(1p. 103-105).

XXXIV

Décembre 1842.

Il y a longtemps que je veux vous écrire. Mes nuits se passent à faire de la prose pour la postérité ; c’est que je n’étais content ni de vous, ni de moi, ce qui est plus extraordinaire. Je me trouve aujourd’hui plus indulgent. J’ai entendu ce soir madame Persiani, qui m’a raccommodé avec la nature humaine. Si j’étais comme le roi Saül, je la prendrais en place d’un David. On me dit que M. de Pongerville, l’académicien, va mourir : cela me désole, car je ne le remplacerai pas, et je voudrais qu’il attendît jusqu’à ce que mon temps fût venu. Ce Pongerville-là a traduit en vers un poëte latin nommé Lucrèce, lequel mourut à quarante-trois ans pour avoir pris un philtre à l’effet de se faire aimer ou de se rendre aimable. Mais, auparavant, il avait fait un grand poëme sur la Nature des choses, poëme athée, impie, abominable, etc.

La santé de M. de Pongerville me tracasse plus que de droit, et puis je vais être obligé de me lever à dix heures après-demain pour les ennuis du jour de l’an. Comment tout le monde ne s’entend-il pas pour voyager ou aller à tous les diables, ce jour-là ? J’ai encore d’autres ennuis qui vous feraient rire et que je ne vous dirai pas. Savez-vous que, si nous continuons à nous écrire sur ce ton d’aimable confiance, chacun gardant pour soi ses pensées secrètes, nous n’avons qu’une ressource, c’est de soigner notre style, puis de publier un jour notre correspondance, comme on a fait pour celle de Voiture et de Balzac ? Vous avez surtout une manière de considérer comme non avenues les choses dont vous ne voulez pas parler qui fait le plus grand honneur à votre diplomatie. Il me semble que vous embellissez. Cela me paraissait impossible, car la mer ne peut acquérir de nouvelles eaux. Cela prouve que ce que vous perdez d’un côté, vous le gagnez de l’autre. On embellit quand on se porte bien ; on se porte bien quand on a un mauvais cœur et un bon estomac. Mangez-vous toujours des gâteaux ?

Adieu ; je vous souhaite une bonne fin d’année et un bon commencement de l’autre. Vos amis useront vos joues ce jour-là. Lorsque j’aurai fini la prose dont je vous parlais tout à l’heure, j’irai pour ma peine passer une dizaine de jours à Londres. Ce sera vers Pâques.