut l’empêcher d’être toujours un des plus honnêtes hommes du monde, et rien ne peut m’empêcher aussi de l’estimer toujours et de lui être obligée.

Suscription : À Monsieur, Monsieur l’abbé Ménage.


54. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M.  DE POMPONE[207].

Aujourd’hui lundi 17e novembre, M.  Foucquet a été pour la seconde fois sur la sellette. Il s’est assis sans 1664 façon comme l’autre fois[208]. M.  le chancelier[209] a recommencé à lui dire de lever la main : il a répondu qu’il avoit déjà dit les raisons qui l’empêchoient de prêter le serment ; qu’il n’étoit pas nécessaire de les redire. Là-dessus M.  le chancelier s’est jeté dans de grands discours, pour faire voir le pouvoir légitime de la chambre ; que le Roi l’avoit établie, et que les commissions[210] avoient été vérifiées par les compagnies souveraines. M.  Foucquet a répondu que souvent on faisoit des choses par autorité, que quelquefois on ne trouvoit pas justes quand on y avoit fait réflexion. M.  le chancelier a interrompu : « Comment ! vous dites donc que le Roi abuse de sa puissance ? » M.  Foucquet a répondu : « C’est vous qui le dites, Monsieur, et non pas moi : ce n’est point ma pensée, et j’admire qu’en l’état où je suis, vous me vouliez faire une affaire avec le Roi ; mais, Monsieur, vous savez bien vous-même qu’on peut être surpris. Quand vous signez un arrêt, vous le croyez juste ; le lendemain vous le cassez : vous voyez qu’on peut changer d’avis et d’opinion. — Mais cependant, a dit M.  le chancelier, quoique vous ne reconnoissiez pas la chambre, vous lui répondez, vous présentez des requêtes, et vous voilà sur la sellette. — Il est vrai, Monsieur, a-t-il répondu, j’y suis ; mais je n’y suis pas par ma volonté ; on m’y mène ; il y a une puissance à laquelle il faut obéir, et c’est une mortification que Dieu me fait souffrir, et que je reçois de sa main. Peut-être pouvoit-on bien me l’épargner, après les services que j’ai rendus, et les charges que j’ai eu l’honneur d’exercer. » Après cela, M.  le chancelier a continué l’interrogation de la pension des gabelles[211], où M.  Foucquet a très-bien répondu. Les interrogations continueront, et je continuerai à vous les mander fidèlement. Je voudrois seulement savoir si mes lettres vous sont rendues sûrement[212].

Madame votre sœur[213] qui est à nos sœurs du faubourg a signé[214] ; elle voit à cette heure la communauté, et paroît fort contente. Madame votre tante ne paroît pas en colère contre elle. Je ne croyois point que ce fût celle-là qui eût fait le saut ; il y en a encore une autre.

Vous savez sans doute notre déroute de Gigeri[215], et comme ceux qui ont donné les conseils veulent jeter la faute sur ceux qui ont exécuté : on prétend faire le procès à Gadagne pour ne s’être pas bien défendu. Il y a des gens qui en veulent à sa tête : tout le public est persuadé pourtant qu’il ne pouvoit pas faire autrement.

On parle fort ici de M. d’Aleth, qui a excommunié les officiers subalternes du Roi qui ont voulu contraindre les ecclésiastiques de signer. Voilà qui le brouillera avec Monsieur votre père, comme cela le réunira avec le P. Annat[216].

Adieu, je sens que l’envie de causer me prend, je ne veux pas m’y abandonner : il faut que le style des relations soit court.


55. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À M. DE POMPONE.

Mardi au soir[217] (18e novembre).

J’ai reçu votre lettre qui me fait bien voir que je n’oblige pas un ingrat : jamais je n’ai rien vu de si 1664 agréable et de si obligeant. Il faudroit être bien exempte d’amour-propre pour n’être pas sensible à des louanges comme les vôtres. Je vous avoue donc que je suis ravie que vous ayez bonne opinion de mon cœur, et je vous assure de plus, sans vouloir vous rendre douceur pour douceur, que j’ai une estime pour vous infiniment au-dessus des paroles dont on se sert ordinairement pour expliquer ce que l’on pense, et que j’ai une joie et une consolation sensible de vous pouvoir entretenir d’une affaire où nous prenons tous deux tant d’intérêt. Je suis bien aise que notre cher solitaire[218] en ait sa part. Je croyois bien aussi que vous instruisiez votre incomparable voisine[219]. Vous me mandez une agréable nouvelle en m’apprenant que je fais un peu de progrès dans son cœur ; il n’y en a point où je sois plus aise de 1664 m’avancer : quand je veux avoir un moment de joie, je pense à elle, et à son palais enchanté[220]. Mais je reviens à nos affaires ; insensiblement je m’amusois à vous parler des sentiments que j’ai pour vous, et pour votre agréable amie.

Aujourd’hui notre cher ami est encore allé sur la sellette. L’abbé d’Effiat[221] l’a salué en passant. Il lui a dit en lui rendant son salut : « Monsieur, je suis votre très humble serviteur, » avec cette mine riante et fine que nous connoissons. L’abbé d’Effiat en a été si saisi de tendresse, qu’il n’en pouvoit plus.

Aussitôt que M.  Foucquet a été dans la chambre, M.  le chancelier lui a dit de s’asseoir. Il a répondu : « Monsieur, vous prîtes hier avantage de ce que je m’étois assis : vous croyez que c’est reconnoître la chambre. Puisque cela est, je vous supplie de trouver bon que je ne me mette pas sur la sellette. » Sur cela, M.  le chancelier a dit qu’il pouvoit donc se retirer. M.  Foucquet a répondu : « Monsieur, je ne prétends point par là faire un incident nouveau. Je veux seulement, si vous le trouvez bon, faire ma protestation ordinaire, et en prendre acte : après quoi je répondrai. » Il a été fait comme il a souhaité ; il s’est assis, et on a continué la pension des gabelles, où il a parfaitement bien répondu. S’il continue, ses interrogations lui seront bien avantageuses. On parle fort à Paris de son admirable esprit et de sa fermeté. Il a demandé une chose qui me fait frissonner : il conjure une de ses amies de lui faire savoir son arrêt par une certaine voie 1664 enchantée, bon ou mauvais, comme Dieu le lui enverra[222], sans préambule, afin qu’il ait le temps de se préparer à en recevoir la nouvelle par ceux qui viendront lui dire ; ajoutant que pourvu qu’il ait une demi-heure à se préparer, il est capable de recevoir sans émotion tout le pis qu’on lui puisse apprendre. Cet endroit-là me fait pleurer, et je suis assurée qu’il vous serre le cœur.

Mercredi[223].

On n’a point entré aujourd’hui à la chambre, à cause de la maladie de la Reine, qui a été à l’extrémité[224] : elle est un peu mieux. Elle reçut hier au soir Notre-Seigneur comme viatique. Ce fut la plus magnifique et la plus triste chose du monde, de voir le Roi et toute la cour, avec des cierges et mille flambeaux, aller querir et reconduire le saint sacrement. Il fut reçu avec une autre infinité de lumières[225]. La Reine fit un effort pour se soulever, et le reçut avec une dévotion qui fit fondre en larmes tout le monde. Ce n’étoit pas sans peine qu’on l’avoit mise en cet état. Il n’y avoit eu que le Roi capable de lui faire entendre raison ; à tous les autres elle avoit dit qu’elle vouloit bien communier, mais non pas pour mourir : on avoit été deux heures à la résoudre.

L’extrême approbation que l’on donne à tout ce que répond M. Foucquet déplaît infiniment à Petit[226] : il craint qu’il ne gagne des cœurs. On croit même qu’il fera que Puis fera le malade[227] pour interrompre le cours des admirations, et avoir le loisir de prendre un peu haleine des autres mauvais succès. Je suis très-humble servante du cher solitaire, de Madame votre femme[228] et de l’adorable Amalthée[229].


56. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À M. DE POMPONE.

Le jeudi 20e novembre.

M. Foucquet a été interrogé ce matin sur le marc d’or[230] ; il y a très-bien répondu. Plusieurs juges l’ont salué. 1664 M.  le chancelier en a fait reproche, et dit que ce n’étoit point la coutume, et au conseiller breton[231] : « C’est à cause que vous êtes de Bretagne que vous saluez si bas M.  Foucquet. » En repassant par l’Arsenal, à pied pour le promener, il a demandé quels ouvriers il voyoit : on lui a dit que c’étoient des gens qui travailloient à un bassin de fontaine. Il y est allé, et en a dit son avis, et puis s’est tourné en riant vers Artagnan[232], et lui a dit : « N’admirez-vous point de quoi je me mêle ? Mais c’est que j’ai été autrefois assez habile sur ces sortes de choses-là. » Ceux qui aiment M.  Foucquet trouvent cette tranquillité admirable, je suis de ce nombre. Les autres disent que c’est une affectation : voilà le monde. Mme  Foucquet la mère[233] a donné un emplâtre à la Reine, qui l’a guérie de ses convulsions, qui étoient à proprement parler des vapeurs. La plupart, suivant leur désir, se vont imaginant que la Reine prendra cette occasion pour demander au Roi la grâce de ce pauvre prisonnier ; mais pour moi qui entends un peu parler des tendresses de ce pays-là, je n’en crois rien du tout. Ce qui est admirable, c’est le bruit que tout le monde fait de cet emplâtre, disant que c’est une sainte que Mme  Foucquet, et qu’elle peut faire des miracles. 1664


Vendredi 21e novembre.

Aujourd’hui vendredi 21e on a interrogé M.  Foucquet sur les cires et sucres. Il s’est impatienté sur certaines objections qu’on lui faisoit, et qui lui ont paru ridicules. Il l’a un peu trop témoigné, a répondu avec un air et une hauteur qui ont déplu. Il se corrigera, car cette manière n’est pas bonne ; mais en vérité la patience échappe : il me semble que je ferois tout comme lui.

J’ai été à Sainte-Marie[234], où j’ai vu Madame votre tante, qui m’a paru abîmée en Dieu[235] ; elle étoit à la messe comme en extase. Madame votre sœur m’a paru jolie, de beaux yeux, une mine spirituelle. La pauvre enfant s’est évanouie ce matin ; elle est très-incommodée. Sa tante a toujours la même douceur pour elle. Monsieur de Paris[236] lui a donné une certaine manière de contre-lettre qui lui a gagné le cœur : c’est cela qui l’a obligée de signer ce diantre de formulaire[237] : je ne leur ai parlé ni à l’une ni à l’autre ; Monsieur de Paris l’avoit défendu. Mais voici encore une image de la prévention ; nos sœurs de Sainte-Marie m’ont dit : « Enfin Dieu soit loué ! Dieu a touché le 1664 cœur de cette pauvre enfant : elle s’est mise dans le chemin de l’obéissance et du salut. » De là je vais à Port-Royal : j’y trouve un certain grand solitaire[238] que vous connoissez, qui commence par me dire : « Eh bien ! ce pauvre oison a signé ; enfin Dieu l’a abandonnée, elle a fait le saut. » Pour moi, j’ai pensé mourir de rire en faisant réflexion sur ce que fait la préoccupation. Voilà bien le monde en son naturel. Je crois que le milieu de ces extrémités est toujours le meilleur.

Samedi au soir.

M.  Foucquet a entré ce matin à la chambre. On l’a interrogé sur les octrois : il a été très-mal attaqué, et il s’est très-bien défendu. Ce n’est pas, entre nous, que ce ne soit un des endroits de son affaire le plus glissant. Je ne sais quel bon ange l’a averti qu’il avoit été trop fier ; mais il s’en est corrigé aujourd’hui, comme on s’est corrigé aussi de le saluer. On ne rentrera que mercredi à la chambre ; je ne vous écrirai aussi que ce jour-là. Au reste, si vous continuez à me tant plaindre de la peine que je prends de vous écrire, et à me prier de ne point continuer, je croirai que c’est vous qui vous ennuyez de lire mes lettres, et qui vous trouvez fatigué d’y faire réponse, mais sur cela je vous promets encore de faire mes lettres plus courtes, si je puis ; et je vous quitte de la peine de me répondre, quoique j’aime infiniment vos lettres. Après ces déclarations, je ne pense pas que vous espériez d’empêcher le cours de mes gazettes. Quand je songe que je vous fais un peu de plaisir, j’en ai beaucoup. Il se présente si peu d’occasions de témoigner son estime et son amitié, qu’il ne faut pas les perdre quand elles se présentent. Je vous supplie de faire tous mes compliments chez vous et dans votre voisinage. La Reine est bien mieux.


57. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Le lundi 24e novembre.

Si j’en crois mon cœur, c’est moi qui vous suis véritablement obligée de recevoir si bien le soin que je prends de vous instruire. Croyez-vous que je ne trouve point de consolation en vous écrivant ? Je vous assure que j’y en trouve beaucoup, et que je n’ai pas moins de plaisir à vous entretenir que vous en avez à lire mes lettres. Tous les sentiments que vous avez sur ce que je vous mande sont bien naturels ; celui de l’espérance est commun à tout le monde, sans que l’on puisse dire pourquoi ; mais enfin cela soutient le cœur. Je fus dîner à Sainte-Marie de Saint-Antoine[239], il y a deux jours. La mère supérieure me conta en détail quatre visites que Puis[240] lui a faites depuis trois mois, qui m’étonnèrent infiniment. Il lui vint dire que le bienheureux évêque de Genève[241] lui avoit obtenu des grâces si particulières pendant la maladie qu’il eut cet été qu’il ne pouvoit douter de l’obligation qu’il lui avoit ; qu’il la prioit de faire prier pour lui toute la communauté. Il lui donna mille écus pour accomplir son vœu. Il la pria de lui faire voir le cœur du bienheureux. Quand il fut à la grille, il se jeta à genoux, et fut plus d’un quart d’heure fondu en larmes, apostrophant ce cœur, lui demandant une étincelle du feu dont l’amour de Dieu l’avoit consumé. La mère supérieure pleuroit de son côté ; elle lui donna un reliquaire, plein des reliques de ce bienheureux. Il le porte incessamment, et parut pendant ces quatre visites si touché du desir de son salut, si rebuté de la cour, si transporté de l’envie de se convertir, qu’une plus fine que la supérieure y auroit été trompée. Elle lui parla adroitement de l’affaire de M. Foucquet ; il lui répondit, comme un homme qui ne regarderoit que Dieu seul, qu’on ne le connoissoit point, qu’on verroit, et qu’enfin il feroit justice selon Dieu, sans rien considérer que lui.

Je ne fus jamais plus surprise que d’entendre tout ce discours. Si vous me demandez maintenant ce que j’en pense, je vous dirai que je n’en sais rien, que je n’y comprends rien, et que d’un autre côté je ne conçois pas à quoi peut servir cette comédie ; et si ce n’en est point une, comment a-t-il accommodé tous les pas qu’il a faits depuis ce temps-là, avec de si belles paroles ? Voilà de ces choses qu’il faut que le temps explique, car d’elles-mêmes elles sont obscures : cependant n’en parlez point ; car la mère supérieure m’a priée de ne pas faire courir cette petite histoire.

J’ai vu la mère de M.  Foucquet : elle me conta de quelle façon elle avoit fait donner cet emplâtre par Mme de Charost[242] à la Reine. Il est certain que l’effet en fut prodigieux. En moins d’une heure, elle sentit sa tête dégagée, et il se fit une évacuation si extraordinaire, et de quelque chose de si corrompu, et de si propre à la faire mourir la nuit suivante dans son accès, qu’elle-même dit tout haut que c’étoit Mme Foucquet qui l’avoit guérie ; que c’étoit ce qu’elle avoit vidé qui lui avoit donné ces convulsions dont elle avoit pensé mourir la nuit d’auparavant. La Reine mère en fut persuadée, et le dit au Roi, qui ne l’écouta pas. Les médecins, sans qui on avoit mis l’emplâtre, ne dirent point ce qu’ils en pensoient, et firent leur cour aux dépens de la vérité. Le même jour le Roi ne regarda pas ces pauvres femmes qui furent se jeter à ses pieds. Cependant cette vérité est dans le cœur de tout le monde. Voilà encore de ces choses dont il faut attendre la suite.

(Mercredi 26e novembre.)

Ce matin M.  le chancelier a interrogé M.  Foucquet ; mais la manière a été différente : il semble qu’il soit honteux de recevoir tous les jours sa leçon par B***[243] Il a dit au rapporteur[244] de lire l’article sur quoi on vouloit interroger l’accusé ; le rapporteur a lu, et cette lecture a duré si longtemps qu’il étoit dix heures et demie quand on a fini. Il a dit : « Qu’on fasse entrer Foucquet, » et puis il s’est repris : « M.  Foucquet ; » mais il s’est trouvé qu’il n’avoit point dit qu’on le fît venir ; de sorte qu’il étoit encore à la Bastille. On l’est donc allé querir ; il est venu à onze heures. On l’a interrogé sur les octrois : il a fort bien répondu ; pourtant il s’est allé embrouiller sur certaines dates, sur lesquelles on l’auroit fort embarrassé, si on avoit été bien habile et bien éveillé ; mais, au lieu d’être alerte, M.  le chancelier sommeilloit doucement[245]. On se regardoit, et je pense que notre pauvre ami en auroit ri s’il avoit osé. Enfin il s’est remis, et a continué d’interroger ; et M.  Foucquet, quoiqu’il ait trop appuyé sur cet endroit où on le pouvoit pousser, il se trouve pourtant que par l’événement il aura bien dit ; car dans son malheur il a de certains petits bonheurs qui n’appartiennent qu’à lui. Si l’on travaille tous les jours aussi doucement qu’aujourd’hui, le procès durera encore un temps infini.

Je vous écrirai tous les soirs ; mais je n’enverrai ma lettre que le samedi au soir ou le dimanche, qui vous rendra compte du jeudi, vendredi et samedi ; et il faudroit que l’on pût vous en faire tenir encore une le jeudi qui vous apprendroit le lundi, mardi et mercredi ; et ainsi les lettres n’attendroient point longtemps chez vous. Je vous conjure de faire mes compliments à notre cher solitaire et à votre chère moitié[246]. Je ne vous dis rien de votre voisine, ce sera bientôt à moi à vous en mander des nouvelles.


58. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Jeudi 27e novembre.

On a continué aujourd’hui les interrogations sur les octrois. M.  le chancelier avoit bonne intention de pousser M.  Foucquet aux extrémités, et de l’embarrasser ; mais il n’en est pas venu à bout. M.  Foucquet s’est fort bien tiré d’affaire. Il n’est entré qu’à onze heures, parce que M.  le chancelier a fait lire le rapporteur, comme je vous l’ai mandé ; et malgré toute cette belle dévotion[247], il disoit toujours tout le pis contre notre pauvre ami. Le rapporteur prenoit toujours son parti, parce que le chancelier ne parloit que pour un côté. Enfin il a dit : « Voici un endroit sur quoi l’accusé ne pourra pas répondre. » Le rapporteur a dit : « Ah ! monsieur, pour cet endroit-là, voici l’emplâtre qui le guérit, » et a dit une très-forte raison, et puis il a ajouté : « Monsieur, dans la place où je suis, je dirai toujours la vérité, de quelque manière qu’elle se rencontre. » On a souri de l’emplâtre, qui a fait souvenir de celui qui a tant fait de bruit[248]. Sur cela on a fait entrer l’accusé, qui n’a pas été une heure dans la chambre, et en sortant plusieurs ont fait compliment à T***[249] de sa fermeté. 1664

Il faut que je vous conte ce que j’ai fait. Imaginez-vous que des dames m’ont proposé d’aller dans une maison qui regarde droit dans l’Arsenal, pour voir revenir notre pauvre ami. J’étois masquée[250], je l’ai vu venir d’assez loin. M.  d’Artagnan étoit auprès de lui ; cinquante mousquetaires derrière, à trente ou quarante pas. Il paroissoit assez rêveur. Pour moi, quand je l’ai aperçu, les jambes m’ont tremblé, et le cœur m’a battu si fort, que je n’en pouvois plus. En s’approchant de nous pour rentrer dans son trou, M.  d’Artagnan l’a poussé, et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc saluées, et a pris cette mine riante que vous connoissez. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnue ; mais je vous avoue que j’ai été étrangement saisie, quand je l’ai vu rentrer dans cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureuse quand on a le cœur fait comme je l’ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi ; mais je pense que vous n’en êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connois.

J’ai été voir votre chère voisine[251] ; je vous plains autant de ne l’avoir plus, que nous nous trouvons heureux de l’avoir. Nous avons bien parlé de notre cher ami, elle avoit vu Sapho[252], qui lui a redonné du courage. Pour moi j’irai demain en reprendre chez elle ; car de temps en temps je sens que j’ai besoin de réconfort. Ce n’est pas que l’on ne dise mille choses qui doivent donner de l’espérance ; mais, mon Dieu ! j’ai l’imagination si vive que tout ce qui est incertain me fait mourir.

Vendredi 28e novembre.

Dès le matin, on est entré à la chambre. M.  le chancelier a dit qu’il falloit parler des quatre prêts[253] ; sur quoi T*** a dit que c’étoit une affaire de rien, et sur laquelle on ne pouvoit rien reprocher à M.  Foucquet ; qu’il l’avoit dit dès le commencement du procès. On a voulu le contredire : il a prié qu’il pût expliquer la chose comme il la concevoit, et a prié son camarade[254] de l’écouter. On l’a fait, et il a persuadé la compagnie que cet article n’étoit pas considérable. Sur cela on a dit de faire entrer l’accusé : il étoit onze heures. Vous remarquerez qu’il n’est pas plus d’une heure sur la sellette. M.  le chancelier a voulu parler de ces quatre prêts. M.  Foucquet a prié qu’on voulût lui laisser dire ce qu’il n’avoit pu dire la veille sur les octrois ; on l’a écouté, il a dit des merveilles ; et comme le chancelier lui disoit : « Avez-vous eu votre décharge de l’emploi 1664 de cette somme ? » il a dit : « Oui, monsieur, mais ç’a été conjointement avec d’autres affaires, » qu’il a marquées, et qui viendront en leur temps. « Mais, a dit M.  le chancelier, quand vous avez eu vos décharges, vous n’aviez pas encore fait la dépense ? — Il est vrai, a-t-il dit, mais les sommes étoient destinées. — Ce n’est pas assez, a dit M.  le chancelier. — Mais, Monsieur, par exemple, a dit M.  Foucquet, quand je vous donnois vos appointements, quelquefois j’en avois la décharge un mois auparavant ; et comme cette somme étoit destinée, c’étoit comme si elle eût été donnée[255]. » M.  le chancelier a dit : « Il est vrai, je vous en avois l’obligation. » M.  Foucquet a dit que ce n’étoit point pour le lui reprocher, qu’il se trouvoit heureux de le pouvoir servir en ce temps-là ; mais que les exemples lui revenoient selon qu’il en avoit besoin.

On ne rentrera que lundi. Il est certain qu’il semble qu’on veuille tirer l’affaire en longueur. Puis a promis de ne faire parler l’accusé que le moins qu’il pourroit. On trouve qu’il dit trop bien. On voudroit donc l’interroger légèrement, et ne pas aller sur tous les articles. Mais lui, il veut parler sur tout, et ne veut pas qu’on juge son procès sur des chefs sur quoi il n’aura pas dit ses raisons. Puis est toujours en crainte de déplaire à Petit. Il lui fit excuse l’autre jour de ce que M.  Foucquet avoit parlé trop longtemps, mais qu’il n’avoit pas pu l’interrompre[256].

Ch***[257] est derrière le paravent quand on interroge ; il écoute ce que l’on dit, et offre d’aller chez les juges leur rendre compte des raisons qu’il a eues de faire ses conclusions si extrêmes. Tout ce procédé est contre l’ordre, et marque une grande rage contre le pauvre malheureux. Pour moi, je vous avoue que je n’ai plus aucun repos. Adieu, mon pauvre Monsieur, jusques à lundi : je voudrois que vous pussiez connoître les sentiments que j’ai pour vous, vous seriez persuadé de cette amitié que vous dites que vous estimez un peu.


59. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Lundi 1er décembre.

IL y a deux jours que tout le monde croyoit que l’on vouloit tirer l’affaire de M.  Foucquet en longueur ; présentement ce n’est plus la même chose, c’est tout le contraire : on presse extraordinairement les interrogations. Ce matin M.  le chancelier a pris son papier, et a lu, comme une liste, dix chefs d’accusation, sur quoi il ne donnoit pas le loisir de répondre. M.  Foucquet a dit : « Monsieur, je ne prétends point tirer les choses en longueur ; mais je vous supplie de me donner loisir de répondre. Vous m’interrogez, et il semble que vous ne vouliez pas écouter ma réponse ; il m’est important que je parle. Il y a plusieurs articles qu’il faut que j’éclaircisse, et il est juste que je réponde sur tous ceux qui sont dans mon procès. » Il a donc 1664 fallu l’entendre, contre le gré des malintentionnés ; car il est certain qu’ils ne sauroient souffrir qu’il se défende si bien. Il a fort bien répondu sur tous les chefs. On continuera de suite, et la chose ira si vite, que je crois que les interrogations finiront cette semaine.

Je viens de souper à l’hôtel de Nevers ; nous avons bien causé, la maîtresse du logis[258] et moi, sur ce chapitre. Nous sommes dans des inquiétudes qu’il n’y a que vous qui puissiez comprendre ; car pour toute la famille du malheureux, la tranquillité et l’espérance y règnent. On dit que M.  de Nesmond[259] a témoigné en mourant que son plus grand déplaisir étoit de n’avoir pas été d’avis de la récusation de ces deux juges ; que s’il eût été à la fin du procès, il auroit réparé cette faute ; qu’il prioit Dieu qu’il lui pardonnât celle qu’il avoit faite[260].

Je viens de recevoir votre lettre ; elle vaut mieux que tout ce que je puis jamais écrire. Vous mettez ma 1664 modestie à une trop grande épreuve, en me mandant de quelle manière je suis avec vous et avec notre cher solitaire. Il me semble que je le vois et que je l’entends dire ce que vous me mandez. Je suis au désespoir que ce ne soit pas moi qui ait dit la métamorphose de Pierrot[261] en Tartuffe. Cela est si naturellement dit que si j’avois autant d’esprit que vous m’en croyez, je l’aurois trouvé au bout de ma plume.

Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très-vraie, et qui vous divertira. Le Roi se mêle depuis peu de faire des vers ; MM. de Saint-Aignan et Dangeau[262] lui apprennent comme il s’y faut prendre. Il fit l’autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Gramont[263] : « Monsieur le maréchal, je vous prie, lisez ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent. Parce qu’on sait que depuis peu j’aime les vers, on m’en apporte de toutes les façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au Roi ; « Sire, Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses : il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j’aie jamais lu. » Le Roi se mit à rire, et lui dit : « N’est-il pas vrai que celui qui l’a fait est bien fat ? — Sire, il n’y a pas moyen de lui donner un autre nom. — Oh bien ! dit le Roi, je suis ravi que vous m’en ayez parlé si bonnement ; c’est moi qui l’ai fait. — Ah ! Sire, quelle trahison ! Que Votre Majesté me le 1664 rende ; je l’ai lu brusquement. — Non, Monsieur le maréchal : les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. » Le Roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l’on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrois que le Roi en fît là-dessus, et qu’il jugeât par là combien il est loin de connoître jamais la vérité.

Nous sommes sur le point d’en voir une bien cruelle, qui est le rachat de nos rentes sur un pied qui nous envoie droit à l’hôpital. L’émotion est grande, mais la dureté l’est encore plus[264]. Ne trouvez-vous point que c’est entreprendre bien des choses à la fois ? Celle qui me touche le plus n’est pas celle qui me fait perdre une partie de mon bien.


Mardi 2e décembre.

Notre cher et malheureux ami a parlé deux heures ce matin, mais si admirablement bien, que plusieurs n’ont pu s’empêcher de l’admirer. M.  Renard[265] entre autres a dit : « Il faut avouer que cet homme est incomparable ; il n’a jamais si bien parlé dans le parlement[266], il se possède mieux qu’il n’a jamais fait. » C’étoit encore sur les six millions et sur ses dépenses[267]. Il n’y a rien d’admirable 1664 comme tout ce qu’il a dit là-dessus. Je vous écrirai jeudi et vendredi, qui seront les deux derniers jours de l’interrogation, et je continuerai encore jusques au bout.

Dieu veuille que ma dernière lettre vous apprenne la chose du monde que je souhaite le plus ardemment !

Adieu, mon cher Monsieur ; priez notre solitaire de prier Dieu pour notre pauvre ami. Je vous embrasse tous deux de tout mon cœur, et par modestie j’y joins Madame votre femme.


(Mercredi 3e décembre[268].)

M.  Foucquet a parlé aujourd’hui deux heures entières sur les six millions. Il s’est fait donner audience, il a dit des merveilles ; tout le monde en étoit touché, chacun selon son sentiment. Pussort[269]faisoit des mines d’improbation et de négative, qui scandalisoient les gens de bien.

Quand M.  Foucquet a eu cessé de parler, Pussort s’est levé impétueusement, et a dit : « Dieu merci, on ne se plaindra pas qu’on ne l’ait laissé parler tout son soûl. » Que dites-vous de ces belles paroles ? Ne sont-elles pas d’un fort bon juge ? On dit que le chancelier est fort effrayé de l’érésipèle de M.  de Nesmond, qui l’a fait mourir ; il craint que ce ne soit une répétition pour lui. Si cela pouvoit lui donner les sentiments d’un homme qui va paroître devant Dieu, encore seroit-ce quelque chose ; mais il faut craindre qu’on ne dise de lui comme d’Argant : E mori come visse[270].


60. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Jeudi 4e décembre.

Enfin les interrogations sont finies. Ce matin M.  Foucquet est entré dans la chambre ; M.  le chancelier a fait lire le projet[271] tout du long. M.  Foucquet a repris la parole le premier, et a dit : « Monsieur, je crois que vous ne 1664 pouvez tirer autre chose de ce papier, que l’effet qu’il vient de faire, qui est de me donner beaucoup de confusion. » M.  le chancelier a dit : « Cependant vous venez d’entendre, et vous avez pu voir par là que cette grande passion pour l’État, dont vous nous avez parlé tant de fois, n’a pas été si considérable que vous n’ayez pensé à le brouiller d’un bout à l’autre. — Monsieur, a dit M.  Foucquet, ce sont des pensées qui me sont venues dans le fort du désespoir où me jetoit quelquefois M.  le Cardinal, principalement lorsque après avoir plus contribué que personne du monde à son retour en France, je me vis payé d’une si noire ingratitude. J’ai une lettre de lui et une de la Reine mère, qui font foi de ce que je dis ; mais on les a prises dans mes papiers, avec plusieurs autres. Mon malheur est de n’avoir pas brûlé ce misérable papier, qui étoit tellement hors de ma mémoire et de mon esprit, que j’ai été plus de deux ans sans y penser, et sans croire l’avoir. Quoi qu’il en soit, je le désavoue de tout mon cœur, et vous supplie de croire, Monsieur, que ma passion pour la personne et le service du Roi n’en a pas été diminuée. » M.  le chancelier a dit : « Il est bien difficile de le croire, quand on voit une pensée opiniâtrement exprimée en différents temps. » M.  Foucquet a répondu : « Monsieur, dans tous les temps, et même au péril de ma vie, je n’ai jamais abandonné la personne du Roi ; et dans ces temps-là vous étiez, Monsieur, le chef du conseil de ses ennemis, et vos proches donnoient passage à l’armée qui étoit contre lui[272]. »

M.  le chancelier a senti ce coup ; mais notre pauvre ami étoit échauffé, et n’étoit pas tout à fait le maître de son émotion. Ensuite on lui a parlé de ses dépenses ; il a dit : « Monsieur, je m’offre à faire voir que je n’en ai fait aucune que je n’aie pu faire, soit par mes revenus, dont M.  le Cardinal avoit connoissance, soit par mes appointements, soit par le bien de ma femme ; et si je ne pouvois prouver ce que je dis, je consens d’être traité aussi mal qu’on le peut imaginer. » Enfin cette interrogation a duré deux heures, où M.  Foucquet a très-bien dit, mais avec chaleur et colère, parce que la lecture de ce projet l’avoit extraordinairement touché.

Quand il a été parti, M.  le chancelier a dit : « Voici la dernière fois que nous l’interrogerons. » M.  Poncet[273] s’est approché, et lui a dit : « Monsieur, vous ne lui avez point parlé des preuves qu’il y a qu’il a commencé à exécuter le projet. » M.  le chancelier a répondu : « Monsieur, elles ne sont pas assez fortes, il y auroit répondu trop facilement. » Là-dessus Sainte-Hélène et Pussort ont dit : « Tout le monde n’est pas de ce sentiment. » Voilà de quoi rêver et faire des réflexions. À demain le reste.

Vendredi 5e décembre.

On a parlé ce matin des requêtes[274], qui sont de peu d’importance, sinon autant que les gens de bien y voudront avoir égard en jugeant. Voilà qui est donc fait. C’est mardi à M. d’Ormesson à parler ; il doit récapituler toute l’affaire : cela durera encore toute la semaine qui vient, c’est-à-dire qu’entre ci et là ce n’est pas vivre que la vie que nous passerons. Pour moi, je ne suis pas connoissable, et je ne crois pas que je puisse aller jusque-là. M. d’Ormesson m’a priée de ne le plus voir que l’affaire ne soit jugée ; il est dans le conclave, et ne veut plus avoir de commerce avec le monde. Il affecte une grande réserve ; il ne parle point, mais il écoute, et j’ai eu le plaisir, en lui disant adieu, de lui dire tout ce que je pense. Je vous manderai tout ce que j’apprendrai, et Dieu veuille que ma dernière nouvelle soit comme je la desire ! Je vous assure que nous sommes tous à plaindre : j’entends vous et moi, et ceux qui en font leur affaire comme nous. Adieu, mon cher Monsieur, je suis si triste et si accablée ce soir que je n’en puis plus.


61. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Mardi 9e décembre.

Je vous assure que ces jours-ci sont bien longs à passer, et que l’incertitude est une épouvantable chose : c’est un mal que toute la famille du pauvre prisonnier ne connoît point. Je les ai vus, je les ai admirés. Il semble qu’ils n’aient jamais su ni lu ce qui est arrivé dans les temps passés. Ce qui m’étonne encore plus, c’est que Sapho est tout de même, elle dont l’esprit et la pénétration n’a point de bornes. Quand je médite encore là-dessus, je me flatte, et je suis persuadée, ou du moins je 1664 me veux persuader qu’elles en savent plus que moi. D’autre côté, quand je raisonne avec d’autres gens moins prévenus, dont le sens est admirable, je trouve les mesures si justes, que ce sera un vrai miracle si la chose va comme nous la souhaitons. On ne perd jamais que d’une voix, et cette voix fait le tout. Je me souviens de ces récusations[275], dont ces pauvres femmes pensoient être assurées : il est vrai que nous ne les perdîmes que de cinq à dix-sept. Depuis cela, leur assurance m’a donné de la défiance. Cependant, au fond de mon cœur, j’ai un petit brin de confiance. Je ne sais d’où il vient ni où il va, et même il n’est pas assez grand pour faire que je puisse dormir en repos. Je causois hier de toute cette affaire avec Mme  du Plessis[276] ; je ne puis voir ni souffrir que les gens avec qui j’en puis parler, et qui sont dans les mêmes sentiments que moi. Elle espère comme je fais, sans en savoir la raison. « Mais pourquoi espérez-vous ? — Parce que j’espère. » Voilà nos réponses : ne sont-elles pas bien raisonnables ? Je lui disois avec la plus grande vérité du monde que si nous avions un arrêt tel que nous le souhaitons, le comble de ma joie étoit de penser que je vous enverrois un homme à cheval, à toute bride, qui vous apprendroit cette agréable nouvelle, et que le plaisir d’imaginer celui que je vous ferois, rendroit le mien entièrement complet. Elle comprit cela comme moi, et notre imagination nous donna plus d’un quart d’heure de campos.

Cependant je veux rajuster la dernière journée de l’interrogatoire sur le crime d’État. Je vous l’avois mandé 1664 comme on me l’avoit dit[277] ; mais la même personne s’en est mieux souvenue, et me l’a redit ainsi. Tout le monde en a été instruit par plusieurs juges. Après que M.  Foucquet eut dit que le seul effet qu’on pouvoit tirer du projet, c’étoit de lui avoir donné la confusion de l’entendre, M.  le chancelier lui dit : « Vous ne pouvez pas dire que ce ne soit là un crime d’État. » Il répondit : « Je confesse, Monsieur, que c’est une folie et une extravagance, mais non pas un crime d’État. Je supplie ces Messieurs, dit-il se tournant vers les juges, de trouver bon que j’explique ce que c’est qu’un crime d’État : ce n’est pas qu’ils ne soient plus habiles que moi, mais j’ai eu plus de loisir qu’eux pour l’examiner. Un crime d’État, c’est quand on est dans une charge principale, qu’on a le secret du prince, et que tout d’un coup on se met à la tête du conseil de ses ennemis ; qu’on engage toute sa famille dans les mêmes intérêts ; qu’on fait ouvrir les portes des villes dont on est gouverneur à l’armée des ennemis, et qu’on les ferme à son véritable maître ; qu’on porte dans le parti tous les secrets de l’État : voilà, messieurs, ce qui s’appelle un crime d’État. » M.  le chancelier ne savoit où se mettre, et tous les juges avoient fort envie de rire. Voilà au vrai comme la chose se passa. Vous m’avouerez qu’il n’y a rien de plus spirituel, de plus délicat, et même de plus plaisant.

Toute la France a su et admiré cette réponse. Ensuite il se défendit en détail, et dit ce que je vous ai mandé. J’aurois eu sur le cœur que vous n’eussiez point su cet endroit comme il est : notre cher ami y auroit beaucoup perdu. Ce matin, M.  d’Ormesson a commencé à récapituler toute l’affaire ; il a fort bien parlé et fort nettement. Il dira jeudi son avis. Son camarade[278] parlera deux jours : on prétend[279] quelques jours encore pour les autres opinions. Il y a des juges qui prétendent bien s’étendre, de sorte que nous avons encore à languir jusques la semaine qui vient. En vérité, ce n’est pas vivre que d’être en l’état où nous sommes.

Mercredi 10e décembre.

