Lettres à l’Abbé Le Monnier/Notice

Lettres à l’Abbé Le Monnier
Lettres à l’Abbé Le Monnier, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierŒuvres complètes de Diderot, XIX (p. 355-358).


NOTICE PRÉLIMINAIRE


Cet abbé Le Monnier, que Diderot rencontra chez les dames Volland et dont il resta l’ami jusqu’à la fin, est une agréable figure de rimeur, d’humaniste et de philanthrope. Mais il a expié le tort d’avoir écrit des fables après La Fontaine et d’avoir traduit Perse et Térence qu’on ne lit plus guère aujourd’hui, même dans une traduction. Quant à la Fête des bonnes gens, elle n’a point survécu à ses fondateurs. Parler de Le Monnier, c’est donc ajouter un chapitre à cette histoire des oubliés et des dédaignés de la littérature que chaque siècle laisse à faire après lui.

Guillaume-Antoine Le Monnier naquit à Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche), en 1721. Après ses études commencées à Coutances et achevées au collège d’Harcourt, il fut nommé, en 1743, chapelain de la Sainte-Chapelle, où, pour 1,400 livres par an, il enseignait aux enfants de chœur le plain-chant et le latin. Plus tard, une épître, fort gentiment tournée, à son archevêque lui valait une pension de 800 livres qui le garantissait, disait-il, « de la faim comme de l’indigestion ». La maîtrise et la classe ne l’empêchaient pas de se lier avec Diderot, Grétry, Raynal, « qui l’appelait le meilleur des hommes », Élie de Beaumont, Greuze, Moreau le Jeune, Sophie Arnould,


. . . . . . . .Le Carpentier,
Cochin, Perronet, Cendrier,
Et de leurs pareils quinze ou seize,
Qui sont amis chauds comme braise.


Non content de corriger le Dialogue sur la raison humaine, qui est la première œuvre imprimée de l’abbé, Diderot relisait, la plume à la main, ses deux traductions, et leur cherchait un éditeur. Le Monnier l’en remerciait par une fable dont il empruntait le sujet à une repartie de Mme Diderot[1]. Cochin dessinait pour ses Fables et pour les Satires de Perse des frontispices aussi compliqués que les énigmes du Mercure d’alors ; il ornait son Térence de sept belles planches gravées par Choffard, A. de Saint-Aubin, Rousseau et Prévost. Plus tard, un autre ami, Moreau le Jeune, gravait lui-même pour la Fête des bonnes gens de Canon une de ses plus délicieuses eaux-fortes.

Si l’abbé s’en était tenu à ses traductions, il serait peut-être tout doucement arrivé au fauteuil académique. Par malheur, il s’avisa d’écrire pour Philidor une comédie en un acte et en prose mêlée d’ariettes, intitulée le Bon Fils et représentée sur le Théâtre-Italien le 11 janvier 1773. Ce fut une lourde chute. Grimm se garda de signaler l’échec, d’un ami ; mais les Mémoires secrets, qui n’avaient pas les mêmes motifs pour ménager l’abbé, se montrèrent impitoyables. Dès la veille de la représentation, ils insinuent que le sujet est emprunté à un conte de Marmontel, « mine féconde où puisent tous nos faiseurs d’opéras-comiques ». Le 14 janvier, ils annoncent que les comédiens italiens l’ont jouée : « Les paroles sont d’un certain abbé Le Monnier qui a traduit Térence, mais ne s’entend en rien au théâtre. Indépendamment des vices de construction, la forme n’a aucune beauté ; il n’y a pas une scène qui vaille quelque chose ; les ariettes même sont détestables. La musique du sieur Philidor n’a pu compenser tant de défauts, et si le Bon Fils n’est pas tombé, il n’est guère possible qu’il aille bien loin. » Le 5 février : « L’abbé Le Monnier, auteur du Bon Fils, est chapelain de la Sainte-Chapelle. Il a pris un nom postiche et sur les imprimés on lit : Par M. de Vaux. Cependant, comme il est notoirement connu pour l’auteur de cette mauvaise pièce, le Chapitre est furieux contre ce suppôt prévaricateur et l’archevêque de Paris exige, dit-on, qu’il soit destitué de sa place. Cela serait acheter bien cher la honte d’avoir produit une aussi détestable drogue. » C’était dur, en effet ; le pauvre abbé dut quitter Paris. Grâce à Élie de Beaumont, il obtint la cure de Montmartin-en-Graignes, non loin de Saint-Lô. Il y fit le bien et s’occupa de l’institution des fêtes de bienfaisance que la famille d’Élie de Beaumont avait créées à Canon et à Passais. Dès lors, il ne vint plus guère à Paris. Mais ses amis ne l’oubliaient pas. Mme Vallayer-Coster, celle-là même qui avait peint Mlle Volland, exposa au Salon de 1775 un portrait de l’abbé, et Diderot, en 1779, le chargeait de solliciter Target pour le fils de Mme de Blacy, dans des termes qui prouvent que leur amitié ne s’était jamais refroidie.

La Révolution survint. Le Monnier, dépossédé de sa cure, fut arrêté et enfermé, à Paris d’abord, à Sainte-Marie-du-Mont, puis à Sainte-Pélagie. Le 9 thermidor l’en fit sortir ; et la Convention non-seulement lui accorda une pension, mais, sur la proposition de Letourneur (de la Manche), lui donna la succession de Dom Pingré comme conservateur de la bibliothèque du Panthéon. En même temps, il était élu à l’Institut, dans la section des langues vivantes. Il paya son tribut par un mémoire sur le pronom Soi et il fit au Lycée la lecture de fables et de poésies. Mais les honneurs venaient le chercher trop tard ; il mourut le 4 avril 1797.

Quelques jours après, un de ses collègues du Lycée, le citoyen F. V. Mulot, lisait en séance publique un éloge de Le Monnier, écrit dans la langue pompeuse du temps. L’auteur, bien renseigné, d’ailleurs, sur les particularités de la vie de l’abbé, terminait en souhaitant qu’on plantât sur la tombe « un arbre vert, moins triste que le cyprès qui eût trop contrasté avec la gaîté de son caractère. » Sous le titre d’Apothéose de Le Monnier viennent tout aussitôt des couplets de Favart sur l’air : Que ne suis-je la fougère ? un dithyrambe de Desforges (serait-ce l’auteur du Poëte ?) et d’autres couplets encore, d’un anonyme, sur l’air : Femmes qui voulez savoir, etc. La mémoire aimable de Le Monnier était fêtée comme il convenait.

M. Brière possède presque tous les autographes des lettres de Diderot à l’abbé, publiées par lui. Le fac-similé de l’un d’eux est joint à ce volume. Grâce à la bienveillance de M. Alfred Sensier et de M. J. Desnoyers, nous avons pu enrichir cette série de deux lettres inédites, l’une que plusieurs catalogues ont mentionnée comme adressée à Galiani, l’autre qui est un véritable plaidoyer en faveur du neveu de Mlle Volland. De plus la lecture attentive du texte de nos prédécesseurs nous a fait replacer à leurs dates réelles quelques-unes de ces lettres dont l’ordre chronologique avait été visiblement interverti.



  1. Voir la fable XXIX : Le Philosophe et sa femme.