Lettres à la princesse/Lettre012

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 20-22).
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XII


Ce 19 octobre 1802.
Princesse,

J’ai reçu presque à la fois vos deux aimables lettres. Je serai mercredi exact au rendez-vous, et j’arriverai avec ou avant mon confrère Augier.

Je me fais une fête de cette lecture, et j’espère que nous aurons dans cinq semaines la représentation, et sans reculade[1].

J’exécuterai vos ordres, Princesse, en ce qui est de ces deux messieurs : j’en connais un à peine, Forcade, mais dans notre métier nous sommes tous connus les uns des autres. Quant à Vitet, qui est de mes amis et qui est le plus charmant et le plus instruit critique de beaux-arts, c’est, vous le savez, un personnage politique plus engagé qu’il ne devrait l’être, eu égard à ses goûts studieux. Il est avec Duchâtel comme les deux doigts de la main. Il a été le dernier président de la Législative, dans cette matinée qui a suivi la fameuse nuit. Il ressemble, par là seulement, à ce vieux directeur, Gohier, qui disait après le 18 brumaire : « Bonaparte m’a pris la République des mains. » C’est donc forcément un adversaire de situation, et aussi, je le crains, de passion. Si sage et si dans le vrai sur la question romaine Campana, je doute qu’il soit aussi impartial sur l’autre question romaine catholique et papale ; car on le dit converti depuis la mort de sa femme. Je compte le voir jeudi à l’Académie, et je lui dirai tout bêtement le désir qui est si fait pour le flatter ; ce sera toute ma diplomatie, je lui jetterai ce mot tout aimable de vous à la tête. Il s’en tirera comme il pourra.

Je crois comme vous, Princesse, que ce qu’on a n’est qu’un rapiéçage qui ne pourra durer. La crise, au lieu de faire éclat, fera long feu, voilà tout. Bien des ministres partiront, mais comme de la poudre mouillée, peu brillamment.

À mercredi donc, et veuillez agréer, Princesse, l’expression de mon respectueux attachement.


  1. On joua en effet le Fils de Giboyer pour la première fois le 1er  décembre 1862.