Lettres à la princesse/Lettre002

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 2-3).
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II

Ce 10 novembre 1861.

Non, Princesse, ce n’est jamais moi qui me permettrai des remontrances ; mais vous nous mettez à l’aise, vous nous permettez de penser tout haut devant vous, et c’est un de vos charmes ; ne vous étonnez pas si nous en profitons.

Je ne sais si je me serais jamais entendu à la politique ; mais je m’en suis toujours trop peu occupé, et d’une manière trop peu suivie, pour me flatter d’avoir un avis tout à fait sérieux. Je ne sens que comme tout le monde, comme le gros des gens. Eh bien, c’est ainsi que j’ai pris le grand acte d’avant-hier[1]. Est-ce très-sage et très-prudent par rapport à un avenir éloigné ? Ne pouvait-on faire autrement ? moins accorder, — faire moins belle part à celui qui rentre, etc., etc. ? Ce n’est pas là ce qui me frappe. — L’empereur y gagne-t-il dans l’opinion ? Cette surprise annuelle, qu’il nous fait après tant d’autres qui étaient quelquefois libérales, toujours nationales, est-elle digne des précédentes ? est-elle propre à aller au cœur de quelques-uns de ceux que les précédentes n’avaient pas suffisamment touchés ? Cela est-il de nature à lui gagner, à lui concilier de plus en plus à lui, à son régime et à sa tige, les esprits français qui se laissent prendre à la façon autant qu’au fond ?

Ce sont là, Princesse, les seules questions que je me suis posées et qui se sont résolues d’elles-mêmes dans mon esprit, qui est assez peuple et qui y va d’instinct. Le reste est affaire aux hommes d’État. Ils en ont le profit : qu’ils en aient la peine.

Mais je crois, en vérité, que je disserte, et je ne voulais, Princesse, qu’avoir l’honneur de vous remercier de votre gracieuse pensée, et me redire, de Votre Altesse impériale, le plus reconnaissant et dévoué serviteur.

  1. L’événement important du jour était le rappel de M. Achille Fould au ministère des finances, et l’inauguration, par le fait même de ce nouveau ministère, de l’application du régime de la discussion à l’emploi des ressources et fonds publics. (Voir le Moniteur universel du 14 novembre 1861.)