M.  d’Ormesson a continué la récapitulation du procès ; il a fait des merveilles, c’est-à-dire il a parlé avec une netteté, une intelligence et une capacité extraordinaire. Pussort l’a interrompu cinq ou six fois, sans autre dessein que de l’empêcher de si bien dire. Il lui a dit sur un endroit qui lui paroissoit fort pour M.  Foucquet : « Monsieur, nous parlerons après vous, nous parlerons après vous. »


62. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Jeudi 11e décembre.

M. d’Ormesson a continué encore. Quand il est venu sur un certain article du marc d’or, Pussort a dit : « Voilà qui est contre l’accusé. — Il est vrai, a dit M.  d’Ormesson, mais il n’y a pas de preuve. — Quoi ! a dit Pussort, on n’a pas fait interroger ces deux officiers-là ? — Non, a dit M.  d’Ormesson. — Ah ! cela ne se peut pas, a répondu Pussort. — Je n’en trouve rien dans le procès, » a dit M.  d’Orrnesson. Là-dessus Pussort a dit 1664 avec emportement : « Ah ! monsieur, vous deviez le dire plus tôt : voila une lourde faute. » M.  d’Ormesson n’a rien répondu ; mais si Pussort lui eut dit encore un mot, il lui eût répondu : « Monsieur, je suis juge, et non pas dénonciateur. » Ne vous souvient-il point de ce que je vous contai une fois à Fresnes[280] ? Voilà ce que c’est : M.  d’Ormesson n’a point découvert cela que lorsqu’il n’y a plus eu de remède. M.  le chancelier a interrompu plusieurs fois encore M.  d’Ormesson. Il lui a dit qu’il ne falloit point parler du projet[281], et c’est par malice ; car plusieurs jugeront que c’est un grand crime, et le chancelier voudroit bien que M.  d’Ormesson n’en fît point voir les preuves, qui sont ridicules, afin de ne pas affoiblir l’idée qu’on en a voulu donner. Mais M.  d’Ormesson en parlera, puisque c’est un des articles qui composent le procès. Il achèvera demain. Sainte-Hélène parlera samedi. Lundi, les deux rapporteurs diront leur avis, et mardi ils s’assembleront tous dès le matin, et ne se sépareront point qu’après avoir donné un arrêt. Je suis transie quand je pense à ce jour-là. Cependant la famille a de grandes espérances. Foucaut[282] va sollicitant partout, et fait voir un écrit du Roi, où on lui fait dire qu’il trouveroit fort mauvais qu’il y eût des juges qui appuyassent leur avis sur la soustraction des papiers[283] ; que c’est lui qui les a fait prendre ; qu’il n’y en a aucun ; qui serve à la défense de l’accusé ; que ce sont des papiers qui touchent son État, et qu’il le déclare afin qu’on ne pense pas juger là-dessus. Que dites-vous de tout ce beau procédé ? N’êtes-vous point désespéré qu’on fasse entendre les choses de cette façon-là à un prince qui aimeroit la justice et la vérité s’il les connoissoit ? Il disoit l’autre jour à son lever, que Foucquet étoit un homme dangereux : voilà ce qu’on lui met dans la tête. Enfin nos ennemis ne gardent plus aucunes mesures : ils vont présentement à bride abattue ; les menaces, les promesses, tout est en usage. Si nous avons Dieu pour nous, nous serons les plus forts. Vous aurez peut-être encore une de mes lettres, et si nous avons de bonnes nouvelles, je vous les manderai par un homme exprès à toute bride. Je ne saurois dire ce que je ferai si cela n’est pas. Je ne comprends moi-même ce que je deviendrai. Mille baisemains à notre solitaire et à votre chère moitié. Faites bien prier Dieu.

Samedi 13e décembre.

On a voulu, après avoir bien changé et rechangé, que M. d’Ormesson dît son avis aujourd’hui, afin que le dimanche passât par-dessus, et que Sainte-Hélène, recommençant lundi sur nouveaux frais, fît plus d’impression. M. d’Ormesson a donc opiné au bannissement perpétuel et à la confiscation de biens au Roi[284]. M. d’Ormesson a couronné par là sa réputation. L’avis est un peu sévère, mais prions Dieu qu’il soit suivi. Il est toujours beau d’aller le premier à l’assaut.



63. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Mercredi 17e décembre.

Vous languissez, mon pauvre Monsieur, mais nous languissons bien aussi. J’ai été fâchée de vous avoir mandé que l’on auroit mardi un arrêt ; car, n’ayant point eu de mes nouvelles, vous aurez cru que tout est perdu ; cependant nous avons encore toutes nos espérances. Je vous mandai samedi comme M. d’Ormesson avoit rapporté l’affaire et opiné ; mais je ne vous parlai point assez de l’estime extraordinaire qu’il s’est acquise par cette action. J’ai ouï dire à des gens du métier que c’est un chef-d’œuvre que ce qu’il a fait, pour s’être expliqué si nettement, et avoir appuyé son avis sur des raisons si solides et si fortes ; il y mêla de l’éloquence, et même de l’agrément. Enfin jamais homme de sa profession n’a eu une plus belle occasion de se faire paroître, et ne s’en est jamais mieux servi. S’il avoit voulu ouvrir sa porte aux louanges, sa maison n’auroit pas désempli ; mais il a voulu être modeste, il 1664 s’est caché avec soin. Son camarade très-indigne Sainte-Hélène parla lundi et mardi : il reprit toute l’affaire pauvrement et misérablement, lisant ce qu’il disoit, et sans rien augmenter, ni donner un autre tour à l’affaire. Il opina, sans s’appuyer sur rien, que M.  Foucquet auroit la tête tranchée, à cause du crime d’État ; et pour attirer plus de monde à lui, et faire un trait de Normand[285], il dit qu’il falloit croire que le Roi donneroit grâce ; que c’étoit lui seul qui le pouvoit faire. Ce fut hier qu’il fit cette belle action, dont tout le monde fut aussi touché, qu’on avoit été aise de l’avis de M.  d’Ormesson.

Ce matin, Pussort a parlé quatre heures, mais avec tant de véhémence, tant de chaleur, tant d’emportement, tant de rage, que plusieurs des juges en étoient scandalisés, et l’on croit que cette furie peut faire plus de bien que de mal à notre pauvre ami. Il a redoublé de force sur la fin de son avis, et a dit sur ce crime d’État, qu’un certain Espagnol nous devoit faire bien de la honte, qui avoit eu tant d’horreur d’un rebelle, qu’il avoit brûlé sa maison, parce que Charles de Bourbon[286] y avoit passé ; qu’à plus forte raison nous devions avoir en abomination le crime de M.  Foucquet ; que pour le punir il n’y avoit que la corde et les gibets ; mais qu’à cause des charges qu’il avoit possédées, et qu’il avoit plusieurs parents considérables, il se relâchoit à prendre l’avis de M.  de Sainte-Hélène. 1664Que dites-vous de cette modération ? C’est à cause qu’il est oncle de M.  Colbert et qu’il a été récusé, qu’il a voulu en user si honnêtement. Pour moi, je saute aux nues quand je pense à cette infamie. Je ne sais demain si on jugera, ou si l’on traînera l’affaire toute la semaine. Nous avons encore de grandes salves à essuyer ; mais peut-être que quelqu’un reprendra l’avis de ce pauvre M.  d’Ormesson, qui jusqu’ici a été si mal suivi. Mais écoutez, je vous prie, trois ou quatre petites choses qui sont très-véritables, et qui sont assez extraordinaires.

Premièrement, il y a une comète qui paroît depuis quatre jours. Au commencement elle n’a été annoncée que par des femmes, on s’en est moqué ; mais présentement tout le monde l’a vue. M.  d’Artagnan veilla la nuit passée, et la vit fort à son aise. M.  de Neuré[287], grand astrologue, dit qu’elle est d’une grandeur considérable. J’ai vu M.  de Foix[288] qui l’a vue avec trois ou quatre savants[289]. Moi qui vous parle, je fais veiller cette nuit pour la voir aussi : elle paroît sur les trois heures ; je vous en avertis, vous pouvez en avoir le plaisir ou le déplaisir.

Berrier est devenu fou, mais au pied de la lettre, 1664 c’est-à-dire qu’après avoir été saigné excessivement, il ne laisse pas d’être en fureur. Il parle de potence, de roue, il choisit des arbres exprès ; il dit qu’on le veut pendre : il fait un bruit si épouvantable qu’il le faut tenir et lier. Voilà une punition de Dieu assez visible et assez à point nommé[290].

Il y a eu un nommé la Mothe[291] qui a dit, sur le point de recevoir son arrêt, que MM. de Bezemaux[292] et Chamillard et Berrier (on y met Poncet, mais je n’en suis pas si assurée) l’avoient pressé plusieurs fois de parler contre M.  Foucquet et contre de Lorme[293] ; que moyennant cela ils le feroient sauver, et qu’il ne l’a pas voulu, et le déclare avant que d’être jugé. Ill a été condamné aux 1664 galères. Mmes  Foucquet ont obtenu une copie de cette déposition, qu’elles présenteront demain à la chambre. Peut-être qu’on ne la recevra pas, parce qu’on est aux opinions ; mais elles peuvent le dire ; et comme ce bruit est répandu, il doit faire un grand effet dans l’esprit des juges. N’est-il pas vrai que tout ceci est assez extraordinaire ?

Il faut que je vous conte encore une action héroïque de Masnau[294]. Il étoit malade à, mourir, il y a huit jours, d’une colique néphrétique ; il prit plusieurs remèdes, et se fit saigner à minuit. Le lendemain, à sept heures, il se fit traîner à la chambre de justice, il y souffrit des douleurs inconcevables. M.  le chancelier le vit pâlir, il lui dit : « Monsieur, vous n’en pouvez plus, retirez-vous. » Il lui répondit : « Monsieur, il est vrai, mais il faut mourir ici. » M.  le chancelier, le voyant quasi s’évanouir, lui dit, le voyant s’opiniâtrer : « Eh bien, Monsieur, nous vous attendrons. » Sur cela il sortit pour un quart d’heure, et dans ce temps il fit deux pierres d’une grosseur si considérable, qu’en vérité cela pourroit passer pour un miracle, si les hommes étoient dignes que Dieu en voulut faire. Ce bonhomme rentra gai et gaillard, et en vérité chacun fut surpris de cette aventure.

Voilà tout ce que je sais. Tout le monde s’intéresse dans cette grande affaire. On ne parle d’autre chose ; on raisonne, on tire des conséquences, on compte sur ses doigts ; on s’attendrit, on espère, on craint, on peste, on souhaite, on hait, on admire, on est triste, on est accablé : enfin, mon pauvre Monsieur, c’est une chose extraordinaire que l’état où l’on est présentement ; mais c’est une chose divine que la résignation et la fermeté de notre cher malheureux. Il sait tous les jours ce qui se passe, et tous les jours il faudroit faire des volumes à sa louange. Je vous conjure de bien remercier Monsieur votre père de l’aimable petit billet qu’il m’a écrit, et des belles choses qu’il m’a envoyées. Hélas ! je les ai lues, quoique j’aie la tête en quatre. Dites-lui que je suis ravie qu’il m’aime un peu, c’est-à-dire beaucoup, et que pour moi je l’aime encore davantage. J’ai reçu votre dernière lettre. Eh ! mon Dieu, vous me payez au delà de ce que je fais pour vous : je vous dois du reste.


64. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Vendredi 19e décembre.

Voici un jour qui nous donne de grandes espérances ; mais il faut reprendre de plus loin. Je vous ai mandé comme M. Pussort opina mercredi à la mort ; jeudi, Noguez, Gisaucourt, Fériol, Héraut, à la mort encore. Roquesante finit la matinée, et après avoir parlé une heure admirablement bien, il reprit l’avis de M. d’Ormesson. Ce matin nous avons été au-dessus du vent, car deux ou trois incertains ont été fixés, et tout d’un article nous avons eu la Toison[295], Masnau, Verdier, la Baume et Catinat[296], de l’avis de M. d’Ormesson. C’était à Poncet à parler ; mais jugeant que ceux qui restent sont quasi tous à la vie, il n’a pas voulu parler, quoiqu’il ne fût qu’onze heures. On croit que c’est pour consulter ce qu’on veut qu’il dise, et qu’il n’a pas voulu se décrier et aller à la mort sans nécessité. Voilà où nous en sommes, qui est un état si avantageux que la joie n’en est point entière ; car il faut que vous sachiez que M. Colbert est tellement enragé, qu’on attend quelque chose d’atroce et d’injuste qui nous remettra au désespoir. Sans cela, mon pauvre Monsieur, nous aurons le plaisir et la joie de voir notre ami, quoique bien malheureux, au moins avec la vie sauve, qui est une grande affaire. Nous verrons demain ce qui arrivera. Nous en avons sept, ils en ont six. Voici ceux qui restent : le Feron, Moussy, Brillac, Benard[297], Renard, Voisin, Pontchartrain et le chancelier. Il y en a plus qu’il ne nous en faut de bons à ce reste-là.

Samedi 20e décembre.

Louez Dieu, Monsieur, et le remerciez : notre pauvre ami est sauvé. Il a passé de treize à l’avis de M. d’Ormesson, et neuf à celui de Sainte-Hélène. Je suis si aise que je suis hors de moi[298].


1664

65. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Dimanche au soir 21e décembre.

Je mourois de peur qu’un autre que moi vous eût donné le plaisir d’apprendre la bonne nouvelle. Mon courrier n’avoit pas fait une grande diligence ; il avoit dit en partant qu’il n’iroit coucher qu’à Livry. Enfin il est arrivé le premier, à ce qu’il m’a dit. Mon Dieu, que cette nouvelle vous a été sensible et douce, et que les moments qui délivrent tout d’un coup le cœur et l’esprit d’une si terrible peine, font sentir un inconcevable plaisir ! De longtemps je ne serai remise de la joie que j’eus hier ; tout de bon, elle étoit trop complète ; j’avois peine à la soutenir. Le pauvre homme apprit cette bonne nouvelle par l’air[299], peu de moments après, et je ne doute point qu’il ne l’ait sentie dans toute son étendue. Ce matin le Roi a envoyé le chevalier du guet à Mmes Foucquet[300], leur commander de s’en aller toutes deux à Montluçon en Auvergne[301], le marquis et la marquise de Charest à Ancenis, et le jeune Foucquet à Joinville en Champagne. La bonne femme a mandé au Roi qu’elle avoit soixante et douze ans, qu’elle supplioit Sa Majesté de lui donner son dernier fils, pour l’assister sur la fin de sa vie, qui apparemment ne seroit pas longue. Pour le prisonnier, il n’a point encore su son arrêt. On dit que demain on le fait conduire à Pignerol, car le Roi change l’exil en une prison. On lui refuse sa femme, contre toutes les règles. Mais gardez-vous bien de rien rabattre de votre joie pour tout ce procédé : la mienne en est augmentée s’il se peut, et me fait bien mieux voir la grandeur de notre victoire. Je vous manderai fidèlement la suite de cette histoire ; elle est curieuse :

Non da vino in convito
Tanto gioir, qual de’ nemici il lutto
[302].

Voilà ce qui s’est passé aujourd’hui ; à demain le reste.

Lundi au soir.

Ce matin à dix heures on a mené M. Foucquet à la chapelle de la Bastille. Foucaut tenoit son arrêt à la main. Il lui a dit : « Monsieur, il Faut me dire votre nom, afin que je sache à qui je parle. » M. Foucquet a répondu : « Vous savez bien qui je suis, et pour mon nom je ne le dirai non plus ici que je ne l’ai dit à la chambre ; et pour suivre le même ordre, je fais mes protestations contre l’arrêt que vous m’allez lire. » On a écrit ce qu’il disoit, et en même temps Foucaut s’est couvert et a lu l’arrêt. M. Foucquet l’a écouté découvert. Ensuite on a séparé de lui 1664 Pecquet[303] et Lavalée[304], et les cris et les pleurs de ces pauvres gens ont pensé fendre le cœur de ceux qui ne l’ont pas de fer. Ils faisoient un bruit si étrange que M.  d’Artagnan a été contraint de les aller consoler ; car il sembloit que ce fût un arrêt de mort qu’on vînt de lire à leur maître. On les a mis tous deux dans une chambre à la Bastille ; on ne sait ce qu’on en fera.

Cependant M.  Foucquet est allé dans la chambre d’Artagnan. Pendant qu’il y étoit, il a vu par la fenêtre passer M.  d’Ormesson, qui venoit de reprendre quelques papiers qui étoient entre les mains de M.  d’Artagnan. M.  Foucquet l’a apercu ; il l’a salué avec un visage ouvert et plein de joie et de reconnoissance. Il lui a même crié qu’il étoit son très-humble serviteur. M.  d’Ormesson lui a rendu son salut avec une très-grande civilité et s’en est venu, le cœur tout serré, me raconter ce qu’il avoit vu.

À onze heures, il y avoit un carrosse prêt, où M.  Foucquet est entré avec quatre hommes ; M.  d’Artagnan à cheval avec cinquante mousquetaires[305]. Il le conduira juques à Pignerol, où il le laissera en prison sous la conduite 1664 d’un nommé Saint-Mars[306], qui est fort honnête homme, et qui prendra cinquante soldats pour le garder. Je ne sais si on lui a donné un autre valet de chambre. Si vous saviez comme cette cruauté paroît à tout le monde, de lui avoir ôté ces deux hommes, Pecquet et Lavalée : c’est une chose inconcevable ; on en tire même des conséquences fâcheuses, dont Dieu le préservera, comme il a fait jusqu’ici. Il faut mettre sa confiance en lui, et le laisser sous sa protection, qui lui a été si salutaire. On lui refuse toujours sa femme. On a obtenu que la mère n’ira qu’au Parc, chez sa fille, qui en est abbesse[307]. L’écuyer[308] suivra sa belle-sœur ; il a déclaré qu’il n’avoit pas de quoi se nourrir ailleurs. M.  et Mme  de Charost vont toujours à Ancenis. M.  Bailly, avocat général[309], a été chassé pour avoir dit à Gisaucourt, devant le jugement du procès, qu’il devroit bien remettre la compagnie du grand conseil en honneur, et qu’elle seroit bien déshonorée si Chamillard, Pussort et lui alloient le même train. Cela me fâche à cause de vous ; voilà une grande rigueur


Tantæne animis cœlestibus iræ ?[310]


Mais non, ce n’est point de si haut que cela vient. De telles vengeances rudes et basses ne sauroient partir d’un cœur comme celui de notre maître. On se sert de son nom, et on le profane, comme vous voyez. Je vous manderai la suite : il y auroit bien à causer sur tout cela ; mais il est impossible par lettre. Adieu, mon pauvre Monsieur, je ne suis pas si modeste que vous ; et sans me sauver dans foule, je vous assure que je vous aime et vous estime très-fort.

J’ai vu cette nuit la comète : sa queue est d’une fort belle longueur ; j’y mets une partie de mes espérances. Mille baisemains à votre chère femme.


66. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Jeudi au soir (25e décembre[311]).

Enfin la mère, la belle-fille et le frère ont obtenu d’être ensemble : ils s’en vont à Montluçon, au fond de l’Auvergne[312]. La mère avoit permission d’aller au Parc-aux-Dames avec sa fille ; mais sa belle-fille l’entraîne. Pour M. et Mme de Charost, ils sont partis pour Ancenis. Pecquet et Lavalée sont encore à la Bastille. Y a-t-il rien au monde de si horrible que cette injustice ? On a donné un autre valet de chambre au malheureux. M. d’Artagnan est sa seule consolation pendant le voyage. On dit que celui qui le gardera à Pignerol est fort honnête homme. Dieu le veuille ! ou pour mieux dire encore, Dieu le garde ! Il l’a protégé si visiblement, qu’il faut croire qu’il en a un soin particulier. La Forêt[313] l’aborda comme il s’en alloit ; il lui dit : « Je suis ravi de vous voir, je sais votre fidélité et votre affection. Dites à nos femmes qu’elles ne s’abattent point, que j’ai du courage de reste, et que je me porte bien. » En vérité, cela est admirable. Adieu, mon cher Monsieur, soyons comme lui, ayons du courage, et ne nous accoutumons point à la joie que nous donna l’admirable arrêt de samedi.

Mme de Grignan est morte.

Vendredi au soir (26e décembre).

Il semble par vos beaux remerciements que vous me donniez mon congé, mais je ne le prends pas encore. Je prétends vous écrire quand il me plaira, et dès qu’il y aura des vers du Pont-Neuf[314] et autres, je vous les enverrai fort bien. Notre cher ami est par les chemins. Il a couru un bruit ici qu’il étoit bien malade. Tout le monde disoit : « Quoi ! déjà ? » On disoit encore que M. d’Artagnan avoit envoyé demander à la cour ce qu’il feroit de son prisonnier malade, et qu’on lui avoit répondu durement qu’il le menât toujours, en quelque état qu’il fut. Tout cela est faux ; mais on voit par là ce que l’on a dans le cœur, et combien il est dangereux de donner des fondements sur quoi on augmente tout ce qu’on voit. Pecquet et Lavalée sont toujours à la Bastille. En vérité, cette conduite est admirable. On recommence la chambre après les Rois.

Je crois que les pauvres exilées sont arrivées présentement à leur gîte. Quand notre ami sera au sien, je vous le manderai, car il le faut mettre jusqu’à Pignerol, et plût à Dieu que de Pignerol nous le pussions faire revenir où nous voudrions bien[315] ! Et vous, mon pauvre Monsieur, combien durera encore votre exil[316] ? J’y pense bien souvent. Mille baisemains à Monsieur votre père. On m’a dit que Madame votre femme est ici, je l’irai voir. Je soupai hier avec votre amie ; nous parlions de vous aller voir[317].


1664

67. — DE MADAME DE SÉVIGNÉÀ POMPONE[318].

Mardi (30e décembre).

Voilà de quoi vous amuser quelques moments ; assurément vous trouverez quelque chose, de beau et d’agréable à ce que je vous envoie. C’est une vraie charité que de vous divertir tous deux dans votre solitude. Si l’amitié que j’ai pour le père et pour le fils vous étoit un remède contre l’ennui, vous ne seriez pas à plaindre. Je viens d’un lieu où je l’ai renouvelée, ce me semble, en parlant de vous à cinq ou six personnes qui se mêlent comme moi d’être de vos amis et amies. C’est à l’hôtel de Nevers, en un mot. Madame votre femme y étoit ; elle vous mandera les admirables petits comédiens que nous y avons vus. Je crois que notre cher ami est arrivé ; je n’en sais pas de nouvelles certaines. On a su seulement que M. d’Artagnan, continuant ses manières obligeantes, lui a donné toutes les fourrures nécessaires pour passer les montagnes[319] sans incommodité. J’ai su aussi qu’il avoit reçu des lettres du Roi, et qu’il avoit dit à M. Foucquet qu’il falloit se réjouir et avoir toujours bon courage, que tout alloit bien. On espère toujours des adoucissements, je les espère aussi ; l’espérance m’a trop bien servie pour l’abandonner. Ce n’est pas que toutes les fois qu’à nos ballets je regarde notre maître, ces deux vers du Tasse ne me reviennent à la tête :

Goffredo ascolta, e in rigida sembianza
Porge più di timor che di speranza
[320].

Cependant je me garde bien de me décourager : il faut suivre l’exemple de notre pauvre prisonnier ; il est gai et tranquille, soyons-le aussi. J’aurai une sensible joie de vous revoir ici. Je ne crois pas que votre exil puisse encore être long. Assurez bien Monsieur votre père de ma tendresse, voilà comme il faut parler ; et me mandez un peu votre avis des stances[321]. Il y en a qui sont admirées, aussi bien que des couplets.


68. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE[322]

(Fin de 1664 ?)

Voici une stance que nous lisions tantôt, qui revient merveilleusement bien à ce qu’on pourroit dire de l’état où se trouve M. le surintendant :

Il miser che si trova a mal partito,
D’Agramante et dogniun si dolea forte,
Et ricordava lor si com’er’ito
Per quello anello a rischio della morte,

Pazzo, senza iudicio, scimunito,
Poi che i servigi ricordava in corte ;
Non sapea che ’l servir del cortigiano
La sera è grato e la matina e vano
[323].

Suscription : À Monsieur, Monsieur l’abbé Ménage.


1666

* 69. — DE MESDAMES DE LA FAYETTE ET DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

(À Fresnes) 12e mars 1666[324].
DE MADAME DE LA FAYETTE.

Je suis si honteuse de ne vous avoir point écrit depuis que vous êtes parti, que je crois que je n’aurois jamais osé m’y hasarder, sans une belle occasion comme celle-ci, à l’abri des noms[325] qui sont de l’autre côté de cette lettre. J’espère que vous vous apercevrez du mien. Aussi bien il y en a un qui le suit assez Souvent. Mais apparemment, puisqu’il est question de Mlle de Sévigné, vous jugez bien que l’on ne parlera plus de moi, au moins sur ce propos ; car pour ne plus parler de moi, ce n’est pas chose possible à Fresnes et à l’hôtel de Nevers[326]. J’y suis le souffre-douleur, on s’y moque de moi incessamment. Si la douceur de Mme de Coulanges et de Mlle de Sévigné ne me consoloit un peu, je crois que je m’enfuirois dans le Nord[327].

DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

Pour moi, je suis comme Mme de la Fayette : si j’avois encore été longtemps sans vous écrire, je crois que je vous aurois souhaité mort pour être défaite de vous : chi offende non perdona[328], comme vous savez. Cependant c’eût été grand dommage, car j’apprends que Votre Excellence fait autant de merveilles dans le Nord[329] qu’elle se fait aimer quand elle est à Fresnes. Je suis donc fort aise de vous écrire afin de ne vous plus souhaiter tant de mal. Nous sommes tous ici dans une compagnie choisie. Si vous y étiez, il n’y auroit rien à y désirer. J’ai causé ce matin deux heures avec Monsieur votre père[330]. Si vous saviez comme nous nous aimons, vous en seriez jaloux. Adieu, Monsieur l’ambassadeur. Si M. l’évêque de Munster[331] voit cette lettre, je serai bien aise qu’il sache que je vous aime de tout mon cœur.


70. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le reste de la campagne de 1656 et toute la campagne de 1657, je ne trouve point de lettres de la marquise ni de moi, et un peu avant la campagne de 1658, je me brouillai avec elle. J’eus tort dans le sujet de la brouillerie ; mais le ressentiment que j’en eus fut le comble de mon injustice[332]. Je ne saurois jamais assez me condamner en cette rencontre, ni avoir assez de regret d’avoir offensé la plus jolie femme de France, ma proche parente, que j’avois toujours fort aimée, et de l’amitié de laquelle je ne pouvois pas douter. C’est une tache à ma vie, que j’essayai véritablement de laver quand on arrêta le surintendant Foucquet, en prenant hautement à la cour le parti de la marquise contre des gens qui la vouloient confondre avec les maîtresses de ce ministre. Ce ne fut pas seulement la générosité qui m’obligea d’en user ainsi, ce fut encore la justice. Avant que de m’embarquer à la défense de la marquise, je consultai le Tellier, qui seul avoit vu avec le Roi les lettres qui étoient dans la cassette de Foucquet. Il me dit que celles de la marquise étoient des lettres d’une amie, qui avoient bien de l’esprit, et qu’elles avoient bien plus réjoui le Roi que les douceurs fades des autres lettres ; mais que le surintendant avoit mal à propos mêlé l’amitié avec l’amour. La marquise me sut bon gré de l’avoir défendue ; son bon cœur et le sang l’obligèrent de me pardonner, et depuis ce temps-là, qui a été celui de ma disgrâce, elle s’est réchauffée pour moi, et hors quelques éclaircissements, et quelques petits reproches qu’un fâcheux souvenir lui a arrachés, il n’y a point de marques d’amitié que je n’en aie reçues, ni aussi de reconnoissance que je ne lui en aie données, et que je ne lui en donne le reste de ma vie.

Nous recommençâmes notre commerce la première année de mon exil[333], et je lui écrivis cette lettre.

À Forléans, ce 21e novembre 1666.

1666 Je fus hier à Bourbilly[334]. Jamais je n’ai été si surpris, ma belle cousine. Je trouvai cette maison belle, et quand j’en cherchai la raison, après le mépris que j’en avois fait il y a deux ans, il me sembla que cela venoit de votre absence. En effet, vous et Mlle  de Sévigné enlaidissez ce qui vous environne, et vous fîtes ce tour-là, il y a deux ans, à votre maison. Il n’y a rien de si vrai ; et je vous donne avis que si vous la vendez jamais, vous fassiez ce marché par procureur, car votre présence en diminueroit fort le prix.

En arrivant, le soleil, qu’on n’avoit pas vu depuis deux jours, commença de paroître ; et lui et votre fermier firent Fort bien l’honneur de la maison : celui-ci en me faisant une bonne collation, et l’autre en dorant toutes les chambres que les Christophle et les Guy[335] s’étoient contentés de tapisser de leurs armes. J’y étois allé en famille, qui fut aussi satisfaite de cette maison que moi. Les Rabutins vivants, voyant tant d’écussons, s’estimèrent, encore davantage, connoissant par là le cas que les Rabutins morts faisoient de leur maison ; mais l’éclat de rire nous prit à tous, quand nous vîmes le bonhomme Christophle à genoux, qui, après avoir mis ses armes en mille endroits et en mille manières différentes, s’en étoit fait faire un habit. Il est vrai que c’est pousser l’amour de son nom aussi loin qu’il peut aller. Vous croyez bien, ma belle cousine, que Christophle avoit un cachet, et que ses armes étoient sur sa vaisselle, sur les housses de ses chevaux et sur son carrosse. Pour moi, j’en mettrois mes mains dans le feu.


1667

71. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Je fus six mois sans avoir réponse à cette lettre. Enfin je reçus celle-ci le 23e de mai 1667.

À Paris, ce 20e mai 1667.

Je reçus une lettre de vous en Bretagne, mon cher cousin, où vous me parliez de nos Rabutins, et de la beauté de Bourbilly. Mais comme on m’avoit écrit d’ici[336] qu’on vous y attendoit, et que je croyois moi-même y arriver plus tôt, j’ai toujours différé à vous faire réponse jusques à présent que j’ai appris que vous ne viendrez point ici.

Vous savez qu’il n’est plus question que de guerre[337]. Toute la cour est à l’armée, et toute l’armée est à la cour. Paris est un désert, et, désert pour désert, j’aime beaucoup mieux celui de la forêt de Livry[338], où je passerai l’été,

En attendant que nos guerriers
Reviennent couverts de lauriers.

Voilà deux vers. Cependant je ne sais si je les savois déjà, ou si je les viens de faire. Comme la chose n’est pas d’une fort grande conséquence, je reprendrai le fil de ma prose.

J’ai bien senti mon cœur pour vous depuis que j’ai vu tant de gens empressés à commencer, ou à recommencer, un métier que vous avez fait avec tant d’honneur, dans le temps que vous avez pu vous en mêler. C’est une chose douloureuse à un homme de courage, d’être chez soi quand il y a tant de bruit en Flandre. Comme je ne doute point que vous ne sentiez sur cela tout ce qu’un homme d’esprit, et qui a de la valeur, peut sentir, il y a de l’imprudence à moi de repasser sur un endroit si sensible. J’espère que vous me pardonnerez par le grand intérêt que j’y prends.

On dit que vous avez écrit au Roi : envoyez-moi la copie de votre lettre, et me mandez un peu des nouvelles de votre vie, quelles sortes de choses vous peuvent amuser, et si l’ajustement de votre maison[339] n’y contribue pas beaucoup. Pour moi, j’ai passé l’hiver en Bretagne, où j’ai fait planter une infinité de petits arbres, et un labyrinthe, d’où l’on ne sortira pas sans le fil d’Ariane[340]. J’ai encore acheté plusieurs terres, à qui j’ai dit à la manière accoutumée : « Je vous fais parc ; » de sorte que j’ai étendu mes promenoirs, sans qu’il m’en ait coûté beaucoup. Ma fille vous fait mille amitiés. J’en fais autant à toute votre famille.


1667

72. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Aussitôt que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.
À Bussy, ce 23e mai 1667.

Pour vous parler franchement, Madame, j’étois un peu surpris de ne recevoir aucune réponse à la lettre que je vous écrivis il y a plus de six mois, parce que je ne croyois pas qu’il vous fallut deux de mes lettres pour m’en attirer une des vôtres ; mais après les raisons que vous me mandez, je suis content.

On m’écrivit que vous étiez à Paris, aussitôt que vous y fûtes arrivée. Pour moi, je n’irai point cette campagne ; je la vais passer dans mes châteaux, à les embellir et à augmenter mon revenu, que ceux qui se mêloient de mes affaires avoient fort diminué, par les belles mains[341] qu’ils prenoient de mes fermiers. Quoique je n’aie jamais fait jusques ici le métier d’un homme qui fait valoir son bien lui-même, je ne m’en acquitte pas trop mal, et je ne le crois pas si pénible que je me l’étois figuré : je pense que le profit en ôte les épines.

Pour la guerre où vous me souhaitez, je ne suis pas de même sentiment que vous. Je vous rends pourtant mille grâces, ma chère cousine, de la part que vous prenez à ma méchante fortune ; mais je vous en veux consoler, en vous disant les raisons que j’ai d’avoir là-dessus l’esprit en repos. Il faut donc que vous sachiez que, lorsque je fus arrêté[342], j’étois tellement fatigué des injustices qu’on me faisoit depuis huit ou dix ans, que j’étois à tous moments sur le point de me défaire de ma charge. La seule raison qui m’en empêchoit, c’étoit la crainte des reproches qu’on m’auroit pu faire de m’être dégradé moi-même ; mais lorsque j’eus ordre de me démettre, j’en fus ravi, croyant qu’on ne s’en pourroit pas prendre à moi, et qu’on m’en pourroit accuser que la fortune. Si d’un état agréable j’étois passé tout d’un coup à un état malheureux, je sentirois tout ce que vous sentez ; mais on m’a fait avaler huit ans durant tant de couleuvres, dont je ne me vantois pas, que je regardois la fin de ces misères, de quelque façon qu’elle pût arriver, comme je regardois avant cela d’être maréchal de France ; de sorte que j’entends parler aujourd’hui du voyage de Flandre avec la même tranquillité dont j’entendois ces jours passés parler des revues de la plaine d’Ouilles[343]. Ce n’est pas que je n’aie écrit au Roi ; mais j’ai donné cela à M. de Noailles[344], qui m’y avoit engagé, comme vous verrez par la copie de sa lettre que je vous envoie, et non pas à l’envie que j’ai eue de refaire un métier où j’ai reçu tant de dégoûts. Je vous envoie aussi la copie de ma lettre au Roi[345]. Si l’on me donnoit un grand emploi et de quoi le soutenir, je serois ravi de recommencer ; à moins que cela, je serois fort embarrassé si le Roi recevoit mes offres. Ainsi, Madame, cessez de me plaindre sur les chagrins que vous croyez que j’ai. Il y a bien des gens en France qui ont de plus grands plaisirs que moi, mais il n’y en a point au monde qui aient moins de peines. Cependant J’ai autant de courage et d’ambition que j’en ai jamais eu. Il est vrai que je ne suis pas assez fou pour me tourmenter pour des maux inévitables. Après les contrariétés de la fortune, je suis aussi peu fâché de n’être pas maréchal de France, que de n’être pas roi. Un honnête homme fait tout ce qu’il peut pour s’avancer, et se met au-dessus des mauvais succès quand il n’a pas réussi :

Quand on n’a as ce que l’on aime
Il faut aimer ce que l’on a.

Je fais des vers aussi bien que vous, Madame ; mais je suis assuré que je savois les miens, et je crois que vous avez fait les vôtres.

Mlle de Sévigné a raison de me faire des amitiés. Après vous, je n’aime ni n’estime rien tant qu’elle : je suis pour ses intérêts, comme vous êtes pour les miens. Je suis assuré qu’elle n’est pas si mal satisfaite de sa fortune que moi ; et sa vertu lui fait attendre sans impatience un établissement avantageux, que l’estime extraordinaire que j’ai pour elle me persuade être trop lent à venir. Voilà de grandes paroles, Madame ; mais en un mot, je l’aime fort, et je trouve qu’elle devroit plutôt être princesse que Mlle de Brancas[346]. 1667



73. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

À Fresnes, ce ie d’août.

N’en déplaise au service du Roi, je crois, Monsieur l’Ambassadeur[347], que vous seriez tout aussi aise d’être ici avec nous, que d’être à Stockholm à ne regarder le soleil que du coin de l’œil. Il faut que je vous dise comme je suis présentement. J’ai M.  d’Andilly à ma main gauche, c’est-à-dire du côté de mon cœur ; j’ai Mme de la Fayette à ma droite ; Mme du Plessis devant moi, qui s’amuse à barbouiller de petites images[348] ; Mme de Motteville[349] un peu plus loin, qui rêve profondément ; notre oncle de Cessac[350], que je crains parce que je ne le connois guère ; Mme de Caderousse[351] ; sa 1667 sœur[352], qui est un fruit nouveau que vous ne connoissez pas, et Mlle  de Sévigné sur le tout, allant et venant par le cabinet comme de petits frelons. Je suis assurée, Monsieur, que toute cette compagnie vous plairoit fort, et surtout si vous voyiez de quelle manière on se souvient de vous, combien l’on vous aime, et le chagrin que nous commençons d’avoir contre Votre Excellence, ou pour mieux dire contre votre mérite, qui vous tient longtemps à quatre ou cinq cents lieues[353] de nous.

La dernière fois que je vous écrivis, j’avois toute ma tristesse et toute celle de mes amis[354]. Présentement, sans que rien soit changé, nous avons toutes repris courage : ou l’on s’est accoutumé à son malheur, ou l’espérance nous soutient le cœur. Enfin nous revoilà tous ensemble avec assez de joie pour parler avec plaisir des Bayards et des comtesses de Chivergny, et même pour souhaiter encore quelque nouvel enchantement. Mais les magies d’Amalthée[355] ne sont pas encore en train, de sorte que nous remettons l’ouverture du théâtre pour la Saint-Martin[356].

Cependant le Roi s’amuse à prendre la Flandre, et Castel Rodrigue[357] à se retirer de toutes les villes que Sa Majesté veut avoir. Presque tout le monde est en inquiétude ou de son fils, ou de son frère, ou de son mari ; car, malgré toutes nos prospérités, il y a toujours quelque blessé ou quelque tué. Pour moi, qui espère y avoir quelque gendre, je souhaite en général la conservation de toute la chevalerie[358].



* 74. — DE MADEMOISELLE DE SÉVIGNÉ
À L’ABBÉ LE TELLIER[359].

