Lettres à l’élue/Éclaircissement

L. Vanier / A. Messein (p. 1-6).



Éclaircissement



Un jeune homme, en proie aux orgueilleuses sollicitations de l’intelligence, décidé à s’affranchir des réalités communes ou nécessaires et à se gouverner selon des principes exclusivement rationnels, c’est-à-dire abstraits, a déserté sa terre et fui le château de sa famille. Il vient à Paris, se fait étudiant d’agrégation, espérant apaiser dans une orgie de spéculation philosophique la soif de certitude dont il se sent dévoré.

Ni la fréquentation de l’université, ni la familiarité des systèmes métaphysiques ne parviennent à satisfaire un esprit d’abord avide de foi. Henry étouffe dans cet air privé d’atomes lyriques. Son âme se raréfie sous une pression de logique pure, alors que des trésors de sensibilité demeurent sans emploi, mais non sans protestation : d’où malaise et perte de l’équilibre moral.

Un soir, le conflit entre la raison et le sentiment s’exaspère jusqu’à créer un désespoir. Après une violente crise d’âme, Henry retourne vers sa loi. Il devine que la nature nous offre un piédestal d’expérience, consolidé par tous les os de nos morts, où peut s’ériger de l’enthousiasme.

Au milieu des sécurités de sa terre et des affirmations environnantes, Henry s’étonne, avec joie, d’aimer encore l’humilité et la vie journalière. Voici que son esprit, autrefois riche d’images, après avoir traversé un désert de glaces, se repeuple d’intuitions simples et de poétiques surprises.

Il retrouve une amie d’enfance, qui l’attend depuis toujours, et dont l’âme lumineuse va se concentrer sur son existence. Madeleine lui offre, avec son amour, un instinct infaillible, façonné par des siècles de sagesse et de tradition. Cette union consomme la synthèse du cœur et de l’intelligence, de la vie et de la pensée, dans leur plus total rayonnement.

Nos jeunes gens ne se contentent pas de s’admirer chaque jour. Comme cela est naturel pour des amants, ils s’écrivent. Henry raconte à Mad la folle équipée d’une raison droite et saine qui cherche en vain un centre où s’asseoir, et qui ne palpe qu’une série de méthodes dépourvues d’objet vivant. Il lui narre aussi sa conversion, son retour à la sobriété, la conquête de sa paix, la poursuite de son devoir dans l’exaltation.

De ces lettres, il n’a été retenu ici que les plus importantes pour la connaissance des états psychologiques en cause, celles où le développement des diverses phrases de cette personnalité, riche en polyphonies spirituelles, accapare tour à tour la conscience.


On n’a pas cherché autre chose, dans cette monographie, qu’une analyse un peu poussée et quelque émotion.


Château de Seyssinet, 1906. Paris, 1907.