(1p. 146-147).

LIII

Paris, février 1843.

Il m’est arrivé bien souvent dans ma vie de faire en rechignant des choses que j’ai été bien aise ensuite d’avoir faites. Je désire qu’il vous arrive comme à moi. Supposez que le contraire fût arrivé : n’auriez-vous pas éprouvé un peu d’impatience d’être venue seule ? N’auriez-vous pas eu, laissez-moi le croire, quelque inquiétude de m’avoir fait de la peine ? Considérez maintenant avec quelque orgueil cette étrange influence que deux fois vous avez eue sur ma pensée et sur mes résolutions. Tout le mal, c’est d’avoir eu un peu d’incertitude. N’admirez-vous pas comme moi cette étrange coïncidence (je ne dirai pas sympathie, pour ne pas vous déplaire) de nos pensées ? Vous rappelez-vous qu’autrefois nous fîmes une expérience presque aussi miraculeuse ? et dernièrement encore, près d’un poêle dans le musée espagnol, vous avez lu dans ma pensée aussi vite que je pensais. Il y a longtemps que je soupçonne quelque chose de diabolique en vous. Je me rassure un peu en pensant que j’ai vu vos deux pieds et que vous n’avez pas le cloven foot. Pourtant, il se pourrait que, sous ces bottines, vous m’eussiez caché une petite griffe. Tâchez donc de me rassurer.

Adieu. Voici le livre dont je vous ai parlé.