(Paris) 21e octobre 1667.

Vous m’avez menacée d’une si grande hardiesse quand vous auriez passé les monts, que je n’osois l’augmenter par une de mes lettres ; mais je vois bien, Monsieur, que je n’ai rien à craindre que votre oubli ; et c’est la marque d’un si grand mépris après qu’on a promis aux gens de se souvenir d’eux, que j’en suis fort offensée. J’étois déjà préparée à la liberté que vous deviez prendre de m’écrire, et je ne saurois m’accoutumer à celle que vous prenez de m’oublier. Vous voyez que je ne vous la donne pas longtemps. J’ai soin de mes intérêts. Je n’ai pas même voulu les mettre entre les mains de Mme de Coulanges[360]2, pour vous faire ressouvenir de moi. Il m’a paru qu’elle n’étoit pas propre à vous en faire souvenir agréablement. Il ne faut point confondre tant de rares merveilles, et je ne prendrai point de chemins détournés pour me mettre du nombre de vos amies. Je serois honteuse de devoir cet honneur à d’autres qu’à moi. Je vous marque assez l’envie que j’en ai, en faisant un pas comme celui de vous écrire ; s’il ne suffit, et que vous ne m’en trouviez as digne j’en aurai l’affront ; mais aussi ma vanité sera satisfaite si je viens à bout de cette entreprise. Je suis votre servante,

M. de Sévigné.

Ma mère est votre très-humble servante[361].


1668

* 75. — DU DUC DE SAINT-AIGNAN
À MADEMOISELLE DE SCUDÉRY[362].

Du 6e (avril).

Je ne sais, Mademoiselle, de quelle manière je dois répondre à votre obligeante lettre, après avoir même demeuré assez longtemps sans y avoir répondu. Sera-ce en vous rendant mille très-humbles grâces de l’utilité de l’avis qu’il vous a plu de me donner ? sera-ce de votre admirable quatrain dont toute la cour est charmée ? En vérité je crois que je ne dirai rien de tout cela, et que je ne vous parlerai que de la belle Lionne, mais si peu apprivoisee, a qui l’on a dedié la fable du Lion amoureux. Puisque quand on la voit on ne sauroit regarder autre chose, croyez-vous que quand on s’en entretient on puisse aisément changer de discours ? À propos de cette belle Lionne, puisque lionne y a, je vous en veux faire une petite histoire. J’étois l’autre jour dans votre cabinet, et quoiqu’on ne puisse vous y voir trop tôt, ni vous y attendre avec trop d’impatience, Je faillis à vous vouloir mal lorsque vous me détournâtes de la contemplation du beau portrait que vous en avez. Je sais bien que l’aventure du lion ne lui est point arrivée, qu’elle a de belles et bonnes dents, et sais mieux encore que mon respect me mettra toujours à couvert de ses ongles. Mais, Mademoiselle, à quoi vous jouez-vous de me louer ? Vous prenez quelque intérêt en ma gloire, et vous m’allez rendre si vain que je ne serai plus digne de votre estime. Connoissez un peu mieux, malgré votre modestie, ce que c’est d’être loué par l’illustre Sapho, de qui l’approbation peut faire l’estime et la félicité de tous ceux qu’il lui plaira ; et croyez que personne n’y est plus sensible ni ne la reçoit avec plus de respect et n’en est pourtant moins digne qu’Artaban[363].


* 76. — DU DUC DE SAINT-AIGNAN
À MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

Du 19e avril 1668.

Ce n’est rien, Mademoiselle, d’être sorti de dessous ce monceau de buffles[364], de pistolets, de bottes et de baudriers, qui marquaient tant la guerre à la veille de la trêve et peut-être de la paix[365]; je suis retombe de fièvre en chaud mal ; de plus savants diroient de Scylle en Charibde : enfin, ce que je veux dire, et que je ne dis point trop bien, c’est qu’après la troupe, j’ai fait l’équipage de mon fils[366] ; que la batterie de cuisine est une autre chose que celle des canons ; que l’amour a son brandon, son bandeau, son arc, son carquois et ses flèches ; que Mars a son dard, son bouclier, son casque et son cimeterre ; mais que Comus a ses pots, ses plats et ses bouteilles. Il faut de tout à un guerrier, et pendant qu’on songe a l’équiper, on peut oublier Jusques à l’illustre Sapho et Jusques à la belle Lionne. Mais à propos de la belle Lionne, celui qui vient d’imposer aux lions un joug qu’ils ont voulu éviter[367], en parla, il n’y a que peu de jours, d’une manière fort agréable pour moi et fort glorieuse pour elle. Cet éloge fut public, et ni elle ni nous ne le demandons pas particulier[368]. La seule vérité le tira de sa bouche, et la seule vérité le tire de ma plume. Pour vous, généreuse Sapho, vous savez combien de pouvoir vous avez sur Artaban : il ne tiendra qu’à vous que vous n’en ayez des marques dans toutes les occasions où il vous plaira de l’employer.


1668

77. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Je ne reçus point de lettres de la marquise, que l’année d’après, au mois de juin.

À Paris, ce 6e juin 1668.

Je vous ai écrit la dernière, pourquoi ne m’avez-vous point fait de réponse ? Je l’attendois, et j’ai compris à la fin que le proverbe italien disoit vrai : Chi offende, non perdona[369].

Cependant je reviens la première, parce que je suis de bon naturel, et que cela même fait que je vous aime, et que j’ai toujours eu une pente et une inclination pour vous qui m’a mise à deux doigts d’être ridicule à l’égard de ceux qui savoient mieux que moi comme j’étois avec vous.

Mme  d’Epoisse[370] m’a dit qu’il vous étoit tombé une corniche sur la tête, qui vous avoit extrêmement blessé.

Si vous vous portiez bien, et que l’on osât dire de méchantes plaisanteries, je vous dirois que ce ne sont pas des diminutifs qui font du mal à la tête de la plupart des maris : ils vous trouveroient bien heureux de n’être offensé que par des corniches. Mais je ne veux point dire de sottises ; je veux savoir auparavant comment vous vous portez, et vous assurer que par la même raison qui me rendoit foible quand vous aviez été saigné, j’ai senti de la douleur de celle que vous avez eue à la tête. Je ne pense pas qu’on puisse porter plus loin la force du sang.

Ma fille a pensé être mariée[371]. Cela s’est rompu, je ne sais pourquoi. Elle vous baise les mains, et moi à toute votre famille[372].


78. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain du jour que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce 9e juin 1668.

La dernière lettre que vous m’avez écrite avant celle que je reçus hier de vous, ma belle cousine, étoit du 20e mai de l’année passée, à quoi je répondis sur-le-champ, du 23e mai : est-ce que vous n’avez pas reçu ma réponse ? car personne n’est plus ponctuel avec tout le monde que moi, et surtout avec vous, à qui j’aime à écrire, et je réponds aujourd’hui à votre lettre du 6e de ce mois, dans laquelle vous ne sauriez pas vous empêcher de m’agacer sans sujet.

Pourquoi me dire que je ne vous pardonne point l’offense que je vous ai faite, puisque je vous en ai demandé mille fois pardon, et que vous m’avez promis autant de fois 1668de n’y plus songer [373] ? Je comptois, sur votre parole, tout cela comme non avenu, et si je m’en souvenois quelquefois, ce n’étoit que pour m’obliger à raccommoder le passé par plus de tendresse pour vous. Cependant il semble que de temps en temps vous vous repentiez de m’avoir pardonné. Tout ce que je puis croire en votre faveur, ma chère cousine, c’est que ces changements-là sont étrangers en vous, et que la douceur et l’amitié pour moi y est naturelle. Vous n’avez pas la force de résister à la mode : je n’y suis pas aujourd’hui ; si j’y reviens jamais, je crois que vous vous ferez bien moins de violence pour battre des mains quand on dira du bien de moi, que vous ne vous en faites quand on vous en dit du mal. Vous voyez par là que je crois, ce que vous me mandez, que vous avez de la pente à m’aimer ; mais je ne demeure pas d’accord qu’elle vous ait mise à deux doigts d’être ridicule. Quoi qu’il se fût passé entre nous, nous étions raccommodés. Après cela, étant si proches que nous sommes, il étoit naturel que vous parussiez de mes amies, et je suis même persuadé que lorsque je fus arrêté il eût été honnête et généreux à vous de prendre mon parti envers et contre tous, quand même vous ne m’auriez pas pardonné avant que j’entrasse à la Bastille. Au moins en usai-je ainsi pour vous quand le surintendant Foucquet fut arrêté. Véritablement vous n’étiez pas en prison, mais vous étiez en Bretagne. Nous étions brouillés ; je pouvois, sans passer pour emporté, mêler mon prétendu ressentiment avec le déchaînement de vos envieux ; je ne sais pas même si vous ne vous y attendiez point. Cependant je fis le contraire, et bien loin de craindre d’en être ridicule, je me trouvai le cœur bien fait en cette rencontre.

Cela vous soit dit sans aigreur, et sans reproches, ma belle cousine ; car je vous ai presque toujours aimée, quoi que vous aient dit ceux que vous me mandez qui savoient mieux que vous comment vous étiez avec moi. Si je ne vous avois pas aimée avant notre brouillerie, et même depuis notre réconciliation, je n’en aurois fait confidence qu’à une certaine personne que vous savez[374]. Cependant, hormis la conjoncture où je crus avoir sujet de me plaindre de vous, je ne lui en ai jamais parlé que comme de la plus jolie femme de France, ce qu’elle ne trouvoit nullement bon, et qu’elle vouloit toujours détruire par mille particularités que je vous dirai un jour : de sorte que tout ce que je pouvois faire, c’étoit de lui cacher ce que je pensois d’avantageux de vous ; mais je n’en disois point de mal ;

Et retenu par mon respect extrême,
Ma bouche au moins ne fit point de blasphème.

Vous comprenez bien, ma belle cousine, les raisons qu’on avoit de craindre que je ne vous trouvasses trop aimable ; et si vous voulez savoir celles qu’on auroit maintenant de me brouiller avec vous, c’est que, craignant peut-être quelques petits reproches de ma part (qu’on sent bien qu’on mérite, et qui pourroient faire du bruit), on seroit bien aise de m’attirer des ennemis, et de mettre les choses en état que les rieurs ne fussent pas de mon côté. Mais on a grand tort de m’appréhender : ma colère feroit trop d’honneur, et je suis trop glorieux pour me plaindre.

Au reste, Madame, je ne sais d’où est tenue à la marquise d’Époisse la nouvelle de ma blessure.

À Bussy, d’où je n’ai bougé,
Pour vous dire la chose en homme véritable,
Il ne m’est, sur mon Dieu, rien du tout arrivé,

de sorte que, quand vous avez eu de la douleur elle venoit d’autre chose que de la force du sang. Je vois bien qu’il y a un peu d’altération dans notre sympathie, ou du moins qu’elle n’a lieu que dans les saignèes. Si elle avoit été aussi loin que vous dites, ma belle cousine, elle auroit été jusqu’à votre cœur ; mais à moi n’appartenoit pas tant de braverie[375].

J’aurois ri de la turlupinade quand j’aurois eu la tête cassée ; vous jugez bien qu’en l’état où je suis, je n’ai pas été plus sérieux.

J’attends ici un de ces maris dont la tête n’est pas incommodée des corniches : ce qu’il y porte va dans le superlatif. Je voudrois bien vous faire connoître le personnage sans vous le nommer.

Il n’est pas si beau qu’Astolphe ni que Joconde[376] ; mais, en rècompense, il est quatre fois plus malheureux. Ne le connoissez-vous pas à cela ?

C’est un mari tout à fait insensible. Il ne ressemble pas le pauvre Sganarelle qui étoit un mari très-marri[377]. 1668 On ne comprend pas celui-ci, car enfin, quoiqu’il porte des cornes sur la tête, il les tient fort au-dessous de lui.

Si vous n’y êtes pas encore, vous n’en êtes pas loin. Attendez.

C’est un mari gros et gras et bien nourri.

Y êtes-vous ?

C’est un mari dont le malheur m’est particulièrement connu[378].

Oh ! pour celui-là vous y êtes. Je défie Beaubrun[379] de le peindre plus au naturels[380].

Je ne sais si j’oserois vous parler du mariage de Mlle  de Sévigné, si près du chapitre des corniches. Oui, cela ne tire pas à conséquence, et puis vous lui choisirez un honnête homme ; autrement, vous savez bien la prédiction que j’ai faite.

J’ai ouï parler du mari qu’elle a failli d’épouser[381]. Je ne sais pas, s’il l’eût épousée, s’il eût été quelque jour très-marri[382] ; mais je sais bien que, dans les commencements, il eût été très-aise. Je suis ma foi le serviteur de la belle, et je l’aime fort ; mais pourtant bien moins que vous[383].


79. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Cinq semaines après que j’eus écrit cette lettre à la marquise, je lui écrivis encore celle-ci.

À Bussy, le 17e juillet 1668.

Je ne vous entretiendrai pas longtemps aujourd’hui, ma belle cousine, parce que j’ai été saigné ; mais je n’ai que faire de vous le dire, vous le savez bien[384]. Mais je ne sais si vous savez aussi qu’on m’a tiré du sang de poulet : il est vrai que j’en avois tant que j’en étouffois. Si j’étois à Paris on ne me saigneroit pas si souvent : c’est un air qui dissipe beaucoup d’esprits.

Mais j’oublie de vous parler du sujet de ma lettre : C’est une recommandation que je vous demande à M. Didé, conseiller au grand conseil, pour une affaire que j’ai à son rapport. Je ne doute pas que vous ne le connoissiez, ou quelqu’un qui le connoisse, car il est Breton. De la manière dont j’ai ouï parler de lui, je n’appréhende pas que d’être exilé lui fasse trouver ma cause moins bonne. Si je n’avois été saigné, je lui écrirois ; et si je pouvois aller à Paris, j’irois lui rendre mes devoirs : il n’y a que le Roi au monde qui m’en pût empêcher.

Adieu, ma chère cousine ; je suis ma foi bien à vous et à la plus jolie fille de France ; je n’ai que faire après cela de vous prier de faire mon compliment à Mademoiselle de Sévigné.


80. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Douze jours après que j’eus écrit cette lettre, je reçus celle-ci de la marquise, qui répondoit à mes deux dernières.

À Paris, ce 26e juillet 1668.

Je veux commencer à répondre en deux mots à votre lettre du 9e de ce mois, et puis notre procès sera fini.

Vous m’attaquez doucement, Monsieur le Comte, et me reprochez finement que je ne fais pas grand cas des malheureux ; mais qu’en récompense je battrai des mains pour votre retour ; en un mot, que je hurle avec les loups, et que je suis d’assez bonne compagnie pour ne pas dédire ceux qui blâment les absents.

Je vois bien que vous êtes mal instruit des nouvelles de ce pays-ci. Mon cousin, apprenez donc de moi que ce n’est pas la mode de m’accuser de foiblesse pour mes amis. J’en ai beaucoup d’autres, comme dit Mme de Bouillon[385] mais je n’ai pas celle-là. Cette pensée n’est que dans votre tête, et j’ai fait ici mes preuves de générosité sur le sujet des disgraciés[386], qui m’ont mise en honneur dans beaucoup de bons lieux, que je vous dirois bien si je voulois. Je ne crois donc pas mériter ce reproche, et il faut que vous rayiez cet article sur le mémoire de mes défauts. Mais venons à vous.

Nous sommes proches, et de même sang ; nous nous plaisons, nous nous aimons, nous prenons intérêt dans nos fortunes. Vous me parlez de vous avancer de l’argent sur les dix mille écus que vous aviez à toucher dans la succession de M. de Chalon[387]. Vous dites que je vous l’ai refusé, et moi, je dis que je vous l’ai prêté ; car vous savez fort bien, et notre ami Corbinelli en est témoin, que mon cœur le voulut d’abord, et que lorsque nous cherchions quelques formalités pour avoir le consentement de Neuchèse[388], afin d’entrer en votre place pour être payé, l’impatience vous prit ; et m’étant trouvée par malheur assez imparfaite de corps et d’esprit pour vous donner sujet de faire un fort joli portrait de moi, vous le fîtes, et vous préférâtes à notre ancienne amitié, à votre nom, et à la justice même, le plaisir d’être loué de votre ouvrage. Vous savez qu’une dame de vos amies[389] vous obligea généreusement de le brûler ; elle crut que vous l’aviez fait, je le crus aussi ; et quelque temps après, ayant su que vous aviez fait des merveilles sur le sujet de M. Foucquet et le mien[390], cette conduite acheva de me faire revenir. Je me raccommodai avec vous à mon retour de Bretagne ; mais avec quelle sincérité ! vous le savez. Vous savez encore notre voyage de Bourgogne, et avec quelle franchise je vous redonnai toute la part que vous aviez jamais eue dans mon amitié. Je reviens entêtée de votre société. Il y eut des gens qui me dirent en ce temps-là : « J’ai vu votre portrait entre les mains de Mme de la Baume[391], je l’ai vu. » Je ne réponds que par un sourire dédaigneux, ayant pitié de ceux qui s’amusoient à croire à leurs yeux. « Je l’ai vu, » me dit-on encore au bout de huit jours ; et moi de sourire encore. Je le redis en riant à Corbinelli ; je repris[392] le même sourire moqueur qui m’avoit déjà servi en deux occasions, et je demeurai cinq ou six mois de cette sorte, faisant pitié à ceux dont je m’étois moquée. Enfin le jour malheureux arriva, où je vis moi-même, et de mes propres yeux bigarrés[393], ce que je n’avois pas voulu croire. Si les cornes me fussent venues à la tête, j’aurois été bien moins étonnée. Je le lus, et je le relus, ce cruel portrait ; je l’aurois trouvé très-joli s’il eût été d’une autre que de moi, et d’un autre que de vous. Je le trouvai même si bien enchâssé, et tenant si bien sa place dans le livre, que je n’eus pas la consolation de me pouvoir flatter qu’il fût d’un autre que de vous. Je le reconnus à plusieurs choses que j’en avois ouï dire, plutôt qu’à la peinture de mes sentiments, que je méconnus entièrement. Enfin je vous vis au Palais-Royal, où je vous dis que ce livre couroit. Vous voulûtes me conter qu’il falloit qu’on eût fait ce portrait de mémoire, et qu’on l’avoit mis là. Je ne vous crus point du tout. Je me ressouvins alors des avis qu’on m’avoit donnés, et dont je m’étois moquée. Je trouvai que la place où étoit ce portrait étoit si juste, que l’amour paternelle vous avoit empêché de vouloir défigurer cet ouvrage, en l’ôtant d’un lieu où il tenoit si bien son coin. Je vis que vous vous étiez moqué et de Mme de Montglas, et de moi ; que j’avois été votre dupe, que vous aviez abusé de ma simplicité, et que vous aviez eu sujet de me trouver bien innocente, en voyant le retour de mon cœur pour vous, et sachant que le vôtre me trahissoit : vous savez la suite.

Être dans les mains de tout le monde ; se trouver imprimée ; être le livre de divertissement de toutes les provinces, où ces choses-là font un tort irréparable ; se rencontrer dans les bibliothèques, et recevoir cette douleur, par qui ? Je ne veux point vous étaler davantage toutes mes raisons : vous avez bien de l’esprit, je suis assurée que si vous voulez faire un quart d’heure de réflexions, vous les verrez, et vous les sentirez comme moi. Cependant que fais-je quand vous êtes arrêté ? Avec la douleur dans l’âme, je vous fais faire des compliments, je plains votre malheur, j’en parle même dans le monde, et je dis assez librement mon avis sur le procédé de Mme de la Baume pour en être brouillée avec elle. Vous sortez de prison, je vous vais voir plusieurs fois ; je vous dis adieu quand je partis pour Bretagne ; je vous ai écrit, depuis que vous êtes chez vous, d’un style assez libre et sans rancune ; et enfin je vous écris encore quand Mme d’Époisse me dit que vous vous êtes cassé la tête[394].

Voilà ce que je voulois vous dire une fois en ma vie, en vous conjurant d’ôter de votre esprit que ce soit moi qui ait tort. Gardez ma lettre, et la relisez, si jamais la fantaisie vous prenoit de le croire, et soyez juste là-dessus, comme si vous jugiez d’une chose qui se fût passée entre deux autres personnes. Que votre intérêt ne vous fasse point voir ce qui n’est pas ; avouez que vous avez cruellement offensé l’amitié qui étoit entre nous, et je suis désarmée. Mais de croire que si vous répondez, je puisse jamais me taire, vous auriez tort ; car ce m’est une chose impossible. Je verbaliserai toujours : au lieu d’écrire en deux mots, comme je vous l’avois promis, j’écrirai en deux mille ; et enfin j’en ferai tant, par des lettres d’une longueur cruelle, et d’un ennui mortel, que je vous obligerai malgré vous à me demander pardon, c’est-à-dire à me demander la vie. Faites-le donc de bonne grâce.

Au reste, j’ai senti votre saignée. N’étoit-ce pas le 17e de ce mois ? Justement : elle me fit tous les biens du monde, et je vous en remercie. Je suis si difficile à saigner, que c’est charité à vous de donner votre bras au lieu du mien[395].

Pour cette sollicitation, envoyez-moi votre homme d’affaires avec un placet, et je le ferai donner par une amie de ce M. Didé (car pour moi, je ne le connois point), et j’irai même avec cette amie. Vous pouvez vous assurer que si je pouvois vous rendre service, je le ferois, et de bon cœur, et de bonne grâce. Je ne vous dis point l’intérêt extrême que j’ai toujours pris à votre fortune : vous croiriez que ce seroit le Rabutinage qui en seroit la cause ; mais non, c’étoit vous. C’est vous encore qui m’avez causé des afflictions tristes et amères en voyant ces trois nouveaux maréchaux de France[396]. Mme  de Villars, qu’on alloit voir, me mettoit devant les yeux les visites qu’on m’auroit rendues en pareille occasion, si vous aviez voulu.

La plus jolie fille de France vous fait des compliments. Ce nom me paroît assez agréable ; je suis pourtant lasse d’en faire les honneurs[397].


81. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le même jour que je reçus cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce 29e juillet 1668.

Je ne croyois pas, Madame, avoir jamais lieu de vous parler de nos démêlés, après ce que je vous en écrivis dernièrement ; mais puisque vous jugez à propos d’éclaircir cette affaire, et de la traiter à fond, je m’en vais vous dire tout ce que j’en pense, avec cette sincérité dont vous m’avez reproché quelquefois que je traitois trop franchement les choses qui me regardoient, et avec la protestation que quoiqu’il vous paroisse que je croie que 1668 vous avez eu plus de tort en de certaines rencontres que vous ne pensez, il ne m’en reste rien sur le cœur contre vous, et qu’au contraire j’en ai si mal usé à votre égard, que vous me faites trop de grâce de me pardonner, et de ne laisser pas de me promettre votre amitié. Ceci n’est donc pas pour me justifier tout à fait, mais seulement pour vous faire voir que je n’ai pas tant de tort que vous croyez.

Je demeure d’accord avec vous, ma belle cousine, que votre premier mouvement fut de m’assister, lorsque notre ami Corbinelli vous en alla prier de ma part ; et je ne doute pas que si vous n’eussiez consulté que votre cœur, je n’eusse reçu le secours que je vous demandois ; mais vous prîtes conseil de gens qui ne m’aimoient pas tant que vous faisiez, qui vous portèrent à prolonger les affaires par des formalités inutiles ; car je sais aussi bien que M.  Auzanet[398], que vous n’aviez pas besoin du consentement de M.  de Neuchèse, et qu’avec la cession que je vous eusse faite, il eût bien fallu qu’il vous eût payée, comme il me paya l’hiver d’après ; mais enfin, en une autre rencontre, j’aurois eu patience et j’aurois donné à votre conseil tout le temps qu’il eût souhaité. Ce qui me fit croire qu’on ne cherchoit qu’un prétexte à m’éconduire, ce fut que la campagne étant commencée par le siège de Dunkerque, vos gens d’affaires parloient d’envoyer en Bourgogne, et d’en avoir réponse, et cela sans nécessité ; et ce qui vous peut faire voir que j’avois raison de m’impatienter, c’est que j’arrivai à l’armée la veille de la bataille[399]. Je partis donc de Paris avec le déplaisir de 1668 voir que la seule personne de mon sang que j’aimois au monde, m’abandonnât dans une affaire d’honneur ou elle ne couroit aucun hasard ; et je vis le lendemain du combat qu’il n’avoit pas tenu à cette cousine qui m’avoit été jusque-là si chère, que je j’eusse eu le chagrin de ne m’y pas trouver. Je vous avoue que j’eus pour vous alors autant de haine que j’avois eu d’amitié (vous savez bien que cela est toujours ainsi) ; et si j’en fusse demeuré là, vous ne vous fussiez jamais lavée de la tache d’avoir abandonné votre parent et votre ami au besoin. Mais le procédé que j’eus dans la suite effaça bien votre faute, et vous déchargeant du blâme que vous méritiez, je m’en chargeai tout seul, et je vous rendis par la sans y penser le meilleur office du monde.

Je passe donc condamnation sur le portrait, Madame, et personne ne m’en sauroit blâmer plus que je fais moi-même ; mais il faut que je vous apprenne là-dessus quelque chose que vous ne savez pas. Cette amie si généreuse que vous dites qui m’obligea de brûler ce portrait, vous obligea à bon marché. Premièrement, après avoir goûté le plaisir de l’entendre lire (je ne dis pas plaisir à cause de lui, mais plaisir à cause de vous), elle me pria de le déchirer, ce que je fis en mille pièces devant elle. À la vérité, je ne fus pas sorti de sa chambre, que son mari, qui étoit présent à la rupture, ramassa jusques aux moindres morceaux, et les rajusta si bien qu’il le copia, et me le montra trois jours après. Je vous avoue que l’envie de le ravoir me prit, et que me trouvant quelque temps après en commerce d’amitié avec Mme  de la Baume, elle eut de moi cette ridicule pièce, qu’elle rendit publique comme vous savez.

Je ne vous dis point ce que je fis sur votre sujet, après la prison du surintendant Foucquet : vous ne l’ignorez pas, et vous en avez plus de reconnoissance que l’action ne 1668 mérite ; mais la vérité est que depuis ce temps-là jusques à ma prison, je vous ai aimée de tout mon cœur, et qu’il n’y avoit qu’une passion plus forte que la tendresse que je sentois pour vous.

Lorsque vous me dîtes, un peu avant que je fusse arrêté, que ce portrait couroit dans le monde, il ne me souvient pas bien de ce que je vous répondis pour m’excuser ; mais ce que je sais, c’est que j’en eus une douleur mortelle, et que je fis pour étouffer cela dans sa naissance tout ce qu’humainement on peut faire ; et pour vous, soit que vous me fissiez justice en croyant bien que j’en étois au désespoir moi-même, et que je ne vous avois fait le mal que vous ressentiez alors que dans le temps que j’étois brouillé avec vous, soit que vous eussiez trop de répugnance à me haïr, après quelques petits reproches moins aigres qu’obligeants, vous me pardonnâtes, et je fus arrêté peu de jours après.

Vous me mandez que vous me fîtes faire des compliments, que vous plaignîtes mon malheur, que vous en parlâtes dans le monde, et que vous en fûtes brouillée avec Mme  de la Baume. Si vos compliments fussent venus jusqu’à moi, je vous en aurois su bon gré, et j’aurois cru facilement tout le reste ; mais bien loin de cela, il me revint de plusieurs endroits que vous vous plaigniez de moi ; et ce qui me le persuada encore plus, c’est que toutes mes amies, hormis vous, me vinrent voir sur le fossé aux fenêtres de la Bastille. Cependant la première visite que je reçus chez Dalancé[400], ce fut la vôtre. Je vous 1668 avoue qu’elle me fit plaisir, quoique je ne m’y attendisse pas. Il me sembla que je ne la méritois non plus que la dureté que vous m’aviez témoignée pendant ma prison ; mais enfin je revins de bonne foi pour vous, et il me parut que nous étions bien ensemble quand nous nous quittâmes a Paris. Aussitôt que je fus chez moi, je vous écrivis une lettre, ou je badinois avec vous, et où vous pûtes voir bien de la tendresse ; vous fûtes sept ou huit mois sans me faire réponse[401], et par là je crus que vous ne vous souciiez pas trop d avoir commerce avec moi. Je suis assez glorieux naturellement, et dans la conjoncture présente quatre fois plus que si j’étois ce que je devrois être ; de sorte que je rengainai les amitiés que je voulois vous faire tant que j’eusse été absent. Mme  d’Époisse vous dit que j’étois blessé à la tête, et sur cela vous me faites un compliment. Vous savez combien agréablement je le recus et avec quelle douceur je répondis à la petite attaque que vous me donniez, en me disant que je vous haïssois parce que je vous avois offensée. Sur cela vous me faites une espèce d’éclaircissement, par lequel vous prétendez que j’ai tout le tort, et que vous n’en avez point du tout ; et moi je vous réponds aujourd’hui que nous en avons tous deux : que cependant j’en ai bien plus que vous et que c’est pour cela que je vous en demande mille pardons.

Au reste, ma chère cousine, ne pensez pas que la peur de vos procès-verbaux m’oblige de vous crier merci : je suis plus en état de vous faire craindre sur cela que vous moi ; je n’ai rien à faire, et pour une lettre que vous 1668 m’écririez, je vous en écrirois quatre. Mais je vous avoue que j’ai mille fois plus de tort que vous, parce que ma représaille a été plus forte que l’offense que vous m’aviez faite, et que je ne devois pas m’emporter si fort contre une jolie femme comme vous, ma proche parente, et que j’avois toujours bien aimée. Pardonnez-moi donc, ma belle cousine, et oublions le passé au point de ne nous en ressouvenir jamais. Quand je serai persuadé de votre bonne foi dans votre retour pour moi, je vous aimerai mille fois plus que je n’ai jamais fait ; car après avoir bien ce qu’on appelle tourné et viré, je vous trouve la plus agréable femme de France.

Je mande à un gentilhomme qui vous rendra celle-ci de vous donner un placet pour M.  Didé.

Mais vous ne me répondez rien sur la plaisanterie des corniches : cependant vous n’êtes pas personne à vous laisser donner votre reste sur ces matières-là. Est-ce que vous êtes fatiguée de la longueur de votre lettre ? ou si vous ne voulez pas traiter avec moi ce chapitre, craignant ma rechute, et qu’après cela je ne vous fasse une affaire ? Ne vous contraignez pas une autre fois, ma chère cousine : vous pouvez surement vous ouvrir à moi sur ce sujet, sans appréhender ni que je retombe, ni que je vous trahisse si j’étois assez maudit pour retomber. Au reste, Madame, je vous suis trop obligé de la peine que vous ont donnée pour moi les réflexions que vous avez faites sur ces nouveaux maréchaux ; mais il faut que je vous console une fois pour toutes sur ces matières, en vous disant que moi qui suis l’intéressé, et qui ne suis ni fou, ni insensible, je regarde cela avec un mépris digne d’un galant homme persécuté. Si on ne donnoit ces honneurs-là qu’à des gens qui eussent autant servi que moi, et je puis dire aussi utilement pour l’État, et aussi glorieusement pour leur réputation, je serois chagrin de la 1668 préférence de mes rivaux ; mais quand je verrai faire trois maréchaux de France à la fois, qui n’ont jamais fait une action d’éclat à la guerre, à deux desquels il est arrivé des malheurs sur la réputation[402], et tous trop jeunes pour une dignité comme celle-là (à moins que d’avoir fait des actions extraordinaires) ; quand je verrai, dis-je, des caprices de la fortune aussi ridicules que celui-là, bien loin de m’affliger, je me réjouirai de ce qu’une pareille promotion honore ma disgrâce ; et voilà les sentiments que doivent avoir mes amis en de pareilles rencontres.

Voulez-vous savoir, ma belle cousine, la raison qui a fait ces messieurs-là maréchaux de France ? Elle est assez plaisante.

D’ordinaire les gens qui sont en passe de s’élever à de grandes dignités sont tellement tourmentés et traversés par les envieux, que souvent on les fait échouer. Pour ceux-ci, ils étoient si peu en passe d’être maréchaux, que l’envie ne daignoit songer à eux ; et ainsi le Roi prenant tout d’un coup cette pensée en leur faveur, personne n’a eu le loisir de traverser leur élévation, et de faire connoître à Sa Majesté leur peu de mérite.

Vous me mandez que si j’avois voulu, on vous auroit fait les mêmes honneurs qu’à Mme de Villars. Vous croyez donc, Madame, que sans ma disgrâce, c’est-à-dire si je n’avois été arrêté, j’aurois été maréchal de France ? Je crois que non, moi. J’étois il y a longtemps dans une disgrâce sourde, inconnue au public, mais qui m’eût empêché de m’avancer à moins que d’un changement dans le ministère, et je n’étois pas assez jeune pour espérer de voir ce changement.

Mais je m’étonne que vous regardiez Mme de Villars au-dessus de vous, parce qu’elle est tante de Bellefonds qu’on vient de faire maréchal[403]. J’ai peur que l’éclat de cette nouvelle fortune ne vous éblouisse, parce que vous la regardez de près ; mais croyez-moi, ma belle cousine, moi qui la regarde d’un peu loin, et qui dès là en juge plus sainement, ce n’est pas ce que vous pensez. On peut bien donner un rang dans le monde à Charles Gigault au-dessus de Roger de Rabutin ; mais il changera fort, ou il marchera toujours bien après lui dans l’estime des honnêtes gens.

La plus jolie fille de France sait bien ce que je lui suis ; il me tarde autant qu’à vous qu’un autre vous aide à en faire les honneurs. C’est sur son sujet où je reconnois bien la bizarrerie du destin, aussi bien que sur mes affaires.


82. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 14e août 1668.

J’ai reçu votre dernière lettre, j’y ferai réponse l’un de ces jours ; j’ai bien des choses à y répondre. Bon Dieu, quelles apostilles n’y ferai-je point ! mais je n’ai pas le loisir aujourd’hui.

Je donnerai votre placet quand on me l’apportera.

[404]. Il met en ordre tous les titres de la noblesse de Champagne ; les Coligny, les Étauges[405] et plusieurs autres ont paru à l’envi. Il en est à nos Rabutins[406] ; il me paroît de conséquence qu’ils aient de quoi se parer aussi bien que les autres. M. de Caumartin[407] a dit qu’il étoit persuadé qu’il y avoit des titres pour deux noblesses. Cette exagération prétendue m’a paru une médisance. Il me semble que nous avons de quoi faire quatre ou cinq gentilshommes les uns sur les autres. Je vous prie, mon cher cousin, de m’envoyer les copies de tout ce que vous avez ; et pour qu’elles soient plus authentiques, faites-les copier par-devant l’intendant de votre province : ne manquez pas à cela, il y va de l’honneur de notre maison. On ne peut pas être plus vive sur cela que je le suis. Adieu : faites réponse à ceci, je vous écrirai plus à loisir.



1668

83. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Trois Jours après que j’eus reçu cette lettre de la marquise, j’y fis cette réponse.

À Bussy, le 19e août 1668.

J’ai beaucoup d’impatience, Madame, de recevoir le commentaire que vous me voulez envoyer de la dernière lettre que je vous ai écrite.

Cependant, pour répondre à l’envie que vous avez de voir ce que j’ai de titres de notre maison, je vous envoie d’abord quatre chartes que M. du Bouchet[408] m’a données, qui parlent de loin.

Je vous envoie encore la droite ligne de notre maison, ainsi que je l’ai fait peindre sur la frise d’une de mes galeries de Bussy, en dedans la cour. Je vous aime et je vous estime encore plus que je ne faisois d’être un peu entêtée de cela.

Je ferai collationner par un notaire ce que je vous enverrai. Pour l’intendant Bouchu[409], je n’ai point de commerce avec lui.


84. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 28e août 1668.

Encore un petit mot, et puis plus : c’est pour commencer une manière de duplique[410] à votre réplique.

Où diantre vouliez-vous que je trouvasse douze ou quinze mille francs ? Les avois-je dans ma cassette ? Les trouve-t-on dans la bourse de ses amis ? Ne m’allez point dire qu’ils étoient dans celle du surintendant : je n’y ai jamais rien voulu chercher ni trouver ; et à moins donc que l’abbé de Coulanges ne m’eût cautionnée, je n’aurois pas trouvé un quart d’écu, et lui ne le vouloit pas sans cette sûreté de Bourgogne, ou nécessaire ou inutile : tant y a qu’il la vouloit ; et pour moi, je fus au désespoir de n’avoir pu vous faire ce plaisir. Mais enfin voilà ce chien de portrait fait et parfait. La joie d’avoir si bien réussi, et d’être approuvé, vous fit trouver que j’avois tous les torts du monde, et vous les augmentâtes beaucoup par l’envie de vous ôter tous les remords. Mme de Montglas vous oblige donc de le rompre, et puis son mari rejoint tous les morceaux ensemble, et il le ressuscite. Quelle niaiserie me contez-vous là ? Est-ce lui qui est cause que vous le placez dans un des principaux endroits de votre histoire ? Eh bien, s’il vous l’avoit rendu, vous n’aviez qu’à le remettre dans votre cassette, et ne le point mettre en œuvre comme vous avez fait : il n’auroit pas été entre les mains de Mme de la Baume, ni traduit en toutes les langues. Ne me dites point que c’est la faute d’un autre, cela n’est point vrai, c’est la vôtre purement ; c’est sur cela que je vous donnerois un beau soufflet, si j’avois l’honneur d’être auprès de vous, et que vous me vinssiez conter ces lanternes. C’est ma grande douleur : c’est de m’être remise avec vous de bonne foi, pendant que vous m’aviez livrée entre les mains des brigands, c’est-à-dire de Mme  de la Baume ; et vous savez bien même qu’après notre paix vous eûtes besoin d’argent ; je vous donnai une procuration pour en emprunter, et n’en ayant pu trouver, je vous fis prêter sur mon billet deux cents pistoles de M. le Maigre[411], que vous lui avez bien rendues. Quant à ce que vous dites, que d’abord que j’eus vu mon portrait, je vous revis, et ne parus point en colère, ne vous y trompez pas, Monsieur le Comte, j’étois outrée ; j’en passois les nuits entières sans dormir. Il est vrai que, soit que je vous visse accablé d’affaires plus importantes que celles-là, soit que j’espérasse que la chose ne deviendroit pas publique, je n’éclatai point en reproches contre vous. Mais quand je me vis donnée au public, et répandue dans les provinces, je vous avoue que je fus au désespoir, et que ne vous voyant plus pour réveiller mes foiblesses, et mes anciennes tendresses pour vous, je m’abandonnai à une sécheresse de cœur qui ne me permit pas de faire autre chose pendant votre prison que ce que je fis : je trouvois encore que c’étoit beaucoup. Quand vous sortîtes, vous me l’envoyâtes dire avec confiance ; cela me toucha : bon sang ne peut mentir ; le temps avoit un peu adouci ma première douleur ; vous savez le reste. Je ne vous dis point maintenant comment vous êtes avec moi ; le monde me jetteroit des pierres, si je faisois de plus grandes démonstrations. Je voudrois qu’à cela près vous fussiez en état par votre présence de me redonner encore la qualité de votre dupe. Mais sans pousser cet endroit plus loin, je vous dirai pour la dernière fois que je ne vous donne pour pénitence, c’est-à-dire pour supplice, que de méditer sur toute l’amitié que j’ai toujours eue pour vous, sur mon innocence à l’égard de cette première offense prétendue, sur toute ma confiance après notre raccommodement, qui me faisoit rire de ceux qui me donnoient de bons avis, et sur les crapauds et les couleuvres que vous nourrissiez contre moi pendant ce temps-là, et qui sont écloses heureusement par Mme  de la Baume. Basta[412], je finis ici le procès.

