Lettres à Sophie Volland
Lettres à Sophie Volland, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXVIII (p. 521-529).


XLVIII


Au Grandval, le 28 octobre 1760.


Si vous ne vous rappelez pas vos lettres depuis le numéro 22 jusqu’au numéro 29 que je viens de recevoir, vous n’entendrez rien à ceci.

Je cause un peu avec vous comme ce voyageur à qui son camarade disait : « Voilà une belle prairie ! » et qui lui répondait au bout d’une lieue : « Oui, elle est fort belle. »

Quand vous lui avez lu : « Oui, madame, je vous hais », elle a ri et n’en a voulu rien croire. Si j’avais écrit : « Oui, madame, je vous aime », elle serait devenue sérieuse, et n’en aurait pas cru davantage. Il n’y a plus que l’indifférence que je lui protesterais mal ; car je ne l’ai pas, et ne l’aurai jamais.

Gaschon s’est présenté tout seul. Ils ont causé la première fois, comme ils causeront la centième. C’est la commodité de ceux qui ne se disent rien ; mais pour Uranie, vous et moi, il faut que l’ennui de nous-même et des autres nous prenne, quand le cœur et l’esprit sont muets, et qu’il n’y a que les lèvres qui se remuent et qui font du bruit. Je me suis demandé plusieurs fois pourquoi, avec un caractère doux et facile, de l’indulgence, de la gaieté et des connaissances, j’étais si peu fait pour la société. C’est qu’il est impossible que j’y sois comme avec mes amis, et que je ne sais pas cette langue froide et vide de sens qu’on parle aux indifférents ; j’y suis silencieux ou indiscret. La belle occasion de marivauder ! Et pourquoi m’y refuserais-je ? le pis-aller, c’est d’être long avec les autres. Plus mes lettres sont courtes avec vous, au contraire, plus elles sont longues, plus j’en suis content. Je me dis : Quel plaisir elle aura quand elle recevra ce paquet ! D’abord, elle le pèsera de la main : elle le serrera pour quand elle sera seule ; il lui tardera bien d’être seule ; elle l’ouvrira avec empressement, croyant y trouver au moins une brochure. Point de brochure, mais un volume de mon écriture, en feuilles séparées. On rangera ces feuilles ; on lira presque toute la nuit ; il en restera la moitié encore pour le lendemain. Le lendemain, on achèvera, et l’on relira, pour soi et pour sa chère sœur, les lignes qui auront plu davantage : car, quand on ne serait pas bien aimée, on voudrait le paraître ; quand l’amant ne serait pas fort aimable, on voudrait qu’il le parût. Les amants me semblent encore, en ce point, plus honnêtes et plus délicats que la plupart des époux.

Ce volume d’écriture qu’on aura reçu et lu avec tant de plaisir, que contiendra-t-il ? Des riens ; mais ces riens mis bout à bout forment de toutes les histoires la plus importante, celle de l’ami de notre cœur.

Le calcul que vous trouvez si mauvais est pourtant celui de toutes les passions. Des années entières de poursuite pour la jouissance d’un moment, voilà leur arithmétique, et tant que le monde durera, c’est ainsi qu’elles compteront.

Lorsque je défendais le jeune homme[1] c’est comme aimable et non comme honnête. — Mais est-on aimable sans être honnête ? — Hélas ! oui ; et c’est un peu la faute des femmes..... Mais, après tout, c’est là l’homme qu’il leur faut, puisqu’elles trompent, trahissent, tourmentent, conduisent, ou méprisent et font mourir les autres de douleur.

Uranie, Uranie, je crains bien que vous ne fassiez trop de cas des qualités agréables, et pas assez des qualités solides. Vous craignez trop l’ennui, le ridicule vous touche trop vivement pour que vous estimiez la vertu tout son prix. Peut-être feriez-vous demain le bonheur de l’homme de génie qui pourrait résoudre tous vos doutes profonds, tandis que vous refuseriez un regard de pitié à celui qui serait prêt ta tout moment de donner sa vie pour vous.

