Lettres à sa marraine/23 novembre 1916

Gallimard (p. 77-78).


23 novembre 1916
hôpital
du gouvernement
italien


Ma chère petite marraine, je suis bien persuadé de ce que vous me dites : les marraines inconnues ne sont pas toutes laides. J’ai été si fatigué que je n’ai pu ni écrire ni envoyer le livre, je le fais cette semaine.

Apprêtez un bouquet fait d’ache et d’immortelles
Le mois qui court encor ne s’achèvera pas
Sans que votre poète apporte son trépas
Comme une fleur d’automne à vos pieds fleurs plus belles

Mais écrivez-moi plus souvent, sans quoi vous ne me laisseriez que le loisir de chanter comme Chérubin dont je n’ai malheureusement plus l’âge :

J’avais une marraine
Que mon cœur que mon cœur a de peine

Ici la vie s’écoule, sinon monotone, du moins sans beauté. La Seine monte un peu sous les fenêtres de l’hôpital et mon ami le docteur Mardrus que je vois souvent me donne par ses récits la nostalgie de son Orient.

Je baise les belles mains dont je devine l’harmonieuse forme et je suis,

Votre filleul dévoué.

Guillaume Apollinaire.