(1p. 171-172).

LXVII

Paris, 15 avril 1843.

J’avais si grand mal aux yeux ce matin et hier, que je n’ai pu vous écrire. Je suis un peu mieux ce soir et je ne pleure plus guère. Votre lettre est assez aimable, contre votre ordinaire. Il y a même une ou deux phrases tendres, sans mais et sans secondes pensées. Nous avons des idées très-différentes sur une foule de choses. Vous ne comprenez pas ma générosité de me sacrifier pour vous. Vous devriez me remercier pour m’encourager. Mais vous croyez que tout vous est dû. Pourquoi faut-il que nous nous rencontrions si rarement dans nos manières de sentir ! Vous avez fort bien fait de ne pas parler de Catulle. Ce n’est pas un auteur à lire pendant la semaine sainte, et il y a dans ses œuvres plus d’un passage impossible à traduire en français. On voit très-bien ce qu’était l’amour à Rome vers l’an 50 avant J.-C. C’était un peu mieux cependant que l’amour à Athènes au temps de Périclès. Déjà les femmes étaient quelque chose. Elles faisaient faire des bêtises aux hommes. Leur pouvoir est venu, non du christianisme, comme on le dit ordinairement, mais je pense par l’influence qu’exercèrent les barbares du Nord sur la société romaine. Les Germains avaient de l’exaltation. Ils aimaient l’âme. Les Romains n’aimaient guère que le corps. Il est vrai que longtemps les femmes n’eurent pas d’âme. Elles n’en ont point encore en Orient, et c’est grand dommage. Vous savez comment deux âmes se parlent. Mais la vôtre n’écoute guère la mienne.

Je suis content que vous fassiez cas des vers de Musset, et vous avez raison de le comparer à Catulle. Catulle écrivait mieux sa langue, je crois, et Musset a le tort de ne pas croire à l’âme plus que Catulle, que son temps excusait. Il est une heure tout à fait indue. Je vous dis adieu pour bassiner mon œil. Je pleure en vous écrivant. À lundi. Priez pour que nous ayons un beau soleil. Je vous apporterai un livre. Mettez vos bottes de sept lieues.