Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/25

VINGT-CINQUIÈME LETTRE.


Toulon, le 25 décembre 1829.

« Soyez sans inquiétude, tout ira bien ; » c’est en ces termes que je dis adieu à mes amis au moment de mon départ de Paris ; j’ai tenu parole, et me voici en rade de Toulon, subissant avec résignation le triste devoir de la quarantaine. Ma campagne est donc finie, et tous mes vœux et les vôtres sont remplis. C’est le 23 décembre, dans la rade d’Hyères, que l’ancre de l’Astrolabe mordit enfin sur la terre de France ; c’est le jour anniversaire de ma naissance ; au 1er janvier vous aurez ma lettre pour vos étrennes ; il ne manque donc à ma satisfaction que d’avoir en main vos lettres, qui m’attendent sans doute ici ; j’espère pour tout cela dans les bontés habituelles de M. le préfet maritime.

Je ferai ma quarantaine à bord de l’Astrolabe, toutefois en prenant une chambre au lazaret, dans le but de me chauffer et de faire un peu d’exercice. J’y reverrai mon Journal de voyage et j’y ajouterai ce qui y manque sur mon dernier séjour au Caire et à Alexandrie. La reconnaissance me fait un devoir de consigner dans ce journal tous les témoignages d’intérêt que j’ai reçus d’Ibrahim-Pacha, et les marques non interrompues de la plus active protection de S. A. Mohammed-Aly, qui, le jour de la fête du roi, a ajouté à toutes ses bontés le présent d’un magnifique sabre.

C’est une tête qui travaille avec activité sur le passé et sur l’avenir : S. A. m’a demandé un abrégé de l’histoire de l’Égypte, et j’ai rédigé un petit mémoire, selon ses vues, qui paraît l’avoir vivement intéressé ; je lui ai remis aussi une note détaillée qui a pour objet la conservation des monuments principaux de l’Égypte et de la Nubie. J’espère que ces deux mémoires porteront leur fruit[1].

Je ne saurais dire assez haut tout ce dont je suis redevable aux soins et à l’affection de M. Mimaut, notre consul général ; c’est un homme parfait, qui m’est allé au cœur, et n’en sortira jamais. J’ai recommandé de nouveau à ses bontés MM. Lhôte, Lehoux et Bertin, qui restent après moi à Alexandrie pour terminer leur panorama du Caire et faire les portraits du vice-roi et d’Ibrahim, son fils, qui l’ont désiré.

Le magnifique sarcophage, le grand bas-relief du tombeau de Ménephtha, toutes mes caisses contenant les stèles, momies et autres objets destinés au Musée, sont chargés sur l’Astrolabe ; j’espère que la douane épargnera ces propriétés nationales, et que je ne serai pas obligé de déballer vingt ou trente caisses qui nous ont déjà coûté tant de peine. Ce qu’il faudrait obtenir encore, c’est d’éviter le transbordement de ces monuments, et que M. de Verninac soit chargé de conduire le chargement de l’Astrolabe dans le port du Havre aussitôt que la saison le permettra, vers les premiers jours de mars, je pense, pour être en avril au Havre, d’où un chaland emporterait le tout par la Seine devant le Louvre. Par ce moyen fort simple et pour lequel il suffira d’un ordre de M. le ministre de la marine, on ne compromettrait pas, par deux ou trois transbordements, la conservation de ces richesses monumentales, qui serviront à compléter les salles basses du Musée.

Après ma sortie de quarantaine, je resterai trois jours à Toulon, j’en passerai quatre à Marseille, d’où je me rendrai à Aix, pour étudier les papyrus de M. Sallier. Ce sera une petite séance égyptienne, et j’espère en reprendre l’habitude journalière à Paris ; c’est un sort, et je m’y résigne sans peine… Adieu.

  1. Ils sont imprimés ici à la suite des Lettres. C. F.