Lettres à la princesse/Lettre048

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 60-62).

XLVIII


Ce 6 juin.
Princesse,

C’était à moi d’aller vous remercier et je l’eusse déjà fait si je n’avais été repris par ma roue mécanique périodique. Je ne parle pas de l’honneur, je ne veux parler que du plaisir et de la joie que vous avez apportés par votre bonne, votre gracieuse et charmante présence. Le parfum reste, le souvenir vit et vivra. — Celui du 3 juillet dernier vit toujours.

Certainement j’irai mercredi à Saint-Gratien, je voudrais bien, avant, y faire une petite visite du matin. — Oh ! il est attrayant et séduisant le projet ! mais l’heureux Girardin ne sait pas combien le travail est une peine. Occupé toujours d’intérêts présents, de sujets qui s’offrent et vivent d’eux-mêmes, il ne sait pas ce qu’il faut d’isolement et de maussaderie solitaire pour ranimer des sujets morts ou refroidis. Il y a une partie obscure et pénible de ma vie que j’aime à ensevelir. Le paradis terrestre ne va pas avec le travail auquel fut condamné Adam. Ce que je conçois dans cette vie heureuse, dans ce cadre riant, c’est un demi-travail, ce que les oisifs appellent un travail tout entier, une occupation des matins qui ne fait qu’amuser l’esprit et l’entretenir. J’ai par malheur prélevé mon mois de vacances ; il faudra une autre année que je le ménage… — Mais voilà, Princesse, que je me perds en raisonnements et que je me permets tout haut un de ces petits dialogues que je n’engage d’ordinaire qu’avec moi-même et qui font dire quelquefois aux personnes de la maison : Tiens ! monsieur parle tout seul !

Agréez, Princesse, l’expression de ma profonde gratitude et de mon respectueux attachement.