Lettres à la princesse/Lettre103

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 139-141).
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CIII


Ce mercredi, 8 février.
Princesse,

Je m’étais dit en effet en comptant sur mes doigts que cette quinzaine de bal revenait pour mercredi, mais votre silence me laissait espérer quelque dérangement à mon avantage.

Veuillez ne pas me dire, je vous en prie, que je parais si sévère. Comment le serais-je contre ce qui a été un charme et un rêve des plus doux ? Vaut-il mieux dissimuler et manquer de vérité ? Faut-il que vous soyez la seule personne envers qui je déguise ce que je ne puis me dissimuler à moi-même et que je ne prends plus sur moi de dissimuler à personne ? J’ai pris avec moi-même des résolutions et déterminations auxquelles la nécessité, et des sentiments qui tiennent la dignité du caractère et au respect de soi, m’ont graduellement amené.

Je suis entré dans une dernière phase de ma vie, qui est à établir derechef et à laquelle je m’applique de toutes mes forces. Se plaindre est misérable, se faire plaindre est honteux. Travailler est le parti le plus simple et le plus digne comme le plus forcé. Je m’en accommode, mais je dois à mon honneur de ne pas me relâcher sur la qualité et de bien faire jusqu’à la fin. Pour cela je dois beaucoup garder la chambre, car la facilité, qui n’a jamais été mon fait, devient de moins en moins à notre usage avec les années. La satisfaction que je tirerai à la longue du parti que je prends, — lequel est tout simplement de faire de nécessité vertu, — m’ôtera toute irritation et amertume si j’étais tenté d’en avoir. Je ne serais pas toujours sûr de m’en préserver, au moins en paroles, allant dans le monde et ayant à répondre à toute sorte de questions et de démonstrations d’intérêt. Moins on parle, et bien souvent mieux l’on pense.

Voilà ce que j’ose exposer naïvement et avec confiance non pas à Votre Altesse, mais à une amie. Le jour que vous voudrez bien m’accorder sera toujours le mien. Pour vendredi prochain, je vous demanderai seulement de le changer. Il faut bien vous le dire encore, ce jour-là, par exception, je dîne chez M. Isaac Pereire, mon nouveau patron, à qui j’ai obligation de ses avances, et que je n’ai pas vu depuis un an, tout s’étant fait entre nous par intermédiaires. Si samedi n’était pas un jour réservé, je vous demanderais d’en prendre ma part. Je tiendrai votre silence pour une acceptation : vous voyez, Princesse, que je ne suis pas devenu si farouche. Je n’ai jamais mieux senti le prix que j’attache à ce qui doit lier à jamais à vous ceux que vous avez une fois distingués et honorés des marques de cette bonté dont je vous parlais dans ma dernière lettre.