Pour la plaisanterie des corniches, je n’y veux pas entrer. Je crois qu’on me doit être obligé de cette retenue, et encore plus de vouloir bien traiter de diminutif une chose qui pourroit l’être de superlatif.

J’ai reçu ce que vous m’avez envoyé touchant notre maison ; je suis entêtée de cette folie. M. de Caumartin est très-curieux de ces recherches. Il y a plaisir en ces occasions de ne rien oublier, elles ne se rencontrent pas tous les jours. M. l’abbé de Coulanges verra M. du Bouchet, et moi j’écrirai aux Rabutins de Champagne, afin de rassembler tous nos papiers. Écrivez-lui aussi qu’il m’envoie l’inventaire de ce qu’il a ; mon oncle l’abbé en a aussi quelques-uns. Il y a plaisir d’étaler une bonne chevalerie, quand on y est obligé.

La[413] plus jolie fille de France est plus digne que jamais de votre estime, et de votre amitié ; elle vous fait des compliments. Sa destinée est si difficile à comprendre que pour moi je m’y perds.

Je crois que vous ne savez pas que mon fils[414] est allé en Candie avec M. de Roannès[415] et le comte de Saint-Paul[416]. Cette fantaisie lui est entrée fortement dans la tête. Il l’a dit à M. de Turenne, au cardinal cle Retz, à M. de la Rochefoucauld[417] : voyez quels personnages. Tous ces messieurs l’ont tellement approuvé, que la chose a été résolue et répandue avant que j’en susse rien. Enfin il est parti : j’en ai pleuré amèrement, j’en suis sensiblement affligée ; je n’aurai pas un moment de repos pendant tout ce voyage. J’en vois tous les périls, j’en suis morte ; mais enfin je n’en ai pas été la maîtresse ; et dans ces occasions-là les mères n’ont as beaucoup de voix au chapitre. Adieu, Comte, je suis lasse d’écrire, et non pas de lire tous les endroits tendres et obligeants que vous avez semés dans votre lettre : rien n’est perdu avec moi.


1668

85. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain du jour que je reçus cette lettre de la marquise, j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce dernier août 1668.

On ne peut pas être moins capable de la triplique[418] que je le suis, ma belle cousine : pourquoi m’y voulez-vous obliger ? Je me suis rendu dans la réplique que je vous ai faite ; je vous ai demandé la vie, vous me voulez tuer à terre, cela est un peu inhumain. Je ne pensois pas que vous vous mêlassiez, vous autres belles, d’avoir de la cruauté sur d’autres chapitres que sur celui de l’amour. Cessez donc, petite brutale, de vouloir souffleter un homme qui se jette à vos pieds, qui vous avoue sa faute, et qui vous prie de la lui pardonner. Si vous n’êtes pas encore contente des termes dont me sers en cette rencontre, envoyez-moi un modèle de la satisfaction que vous souhaitez, et je vous la renverrai écrite et signée de ma main, contre-signée d’un secrétaire, et scellée du sceau de mes armes. Que vous faut-il davantage ?

Vous ne voulez point, dites-vous, entrer dans les plaisanteries des corniches. Il est vrai que vous en parlez avec bien de la réserve. Eh bon Dieu, qu’en diriez-vous donc si vous étiez aussi mal satisfaite de la dame que moi ? Mais ne craignez-vous point que je lui fasse voir un jour quels égards vous avez pour elle ? car enfin que ne fait-on, et que ne doit-on pas faire pour rattraper un cœur aussi honnête que celui que j’ai perdu ?

Tremblez, Philis, et prenez garde à vous.

Quoique la fortune soit bien folle, je ne pense pas qu’elle le soit assez pour pousser son injustice jusqu’au bout contre la plus jolie fille de France. Donnez-vous un peu de patience, ma belle cousine, et vous découvrirez peut-être les raisons qu’elle a eues de faire ce qu’elle a fait.

Adieu, ma chère cousine. La fin de votre lettre m’attendrit furieusement pour vous, et je vous dirai sur cela en deux mots que je n’aime ni n’estime au monde personne tant que vous.


86. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 4e septembre 1668[419].

Levez-vous, Comte, je ne veux point vous tuer à terre ; ou reprenez votre épée pour recommencer notre combat. Mais il vaut mieux que je vous donne la vie, et que nous vivions en paix. Vous avouerez seulement la chose comme elle s’est passée : c’est tout ce que je veux. Voilà un procédé assez honnête : vous ne me pouvez plus appeler justement une petite brutale.

Je ne trouve pas que vous ayez conservé une grande tendresse pour la belle qui vous captivoit autrefois. Il en faut revenir à ce que vous avez dit :

À la cour,
Quand on a perdu l’estime,
On perd l’amour.

M. de Montausier[420] vient d’être fait gouverneur de Monsieur le Dauphin :

Je t’ai comblé de biens, je t’en veux accabler[421].

Adieu, Comte. Présentement que je vous ai battu, je dirai partout que vous êtes le plus brave homme de France, et je conterai notre combat le jour que je parlerai des combats singuliers.

Ma fille vous fait ses compliments. L’opinion que vous avez de sa fortune nous console un peu.


87. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Aussitôt que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Chaseu, ce 7e septembre 1668[422].

Rien n’est plus généreux que l’action que vous venez de faire, Madame. Oui, je la dirai partout ; mais je ne comprends pas que vous parliez si bien d’un procédé[423]. Pour moi, Je crois que vous avez eu quelque affaire en Bretagne, qui vous a appris cette langue. Ne trouvez-vous pas que c’est grand dommage que nous avons été brouillés quelque temps ensemble, et que cependant il se soit perdu des folies que nous aurions relevées, et qui nous auroient réjouis ? car bien que nous ne soyons pas demeurés muets chacun de notre côté il me semble que nous nous faisons valoir l’un l’autre, et que nous nous entredisons des choses que nous ne disons pas ailleurs.

Il n’est pas difficile de savoir mes sentiments sur le sujet de feu mon Iris : je ne cache guère ni mon amour ni ma haine ; mais il faudroit se parler pour tout dire : ce sera un jour la matière de quelques-unes de nos conversations, qui ne sera pas la moins agréables[424].

Je suis fort aise que M. de Montausier soit gouverneur de Monsieur le Dauphin ; il n’y a que moi en France que j’aimasse mieux en cette place que lui. Il est vrai qu’il semble que le Roi s’excite tous les jours à faire des grâces à cette maison.

Je suis tellement persuadé que Mlle de Sévigné sera bien et bientôt mariée, que cette opinion a de l’air d’un pressentiment. Vous m’en direz des nouvelles avant qu’il soit un an. Je suis son très-humble admirateur.


1668

88. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 4e décembre 1668[425].

N’avez-vous pas reçu ma lettre où je vous donnois la vie, et ne voulois pas vous tuer à terre ? J’attendois une réponse sur cette belle action ; mais vous n’y avez pas pensé ; vous vous êtes contenté de vous relever, et de reprendre votre épée comme je vous l’ordonnois. J’espère que ce ne sera pas pour vous en servir jamais contre moi.

Il faut que je vous apprenne une nouvelle qui sans doute vous donnera de la joie ; c’est qu’enfin la plus jolie fille de France épouse, non pas le plus joli garçon, mais un des plus honnêtes hommes du royaume : c’est M. de Grignan, que vous connoissez il y a longtemps[426]. Toutes ses femmes sont mortes pour faire place à votre cousine, et même son père et son fils, par une bonté extraordinaire[427], de sorte qu’étant plus riche qu’il n’a jamais été, et se trouvant d’ailleurs, et par sa naissance, et par ses établissements, et par ses bonnes qualités, tel que nous le pouvons souhaiter, nous ne le marchandons point, comme on a accoutumé de faire : nous nous en fions bien aux deux familles qui ont passé devant nous[428]. Il paroît fort content de notre alliance, et aussitôt que nous aurons des nouvelles de l’archevêque d’Arles[429] son oncle, son 1668 autre oncle l’évêque d’Uzès[430] étant ici, ce sera une affaire qui s’achèvera avant la fin de l’année. Comme je suis une dame assez régulière, je n’ai pas voulu manquer à vous en demander votre avis, et votre approbation. Le public paroit content, c’est beaucoup : car on est si sot que c’est quasi sur cela qu’on se règle[431].

Mais[432] voici encore un autre article sur quoi je veux que vous me contentiez, s’il vous reste un brin d’amitié pour moi. Je sais que vous avez mis au bas du portrait que vous avez de moi, que j’ai été mariée à un gentilhomme breton, honoré des alliances de Vassé[433] et de Rabutin. Cela n’est pas juste, mon cher cousin. Je suis depuis peu si bien instruite de la maison de Sévigné, que j’aurois sur ma conscience de vous laisser dans cette erreur. Il a fallu montrer notre noblesse en Bretagne, et ceux qui en ont le plus ont pris plaisir de se servir de cette occasion pour étaler leur marchandise. Voici la nôtre :

Quatorze contrats de mariage de père en fils ; trois cent cinquante ans de chevalerie ; les pères quelquefois considérables dans les guerres de Bretagne, et bien marqués dans l’histoire ; quelquefois retirés chez eux comme des Bretons ; quelquefois de grands biens, quelquefois de médiocres ; mais toujours de bonnes et de grandes alliances. Celles de trois cent cinquante ans, au bout desquels on ne voit que des noms de baptême, sont du Quelnec, Montmorency, Baraton et Châteaugiron. Ces noms sont grands ; ces femmes avoient pour maris des Rohan et des Clisson. Depuis ces quatre, ce sont des Guesclin, des Coetquen, des Rosmadec, des Clindon, des Sévigné de leur même maison ; des du Bellay, des Rieux, des Bodegal, des Plessis Ireul, et d’autres qui ne me reviennent pas présentement, jusqu’à Vassé et jusqu’à Rabutin. Tout cela est vrai, il faut m’en croire[434]… Je vous conjure donc, mon cousin, si vous me voulez obliger, de changer votre écriteau, et si vous n’y voulez point mettre de bien, n’y mettez point de rabaissement. J’attends cette marque de votre justice, et du reste d’amitié que vous avez pour moi.

Adieu, mon cher cousin, donnez-moi promptement de vos nouvelles, et que notre amitié soit désormais sans nuages[435].


89. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Aussitôt que j’eus reçu cette lettre de la marquise, j’y fis cette réponse.

À Chaseu, ce 8e décembre 1668.

J’ai reçu la lettre où vous me mandiez que vous ne me vouliez pas tuer à terre, ma belle cousine, et j’y ai répondu[436].

Vous avez raison de croire que la nouvelle du mariage de Mlle de Sévigné me donnera de la joie. L’aimant et l’estimant comme je fais, peu de choses m’en peuvent donner davantage, et d’autant plus que M. de Grignan est un homme de qualité et de mérite, et qu’il a une charge considérable[437]. Il n’y a qu’une chose qui me fait peur pour la plus jolie fille de France : c’est que Grignan, qui n’est pas vieux[438], est déjà à sa troisième femme : il en use presque autant que d’habits[439], ou du moins que de carrosses. À cela près, je trouve ma cousine bien heureuse ; mais pour lui il ne manque rien à sa bonne Fortune. Au reste, Madame, je vous suis trop obligé des égards que vous avez pour moi en cette rencontre. Mlle de Sévigné ne pouvoit épouser personne à qui je donnasse de meilleur cœur mon approbation.

Pour[440] l’autre article de votre lettre, où vous me mandez que vous savez que j’ai fait mettre au bas du portrait que j’ai de vous, que vous avez été mariée à un gentilhomme breton, honoré des alliances de Vassé et de Rabutin, je vous dirai : Que je ne doute pas qu’on ne vous l’ait dit, mais que vous ne devez pas douter aussi qu’on n’ait menti. S’il vous reste un brin d’amitié pour moi, ma chère cousine, vous montrerez à ceux qui vous ont si mal informée ce que je dis d’eux. Vous leur devez cette récompense de leur fausse nouvelle ; car peut-être vous veulent-ils aigrir mal à propos contre moi ; peut-être aussi veulent-ils mettre sous mon nom l’injure qu’ils ont dessein de faire a la maison de Sévigné. Voici, mot pour mot, ce qu’il y a au-dessous du portrait que j’ai de vous dans mon salon :

Marie de Rabutin, fille du baron de Chantal, marquise de Sévigny, femme d’un génie extraordinaire et d’une vertu compatible avec la joie et les agréments[441].

Si j’y avois mis ce que vous me mandez, je vous l’avouerois ingénument et je changerois l’écriteau si j’étois persuadé ; car il se fait tant de friponneries en contrats, que je m’en rapporte plus aux histoires approuvées, et à la voix publique, qu’aux faiseurs de généalogies.

Pour les maisons que vous me mandez qui sont meilleures que la nôtre, je n’en demeure pas d’accord[442]. Je le cède à Montmorency pour les honneurs, et non pour l’ancienneté ; mais pour les autres, je ne les connois pas, je n’y entends non plus qu’au bas breton ; je ne suis pas cependant sans quelque connoissance en cette matière. Je tiens les Guesclin les Rosmadec les Coetqen et les Rieux, meilleurs que les Quelnec, les Baraton et les Châteaugiron. Mais il n’est pas question de faire des comparaisons. Il ne s’agit d’autre chose que de vous assurer encore une fois que ceux qui vous ont si soigneusement instruite de la souscription que j’ai de vous dans mon salon de Bussy, ont faussement menti, et que vous ne devez pas vous fier à ces gens-là.

J’ai encore un autre portrait de vous dans ma chambre, sous lequel ceci est écrit :

Marie de Rabutin, vive, agréable et sage, fille de Celse-Bégnigne de Rabutin et de Marie de Coulanges, et femme de Henri de Sévigné.

Dans notre généalogie que j’ai fait mettre au bout de ma galerie de Bussy, voici ce qui est écrit pour vous :

Marie de Rabutin, une des plus jolies filles de France, épousa Henri de Sévigné, gentilhomme de Bretagne, ce qui fut une bonne fortune pour lui, à cause du bien et de la personne[443] de la damoiselle.

Il n’y a pas un endroit dans toutes ces souscriptions dont la maison de Sévigné se pût plaindre. Pour ce qui est de celui où je dis que vous avez été une bonne fortune pour Monsieur votre mari, je ne sais pas s’il auroit eu la sincérité d’en convenir ; mais je sais bien que vous l’auriez été d’un plus grand seigneur que lui, et d’un homme de plus grand mérite : j’ai cela tellement dans la tête, que rien ne me le sauroit ôter.

Je croyois qu’après notre dernier combat je n’aurois jamais d’affaire avec vous, et particulièrement sur les portraits ; mais je vois bien qu’il faut que vous ayez ma vie, ou que j’aie la vôtre[444].


1668

90. — DU CARDINAL DE RETZ
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Commerci[445], le 20e décembre.

Si les intérêts de Mme de Meckelbourg[446] et de M. le maréchal d’Albret[447] vous sont indifférents, Madame, je solliciterai pour le cavalier, parce que je l’aime quatre fois plus que la dame. Si vous voulez que je sollicite pour la dame, je le ferai de très-bon cœur, parce que je vous aime quatre millions de fois mieux que le cavalier. Si vous m’ordonnez la neutralité, je la garderai. Enfin, parlez, et vous serez ponctuellement obéie. Je ne suis point surpris des frayeurs de ma nièce : il y a longtemps que je me suis aperçu qu’elle dégénère ; mais quelque grand que vous me dépeigniez son transissement sur le jour de la conclusion[448], je doute qu’il puisse être égal au mien sur les suites, depuis que j’ai vu par une de vos lettres que vous n’avez ni n’espérez guère d’éclaircissement, et que vous vous abandonnez en quelque sorte au destin, qui est souvent très-ingrat, et reconnoît assez mal la confiance que l’on a placée en lui. Je me trouve en vérité, sans comparaison, plus sensible à ce qui vous regarde, vous et la petite, qu’à ce qui m’a jamais touché moi-même le plus sensiblement.

Au reste, Madame, ne vous en prenez ni au cardinal dataire[449], ni à moi, de ce que l’on n’a rien fait encore pour Corbinelli. Un homme de la daterie, en qui je me fiois, a pris mon nom pour obtenir mille grâces pour lui, et m’a trompé dans trois ou quatre chefs. S’il en a usé pour Corbinelli comme il a fait pour d’autres, je doute que le nom de Corbinelli ait été seulement prononcé depuis ma dernière lettre. Il n’y a pas quinze jours que ce même homme m’écrivit une longue histoire sur cette affaire, et sur quelques autres que je lui avois recommandées ; et j’ai découvert deux faussetés dans les détails qu’il me fait. Ce n’est pas au sujet de Corbinelli ; mais comme je vois qu’il ment sur le reste, je juge qu’il a pu encore mentir à cet égard. J’y remédierai par le premier ordinaire, et avec toute la force qu’il me sera possible ; vous ne pouvez vous imaginer le chagrin que cela m’a donné.


91. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 7e janvier 1669.

Il est tellement vrai que je n’ai point reçu votre réponse sur la lettre où je vous donnois la vie, que j’étois en peine de vous, et je craignois qu’avec la meilleure intention du monde de vous pardonner, comme je ne suis pas accoutumée à manier une épée, je ne vous eusse tué sans y penser. Cette raison seule me paroissoit bonne à vous pour ne m’avoir point fait de réponse. Cependant vous 1669 me l’aviez faite, et l’on ne peut pas avoir été mieux perdue qu’elle l’a été. Vous voulez bien que je la regrette encore. Tout ce que vous écrivez est agréable, et si j’eusse souhaité, ou du moins si j’eusse été indifférente pour la perte de quelque chose, ce n’eût jamais été pour cette lettre-là[450].

Vous me dites très-naïvement tous les écriteaux qui sont au bas de mes portraits. Je suis persuadée que ceux qui en ont parlé autrement ont menti ; mais celui où vous me louez sur l’amitié, qu’en dites-vous[451] ? J’entends votre ton, et je comprends que c’est une satire selon votre pensée ; mais comme vous serez peut-être le seul qui la preniez pour une contre-vérité, et qu’en plusieurs endroits cette louange m’est acquise par des raisons assez fortes, je consens que ce que vous avez écrit demeure écrit à l’éternité ; et pour vous, Monsieur le Comte, sans recommencer notre procès ni notre combat, je vous dirai que je n’ai pas manqué un moment à l’amitié que je vous devois. Mais n’en parlons plus : je crois que dans votre cœur vous en êtes présentement persuadé.

Pour notre chevalerie de Bretagne, vous ne la connoissez point. Le Bouchet, qui connoît les maisons dont je vous ai parlé, et qui vous paroissent barbares, vous diroit qu’il faut baisser le pavillon devant elles[452]. Je ne vous dis pas cela pour dénigrer nos Rabutins. Hélas ! je ne les aime que trop, et je ne suis que trop sensiblement touchée de ne pas voir celui qui s’appelle Roger briller ici avec tous les ornements qui lui étoient dus ; mais il se faut consoler dans la pensée que l’histoire lui fera la justice que la fortune lui a si injustement refusée. Il ne faut donc pas que vous me querelliez, sur le cas que je fais de quelques maisons, au préjudice de la nôtre[453] : je dis seulement des Sévignés ce qui en est, et ce que j’en ai vu[454].

Je suis fort aise que vous approuviez le mariage de Grignan : il est vrai que c’est un très-bon et un très-honnête garçon, qui a du bien, de la qualité, une charge, de l’estime et de la considération dans le monde. Que faut-il davantage ? Je trouve que nous sommes fort bien sortis d’intrigue. Puisque vous êtes de cette opinion, signez la procuration que je vous envoie, mon cher cousin, et soyez persuadé que par mon goût vous seriez tout le beau premier à la fête. Bon Dieu, que vous y tiendriez bien votre place ! Depuis que vous êtes parti de ce pays-ci, je ne trouve plus d’esprit qui me contente pleinement, et mille fois redis en moi-même : « Bon Dieu, quelle différence[455] ! »


1669

92. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le même jour que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Chaseu, ce 12e janvier 1669[456].

Je vous fais justice comme vous me la faites, ma belle cousine. Je vous ai écrit, et vous n’avez pas reçu ma lettre : tout cela est vrai.

Au reste, je vous suis fort obligé de l’inquiétude que vous avez eue de m’avoir tué sans y songer, et je vous apprends que vous êtes plus adroite que vous ne pensez. Quand vous m’eûtes donné la vie, vous baissâtes la pointe de votre épée, et je me relevai le plus content du monde de votre générosité. Ce n’est pas que s’il en fut arrivé autrement, j’eusse été le premier que vous eussiez fait mourir sans dessein. Quoique vous vous serviez encore moins de vos yeux que de votre épée, il y a des gens si maladroits qu’ils se sont enferrés d’eux-mêmes, et nous en savons à qui vous avez percé le cœur, sans songer quasi qu’ils fussent au monde.

Mais ne vous lasserez-vous jamais de me parler de ce que j’ai fait contre vous ? Croyez-vous qu’il me soit fort agréable de me ressouvenir d’un si vilain endroit de ma vie ? Non assurément, ma chère cousine ; mais il m’est encore bien plus rude de voir que vous vous en ressouveniez si souvent.

Pour vous répondre sur les souscriptions de vos portraits, je vous dirai, avec ma sincérité ordinaire, qu’il y a eu un temps où je n’eusse cru parler qu’en contre-vérité de votre tendresse pour vos amis ; mais je ne l’eusse pas fait écrire au bas de votre portrait ; car comme ces écriteaux regardent plus l’avenir que le présent, la postérité, qui prend tout au pied de la lettre, auroit eu de l’estime pour vous, et ce n’eût pas été alors mon intention de lui en donner : ainsi vous pouvez juger de quel esprit j’ai dit du bien de vous. Je vous assure, ma chère cousine, que je ne m’en lasserai jamais, et que je n’y entendrai jamais de finesse. Je voudrois bien aussi que toute l’estime que vous me témoignez vînt de votre cœur ; mais pourquoi n’en viendroit-elle pas ? Il faut que je le croie malgré ma modestie ; car je vous estime aussi, et puis l’état de ma fortune ne me permet pas de douter que mes flatteurs ne m’aient abandonné[457].

Je vous sais bon gré, ma chère cousine, du chagrin que vous avez de ne me pas voir à la cour en l’état où j’y devrois être, et il faut que je vous donne encore celui de vous ôter l’espérance que l’histoire me traite un jour mieux que n’a fait la fortune ; car enfin vous savez que comme ceux qui l’écrivent sont pensionnaires de la cour, et qu’elle se compose sur les mémoires des ministres, elle ne dira pas de moi des vérités qui après les maux qu’ils m’ont faits les feroient accuser d’injustices ; et par la même raison aussi, quand on y verra les éloges de beaucoup de héros indignes, ce seront des louanges que ces ministres auront fait donner à leur choix.


1669

93. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Quatre mois après que j’eus écrit cette lettre, Mme de Sévigné s’étant plainte à Mme de Bussy[458] que je n’avois écrit ni à elle ni à sa fille, et surtout à son gendre sur son mariage j’écrivis cette lettre à Mme de Sévigné.

À Bussy, ce 16e mai 1669.

J’ai tort, ma belle cousine, non pas de ne vous avoir point écrit sur le mariage de Mme de Grignan, car je vous en avois assez témoigné ma joie ; mais de n’avoir pas continué notre commerce de lettres. Je vous en demande pardon. Si vous saviez combien je me veux de mal d’avoir si souvent tort avec vous, vous ne m’en voudriez point ; car vous connoîtriez par la que je ne pèche point contre les principes, et que mon cœur est pour vous comme il doit être. En effet, je suis bien maudit que vous ayant toujours aimée et estimée assez pour faire la plus grande passion du monde, j’aie passé une partie de ma vie à vous offenser. J’en ai tant de repentir, ma chère cousine, que je ne doute pas que je ne vous aille aimer éperdument. Nous verrons si vous me gronderez pour cela comme vous faites pour le contraire.

Mme de Grignan a raison aussi de se plaindre de moi : c’est à elle à qui je devois de nécessité écrire après son mariage, et je lui en vais crier merci : j’avoue franchement la dette. Il faut aussi que vous soyez sincère sur le sujet de M. de Grignan. De quelque côté qu’on nous regarde tous deux, et particulièrement quand il épouse la fille de ma cousine germaine, il me doit écrire le premier (car je ne m’imagine pas que d’être persécuté, ce me doive être une exclusion à cette grâce : il y a mille gens qui m’en écriroient plus volontiers), et cela n’est pas de la politesse de l’hôtel de Rambouillet[459]. Je sais bien que les amitiés sont libres, mais je ne pensois pas que les choses qui regardent la bienséance le fussent aussi. Voilà ce que c’est d’être longtemps hors de la cour : on s’enrouille dans la province.

Adieu, ma belle cousine ; j’ai la plus grande impatience du monde de vous voir ; n’allez pas croire que Paris ait aucune part à cela. Venez seulement à Bourbilly, et vous verrez que je serai content.


94. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 4e juin 1669[460].

Pour vous dire le vrai, je ne me plaignois point de vous ; car nous nous étions rendu tous les devoirs de la proximité dans le mariage de ma fille ; mais je vous faisois une espèce de querelle d’Allemand pour avoir de vos lettres qui ont toujours le bonheur de me plaire. N’allez pas sur cela vous mettre à m’aimer éperdument comme vous m’en menacez : que voudriez-vous que je fisse de votre éperdument, sur le point d’être grand’mère ? Je pense qu’en cet état je m’accommoderois mieux de votre haine que de votre extrême tendresse. Vous êtes un homme bien excessif : n’est-ce pas une chose étrange, que vous ne puissiez trouver de milieu entre m’offenser outrageusement ou m’aimer plus que votre vie ? Des mouvements si impétueux sentent le fagot[461]. Je vous le dis franchement : vous trouver à mille lieues de l’indifférence est un état qui ne vous devroit pas brouiller avec moi, si j’étois une femme comme une autre ; mais je suis si unie, si tranquille et si reposée, que vos bouillonnements ne vous profitent pas comme ils feroient ailleurs.

Mme de Grignan vous écrit pour Monsieur son époux. Il jure qu’il ne vous écrira point sottement, comme tous les maris ont accoutumé de faire à tous les parents de leur épousée. Il veut que ce soit vous qui lui fassiez un compliment sur l’inconcevable bonheur qu’il a eu de posséder Mlle de Sévigné : il prétend que pour un tel sujet il n’y a point de règle générale. Comme il dit tout cela fort plaisamment, et d’un bon ton, et qu’il vous aime et vous estime avant ce jour, je vous prie, Comte, de lui écrire une lettre badine, comme vous savez si bien faire. Vous me ferez plaisir, à moi que vous aimez, et à lui qui, entre nous, est le plus souhaitable mari, et le plus divin pour la société qui soit au monde. Je ne sais pas ce que j’aurois fait d’un jobelin[462] qui eût sorti de l’académie, qui ne sauroit ni la langue ni le pays, qu’il faudroit produire et expliquer partout, et qui ne feroit pas une sottise qui ne nous fît rougir.

J’ai vu Madame votre femme, qui vous a fait un beau petit Rabutin ; j’ai trouvé ma nièce jolie et spirituelle, je voudrois bien que vous l’eussiez amenée. Adieu, Comte[463].


* 95. — DE MADAME DE GRIGNAN AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN[464].

À Paris, ce 4e juin 1669.

Je ne me suis nullement plainte du peu de régularité que vous avez eue quand je me suis mariée, et je ne sais pourquoi vous prenez soin de vous justifier. Je suis fort sure que vous avez pour moi les sentiments d’un bon parent et d’un ami ; je compte si fort là-dessus que j’ai pensé vous écrire un remercîment de la bonté que vous avez de vous intéresser si tendrement à ce qui m’arrive.

Ainsi vous pouvez ne vous pas contraindre et ne me donner des marques de votre souvenir que quand vous en aurez fort envie : je les recevrai toujours avec joie.

M. de Grignan ne vous a point écrit, et bien loin de comprendre qu’il dût commencer, il a trouvé très-mauvais que vous n’ayez pas daigné lui faire un compliment : parce qu’il s’est trouvé si heureux qu’il croyoit tout le monde obligé de le féliciter. Voilà des raisons, et je suis assez vaine pour être bien aise de vous les dire moi-même[465].


96. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Cette lettre (n° 94) me surprit. J’en trouvai le fond aigre, que la réflexion radoucissoit en quelques endroits. Cela m’obligea de répondre au fond, et point aux réflexions.

À Bussy, ce 6e juin 1669.

Vous me mandez que je vous menace de vous aimer éperdument, que vous vous accommoderiez encore mieux de ma haine que de mon extrême tendresse, que je suis un homme bien excessif, que c’est une chose étrange que je ne puisse trouver de milieu entre vous offenser outrageusement, ou vous aimer plus que ma vie, et que des mouvements si impétueux sentent le fagot.

Voilà bien de l’aigreur, ma belle cousine, et je ne sais si je la mériterois quand je voudrois m’excuser du tort que j’ai eu autrefois avec vous ; mais assurément je n’en suis pas digne aujourd’hui, et vous avez tort à votre tour quand vous insultez un homme qui se condamne, et qui après avoir fait une espèce d’amende honorable, badine avec vous.

Je vous estime assez pour ne pas croire que vous en eussiez usé de la sorte, si l’on ne vous avoit échauffée ; mais je vois bien que vous avez montré ma lettre à M. et à Mme de Grignan, et que Vous avez concerté avec eux la réponse que vous m’avez faite. Elle est trop pleine d’injures contre moi, et de louanges pour lui, pour que vous n’ayez pas eu dessein de lui plaire. Mme de Grignan m’écrit à peu près sur le même ton de panégyrique pour son mari que vous ; mais cet entêtement est plus excusable en une femme nouvellement mariée qu’en une belle-mère. Je vous le dis avec la même sincérité dont vous m’écrivez, ma belle cousine : vous êtes quelquefois (en tout bien, et en tout honneur) aussi extrême que moi.

Au reste, ne vous alarmez pas encore trop de mon amour, si vous le prenez pour une menace : il n’y a rien que je ne fasse pour vous rassurer, et je vous haïrois plutôt que de ne vous pas mettre sur cela l’esprit en repos. Mais je ne vous entends pas quand vous dites que des mouvements si impétueux sentent le fagot. Je n’ai jamais ouï dire que pour se brouiller avec sa cousine, ou pour l’aimer plus que sa vie, on méritât d’être brûlé.

Mme de Grignan me mande, comme vous savez, que son mari, bien loin de comprendre qu’il dût commencer à m’écrire, trouve assez mauvais que je n’aie daigné lui faire un compliment, parce qu’il s’est trouvé si heureux qu’il croyoit tout le monde obligé de le féliciter. Si je voulois, je lui répondrois que son mari, bien loin de nous faire voir qu’il se tient aussi heureux qu’elle me dit qu’il se croit, témoigne, en ne suivant pas l’usage reçu de tous les honnêtes gens, qu’il n’a pas trouvé les grâces qu’il attendoit d’elle.

Mais je ne veux lui répondre autre chose, sinon que si une aussi bonne fortune que la sienne lui a fait tourner la tête, pour moi qui ne suis pas si heureux, j’ai conservé toute ma raison, et que j’essayerai de m’en servir toujours en cette matière, et surtout en vous honorant et en vous aimant comme je dois.


1669

97. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Six jours après que j’eus écrit cette lettre, je reçus celle-ci de la marquise.

À Paris, ce 9e juin 1669[466].

Ah ! Comte, est-ce vous qui m’avez écrit la lettre que je viens de recevoir ? J’étois si fort étonnée en la lisant que j’en paroissois éperdue ; je ne pouvois croire ce que je voyois. Est-il possible que la plus folle lettre du monde puisse être prise de cette manière par un homme qui entend aussi bien raillerie que vous, et qui sauroit même donner de bonnes explications à une lettre si elle en avoit besoin ? mais je soutiens que la mienne parle toute seule. Vous m’écriviez des folies, et je vous en répondois. Je badinois assez bien, ce me semble, sur les extrémités dont vous êtes capable sur mon sujet ; je les exagérois pour mieux badiner ; je trouvois que votre cœur étoit si loin de l’indifférence et si fort accoutumé à n’avoir que de la passion, ou de haine, ou de tendresse pour moi, que c’étoit justement à dire qu’il étoit né pour avoir de l’amour. Dit-on ces choses-là sérieusement ? Et pour l’expression de sentir le fagot, que vous avez prise dans toute sa force, je vous le pardonne. Vous avez été autrefois dans une cabale où il n’en falloit rien diminuer[467] ; mais je pensois que vous sussiez qu’on l’avoit rendue un peu 1669 moins terrible, et qu’on s’en servoit moins communément, pour expliquer des choses extraordinaires. Cela sent bien le fagot, c’étoit à dire, cela sent bien son homme qui auroit été amoureux de moi si je l’avois laissé faire, et qui le seroit encore pour peu que je l’en priasse. Et tout cela, bon Dieu, peut-il être autre chose qu’un jeu ? Cependant vous me rassurez en me disant qu’il est aisé de me tirer de peine là-dessus. Vous trouvez que je vous dis des injures ; vous trouvez qu’un cousin qui aimeroit sa cousine ne mériteroit pas d’être brûlé ; vous trouvez que je suis entêtée de Grignan ; vous tenez votre gravité. Comte, est-ce vous, encore une fois ? Gardez ma lettre, je vous prie ; relisez-la, démontez votre sérieux, représentez-vous combien nous aurions ri de tout cela ; mais ce n’est plus vous. J’étois vive et gaie en écrivant ma lettre, et je ne doutois point qu’elle ne vous divertît dans votre solitude, puisqu’elle me réjouissoit ici ; j’y attendois une réponse encore plus enjouée, s’il se pouvoit, et je vous jure que j’ai cru, en lisant votre lettre, que je ne lisois ou que je n’entendois pas bien. Nous avions trouvé quelque chose de plaisant à renverser tout l’ordre gothique des familles, et à vous faire écrire un compliment le premier. Je vous jure qu’il y avoit ici une lettre tout écrite que nous n’avons pas voulu envoyer. Nous n’avons point fait tant de façon pour tous nos parents de Bretagne : ils ont reçu des lettres de noces. On vouloit badiner avec vous, et vous en êtes à cent lieues loin. Est-ce vous, Comte, qui n’avez point aimé ma dernière lettre ? est-ce vous qui m’y avez répondu ce que voilà ? N’espérez pas que je vous parle d’autre chose que de ma lettre : je garderai la vôtre, et j’espère que quelque jour vous reviendrez dans ce bon sens qui étoit si agréable et si droit. Non-seulement je n’ai pas reconnu mon sang dans votre style, mais je n’y ai pas reconnu le vôtre. Si cela duroit, nous pourrions nous faire saigner tant qu’il nous plairoit, sans crainte de nous affoiblir l’un l’autre[468].


98. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Aussitôt que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce 12e juin 1669.

Avant que de répondre à votre dernière lettre, ma chère cousine, je vous déclare que je suis le plus content du monde de vous, et que quand vous devriez dire encore que je suis un homme d’extrémités, je vous aimerai et je vous estimerai fort toute ma vie. Avec tout cela, trouvez bon qu’avec tout le respect et toute la douceur imaginables je justifie mon procédé.

Quoique avant et après le mariage de Mme de Grignan je m’attendisse à une lettre de Monsieur son mari, et qu’il ne m’entrât point dans la tête qu’on pût plaisanter sur cela, je n’en disois mot, espérant un jour vous en faire mes plaintes, lorsque Mme de Bussy me manda que vous lui aviez témoigné trouver étrange que je ne vous eusse point écrit après ce mariage, et particulièrement que je n’en eusse point fait de compliment à Mme de Grignan[469] ; et sur cela je vous écrivis une lettre que vous me mandez qui étoit fort badine. En effet, tout ce qui vous regardoit l’étoit extrêmement, mais vous ne sauriez disconvenir que l’article de M. de Grignan ne fût sérieux : vous pourriez le voir encore si vous aviez gardé ma lettre, et pour moi, je m’en souviens mot pour mot. Cela étant, vous savez trop bien vivre pour répondre en badinant à un endroit où on a parlé tout de bon : aussi ne l’avez-vous pas fait, et quoique vous ayez affecté un air de raillerie, vous l’avez mêlé de choses sérieuses ; comme, par exemple, quand vous me priez d’écrire à M. de Grignan pour l’amour de vous que j’aime, peut-on prendre cela comme une plaisanterie ? Non, il n’est pas possible, et il ne faut pas que vous prétendiez me persuader que je n’entends point raillerie. Je ne l’ai jamais si bien entendue que je fais, et je ne me suis jamais si peu laissé aller au chagrin que la fortune m’a voulu donner ; mais surtout je n’ai jamais eu tant de disposition à vous aimer que j’en ai, je n’oserois plus dire ce terrible mot d’éperdument, mais à vous bien aimer. Au nom de Dieu, ma chère cousine, ne me donnez pas sujet de la vouloir changer[470].


99. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 1er  août 1669.