Chère amie, je vous prie de demander à Mme Le Gendre, à présent que M. Marson est mort, si elle ne serait pas plus contente d’elle-même de l’avoir rendu heureux seulement une fois ; mais donnez-lui le jour entier pour répondre à ma question, et ne lui dites pas qu’elle est de moi ; faites-la-lui comme de vous. Sa réponse m’apprendra jusqu’où un homme sensible peut se mettre à la place d’une honnête femme. Il s’en serait allé son débiteur, et elle reste sa créancière. Vous seriez bien étonnée qu’elle ne l’eût refusé quelquefois que par la crainte qu’il ne vécût trop longtemps. Si un homme était destiné à expirer entre les bras d’une femme, mais expirer tout à fait, et que le moment du plus grand plaisir de la vie en fût aussi le dernier moment, c’est aux indifférents, aux ennuyeux, aux odieux qu’on réserverait ses faveurs.

L’abbé de Voisenon se défend tant qu’il peut de la petite ordure[2] ; mais elle demeurera sur son compte, jusqu’à ce qu’un autre se soit montré. En tout, c’est presque toujours le défaut de succès qui fait la honte. Les gens de cœur n’ont du remords que d’avoir manqué leur coup.

Les Facéties sont un recueil des impertinences de l’année 1760[3], que M. de Voltaire a fait imprimer à Genève et qu’il a grossi de quelques autres. La Vision y est, mais on a supprimé les deux versets de Mme de Robecq[4]. Voilà, ou je me trompe fort, la raison pour laquelle l’édition a été faite ; peut-être aussi l’envie d’expier un peu sa honte du commerce épistolaire avec Palissot y est entrée pour quelque chose. Il a apostille les lettres de Palissot de petites notes très-cruelles. Il y a six mois qu’on s’étouffait à la comédie des Philosophes ; qu’est-elle devenue ? Elle est au fond de l’abîme qui reste ouvert aux productions sans mœurs et sans génie, et l’ignominie est restée à l’auteur. Que le mot du philosophe athénien est beau ! Il disait à ceux qui le plaignaient : « Ce n’est pas moi, c’est Anite et Mélite qu’il faut plaindre. S’il fallait être à leur place ou à la mienne, balanceriez-vous ? » Combien de circonstances dans la vie où l’on se consolerait de la même manière ? Qui de nous voudrait avoir le portefeuille de M..... dans sa poche ?

Le Discours sur la Satire des philosophes est de l’abbé Coyer. C’est ce qu’il a fait de mieux, et je suis bien aise que cet homme me soit du parti des honnêtes gens, quand ce ne serait que pour opposer guêpe à guêpe.

N’allez pas vous mettre dans la tête que votre hiver sera triste. Il n’y a pas un mot à rabattre de vos réflexions. Si vous osez, ils n’oseront pas. Que madame votre mère sache seulement dire à sa fille : Votre époux est un homme de bien à qui l’on persuade une mauvaise action. Vous avez de la religion : voudriez-vous enrichir vos enfants avec le bien des autres ? Interrogez confidemment votre mari, et vous verrez le fond de cette iniquité. Il peut se laisser tromper et déshonorer par son neveu, s’il le veut. Pour moi, je suis résolue à suivre le sort des autres créanciers. Je perdrai avec eux, et je serai payée aux échéances fixées par ma transaction, intérêt et principal.

Je reviens à Astrée et à Céladon[5]. Il y a à peu près un an que je le vis à Oiry. C’est la seule fois que je l’aie vu. Il était gai, il paraissait avoir de la santé. Nous nous promenâmes tête à tête, à gauche de la maison en sortant, sous une belle allée plantée au bord de la rivière mélancolique, d’où l’on voit les riches coteaux de la Champagne. Je lui parlai d’Astrée, la joie le transportait, il était tout oreilles. Une chose surtout me touchait, c’est la contrainte honnête qu’il s’imposait. Il me laissait dire, de peur que ses questions ne le rendissent indiscret. Il ne me croyait pas instruit de ses sentiments. J’ai pensé depuis que, de la manière dont je lui parlais d’Astrée, il ne tint qu’à lui de me prendre pour un rival.

Il n’est plus, il est mort de douleur. Voilà donc le sort qui attend les honnêtes gens. Le temps suscitera quelqu’un qui aura ce qui manquait à Céladon, et qui manquera de la grande qualité qu’il avait. Astrée le verra, l’aimera et en sera trompée, et Céladon sera vengé par Hylas ; et c’est alors que le temps de pleurer Céladon sera venu. On reçoit avec plaisir le grimoire. Cela me chagrine : c’est qu’il faut ne rien recevoir ou répondre. Elle vient de pousser l’un sous la tombe, et la voilà qui mène l’autre aux Petites-Maisons. Je n’aime pas ces gens-là ; ils sont cruels. Je vous ai dit le mot d’une femme que je ne compare en rien à Uranie.

