Michel Lévy frères (p. 209-212).
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XLII


Cannes, 28 décembre 1869.


Chère Présidente,


Ou vous étiez de bien mauvaise humeur le jour où vous avez posé pour votre photographie, ou le photographe a été gagné par vos rivales. Vous avez un air féroce que, Dieu merci, je ne vous connais pas. Je vous remercie cependant beaucoup d’avoir songé à moi, mais je vous demanderai la permission de changer mon exemplaire pour un autre d’expression moins farouche.

Je suis horriblement souffrant depuis le froid, et je partage la désolation des habitants du pays qui voient leurs jardins transformés en épinards cuits. Tous nos orangers sont rôtis ; on craint pour les oliviers, et, quant aux belles plantes des jardins, il n’en reste plus que les racines. Les Parisiens qui venaient ici pour avoir chaud, nous reprochent de les avoir indignement trompés. Je vois que vous passez le temps doucement et gaiement. Je vous en félicite. Ici, nous avons bien de la peine à vivre, et, quant à moi, si cela dure, je pense que je subirai le sort des orangers. Si ma santé et si le temps me le permettaient, j’irais vous présenter mes hommages à Nice, et vous demander des nouvelles du monde ; mais, hélas ! quand pourrai-je ? Je ne veux pas cependant que vous vous dérangiez pour voir un malade très-morose et grognon comme je suis. En cas de mort prochaine, je vous préviendrais ; mais, en ce moment, je me sens trop misanthrope et trop insupportable, et je reste blotti dans mon trou.

J’ai eu des nouvelles par des revenants d’Égypte. Beaucoup de fatigue, beaucoup de mouvement ; tout a réussi à merveille, bien que contre toute probabilité ; les fêtes ont été très-brillantes ; les souverains et souveraines ont fait très-bonne contenance, bien que l’une sût l’élection de M. Rochefort, l’autre l’insurrection de la Dalmatie, le Pacha, la note menaçante de la Porte. Tout d’ailleurs s’est arrangé pour l’empereur et le khédive. Espérons que les choses tourneront moins mal pour nous qu’on ne le prévoit.

Agréez, chère Présidente, tous mes vœux pour l’année prochaine. Veuillez me rappeler au souvenir du comte et de Mademoiselle votre fille, et recevoir l’expression de tous mes respectueux hommages.