Puisque vous m’assurez que vous avez autant d’esprit qu’à l’ordinaire, je m’en vais vous écrire, avec promesse que si je suis jamais assez heureuse pour vous voir, et que vous soyez d’assez bonne humeur pour vous laisser battre, je vous ferai rendre votre épée aussi franchement que vous l’avez fait rendre autrefois à d’autres. Vous voyez que je n’ai pas oublié la journée des combats singuliers[471], ou pour mieux dire, tout le voyage, dont je fais si souvent une très-agréable commémoration. Vous croyez bien que, m’en souvenant comme je fais, je n’ai pas de peine à croire que personne n’a plus d’esprit que vous ; et c’est aussi ce qui m’a fait crier miséricorde, quand j’ai cru vous avoir vu moins badin, et moins intelligent qu’à l’ordinaire. Je finis cette guerre jusqu’à ce que nous soyons en présence.

Cependant souvenez-vous que je vous ai toujours aimé naturellement, et que je ne vous ai jamais haï que par accident.


100. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le même jour que je reçus cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce 12e août 1669.

Il n’est pas nécessaire que nous soyons en présence, ma chère cousine, pour que je vous rende les armes. Je vous enverrai de cinquante lieues mon épée, et l’amitié me fera faire ce que la crainte fait faire aux autres ; mais vous étendez un peu vos privilèges, et vous avez raison, à mon avis, de la même chose où tout le monde auroit tort.

Comptez-moi cela : il en vaut bien la peine, et vous pouvez juger par vous-même si c’est un petit sacrifice que celui de son opinion. Nous en dirons sur cela quelque jour davantage. Cependant croyez bien que je vous aime, et que je vous estime plus que tout ce que je connois de femmes au monde.


1670

101. DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Ne recevant point de réponse de la marquise, nous demeurâmes longtemps sans nous écrire, jusques à ce que j’apprisse la mort du président Frémyot[472], dont elle héritoit en partie après la mort de la présidente, et sur cette nouvelle je lui écrivis cette lettre.

À Chaseu, ce 3e avril 1670.

Je vous assure, ma chère cousine, que j’ai été fort aise que M. Frémyot vous ait donné du bien en mourant ; mais si sa chère moitié l’avoit assez aimé pour s’enfermer dans un même tombeau, ma joie auroit été entière. Elle devroit avoir honte de survivre à un si honnête homme que celui-là. Cependant, comme vous mandez Mme de Toulongeon[473], vous êtes toutes deux en état d’attendre ; il ne vous faut que de la patience, et pour moi je ne la compte pour rien, dont bien me prend.


1670

102. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 16e avril 1670.

Je reçois votre lettre : vous êtes toujours honnête et très-aimable ; je ne vais guère loin chercher dans mon cœur pour y trouver de la douceur pour vous :

Enfin n’abusez pas, Bussy, de mon secret,
Au milieu de Paris il m’échappe à regret ;
Mais enfin il m’échappe, et cette retenue
Ne peut plus contenir la lettre que j’ai lue.

Je vous remercie donc de m’avoir rouvert la porte de notre commerce qui étoit tout démanché. Il nous arrive toujours des incidents, mais le fond est bon ; nous en rirons peut-être quelque jour. Revenons à M. Frémyot. N’est-il pas trop bon ce président, d’avoir pensé à moi lorsque j’y pensois le moins[474] ? Je l’aimois fort, et j’y joins présentement une grande reconnoissance ; de sorte que ma douleur a été véritable. Cela est honteux, comme vous dites, que Mme la présidente survive à un si admirable mari. C’est tout ce que je puis faire, moi qui vous parle. Adieu, je vous souhaite une patience qui triomphe de vos malheurs.

Vous ne voulez pas que je vous parle de Mme de Grignan, et moi je vous en veux parler. Elle est grosse, et demeure ici pour y faire ses couches. Son mari est en Provence, c’est-à-dire, il s’y en va dans trois jours.


1670

103. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À
MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain du jour que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse :

À Chaseu, ce 21e avril 1670.

Il faut que je vous avoue la dette : il m’ennuyoit si fort de ne vous plus écrire, quand M. Frémyot est venu à mourir, que pour peu qu’il eût tardé, je vous aurois consolée de la mort de quelque personne vivante, ou je me serois réjoui avec vous de quelque succession imaginaire ; mais la fortune me tua ce pauvre président à point nommé. S’il ne m’a laissé du bien en mourant, comme à vous, au moins lui ai-je l’obligation de m’avoir fourni un prétexte de recommencer notre commerce : c’est le seul bien qu’il m’a fait, que j’estime fort, ma chère cousine, et après le fonds de terre, je ne trouve rien de meilleur.

Il est vrai qu’il est surprenant de voir qu’ayant de l’agrément l’un pour l’autre, et un bon fond, il arrive de temps en temps des riotes[475] entre nous deux ; mais quand j’y fais un peu de réflexion, je ne trouve pas que nous nous en devions plaindre. Au contraire, je crois que ce sont des saupiquets[476] en amitié, laquelle dans un long commerce seroit trop fade sans de petites brouilleries : nous en rirons bien quelque jour.

Je ne sais pas si ma patience triomphera de mes malheurs, comme vous le souhaitez ; mais elle est extrême. Quoique je fasse toujours de certains pas du côté de la cour, 1670 je suis sur le succès dans une tranquillité[477] qui n’est pas imaginable. Je ne doute pas que si mes ennemis l’apprenoient, ils ne dissent que je suis insensible, et que les gens de courage ne souffrent pas si patiemment que je fais. Je vois bien qu’ils m’estimeroient davantage si je prenois les affaires assez à cœur pour me perdre ou pour en mourir.

Voulez-vous que je vous fasse un des petits raisonnements dont je me console quelquefois, ma belle cousine ? Ecoutez : il y a des disgrâces sourdes, et il y en a d’éclatantes. J’ai été sept ou huit ans à la cour avec une de ces premières, et de l’heure qu’il est mille gens (que l’on croit heureux) en souffrent de pareilles. Pour moi, j’aimois mieux alors être mal à la cour que d’être chassé, parce que j’espérois toujours de me raccommoder ; mais je vois bien maintenant qu’avec les ennemis que j’avois, la chose étoit impossible ; et cela étant ainsi, une demi-disgrâce qui dure longtemps est insupportable : c’est une mort de langueur qui fait bien plus de peine qu’une démission de charge, qui, après cent mille dégoûts, est une espèce de coup de grâce.

Voilà, entre autres, les réflexions qui me mettent l’esprit en repos. Je ne sais si elles feroient le même effet à tout le monde ; mais enfin mon bonheur, c’est que j’en suis persuadé.

Vous avez deviné : je ne voulois point vous parler de madame de Grignan, parce que je n’étois point content d’elle, et ma raison est que je n’ai jamais aimé les femmes qui aimoient si fort leurs maris. Encore me mandez-vous une chose qui ne la raccommodera pas avec moi : c’est sa grossesse. Il faut que ces choses-là me choquent étrangement, pour altérer l’inclination naturelle que j’ai toujours eue pour Mlle de Sévigné.


104. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Trois semaines après avoir écrit cette lettre, je reçus celle-ci de la marquise[478].

À Paris, ce 7e mai 1670.

J’ai sur le cœur de n’avoir rien dit à ma nièce de Bussy[479], cette pauvre enfant que j’ai vue pas plus haute que cela : réparez donc mes torts.

J’ai reçu votre lettre, et je suis fort aise que les cendres du pauvre président aient réchauffé notre commerce. Nous avons ici M. de Corbinelli ; j’en ai une joie sensible, et parce que je juge de vous par moi, je me réjouis avec vous de celle que vous aurez de le voir.

Mme de Grignan est si indigne de votre amitié, elle aime tant son mari, elle est si grosse, que je n’ose vous dire qu’elle se souvient fort de vous. Raillerie à part, elle vous aime et vous honore infiniment[480].

Adieu, Comte, j’ai une si bonne compagnie autour de moi, que je n’ose m’embarquer à vous en dire davantage.


105. ‑ DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Quatre jours après que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Chaseu, ce 15e mai 1670.

J’ai fait votre paix avec votre nièce de Bussy ; mais nous sommes aussi étonnés de ce qui vous a fait souvenir d’elle, lorsqu’on ne vous en parloit pas, que de ce qui vous l’a fait oublier.

J’attends ici M. de Corbinelli avec une impatience extrême. Nous en dirons de bonnes. Que n’êtes-vous en tiers ? j’entends ici avec nous deux, car à Paris nous n’y serions pas si aises. Vous êtes trop distraits, vous autres gens du monde ; vous n’appuyez pas sur les plaisirs comme nous autres ermites ; vous ne les prenez qu’en courant, et cela fait qu’on n’en a pas tant avec vous. Après sept ou huit jours de séjour, nous vous laisserions retourner dans votre chaos, car nous savons que la nature se plaît dans la diversité.

Le voyage de M. de Grignan en Provence pourroit bien raccommoder Mme de Grignan avec moi. Je vous déclare que je ferai toujours la moitié du chemin. J’oublierai aisément toutes les amitiés qu’elle a faites à son mari, et même sa grossesse, pourvu que je voie quelque apparence d’une meilleure conduite à l’avenir. À moins que cela, je ne l’aimerai que malgré moi ; car je ne saurois m’empêcher de l’aimer.

Adieu, ma belle cousine, écrivons-nous souvent, et badinons toujours. Nous sommes bien meilleurs ainsi 1670 que d’autre manière[481].


106. — DE CORBINELLI AU COMTE
DE BUSSY BABUTIN.

À Paris, ce 17e mai 1670.

Mme de Sévigné et moi avons chacun une réponse à vous faire, et nous avons résolu de la mettre en une seule. Je vous dirai donc pour ma part qu’une de mes plus grandes joies ici a été de songer que je m’en retournerois par chez vous. Je serai huit jours à Châtillon[482], et je me laisserai gouverner par M***. J’ai une violente envie de vous raccommoder tous deux, et de faire des reproches à celui qui aura tort.

Oui, oui, nous ferons des réflexions morales et politiques. Nous poserons en fait les deux espèces de disgrâces dont vous parlez à Mme de Sévigné[483]. Je suis venu ici examiner cette vérité, et je l’ai trouvée telle que vous nous la faites voir. Les uns s’imaginent être agréablement à la cour, et sont près d’être comme nous ; les autres croient être comme nous, et sont près d’être favoris ; d’autres ne sont rien, et se ruinent courageusement à attendre un malheur décidé. Je vous conterai toute l’histoire des Petites-Maisons, et je vous ferai voir démonstrativement que ceux qu’on croit vous devoir plaindre, vous doivent envier. Fiez-vous en moi ; nous compterons là-dessus en Languedoc[484].

Après cela, je vous dirai mille autres choses qui vous pourront rendre supportable un séjour de quelques heures. Préparez-vous donc à savoir gré au Roi de votre éloignement de la cour, ou vous êtes le premier de tous les ingrats du monde.

Je finis par vous protester que personne ne vous honore avec plus de respect et de fidélité que je fais.


107. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, le 17e juin 1670.

Allons, je le veux, Monsieur le Comte, je vous écrirai quand vous m’écrirez, ou quand la fantaisie m’en prendra. Je pense qu’il ne faut rien de plus réglé à des conduites aussi dégingandées que les nôtres. C’est un assez beau miracle que nos fonds soient bons, sans nous demander des dehors fort réguliers.

Au reste, je vous déclare que, selon les gens, je fais un grand secret du mien. J’ai hasardé deux ou trois fois de le dire sans choix ; j’ai tant trouvé d’hélas, d’admirations, de signes de croix, et même de discours fâcheux de moi dans mon chemin, que je me résolus de choisir les gens à qui je fais cette confidence. Vous êtes de ce nombre ; car je m’imagine qu’en votre faveur vous voudrez bien excuser les retours de mon cœur pour vous, quand même vous auriez vu des lettres que j’ai retrouvées depuis peu, où vous me remerciez avec chaleur et reconnoissance de la véritable envie que j’avois de vous avancer de l’argent sur notre oncle de Chalon[485] ; et ensuite la querelle d’Allemand se forma sur ce que vous trouvâtes qu’on pouvoit faire sur moi une fort jolie satire. Je vous mets donc du nombre de ceux qui veulent bien m’excuser. M. de Corbinelli en est aussi. Il a des tendresses pour vous qui rallumeroient les miennes quand je n’y serois pas disposée. Je vous trouve heureux d’avoir devant vous le plaisir de le voir. Pour moi, j’ai derrière celui de l’avoir vu, dont je suis au désespoir ; car, en un mot, son esprit est fait pour plaire au mien. Je n’avois rien trouvé en son absence qui me pût consoler de lui. Il m’aime comme j’aime qu’on m’aime. Ainsi je perds ma joie et la douceur de ma vie en le perdant.

J’admire par quels enchaînements sa destinée le porte à deux cents lieues de moi, et son intérêt m’y fait consentir, contre le mien propre.

Adieu, Comte, écrivons-nous, et prenons courage contre nos ennemis. Pensez-vous que je n’en aie pas, moi qui vous parle ? Je fais mes compliments à toutes vos dames. Mme de Grignan vous fait les siens de très-bonne grâce. Je ne suis pas accoutumée à la voir grosse, j’en suis scandalisée aussi bien que vous.

APOSTILLE DE CORBINELLI.

Vous êtes deux vrais Rabutins, nés l’un pour l’autre. Dieu vous maintienne en parfaite intelligence. Mais où vous irai-je prendre à Chaseu, moi qui n’irois pas chercher à cheval une couronne à une demi-lieue ? Nous verrons pourtant. Quand je serai à Châtillon, je vous manderai mon arrivée. Cependant croyez qu’il est impossible d’être plus votre serviteur que je le suis.


108. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Huit jours après que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse :

À Chaseu, ce 25e juin 1670.

Je ne sais, ma belle cousine, quelle idée vous vous êtes faite de ma régularité ; mais ceux qui en ont eu avec moi se sont toujours loués de la mienne, et pour nos conduites, je ne vois pas qu’elles soient si dégingandées que vous me mandez. Pour moi, je suis fort satisfait de la vôtre, et je crois bien que vous ne l’avez condamnée que pour avoir prétexte de dauber la mienne. Il est vrai que celle-ci est détestable si vous en jugez par le succès ; mais moi qui ne suis pas de ceux qui croient aveuglément qu’on a tort dès qu’on est malheureux, je ne trouve pas ma conduite si dégingandée que vous croyez.

Vous voulez bien que je vous dise franchement que votre lettre me paroît venir d’une personne intriguée, et à qui ses ennemis (comme vous dites que vous en avez) ont donné du chagrin. Ils vous ont même donné un peu d’aigreur contre moi, qui n’en puis mais ; car à quel propos, je vous prie, me venir reprocher l’argent que vous m’avez voulu avancer, et la satire que j’ai faite ? Est-il question de cela ? Vous ai-je obligée par mes lettres à me dire la moindre chose approchante de ces rudesses ? Vous avez peut-être reparle avec M. de Corbinelli de ces affaires, et toute pleine de la chaleur qu’elles vous ont donnée, vous m’écrivez des choses désagréables, à moi qui ne songe à rien de vous qu’à recevoir quelque lettre enjouée pour réponse à celle que je vous avois écrite sur ce ton. Je voudrois bien que vous me dissiez combien de temps ces recommencements-là doivent encore durer, afin que je m’y attende.

Je ne pense pas que vous vouliez dire que j’aie tort de me plaindre, puisque vous avez dit à Breban de me mander que je ne me fâchasse point de ce que vous m’écrivez. Il valoit mieux ne me pas offenser que de me faire, satisfaction. Vous deviez jeter cette lettre au feu, et attendre à me faire réponse que vous eussiez été en meilleure humeur ; mais vous avez mieux aimé hasarder de perdre votre ami que de perdre vos peines : cela n’est pas d’une bonne cousine. Si je cherchois noise, vous m’auriez fourni en cet endroit un beau sujet de garder contre vous quelque chose sur mon cœur ; mais après vous avoir dit mon grief, je vous déclare que je ne vous aime pas moins que je faisois. Je vous prie aussi de prendre un peu plus garde une autre fois à ne pas blesser l’amitié que vous me devez.

M. de Corbinelli a raison de m’aimer ; car il sait bien que je l’aime extrèmement. Je me réjouis fort de le voir, et je vous plains de ce que vous ne le verrez de longtemps.

Je ne doute pas que vous n’ayez des ennemis, je le sais par d’autres que par vous ; mais, quoi qu’on m’ait mandé, je ne crois pas votre conduite si dégingandée qu’on dit, et je ne condamne pas les gens sans les entendre[486].

Je rends mille grâces à votre Grignan de son souvenir ; je ne saurois bonnement dire le sujet que j’ai de me rattendrir pour elle ; mais elle me paroît plus aimable de jour en jour, et je sens que je l’aime beaucoup plus que je ne faisois il y a trois mois.

À CORBINELLI.

Grondez un peu notre amie, afin de m’épargner la peine de me plaindre jamais d’elle à elle-même. Un tiers a meilleure grâce de le faire que l’intéressé. Je vous promets à la pareille de lui laver la tête quand elle vous offensera. Ne croyez pas en être à couvert, car, quoique vous n’ayez pas, comme moi, de péché originel à son égard, défiez-vous de l’avenir : toute femme varie, comme disoit François Ier ; et puis, si elle vous écrivoit en méchante humeur, elle pourroit vous dire quelque rudesse, et alors je ferois merveille de la redresser. Si je ne suis pas encore à Bussy quand vous arriverez à Châtillon, écrivez-moi un mot par Gardien : je vous enverrai une chaise, car je ne présume pas si fort du plaisir que vous aurez de me voir, que je veuille vous le faire acheter par la moindre incommodité du monde. Pour moi, je meurs d’impatience de vous voir.


Nous terminons le tome Ier avec la première partie et ce qu’on peut appeler les préliminaires et le prélude de la Correspondance. Le second commencera là où commencent les éditions anciennes, c’est-à-dire aux lettres de Mme de Sévigné à son gendre, bientôt suivies de ses lettres à sa fille, où elle répand son âme tout entière, tout son esprit et tout son cœur. Nous avons mieux aimé faire le premier volume un peu fort que de nous arrêter avant cette division si naturelle et si tranchée.

fin du premier volume.

  1. Lettre 1. — 1. Cette lettre et la suivante sont sans date. Nous les laissons en tête du recueil, quoique nous n’y trouvions rien qui confirme bien positivement la conjecture, exprimée dans l’édition de 1818 et adoptée par M. Walckenaer, qu’elles ont été écrites en 1644, avant le mariage de Mme de Sévigné. Ni la mention qui y est faite d’un départ, ni la phrase sur les anciens et nouveaux amis ne nous paraissent des arguments fort concluants. La signature Chantal et Marie Chantal, que nous reproduisons d’après une copie faite par le libraire Blaise sur les lettres originales, ne peut pas non plus servir de preuve : parmi les autographes qui nous restent de Mme de Sévigné, il en est plusieurs, d’une date très-postérieure à son mariage, qui sont signées M. de Rabutin (ou Rabustin) Chantal. — Sur Ménage, qui donna des leçons d’espagnol, de latin et surtout d’italien à Mme de Sévigné, voyez la Notice biographique, p. 24 et suivantes.
  2. Mme de Sévigné écrit toute extraordinaire. Sur cet accord, au sujet duquel les opinions et l’usage variaient encore à la fin du dix-septième siècle, comme nous l’apprend le Dictionnaire de l’Académie de 1694, voyez, dans notre dernier volume, le Lexique, au mot Tout.
  3. Lettre 3 (revue sur l’autographe). — Rien n’indique non plus la date de ce billet. Nous ignorons quelle est cette affaire de M.  Levasseur dont il y est parlé.
  4. Lettre 4. — i. Pierre Lenet, d’abord conseiller, puis procureur général au parlement de Dijon, nommé conseiller d’État en 1645, a laissé d’intéressants mémoires, dont la meilleure édition a été donnée par M.  À. Champollion dans la collection Michaud. « Il avoit, dit Mme  de Sévigné, bien de l’esprit, un peu grossier, mais vif et plaisant. » (Lettre du 31 août 1689.)
  5. Les lettres de Bussy et à Bussy ont été revues, comme nous l’avons dit dans l’Avertissement, sur une copie écrite de sa main. Les introductions qui les précèdent sont toutes de lui.
  6. Voyez la Notice biographique, p. 36.
  7. Le ménage que vous faites, votre économie, votre train de maison.
  8. En termes de fileuse, on nomme poupée, le paquet d’étoupe ou de filasse dont on garnit le fuseau.
  9. « Ribon-ribaine, façon de parler adverbiale et populaire, qui signifie bon gré mal gré » (Dictionnaire de l’Académie françoise de 1694.)
  10. Le Supplément aux Mémoires et Lettres de Bussy, où cette épître a été imprimée d’abord, sur l’original peut-être, ou du moins sur une copie différente de celle de Bussy que nous avons suivie, offre, sans parler des fautes et des omissions, un certain nombre de variantes, dont quelques-unes pourraient bien être le vrai texte. Ainsi, au premier vers :
    Salut à tous gens de campagne ;

    À la fin du discours du curé :

    Pour tous Nosseigneurs ses ancêtres ;

    Vers la fin :

    Où Madame n’est point dupée,

    Et au dernier vers :

    Elle renverse le ribon.
  11. Lettre 5. — i. Nous avons vu de cette lettre deux copies de la main de Bussy (voyez au dernier volume l’Indication des sources) ; elles ne diffèrent l’une de l’autre que dans les premières lignes. Nous avons suivi pour ce commencement le manuscrit autographe du Discours de Bussy à ses enfants. Dans l’autre manuscrit voici quel est le début : « Vous qui aimez les détails, Madame, je m’en vais vous en faire un de cette campagne, qui, je crois, ne vous déplaira pas, c’est proprement à dire un éloge de Monsieur le Duc. Pour vous conter ce qu’à Courtrai Firent ses soins et sa prudence, Sans elle, etc. »
  12. Le duc d’Enghien, depuis prince de Condé, alors âgé de vingt-cinq ans. Voyez le récit plus détaillé de la campagne dans les Mémoires de Bussy, tome I, p. 119 et suivantes.
  13. « Le 21e juillet au soir, nous repartîmes de la plaine (de Bruges), et nous allâmes camper sur la Lis, à une lieue au-dessous de Courtrai. » (Mémoires de Bussy, tome I, p. 121)
  14. Le chevalier d’Isigny, enseigne des gendarmes d’Enghien.
    Voyez un long récit de ce duel dans les Mémoires de Bussy, tome I, p. 121-124.
  15. « Le duc de Nemours eut la jambe percée, le prince de Marsillac l’épaule, le duc de Pont de Vaux la mâchoire cassée, et Laval fut blessé au-dessus de la hanche. Le comte de Fleix de la maison de Foix, la Roche-Guyon, fils de Liancourt… et le chevalier de Fiesque furent tués. » (Discours de Bussy à ses enfants, p. 219.)
  16. « Le duc d’Orléans était généralissime, le duc d’Enghien général sous lui, et sous ce prince les maréchaux de Gramont et de Gassion. » (Ibid., p. 211.)
  17. Le marquis de Caracène, général espagnol, gouverneur de Flandre en 1659.
  18. Ville de la Flandre occidentale (Belgique), où le marquis de Caracène s’était retiré. Voyez les Mémoires de Bussy, tome I, p. 130.
  19. Lettre 6. — i. Cette lettre est imprimée sans date dans les Œuvres de M.  de Montreuil.. Nous sommes portés à croire, d’après la plaisanterie de la fin sur la lieutenante de Fougères, qu’elle est des premiers temps du mariage de Mme  de Sévigné : voyez cependant la Notice, p. 34.

    Matthieu de Montreuil ou Montereul, qu’il ne faut pas confondre avec son frère aîné, Jean de Montreuil de l’Académie française, fut secrétaire de Daniel de Cosnac, évêque de Valence et plus tard archevêque d’Aix. Il mourut en 1692. Boileau le touche, en passant, dans sa viie Satire, composée en 1663 :

    On ne voit point mes vers, à l’envi de Montreuil,
    Grossir impunément les feuillets d’un recueil.

    On se rappelle son joli madrigal, Pour Madame la marquise de Sévigny, en jouant à colin-maillard ; il fut imprimé pour la première fois dans le recueil des Poésies choisies publié en 1653 chez Sercy :

    De toutes les façons vous avez droit de plaire,
    Mais surtout vous savez nous charmer en ce jour :
    Voyant vos yeux bandés, on vous prend pour l’Amour ;
    Les voyant découverts, on vous prend pour sa mère.

  20. Dans le Contrat de mariage de Mme de Grignan, les titres du marquis de Sévigné sont « conseiller du Roi en ses conseils, maréchal de ses camps et armées, et gouverneur pour S. M. des ville et château de Fougères (en Bretagne). » Voyez plus haut, p. 328. Le marquis n’avait point tous ces titres lorsqu’il se maria ; mais rien, que je sache, ne prouve qu’il n’eut pas dès lors ou n’ait pas eu bientôt après la charge assez peu importante de lieutenant de Roi de Fougères.
  21. Espèce de brisure, qui se place dans les armoiries pour indiquer les branches cadettes. Voyez à la suite de la Notice la Généalogie de Mme de Sévigné et de Bussy.
  22. Bussy n’avait eu que des filles de son premier mariage avec Gabrielle de Toulongeon, sa cousine, dont il était veuf à cette époque. C’est en 1650 qu’il épousa en secondes noces Louise de Rouville dont il eut deux fils et deux filles : voyez la Généalogie de Bussy, p. 342.
  23. Cette lettre et la suivante ont été placées à tort par Bussy en 1647. Il s’est évidemment trompé d’une année : voyez la Notice biographique, p. 37 et 40.
  24. Lettre 8. — 1. Bussy date cette lettre de Valence. Au sujet de cette erreur, voyez encore la Notice, p. 40.
  25. lettre 9. — Launay Lyais, volontaire breton, que Bussy traite ailleurs, dans ses Mémoires (tome I, p. 197), d’homme obscur et glorieux.
  26. lettre 9. — Voyez la Notice, p. 34, 41 et 343.
  27. Le cuisinier de l’évêque de Chalon.
  28. Lettre 10. — 1. L’attaque de Charenton eut lieu le 8 février. Bussy partit de Saint-Denis le 6, et c’est la veille de son départ qu’il adresse cette lettre à sa cousine : voyez Walckenaer, tome I, p. 189, et tome II, p. 411. Dans notre manuscrit, comme dans celui des Mémoires, la lettre est datée du 15.
  29. Allusion à ce vers de la tragédie d’Horace de P. Corneille, acte II, scène 3 :

    Albe vous a nommé, je ne vous connois plus.

  30. Hugues de Rabutin, grand prieur de l’ordre de Malte depuis 1645, frère puîné de Léonor de Rabutin, père de Bussy.
  31. Lettre 11. — i. Cette lettre et la suivante sont des 5 et 6 mars, non des 25 et 26, comme le disait, d’après Bussy, l’édition de 1818. Voyez Walckenaer, tome I, p. 190-192, et tome II, p. 411.
  32. Philippe de la Mothe Houdancourt, maréchal de France depuis 1642, s’était jeté dans le parti de la Fronde. Il était très-dévoué au duc de Longueville, « à qui il avoit été attaché vingt ans durant, dit le cardinal de Retz, par une pension qu’il avoit voulu même retenir par reconnoissance, encore après qu’il eut été fait maréchal de France. »
  33. « Cette expédition dura huit jours, pendant lesquels nous eûmes beaucoup de fatigue et peu de péril ; et ayant fait tout ce que nous voulûmes sans aucun obstacle, nous revînmes à Saint-Denis. » (Mémoires de Bussy, tome I, p. 182.)
  34. Lettre12. — i. C’est sans doute une allusion à Cossé Brissac, qui fut fait maréchal pour la Ligue par le duc de Mayenne en 1593.
  35. Cette paix que Bussy désirait tant fut consentie entre la Reine et les commissaires du Parlement le 11 mars. On ne le sut à Paris que le 13, et la déclaration royale qui en réglait les conditions ne fut approuvée par le Parlement que ier avril.
  36. Lettre 13 (revue sur l’autographe). — i. Sur Lenet, voyez la note 1 de la lettre 4. Il dit dans ses Mémoires que la Reine « le choisit pour l’un des intendants de justice, police et finance au siège de Paris. »
  37. Durant le blocus. « Le Roi, dit Bussy dans ses Mémoires (tome I, p. 182), vouloit affamer Paris. »
  38. M. de Sévigné ; il avait accompagné le duc de Longueville en Normandie. Voyez la Notice, p. 43.
  39. Voyez la note 2 de la lettre I.
  40. Lettre 14 (revue sur l’autographe). — i. On appelle triolet une petite pièce de poésie de huit vers, dont le premier se répète deux fois, et le second une fois, à des places déterminées.
  41. C’est-à-dire, d’après Walckenaer (tome III, p. 386), si je n’étais prête à me coucher et à fermer les yeux. On avait d’abord entendu que Mme de Sévigné voulait dire par là qu’elle avait les yeux malades.
  42. Lettre 15 (revue sur l’autographe). — i. Voyez la note 2 de la lettre 12.
  43. Lettre 16. — Sur cette lettre, que Bussy pourrait bien avoir composée après coup pour son Histoire amoureuse des Gaules, voyez la Notice, p. 47, 50 et 51.
  44. Lettre 17. — i. Château fort, situé dans le Bourbonnais, près de Saint-Amand (Cher), et appartenant au prince de Condé.
  45. François de Beauvillier, septième comte de sa famille, et premier duc de Saint-Aignan (1663), père du duc de Beauvillier ami de Fénelon. Le titre de mestre de camp désignait alors le commandant d’un régiment.
  46. Voyez la note 2 de la lettre 8.
  47. Lettre 18 (d’après l’autographe, inédit). — i. L’autographe d’après lequel nous donnons cette lettre est sans date. Mme  de Sévigné ne l’aurait-elle pas écrite à la veille de partir pour la Bretagne en 1650 ? Voyez la Notice, p. 52. Le marquis de Sévigné, congédié par Ninon, courtisait dans ce temps-là une autre Chimène, Mme  de Gondran. Des confidences de ce genre à un galant sans conséquence comme Ménage n’ont rien qui étonne, pour peu que l’on connaisse l’humeur facile de Mme  de Sévigné et sa liberté de parole et de plume. — La mention de Mme  de Bretigny pourrait servir à mieux préciser la date, mais nous ne savons rien de sa vilaine affaire.
  48. Dans la Cléopatre, Tiridate, prince Arsacide, meurt de douleur en apprenant la mort de Mariamne, reine de Judée : « Glorieux dans sa fin, dit la Calprenède, pour avoir donné en sa mort un si bel exemple de la plus pure et de la plus véritable passion de laquelle une âme eût jamais été embrasée. » Le récit de cette mort termine la cinquième partie du roman, qui fut achevée d’imprimer le 22 février 1648.
  49. Le président Charton est ce « président aux requêtes, peu moins que fou, » dont le nom revient souvent dans les Mémoires de Retz. Dans un dossier de la Bibliothèque impériale se trouve un acte original du 6 mai 1652, où il figure avec les titres suivants : « Louis Charton sieur de la Douze, conseiller du Roi en ses conseils, président des requêtes du palais à Paris, etc. » Il est mort en 1684.
  50. Lettre 19. — Walckenaer (tome I, p. 301) suppose que Mme  de Sévigné, avant de partir pour la Bretagne, en 1651, après la mort de son mari, avait écrit à Scarron de ne pas mourir avant son retour. Ce serait en réponse à cette plaisanterie que Scarron lui aurait adressé cette lettre en Bretagne. Elle a été publiée, sans date, dans les Dernières Œuvres de Scarron (1663), où elle a pour titre : À Madame de Sévigny la veuve. Une autre lettre du même recueil, intitulée à tort : À Madame de Sévigny la marquise, est adressée à Mme  Renaud de Sévigné, mère de Mlle  de la Vergne. Voyez à ce sujet Walckenaer, tome I, p. 226 et suivantes.
  51. Lettre 20. — i. « La lettre du 12 janvier… classée par M.  Monmerqué sous l’année 1654, nous paraît devoir être placée sous l’année 1652, lorsque madame de Sévigné revint de Bretagne après son veuvage. Conférez Loret, Muse historique, liv. II, p. 157, en date du 19 novembre 1651. » (Walckenaer, tome II, p. 401, note.) — Nous avons suivi cette conjecture, sans y rien trouver de bien déterminant. À voir le ton cérémonieux qui règne dans le billet, on serait tenté de le croire plus ancien.
  52. Lettre 21 (d’après l’autographe, inédit). — i. Bien que, vers le milieu de 1652, l’état des affaires et du pays ne dût guère inviter à voyager, nous croyons pouvoir conclure, très-vraisemblablement, de cette lettre que madame de Sévigné alla en Bretagne en 1652, après la querelle entre Rohan et Tonquedec (voyez la Notice, p. 58). Non seulement elle fut écrite antérieurement au mariage de Mlle  de la Vergne, c’est-à-dire à février 1655, mais elle est datée d’une manière bien plus précise par la nouvelle de la mort de l’abbesse du Pont, laquelle est sans doute Anne-Marie de Lorraine, fille aînée de la célèbre duchesse de Chevreuse et abbesse du Pont-aux-Dames, morte le 5 août 1652.
  53. Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, née en 1634, épousa en février 1655 le comte de la Fayette, frère de Mlle de la Fayette, l’amie de Louis XIII. Sur la tendre amitié qui l’unissait à madame de Sévigné, voyez la Notice, p. 135.
  54. Lettre 22 (revue sur l’autographe). — i. Marie de Bailleul, mariée le 28 février 1644 à François de Brichanteau, marquis de Nangis, et en secondes noces, le 5 octobre 1645, à Louis Châlon du Blé, marquis d’Uxelles, lieutenant général des armées du Roi. Voyez la note 12 de la lettre 26 et la note 4 de la lettre 43. — Nous reproduisons cette lettre d’après l’original sans rien changer ni corriger à l’orthographe.
  55. Mme  de Bailleul, femme de Louis de Bailleul, président au parlement de Paris, et frère de la marquise d’Uxelles.
  56. Bussy raconte, dans l’Histoire amoureuse des Gaules (voyez l’édition des Mémoires de Bussy de M.  L. Lalanne, tome II, p. 444), que sur le point d’avoir la charge de mestre de camp général de la cavalerie légère, quelques jours avant de partir pour l’armée, il donna une fête à Mme  de Sévigné dans les jardins du Temple, chez le grand prieur Hugues de Rabutin. Cette fête date le billet : Bussy fut nommé mestre de camp en 1653. Voyez la Notice, p. 57.
  57. Voici la traduction de ce billet :

    « Je suis indignée contre votre Illustrissime Seigneurie pour avoir pris une médecine sans me dire que je vinsse l’aider à faire cette opération. Je ne puis croire que le remède ait pu opérer sans le secours de votre sœur (de votre amie). Il faut que nous nous voyions pour faire la paix entre nous. Je dirai en attendant à votre Illustrissime Seigneurie que j’ai été au bal hier au soir. Les beaux yeux de la présidente, dont la taille est si gracieuse, jetaient de merveilleux éclairs. Je ne sais en vérité si tous les traits lancés par elle étaient dirigés dans le but ; mais je sais bien qu’elle n’avait pas la pensée de les décocher en vain. J’ai recu la visite de M.  le comte de Bussy, qui espère que votre Illustrissime Seigneurie ira à une petite fête qui sera donnée au Temple dans peu de jours. Je la prie humblement de me faire connaître sa volonté à ce sujet, et surtout sur la passion, avec laquelle je la conjure de m’honorer, et de taire le contenu de ce billet. »

  58. Lettre 23. — i. Rien n’indique la date de cette lettre, dont on peut dire seulement qu’elle est antérieure à l’année 1666, où elle a été publiée. Nous la plaçons, un peu au hasard, à l’an 1653, où parut le fameux madrigal que nous avons cité, p. 355.
  59. Lettre 24. — i. Julie-Lucie d’Angennes, fille du marquis de Rambouillet, première dame d’honneur d’Anne d’Autriche, mariée en juillet 1645 à Charles de Sainte-Maure, marquis de Salles, depuis duc de Montausier. Voyez la note 2 de la lettre 86.
  60. Voyez la Notice, p. 63.
  61. Allusion au surintendant Foucquet, qui faisait la cour à Mme  de Sévigné, comme on le verra dans les lettres qui suivent. Voyez la Notice, p. 64.
  62. Voyez plus haut la lettre 16, et la Notice, p. 47 et 50.
  63. Parodie des quatre derniers vers de la seconde stance du Cid, acte I, scène 9 :


        Des deux côtés mon mal est infini, etc.

