Lettres à Sophie Volland/20
XIX
La chaleur d’hier au soir est bien tombée. Je ne sens plus ce matin qu’une chose, c’est que je m’éloigne de vous. Tandis que M. de Montamy[1] et le Baron prennent des arrangements pour la distribution d’un cabinet d’histoire naturelle qui est resté enfermé dans des caisses depuis dix ans, je m’amuse à causer encore un moment avec vous. Ne trouvez-vous pas singulier que l’histoire naturelle soit la passion dominante de cet ami ? qu’il se soit pourvu à grands frais de tout ce qu’il y a de plus rare en ce genre, et que cette précieuse collection soit restée des années entières dans le fond d’une écurie, entre la paille et le fumier ? Les goûts des hommes sont passagers : ils n’ont que des jouissances d’un moment. Ah ! chère femme, quelle différence d’un homme à un autre ! mais aussi quelle différence d’une femme à une autre !
Adieu, ma tendre amie ; vous n’attendiez pas de moi ce billet, il vous en sera plus doux. Je m’en vais, et je souffre ; je ne devinais guère hier au soir mon abattement de ce matin. Que serait-ce donc, si j’allais à mille lieues ? Que serait-ce, si je vous perdais ? mais je ne vous perdrai pas ; il faut bien que je le croie, et que je me le dise pour n’être pas fou. Adieu.
- ↑ Voir sur M. de Montamy le t. X. (L’histoire et le secret de la peinture en cire.)