(1p. 199-201).

LXXXI

Paris, jeudi, 6 septembre 1843.

Il me semble que je vous ai vue en rêve. Nous sommes demeurés si peu de temps ensemble, que je ne vous ai rien dit de ce que je voulais vous dire. Vous-même, vous aviez l’air de ne pas trop savoir si j’étais une réalité. Quand nous verrons-nous ? Je fais en ce moment le métier le plus bas et le plus ennuyeux : je sollicite pour l’Académie des inscriptions. Il m’arrive les scènes les plus ridicules, et souvent il me prend des envies de rire de moi-même, que je comprime pour ne pas choquer la gravité des académiciens que je vais voir. C’est un peu à l’aveugle que je me suis embarqué, ou plutôt qu’on m’a embarqué dans cette affaire. Mes chances ne sont point mauvaises, mais le métier est des plus rudes, et le pire de tout, c’est que le dénoûment se fera longtemps attendre : vraisemblablement jusqu’à la fin d’octobre, et peut-être plus. Je ne sais si je pourrai aller en Algérie cette année. La seule réflexion qui me console, c’est que je resterai ici et que, par conséquent, je vous verrai. Cela vous fera-t-il plaisir ? Dites-moi que oui et gâtez-moi bien. Je suis tellement abruti par ces ennuyeuses visites, que j’ai besoin de toutes vos câlineries, et des plus tendres, pour me donner un peu de courage et de vie.

Vous avez tort d’être jalouse des inscriptions. J’y mets quelque amour-propre, comme à une partie d’échecs engagée avec un adversaire habile ; mais je ne crois pas que la perte ou le gain m’affecte le quart autant qu’une de nos querelles. Mais quel vilain métier que celui de solliciteur ! Avez-vous jamais vu des chiens entrer dans le terrier d’un blaireau ? Quand ils ont quelque expérience, ils font une mine effroyable en y entrant, et souvent ils en sortent plus vite qu’ils n’y sont entrés, car c’est une vilaine bête à visiter que le blaireau. Je pense toujours au blaireau en tenant le cordon de la sonnette d’un académicien, et je me vois in the mind’s eye tout à fait semblable au chien que je vous disais. Je n’ai pas encore été mordu cependant. Mais j’ai fait de drôles de rencontres.

Adieu.