  64. Armand de Bourbon, prince de Conti, frère cadet du grand Condé, « avoit la tête fort belle, tant pour le visage que pour les cheveux, et c’étoit un très-grand dommage qu’il eût la taille gâtée : car à cela près c’étoit un prince accompli. » (Mémoires de Bussy, tome I, p. 358.)
  65. Acquit-patent se disait, en termes de chancellerie et de finance, d’un brevet du Roi portant gratification de quelque somme d’argent et servant d’acquit et de décharge à celui qui devait en faire le payement.
  66. Henri de Saint-Nectaire, Senectaire ou Senneterre, père du maréchal de la Ferté, mourut en 1662, à quatre-vingt-neuf ans. Il avait été ambassadeur extraordinaire en Angleterre.
  67. Chaseu, l’une des terres de Bussy, située en Bourgogne, paroisse de Laizi, près d’Autun.
  68. Lettre 25. — i. Chapelain, de l’Académie française. Il avait été un des maîtres de Mme  de Sévigné. Voyez la Notice, p. 24.
  69. Mlle  de Biais était demoiselle de compagnie de Mme  de Sévigné. « Elle était, dit Walckenaer (tome I, p. 531), de l’âge de la marquise, laide, sans fortune, sans esprit ; mais fort instruite, » ajoute-t-il, se fondant peut-être sur les lettres où Mme  de Sévigné et son fils se moquent de sa très-douteuse érudition. Elle se maria en 1671, à l’âge de quarante-cinq ans.
  70. Lettre 26. — i. En Catalogne, sur la rivière de la Ter.
  71. Au lieu du mot surintendant, il y a des points dans le manuscrit de Bussy. On a écrit au-dessus, d’une autre main et d’une autre encre, surintendant Foucquet.
  72. Charles de Lorraine, troisième du nom, prince d’Harcourt en ce temps-là, et plus tard duc d’Elbeuf. Il peut paraître singulier, dit M.  Paulin Paris, dans son savant commentaire sur Tallemant (tome IV. p. 311) « de voir Bussy donner au prince et à la princesse d’Harcourt les noms de M.  et Mme  d’Elbeuf. Celle-ci ne le porta jamais le duc d’Elbeuf son beau-père, lui ayant survécu de trois ans. »
  73. Tallemant (tome VI, p. 449) parle d’un marquis de Rouillac amoureux à soixante-douze ans (vers 1656) d’une « Mme  de Nesle, dont on a fort médit avec M.  d’Elbeuf, ci-devant le prince d’Harcourt. » Il ajoute que Mme  de Nesle mourut quelque temps après. Cette dame de Nesle ne pouvait donc pas être, comme on l’a supposé, Jeanne de Monchi, femme de Louis-Charles de Mailli, morte beaucoup plus tard en 1713. C’est la mère de Jeanne, Madeleine aux-Épaules, fille héritière de René, marquis de Nesle (mort à soixante-quinze ans, en 1650), qui avait apporté ce marquisat dans la maison de Monchi, en épousant en 1627 Bertrand-André de Monchi. Elle le laissa à son fils aîné, Jean-Baptiste de Monchi, marquis de Montcavrel, frère de Jeanne de Monchi ; et Louis-Charles de Mailly l’acheta de son beau-frère, en 1666 seulement.
  74. Anne-Élisabeth, fille du comte de Lannoi, gouverneur de Montreuil en Picardie, veuve du comte de la Roche-Guyon, épousa en secondes noces le prince d’Harcourt (1648), et mourut à vingt-huit ans, le 3 octobre 1654·
  75. François-René Crespin du Bec, marquis de Vardes, gouverneur d’Aigues-Mortes, célèbre par sa faveur et par sa longue disgrâce.
  76. Bussy semble prévoir le sort de Charlotte-Marie de Daillon, sœur du comte du Lude qui devint grand maître de l’artillerie en 1660, et femme de ce duc de Roquelaure que ses bouffonneries ont rendu fameux. Vardes fit naître dans le cœur de cette jeune duchesse, qu’il avait failli épouser, et qui, nous dit Tallemant, l’eût bien préféré à Roquelaure, une passion qui la conduisit au tombeau. Léger, comme Bussy vient de le peindre, il l’aima quelque temps, et l’oublia bien vite. Mme  de Roquelaure mourut à l’âge de vingt et un ans, le 15 décembre 1657, en apparence de suites de couches, mais, longtemps avant d’accoucher, elle avait dit à quelques personnes intimes qu’une passion cachée la tuerait.
  77. Guarda la gamba est une locution, à la fois italienne et espagnole, qui signifie gare ! gare à vous ! littéralement : gare la jambe !
  78. Sur Corbinelli, voyez la Notice, p. 146 et suivantes.
  79. Ce passage, depuis « La réputation qu’il a », manque dans le manuscrit autographe de Bussy.
  80. Voyez la note 1 de la lettre 22.
  81. La marquise d’Uxelles passait pour être fort galante. Il y a dans les Air et Vaudevilles de cour, dédiés à Mademoiselle (Sercy, 1665, p. 295), un couplet très-mordant qui paraît être dirigé contre elle.
  82. Sur les Coulanges, oncles de Mme  de Sévigné, voyez la Généalogie, p. 344, et la Notice, p. 145 ; sur l’abbé de Livry en particulier, p. 23.
  83. Henriette de Coulanges, veuve de François le Hardi, marquis de la Trousse, tué au siège de Saint-Omer le 8 juillet 1638, était sœur de Marie de Coulanges, mère de Mme  de Sévigné. Voyez la Généalogie, p. 344.
  84. Marie le Fèvre d’Ormesson, sœur d’Olivier d’Ormesson, morte le 5 juillet 1654, âgée de quarante-huit ans. Son mari, Philippe de Coulanges lui survécut de peu d’années : il mourut le 11 juin 1659.
  85. Les trois rivaux dont veut parler Bussy sont sans doute le prince de Conti, le surintendant Foucquet et le comte du Lude. Voyez la Notice, p. 59, 63, 64.
  86. À cette époque, « le titre de précieuse était accepté par les femmes les plus distinguées du parti que j’appelle de la décence et de l’honnêteté. » (Rœderer, de la Société polie en France, chap. 14, p. 139.) La pièce de Molière (les Précieuses ridicules) ne fut jouée que le 18 novembre 1659, et il ne plaisantait que les précieuses ridicules. À la fin du siècle, le Dictionnaire de l’Académie ne donne plus au mot que le sens qu’il a aujourd’hui.
  87. Lettre 27. — i. Le cardinal de Retz, conduit de Vincennes au château de Nantes le 30 mars précédent, était parvenu à s’en évader le 8 août : Renaud de Sévigné avait favorisé son évasion. Le cardinal s’était empressé de donner de ses nouvelles à Mme  de Sévigné ; il lui avait écrit sans doute de chez le duc de Retz son frère, à Machecoul, dans le pays de Retz, et il avait adressé sa lettre à Ménage, autrefois son commensal. — Retz était cardinal depuis 1650, et depuis mars 1654 archevêque de Paris. C’est par habitude que Mme  de Sévigné le nomme le Coadjuteur. Il est vrai que pendant sa détention il avait donné au Roi sa démission de l’archevêché.
  88. Charles de la Porte, duc de la Meilleraye, maréchal de France en 1639, lieutenant général au gouvernement de Bretagne, et grand maître de l’artillerie, mort en 1664.
  89. Est-ce une allusion aux démêlés que Ménage avait eus deux ans auparavant avec le cardinal de Retz et qui avaient bien pu laisser entre eux quelque froideur ? Voyez la Muse historique de Loret, livre III, p. 140, 5 octobre 1652.
  90. Hugues de Rabutin : voyez la note 3 de la lettre 10. « C’étoit, dit Bussy dans ses Mémoires (tome II, p. 7), un brave gentilhomme, et qui ne manquoit pas de sens, mais il étoit brusque, et d’une politesse telle qu’une espèce de corsaire la peut avoir. » Hugues de Rabutin, né en 1588, mourut au mois de juin 1656.
  91. L’abbé Christophe de Coulanges, abbé de Livry. Voyez la Notice, p. 23.
  92. Voyez la Notice, p. 27.
  93. L’abbé Girault fut secrétaire de Ménage et devint ensuite chanoine du Mans. Le livre dont parle Mme de Sévigné pourrait être, a-t-on dit, les Miscellanea ou Mélanges de Ménage, que Girault, comme nous l’apprend Ménage lui-même dans sa préface latine, avait recueillis et mis en ordre. La seule objection, mais elle est grave, qu’on puisse faire à cette supposition, c’est que les Miscellanea parurent en 1652, et qu’on aurait attendu bien longtemps pour les envoyer à Mme de Sévigné.
  94. Cette nouvelle était fausse. Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes, fils du Connétable (mort en 1621), traducteur des Méditations de Descartes, ne mourut qu’en 1690. Voyez ce qui est dit dans la Notice, p. 270, de la proposition de mariage qu’il fit en 1685 à Mme de Sévigné.
  95. Lettre 28. — i. Quand Bussy écrivit cette lettre, il n’avait pas reçu la lettre suivante de sa cousine, datée du 26 juin. Voilà pourquoi il place celle de juillet la première dans son manuscrit. Nous avons fait comme lui : la clarté y gagne.
  96. Il y a quelques mots de moins dans le manuscrit de Bussy : « D’où vient que je ne reçois pas de vos lettres, Madame ? Est-ce que vous me grondez d’être parti sans vous dire adieu ? Il me semble que je vous en ai dit de si bonnes raisons, etc. » Plus loin les deux vers sont omis.
  97. Voyez la note i de la lettre 30.
  98. Vers du Temple de la Mort, de Philippe Habert, un des premiers membres de l’Académie française, mort, en 1637, au siège d’Emerick en Hainaut, à l’âge de trente-deux ans : il servait en qualité de commissaire d’artillerie. — Dans le texte de Philippe Habert, tel que le donne le Recueil des plus belles pièces des poètes françois (Paris, Cl. Barbin, 1692, tome IV, p. 177), il y a « cacher à mes yeux, » et non à mes sens. Les vers qui suivent dans le poëme la citation de Bussy, non transcrite dans notre manuscrit, expliquent très-clairement l’intention et le sens de cette citation.
  99. Lettre 29. — i. Voyez la note 1 de la lettre précédente.
  100. Les baigneurs tenaient alors des espèces d’hôtels garnis suspects, et se faisaient les intermédiaires de beaucoup d’intrigues. Le plus fameux baigneur de cette époque était Prudhomme, rue d’Orléans au Marais, à qui succéda la Vienne, qui devint par la suite premier valet de chambre du Roi.
  101. Bussy était, comme nous l’avons dit, mestre de camp général de la cavalerie légère : voyez la note 3 de la lettre 22.
  102. Mme  de Sévigné parodie le premier de ces deux vers bien connus que Corneille met dans la bouche de Curiace :

    Je rends grâces aux dieux de n’être pas Romain,
    Pour conserver encor quelque chose d’humain.

    (Horace, acte II, scène iii.)
  103. Lettre 30. — i. Élisabeth (ou Isabelle) Hurault de Chiverny, maîtresse de Bussy, était petite-fille du chancelier de Chiverny, et femme de François de Paule de Clermont, marquis de Montglas, grand maître de la garde-robe, maréchal de camp, mort en 1675, et dont on a d’intéressants mémoires. C’est évidemment Mme de Monglas, dit avec raison, je crois, M. Lalanne (Mémoires de Bussy, Notice, p. XII), qui est l’héroïne de la lettre précédente, et non Mme de Gouville (voyez la note suivante), comme le suppose M. Walckenaer.
  104. Lucie de Costentin de Tourville, sœur du célèbre Tourville, et femme de Michel d’Argouges, marquis de Gouville. Elle fit partie de la cour de Chantilly. On lit plusieurs lettres d’elle dans la Correspondance de Bussy. — Voyez Walckenaer, tome II, p. 35 et suivantes ; voyez aussi la note 3 de la lettre 31.
  105. Allusion aux lettres de Voiture, que l’on regardait alors comme le premier des épistolaires.
  106. Dans un long rapport sur le siège de Landrecy, la Gazette mentionne plusieurs fois le comte de Bussy, mais d’une façon, en effet, que sa cousine a pu trouver trop rapide et trop légère.
  107. Théophraste Renaudot, le fondateur de la Gazette (1631), était mort en 1653. Ses fils Isaac et Eusèbe continuèrent la Gazette après sa mort.
  108. Lettre 31. — i. Mmes  de Monglas et de Gouville. Voyez la lettre précédente.
  109. Ce doit être le voyage de Saint-Fargeau, où Mme  de Sévigné alla, au mois de juillet de cette année, faire sa cour à Mademoiselle alors exilée. La princesse raconte elle·même cette visite dans ses Mémoires (tome II, p. 357) : on Mmes  de Montglas, Lavardin et de Sévigné y vinrent exprès de Paris. » Voyez la lettre 42.
  110. « L’aventure de Bartet, dit Bussy dans une note de notre manuscrit, étoit qu’ayant parlé du duc de Candale à Mme  de Gouville avec mépris, ce duc lui avoit fait couper tout un côté de ses cheveux, ce qui fut une action assez hardie, car Bartet étoit secrétaire du cabinet. » Bartet, né dans une condition fort obscure, devait sa fortune aux services qu’il avait rendus à la Reine mère et au cardinal Mazarin pendant l’exil de ce dernier : il s’était chargé de leur correspondance. Le duc de Candale, était fils du duc Bernard d’Épernon, neveu du cardinal de la Valette, et frère de Mlle d’Épernon la carmélite ; il était fort à la mode en ce temps-là, et passait pour être bien avec, la marquise de Gouville. Bartet, qui la recherchait aussi, crut que le meilleur moyen de réussir auprès d’elle serait de jeter du ridicule sur son rival. Il se permit de dire chez la marquise que si l’on ôtait au duc de Candale ses grands cheveux, ses grandes manchettes, ses grands canons, et ses grosses touffes de galants, il ne serait plus qu’un atome. Le duc ne tarda pas à s’en venger. Vers la fin de juin 1655, Bartet passant en voiture, à dix heures du matin, dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre, fut arrêté par onze cavaliers apostés par M.  de Candale. Les uns s’emparèrent des rênes des chevaux, et menacèrent le cocher de leurs pistolets ; deux autres entrèrent dans le carrosse, coupèrent a Bartet tout un côté de ses cheveux, et arrachèrent son rabat, ses canons et ses manchettes. Toute la haute noblesse applaudit à l’avanie faite au parvenu, et la trouva, comme dit Mme de Sévigné, fort bien imaginée. Le duc de Candale était d’ailleurs très-puissant, et l’affaire n’eut aucune suite en justice ; mais Bartet trouva, dit-on, le moyen de se venger en faisant saccager l’hôtel du duc par des archers. Le duc de Candale mourut peu d’années après, en 1658 ; Bartet, en 1707, à l’âge de cent cinq ans.
  111. Lettre 32 (revue sur l’autographe). — i. La première édition du Malherbe de Ménage parut en 1666, et naturellement on est tenté d’abord de placer cette lettre à cette date ; mais Mme  de Sévigné à quarante ans aurait-elle écrit ce qui suit les remercîments pour le Malherbe ? C’est possible, mais on ne peut pas dire, ce semble, que ce soit très-probable. Nous laissons donc ce billet à la place qu’on lui a d’abord assignée, mais nous nous gardons bien d’affirmer que ce soit la véritable. Voici comment on a cru pouvoir lever la difficulté que présente la mention du Malherbe. Ménage dit dans sa préface que le texte des poésies et la première feuille de ses observations étaient imprimés depuis plus de douze ans, et qu’il avait, par un motif particulier, « arrêté l’édition de cet ouvrage. » Il a donc pu se faire à la rigueur que, dès 1654 ou 1655, il ait donné à Mme  de Sévigné un exemplaire des poésies sans les observations.
  112. Ce passage a été appliqué par les uns à Foucquet, par d’autres, qui placent le billet vers 1658, à Servien. Rien ne prouve, surtout évidemment comme on l’a dit, qu’il s’agisse soit de l’un soit de l’autre. Les mots « quelque envie qu’il ait de se mettre à la mode, » conviennent-ils bien à Foucquet ? Quant à Servien, en 1658, il avait soixante-cinq ans.
  113. Lettre 33. — i. Ville du Hainaut, aujourd’hui dans le département du Nord.
  114. Les lettres 29, 30 et 31.
  115. Ce passage, depuis : « Vous me parlez de votre désespoir, » manque dans le manuscrit de Bussy. « La rudesse de Rome naissante » s’applique à la citation de Corneille de la lettre 29.
  116. Lettre 34. — i. Village près de Lens en Artois (Pas-de-Calais).
  117. Bussy raconte dans ses Mémoires (tome II, p. 49) que lorsqu’il acheta en 1653, la charge de mestre de camp général de la cavalerie, le surintendant l’aida de sa bourse. Il parle au même endroit des diverses raisons qui le mirent mal avec Foucquet, et des assurances que Mme de Sévigné donnait à celui-ci du dévouement de son cousin.
  118. Gillonne d’Harcourt, veuve de Louis de Brouilly, marquis de Piennes, et femme en secondes noces de Charles-Léon, comte de Fiesque. Elle mourut en 1699 à quatre-vingts ans. On la connaissait dans le monde sous le nom de Mme la Comtesse. Elle était dame d’honneur de Mademoiselle. Dans ce passage énigmatique, Bussy veut parler probablement de quelque lettre relative aux démêlés de la princesse avec son père. Voyez les Mémoires de Mademoiselle, à l’année 1655.
  119. Par alliance : Bussy avait épousé en premières noces Gabrielle de Toulongeon, cousine germaine de Mme de Sévigné. Par une addition écrite d’une autre encre, au-dessus de la ligne, par la marquise de Coligny, fille de Bussy, le texte a été plus tard ainsi modifié : cousins issus de germains.
  120. Au moyen d’une autre addition au-dessus de la ligne, qui est de la même main que la précédente, c’est-à-dire de Mme de Coligny, la fin de cette phrase a été ainsi corrigée dans le manuscrit : « Et qu’une marque de cela étoit l’envie qu’il avoit de vous voir, bien qu’il ne voyoit aucune femme. » Bussy avait d’abord écrit dame au lieu de femme (fame).
  121. Voyez la Notice, p. 62.
  122. Louis de Crevant d’Humières, maréchal de France en 1668. Il avait épousé, en 1653, Louise-Antoinette (selon Bussy, Marie-Anne) Thérèse de la Châtre, fille de l’auteur des Mémoires et de Françoise de Cugnac, cousine germaine de Bussy.
  123. Armand de Bautru, comte de Nogent, qui se noya au passage du Rhin en 1672.
  124. Il s’agit de Louis de la Châtre, comte de Nançay, dit le marquis de la Châtre, mort en 1664 ; et non, comme on l’a cru, d’Edme de la Châtre, son père, auteur des Mémoires, colonel général des Suisses, amant de Ninon, mort en 1645.
  125. Lettre 35. — i. La cour allait souvent à Compiègne en ce temps-là. Le mariage de la nièce de Mazarin, Laure Martinozzi, avec Alphonse d’Este, y fut célébré au mois de juin 1655. Nous avons des lettres de Mazarin datées de Compiègne, du mois de novembre 1655.
  126. Lettre 36. — i. Bussy avait d’abord écrit ainsi, qu’il a effacé et remplacé par mais.
  127. Isabelle-Angélique de Montmorency Bouteville, née en 1626, sœur du maréchal de Luxembourg, était alors veuve de Gaspard de Coligny, duc de Châtillon, tué à l’attaque de Charenton. Elle épousa à trente-huit ans, en 1664, Christian-Louis, duc de Mecklenbourg, ou, comme on disait au dix-septième siècle, de Meckelbourg. C’est la fameuse duchesse de Châtillon, dont les galanteries et les intrigues occupent tant de place dans l’Histoire amoureuse des Gaules.
  128. Basile Foucquet, abbé de Barbeaux et de Rigny, chancelier des ordres du Roi, agent de Mazarin, mourut en 1680, peu de temps avant son frère le surintendant.
  129. Mazarin mit la duchesse de Châtillon en chartre privée chez l’abbé Foucquet, pour la forcer d’écrire au maréchal d’Hoquincourt, amoureux d’elle, et d’user de tout son ascendant pour l’empêcher de livrer Péronne aux Espagnols. Bussy raconte dans l’Histoire amoureuse des Gaules, tome II, p. 406, que Mme  de Châtillon resta trois semaines sous la garde de l’abbé.
  130. Voyez la note 7 de la lettre 26.
  131. C’était le nom de sa maison. On l’appeloit Mlle de Fruges avant son mariage avec Deschapelles, fils de la nourrice de la reine d’Angleterre, dont elle ne porta jamais le nom. Voyez les Mémoires de Mademoiselle. tome III. P. 263. et ceux de Montglas, tome LI. p. 57.
  132. M. Walckenaer (tome II, p. 55 et suivantes) donne un tout autre motif de l’exclusion de la duchesse de Roquelaure.
  133. Charles de Lorraine, IIIe du nom, du vivant de son père prince d’Harcourt (Bussy écrit de Harcour). Voyez la note 3 de la lettre 26.
  134. François, vicomte d’Aubusson, duc de la Feuillade, pair et maréchal de France en 1675. Voyez la lettre du 20 juillet 1679.
  135. Nicolas Jeannin de Castille, trésorier de l’Épargne, petit-fils par sa mère du président Jeannin.
  136. Le chevalier, plus tard comte de Gramont, le héros des Mémoires d’Hamilton, servit de bonne heure comme volontaire sous Condé et sous Turenne. Il mourut en 1707, à l’âge de quatre-vingt-six ans.
  137. On appelait ainsi les jeunes gens qui, leurs études terminées, apprenaient leurs exercices et surtout à monter à cheval, dans des écoles qu’on nommait académies.
  138. « On peut connoître par cette lettre, ajoute Bussy, que la marquise m’en avoit écrit une dans laquelle il y avoit quelque endroit que j’avois critiqué ; et la sienne et la mienne ont été perdues. »
  139. Lettre 37. — i. Dans l’édition de 1818, cette lettre est placée au 23 juin 1668, année où parut la cinquième édition des Poemata de Ménage. Comme en 1668, le 23 juin est un samedi et non un vendredi, on avait, pour pouvoir la mettre à cette année, supprimé le mot vendredi, qui est dans l’autographe, et que nous avons naturellement rétabli. Nous ne voyons pas ce que ce billet perd à se trouver à sa vraie date, au vendredi 23 juin 1656 : c’est l’année où Ménage donna la seconde édition de ses poëmes (l’achevé d’imprimer est du 8 avril). Mme de Sévigné avait trente ans ; et ne va-t-il pas bien à cet âge, ce souvenir sans tristesse des premières années de la jeunesse, et du temps que lui rappelaient ces vers où le poète la nommait

    Des ouvrages du ciel le plus parfait modèle, etc. ?

    Le seul regret que nous donne cette transposition à laquelle l’original du billet nous oblige, c’est qu’elle renverse tout l’ingénieux édifice de conjectures que Walckenaer (tome III, p. 117) avait construit sur cette date.

