Lettres à Richard Cobden/Lettre 9

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Paris, 16 mars 1846.

Mon cher Monsieur, j’ai tardé quelques jours à répondre à votre bonne et instructive lettre. Ce n’est pas que je n’eusse bien des choses à vous dire, mais le temps me manquait ; aujourd’hui même, je ne vous écris que pour vous annoncer mon arrivée à Paris. Si j’avais pu hésiter à y venir, l’espoir que vous me donnez de vous y voir bientôt aurait suffi pour m’y décider.

Bordeaux est vraiment en agitation. Il a été de mode de s’associer à cette œuvre, il m’a été impossible de suivre mon plan, qui était de borner l’association aux personnes convaincues. La furia francese m’a débordé. Je prévois que ce sera un grand obstacle pour l’avenir ; car déjà, quand on a voulu faire une pétition aux chambres pour fixer nos prétentions, des dissidences profondes se sont révélées. — Quoi qu’il en soit, on lit, on étudie, et c’est beaucoup. Je compte sur l’agitation elle-même pour éclairer ceux qui la font. Ils ont pour but d’instruire les autres et ils s’instruiront eux-mêmes.

Arrivé hier soir, je ne puis vous rien dire par ce courrier. J’aimerais mieux mille fois réussir à former un noyau d’hommes bien convaincus que de provoquer une manifestation bruyante comme celle de Bordeaux. — Je sais que l’on parle déjà de modération, de réformes progressives, d’experiments. Si je le puis, je conseillerai à ces gens-là de former entre eux une association sur ces bases et de nous laisser en former une autre sur le terrain du principe abstrait et absolu : no protection, bien convaincu que la nôtre absorbera la leur.