LettresCharpentierŒuvres complètes d’Alfred de Musset. Tome X (p. 334-335).


XXXII

À M. VÉRON.


Mon cher Véron,

Je viens d’être malade, et je le suis encore, ce qui m’a empêché d’aller vous voir. J’ai lu Carmosine, et j’ai été parfaitement content de la manière dont la pièce a été coupée et imprimée. Ce soir seulement, j’y trouve une seule faute, et le malheur veut qu’elle soit dans les vers. C’est à cette strophe « Depuis le jour où, etc. » Il y a :

Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur
De lui montrer ma craintive pensée,
Dont je me sens à tel point oppressée,
Mourant ainsi, que la mort me fait peur.

Il est bien clair que ces deux mots, mourant ainsi, sont une parenthèse, et que le sens doit se suivre ainsi : à tel point oppressée que la mort, etc.

Mourant ainsi est mis bien évidemment pour en mourant ainsi, — chose fort ordinaire et permise en vers. Or, au lieu de cela, je trouve imprimé :

Dont je me sens à tel point oppressée.

Avec un point ; et puis :

Mourant ainsi, que la mort me fait peur !

Avec un point d’exclamation.

Non seulement cela change les deux vers ; mais, en arrêtant le sens après à tel point oppressée, cela fait une faute de français, car on ne dit pas à tel point, sans ajouter que.

Je ne saurais vous dire combien cela me désespère. Je ne voulais pas vous en parler, attendu que j’aurais l’air bien mal venu d’avoir le courage de me plaindre après le soin que vous avez bien voulu prendre. Si une faute se trouvait partout ailleurs, je ne dirais certes pas un mot ; mais que cela tombe précisément sur ces vers, quand tout le reste est à merveille, voilà ce qui me fait une peine affreuse. Y a-t-il un moyen quelconque de revenir sur cette faute, soit par un erratum, soit en réimprimant les vers à part ?

Soyez assez bon pour me répondre un mot, je vous en supplie. J’ai dans ce moment la tête d’un malade. J’espère, en tout cas, que vous ne m’en voudrez pas d’un vrai désespoir dont l’expression est involontaire. J’espère surtout que vous ne me croyez pas trop peu reconnaissant de la peine que vous avez prise.

Mille amitiés.
Alf. de Musset.
Lundi 4 novembre (1850).

M. Véron arriva chez Alfred de Musset avant que cette lettre eût été mise à la poste, en sorte qu’elle ne fut pas envoyée. L’autographe resta entre les mains de la gouvernante, mademoiselle Colin, qui demanda la permission de le garder. La copie qui nous en a été remise porte par erreur la date du lundi 1er novembre 1852.