  140. Lettre 38. — i. On a placé cette lettre à l’année 1656, et nous la laissons à cette place, tout en reconnaissant que rien n’indique l’année où elle fut écrite. Le ton en est même si différent de celui de la précédente, qu’on mettrait volontiers plus de distance entre les deux.
  141. Voyez la note i de la lettre 6.
  142. La promenade à la mode était le Cours-la-Reine, sur les bords de la Seine, entre les Tuileries et Chaillot. Voyez la Société française au XVIIe siècle, par M.  Cousin, tome II, p. 308 et suivantes.
  143. Lettre 39. — i. François de Créquy, frère cadet du duc de Créquy, lieutenant général des armées du Roi, maréchal de France en 1668.
  144. Louis Brulart, marquis de Sillery, mestre de camp d’infanterie, beau-frère de la Rochefoucauld, était fils de la vicomtesse de Puisieux, dont il est souvent parlé dans la Correspondance. Voyez la note 2 de la lettre 115.
  145. Molondin était mestre de camp des gardes suisses. Après sa blessure au siège de Valenciennes, il fut fait maréchal de camp.
  146. Dans le manuscrit, on a remplacé au-dessus de la ligne les mots « la plus grande ville », par « une des plus considérables places ».
  147. L’armée espagnole était commandée par don Juan d’Autriche, le prince de Condé et le marquis de Caracène.
  148. Philippe-Auguste le Hardi, marquis de la Trousse, cousin germain de Mme  de Sévigné : voyez la Généalogie, p. 344. En 1669, au moment du mariage de Mme  de Grignan, il était capitaine sous-lieutenant des gendarmes-Dauphin. Charles de Sévigné l’eut longtemps pour chef. Il mourut en 1691, chevalier de l’ordre, lieutenant général des armées du Roi et gouverneur d’Ypres.
  149. Bussy, dans ses Mémoire : (tome I, p. 429), dit simplement de lui que c’était un volontaire, « jeune gentilhomme de courage et d’esprit. »
  150. Cette fin, depuis : « L’affaire du régiment », ne se trouve pas dans notre manuscrit, mais dans celui des Mémoires.
  151. Lettre 40. — i. Henri de Senneterre, duc de la Ferté, maréchal depuis 1651, mort en 1681.
  152. Jean, comte d’Estrées, lieutenant général depuis 1655, devint maréchal de France en 1681. Il était frère puîné du duc d’Estrées, mort ambassadeur à Rome, et frère aîné du cardinal.
  153. Louis d’Hostun de Gadagne, comte de Verdun, frère aîné de Roger, marquis de la Baume et père du maréchal de Tallart. Voyez la note 9 de la lettre 54.
  154. Clériadus, d’abord chevalier de Malte, marquis de Renel depuis la mort de Bernard son frère aîné (1645). Suivant Moréri, il aurait été tué sous Valenciennes en 1656, commandant la cavalerie du maréchal de la Ferté.
  155. Louis, marquis d’Estrées, frere cadet et consanguin du comte d’Estrées nommé plus haut : voyez la note 2.
  156. Elie de Belsunce, tué à la tête du régiment de son nom.
  157. Louis Châlon du Blé, marquis d’Uxelles, père du maréchal de ce nom. Voyez la note 4 de la lettre 43.
  158. Bernardin Gigault, marquis de Bellefonds, l’ami de Bossuet, premier maître d’hôtel du Roi en 1663, maréchal de France en 1668. Il était neveu de Judith de Bellefonds (la mère Agnès de Jésus-Maria), prieure des carmélites, et de la marquise de Villars.
  159. Lettre 41 (revue sur l’autographe). — i. On trouvera au tome II (p. 197-208) de la Société française au XVIIe siècle, tout un commentaire, aussi ingénieux qu’intéressant, de cette lettre à Ménage.
  160. Jacques Bordier du Raincy (Mme de Sévigné écrit du Rinssy) était le dernier fils de Bordier, avocat, qui fit fortune dans les affaires, devint intendant des finances, bâtit le château du Raincy, et obtint pour son fils cadet le titre de ce domaine. Ce M.  du Raincy venait de faire un madrigal qui avait eu un assez grand succès de société. Ménage en fut jaloux. Il trouva dans le Guarini un sonnet tout semblable à celui de Raincy et en le faisant connaître diminua fort le succès du financier. Non content de cela, il traduisit lui-même le madrigal français en italien, et au lieu de donner ses vers pour une traduction, il les mit sous le nom du Tasse et accusa Raincy de plagiat. Presque tous les beaux esprits du temps s’y trompèrent, et décidèrent que le madrigal du Tasse était fort préférable à celui du Guarini et au madrigal français. On voit par cette lettre que Mme  de Sévigné ne donna pas dans le piège. Mme  de Rambouillet n’avait pas non plus partagé l’engouement général. Quant à Mlle  de Scudéry, elle se douta de la tricherie et força Ménage d’en faire l’aveu. — M. Cousin, dans l’ouvrage que nous avons cité, et d’où nous tirons ces détails, donne le madrigal de Raincy, à la page 198 du tome II. La traduction de Ménage est dans ses Mescolanze, Paris, 1678, p. 57.
  161. La onzième Provinciale de Pascal avait paru le 18 août 1656.
  162. Marie Godde de Varennes, femme du marquis de la Troche, conseiller au parlement de Rennes, de la maison de Savonnière, en Anjou, veuve en 1689. Elle survécut à Mme  de Sévigné. Voyez la Notice, p. 159.
  163. Dans l’autographe : « Quelle réception vous aura fait. »
  164. La reine Christine vint à Paris dans l’été de 1656, et chargea Ménage de lui présenter les savants et les hommes de lettres les plus distingués.
  165. Lettre 42. — i. Mademoiselle raconte dans ses Mémoires (tome II, p. 428 et suivantes)le voyage qu’elle fit, dans l’été de 1656, de Saint-Fargeau à Forges-les-Eaux, en Normandie (Seine-Inférieure). Elle s’arrêta à Chilly, près d’Essonne, pour y recevoir la visite de la reine d’Angleterre ; le lendemain, le comte et la comtesse de Béthune, Mme de Thianges, etc., la vinrent conduire à Saint-Cloud.
  166. Ce membre de phrase que nous reproduisons d’après la copie très-fautive d’où nous tirons cette lettre, n’a point de sens : il y a évidemment une lacune, mais elle est facile à combler quant à la pensée, et ce que veut dire Mme de Sévigné est bien clair. Le mien doit se rapporter à « empressement », ou à quelque mot semblable, qui était sans doute exprimé précédemment.
  167. Mademoiselle, à son retour de Forges, visita la reine Christine de Suède, d’abord à Essonne, puis à Montargis.
  168. Léonor de Flesselles, comte de Brégis (ou Brégy), fut, par le crédit de sa femme Charlotte Saumaise de Chazan, attaché à la Reine, et nommé successivement ambassadeur en Pologne, et en Suède du temps de Christine. Dans les Divers Portraits de Mademoiselle, il y en a plusieurs, entre autres celui de Mazarin, qui sont l’œuvre de Mme de Brégis.
  169. Thalestris, reine des Amazones, fit un voyage de trente-cinq jours de marche pour venir voir Alexandre. Cette comparaison pourrait bien être un souvenir du Balet loyal de Psyché, par Benserade, qui fut dansé en 1656, et où figurait, avec quatre autres Amazones, Thalestris, représentée par Monsieur, frère du Roi.
  170. Marie de Cossé, fille de François, duc de Brissac, seconde femme du maréchal de la Meilleraye. Voyez la note 2 de la lettre 27.
  171. Dans la compilation intitulée Recueil A B C D, etc., se trouve (partie C, p. 157-174) un article qui a pour titre Extrait d’un manuscrit petit in-4o… d’une très-grande bibliothèque, intitulé : « Récit véritable de la venue d’une cane sauvage, depuis longtemps, en l’église de Saint-Nicolas de Montfort (Montfort-sur-Meu ou Montfort-la-Cane, Ille-et-Vilaine). Dressé par le commandement de S. A. R. Mademoiselle. » Cette histoire, est-il dit dans l’extrait, fut écrite en 1662. En voyant d’une part cette date, de l’autre ce commandement de Mademoiselle, on serait vraiment tenté de croire que la lettre de Mme de Sévigné avait piqué la curiosité de la princesse, et qu’elle avait fait faire des recherches sur l’étrange miracle. La cane y a gagné : dans le récit, qui a pour auteur un chanoine régulier de Sainte-Geneviève, lequel avait longtemps résidé dans une abbaye de Montfort, elle n’est pas, comme dans la lettre, une impie, mais une pieuse et sainte fille.
  172. Et si s’employait dans le langage familier, pour dire « cependant, avec cela, néanmoins ».
  173. Donné parole, pour tenu parole, est vraisemblablement une faute de la copie.
  174. Dans la copie il y a Chantail. Le nom est écrit de même dans l’Épitaphe du père de Mme de Sévigné (voyez la Notice, p 307). On lit aussi Chantail avec un i dans notre lettre 6, telle qu’elle est imprimée dans les Œuvres de M.  de Montreuil.
  175. LETTRE 43. — Cette lettre manque dans notre manuscrit.
  176. Blécy est un village du département du Pas-de-Calais, arrondissement de Béthune.
  177. La Pucelle de Chapelain avait paru l’année précédente.
  178. Le mari de la marquise d’Uxelles, après avoir servi vingt-deux campagnes, finit par obtenir un brevet de maréchal de France ; mais il mourut, en 1558, avant d’être entré en possession de sa dignité.
  179. Nous avons suivi le texte des Mémoires. Dans les éditions antérieures des Lettres il y a « plus mal à propos. »
  180. Il y eut plusieurs ruptures entre Bussy et Turenne et plusieurs réconciliations. Bussy parle dans ses Mémoires (tome II, p. 31) d’un malentendu qui s’éleva vers ce temps-là entre le maréchal et lui, au sujet de Gassion, mestre de camp de cavalerie.
  181. Lettre 44 (revue sur l’autographe). — i. Abel Servien, après avoir été chargé de plusieurs négociations importantes, fut nommé, au commencement de 1653, surintendant des finances conjointement avec Foucquet. — On a placé ce billet, un peu au hasard, vers l’année 1658. La seule chose certaine, c’est qu’il est antérieur à la mort de Servien, qui arriva le 17 février 1659. Les deux billets suivants sont encore plus difficiles à dater.
  182. Lettre 45. — On a conjecturé qu’il s’agissait encore ici de l’estime de Servien : voyez le billet précédent.
  183. Louis de la Trémouille, marquis, puis, en 1650, duc de Noirmoutier, mourut le 12 octobre 1666, à l’âge de cinquante-quatre ans. Il était père de ce duc de Noirmoutier qui devint aveugle à dix-huit ans, de l’abbé de Noirmoutier, qui fut depuis cardinal, et de la princesse des Ursins.
  184. Lettre 47 — i. Cette lettre est postérieure à la publication de la suite de la 3e partie de la Clélie, suite qui parut en 1657, et dans laquelle se trouve le portrait de Mme de Sévigné sous le nom de la princesse Clarinte : voyez la Notice, p. 318-321. Nous voyons en outre que Costar l’écrivit peu de temps avant l’impression de la seconde partie de ses Lettres, publiée en 1659. — Costar, archidiacre de l’évêché du Mans, qui dirigeait l’éducation du fils unique de la marquise de Lavardin, belle-sœur de son évêque, avait eu occasion de recevoir au Mans, en 1652, Mme de Sévigné, comme nous l’apprenons par une lettre de l’abbé Foucquet à Conrart (Manuscrits de Conrart, Biblioth. de l’Arsenal, tome IX, p. 877).
  185. Voyez la Notice, p. 158, et la note 5 de la lettre 132.
  186. « La reine Christine avait fait un grand éloge de Mme de Sévigné dans une lettre écrite à Mme de Lavardin, que celle-ci avait communiquée à Costar. Mme de Sévigné écrivit à ce dernier, pour se plaindre de la publicité qu’il avait donnée à cette lettre. C’est à cette lettre de Mme de Sévigné que répond la première des deux lettres de Costar. » (Walckenaer, tome II, p. 168.)
  187. Voyez la note 2 de la lettre 21.
  188. Lettre 48. — i. « Cette seconde lettre prouve encore une liaison plus intime. Costar avait prêté à la marquise une peau d’ours, qu’elle lui avait renvoyée. Elle lui avait aussi transmis quatre portraits écrits, dont un était celui de Mlle de Valois, fille de Gaston, et un autre, le sien sous le nom d’Iris, par un inconnu. » (Walckenaer, tome II, p. 168.)
  189. Voyez dans la Notice, p. 321-323, le portrait de Mme  de Sévigné que composa Mme de la Fayette sous le nom d’un inconnu. Ce portrait remonte à l’année 1659, et nous donne la date de cette seconde lettre de Costar, publiée, comme la première, cette même année 1659. Mme de Sévigné, dans une lettre à sa fille du ier décembre 1675, parle ainsi du portrait de l’inconnu : « Il vaut mieux que moi ; mais ceux qui m’eussent aimée il y a seize ans, l’auroient pu trouver ressemblant. »
  190. Lettre 49. — i. Dans le manuscrit d’où cette lettre est tirée il y a septembre au Lieu d’octobre. C’est évidemment une faute, puisque Foucquet ne fut arrêté que le 5 septembre. Voyez la note suivante.
  191. On avait saisi à Saint-Mandé les cassettes du surintendant Foucquet, qui avait été arrêté à Nantes le 5 septembre 1661. Ces cassettes enfermaient, outre les papiers politiques, beaucoup de lettres galantes. Parmi ces dernières, et (tout le prouve) ce n’était point leur place, s’étaient aussi trouvées des lettres de Mme de Sévigné. — Voyez les lettres suivantes, à Ménage et à Pompone, et la Notice biographique, p. 67 et suiv.
  192. On sait que le nom de Sapho désigne Mlle  de Scudéry. Elle avait fait elle-même son portrait sous ce nom dans le Grand Cyrus (tome X, livre II, p. 554 et suivantes).
  193. Au marquis de la Trousse, dont Chapelain avait été le précepteur et dont toutes les affaires lui étaient confiées : voyez la lettre suivante. Mme de Sévigné avait eu aussi occasion de remercier Foucquet pour un autre cousin, le comte de Bussy.
  194. M. Mesnard dit avec raison au sujet de toute cette lettre de Chapelain : « Mme de Sévigné fut sans doute reconnaissante de son zèle ; mais nous doutons qu’elle ait été contente de sa lettre. Elle ne devait pas aimer qu’on parlât d’un ami malheureux avec une sévérité qui allait jusqu’à l’outrage, et qu’on traitât Scarron, Pellisson, et Mlle  de Scudéry de canaille intéressée. » (Notice biographique, p. 68 et suivantes.)
  195. Lettre 50 (revue sur l’autographe). — i. Sans doute Mme  de la Fayette : voyez la note 2 de la lettre 21.
  196. Mme  de Sévigné avait d’abord écrit : « pour celui (l’intérêt) de M.  de la Trousse ; » puis elle a effacé celui et écrit au-dessus de la ligne « les affaires. »
  197. Voyez la note 4 de la lettre précédente, et la note 6 de la lettre 39.
  198. C’est la première mention de Mlle  de Sévigné que nous trouvions dans la Correspondance. Elle eut quinze ans le lendemain du jour où sa mère écrivait cette lettre à Ménage.
  199. Lettre 51 (revue sur l’autographe). — i. Simon Arnauld, marquis de Pompone, fils d’Arnauld d’Andilly et neveu du grand Arnauld, était né en 1618 et mourut en 1699. Il prit d’abord d’un bien de sa mère le nom de Briotte, et en 1649 celui de Pompone, porté jusque-là par l’un de ses oncles. Intendant de Casal en 1642, puis des armées de Naples et de Catalogne, ambassadeur deux fois en Suède (1665, puis 1671), et dans l’intervalle en Hollande (1669), successeur de Lyonne aux affaires étrangères (6 septembre 1671), il fut renvoyé en novembre 1679, et rappelé au conseil en juillet 1691. Pompone était l’ami de Foucquet ; ce ministre avait même contribué à son mariage avec Catherine Ladvocat, qu’il épousa en 1660. La disgrâce de Foucquet rejaillit sur ses amis : Pompone fut relégué à Verdun, au commencement de mars 1662. Voyez sur l’origine de sa liaison avec Mme  de Sévigné, la Notice, p. 69.
  200. Voyez les deux lettres précédentes.
  201. Le marquis de la Trousse avait épousé Marguerite de la Fond. Voyez la Généalogie, p. 344.
  202. Antoine Arnauld, abbé de Chaumes (1674), était l’aîné des enfants d’Arnauld d’Andilly. Il servit jusqu’en 1643 dans le régiment de son oncle Arnauld de Corbeville. Ayant ensuite embrassé l’état ecclésiastique, il donna la plus grande partie de son bien à son frère de Pompone. Il a laissé des mémoires curieux. Voici en quels termes il y parle de Mme  de Sévigné (tome XXXIV, p. 314) : « Ce fut en 1657 que M.  (Renaud) de Sévigné me fit faire connoissance avec l’illustre marquise de Sévigné, sa nièce, dont le nom seul vaut un éloge à ceux qui savent estimer l’esprit, l’agrément et la vertu. On peut dire d’elle une chose fort avantageuse et fort singulière : qu’une des plus dangereuses plumes de France (Bussy Rabutin) ayant entrepris de médire d’elle, comme de beaucoup d’autres, a été contrainte par la force de la vérité de lui feindre des défauts purement imaginaires, ne lui en ayant pu trouver de réels. » Voyez dans la Notice, p. 88, le tableau gracieux qui suit cet éloge.
  203. Lettre 52 (revue sur l’autographe). — i. Voyez la lettre 50. Ménage n’avait pas attendu pour défendre Mme de Sévigné qu’elle le priât de le faire.
  204. Ce fut Mlle de Scudéry qui s’éleva, dit-on, avec le plus de force contre ceux qui, à l’occasion des cassettes de Foucquet, se permettaient des insinuations calomnieuses contre Mme de Sévigné.
  205. Il est vraisemblable que cette nouvelle était le démêlé très-vif qui avait eu lieu à Londres, le 10 octobre, pour la préséance, entre le comte d’Estrades, ambassadeur de France en Angleterre, et le baron de Vatevile (ou Batteville), ambassadeur d’Espagne. Louis XIV exigea et obtint une réparation égale à l’offense.
  206. Lettre 53 (d’après l’autographe, inédit). — i. Pellisson, premier commis de Foucquet, fut jeté à la Bastille en septembre 1661, et n’en sortit que vers la fin de 1665 ou au commencement de 1666.
  207. Lettre 54. — i. Les lettres de Pomponne (54-67) sur le procès de Foucquet ont été revues sur deux anciennes copies manuscrites dont il sera parlé dans la Notice bibliographique, et que nous désignons par les noms de copie Amelot et de copie de Troyes. — Sur ce procès et sur ces lettres, voyez la Notice biographique, p. 64-75.
  208. Foucquet, après une instruction qui avait duré trois années, comparut, pour la première fois, devant la chambre de justice de l’Arsenal, le 14 novembre 1664. Il se plaça de lui-même sur la sellette. Voyez les Œuvres de M.  Foucquet, tome XII, p. 335.
  209. La commission qui jugeait Foucquet était présidée par le chancelier Seguier, que sa conduite dans le procès de de Thou avait déjà rendu odieux.
  210. La copie de Troyes porte commissaires au lieu de commissions.
  211. Foucquet était accusé d’avoir reçu une pension de cent vingt mille livres des fermiers des gabelles.
  212. « Mon frère, dit l’abbé Arnauld dans ses Mémoires (tome XXXIV, p. 318), eut sa part à la disgrâce de M.  Foucquet ; il fut relégué à Verdun. Y ayant été un an, il eut permission de se rapprocher jusqu’à la Ferté-sous-Jouarre, pour pouvoir conférer avec la famille de sa femme, sur les affaires que la mort de M.  Ladvocat, son beau-père, avoit laissées. Il y fut encore dix-huit mois, au bout desquels il obtint (en septembre 1664) la liberté de demeurer à Pompone. » Il y trouva son père, Arnauld d’Andilly, à qui le chevalier du guet avait apporté, le 2 septembre, à Port-Royal des Champs, un ordre du Roi pour se retirer à Pompone.
  213. La sœur Marie-Angélique de Sainte-Thérèse Arnauld d’Andilly, qui avait été enfermée avec sa tante, la mère Agnès, une des sœurs d’Arnauld d’Andilly, au couvent des Filles de la Visitation du faubourg Saint-Jacques. Voyez la lettre 56, p. 444.
  214. La sœur de Pompone venait de signer le formulaire, acte par lequel on reconnaissait que les cinq propositions étaient hérétiques et qu’elles avaient été extraites du livre de Jansénius.
  215. Par le conseil de Colbert, qui voulait rétablir le commerce, troublé au Levant par les corsaires de Tunis et d’Alger, « le Roi, dit Bussy dans ses Mémoires (tome II, p. 208), avoit envoyé 6000 hommes sous le commandement du duc de Beaufort, amiral de France, et de Gadagne, lieutenant général sous lui, pour faire une descente vers les côtes d’Alger et se saisir de quelque port. Ils mirent pied à terre à Gigeri, s’y fortifièrent, et en furent chassés au bout de quelque temps (dans la nuit du 29 au 30 octobre 1664), avec perte de soixante-dix pièces de canon, de toutes les munitions de guerre et de bouche, et de tous les blessés et les malades. Je laisserai à l’histoire générale le détail de cette expédition, et je me contenterai de dire que si Gadagne eût été cru, elle eût été aussi utile et aussi glorieuse au Roi qu’elle lui fut préjudiciable. » Sur le marquis de Gadagne, voyez la note 3 de la lettre 40.
  216. La phrase est ironique : Nicolas Pavillon, évêque d’Aleth, était l’un des défenseurs les plus prononcés du jansénisme, tandis que le P. Annat, jésuite et confesseur du Roi, en était un des plus ardents adversaires.
  217. Lettre 55. — i. « Cette lettre a été placée jusqu’à présent à la suite de celle du lundi ier décembre : voyez p. 454. Un examen réfléchi démontre que sa date véritable est le mardi au soir, 18 novembre. Ici l’on continue l’examen de la question des gabelles, qui avait été commencé la veille : voyez la lettre précédente. La maladie de la Reine donne d’ailleurs la date de la manière la plus positive. La transposition de cette lettre jetait beaucoup d’obscurité sur cette partie de la Correspondance. » (Note de l’édition de 1818.) — La copie Amelot met cette lettre à sa vraie place, à celle qu’elle a ici. Dans la copie de Troyes, elle vient, comme dans les anciennes éditions, après celle du 1er décembre, et l’on a même eu soin de la dater du 2 de ce mois.
  218. Arnauld d’Andilly. Voyez la note 6 de la lettre précédente.
  219. Élisabeth (ou Isabelle) de Choiseul, fille du marquis et maréchal de Choiseul Praslin. Son mari, Henri de Guénégaud, seigneur du Plessis et de Fresnes, ancien trésorier de l’Épargne, fut enveloppé dans la disgrâce de Foucquet, et conduit à la Bastille, au mois d’août 1663. Il perdit la plus grande partie de sa fortune, par suite des restitutions auxquelles le condamna la chambre de justice. — Le château de Fresnes, où se trouvait Mme de Guénégaud, au moment où Mme de Sévigné écrivait ses premières lettres sur le procès de Foucquet, était situé dans la Brie, arrondissement de Meaux, à deux lieues de Pompone ; il a été longtemps habité par le chancelier d’Aguesseau.
  220. Voyez Walckenaer, tome III, p. 74.
  221. Jean Coiffier de Ruzé d’Effiat, abbé de Saint-Sernin (de Toulouse) et de Trois-Fontaines, frère de Cinq-Mars, et beau-frère du maréchal de la Meilleraye, grand maître de l’artillerie, qui lui fit donner un appartement à l’Arsenal. Il mourut en 1698. Voyez la lettre du 28 octobre 1671.
  222. Mme  de Sévigné n’écrit pas j’enverrai, j’enverrais, mais j’envoirai, j’envoirais. Voyez le Lexique dans le dernier volume.
  223. Mme de Sévigné écrit aussi, habituellement, mecredi, sans r.
  224. La Reine était accouchée le 16 novembre d’une princesse, nommée Marie-Anne, qui ne vécut qu’un mois ; et le lendemain 17, elle eut des convulsions qui la mirent à l’extrémité. Anne d’Autriche l’avertit de son danger, et l’engagea à recevoir les sacrements. Le 18, elle éprouva du mieux. Mme  de Motteville, qui nous fournit ces dates, ne fait pas mention de l’emplâtre de Mme  Foucquet, dont il est parlé dans la lettre suivante ; elle attribue la guérison de la Reine à l’émétique.
  225. La Gazette du 22 novembre 1664 décrit, dans un grand détail, toute cette cérémonie.
  226. Petit est un nom de convention pour désigner Colbert, et la copie Amelot substitue en effet Colbert à Petit. Puis a été entendu de Pussort, membre du grand conseil, oncle et créature de Colbert, mais c’est plutôt le chancelier Seguier. On voit en effet Puis affecter la dévotion dans l’anecdote de la supérieure des Filles de Sainte-Marie (lettre 57), et, dans la lettre du 1er  décembre, Mme de Sévigné exprime le regret de n’avoir pas trouvé au bout de sa plume la métamorphose de Pierrot en Tartuffe, mot malin qu’avait laissé échapper, en lisant la lettre adressée à Pompone, le solitaire Arnauld d’Andilly, et qui s’appliquait à Seguier, appelé souvent Pierrot dans les chansons du temps. Il n’y avait d’ailleurs qu’une maladie du chancelier qui pût faire suspendre le procès.
  227. La copie Amelot a sera au lieu du premier fera.
  228. Voyez la note 8 de la lettre 57.
  229. C’est-à-dire de Mme du Plessis Guénégaud. Son portrait sous ce nom se trouve dans la Clélie (IIIe partie, liv. II, tome VI, p. 816 et 820).
  230. Lettre 56. — i. Le marc d’or était un droit qu’on prélevait sur tous les offices de France à chaque changement de titulaire. Ce droit avait été augmenté, et Foucquet était accusé de s’être approprié illégitimement une partie de cette augmentation. Voyez son interrogatoire général dans les Œuvres de M.  Foucquet, tome XVI, p. 44. Les deux autres accusations dont il est parlé dans cette lettre étaient de même nature.
  231. Au lieu des mots « et au conseiller breton, » il s’était introduit ici, dans la première édition de 1756, une faute étrange qui a été répétée depuis par tous les éditeurs : « étant conseiller breton, » ce qui dans cette phrase n’a aucun sens. Le texte a été rectifié d’après la copie Amelot et la copie de Troyes, qui ont toutes deux « et au conseiller breton. » — Le Breton dont il s’agit est Héraut ou Hérault, conseiller au parlement de Rennes. Le reproche que lui adresse le chancelier est aussi rapporté dans le Journal de d’Ormesson.
  232. Charles de Batz, qui prit le nom d’Artagnan, du chef de sa mère Françoise de Montesquiou Artagnan. C’était lui qui, comme capitaine des mousquetaires, avait arrêté Foucquet.
  233. Marie de Maupeou, née en 1590, veuve en 1640 de François Foucquet, vicomte de Vaux, conseiller d’État. C’était une femme d’une très-grande piété. Au moment où elle apprit l’arrestation de son fils, elle se jeta à genoux, et s’écria : « C’est à présent, mon Dieu, que j’espère du salut de mon fils. » — On a de cette dame, qui s’occupait surtout de bonnes œuvres, un recueil de recettes (1665, in-12).
  234. Au couvent de la Visitation de Sainte-Marie, du faubourg Saint-Jacques. Voyez la note 7 de la lettre 54.
  235. Dans la copie de Troyes il y a « élevée en Dieu. »
  236. Hardouin de Beaumont de Péréfixe, archevêque de Paris. On sait le mot qu’il dit sur les religieuses de Port-Royal : « Pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons. »
  237. Les religieuses de Port-Royal refusèrent de signer le formulaire. L’archevêque se transporta au couvent de Port-Royal de Paris, le 26 août 1664, et ordonna à douze d’entre elles de se retirer dans des communautés, où elles furent conduites sans retard.
  238. Arnauld d’Andilly.
  239. Lettre 57. — i. Le principal couvent de la Visitation était rue Saint-Antoine, dans l’hôtel de Cossé. C’est dans l’église de ce couvent, construite par Fr. Mansard, et dédiée en 1634 par André Frémyot, frère de sainte Chantal, que fut enterré le surintendant Foucquet, et avant lui son père. C’est là aussi qu’on a retrouvé en 1834 le cercueil de Henri de Sévigné, mari de la marquise, et ceux de plusieurs autres membres des familles de Sévigné et de Coulanges.
  240. Voyez la note 10 de la lettre 55. Ici encore et partout où est ce pseudonyme Puis, la copie de Troyes a « le chancelier » ou, quand le sens le permet, « puis (ensuite) le chancelier. »
  241. Saint François de Sales, béatifié en 1661, et canonisé en 1666.
  242. Marie Foucquet, fille du surintendant et de sa première femme Louise Fourché, dame de Quehillac, très-riche héritière de Bretagne avait épousé en 1657 Armand de Béthune, marquis, puis duc de Charost.
  243. Louis Berrier, créature et confident de Colbert. Après avoir été sergent au Mans (on prétendait même qu’il avait commencé par être marqueur de jeu de paume), il devint conseiller d’État ordinaire (1664), et procureur syndic perpétuel des secrétaires du Roi. Voyez la lettre 63, et dans la lettre du 7 octobre 1676 le mot de Mme Cornuel. — On lit dans le Journal manuscrit de d’Ormesson : « On m’assure que le dimanche M.  le chancelier a chassé Foucaut et Berrier qui alloient à l’heure ordinaire pour instruire M.  le chancelier de ce qu’ils souhaitoient qu’il dît le lendemain. » Dans un autre endroit, d’Ormesson s’exprime ainsi : « Berrier est le plus décrié de tous les hommes : le bruit court qu’il acquiert du bien par tous les moyens. »
  244. Olivier le Fèvre d’Ormesson, l’auteur du Journal, né en 1616, mort en 1686, conseiller au parlement en 1636, maître des requêtes en 1643. Son impartialité dans ce grand procès confirma la réputation qu’il s’était acquise d’être l’un des magistrats les plus intègres de son temps ; mais sa résistance aux volontés de la cour, hautement manifestées, entraîna sa disgrâce. En 1667, il vendit sa charge de maître des requêtes, et se retira entièrement de la vie publique.
  245. « M.  Foucquet s’engagea d’établir la date de la procuration donnée en blanc, ce qui étoit fort contre lui ; mais comme M.  le chancelier ne sait pas l’affaire, il ne releva pas la difficulté, et midi ayant sonné, on fit lever M.  Foucquet. » (Journal manuscrit de d’Ormesson.)
  246. Catherine Ladvocat, fille de Nicolas Ladvocat, maître des comptes, et de Marguerite Rouillé. Sa sœur épousa le marquis de Vins.
  247. Lettre 58. — i. Voyez le commencement de la lettre précédente et la note 10 de la lettre 55.
  248. Voyez la lettre précédente.
  249. À d’Ormesson, dont la copie de Troyes écrit le nom en toutes lettres. Mme  de Sévigné était sans doute convenue avec Pompone de désigner d’Ormesson par cette fausse initiale, que nous trouvons dans la copie Amelot : les anciennes éditions ont D, au lieu de T. La prudence était ici d’autant plus nécessaire que ces récits n’étaient vraisemblablement que la transmission des entretiens de ce magistrat. Voyez la Notice, p. 72. — Dans la suite de ces comptes rendus du procès, même en des endroits compromettants, le nom de M.  d’Ormesson est parfois écrit en entier dans nos deux copies, ou du moins indiqué par ses vraies initiales. Cela peut venir ou de l’habitude assez constante qu’ont ces copies de traduire les pseudonymes, ou bien encore de ce que Mme  de Sévigné, en laissant courir sa plume, oubliait ces sages précautions.
  250. Les femmes portaient souvent des masques de velours noir que l’on appeloit loups. C’était un usage venu d’Italie.
  251. Mme du Plessis Guénégaud venoit de retourner à Paris.
  252. Ce nom est défiguré dans la copie de Troyes, et suivi de sa traduction : « Mlle  de Scudéri. » Voyez la note 3 de la lettre 49.
  253. Il s’agit des prêts, ou avances d’argent, faits au Roi par Foucquet, et des intérêts que le surintendant tirait de ces prêts.
  254. Le Cormier de Sainte-Hélène ou Sainte-Hélaine, conseiller au parlement de Rouen, fut rapporteur conjointement avec Olivier d’Ormesson, mais n’imita pas son courage. Voyez la lettre 63. Il ne survécut pas longtemps au procès de Foucquet. Le 22 avril 1666, comme il passait devant la Bastille, il lui prit une foiblesse, et il mourut subitement dans son carrosse, rue Saint-Antoine.
  255. « M.  Foucquet, pour montrer que le Roi pouvoit être quitte bien que les décharges ne fussent pas à l’Épargne, prit l’exemple des appointements qu’il avait payés à M.  le chancelier, dont il avait le billet, bien qu’il ne fût pas encore à l’Épargne. » (Journal manuscrit de d’Ormesson.)
  256. Nouvelle preuve que Puis indique le chancelier ; il n’appartenait qu’au président de la chambre d’interrompre l’accusé.
  257. Chamillart, qui remplissait près la chambre de justice les fonctions du ministère public, que Talon avait remplies avant lui. Tous deux conclurent à la potence. Chamillart était maître des requêtes ; il fut nommé, en 1666, intendant de Caen, et il y mourut en 1675. C’est son fils qui a été ministre sur la fin du règne de Louis XIV.
  258. Lettre 59. — i. La maîtresse du logis est Mme  du Plessis Guénégaud. L’hôtel de Nevers était situé près de la porte de Nesle, là où est actuellement l’hôtel des Monnaies. Henri de Guénégaud l’avait acheté en 1541, de la princesse Marie de Gonzague de Clèves, veuve du duc de Nevers.
  259. François-Théodore de Nesmond, président au parlement de Paris, était membre de la commission qui jugea Foucquet. Pendant le cours du procès il eut un érésipèle, dont il mourut le 29 novembre 1664. Le bruit courut alors que, dans son testament, il avait chargé ses héritiers de demander pardon pour lui à M.  Foucquet et à sa famille, de ce qu’il avait opiné contre la récusation qu’avait faite le surintendant, de MM. Voisin et Pussort : disant qu’il n’avait émis cette opinion que pour sauver leur honneur, et d’après l’assurance qui lui avait été donnée qu’aussitôt que la chambre aurait prononcé en leur faveur, ils se récuseraient d’eux-mêmes. (Voyez les Mémoires de Conrart, tome XLVIII, p. 275.)
  260. Ce passage, depuis les mots : « (car) pour toute la famille, » avait été rejeté, dans les éditions précédentes, à la fin du morceau qui est daté du 2e décembre (voyez p. 457). La copie Amelot le met à sa vraie place.
  261. Le chancelier Seguier s’appelait Pierre : c’est lui que désigne ce sobriquet. Dans la copie de Troyes, on lit entre parenthèses, à côté de Pierrot : « M. le chancelier. » Voyez la note 10 de la lettre 55.
  262. Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, membre de l’Académie française en 1688, connu par le Journal qui porte son nom.
  263. Antoine, IIIe du nom, duc de Gramont, maréchal de France en 1641, frère aîné du chevalier, puis comte, Philibert de Gramont.
  264. Un quartier des rentes constituées sur l’Hôtel de ville fut supprimé en 1664. On connaît le début de la Satire III de Boileau, qui fut composée en 1665 et publiée en 1666 :

    D’où vous vient aujourd’hui cet air sombre et sévère,
    Et ce visage enfin plus pâle qu’un rentier
    À l’aspect d’un arrêt qui retranche un quartier ?


  265. Conseiller de grand’chambre, membre de la commission. Il opina au bannissement de Foucquet et à la confiscation de ses biens.
  266. Foucquet avait été procureur général au parlement de Paris.
  267. « Le fort de l’interrogatoire fut sur le péculat, savoir l’emploi des six millions, sur le marc d’or, sur le traité des sucres de Normandie et octrois de Rouen ; à quoi il satisfit fort bien. Lorsqu’on lui demanda comment il se pouvoit qu’il eût employé dix-huit millions dans deux ans pour la dépense de sa maison, comme il paroissoit par le livre de raison de son maître d’hôtel, il fut un peu surpris d’abord, mais, etc. » (Œuvres de M.  Foucquet, tome XVI, p. 336.) Voyez la lettre suivante.
  268. Dans les éditions et dans la copie de Troyes, ce billet est daté, comme le précédent, du mardi 2 décembre. Si cette date était exacte, il n’y aurait pas de compte rendu de la séance du mercredi, qui cependant, comme nous l’apprend le journal manuscrit de d’Ormesson, fut d’un grand effet et d’un grand intérêt. Ce qu’en dit d’Ormesson s’accorde parfaitement avec le récit de Mme  de Sévigné. Foucquet revint sur les six millions dont il avait déjà parlé la veille, et « reprit deux ou trois raisons qu’il avait réservées sur cette affaire. »
  269. Henri Pussort, né en 1615, conseiller au grand conseil, oncle maternel de Colbert, et l’un des juges les plus acharnés contre Foucquet. Pussort a travaillé à la rédaction de l’ordonnance de 1667, sur la procédure civile, et c’est de lui que parle Boileau, dans ce passage du Lutrin (Ve chant) :

    Ses griffes (de la Chicane), vainement par Pussort accourcies,
    Se rallongent déjà, toujours d’encre noircies.


  270. « Et il est mort comme il a vécu. »

    Moriva Argante, e tal moría qual visse.

    (Tasso, Gerus. lib., c. XIX, st. 26.)
  271. Lettre 60. — i. C’était un projet vague de résistance et de fuite en pays étranger, que Foucquet avait écrit quinze ans auparavant, quand la France était en proie aux factions, et dans un moment où il croyait avoir à se plaindre du cardinal Mazarin. Cet écrit fut trouvé dans sa maison de Saint-Mandé, derrière un grand miroir, où il avait été abandonné et oublié. On en fit la base principale de l’accusation. Voyez les Mémoires de Mme  de Motteville, tome IV, p. 292 et suivantes.
  272. Voyez la lettre suivante, p. 464. Le chancelier Seguier avait ménagé tous les partis, pendant les troubles de la Fronde. Il était entré dans le conseil du duc d’Orléans et du prince de Condé ; en outre, il avait engagé le duc de Sully, son gendre, gouverneur de Mantes, à donner, par le pont de Mantes, passage à l’armée espagnole qui s’avançait en France sous les ordres du prince de Condé et du comte de Coligny Saligny, son lieutenant. (Mémoires de Conrart, p. 168, Mémoires de Montglas, tome L, p. 324, et Mémoires de Coligny Saligny, Paris, Renouard, 1841, in-8o, p. 440 et suivantes.)
  273. Pierre Poncet, maître des requêtes, créature du chancelier, et une des neuf voix qui opinèrent à la mort.
  274. « Le vendredi 5e décembre on lut des requêtes de M.  Foucquet qui avoient été jointes. M.  le chancelier vouloit qu’on y opinât ; mais M.  Pussort lui ayant dit que c’étoit contre l’ordre, il s’est contenté de les faire lire, et sur chacune ayant expliqué ce que M.  Foucquet prétendoit en induire, on se retira. » (Journal de d’Ormesson.)
  275. Lettre 61. — i. De Voisin et Pussort. Voyez la note 2 de la lettre 59.
  276. Mme  du Plessis Guénégaud, dont il a été parlé plusieurs fois dans les lettres précédentes. Nos deux copies ont simplement l’initiale : « Mme  du P. »
  277. Voyez la lettre précédente, p. 460.
  278. Le Cormier de Sainte-Hélène, adjoint, comme nous l’avons dit, à d’Ormesson pour le rapport de l’affaire.
  279. Tel est le texte de la copie Amelot et de l’édition de 1756. La copie de Troyes porte : on prendra ; l’édition de 1773 : on prend.
  280. Lettre 62. — i. Chez Mme  du Plessis Guénégaud.
  281. Voyez la note i de la lettre 60.
  282. Joseph Foucaut ou Foucault était le greffier de la chambre de l’Arsenal ; ce fut lui qui, en cette qualité, lut à Foucquet son arrêt : voyez la lettre 65, p. 476. Il fut après le procès en très-grande faveur. Son fils, Nicolas Foucaut, devint conseiller d’Etat et intendant du Languedoc, du Poitou, etc.
  283. Foucquet, dans les Mémoires et Remarques insérés au tome XVI de ses Œuvres, p. 261 et suivantes, se plaint que ses papiers aient été saisis par deux créatures de Colbert, Boucharat et Pelot, lesquels « admirent, dit-il, le sieur Colbert ma partie pour les visiter, qui ne fit pas de scrupule d’en supprimer ni divertir ceux qui pouvoient me servir ou lui pouvoient nuire. »
  284. M.  le Fèvre d’Ormesson employa la matinée du samedi pour dire son avis, qui alla à un bannissement perpétuel avec confiscation de tous ses biens, sur lesquels il seroit pris une amende de cent mille livres ; il montra que le projet sur lequel on fondoit le crime d’État n’étoit que l’effet d’une passion passagère, et qui n’avoit eu aucune suite ; et à l’égard du péculat, qu’on ne pouvoit point faire un fondement assuré sur les apparences qui faisoient contre ledit sieur Foucquet, attendu que ses papiers, par lesquels il prétendoit se pouvoir justifier, lui avoient été pris, et qu’outre cela, pour en bien juger, il faudroit discuter les biens qu’a laissés le cardinal Mazarin, dont la plupart ne pouvoient provenir que des sommes que ledit sieur Foucquet avoit été obligé de fournir au défunt. » (Relation de ce qui s’est passé dans la chambre de justice au jugement de M. Foucquet, dans les Œuvres de M. Foucquet, tome XVI, p. 337 et 338.)
  285. Lettre 63. — i. Le Cormier de Sainte-Hélène était, comme nous l’avons dit, conseiller au parlement de Rouen. Il Fit son rapport le lundi et le mardi, et dit son avis le mercredi, « qui fut qu’encore que les preuves fussent assez fortes pour la conviction du péculat, pour lequel l’accusé méritoit d’être pendu, néanmoins que pour le crime d’État il étoit d’avis qu’il eût la tête tranchée. » Voyez dans les Œuvres de M.  Foucquet, tome XVI, p. 338, la Relation déjà citée.
  286. Voltaire, dans l’Essai sur les mœurs (chap. 123), nie cette anecdote, dont on place d’ordinaire le théâtre à Madrid. « Le connétable de Bourbon n’alla jamais, dit-il, en Espagne. »
  287. Mathurin de Neuré, mathématicien, ami de Gassendi, et alors précepteur des fils du duc de Longueville. Astrologue se prenoit encore quelquefois au dix-septième siècle dans le sens d’astronome ; mais dans les mots grand astrologue il y a, ce semble, à cause de leur emploi proverbial, une légère teinte d’ironie.
  288. Ce nom, à cette date, désigne sans doute Gaston-Jean-Baptiste de Foix et de Candale, duc de Rendan, qui mourut le 12 décembre de l’année suivante, ne laissant qu’une fille. Il est question de ses deux frères, dans la suite de la Correspondance. — Dans la copie de Troyes on lit « M.  du Foin. »
  289. Foucquet voulut aussi voir la comète. « Un garde l’alla éveiller, suivant sa prière, pour le mener sur la terrasse de la Bastille, sur les trois ou quatre heures du matin, afin de voir la comète qui paroissoit. » (Œuvres de M.  Foucquet, tome XVI, p. 337.)
  290. On a dit que cette folie de Berrier était feinte, et qu’il craignait, d’après certaines paroles du Roi d’être traduit en justice pour avoir soustrait, dans le cabinet de Foucquet, avant l’inventaire, des papiers par lesquels le surintendant aurait pu se justifier. — D’Ormesson, dans son journal, juge très-sévèrement la conduite de Berrier : « Le procès a été grand, dit-il, bien moins par la qualité de l’accusé et par l’importance de l’affaire que par l’intérêt des subalternes qui en avoient la conduite, et principalement de Berrier qui y a fait entrer mille choses inutiles pour se rendre nécessaire et maître de toute l’intrigue secrète, afin d’avoir le temps d’établir sa fortune. » Il ajoute qu’il trompait même Colbert, et termine en disant que « par conclusion il est devenu fou par une punition de Dieu toute visible. »
  291. La Mothe Hardy, détenu avec son maître, le comte de Lorge Montgommery, à la Bastille ; et tous deux accusés du crime de fausse monnaie.
  292. De Bezemaux, gouverneur de la Bastille. Dans les Mémoires pour servir à l’histoire de M.  R. (1658), p. 207, c’est à Hotman, intendant de Guyenne, et à Foucaut, que sont imputées ces tentatives de subornation.
  293. De Lorme avait été commis d’abord du surintendant Servien, puis de Foucquet. Ce dernier, étant mécontent de lui, l’avait renvoyé longtemps avant sa disgrâce. Il fut arrêté pendant le procès et mis à la Bastille, ainsi que Jeannin, trésorier de l’Épargne, et plusieurs autres.
  294. Masnau, ou Maseneau, conseiller au parlement de Metz.
  295. Lettre 64. — i. Dans les Œuvres de M. Foucquet, tome XVI, p. 339, il est dit positivement que la Toison opina à la mort. C’est une erreur, ou bien il y a une confusion de noms dans la lettre, car cela ferait dix opinions pour la mort, et il n’y en eut que neuf.
  296. Pierre Catinat, père du maréchal, mourut doyen des conseillers du parlement de Paris, en 1674. René Catinat, frère aîné du maréchal, né en 1630, fut reçu conseiller au parlement en 1655 : c’est probablement de ce dernier qu’il est ici question.
  297. Benard (et non Bernard) de Rezé, maître des requêtes.
  298. Les voix de la chambre de justice se partagèrent ainsi :

    Pour le bannissement et la confiscation des biens : d’Ormesson, maître des requêtes ; de la Toison, conseiller au parlement de Dijon ; de Roquesante, conseiller au parlement de Provence ; du Verdier, conseiller au parlement de Bordeaux ; de la Baume, conseiller au parlement de Grenoble ; Masnau, conseiller au parlement de Metz ; le Feron, conseiller à la cour des aides ; de Moussy, maître des comptes ; Catinat, Renard et Brillac, conseillers au parlement de Paris ; Benard de Rezé, maître des requêtes ; de Pontchartrain (père du chancelier), président à la chambre des comptes.

    Pour la mort : le Cormier de Sainte·Hélène, conseiller au parlement de Rouen ; Pussort et de Gisaucourt, conseillers au grand conseil ; Fériol, conseiller au parlement de Metz ; Noguez, conseiller au parlement de Pau ; Héraut, conseiller au parlement de Bretagne ; Poncet et Voisin, maîtres des requêtes ; le chancelier Seguier.

    Nous avons placé les noms dans l’ordre où les range la Relation qui est à la fin des Œuvres de M. Foucquet. Elle omet celui de Brillac, et compte, comme nous l’avons dit, la Toison parmi ceux qui allèrent à la mort. — Dans la copie Amelot, il y a une liste des juges, intitulée bureau, et les noms de tous ceux qui n’ont pas voté la mort sont accompagnés du mot bon. Dans l’édition de 1756, les noms sont rangés sur deux colonnes, dont la première a pour titre bons, la seconde contraires. Dans la copie aussi bien que dans l’édition, on lit au bas ces mots : L’arrêt de l’avis de M. d’Ormesson.

  299. Lettre 65. — i. Par des signaux.
  300. La femme et la mère du surintendant. Sa femme en secondes noces était Marie-Madeleine de Castille Ville Mareuil, née en 1633, morte en 1715, fille unique de Francois de Castille, maître des requêtes, puis président aux Requêtes du palais.
  301. Ou plutôt en Bourbonnais, mais tout près de l’Auvergne, aujourd’hui dans le département de l’Allier.
  302. « Le vin dans un festin ne donne pas autant de joie que le deuil des ennemis. » — Nous n’avons pu trouver d’où ces vers étaient tirés. Ils manquent dans toutes les éditions, mais se lisent dans nos deux copies.
  303. Jean Pecquet né à Dieppe, anatomiste célèbre et médecin de Foucquet. On lit dans les Mélanges qu’Argonne a publiés, sous le nom de Vigneul de Marville, que Pecquet ne pouvait se consoler d’avoir perdu un aussi bon maître, et qu’il disait souvent que Pecquet avait toujours rimé, et rimerait toujours avec Foucquet. Il fut relégué à Dieppe ; Mme  Foucquet obtint son rappel. Il fut nommé membre de l’Académie des sciences, lors de la fondation de cette compagnie. Pecquet, comme nous le verrons plus d’une fois, était aussi le médecin de Mme  de Sévigné.
  304. Lavalée était le valet de chambre de Foucquet. On lit au tome XVI des Œuvres, p. 356, « qu’on a retenu dans la Bastille le médecin et le valet de chambre de M.  Foucquet, de peur qu’étant en liberté ils ne donnassent avis de sa part à ses parents et amis pour sa délivrance. »
  305. Il est dit dans les Œuvres (tome XVI, p. 355) que l’escorte était de cent mousquetaires.
  306. Bénigne d’Auvergne de Saint-Mars était alors maréchal des logis des mousquetaires. Il mourut gouverneur de la Bastille, le 26 septembre 1708
  307. Marie-Élisabeth Foucquet, sœur du surintendant, abbesse du Parc-aux-Dames, près de Senlis.
  308. Gilles Foucquet, premier écuyer du Roi, frère du surintendant, reçut ordre de se retirer à Montluçon avec la femme et la mère du condamné. Voyez la lettre suivante.
  309. « M.  Bailly, avocat général au grand conseil, qu’on dit avoir insulté à quelqu’un des juges en faisant sollicitation en qualité de parent de M.  Foucquet, a reçu commandement de se retirer en son abbaye de Château-Thierry. » (Œuvres de M. Foucquet, tome XVI, p. 355.)
  310. Virgile, Énéide, liv. I, v. ii :
    Tant de fiel entre-t-il dans les âmes des dieux ?
    (Trad. de Delille.)
  311. Lettre 66. — i. Dans l’édition de 1756, qui est la première des Lettres à Pompone, et dans toutes celles qui l’ont suivie, la lettre 66 a la date suivante : Jeudi au soir janvier 1665. C’est évidemment une erreur. Les mots l’arrêt de samedi ne peuvent avoir qu’un sens : l’arrêt de samedi dernier. Or, ce samedi dernier, c’est le 20 décembre. Le jeudi est donc le 25 du même mois. Mme de Sévigné avait mis simplement, comme nous le voyons par la copie Amelot, Jeudi au soir, sans indiquer ni le mois ni l’année. Ce qui achève de confirmer notre conjecture, c’est la mention de la mort de Mme de Grignan. Angélique-Clarice d’Angennes, première femme du comte de Grignan (voyez la Notice, p. 106), est morte le 22 décembre 1664, comme on le voit dans le Dictionnaire de Moréri, à l’article Angennes, et non en janvier 1665, comme il est dit dans le même ouvrage à l’article Grignan.
  312. Voyez la note 3 de la lettre précédente.
  313. L’écuyer de Foucquet. Il est raconté plus loin, dans la note 7 de la lettre du 25 juin 1670, comment il fut victime, quelques années après, de son dévouement à son ancien maître. — On lit dans toutes les éditions, ainsi que dans nos deux copies : « La Forêt, son défunt écuyer, l’aborda. » Ces mots : son défunt écuyer, sont une note qui s’est glissée dans le texte. Nous avons signalé plusieurs additions du même genre dans la copie de Troyes : pour le pseudonyme Puis, par exemple ; pour Sapho, etc. Dans la lettre précédente encore le nom de Saint-Mars est suivi de son titre futur, « depuis gouverneur de la Bastille. »
  314. On appelait vers du Pont-Neuf ou ponts-neufs tout court, des chansons populaires sur des airs très-connus. On en composa un grand nombre sur le procès de Foucquet. On peut voir, entre autres, un long noël de vingt-cinq couplets inséré dans le tome II, p. 41, du Nouveau siècle de Louis XIV (Paris, 1793,4 vol. in-8).
  315. Foucquet mourut prisonnier à Pignerol, le 23 mars 1680.
  316. Une lettre de cachet du 2 février suivant permit à Pompone de revenir à Paris, et il y revint en effet le 3. Voyez, à la suite des Mémoires de Coulange, sa lettre à son père du 4 février 1665.
  317. Cette dernière phrase manque dans la copie Amelot.
  318. Lettre 67. — i. Dans nos deux copies, ainsi que dans l’édition de 1756, cette lettre précède notre lettre 66. La copie Amelot la place au mardi 26, mais il n’y a point de mardi 26 ni en décembre 1664, ni en janvier 1665. Dans la copie de Troyes, on l’a datée du 23 décembre, sans considérer qu’il y était parlé de l’arrivée de Foucquet à Pignerol. Dans l’édition de 1756, il y a simplement mardi. C’est sans doute le mardi 30 décembre, sinon le mardi 8 janvier de l’année suivante.
  319. Les Alpes. Pignerol est dans les États Sardes, à dix lieues sud-ouest de Turin. Cette ville appartint à la France de 1632 à 1696.
  320. Gerus, lib., c. V, st. 35. — « Godefroi écoute, et son air sévère inspire plus de crainte que d’espérance. »
  321. C’était sans doute quelqu’une des nombreuses pièces de vers qu’on fit alors soit pour Foucquet, soit contre ses ennemis.
  322. Lettre 68 (d’après l’autographe, inédit). — i. Ce fragment, que nous plaçons ici par conjecture, pourrait être, au moins aussi vraisemblablement, des premiers temps qui suivirent l’arrestation de Foucquet.
  323. Orlando innamorato di Matteo M. Bojardo, rifatto da Fr. Berni, c. L, st. 405 ou livre II, c. XXI, st. 40. Nous avons conservé, comme dans le billet à Mme d’Uxelles, l’orthographe de Mme de Sévigné. — « Le malheureux, se trouvant dans un mauvais pas, se plaignait fort d’Agramant et de chacun, et leur rappelait comment il avait risqué sa vie pour cet anneau : fou, sans jugement, niais, d’invoquer le souvenir de ses services à la cour ; il ne savait pas que le service d’un courtisan est agréable le soir, et vain la matinée suivante. »
  324. Lettre 69. — i. Dans l’ancienne copie que possède la bibliothèque de l’Arsenal, et d’où nous tirons cette lettre, la date est très-lisible. Au verso du second feuillet une autre main, ancienne aussi, a écrit 1er  mai 1666.
  325. Il paraît que d’autres personnes, peut-être les maîtres de Fresnes, M. et Mme du Plessis Guénégaud, et la Rochefoucauld, avaient écrit à Pompone dans la même lettre. Leurs billets n’ont pas été retrouvés.
  326. Dans la copie il n’y a que les initiales : « à Fr. et à l’h. de N. » De même en tête des billets on lit seulement Mme de la F. et Mme de S. Vers la fin du premier, il y a plutôt M. de C. (Coulanges) que Mme de C. ; cependant il peut rester quelque doute.
  327. Voyez la note 6.
  328. « Qui offense ne pardonne pas. »
  329. Arnauld de Pompone était rentré en grâce auprès du Roi. Il avait été nommé ambassadeur extraordinaire en Suède, et avait fait son entrée solennelle à Stockholm le 24 février 1666. Voyez les Mémoires de l’abbé Arnauld, son frère (tome XXXIV, p. 319).
  330. Dans la copie : M. votre P.
  331. Christophe-Bernard van Galen, prince-évêque de Munster, « homme féroce, dit le P. d’Avrigny (sous l’année 1655), et plus propre à porter le mousquet que la crosse et la mitre, » venait de faire une alliance avec l’Angleterre contre les Hollandais, et l’on pouvait craindre que ses troupes n’arrêtassent le courrier qui devait porter les dépêches.
  332. Lettre 70. — i. Sur tout ce que Bussy raconte ou plutôt indique et donne à entendre ici, voyez la Notice, p. 77 et suivantes.
  333. Sur la captivité de Bussy et sur son exil, voyez la Notice, p. 81, 82. C’était le 10 août 1666 qu’il avait reçu la permission d’aller prendre l’air chez lui, en Bourgogne. Voyez la lettre du Roi à Bussy dans les Mémoires de ce dernier, tome II, page 292.
  334. Le vieux château de Bourbilly, situé en Bourgogne, entre le bourg d’Epoisse et Semur, capitale de l’Auxois, était le manoir principal de la branche des Rabutin Chantal, dont Mme  de Sévigné était le dernier rejeton. Voyez les lettres des 16 et 21 octobre 1673. — Forléans, d’où cette lettre est datée, se trouve à mi-chemin d’Époisse à Bourbilly, et à une lieue environ de ce dernier château.
  335. Voyez la Notice, p. 4 et suivantes, et la Généalogie, p. 339.
  336. Lettre 71. — De Paris.
  337. De la guerre faite à l’Espagne pour le droit de dévolution. Ce jour-là même le Roi commençait avec Turenne la rapide campagne de Flandre.
  338. Voyez la Notice, p. 35, 272, et la note X, p. 334.
  339. Le château de Bussy, près de Sainte-Reine et de Flavigny, en Bourgogne (Côte-d’Or).
  340. Dans notre manuscrit on lit Aracné (Arachné), au lieu d’Ariane.
  341. Lettre 72. — i. C’est la buona mano des Italiens. Nous dirions aujourd’hui les pots de vin.
  342. Bussy fut arrêté le 17 avril 1665, et mis à la Bastille, où il resta treize mois. Voyez la Notice, p. 81.
  343. Le village d’Ouilles, ou plutôt d’Houilles, est situé à une lieue et demie de Saint-Germain en Laye et à près de trois lieues de Paris et de Versailles, dans une grande plaine où le Roi faisait quelquefois la revue des troupes de sa maison. Voyez la lettre du 26 juillet 1679.
  344. Anne, d’abord comte, et en 1663 premier duc de Noailles, capitaine de la première compagnie des gardes du corps, père du maréchal et du cardinal. Il mourut en 1678.
  345. Cette lettre au Roi se trouve à la suite de celle-ci dans la première édition des Lettres de Bussy Rabutin, tome I, p. 7-9.
  346. Françoise de Brancas, mariée le 2 février 1667 à Alphonse-Henri-Charles de Lorraine, prince d’Harcourt devint dame du palais de la Reine. Son père était le comte de Brancas, frère du duc de Brancas Villars (voyez la note 8 de la lettre 109). Son mari, fils d’Anne d’Ornano, comtesse d’Harcourt était cousin germain du comte de Grignan. Voyez, au sujet de la princesse d’Harcourt, la lettre du 6 janvier 1672.