Elle ne reviendra donc pas avec vous ? J’en suis fâché. On n’était pas digne de la connaître, quand on peut s’en passer. Oui, vraiment, ce serait une chose bien douce que la vie comme vous la projetez à Isle ou aux environs de Pékin ; mais les affaires de Dorval et la jalousie de Morphyse ne nous permettront jamais d’être heureux. Morphyse n’est pas faite pour être négligée. Pourrions-nous avoir du plaisir et lui voir de la peine ?

Pour Dieu, mon amie, ne comptez jamais sur M. Gaschon. C’est un esclave qui porte deux chaînes. Il a celle de l’intérêt à une jambe, et celle du plaisir à l’autre jambe, d’où elle va faire ensuite cent tours sur le reste de son corps. On ne se tire pas de là. Notre translation à Avignon est un conte. Il n’y a pas plus loin d’ici à Pékin que d’ici à Avignon. À propos, si c’est aux environs de Pékin que nous allons, il faut que vous laissiez ici vos pieds ; les femmes n’en portent point. Là tout vient à elles ; elles ne vont à rien. Mlle Boileau disait qu’elle aime assez aller et venir. Mme Le Gendre, elle, en sera toujours pour attendre.

J’ai lu votre Mémoire. Je n’y ai rien appris ; vous avez tout dit ; mais votre lettre à M. Fourmont m’a fait concevoir que, justice à part, madame votre mère, par intérêt pour son gendre, ne peut accéder aux propositions qu’on lui fait. Si la fortune de M. de Solignac est mal assise, vous risquez tout ; si on le trompe, et qu’on le ruine, vous y donnez les mains. Mais je voudrais bien que cet homme s’expliquât avec vous sur cette générosité à se départir de cinq à six cent mille francs qui lui sont dus.

S’il me convient d’être toujours aimé à la folie ? Il ne me convient d’aimer toujours et d’être toujours aimé que comme cela. Vous savez bien que toutes les petites passions compassées me font pitié. Je crois vous en avoir dit les raisons. Ajoutez qu’elles exigent autant que les grandes, et ne rendent presque rien.

Plus de philosophie, mon amie ; nous n’en faisons plus. Le Baron continue de se croire indisposé. La gaieté des autres l’afflige, et nous avons la complaisance d’être tristes. Il se retire de bonne heure. Les femmes ont l’air de sultanes qui suivent. Nous restons quelquefois à tisonner, le père Hoop et moi. Ma foi, cet Écossais est un galant homme. Depuis son histoire, il est devenu pour moi tout à fait intéressant. Voyez, chère amie, l’effet d’une seule bonne action. La vertu est un titre qui nous recommande à tous les hommes. Il est profondément instruit des usages de son pays. C’est le texte de nos promenades. Malgré le mauvais temps, nous sortons tous les jours depuis huit heures jusqu’à cinq. Nous suivons la crête des hauteurs, au risque d’être emportés par les vents. Pendant deux jours, le baromètre était ici au-dessous de la tempête. Il me semble que j’ai l’esprit fou dans les grands vents. Quelque temps qu’il fasse, c’est l’état de mon cœur.

À propos de la facilité de dépenser, qui est presque toujours en proportion de la facilité d’acquérir, je lui citais nos filles de joie, et surtout la Deschamps, qui a à peine trente ans, et qui se vante d’avoir déjà dissipé deux millions. Il me disait que cette espèce de courtisanes élégantes était presque inconnue à Londres, et qu’il n’avait mémoire que d’une Miss Philipps qui avait tiré de ses charmes des sommes immenses, et à qui il ne restait pas une obole à quarante-cinq ans. Elle avait un esprit étonnant. Elle avait connu tous les grands des trois royaumes. Elle avait rendu la plupart de ces hommes infidèles à leurs femmes. Lorsqu’un de ces noms se présentait sous sa plume, elle le laissait en blanc ; mais elle écrivait à la personne un billet où elle exposait sa situation et la nécessité indispensable de faire mention de milord, s’il n’avait pas la bonté de la secourir. On répondait par une bourse de trois cents louis, et le nom restait rempli par des points. Ce fut ainsi qu’elle répara sa fortune.

