Lettres à ses frères les hommes de couleur/01

Imprimerie-librairie du Cercle social (p. 3-4).

AVERTISSEMENT.


Détenu dans les prisons, je ne puis mettre toute la célérité que je désire, pour rendre ma correspondance publique. Indépendamment qu’elle jettera un grand jour sur les causes des troubles de Saint-Domingue, elle démontrera jusqu’à l’évidence, que j’ai été perfidement calomnié. Mes ennemis, les colons blancs, ne me pardonneront jamais d’avoir sacrifié ma fortune[1] et ma santé pour défendre les droits de mes frères, les hommes de couleur, et pour conserver à la République la colonie de Saint-Domingue. Ils ont profité des circonstances pour jetter sur moi les soupçons les plus odieux ; d’abord, mes ennemis ont commencé à me calomnier sourdement dans les cafés et dans les groupes, ensuite dans les sociétés populaires, où ma santé cruellement délabrée depuis 10 mois par le scorbut, me prive d’assister. Puis ils se sont enhardis et ont eu la perfidie, en altérant, tronquant, transposant, et en changeant même plusieurs mots de deux de mes lettres[2], de fabriquer un libelle diffamatoire contre moi ; qu’ils ont fait imprimer et distribuer aux comités de marine et dés colonies, sous le titre de Développement des causes des troubles de Saint-Domingue. Averti de ce fait, je m’empressai de me faire entendre de ces deux comités, qui, après ayoir entendu ma justification, en présence de mes adversaires, ont été indignés de leur perfidie ; et plusieurs membres de ces comités m’ayant conseillé pour ma complette justification, de faire imprimer et distribuer à la Convention nationale ces lettres, en indiquant les altérations que mes ennemis y ont faites, pour me faire paroître coupable.

Je m’empresse donc de les faire précéder toute ma correspondance et les pièces qui y sont jointes. Je supplie la Convention et tous les vrais républicains de suspendre leur jugement jusqu’après la lecture de toutes les pièces que j’annonce, ils y verront si j’ai écrit et agi en vrai républicain, et en ami de la liberté et de l’égalité.

Ma détention, l’ordre venu depuis deux jours, de ne pas laisser communiquer les détenus avec personne, ont mis un retard à la publication de ces lettres et à celle de la correspondance que j’annonce.


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  1. Mes ennemis ont cherché à faire entendre que j’avois tiré beaucoup d’argent de Saint Domingue. Voici ce qui en est de ma fortune, et ce que confirmera ma correspondance. J’avois une habitation qui me produisoit 50,000 à 60,000 livres argent des colonies, de revenu ; j’ai été contraint de la vendre ici, parce que, d’après une lettre de Blanchelande, les blancs de mon quartier vouloient se la partager ou la dévaster. Je l’ai vendu 326,000 liv. tournois, et de cette somme il ne me reste plus que celle de 260,000 liv. dont 100,000 liv. sont placées à fonds perdus. Le reste a été consommé pour la révolution, et je défie toute personne de prouver que j’aie un sou de plus. Mes ennemis disent que j’habite un palais. Eh bien, j’ai un loyer d’une maison nationale, qui me revient à 1800 livres. Ils me reprochent de tenir une grande table, je les défie de prouver que d’autres personnes que ma famille, mon chirurgien, et deux ou trois amis, qui ne sont pas de l’assemblée, aient mangé chez moi, encore ne les recevois-je qu’un jour de là semaine. D’ailleurs, je produirai mon livre de dépense à qui voudra.
  2. Les deux lettres dont je parle, sont celles qui suivent cet avertissement.