Lettres à la princesse/Préface

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. i-iii).
Lettre I  ►


Les Lettres recueillies dans ce volume ont été rendues au légataire universel de M. Sainte-Beuve, en échange de celles qui furent un moment l’objet, en 1869, de contestations à peu près oubliées aujourd’hui. Cet échange était dans la pensée de M. Sainte-Beuve lui-même ; car, prévoyant le cas où les lettres qui lui avaient été écrites seraient réclamées après sa mort, il avait recommandé à ses exécuteurs testamentaires de les rendre, — à la condition toutefois de se faire rendre les siennes en retour. Il n’y a donc pas à revenir sur un malentendu d’un instant, depuis longtemps réglé et terminé loyalement des deux parts, comme on le voit par la publication de ce premier recueil consciencieux et complet de Lettres de l’illustre critique.

Aussi bien ce volume inaugure une série nouvelle de ses œuvres, — et non pas la moins spirituelle, — celle de sa Correspondance, pour la réunion de laquelle on se propose de faire, et l’on fait dès à présent, ici même, un appel public à toutes les personnes qui en possèdent des fragments.

On obéit surtout, en livrant à la publicité les Lettres de M. Sainte-Beuve, à la pensée de doter l’histoire littéraire de pages originales et sincères, de portraits et jugements vifs, pris sur nature, à la La Bruyère, avec la soudaineté en plus. Le sens critique était trop inhérent au tempérament de l’écrivain pour être jamais abdiqué. Le principal mérite des Lettres à la Princesse est qu’on y sent toujours, à de certains passages caractéristiques, sous forme même d’apologie et avec toutes les apparences de l’adhésion respectueuse, cet aiguillon, ce mordant qui a fait dire un jour à celui qui connaissait bien la nature de son propre talent : « J’ai plus piqué et plus ulcéré de gens par mes éloges que d’autres n’auraient fait par des injures. »


J. T.