Le Baron ne paraît point à table ; nous n’y sommes que quatre : Mme d’Aine, Mme d’Holbach, l’Écossais et moi. Mme d’Aine l’appelle bibi de son cœur. Si vous voyiez ce bibi-là ! nous en faisons des ris à mourir.

Ô les hommes ! les hommes ! J’ai fait connaissance avec cette demoiselle d’Ette. C’était une Flamande, et il y paraît à la peau et aux couleurs. Son visage est comme une grande jatte de lait sur laquelle on a jeté des feuilles de roses, et des tétons à servir de coussins au menton, les fesses à l’avenant, du moins je le présume. Elle est bien née. Le chevalier de Valory l’enleva de la maison paternelle à l’âge de quatorze ans, en vécut une quinzaine avec elle, la déshonora, lui fit des enfants, lui promit de l’épouser, s’entêta d’une autre, et la planta là. Et voilà ce qu’on appelle d’honnêtes gens. Ils ont de ces actions par-devers eux ; ils s’en souviennent, on les sait, et cependant ils vont tête levée. Ils vous parlent vice et vertu sans bégayer, sans rougir. Ils louent, ils blâment ; personne n’est plus difficile en procédés ; cela va jusqu’au scrupule : il faut entendre comme ils en décident. Je m’y perds ; je me cacherais dans un trou ; je ne sortirais plus ; ou, à la rencontre de mes connaissances, j’entrerais dans un allée, et je fermerais la porte sur moi. Au nom de l’honnêteté, mon visage se décomposerait, et la sueur me coulerait le long du visage.

Je vois tout cela, et je romps encore des lances en faveur de l’espèce humaine. J’ai délié le Baron de me trouver dans l’histoire un scélérat, si parfaitement heureux qu’il ait été, dont la vie ne m’offrît les plus fortes présomptions d’un malheur proportionné à sa méchanceté ; et un homme de bien, si parfaitement malheureux qu’il ait été, dont la vie ne m’offrît les plus fortes présomptions d’un bonheur proportionné à sa bonté.

Chère amie, la belle tâche que l’histoire inconnue et secrète de ces deux hommes ! Si je la remplissais à mon gré, la grande question du bonheur et de la vertu serait bien avancée : il faudra voir.

Il m’arriva, il y a quelques jours, une chose qui me remplit l’âme d’amertume. C’était avant dîner. Je pris sur la cheminée un volume de l’Histoire universelle, et, à l’ouverture du livre, je lus cent forfaits horribles en moins de vingt pages ; et le Baron me disait ironiquement : « Voilà le sublime de la nature, le beau inné de l’espèce humaine, sa bonté naturelle ! » Eh bien ! il faut donc espérer que quand votre de V… aura spolié la succession de son père, abusé son oncle, et volé votre mère, vos sœurs, vous, il se promènera comme un autre, qu’il sera bien venu partout ; et que, si quelqu’un demande qui est ce jeune homme-là, la maîtresse de la maison répondra : C’est M. de V… ; c’est la politesse même ; il est plein de talents, et d’honnêteté, et de sentiments.

Vite, vite, mes amies, sauvons-nous dans un bois, à Pékin, à Avignon. Madame, prenez votre fille par une main, et mettez sous l’autre bras un de vos oreillers, ou plutôt laissez là vos oreillers ; tandis qu’on les remplira, qu’on choisira le duvet, avant qu’ils soient cousus, vous aurez vécu deux jours de plus avec les méchants ! Et qui sait le mal qu’ils vous feront dans deux jours ? Fuyons, vous dis-je.

Notre maladie de Langres n’a rien de commun avec celle de Vitry. Cela commençait par un grand mal de tête, la fièvre survenait, le transport, le vomissement de sang ou de vers, la mort ou la guérison.

Elle ne vous a pas proposé de vous embrasser pour moi ; mais si elle l’eût fait, l’eussiez-vous accepté ?

J’aimerais tout autant que vous partissiez toutes deux pour Paris, et que Mme Le Gendre vînt faire la chose elle-même. Vous ne la serviriez peut-être pas à son gré ; et puis vous embrasser pour moi, je n’entends pas. Est-ce vous embrasser comme je vous embrasserais bien, si vous vouliez, ou comme je serais embrassé d’elle, si j’y étais ? Cela est fort différent. Je permets le second.

