LettresCharpentierŒuvres complètes d’Alfred de Musset. Tome X (p. 329-330).


XXVIII

À SON FRÈRE.


Mon cher ami,

En voilà une tuile désagréable ! J’étais averti que l’Académie me donnait un prix, mais je ne savais pas en quels termes. On vient de me les dire et je les trouve blessants. Il y a vingt ans que j’écris ; j’en ai tout à l’heure trente-huit, et on m’apprend que je suis un jeune homme qui mérite d’être encouragé à poursuivre sa carrière. Quand la critique me fait de ces compliments-là, je les méprise ; mais de la part de l’Académie c’est plus grave. Il m’en coûterait de paraître orgueilleux ou susceptible, et cependant puis-je à mon âge me laisser traiter d’écolier ? Que faire ? j’ai besoin d’avoir ton avis là-dessus. Attends-moi ce soir, avant de te coucher, ou laisse la clef à ta porte. Il faut que nous causions ensemble.

À toi.
Alf. M.
Jeudi soir (17 août 1848).

L’Académie française, dans sa séance du 17 août 1848, venait d’accorder à Alfred de Musset le prix fondé par M. de Maillé Latour-Landry. D’après les intentions du fondateur, ce prix annuel doit être donné « à un jeune écrivain ou artiste, dont le talent, déjà remarquable, paraîtra mériter d’être encouragé à poursuivre sa carrière dans les lettres ou les beaux-arts. » Alfred de Musset accepta le prix ; mais il en donna le montant aux victimes des événements de juin 1848. Sa lettre de souscription, publiée par le National du 21 août 1848, se trouve dans le volume des mélanges.