    À la suite de la lettre 72, on lit dans notre manuscrit les lignes suivantes, de la main de Mme de Coligny : « Je vous envoie encore une requête au Roi que je fis à la Bastille, au nom de Vardes, de Péguillin (Lauzun) et de moi ; mais je ne la fis pas donner au Roi, car je trouve que mes maux passent la raillerie. » Cette requête en vers est au tome II des Mémoires, p. 232-234.

  347. Lettre 73 (revue sur une ancienne copie). — i. Voyez la note 6 de la lettre 69.
  348. Mme du Plessis Guénégaud s’occupait de peinture avec succès, sous la direction de Nicolas Loir et du frère de celui-ci, graveur.
  349. L’auteur des Mémoires, Françoise Bertaut, veuve à vingt ans de Nicolas Langlois, seigneur de Motteville, premier président de la chambre des comptes de Normandie, qui avait quatre-vingts ans lorsqu’il l’épousa en 1639. Elle s’était retirée de la cour après la mort de la Reine mère (1666). Elle mourut le 29 décembre 1689.
  350. Sur ce Cessac, voyez la lettre du 18 mars 1671. Saint-Simon a dit de lui : « C’étoit un homme de grande qualité et de beaucoup d’esprit, que démentoient toutes les qualités de l’âme. » (Mémoires, tome II, p. 112.) Ce ne peut être que par plaisanterie que Mme de Sévigné l’appelle ici notre oncle. Il était peut-être parent de Mme du Plessis Guénégaud, chez qui elle se trouvait alors.
  351. Claire-Bénédictine de Guénégaud, née en 1646, mariée en 1665 à Juste-Joseph-François de Cadar d’Ancezune, créé duc de Caderousse en 1663 par Alexandre VII. Elle mourut en décembre 1675. Sur son mari, qui avait dû épouser Mlle  de Sévigné, voyez la Notice, p. 102.
  352. Élisabeth-Angélique de Guénégaud. Elle épousa en 1671 François, comte de Boufflers, frère aîné du maréchal. Voyez la lettre du 26 février 1672.
  353. Dans la copie d’où nous tirons cette lettre, on avait d’abord ecrit trois ou quatre cents lieues, puis on a effacé trois ou, et écrit ou cinq au-dessus de la ligne.
  354. Ceci se rapporte évidemment au malheur de Foucquet et de sa famille.
  355. Voyez la note 12 de la lettre 55.
  356. On jouait à Fresnes de petites pièces de société, dont les sujets étaient puisés dans les romans de chevalerie, pour lesquels Mme  de Sévigné convient qu’elle avait un grand faible. Les Bayards et les comtesses de Chivergny (dans la copie Chiurgny) désignent sans doute ici deux personnages soit de ces pièces, soit des romans d’où on les tirait. Pompone, dans une lettre du 5 juin 1666, à Mme  du Plessis Guénégaud, parle des « transformations de Louis Bayard. » Nous ne pensons pas qu’on doive identifier ce Louis Bayard avec le Bayard de notre lettre, qui est vraisemblablement le Chevalier sans peur et sans reproche, dont le prénom était Pierre. Il y a un Hurault de Chiverny, ayant pour femme Marie de Beaune, qui mourut dans les guerres d’Italie, en 1527 ; Bayard est mort en 1524.
  357. Le marquis de Castel Rodrigo, gouverneur de Flandre, successeur de Caracène en 1664.
  358. On n’a pas la réponse de Pompone, mais c’est probablement de cette réponse qu’il veut parler quand il écrit à son père, le 15 octobre 1667 : « J’ai répondu il y a longtemps à Mme  de Sévigné ; mais ma lettre ne valoit pas la peine de vous être envoyée ouverte. »
  359. Lettre 74. — i. Charles-Maurice le Tellier, fils du chancelier, frère cadet de Louvois, déjà pourvu de plusieurs abbayes, se trouvoit alors à Rome, où il s’était rendu probablement à l’époque du conclave qui suivit la mort d’Alexandre VII. Coadjuteur de Langres en mai 1668, puis de Reims, il fut nommé archevêque de Reims le 3 août 1671.
  360. Marie-Angélique du Gué Bagnols, femme de Philippe-Emmanuel de Coulanges : voyez la Notice, p. 141. Mme de Coulanges était cousine germaine de l’abbé le Tellier et de Louvois : voyez la note 3 de la lettre 114.
  361. L’original de cette lettre avait été trouvé à la Bibliothèque royale, dans les papiers de l’archevêque de Reims. Il n’est plus là aujourd’hui ; au moins l’y avons-nous cherché en vain. « Elle avait été close, dit M. Walckenaer (tome III, p. 80), au moyen d’une faveur couleur de rose, retenue aux deux bouts par un double cachet carré, très-petit, en cire noire, portant l’empreinte d’une grenade fermée, avec ces mots italiens : Il piv. grato. nasconde, « ce qu’elle a de meilleur, elle le cache. »
  362. Lettre 75 (revue sur l’autographe). — i. Voyez la note 2 de la lettre 17. — Nous donnons place dans notre collection à ces deux lettres du duc de Saint-Aignan, parce qu’elles sont remplies l’une et l’autre de l’éloge de Mlle  de Sévigné, sous le nom de la belle Lionne. La seconde seule est datée de la main du duc, mais la première est certainement de la même année, et vraisemblablement du même mois, sinon, au plus tard, de mai ou de juin : il est parlé dans toutes deux du Lion amoureux comme on parle d’un ouvrage tout nouveau. Cette fable fait partie du premier recueil des Fables de la Fontaine, qui contient les six premiers livres (elle commence le IVe), et qui a été achevé d’imprimer le 31 mars 1668. — Mlle  de Sévigné était alors dans tout l’éclat de sa beauté, elle avait vingt et un ans et quelques mois. Voyez la Notice, p. 93-100, et surtout, pour l’année 1668, p. 98.
  363. C’était le nom qui parmi les beaux esprits et dans la société précieuse désignait le duc de Saint-Aignan, et qu’il prenait lui-même, comme on le voit dans ces deux lettres. Artaban, fils de Pompée, est un des principaux personnages et des caractères les plus chevaleresques de la Cléopatre. Ses épithètes ordinaires sont « le fier, le généreux. » C’était une comparaison bien propre à flatter celui que Mme de Sévigné, dans une lettre à Bussy du 3 avril 1675, appelle « le Paladin par excellence, l’honneur de la chevalerie. » Ce qui prouve que c’est bien à l’Artaban de la Cléopatre que le duc de Saint-Aignan emprunte son nom, c’est la manière dont il termine une autre lettre à Mlle de Scudéry, dont M. Rathery a bien voulu nous communiquer une copie : « En vérité, lui dit-il, Artaban trouve plus de gloire à se dire à vous, Mademoiselle, que le fils de Pompée n’en acquit sous ce nom chez les Parthes et les Mèdes. »
  364. Lettre 76 (revue sur l’autographe). — i. On peut lire dans l’original briffes ou buffes. Nous ne connaissons pas le premier de ces deux mots, et nous avons lu buffes (pour buffles), terme qui désignait des collets ou des justaucorps de peau de buffle.
  365. La paix fut signée, en effet, entre la France et l’Espagne, le 2 mai suivant.
  366. Paul de Beauvillier, comte de Saint-Aignan, depuis duc de Beauvillier. Ses deux frères aînés, le comte de Séri et le chevalier de Saint-Aignan, étaient morts, le premier en 1666, le second en 1664.
  367. Le Roi venait de faire en personne la conquête de la Franche-Comté. Le comté de Bourgogne ou la Franche-Comté portait d’azur semé de billettes d’or au Lion de même. Le roi d’Espagne, en qualité de roi de Léon, avait aussi un lion dans un des cantons de ses armes.
  368. Voyez la p. 98, déjà citée, de la Notice bibliographique.
  369. Lettre 77. — i. Voyez la note 5 de la lettre 69.
  370. Germaine-Louise d’Ancienville, femme et cousine germaine d’Achille de la Grange d’Arquien, comte de Maligny, marquis d’Époisse, oncle de la femme de Sobieski. Leur fille unique avait épousé, le 21 mars 1661, le comte de Guitaut, et était morte en 1667. Le comte de Guitaut se remaria le 25 octobre 1669.
  371. La comtesse de Fiesque écrivait à Bussy, le 4 janvier 1668 : « Mlle  de Sévigné épouse, dit-on, le comte d’Étauges ; il est riche, mais assez sot. » Bussy lui répondit, le 10 janvier : « Je suis ravi que Mlle  de Sévigné se marie ; elle le seroit déjà, et fort bien, si le mérite étoit toujours heureux. Cependant si le futur est aussi sot que vous le dites, je crois que la demoiselle ne lui ôtera pas cette qualité. » Il avait été question antérieurement de quelques autres partis. Voyez la Notice, p. 102.
  372. Dans notre manuscrit, Mme  de Coligny a ajouté la question que voici : « Ne faites-vous rien du côté de la cour ? Mandez-moi où vous en êtes. »
  373. Lettre 78. — Au sujet de ces explications entre Bussy et sa cousine, voyez le passage déjà cité de la Notice biographique, p. 77 et suivantes.
  374. Bussy désigne ici Mme de Montglas, dont il a été parlé plus haut (lettre 30, note 1). En le voyant disgracié, Mme de Montglas l’avait abandonné.
  375. Braverie signifie proprement « magnificence dans les habits » puis par extension, comme il paraît par cet emploi, tout ce dont on peut faire parade, tout ce qui rend fier et glorieux.
  376. Le premier recueil des Contes de la Fontaine avait paru en 1665, ou plutôt, comme l’a montré M. Walckenaer, en 1664. Au reste la nouvelle de Joconde était avant cela bien connue par l’Arioste.
  377. Allusion à un vers bien connu de la 9e scène du Sganarelle de Molière, qui a été représenté pour la première fois en mai 1660 :

    Oui, son mari, vous dis-je, et mari très-marri,

  378. On a pensé qu’il s’agissait de M.  de Montglas, à qui ce dernier trait s’appliquait, à ce qu’il paraît, plus qu’à personne. La lettre 85 confirme cette conjecture, et prouve que c’est bien de lui qu’il est ici question.
  379. Charles Beaubrun, célèbre peintre de portraits, mort à Paris en 1692, à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
  380. Il y a ici dans notre manuscrit une phrase de plus, qui a été ajoutée par Mme  de Coligny : « Cela me fait aviser de vous envoyer une traduction d’une épître d’Ovide, que j’ai faite autrefois sur le sujet de ce mari-là ; je crois que l’épître vous réjouira. » Il s’agit sans doute de l’épître de Pâris à Hélène, où Ménélas est traité de « sot époux, » et qu’on avait voulu d’abord attacher à cette lettre-ci. Mais plus tard, comme nous le verrons, elle fut placée, avec la réponse d’Hélène à la suite de la lettre du Ier mai 1672.
  381. Voyez la note 3 de la lettre 77.
  382. Dans le manuscrit il y a très-mari.
  383. Ici encore on lit quelques mots ajoutés plus tard : « Je fais toujours souvenir le Roi de moi de temps en temps. Voilà les deux dernières lettres que je lui ai écrites. Il ne m’a pas encore écouté. Patience ! » Une copie de ces deux lettres au Roi se trouve avec un fragment de la lettre 78, dans le manuscrit 629 du Supplément français de la Bibliothèque impériale.
  384. Lettre 79. — i. Voyez la lettre 77.
  385. Lettre 80. — i. Marie-Anne Mancini avait épousé, en 1662, Godefroi-Maurice de la Tour, duc de Bouillon, neveu de Turenne, frère du cardinal.
  386. Du cardinal de Retz, par exemple, et du surintendant Foucquet.
  387. Jacques de Neuchèse, évêque de Chalon, dont il a été parlé dans la lettre 9. Il était mort le 1er  mai 1658.
  388. De l’héritier de l’évêque de Chalon. — Au sujet du fait que rappelle ici Mme de Sévigné, voyez la Notice, p. 77 et suivante.
  389. Mme de Montglas. Voyez la note 1 de la lettre 30, et la Notice, p. 79.
  390. Voyez la Notice, p. 70, 71.
  391. Catherine de Bonne, comtesse de Tallart, nièce du premier maréchal de Villeroi, femme de Roger d’Hostun de Gadagne, marquis de la Baume, et mère du maréchal de Tallart, avait été l’une des maîtresses de Bussy. C’était une femme perdue de mœurs : voyez Walckenaer, tome II, p. 344-348. Son mari était frère puîné du lieutenant général de Gadagne dont il a été parlé plus haut (lettres 40 et 54).
  392. On lit dans le manuscrit il reprit. Ce qui précède rend la correction nécessaire.
  393. Mme de Sévigné fait ici allusion à ce passage de l’Histoire amoureuse des Gaules (Mémoires, tome II, p. 428) : « Mme de Sévigné est inégale jusqu’aux prunelles des yeux, et jusqu’aux paupières ; elle a les yeux de différentes couleurs, et les yeux étant les miroirs de l’âme, ces égarements sont comme un avis que donne la nature à ceux qui l’approchent de ne pas faire un grand fondement sur son amitié. » Elle plaisante elle même de ses paupières bigarrées dans la lettre à Mme de Grignan, du 27 février 1671.
  394. Voyez la lettre 77.
  395. Ici a été ajoutée à la copie primitive une réponse à la première addition que nous avons signalée dans la note 8 de la lettre 78, réponse écrite de la même main et de la même encre que cette addition : « Rien n’est plus plaisant ni plus joli que votre épître : je doute que l’original soit aussi bien. »
  396. Ces trois maréchaux étaient Louis-Hector Créquy, Bellefonds, et Humières, cousin de Bussy. Marie Gigault de Bellefonds, marquise de Villars, était tante du maréchal de Bellefonds, et mère de Villars, qui ne fut maréchal de France qu’en 1702.
  397. En réponse à la seconde addition contenue dans la note 11 de la lettre 78, on a ajouté à la fin de la copie de cette lettre-ci la phrase suivante : « Je vous remercie de vos lettres au Roi, mon cousin ; elles me feroient plaisir à lire d’un inconnu : elles m’attendrissent. Il me semble qu’elles devroient faire cet effet-là sur notre maître : il est vrai qu’il ne s’appelle pas Rabutin comme moi. »
  398. Lettre 81. — i. Barthélemi Auzanet, l’un des plus savants avocats du dix-septième siècle, mort en 1673. Il eut une grande part aux arrêtés du premier président de Lamoignon.
  399. La bataille des Dunes, gagnée le 14 juin 1658, par Turenne, sur les Espagnols, commandés par don Juan et le prince de Condé.
  400. Dans un des manuscrits que possède M.  le marquis de Laguiche, Bussy parle en ces termes de la visite de Mme  de Sévigné : « Deux heures après que je fus arrivé chez Dalancé (le 17 mai 1666), je vis entrer dans ma chambre ma cousine de Sévigné. J’en fus surpris… La vérité est que ce fut son bon naturel qui me la ramena si vite. » — Dalancé est le nom du chirurgien chez lequel le Roi permit que le comte de Bussy fût conduit pour rétablir sa santé. La lettre, signée du Roi, qui transmet cette autorisation à Bezemaux, gouverneur de la Bastille, est du 16 mai 1666. Bussy resta chez Dalancé jusqu’au 6 septembre de la même année, époque à laquelle il obtint la permission de se retirer dans ses terres de Bourgogne.
  401. Voyez les lettres 70 et 71.
  402. Ceci s’applique, dans la pensée de Bussy, comme on le voit par divers endroits de ses Mémoires, à Bellefonds et à Créquy. Voyez, pour le premier, tome II, p. 13 ; pour le second, surtout tome II, p. 79. Ces deux passages auxquels je renvoie ne se trouvent pas dans les anciennes éditions des Mémoires de Bussy ; M. Lalanne les a rétablis dans la sienne d’après le manuscrit. — Il y a dans la Correspondance de Bussy plusieurs lettres relatives à la nomination d’Humières, son cousin, une entre autres que Bussy lui écrit à lui-même, pour le féliciter. Voyez la note 7 de la lettre 34.
  403. Voyez la note 12 de la lettre précédente.
  404. Lettre 82. — Il manque ici quelques mots, que Bussy aura sautés en copiant la lettre sur son registre. La suite fait voir qu’il s’agit de Jean du Bouchet, le généalogiste : voyez la note 1 de la lettre suivante.
  405. Voyez la note 3 de la lettre 77.
  406. Les Rabutins de Champagne sont mentionnés de nouveau dans la lettre 85.
  407. Louis le Fèvre de Caumartin, successivement conseiller au parlement, puis maître des requêtes, conseiller d’État et intendant de justice en Champagne. Il assista deux fois, en qualité de commissaire du Roi, aux états de Bretagne. Il était allié et ami du cardinal de Retz. Sa seconde femme, qu’il avait épousée en 1664, Catherine-Madeleine de Verthamon, était sœur de la comtesse de Guitaut, à qui sont adressées plusieurs des lettres de Mme de Sévigné.
  408. Lettre 83. — i. Jean comte du Bouchet, savant généalogiste, chevalier de l’ordre du Roi, maître d’hôtel ordinaire, mort en 1684, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. On a de lui plusieurs ouvrages in-folio sur l’histoire et les généalogies, pleins de recherches curieuses.
  409. Claude Bouchu, fils du premier président au parlement de Bourgogne, Jean Bouchu, était né en 1628, et mourut en 1683. Il fut pendant vingt-cinq ans, à partir de 1656, intendant de justice en Bourgogne.
  410. Lettre 84. — i. Duplique, terme de pratique, et réponse à une réplique,
  411. C’était en 1663, au moment où Bussy partait pour le siège de Marsal. Deux cents pistoles font deux mille francs. Bussy, dans ses Mémoires (tome II, p. 143), dit qu’il trouva quatre mille francs dans la bourse de sa cousine. — M. le Maigre serait-il le mari ou un allié de cette dame le Maigre, chez qui, comme il est dit dans la Notice (p. 149), Corbinelli présidait ?
  412. Basta, en italien, « (il) suffit, assez. »
  413. Dans le manuscrit de Langheac (voyez la Notice bibliographique), cet alinéa, ainsi que le suivant, jusqu’aux mots : « Adieu, Comte, etc. » font partie de la lettre 86.
  414. Le baron Charles de Sévigné : voyez la Notice biographique, p. 116. Voyez aussi la lettre de M. de la Provenchère à Bussy (Correspondance de Bussy, tome I, p. 209).
  415. Francois d’Aubusson, comte de la Feuillade, maréchal de France en 1675, nommé pendant quelque temps duc de Roannès, parce qu’il avait épousé (1667) Charlotte, sœur d’Artus Gouffier, duc de Roannès (l’ami de Pascal), qui se démit de ses droits en faveur de son beau-frère, créé duc et pair à cette occasion. Aubusson ne porta son nouveau nom que jusqu’à l’expédition de Candie. Il eut alors du Roi la permission de reprendre, en y joignant le titre de duc, le nom de la Feuillade sous lequel il s’était distingué en Hongrie (1664).
  416. Charles-Paris d’Orléans, né à l’Hôtel de Ville de Paris, le 29 janvier 1649, d’abord comte de Saint-Paul, et en 1671 duc de Longueville par donation de son frère aîné. Il fut tué au passage du Rhin en 1672 : voyez les lettres de Mme de Sévigné à Mme de Grignan des 17 et 20 juin 1672.
  417. L’ami de Mme de la Fayette, l’auteur des Maximes, né en 1613, mort en 1680. Voyez la Notice, p. 138.
  418. Lettre 85. — i. Triplique, ancien terme de pratique, « réponse à une duplique. » Voyez la note 1 de la lettre précédente.
  419. Lettre 86. — Dans le manuscrit de Langheac, cette lettre est datée de Livry, le 29e août 1668.
  420. Charles de Sainte-Maure devint baron de Montausier en 1635, marquis en 1644, gouverneur de Normandie en 1663, duc en 1664. Il avait épousé en juillet 1645 la célèbre Julie d’Angennes, sœur de la première femme du comte de Grignan.
  421. Mme de Sévigné cite, en l’altérant, un vers bien connu du Cinna de Corneille, acte V, scène iii :

    Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler ;
    Je t’en avois comblé, je t’en veux accabler.

  422. Lettre 87. — Dans le manuscrit de Langheac, cette lettre est datée de Bussy, le 30e août 1668, et la seconde phrase y est ainsi conçue : « Oui, je le dirai partout, au hasard que notre rencontre passe pour un rendez-vous ; mais je ne comprends pas comment vous pouvez si bien parler procédé. Pour moi, je crois que vous avez fait quelques combats en Bretagne qu’on n’a point sus, mais qui vous ont appris ce langage. »
  423. Procédé se disait des querelles qui surviennent entre gens d’épée. Dans les éditions antérieures à celle-ci, on avait remplacé les mots « que vous parliez si bien d’un procédé, » par ceux-ci : « que vous parliez si bien d’un procès, » ce qui ne signifiait rien ici, et surtout n’avait aucun rapport à la lettre précédente.
  424. Ici Mme de Coligny a ajouté entre les lignes ce qui suit : « Cependant je vous envoie une imitation des Remèdes d’amour d’Ovide, qui ne vous déplaira pas ; il faut bien s’amuser et se divertir. » Dans la première édition des Lettres de Bussy on a placé cette imitation, en prose et en vers, à la suite de cette lettre du 7 septembre tome I, p. 20-33).
  425. Lettre 88. — i. Dans le manuscrit de Langheac, cette lettre est datée du 25e novembre 1668.
  426. Voyez la Notice, p. 104 et suivantes.
  427. Dans le manuscrit de Langheac : « par un excès de civilité. »
  428. Voyez la Notice, p. 106 et suivante.
  429. François Adhémar de Monteil de Grignan, d’abord évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, puis archevêque d’Arles de 1643 à 1689, mourut le 9 mars de cette dernière année, à l’âge de quatre-vingt-six ans.
  430. Jacques Adhémar de Monteil de Grignan, d’abord évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux après son frère, puis évêque et comte d’Uzès de 1660 à 1674, mourut le 13 septembre de cette dernière année.
  431. Dans le manuscrit de Bussy, il y a ici, entre les lignes, une addition relative à l’imitation d’Ovide qui est mentionnée, par une addition semblable, dans la lettre précédente : « Vos Remèdes d’amour méritent un éloge que je n’ai pas le loisir de faire aujourd’hui : ils sont incomparables. »
  432. Cet alinéa et le suivant ne se trouvent pas dans le manuscrit de Langheac.
  433. C’était comme alliés des Vassé que les Sévigné étaient parents du cardinal de Retz. Voyez la Notice, p. 33.
  434. On voit en cet endroit, au manuscrit de Bussy, deux lignes et demie tellement biffées qu’il est presque impossible d’y rien distinguer. Ce passage contenait sans doute, comme la réponse le fait présumer, quelque chose qui offensait les prétentions nobiliaires du comte de Bussy.
  435. Cette dernière phrase manque dans le manuscrit de Bussy.
  436. Lettre 89. — Dans le manuscrit de Langheac : « J’y ai répondu, et de plus je sais qu’on a donné ma lettre à l’un de vos gens : informez-vous donc de ce qu’elle est devenue. »
  437. Voyez la Notice, p. 106.
  438. Il devait avoir près de quarante ans. On ne sait pas exactement la date de sa naissance.
  439. Dans le manuscrit de Langheac : « de chemises, » au lieu « d’habits. »
  440. Tout le reste de la lettre manque dans le manuscrit de Langheac.
  441. Voyez la Notice, p. 324, 325, et p. 33, note i. — M. de Mussey a fait copier, au château de Bussy, le portrait de Mme de Sévigné, et a relevé au bas l’inscription que voici, dont les termes sont très-peu différents de ceux que nous lisons dans cette lettre : Marie de Rabutin, marquise de Sévigné, fille du baron de Chantal, femme d’un génie extraordinaire et d’une solide vertu compatible avec beaucoup d’agréments. — Dans les deux inscriptions suivantes, notre manuscrit n’a pas Sévigny, mais Sévigné.
  442. Les mots « que vous me mandez… », jusqu’à « d’accord » sont biffés dans le manuscrit de Bussy, mais on peut les lire.
  443. L’édition de 1818 et toutes celles qui l’ont suivie ont fortune au lieu de personne.
  444. Dans le manuscrit de Langheac, la lettre se termine ainsi : « Adieu, ma belle cousine, je vous aime en vérité de tout mon cœur. »
  445. Lettre 90. — i. Le cardinal de Retz était devenu en 1639 damoiseau de Commerci, à la mort de sa tante maternelle, Madeleine de Silly, dame du Fargis. C’était en 1662 qu’il s’était retiré, avec l’agrément du Roi, dans sa principauté de Commerci.
  446. Plus connue sous le nom de duchesse de Châtillon. Voyez la note 2 de la lettre 36.
  447. César-Phébus d’Albret, baron de Pons, comte de Miossens, né en 1614, maréchal de France en 1653, était frère du chevalier d’Albret qui tua en duel le marquis de Sévigné : voyez la Notice, p. 54. Il avait épousé en 1645 une sœur de Henri du Plessis Guénégaud. Il mourut en 1676 ; avec lui s’éteignit le nom d’Albret.
  448. Mlle de Sévigné, comme nous l’avons vu dans les lettres précédentes, était à la veille d’épouser le comte de Grignan. Sur la parenté du cardinal avec la famille de Sévigné, voyez la Notice, p. 33.
  449. Le dataire ou prodataire est l’officier le plus considérable de la chancellerie romaine : c’est par ses mains que passent tous les bénéfices vacants, hors les consistoriaux.
  450. Lettre 91. — i. Cette tournure irrégulière que nous reproduisons d’après la copie de Bussy, est ainsi corrigée dans le manuscrit de Langheac : « Et si j’eusse souhaité que quelque chose eût été perdue, ce n’eût jamais été celle-là. »
  451. Il n’est question d’amitié dans aucun des écriteaux de la lettre 90. Y en avait-il un de plus dans la lettre originale envoyée à Mme  de Sévigné ? Ou bien, comme le commencement de la réponse de Bussy pourrait porter à le croire, n’y aurait-il ici qu’une allusion nouvelle, mais d’une ironie, il en faut convenir, bien subtile, au fameux portrait de l’Histoire amoureuse des Gaules ?
  452. Ces derniers mots sont biffés au manuscrit de Bussy, et remplacés par ceux-ci : vous diroit qu’elles sont toutes des meilleures.
  453. Ces derniers mots, également biffés, peuvent encore se lire.
  454. On s’occupait alors en Bretagne d’une révision des titres de noblesse. Chacun produisit ses preuves ; et, par arrêt du parlement de Rennes, du 7 novembre 1670, au rapport de M. Descartes, conseiller, Charles de Sévigné fut déclaré noble, issu d’ancienne extraction noble, et maintenu dans ses qualités. (Nobiliaire de Bretagne, manuscrit de l’Arsenal.) — Cet alinéa et les deux précédents manquent dans le manuscrit de Langheac. Deux phrases plus bas, au lieu des mots : « que faut-il davantage ? » on y lit : « que diantre faut-il davantage ? »
  455. À la fin de la lettre Mme de Coligny a ajouté ce qui suit : « On parle de guerre, et que le Roi fera la campagne. Ne vous y reverra-t-on point jouer un rôle que vous avez si bien rempli ? »
  456. Lettre 92. — i. Cette lettre est datée dans les deux manuscrits du 12 janvier, et non du 22 comme dans l’édition de 1697 et dans toutes les impressions antérieures à la nôtre. Les mots écrits en tête par Bussy confirment la date du 12.
  457. Cet alinéa manque dans le manuscrit de Langheac. Il est suivi, dans la copie de Bussy, de quelques lignes écrites à la marge par Mme de Coligny. « Voilà la dernière lettre que j’ai écrite au Roi sur ces bruits de guerre. Je me suis amusé aussi à donner des leçons à mes filles : vous jugerez si je suis un bon gouverneur. » La lettre au Roi se lit dans l’édition de 1697, tome I, p. 43 et 44.
  458. Lettre 93. — i. Louise de Rouville, seconde femme de Bussy. — Sur cette lettre et les suivantes, voyez la Notice, p. 107-109.
  459. On se rappelle que la première femme du comte de Grignan était fille de la marquise de Rambouillet.
  460. Lettre 94. — i. Cette lettre est datée du 7e juin dans le manuscrit de Langheac ; mais c’est une erreur : elle a été écrite au plus tard le même jour que le billet qui suit de Mme de Grignan : voyez la date de la réponse (no 96).
  461. Pour la locution sentir le fagot, voyez les lettres 96 et 97.
  462. Terme populaire qui signifie sot, niais. Au lieu des mots : « un jobelin qui eût sorti de l’académie, » on lit dans le manuscrit de Langheac : « Un nigaud qui seroit sorti de l’académie, » et à la fin de la phrase, « qui ne nous fît rougir » est remplacé par « où l’on ne prît intérêt. »
  463. Cette fin est tirée du manuscrit de Langheac ; elle manque dans la copie de Bussy. — Louise de Rouville, seconde femme de Bussy, était accouchée au mois de mai à Paris, où elle était venue solliciter pour son mari. Ce petit Rabutin, le second fils de Bussy, était Michel-Celse-Roger de Rabutin, comte de Bussy, qui devint en 1724 évêque de Luçon, membre de l’Académie française en 1732, et mourut en 1736. — Mme de Montmorency, dans une lettre du 1er  juin, fait aussi compliment à Bussy de sa fille. Il en eut cinq de ses deux femmes ; nous ne savons quelle était celle qui avait accompagné Mme de Bussy à Paris. Voyez la Généalogie, p. 342 et 343.
  464. Lettre 95. — i. C’est la réponse à la lettre que Bussy, un peu plus haut (n° 93), promettait d’écrire à Mme de Grignan.
  465. Bussy accompagne ces deux lettres (94 et 95) des réflexions suivantes, dans le tome III de ses Mémoires manuscrits, d’où est tiré ce billet inédit de Mme de Grignan : « Ces deux lettres me parurent fort aigres, et je n’en trouvai point d’autre raison, sinon que je m’étois moqué dans ma lettre à Mme de Sévigné (n° 93) de l’incivilité de son gendre ; et cela me fait étonner combien les passions font faire de fautes aux plus habiles, car le dépit d’un petit reproche fit écrire deux lettres ridicules par deux personnes de beaucoup d’esprit. Mon premier mouvement fut de répondre à Mme de Sévigné ; mais je fus si choqué de ses travers en cette rencontre, que je craignis de lui écrire trop vivement, et il me parut plus sage à moi de laisser tomber cette affaire. » Comparez l’introduction de la lettre suivante.
  466. Lettre 97. — i. Il y a, comme l’on voit, une erreur soit dans la date de la lettre, soit dans l’introduction : dans l’introduction sans doute ; il n’y a de cette lettre à la suivante, comme à la précédente, que trois jours d’intervalle.
  467. C’est une allusion aux gens décriés pour leur libertinage que Bussy fréquentait autrefois, et particulièrement à l’aventure de Roissy, qu’il raconte lui-même dans ses Mémoires (tome II, p. 89-93).
  468. Voyez plus haut les lettres 77, 79 et 80. Dans la copie de Bussy, Mme de Coligny a ajouté à la fin de la lettre : « N’avez-vous point écrit au Roi au commencement de cette guerre ? Ne me supprimez pas le plaisir de voir ce que vous lui mandez. »
  469. Lettre 98. — i. Voyez l’introduction de la lettre 93.
  470. En réponse à l’addition que nous avons reproduite dans la dernière note de la lettre précédente, Mme de Coligny a ajouté ce qui suit : « Voilà la dernière lettre que j’ai écrite au Roi. J’avois oublié de vous l’envoyer. Le cas que vous en faites m’en donne bonne opinion. »
  471. Lettre 99. — i. On a rapproché ces mots d’une plaisanterie sur laquelle Mme de Sévigné et son cousin reviennent plusieurs fois dans les lettres de l’année précédente (voyez celles de la fin d’août et du commencement de septembre). Ne serait-ce pas plutôt une allusion à quelque circonstance de ce voyage que Mme de Sévigné rappelle dans la lettre du 26 juillet 1668, et Bussy dans celle du 21 novembre 1666 ?
  472. Lettre 101. — i. Claude Frémyot, président au parlement de Bourgogne, était neveu du président Bénigne Frémyot, père de sainte Chantal : voyez la Généalogie p. 339. Claude Frémyot avait réservé à sa veuve l’usufruit de ses biens.
  473. Françoise de Rabutin, veuve d’Antoine de Toulongeon, seigneur d’Alonne, mère de la première femme de Bussy, et sœur du baron de Chantal, père de Mme de Sévigné. Elle mourut en décembre 1684.
  474. Lettre 102. — i. Mme de Sévigné, dans la lettre du 10 juin 1671, évalue sa part dans la succession du président Frémyot à cent mille francs. Bussy, dans sa lettre du 15 septembre 1677, dit qu’elle traita de cette part avec le président de Berbisy, moyennant dix mille écus. Voyez aussi la lettre du 13 octobre 1677, et celles du 23 juin et du 9 août 1678.
  475. Lettre 103. — i. Disputes, débats pour des choses de peu de conséquence entre personnes qui vivent ensemble ; voyez le Lexique, dans le dernier volume.
  476. Espèce de sauce piquante ou de ragoût qui excite l’appétit.
  477. Tranquillité est rayé dans le manuscrit, et madame de Coligny a écrit au-dessus : résignation.
  478. Lettre 104. — i. À ces mots de Bussy, madame de Coligny a ajouté ou plutôt substitué ceux-ci : « Après une longue interruption de commerce, je reçus cette lettre de Mme de Sévigné. »
  479. Louise-Françoise, fille du premier lit, qui épousa le marquis de Coligny. C’était elle qu’on appelait « Mlle de Bussy. » Voyez la Correspondance de son père, tome I, p. 146.
  480. Cette dernière phrase manque dans la copie de Bussy. À la place, il s’y trouve encore une addition, relative à une lettre au Roi : « Au reste, je n’ai rien vu de plus beau ni de plus touchant que votre lettre au Roi. »
  481. Lettre 105. — i. « Puisque mes lettres au Roi vous plaisent tant, est-il ajouté de nouveau dans la copie, en voilà encore une. » Cette lettre au Roi se trouve dans le manuscrit 629 du Supplément français de la Bibliothèque impériale, et dans l’édition de 1697 (tome I, p. 43). Elle est précédée, dans l’un comme dans l’autre, de la phrase que voici : « J’ai cru que, comme dans un exil, une longue patience ressemble fort à l’indifférence, je devois montrer à mon maître que je souffre à la vérité sans dépit, mais que je souffre. »
  482. Lettre 106. — i. Corbinelli avait une sœur religieuse à Châtillon-sur-Seine, qui est à quatre lieues et demie de Bussy. Il y a une lettre d’elle au comte de Bussy Rabutin, du 5 décembre 1670. (Correspondance, tome I, p. 339.)
  483. Voyez la lettre 103.
  484. Le marquis de Vardes était alors exilé dans son gouvernement d’Aigues-Mortes. Corbinelli alla le rejoindre dans son exil : voyez la note 3 de la lettre 143, et la Notice, p. 148 et suivante.
  485. Lettre 107. — i. Jacques de Neuchèse, évêque de Chalon. Voyez la lettre 80 et les suivantes.
  486. Lettre 108. — i. Serait-ce une allusion aux bruits qui coururent après l’accident arrivé à Livry au chevalier de Grignan ? Voyez Walckenaer, tome II, p. 289, et la Notice, p. 110.