Je persiste, mon amie ; je n’ai pas un liard de cette monnaie-là. Je sais dire tout, excepté bonjour. J’en serai toute ma vie à l’a b c de tous ces propos que l’on porte de maison en maison ; ce qu’on entend dans tous les quartiers, à la même heure. Au reste, je suis prêt à croire tout le bien que vous me dites de votre sœur. Il faut bien qu’elle soit de la famille. D’ailleurs on ne peut avoir trop bonne opinion d’une femme qu’une autre femme loue, et dont Mme Le Gendre ne dédaigne pas d’être jalouse.

Sérieusement, vous croyez que la présence des honnêtes gens déconcerte les fripons… Oui, la première fois qu’ils mettent la main dans la poche, et qu’on les y prend. En peu de temps ils deviennent insolents, à moins que le cœur ne soit mal à l’aise, lorsque la contenance est la meilleure. Mais cette hypocrisie habituelle n’étouffe-t-elle pas à la longue le cri de la conscience ? le cœur ne s’ennuie-t-il pas de s’entendre imposer silence, et ne prend-il pas le parti de se taire ? On acquiert le geste de la vertu, et l’on s’en tient là.

Encore une fois, tranquillisez-vous, votre affaire n’ira pas au Palais, du moins quant à ce qui vous concerne, vous et vos créanciers ; ce n’est pas un objet à remplir les engagements de V… avec son oncle. Tout ceci n’est peut-être qu’une simagrée. Ils savent à quoi s’en tenir ; si vous y donnez, à la bonne heure ; sinon, on nous satisfera.

C’est vous qui me ramenez encore à Uranie et au philosophe ; j’y reviens sans dégoût. Eh bien ! voilà un homme plus épris que jamais, sans cesse attisant son feu par les lettres qu’il écrit, autorisé dans ses espérances par la bonté qu’on a de les recevoir et la liberté de demander ses réponses, s’acheminant peu à peu au sort du malheureux Marson, ou à pis, et qu’on laisse froidement aller… Vous m’en direz tout ce qu’il vous plaira, mais cela ne s’arrange point dans ma tête avec la vérité du caractère d’Uranie. Tout ou rien, dites-le-lui de ma part.

Je brûle de faire un tour à Paris.

Le Baron, qui voit que je perds mon temps, et qui en est enragé, me disait hier au soir : « Savez-vous ce que c’est qu’une torpille ? — Pas trop. — C’est un poisson engourdi et qui porte son engourdissement à tout ce qu’il touche. Voilà l’emblème de tous vos collègues. »

Adieu, mon amie. Trois mois encore d’absence ! et le sang-froid avec lequel vous m’annoncez cela ! Mais vous ne croyez pas aux trois mois, n’est-ce pas ?

Quand, vous vous séparerez de la chère sœur, embrassez-la bien tendrement pour moi, et si par hasard elle vous propose de me le rendre, acceptez.

Je vous écrivais tout à l’heure que je bridais d’aller à Paris : à présent je tremble d’y trouver un monde d’affaires. N’ayant pas à m’en occuper, j’aimerais autant les ignorer.

J’ai toutes vos lettres jusqu’au n° 29 sans interruption.

N’ayez aucune inquiétude sur les contre-seings.

J’ai été tente deux ou trois fois d’être aussi fou que vous, mais j’étais tout éveillé, et j’ai résisté.

Je puis encore aller un peu ; mais pour jusqu’à trois mois cela est impossible.

Permettez-vous ?

Adieu, je sens l’ivresse qui me gagne.



  1. Les phrases soulignées sont évidemment les passages des lettres de Mlle Volland auxquels Diderot répondait.
  2. Tant mieux pour elle, conte plaisant. À Villeneuve, 1760, in-12. Attribuée plusieurs fois à Calonne, cette « petite ordure » n’en a pas moins été réimprimée au tome IV des Œuvres complètes de Voisenon. Paris, 1781, 5 vol. in-8.
  3. Voir précédemment la note de la page 452.
  4. La Vision de Charles Palissot, 176, in-12, réimprimée dans le Recueil des facéties, après suppression d’un paragraphe où la princesse de Robecq, maîtresse de Choiseul, s’était vue désignée et qui avait valu à Morellet deux mois de détention à la Bastille.
  5. Sans doute M. Marson et Mme Le Gendre, dont Diderot a déjà parlé dans cette même lettre.